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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19
janvier 1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative aux droits de sortie
sur les lins (Rodenbach, Wallaert)
2) Composition
des bureaux de sections pour le mois de janvier 1842
3)
Demandes en naturalisation
4)
Projet de loi relatif au cantonnement (Raikem, Lys)
5) Projet de loi interprétatif de l’article
442 du code de commerce (date de faillite). Second vote des articles (Malou, Demonceau, Van Volxem, Pirmez, Dubus (aîné), Fleussu, Dolez, de Behr, Dolez,
Vandenbossche, Lys, Dolez, Doignon, Fleussu)
6) Projet de loi relatif à la ratification de
l’arrêté royal du 26 juillet 1841, concernant les fils de lin et de chanvre.
Industrie linière (Peeters, Nothomb,
Cools, Nothomb, Cools,
Rodenbach, Desmet, Cools, de Theux, Eloy
de Burdinne, Desmet, Peeters,
Dumortier, Van Hoobrouck,
Delehaye, Desmet, Rodenbach, Dumortier, Demonceau, Delfosse), industrie
de la rubannerie et de la passementerie (Nothomb)
(Moniteur
belge n°20, du 20 janvier 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse procède à l'appel nominal à midi et quart.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la
rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la
chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Des habitants du fort
Lillo demandent qu'il soit porté au budget des travaux publics un crédit pour
le réendiguement du fort Lillo. »
- Renvoi à la section
centrale pour le budget des travaux publics.
_________________________
« Le sieur George Barbieux, sous-lieutenant au régiment d'élite, demande la
naturalisation.
- Renvoi à M. le ministre de
la justice.
_________________________
« Les commis-greffiers
du tribunal de première instance de Dinant
renouvellent leur demande d'une augmentation de traitement. »
Renvoi à la section centrale
pour le projet relatif à l'augmentation des traitements des membres de l'ordre
judiciaire.
_________________________
« Des propriétaires et cultivateurs de la commune
de Cortemark demande qu'on établisse des droits sur
les fils à l'entrée et sur les lins à la sortie.
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi sur la matière.
Sur la proposition de M. Rodenbach, il est donné lecture de cette pétition, et sur la
proposition de M. Wallaert la commission est invitée à faire un prompt
rapport sur la partie de la pétition qui concerne les droits à la sortie des
lins.
________________________
« Le sieur A.-L.
Declercq, à Bruges, présente des observations sur un nouveau système de
finances. »
- Renvoi à la commission des
pétitions qui proposera, s'il y a lieu, le renvoi du mémoire à la commission
permanente des finances.
COMPOSITION DES BUREAUX DES SECTIONS POUR LE MOIS DE
JANVIER 1842
Première section :
Président : Raikem
Vice-président : Dubus
(aîné)
Secrétaire : Huveners
Rapporteur des pétitions :
de Florisone
Deuxième section :
Président : Jonet
Vice-président : Liedts
Secrétaire : Delehaye
Rapporteur des pétitions :
de Man d’Attenrode
Troisième section :
Président : Wallaert
Vice-président : Mercier
Secrétaire : Kervyn
Rapporteur des pétitions :
de Villegas
Quatrième section :
Président : de Foere
Vice-président : de Behr
Secrétaire : Henot
Rapporteur des pétitions :
Doignon
Cinquième section :
Président : Brabant
Vice-président : Coppieters
Secrétaire : Malou
Rapporteur des pétitions :
de Garcia
Sixième section :
Président : Duvivier
Vice-président : Jadot
Secrétaire : Sigart
Rapporteur des pétitions :
Zoude.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Dubus (aîné), M. Desmet et M. Henot, au nom de la commission des naturalisations,
déposent successivement des rapports sur des demandes en naturalisation.
- Ces rapports seront
imprimés et distribués. La chambre les met à l’ordre du jour à la suite des
objets qui y sont déjà.
_______________________
M. Mast de Vries, au nom de la même commission, dépose des projets
de loi tendant à accorder la naturalisation ordinaire à 23 personnes dont les
demandes ont déjà été prises en considération. Ces projets de loi seront
imprimés et distribués. La chambre les met également à l’ordre du jour à la
suite des objets qui y sont déjà.
M. Raikem dépose le rapport de la section centrale sur le
dernier projet présenté par M. le ministre de la justice, et relatif à la question
de savoir si le décret du 17 nivôse an XIII est applicable au cas de
cantonnement.
- Le rapport sera imprimé et
distribué.
M. le président propose de le mettre à l’ordre du jour, après les
objets qui y sont déjà.
M. Lys. - Il me semble qu'on ne peut guère mettre ce
projet à l'ordre du jour avant lundi.
M. Raikem. - Je pense, messieurs, que si nous avions
d'autres objets à l'ordre du jour, rien ne s'oppose à ce qu'on ajourne
la discussion du projet à lundi. Mais, s'il arrivait que nous n'eussions pas
d'autre objet à l'ordre du jour, il me semble que, demain ou après-demain nous
pourrions discuter le projet dont il s'agit, puisque le rapport a été déposé
dans la séance du 27 mars 1841.
Le dernier rapport, dont la
section centrale m'a chargé, ne s'applique pas à la discussion du fond de la
question, car la section s centrale n'a dû faire que des observations sur la
rédaction, en s'en référant à son premier rapport. C'est une affaire instruite
depuis longtemps ; tout le monde a pu lire les pièces, et l'on a donc pu déjà
se fixer sur l'un ou l'autre système. Je pense donc qu'il n'y a pas lieu de
s'opposer à la mise du projet de loi à l'ordre du jour.
M. Lys. - Je ne m'oppose pas à la mise à l'ordre du
jour. Mais cependant la question est grave ; la section centrale a été partagée
; il s'agit d'une interprétation. Il est vrai que le rapport est distribué
depuis longtemps, mais personne ne s'est préparé à la discussion.
M. le président. - Je propose de mettre le projet de loi à
l'ordre du jour de lundi.
- Cette proposition est
adoptée.
Second vote
M. le président. - Voici la disposition qui a été adoptée par la
chambre lors du premier vote :
« Article unique.
L'art. 442 du code de commerce est interprété de la manière suivante :
« Le failli, à compter
du jour de l'ouverture de la faillite, est dessaisi de plein droit de
l'administration de tous ses biens.
« Néanmoins, ce
dessaisissement n'entraîne pas d'une manière absolue la nullité des actes à
titre onéreux et non constitutifs de privilège et hypothèque, passés par des tiers
de bonne foi, avant le jugement déclaratif de la faillite, cette question
restant abandonnée à l'appréciation des tribunaux. »
La parole est à M. Malou.
M. Malou. -
Messieurs, après une discussion de cinq jours, sur l'interprétation de l'art.
442 du code de commerce, il s'est opéré entre les opinions divergentes, une
espèce de réconciliation générale ; je m'y suis associé d'autant plus
volontiers qu'elle était provisoire et nous laissait, à tous, le loisir
d'examiner si elle peut devenir définitive.
Qu'il me soit permis, sans
renouveler des débats épuisés, de vous soumettre quelques courtes observations
sur ce point.
L'amendement de l'honorable
M. Dolez, est ainsi conçu :
« Néanmoins, ce
dessaisissement n'entraîne pas d'une manière absolue la nullité des actes à
titre onéreux et non constitutifs de privilège et hypothèque, passés par des
tiers de bonne foi, avant le jugement déclaratif de la faillite, cette question
restant abandonnée à l'appréciation des tribunaux. »
Je ferai remarquer qu'une
erreur s'est glissée dans la rédaction de la pièce qui nous a été distribuée.
Je pense qu'aux mots : privilège et hypothèque, il faut substituer les
mots : privilège ou hypothèque. Cette disposition fait naître plus d'un
doute ; et d'abord, que faut-il entendre ici, par le mot tiers ?
Les tiers sont ceux qui ne
sont pas intervenus comme parties dans un contrat ; l'individu qui a passé avec
le failli, depuis l'ouverture de la faillite jusqu'au jugement déclaratif des actes
à titre onéreux, n'est pas un tiers, quant à ces actes ; il peut être devenu
créancier à raison même de ces actes, et cependant, si je saisis bien la pensée
de l'honorable auteur de l'amendement, son but est de permettre aux tribunaux
de maintenir, comme valables, les actes antérieurs au jugement déclaratif,
lorsque celui qui a traité avec le failli était de bonne foi : une autre
expression doit donc être substituée au mot tiers.
La rédaction de l'amendement
peut donner lieu à une seconde difficulté : d'une part, l'on dit que le
dessaisissement n'entraîne pas, d'une manière absolue, la nullité... De
l'autre, après avoir parlé de la bonne foi, l'on ajoute que cette question
reste abandonnée à l'appréciation des tribunaux. Ces mots s'appliquent-ils
à la question de nullité ou à la question de bonne foi ?
En d'autres termes, lorsque
les tribunaux reconnaîtront que celui qui a traité avec le failli était de
bonne foi, pourront-ils, à leur gré, déclarer la nullité ou la validité de
l'acte ? Cela ne doit pas leur être permis : le seul point qu'ils puissent être
appelés à apprécier, est la question de bonne foi ; le sort de tous ceux qui
ont contracté de bonne foi, doit être le même. Il faudrait donc supprimer les
expressions d'une manière absolue, ainsi que la partie finale de la
disposition.
Quant à la forme, et sans
passer condamnation sur le fond, il y aurait donc lieu de dire : Néanmoins ce
dessaisissement n'entraîne pas la nullité des actes à titre onéreux et non
constitutifs de privilège ou d'hypothèques, lorsque celui qui a traité
avec le failli, avant le jugement déclaratif de la faillite, était de bonne
foi.
Je me propose, messieurs,
quelle qu'en soit la rédaction, de voter contre l'amendement lui-même. En voici
les motifs :
Je ne puis le considérer comme
une loi purement interprétative ; il ajoute aux dispositions du code de
commerce ; il tend à y introduire les plus étranges anomalies.
Les biens d'un débiteur sont
le gage commun de ses créanciers ; lorsque ce gage est devenu insuffisant, la
distribution doit être faite proportionnellement ; le gage est insuffisant
lorsqu'il y a faillite. La loi dessaisit le failli afin qu'il ne puisse agir au
préjudice de tous ses créanciers, par exemple en payant intégralement l'un
d'eux.
Le dessaisissement est une
sorte de dévolution de droit ; le débiteur, dès le jour de l'ouverture de la
faillite, est le préposé de fait, le negotiorum
gestor de ses créanciers. Lorsque la masse a des
représentants légaux, elle examine les actes posés par le débiteur depuis la
dévolution de droit. Ces actes, elles les maintient,
s'ils lui paraissent avantageux, et, dans ce cas, aucune difficulté ne peut
s'élever, ou bien elle en poursuit l'annulation, parce qu'ils lui paraissent
préjudiciables à ses intérêts, et dans ce cas, elle ne peut prétendre
s’enrichir au détriment d'autrui, mais seulement se préserver elle-même d'une
lésion. Si l'annulation de l'acte est poursuivie, ce n'est point à raison de la
mauvaise foi de celui qui a contracté avec le failli, c’est à raison du dommage
que la masse saisie du gage commun éprouverait par l'acte même ; c'est pour
rétablir l'égalité entre tous les créanciers. Supposons qu'une vente de
marchandises, au comptant, ou un échange ou tout autre acte à titre onéreux ait
été fait de bonne foi depuis l'ouverture de la faillite, mais qu'il cause un
préjudice à la masse ; celle-ci ne doit-elle pas pouvoir en poursuivre
l'annulation dans son intérêt, sans toutefois prétendre s'enrichir au préjudice
du contractant ? Si le dessaisissement n'a pas cet effet, il n'en a absolument
aucun qui lui soit propre.
Ce n'est donc pas à la bonne
ou à la mauvaise foi qu'il faut s'attacher ; l'on invoque à tort le principe de
l'action paulienne, d'après lequel les actes faits en fraude des créanciers,
sont sujets à annulation ; il est possible que la masse maintienne des actes à
titre onéreux, passés de bonne foi ; mais il doit lui être permis de ne les pas
maintenir lorsqu'ils lui ont porté préjudice. En aucun cas, le dessaisissement,
établi dans son intérêt, ne peut aboutir qu’à replacer celui qui a traité de
bonne foi avec le failli dans la position où il se trouverait s'il n'avait pas
traité ; et presque toujours le dessaisissement a été entendu de cette manière.
Les actes à titre onéreux
constitutif de privilège ou d'hypothèque forment une classe à part dans le
système de l'amendement, ils sont absolument nuls. Ainsi le créancier qui, de
bonne foi, aura reçu le paiement de marchandises, livrées au failli, conservera
le prix intégral, mais celui qui, pour une obligation contractée depuis
l'ouverture de la faillite, aura pris une simple garantie, et se sera assuré
une cause de préférence verra annuler cet acte.
Cette anomalie ne serait pas
la seule. Le code établit quant aux actes posés dans les dix jours avant
l'ouverture de la faillite, diverses distinctions fondées sur la nature des
actes. S'ils portent l'annulation à titre onéreux de propriétés immobilières,
ils sont susceptibles d'être annulés lorsqu'ils paraissent présenter des
caractères de fraude ; s'ils ont pour objet des engagements pour fait de
commerce ils sont nuls lorsqu'il est prouvé qu'il y a fraude. Dans le
système de l'amendement de l'honorable M. Dolez, il faudra que les créanciers
poursuivant l'annulation d'un acte à titre onéreux quelconque, postérieur à
l'ouverture de la faillite, prouvent la mauvaise foi dans le chef de celui qui
a traité avec le failli. Ce n'est pas la peine de prononcer le dessaisissement
à compter du jour de la faillite si le dessaisi a plus de droits qu'il n'en
avait auparavant, si le dessaisissement a pour effet d'empirer la condition de
la masse de ses créanciers. Mieux vaudrait déclarer que les actes postérieurs à
l'ouverture de la faillite sont régis, comme les actes qui la précèdent de
moins de dix jours, par les articles 443 et suivants du code de commerce. Il
est impossible de retirer d'une main plus qu'on ne paraît donner de l'autre.
Si la loi, telle qu'elle a
été adoptée au premier vote était maintenue, l'article unique contiendrait deux
paragraphes, le sens du premier serait qu'il y a dessaisissement ; le sens du
second serait qu'il n'y a pas dessaisissement. Je voterai, messieurs, contre
une loi ainsi conçue ; j'ai l'honneur de proposer le maintien pur et simple de
l'amendement présenté au début de la discussion par M. le ministre de la
justice, amendement qui se trouve absorbé et détruit en
réalité par le paragraphe additionnel proposé par l'honorable M. Dolez.
M. Demonceau. - Messieurs, je commence par exprimer le regret
que j'éprouve, de ne pas voir l'honorable auteur de l'amendement dans cette
enceinte ; il aurait, sans doute, expliqué bien plus facilement que moi la
disposition que la chambre a accueillie dans son avant-dernière séance.
J'ai dit, dans la première
discussion, que le système qui aurait pour but de rendre fidèlement la pensée
de l'honorable M. Dubus obtiendrait mon assentiment. Quelle est la théorie qu'a
défendue, avec tant de clarté, l'honorable M. Dubus ? C'est qu'il n'a pas voulu
que des tiers, qui ont contracté de bonne foi, entre le jour déclaratif et le
jour du report de la faillite, fussent victimes de leur bonne foi.
Il n'a pas voulu non plus
que la masse-faillie pût s'enrichir aux dépens de ces
tiers, et, quoi qu'on dise, si vous adoptez le système que vient de préconiser
l'honorable préopinant, vous rendez victimes les tiers de bonne foi, les
masses-faillies peuvent s'enrichir aux dépens des
tiers de bonne foi. Or, je croyais qu'il y avait eu unanimité dans cette
enceinte pour admettre ce principe : qu'il ne fallait pas que les tiers de
bonne foi fussent victimes.
Je comprends qu'on peut
trouver quelque doute dans la rédaction de l'amendement ; mais cependant, si
vous comparez cet amendement avec les motifs qui ont été donnés par la cour de
cassation, vous reconnaîtrez que vous rendez fidèlement la pensée de la cour de
cassation. (J'entends parler du dernier arrêt rendu par cette cour.)
Rappelez-vous, messieurs, ce
que nous avons trouvé dans le système contraire à ce que nous aurions voulu
voir prévaloir ; rappelez-vous que le failli dessaisi de plein droit peut
lui-même être victime ou du moins ses créanciers, du dessaisissement prononcé
de plein droit ; nous avons cité un exemple que nous avons trouvé dans
l'article 494 du code de commerce. L'article 494 du code de commerce ne peut,
en aucune manière, et l'honorable M. Dubus l'a précisément démontré, ne peut,
dis-je, s'appliquer qu'à dater du jour de la déclaration de la faillite ; cependant
dans l’art. 494 le législateur se sert du mot faillite, comme il se sert
du mot faillite dans l'art. 442. Quand le législateur parle du jour de
la cessation de paiements, il se sert du mot ouverture de la faillite.
Ne croyez pas que je me
trompe quand je vous dis que le système des cours d'appel a pour effet de
déclarer le failli incapable à dater du jour de l'ouverture de la faillite, c'est-à-dire
du jour auquel la faillite est reportée. Je vais vous donner lecture
d'un des considérants de l'arrêt de la cour de Bruxelles qui s'en exprime
formellement :
« Attendu que si, aux
termes de l'art. 494, toute action civile intentée avant la faillite doit
être reprise contre les agents ou syndics, et si toute action intentée après
la faillite doit l'être aussi contre eux, ce n'est pas à dire pour cela que
la faillite n'existe que depuis le jour du jugement ; cela
prouve seulement qu'à compter du jour de la faillite, le débiteur a perdu la
capacité d'ester en jugement, comme
il avait perdu celle d'administrer ses biens. »
Le failli, d'après la cour
de Bruxelles, a donc perdu la faculté d'ester en jugement à dater
du jour de l'ouverture de
la faillite ; combinez ce système avec l'art. 494, qui porte que les
actions ne doivent être dirigées contre les agents ou syndics qu'à compter
du jour de leur entrée en
fonctions. Comme les agents
n'entrent en fonctions qu'à compter du jugement, il me semble résulter du
système de la cour d'appel que l'art. 494 se trouverait anéanti dans son texte
comme dans ces motifs. Il me paraît à moi, impossible que le législateur se soit
exprimé d'une manière dans l'article 494 et d'une autre manière dans l'art,
442, dans l'un comme dans l'autre il se sert du mot faillite.
La première règle
d'interprétation, en matière de législation, c'est de combiner les diverses
dispositions de la loi, ce n'est pas de s'attacher à un texte isolé. Si vous
voulez jouer sur les mots (s'il m'est permis de me servir de cette expression),
prenez toutes les dispositions du code de commerce relatives à la faillite, et
vous verrez que le mot faillite veuf dire tantôt ouverture de la
faillite, tantôt la masse des créanciers ; dans d'autres circonstances vous
trouvez que cela comporte la masse des biens qui font partie de la faillite ;
et si vous prenez l'art. 488 vous trouvez que le même mot faillite y est
employé deux fois avec deux significations différentes.
Messieurs, voici comment
j'ai compris l'amendement qui a été proposé par l'honorable M. Dolez.
J'ai compris que tout acte
qui aurait été fait de bonne foi entre le jour de la faillite, c'est-à-dire de l'ouverture
de la faillite, et le jour de la déclaration de la
faillite serait maintenu. Eh bien, ce n'est pas là le système des cours
d'appel.
Les créanciers, dit-on, ne
doivent pas perdre, mais doivent-ils s'enrichir ? Ne serait-ce pas s'enrichir
qu'annuler des actes tels que celui que j'ai signalé dans une première
discussion. J'en ai signalé un seul, je pourrais en signaler vingt et même
davantage. Un négociant vend au comptant de la marchandise, elle est payée
avant enlèvement, elle se trouve au domicile du failli au moment de la
déclaration, et vous voudriez que l'argent fût restitué à la masse et que la
marchandise ne fût pas restituée. (Si !
si !)
Vous dites : Si ! Mais les
cours ont jugé le contraire et vous adoptez leur jurisprudence.
M. Doignon. - J'ai
soutenu le système de la loi et non celui des cours d'appel.
M. Demonceau. - Mais sur le système de la loi il y a
doute, car on vous présente une loi interprétative. Dites que la loi est telle
selon vous, mais non que c'est le système de la loi, car il y a
dissidence entre les cours d'appel et la cour de cassation. Vous avez une
opinion, respectez la nôtre.
La cour de cassation a jugé,
chambres réunies, et n'a pas adopté le système que vous proclamez être
celui de la loi ; les cours d'appel ont adopté un système contraire que je
n'adopte pas. C'est entre ces deux systèmes qu'il y a doute. La loi
n'est donc pas claire, il faut donc l'éclaircir par un texte formel.
Je l'ai déjà dit dans
une première discussion, c'est en faisant abus du mot faillite, qui se
trouve dans l'article 442, qu'on est arrivé aux conséquences sur lesquelles le
doute s'est élevé. L'honorable M. Dubus n'a pas trouvé que l'art. 442 dût avoir
ces conséquences ; il n'a pas voulu que les créanciers s'enrichissent au
préjudice de tiers de bonne foi.
Quant au mot tiers dont
s'est servi l'honorable auteur, je l'explique en ce sens que tous ceux qui
traitent entre le jour de l'ouverture de la faillite et celui de la
déclaration de la faillite, c'est-à-dire du jugement déclaratif de
la faillite, seront considérés comme tiers vis-à-vis de la masse. Je
n'affirme pas avoir rendu la pensée de l'honorable auteur de l'amendement, je
l'explique ainsi que je l'ai comprise.
Veuillez bien y réfléchir,
messieurs, si vous repoussez l'amendement (que l'on peut rectifier si besoin)
pour vous en tenir, ainsi qu'on vous le propose, à celui présenté
d'abord par M. le ministre de la justice, tout en disant
que vous ne voulez pas du système absolu des cours d'appel, il arrivera que ce
que vous n'aurez pas voulu, sera.
M. le ministre de la
justice (M. Van Volxem) - Messieurs, à la séance de lundi, j'ai
déclaré que je me ralliais à l'amendement de M. Dolez. Je persiste dans
cette déclaration. Je pense qu'en ajoutant à la première partie du projet de
loi qui avait été présentée par moi, l'amendement de M. Dolez, on a
véritablement interprété l'art. 442. Il résulte de cet amendement qu'on n'a pas
voulu reconnaître que le législateur ait pu avoir l'intention que ceux qui
auraient, de bonne foi, fait des actes à titre onéreux avec le failli,
pourraient être victimes de leur bonne foi et de leur contrat. Mais on n'a pas
voulu non plus que ceux qui auraient acquis des privilèges, des hypothèques
pussent profiler de ces privilèges, de ces hypothèques.
On a signalé dans la
discussion les dangers qu'il y aurait à interpréter l'art. 442 d'une manière
rigoureuse, comme l'ont fait plusieurs orateurs et entre autres comme vient de
la faire M. Malou. Un tiers qui aurait acheté un immeuble sur recours public,
qui aurait payé le prix, serait exposé à perdre son immeuble et à ne pouvoir en
recouvrer le prix. C'est ce qu'on n'a pas voulu. En adoptant l'amendement de M.
Dolez, il me semble qu'on pare aux inconvénients graves qui vous ont été
signalés.
M. Malou a fait observer
qu'on devrait peut-être retrancher les mots passés par des tiers de bonne
foi. Cependant ces mots me paraissent nécessaires pour la bonne explication
de l'amendement. Le même orateur a encore fait observer qu'il y a doute sur la
question abandonnée à l'appréciation des tribunaux, si c'est la validité ou la
nullité des actes ou bien la bonne foi. C'est la validité ou la nullité des
actes, cela est évident à la simple lecture de la disposition.
Néanmoins, y est-il dit :
« Ce dessaisissement n'entraîne pas d'une manière absolue la nullité des
actes à titre onéreux et non constitutifs de privilège et hypothèque, passés
par des tiers de bonne foi, avant le jugement déclaratif de la faillite, cette
question restant abandonnée à l'appréciation des tribunaux. »
Quelle
est cette question ? Celle de la nullité des actes. Ces mots s'interprètent les
uns par les autres. L’amendement peut rester tel qu'il est conçu ; je persiste
donc à m'y rallier.
M. Pirmez. – L’idée présentée par l'honorable M. Malou, de
faire maintenir les actes avantageux au failli et de faire annuler ceux que les
circonstances lui rendraient préjudiciables, est si contraire à la justice que
vous ne l'adopterez jamais.
Quelle injustice ne
renfermerait pas ce principe ? la validité des actes
avantageux au failli ne pourrait, dit-on, lui être contestée, et il devrait
obtenir l'annulation de ceux qui lui porteraient préjudice. Ainsi donc, les
créanciers, comprenant les avantages d'un système semblable, se garderaient
bien de provoquer la déclaration de faillite de leur débiteur. Ils lui diraient
au contraire, soit explicitement, soit tacitement : Continuez vos opérations,
doublez-les, décuplez-les, si vous le pouvez ; achetez à tel négociant 100
tonneaux d'huile, et par un autre marché du même jour, achetez-lui aussi 100
balles de houblon, le tout livrable dans plusieurs mois ; si ces marchandises
baissent de prix, vous ferez annuler la convention ; si au contraire il
survient une augmentation, ce sera tout profit pour vous et pour nous ; si
l'une des deux augmente et que l'autre baisse, vous obtiendrez la nullité de
celle-ci et la validité de celle-là, de sorte que votre vendeur sera, dans tous
les cas, votre victime et la nôtre, Nous jouerons toujours à coup sûr.
Achetez encore à un
spéculateur à la bourse des fonds publics hollandais, et par un marché séparé,
des fonds publics espagnols livrables à
terme ; si ceux-ci sont montés et les autres baissés à l'époque fixée, vous
manœuvrerez comme nous l'avons dit il y a un instant, vous ferez maintenir ce
dernier marché et annuler le premier. Voilà la conséquence exacte des idées que
nous combattons, Eh, messieurs, la loi qui renfermerait de pareilles
conséquences serait, je n'hésite pas à le dire, le repaire de la mauvaise foi.
C'est pour protester contre
ce principe et celui émis par un honorable député, que tous les actes devraient
être nuls, qu'il est nécessaire d'adopter l'amendement de l'honorable M. Dolez
dont les explications de l'honorable M. Dubus déterminent le
sens et qui ramène les contractants aux règles de justice et de bonne foi dont
le commerce ne doit jamais s'écarter.
M. Dubus (aîné). - L'amendement que vous avez adopté
provisoirement à la séance d'avant-hier est remis sérieusement en question. Cet
amendement a été proposé par l'honorable M. Dolez, et il est conforme à l'opinion
que j'avais énoncée dans cette enceinte. Cependant je n'avais pas proposé cet
amendement, parce que je m'étais attaché à établir que le sens que cet
amendement donne aux effets du dessaisissement ou plutôt que la limite qu'il
apporte aux effets du dessaisissement est conforme à la véritable entente de la
loi. Je considérais ce sens comme celui qui, indépendamment de tout amendement,
serait donné à la disposition proposée par M. le ministre de la justice.
L’honorable M. Malou, en
combattant cet amendement dont il demande le retranchement, ne propose rien à
mettre à la place. Et quand il explique l'étendue qu'il donne aux effets du
dessaisissement voulu par l'art. 442, il leur donne une plus grande étendue que
moi ; cependant en ne proposant rien, il laisse la question indécise. Faut-il
adopter l’amendement, oui ou non ? Faut-il que cette question soit décidée ou ne le soit pas ? Car
c'est une question qui nous est soumise ; on ne peut se le dissimuler, le dernier
arrêt de la cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles
parce qu'il a semblé à la cour de cassation que la cour de Bruxelles avait
donné aux effets du dessaisissement rétroactif une étendue telle qu'il en
résulterait la nullité des actes à titre onéreux faits par des tiers de bonne
foi. C'est cet arrêt qui amène la question par-devant vous. Vous laisseriez
donc indécise précisément la question qui a fourni le motif de cassation ; il
faut donc un amendement. Si vous adoptez l'opinion que j'ai énoncée, il faut
l'amendement proposé par l'honorable M. Dolez ; ou bien il faut substituer à
cet amendement un amendement en sens
contraire qui vous sera sans doute proposé par l’honorable M. Malou. De cette
manière vous déciderez la question dans l’un ou dans l'autre sens.
On a critiqué l'amendement,
en disant que ce serait ajouter à la loi. Mais vous ne faites que donner à la
loi le sens que vous voulez lui attribuer. Lorsqu'on est venu au point qu'une
interprétation de la loi est nécessaire, on peut toujours dire avec tout autant
de raison qu'on ajoute à la loi ; mais ce n'est pas y ajouter ; c'est
l'expliquer, c'est déterminer le sens qu'avait la loi, lorsqu'elle a été faite.
Ainsi cette première objection, qui consiste à dire qu'on ajoute à la
disposition du code de commerce, me paraît ne pas devoir faire impression sur
vos esprits, parce que, dans un sens ou dans un autre, il faut que vous
déterminiez la véritable entente de l'art. 442 du code de commerce, que vous
déterminiez quels sont les effets que vous attribuez à ce dessaisissement
rétroactif.
On a objecté en second lieu,
que cette interprétation de la loi consacrait la plus étrange anomalie. Pour le
prouver, on a fait remarquer que, d'après l'amendement, les actes à titre
onéreux, constitutifs de privilèges ou hypothèques seraient nuls, tandis que
les autres actes ne seraient pas nuls. C'est, dit-on, une étrange anomalie.
Cette anomalie est déjà consacrée par le législateur lui-même, pour les dix
jours qui précèdent l'ouverture de la faillite. Lors donc qu'on dit que c'est une
étrange anomalie, on fait le procès à la loi pour ces dix jours-là. Puisque ces
actes sont nuls lorsqu'ils sont passés dans les dix jours qui précèdent
l'ouverture de la faillite, à plus forte raison le sont-ils lorsqu’ils suivent
l’ouverture de la faillite. Voilà la raison pour laquelle il faut bien
prononcer la nullité de ces actes ; ce sont des actes annulables dans tous les
cas ; mais d'après les articles 443 et 444 vous ne pouvez conclure de ces actes
à d'autres actes.
Quant à la rédaction de
l’amendement en lui-même, on a dit qu'il contenait des termes qui doivent être
définis. Il y est question des tiers de bonne foi ; on a demandé quels
sont les tiers. A cette question, je pourrais en opposer une autre :
Quelles sont les parties ?
Je croyais avoir établi que
les parties sont d'une part le failli et d'autre part la masse des créanciers
dont les droits ont été fixés lors de l'ouverture de la faillite, par l'effet
rétroactif de l'art. 442. Dès lors ceux qui viennent ensuite à traiter avec le
failli dont les parties n'ont pas provoqué la faillite, qui ont traité
de bonne foi avec lui, ceux-là sont évidemment des tiers.
Je ne pense pas que le sens
du texte puisse présenter le moindre doute.
On a élevé un autre doute
sur le sens du mot question dans la dernière phrase. On a demandé si ce
mot se rapporte à la bonne foi ou à la nullité et à la validité des
actes. Je pense, comme M. le ministre de la justice, qu'il est évident que ce
mot question se rapporte à la nullité et à la validité des actes. Hors
de là, la disposition n'a pas de sens.
Au reste, je ne verrais pas
d'inconvénient à ce qu'on retranchât la dernière phrase : "cette question
étant abandonnée à l'appréciation des tribunaux. » Sans cette phrase, en effet,
l'amendement aura la même valeur ; cette question sera toujours réservée à
l'appréciation des tribunaux.
On a présenté comme un
inconvénient grave de cet amendement, qu'il en résultera qu'on devra toujours
prouver que les tiers ont été de mauvaise foi, tandis que dans l'art. 445 le
législateur se borne à dire : « Tous actes ou engagements pour fait de
commerce, contractés par le débiteur dans les dix jours qui précèdent
l'ouverture de la faillite, sont présumés frauduleux, quant au failli : ils
sont nuls, lorsqu'il est prouvé qu'il y a fraude de la part des autres
contractants. » Mais la fraude, n'est-ce pas la mauvaise foi ! J'avoue que
je n'ai pas saisi la contradiction qu'on a voulu établir entre l'art. 445 et la
disposition actuelle.
Au reste, remarquez que nous
ne sommes pas dans le cas de l'article 445, et que l'amendement ne décide pas
que la bonne foi se présumera si la mauvaise foi n’est prouvée ; il se borne à
dire que le dessaisissement n'entraîne pas la nullité absolue de
certains actes passés avec des tiers de bonne foi. Le juge décidera
d'après les circonstances et d'après sa conscience.
Je persisterai donc à voter
pour l'amendement proposé par l'honorable M, Dolez, et auquel M. le ministre
s'est rallié.
Mais,
pour le cas où cet amendement serait écarté, je pense toujours que si l'on n'ajoutait
rien à la disposition proposée par M. le ministre, cette disposition, ainsi que
je crois l'avoir établi avant-hier, n'aurait pas les effets qu'on a supposé
qu'elle aurait.
M. Fleussu. - La question aux débats de laquelle vous avez
été attentifs pendant quatre séances a depuis longtemps divisé les
jurisconsultes et les tribunaux. Il y a eu, quant à cette question, des partis
extrêmes : Les partisans du dessaisissement à partir du jugement déclaratif de
la faillite prétendent que tout ce qui a été fait par le failli entre
l'ouverture de la faillite et le jugement déclaratif doit être tenu pour
valable. Les partisans, au contraire, du dessaisissement du jour de la faillite
(ceux d'une opinion extrême au moins), prétendent que tous ces actes doivent
être déclarés nuls, parce qu'ils ont été passés par un homme frappé
d'incapacité par la loi. La proposition qu'a suggérée à l'honorable M. Dolez le
discours de l'honorable M. Dubus paraît être un terme de conciliation ; en effet,
il semble que les actes passés entre la faillite et le jugement déclaratif
prennent un caractère qui leur est particulier.
Dès ce moment je réponds à
l'honorable M. Dubus que, aux termes de l'amendement, la règle est que les
actes dont il s'agit sont nuls, mais qu'ils peuvent être validés, lorsque la
bonne foi est démontrée ; de manière que l'amendement de l'honorable M. Dolez
se rapproche de l'opinion de ceux qui font remonter le dessaisissement au jour
de la faillite ; seulement le dessaisissement est modifié dans ses effets, en
ce sens, qu'il n'y a pas nullité absolue, et que la bonne foi prouvée pourra
faire fléchir la règle en sa faveur, c'est-à-dire que les tribunaux,
appréciant la bonne foi et les circonstances, pourront déclarer tous les actes
valides. Je crois que c'est dans ce sens que l'honorable M. Dolez a entendu la
loi ; d'après la rédaction elle ne peut être autrement entendue.
J'ai l'habitude de me défier
des amendements jetés au milieu des débats, surtout de ceux qui entraînent
toute une assemblée à la suite d'une longue discussion, parce que souvent c'est
de guerre lasse qu'ils sont adoptés.
J'avais demandé le renvoi de
l'amendement à la commission, pour qu'elle pût en apprécier toutes les
conséquences ; la chambre en a décidé autrement. Peut-être cela nous
entraînera-t-il dans une nouvelle discussion.
Quoique j'adhère, en
principe, à la proposition de l'honorable M. Dolez, je ne puis me rallier à son
amendement. Je conçois la doctrine de l'honorable M. Dubus ; car je n'ai jamais
été de ceux qui pensent qu'il faut frapper indistinctement tous les actes posés
par le failli ; cette doctrine m'a toujours paru trop rigoureuse ; mais je dis
que l'amendement ne répond pas à cette doctrine. Remarquez d'abord qu'il ne
fait pas de distinction entre les créanciers qui ont traité avant la faillite
et ceux qui ne sont devenus créanciers qu'après la faillite : c'est cependant
sur ce point que repose principalement la doctrine de l'honorable M. Dubus.
L'amendement ne reproduit pas la distinction si judicieuse qui a été développée
dans le discours de M, Dubus.
En second lieu, il est
facile de voir que cet amendement comprend trop, et ne comprend pas assez ; il
y est fait mention des actes à titre onéreux ; mais que ferez-vous des
payements faits au failli ou par le failli ? Voilà des actes d'administration,
qui ne sont pas compris dans votre amendement. Je vous parle de ceux-là, parce
qu'ils me frappent ; dans la pratique il se présentera 50 hypothèses qui ne
seront pas comprises dans votre amendement. Ce sont sans doute ces motifs qui
avaient déterminé l'honorable M. Dubus à vous dire dans son premier discours
qu'on devait s'en rapporter à la doctrine et aux tribunaux ; car je n'ai pas
été peu étonné de voir l'honorable M. Dubus se rallier à l'amendement de l'honorable
M. Dolez, alors que, dans son premier discours, il avait dit que le législateur
devait laisser aux tribunaux à appliquer la doctrine.
Voici ce qu'il disait :
« L'art. 442 fait
rétroagir le dessaisissement ; mais remarquez, messieurs, qu'aucun article du
code n'a déterminé les conséquences de ce dessaisissement. Le législateur a
abandonné l'application de cette disposition aux tribunaux, et je ne sais où
l'on trouverait une disposition quelconque qui défendît aux tribunaux d'avoir
égard à la circonstance qu'il s'agit de l'intérêt de tiers et à cette autre
circonstance toute puissante que les tiers intéressés sont de bonne foi. »
Eh bien, voilà ce que je
voudrais. C'est la première manière de voir de l'honorable M. Dubus qui est la
mienne. Je voudrais m'en rapporter aux tribunaux, parce que d'une loi
d'interprétation, vous ne pouvez pas faire une loi d'application. Il est
d'ailleurs toujours très dangereux d'entrer dans tous les détails qui peuvent
provoquer l'application de la loi, parce que de ces détails on tire des
arguments a contrario, on applique la loi à tous les cas qu'elle prévoit
; quant aux cas analogues, on les écarte, parce que la loi ne s'en explique
pas. La loi doit donc se borner à poser des principes généraux, Je dis que
l'amendement ne me plaît pas, parce qu'il renferme trop, et qu'il ne renferme
pas assez.
Il y a dans la loi un terme
qui quelque jour peut-être, demandera une interprétation ; c'est le mot tiers.
Le tiers, aux yeux de
l'honorable M. Dubus, est celui qui traite avec le failli depuis le jour de la
faillite ; mais sans le discours de l'honorable membre aucun jurisconsulte
n'aurait interprété le mot tiers de cette manière. Il fallait le cas
spécial et les explications de l'honorable M. Dubus pour connaître ce que
l'amendement entend par ce mot.
Vous voyez donc, messieurs,
que non seulement l'amendement est insuffisant, mais encore qu'il est
équivoque. Je pense qu'il vaudrait mieux s'en rapporter sur ce point aux
tribunaux et leur laisser le soin de faire l'application du principe que nous
posons. L'opinion de Pardessus et les éclaircissements donnés par l'honorable
député de Tournay leur serviront de guide. ,
Remarquez que nous ne sommes
pas ici pour déterminer tous les caractères, toutes les conséquences du
principe ; c'est le principe lui-même que nous devons poser ; ce n'est que sur
ce point que nous sommes appelés à donner notre avis,
On nous a dit : « Mais
il faut un amendement, parce que la cour de cassation a dit de quelle manière
elle entendait les effets du dessaisissement. » Mais que nous importe à
nous de quelle manière la cour de cassation, dans son dernier arrêt, a entendu
les effets du dessaisissement ? Nous ne sommes pas appelés à déterminer les
effets du dessaisissement. Le gouvernement n'a provoqué l'intervention de la
chambre que sur un point ; c'est celui de savoir de quand part le
dessaisissement. Tout ce que vous ajouterez à ce point sera une disposition
nouvelle. Et voyez si ce n'est pas une disposition nouvelle que celle qui
consiste dans l'amendement de l'honorable M. Dolez.
Mais il y a plus, c'est que
cette disposition n'est pas même applicable au cas pour lequel la loi
interprétative a été demandée. Car il ne s'agit pas là d'actes à titre onéreux.
Il s'agit de savoir si le paiement d'une dette contractée avec le failli avant
la faillite doit être on non reporté. C'est sur ce point qu'est intervenu le
litige qui a divisé les cours d'appel et la cour de cassation.
S'il était vrai que le
dernier arrêt de la cour de cassation eût déterminé les effets du dessaisissement
ainsi que l'expliquait l'honorable M. Dubus, mais cet arrêt s'expliquerait
difficilement ; car il y aurait eu dessaisissement, d'après la jurisprudence de
la cour de cassation, par la faillite ; les intérêts de tous les tiers qui
avaient traité avec le failli avant la faillite, étaient réglés au moment de la
faillite ; aucun créancier n'aurait pu être payé au désavantage d'autres
créanciers. Et cependant, messieurs, c'est un créancier, dont la créance
remonte avant l'ouverture de la faillite, qui se trouve ici payé, et qui,
d'après la cour de cassation, ne devrait pas faire le rapport du paiement. Vous
voyez que telle n'a pu être l'entente de la loi par la cour de cassation.
Au reste, je le répète, ce ne
sont pas les effets du dessaisissement que nous avons à déterminer. La
détermination de tous les effets du dessaisissement dans un seul article de loi
serait chose impossible. Et non seulement ce serait chose impossible, mais même
tout à fait impossible.
C’est le principe que nous
avons à poser ; c'est de savoir de quel jour part le dessaisissement, et je
crois qu'il nous a été suffisamment démontré par les défenseurs de l'opinion à
laquelle j'appartiens qu'il doit partir du jour du report de la faillite.
Je
voterai donc pour la première partie de l'article qui compose la loi, et je
refuserai mon assentiment à la seconde partie qui comprend l'amendement de M.
Dolez.
M. Dolez. - Je
dois d'abord remercier les honorables membres qui, avant mon arrivée à la
séance, à l'ouverture de laquelle mes travaux du barreau m'ont empêché
d'assister, ont bien voulu prendre la défense de mon amendement.
Après avoir rempli ce
devoir, j'ai à répondre par quelques mots aux observations qui ont été présentées
par l'honorable M. Fleussu.
L'honorable député de Liége
reproche à l'amendement adopté lors du premier vote, de sortir de la mission
d'une loi d'interprétation pour entrer dans le domaine de l'application. Je
crois que c'est là une évidente erreur.
Lorsque pour la première
fois j'ai pris la parole dans cette discussion, je me suis permis d'appeler
l'attention de la chambre sur la question qui me semblait devoir en être le
véritable terrain, le véritable objet ; et déjà alors j'ai fait remarquer qu'il
ne s'agissait plus, après le dernier arrêt de la cour de cassation de savoir à
quelle époque devait être fixé le dessaisissement, mais quels devaient être en
droit les effets de ce dessaisissement.
Cette thèse, qui avait d'abord rencontré de l'incrédulité chez
quelques jurisconsultes de cette chambre, a trouvé peu après l'appui de
l’opinion de l'honorable M. Dubus, qui vous a démontré à son tour à toute
évidence que la cour de cassation, par son dernier arrêt, n’avait été en
discordance avec les cours d’appel que sur les effets que devaient entraîner le
dessaisissement reporté au jour de la faillite. S’il en est ainsi, et cela me
paraît incontestable, quelle est la mission que vous avez à remplir ? Est-ce
celle de dire que le dessaisissement remonte au jour de l'ouverture de la
faillite ? Mais il n'y a plus de question sur ce point ; le dernier arrêt de la
cour de cassation le proclame tout aussi clairement que celui de la cour
d'appel. Qu'aurez-vous donc interprété quand vous aurez dit avec cet arrêt que
telle est la date du dessaisissement ? Absolument rien, et la question
reparaîtra devant la cour d’appel de Gand dans l'état où elle était avant le
dernier arrêt de la cour de cassation, avant votre loi interprétative qui,
comme je l’ai déjà dit, n’aura rien interprété.
Nous ne sortons, certes, pas
du domaine de la loi interprétative quand nous tranchons, par voie d’autorité,
la difficulté qui a laissé la cour de cassation en désaccord avec certaines
cours d'appel. Nous rendons la loi claire et précise, et c'est précisément là
ce que nous avons à faire.
Vainement dirions-nous dans
notre loi que le dessaisissement remonte au jour de l’ouverture de la faillite
; la difficulté n'en subsisterait pas moins entre les divers systèmes qui se
sont produits sur la véritable portée de ce dessaisissement avant le jugement
déclaratif de la faillite. Faudrait-il s'arrêter à l'opinion extrême qui annule
tous les actes, à cette opinion qu'à tout-à-l'heure encore défendue l’honorable
M. Malou.
M. Malou. - Mais
non.
M. Dolez. - Je
n'ai pas entendu le discours que vient de prononcer l’honorable membre, mais
j'ai d’autant mieux dû croire ce qui m’en avait été dit que cela me semblait en
harmonie avec la doctrine de son premier discours.
Au reste, vous savez tous,
messieurs, que ce système extrême de la nullité absolue de tous les actes
existe. Il a eu des organes dans cette enceinte, il en a eu au barreau, il a
été consacré par des arrêts. Il était celui que défendait et qu'a souvent fait
prévaloir devant la cour de Liège un jurisconsulte, qui a longtemps brillé au
barreau de cette ville, M. Teste.
Par cela même que des
systèmes divers existent sur la portée du dessaisissement, par cela même que
c'est à ces systèmes qu'a été ramené le dernier état de la dissidence entre les
corps judiciaires, c'est sur ce point que doit porter notre interprétation.
Nous devons le faire par une
règle générale, et telle est celle que mon amendement a posée ; or, jamais une
règle générale, se bornant à poser un principe, ne peut être accusée d'entrer
dans le domaine de l’application.
Est-il vrai que mon
amendement soit incomplet dans sa portée et peu clair dans ses termes ? Je me
hâte d'abord de dire qu'il trouve un lumineux commentaire dans le discours de
l'honorable M. Dubus. Car, je le déclare, quant à moi, je n'ai voulu, en
présentant la disposition adoptée par la chambre, que m'associer à la doctrine
que cet honorable collègue avait produite. Voilà une loi qui a déjà un
commentaire anticipé, et il en est peu qui soient aussi heureux en arrivant
devant les tribunaux.
Mais, à part ce commentaire,
je crois que son texte ne présente pas l'insuffisance qu'on lui a reprochée. On
dit d'abord qu'il ne fait pas de distinction entre l'ancien et le nouveau
créancier. Je regrette d'avoir à rencontrer cette observation dans la bouche
d'un jurisconsulte aussi distingué que l'honorable M. Fleussu. Mon amendement parle
des tiers. Or, quels sont les tiers en droit ? Ce sont ceux qui sont
étrangers à un contrat ou quasi-contrat, à une position juridique déterminée.
Dans l'espèce,
qu'existe-t-il au moment de l'ouverture de la faillite ? Il s'établit une
position commune entre les créanciers existants au jour de l'ouverture, commune
en vertu d'un quasi-contrat, de la faillite, vis-à-vis du failli lui-même ; il
naît entre eux, une quasi-communauté ; le failli d'une part, les créanciers
existants au jour de la faillite, d'autre part, forment donc réellement les
parties de la position juridique établie par la faillite.
Quels sont les tiers
vis-à-vis de cette même position ? Ce sont ceux qui ne sont pas parties ; ceux
qui, à l'ouverture de la faillite, n'étaient pas intéressés dans la masse, qui,
par conséquent, n'ont pu voir leurs intérêts et leurs droits mêlés à la
quasi-communauté établie par la faillite.
Quelle sera dès lors la
position des anciens créanciers ? Ils sont partie au contrat ; ils ne sont donc
pas compris dans mon amendement.
Quelle sera la position des
nouveaux créanciers qui sont venus de bonne foi traiter avec le failli ? Ils
sont des tiers ; ils seront protégés par la bonne foi si les tribunaux
reconnaissent cette bonne foi au moment qu'ils ont contracté.
On me demande encore, pour
marquer la portée de mon amendement quel sera le sort des paiements faits au
failli et des paiements faits par lui ? Il faut ici établir une distinction qui
ressort de la nature des choses.
Quant aux payements faits
par le failli à d'anciens créanciers, ils sont évidemment nuls. Parce que
ceux-là ne sont pas des tiers, mais ils sont parties au contrat ou au
quasi-contrat constituant la faillite.
Quant aux payements faits au
failli, et qui ont été faits de bonne foi, ils seront valables ; ils doivent
nécessairement tomber sous la dénomination d'actes à titre onéreux.
Ainsi le payement fait au
failli sera maintenu, s'il est fait de bonne foi. Le payement fait par le
failli, au contraire, sera anéanti, parce qu'il a été fait par lui au moment où
il était déjà dessaisi, parce qu'il a porté sur une créance que l'événement de
la faillite avait déjà affectée.
Ces observations répondent à
l'objection de l'honorable M. Fleussu qui prétend que la disposition adoptée
n'est pas applicable au litige qui a amené l'interprétation de la loi. Je crois
d'ailleurs qu'il ne faut pas, dans une loi interprétative, se préoccuper de la
question de fait qui a amené le différend. Il ne faut voir que la question de
droit qui s'est élevée à l'occasion du fait.
Or, quelle est cette
question ? C'est de savoir si la nullité des actes faits après l'ouverture de
la faillite est absolue. Voilà la question de droit résolue par la cour de
cassation dans un sens négatif. S'il est vrai que le paiement fait par le
failli de Valensart a été fait à un ancien créancier,
je n'hésite pas à dire que ce paiement doit être nul. Voilà comment je
l'entends, et mon amendement ne peut pas l'être autrement ; tout le monde l'a
compris comme cela.
Il n'y a donc pas
insuffisance dans le texte qui a été adopté pour guider le juge dans la
décision du litige qui a motivé l’interprétation de la loi.
On a dit, enfin, et c'est
encore une des objections qui ont été produites par l'honorable M. Malou, que
l'amendement ajoutait à la loi. L'honorable M. Dubus a déjà répondu à cette
objection. Il est évident que ce n'est pas ajouter à la loi que de déterminer
sa véritable portée.
Que faisait le texte de
l'article 442 dont l'interprétation nous occupe ? Il se bornait à dire qu'il y
aura dessaisissement à partir de telle époque. Il est survenu un différend
entre les tribunaux qui, après avoir porté sur d'autres bases, s'est réduit à
la question de savoir s'il fallait annuler d'une manière absolue tous les faits
après le dessaisissement. En présence de cette dissidence sur les effets du
dessaisissement établi par l'art. 442, mon amendement, qui vient dire quels
sont les effets de ce dessaisissement, ajoute-t-il à la loi ? Evidemment non.
Il en fixe la véritable portée. Or, il a toujours été admis que la
loi interprétative avait pour mission même de suppléer à l'insuffisance de
l'expression de la loi. Et nous ne faisons pas autre chose.
Il est enfin une dernière
observation, et celle-là je dois avouer que je la regarde comme fondée,
produite contre mon amendement ; c'est qu'il était inutile de maintenir sa
dernière phrase , ainsi conçue : Cette question
restant abandonnée à l'appréciation des tribunaux.
Je reconnais qu'en effet
cela est superflu en présence de la première partie de l'amendement, et je
demande moi-même que ces mots soient supprimés.
De cette manière, messieurs,
le débat retournera devant la cour de Gand avec une loi parfaitement claire ;
la cour de Gand saura quelle est, en droit, la véritable entente de l'art. 442,
et, appréciant les faits, elle y appliquera le principe que nous aurons posé.
En agissant ainsi, nous
aurons fixé nettement la portée de la loi, et c'est là notre mission de
législateur interprétant son œuvre ; et quand le débat aura été ramené devant
elle, la cour de Gand appliquera la loi aux faits de la cause, et elle
remplira, ici surtout, sa mission de juge.
D'après
ces considérations, messieurs, je persiste à demander le maintien de
l'amendement, sauf la modification que j'ai proposée.
M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, je me suis rallié à l'amendement et
je persiste dans cette résolution, mais je dois demander à l'auteur de
l'amendement une explication.
Lorsqu'il s'agit d'actes
posés dans les 10 jours qui ont précédé l'ouverture de la faillite, c'est à la
masse, qui invoque la mauvaise foi, à en administrer la preuve. Mais lorsqu'il
s'agira d'actes passés après le dessaisissement légal, ce sera à ceux qui
veulent se prévaloir de ces actes à prouver qu'ils ont été faits de bonne foi. Je
pense qu'il faut établir cette distinction entre les deux époques que je viens
de désigner. S'agit-il d'actes faits dans les 10 jours avant l'ouverture de la
faillite, c'est alors à ceux qui allèguent la mauvaise foi à l'établir. Si au
contraire les actes ont été passés après le dessaisissement, c'est aux tiers
qui invoquent leur bonne foi à prouver clairement cette
bonne foi. Je ne voterai l'amendement que si on l'entend dans ce sens.
M. Dolez. - C'est
évidemment dans ce sens que l'amendement doit être entendu. Je fais encore une
fois, ici, appel au discours de l'honorable M. Dubus qui a posé la question de
cette manière. Lorsqu'un acte a été fait par un incapable, il y a présomption
que la nullité existe ; la position de ceux qui invoquent la bonne foi est
alors exceptionnelle et c'est à ceux qui prétendent se trouver dans cette
position, à établir qu'elle doit réellement être
admise envers eux.
M. Vandenbossche. - Je
crois, messieurs, qu'il y aurait moyen de concilier toutes les opinions ; il
suffirait pour cela d'expliquer quelles sont les conséquences réelles du
dessaisissement, Les conséquences réelles du dessaisissement sont la nullité
absolue des actes faits depuis l'ouverture de la faillite, mais il me semble
que cette nullité absolue doit replacer les parties dans la position où elles
se trouvaient avant que les actes annulés aient été faits.
Je pense donc qu'il faudrait
dire que ces actes sont nuls de nullité absolue et que les parties contractantes
sont replacées dans leur situation primitive, sauf aux créanciers à maintenir
les actes dont il s'agit.
Il me semble qu'avec une
disposition semblable les tiers de bonne fois ne pourraient pas être lésés par
des actes qu'ils auraient faits avec le failli ; les créanciers ne pourraient
pas non plus se trouver lésés, attendu qu'ils auraient
l'option de replacer les parties dans leur position primitive ou de maintenir
les actes dont il est question.
M. Lys. -
Messieurs, dans la séance d’avant-hier, l’honorable M. Dubus (aîné) a
parfaitement expliqué le véritable sens de l’article 442 du code de commerce ;
il a démontré que le dessaisissement doit remonter à l’ouverture de la faillite
; il a démontré aussi que les actes faits par le failli entre le jour fixé pour
l’ouverture de la faillite, et le jour du jugement déclaratif, ne doivent pas
être considérés comme nuls de plein droit. Ainsi la masse ne pourra s’enrichir
aux dépens des tiers, mais aussi je ne crois point qu’il résulte des
explications de l’honorable M. Dubus que tous les actes quelconques doivent
être déclarés validés, par cela seul qu’ils ont été faits de bonne foi.
Selon moi, il est inutile de
parler dans la loi des actes faits à titre onéreux, des actes non constitutifs,
de privilège ou d'hypothèque. On sait que les actes à titre gratuit et les
actes constitutifs, de privilège ou d'hypothèque sont nuls lorsqu'ils sont
faits dans les 10 jours avant l'ouverture de la faillite.
Je crois que l'amendement,
tel qu'il est présenté, donnera lieu à beaucoup de difficultés, et je pense
qu'on pourrait donner à la loi les effets que l'honorable M. Dubus veut lui
donner et qu'il a expliqués, en rédigeant l'amendement de la manière suivante :
« Néanmoins, le
dessaisissement n'entraîne pas, d'une manière absolue, la nullité des actes
antérieurs au jugement déclaratif de la faillite, dont l'appréciation reste
abandonnée aux tribunaux. »
Il me semble, messieurs, que
cet amendement ne donnerait pas lieu aux inconvénients que présente celui de
l'honorable M. Dolez, et qu'il ne serait pas contraire à l'opinion émise par
mon honorable ami, M. Fleussu, qui pourrait seulement le
considérer comme inutile.
M. Dolez.- Cet
amendement maintiendrait les hypothèques et les privilèges.
M. Lys. – Non.
M. Dolez. - Vous
parlez d'actes en général, et par conséquent vous validez les actes
constitutifs d'hypothèques ou de privilèges. Or, ce serait là anéantir tout le
système de la loi. Vous allez même jusqu'à permettre aux tribunaux de maintenir
les actes faits de mauvaise foi ; vous abandonnez toute la loi à l'arbitraire
des tribunaux, cela ne peut évidemment pas être admis.
M. Lys.- Puisque les actes constitutifs de privilège ou
d'hypothèque faits dans les dix jours avant l'ouverture de la faillite sont
frappés de nullité, il est évident qu'à fortiori les actes de cette
nature faits après l'ouverture de la faillite seraient
également nuls. Jamais les tribunaux ne valideront des actes semblables.
M. Doignon. - Un honorable membre a prêté au système que
j'ai défendu un sens absolu que je ne lui ai point donné. En matière
d'interprétation, il n'y a rien d'absolu, et jamais l'on ne peut interpréter la
loi contre elle-même : on ne peut l'interpréter de manière à la rendre inique,
absurde, c'est là un point de droit commun. Sans doute, il peut se présenter
des circonstances extraordinaires en dehors des cas généraux de la prévoyance
ordinaire du législateur : mais, ainsi que l'a dit M. Fleussu, il est dangereux
d'insérer sur ce point aucune disposition dans la loi, il faut laisser ces cas
extraordinaires aux principes généraux, au droit commun.
Je me proposais de faire à
l'honorable auteur de l'amendement, l'interpellation que lui a adressée M. de
Behr. En cette matière, la présomption serait-elle pour ou contre la bonne foi
? Je soutiens que du moment où il y a cessation réelle de paiement, la
présomption doit être plutôt contre la bonne foi ; dans tous les cas c'est ce
que le juge devrait considérer.
On a répété que les tiers
seraient victimes de leur bonne foi ; mais, je l'ai dit, du jour où l'avoir du
failli est censé séquestré au profit de la masse créancière, il ne peut plus
par son fait diminuer cet avoir, et le tiers contractant, à titre onéreux ou
autrement, ne peut trouver dans sa bonne foi un titre pour venir prendre une
partie de ce qui est dévolu et appartient à tous.
Nous ne voulons pas
davantage que les créanciers s'enrichissent à ses dépens, puisque dans ces cas,
ainsi que vous l'a dit M. Malou, on doit remettre le tiers au même état.
Prenez garde, messieurs, que
ce soit au contraire la masse créancière qui devienne ici victime. On dira
qu'il y a toujours bonne foi, et à l'ombre de cette bonne foi, on pourra
s'emparer de ce qui lui appartient.
- L'amendement de M. Lys est
mis aux voix, il n'est pas adopté.
La suppression des derniers
mots de l'amendement proposé par M. Dolez, est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Comme il n'y a qu'un article, il va être
procédé au vote par appel nominal.
M. Fleussu. - Je demande qu'on vote d'abord par division sur
les deux parties de l'article.
- Les deux parties de
l'article sont successivement mises aux voix et adoptées.
Il est passé à l'appel
nominal sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
62 membres y ont répondu.
(Un membre, M. Lejeune, s'est abstenu.)
55 membres ont répondu oui.
6 ont répondu non.
En conséquence, le projet de
loi est adopté, il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM,
Brabant, Cogels, Cools, de Baillet, de Behr, de Florisone, de Garcia de
Ont répondu non : MM.
Coppieters, de Foere, Doignon, Fleussu, Malou et Scheyven.
M. Lejeune déclare s'être abstenu, parce qu'il n'a pu
assister à la discussion
PROJET DE LOI RELATIF A
M. le président. – M. le ministre de l'intérieur a fait parvenir
à la chambre les renseignements qui ont été demandés dans la séance d'hier par
M. Rogier. Ces renseignements seront déposés sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi.
La discussion est ouverte
sur la première partie du tableau annexé au projet de loi.
Première
partie du tableau annexé au projet de loi . Littera A
« A.
fils de lin et de chanvre, sans distinction
de ceux d'étoupes, fournissant au kilogramme, première classe,
M. le président. - La commission a proposé de substituer le
chiffre de 12 francs à celui de 16 ; le gouvernement ne s'est pas rallié à cet
amendement.
La parole est à M. Peeters.
M. Peeters. - Messieurs, depuis que M. le ministre nous a
présenté un nouvel amendement, dont je ne puis pas apprécier les motifs, je me
vois forcé plus que jamais de combattre l'art. 1er du projet, et de reproduire
dans cette enceinte la proposition que j'avais faite à la section centrale,
afin de ne donner à la protection une plus longue durée qu'à l'exception.
En effet, messieurs,
parcourez le rapport de la commission d'enquête sur l'industrie linière, ainsi
que l'exposé des motifs de M. le ministre et vous serez convaincus que les
fabriques de coutils sont en souffrance ; que les filatures de lin à la mécanique
sont dans un état prospère, même sans protection ; que le gouvernement, pour
éviter d'être inondé par le trop plein de l'étranger et, par suite de la
circonstance de l'état de crise et un grand avilissement de prix en Angleterre,
a cru nécessaire de nous proposer des droits protecteurs.
« Les filatures de lin à la mécanique, a dit M.
le ministre dans son exposé des motifs, p. 5 , sont
seules dans une position satisfaisante ; il importe d'autant plus de les y
maintenir que d'énormes capitaux y ont été engagés.
« Il conviendrait, dit
la commission d'enquête, d'autoriser le gouvernement à accorder remise aux
fabricants de coutils et de toiles à carreaux du montant des droits, qui
seraient supportés par eux pour les fils allemands entrant dans la fabrication
de leurs étoffes. Cette proposition est fondée sur ce que ces fils sont indispensables
pour la trame de cette espèce de tissus et sur l'état de souffrance de
cette industrie. »
Remarquez, messieurs, que
c'est la commission d'enquête linière qui parle ainsi.
Vous voyez par là que, de
l'aveu de tout le monde, les filatures de lin à la mécanique sont dans un état
prospère, même sans protection, et que les fabriques de coutils et
autres tissus sont dans un état de souffrance.
Que fait le gouvernement
dans cet état de chose ? Il propose un projet de loi pour donner une protection
de 10 à 15 p. c. certaine et durable à une industrie nouvelle et florissante,
et une exception illusoire et temporaire pour une industrie ancienne qui est
mourante et prête à s'expatrier.
Le § 5 du premier projet
ministériel porte, que le gouvernement est autorisé à permettre l'entrée en
franchise de tout droit et en quantités à déterminer par lui des fils ci-après.
. . . . . .
Le dernier § porte, les
exceptions qui précèdent n'auront force que pendant l'année 1842. Toutefois, en
cas de nécessité reconnue, le gouvernement est autorisé à user de la même
faculté pendant les deux années subséquentes.
J'ai combattu de toutes mes
forces, à la section centrale, cette dernière disposition. J'ai prouvé que si
mes adversaires trouvaient des inconvénients à faire une loi de protection
temporaire pour favoriser une industrie nouvelle et florissante, il y
avait bien de plus grands inconvénients à rendre temporaire une exception reconnue
indispensable pour laisser dans le statu quo une industrie ancienne et
souffrante.
J'ai fait remarquer, et sur
ce fait j'appelle toute votre attention, que le § 5 dont j'ai parlé plus haut n'obligeait
pas le gouvernement, mais qu'il l'autorisait seulement à user de
cette faculté, ce qui devait satisfaire amplement les partisans de la
protection, si le pays peut produire plus tard et à bon marché les fils dont on
a besoin pour la trame, dans ce cas le gouvernement s'empressera de ne plus
user de la faculté lui donnée par la loi.
Mes observations à la
section centrale, dont je ne trouve pas un mot dans notre rapport, ont été
appréciées par la majorité parmi laquelle j'ai vu avec plaisir se ranger notre
honorable président, et le dernier paragraphe du projet de loi a été supprimé ;
suppression que M. le ministre paraissait désirer lui-même, lorsqu'une
députation des fabricants de coutils de Turnhout a eu l'honneur de lui être
présentée.
Maintenant, par un
amendement inexplicable, M. le ministre veut se poser des limites à lui-même ;
par cet amendement il s'oblige à déterminer annuellement la quantité de
fils à admettre sans droit, et de ne les admettre que pour un an et par arrêté
royal motivé.
Ainsi, messieurs, les
filatures à la mécanique, qui prospèrent, jouiront d'une protection durable, et
la seule industrie que possède
J'en
appelle à vos consciences, et j'espère que vous ne voudrez pas sanctionner une
mesure aussi injuste.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, je crois devoir présenter à la chambre quelques réflexions sur l'ordre
à adopter pour cette discussion, ainsi que pour le vote. Ces réflexions
tendront à simplifier les questions.
Messieurs, il y a une
corrélation intime entre les exceptions proposées au cinquième paragraphe des
observations en marge du tableau, et le tableau
lui-même, surtout la première classe du tableau.
En effet, la première classe
du tableau comprend les fils de chanvre et de lin, fournissant au kilo
Pour faire droit aux
réclamations, il avait été question de subdiviser cette classe en deux,
d'admettre une première classe du n°1 jusqu'au n° 7 (numérotage anglais) ;
c'est-à-dire une première classe pour tous les fils en dessous de
Le projet de loi me semble
donc plus favorable aux auteurs des réclamations. D'après le projet de loi, les
fils en dessous de
Il me semble donc que si la
chambre se prononçait d'abord sur les exceptions, la question serait
singulièrement simplifiée. Les exceptions une fois
admises, l'admission du tableau lui-même ne présenterait plus guère de difficulté,
je pense. Si au contraire, les exceptions sont rejetées, alors on pourra
rentrer dans le système qui consisterait à examiner s'il n’y a pas lieu de
subdiviser la première classe. Je pense que dans l’intérêt des auteurs des
réclamations, il faut admettre le projet de loi tel qu'il est présenté maintenant, c'est-à-dire les quatre classes sans
subdivision de la première, mais avec les exceptions proposées.
Je crois donc, qu'il y
aurait lieu d'aborder en même temps l'examen des exceptions et de la première
classe.
Messieurs, l'honorable
préopinant a semblé m'adresser quelques reproches au sujet de ce qui peut
paraître un changement d'opinion. J'ai dit à l'honorable député de Turnhout
qu'on irait peut-être plus loin même qu'on n'allait dans le projet primitif du
gouvernement. Ce projet limitait d'une manière absolue l'exception à trois ans,
cette exception devait être renouvelée d'année en année ; je n'ai pas promis de
faire en sorte que l'exception fût rendue indéfinie ; c'est dans ce système que
j'appellerai extrême, que la section centrale est entrée.
Je pense qu'on n'a pas
besoin d'aller jusque-là ; nous pensons qu'il faut un terme ; s'il n'y a pas de
terme, il est évident que les fabricants du pays ne feront pas des efforts pour
fournir les fils qui manquent aujourd'hui. Sans doute, les auteurs des
réclamations, dans leur intérêt, ont raison de désirer que l'exception soit
indéfinie, c'est-à-dire, qu'une fois accordée par le gouvernement, elle soit
continuée de plein droit, du moment que le gouvernement s'abstient. Les auteurs
des réclamations comprennent parfaitement leur intérêt, en demandant que les
choses soient faites ainsi. Mais, d'un autre côté, l'effet de la loi serait
manqué ; les fabriques de fils ne feront aucun effort pour approvisionner le
pays ; ils n'auront pas la perspective d'avoir le
marché intérieur au bout d'un certain nombre d'années.
J'ai proposé dans la séance
d'hier un amendement qui consiste à dire que l'exception sera faite par le
gouvernement d'année en année.
Il est possible qu'on dépose
un autre amendement qui consisterait à dire, par
exemple, qu'une exception pourra être faite pour la première fois pour dix ans,
et prorogée ensuite d'année en année, s'il y a lieu, par arrêté motivé ; je ne
m'opposerais pas à un pareil amendement, s'il était présenté, parce que le
système tel que je viens de l'indiquer est maintenu, du moment qu'il y a un
terme fixé. Ce terme pourrait être fixé, pour la première fois, à deux ans.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur propose, par
motion d'ordre, de s'occuper simultanément des exceptions et de la première
classe du tableau.
M. Cools. - Messieurs, M. le ministre de l'intérieur a
parfaitement raison d'indiquer une marche pour la discussion, parce que les
questions que soulève le projet du gouvernement et le rapport de la section
centrale sont très complexes. Il importe d'imprimer une marche régulière à la
discussion ; mais je ne puis adopter la proposition faite par M. le ministre de
l'intérieur, parce qu'elle ne me paraît pas rationnelle. Je pense que le
premier point dont la chambre doit s'occuper est celui de savoir quelle
protection elle entend accorder à l'industrie, si ce sera 10 ou 20 p. c, ; voilà la première question à vider.
On aborderait ensuite le
tarif dans tous ses degrés. Vous remarquerez que la première classe de ce tarif
soulèvera une première question, celle de savoir si on veut admettre la
fixation du droit au taux moyen de 10 p. c., et
ensuite si les chiffres sont bien établis. Mais
quant à ce qui concerne les exceptions qu'on veut établir dans là loi en faveur
de certains fabricants d'Anvers, de Turnhout et de Bruges, nous ne pouvons
l'aborder que quand nous nous serons prononcés sur la première question. Il
s'agit de savoir si la loi sera permanente ou si
elle sera exceptionnelle ; si la chambre se prononçait pour une série
déterminée d'années, comme le proposait la minorité de la section centrale, si
la loi ne devait avoir de force que pendant trois ou quatre ans,
il serait inutile de dire qu'on permettrait l’entrée en franchise de
certains fils pendant trois ou quatre ans. Quand nous en serons à cette partie
de la discussion, je proposerai de voter la loi pour une série déterminée
d'années.
Je propose
donc d'examiner d'abord le taux du droit, ensuite la série des classes du
tarif, puis la question de la durée de la loi elle-même ; alors seulement nous
pourrons aborder l'examen des exceptions.
M. le ministre de l’intérieur
(M. Nothomb) - Il est vrai
qu'il y a deux questions de principe qui dominent la loi. La première est
celle-ci : quel sera le taux du droit ? la seconde est
de savoir si la loi sera permanente ou non. Mais quand j'ai pris la parole,
personne n'avait soulevé ces deux questions de principe. Du moment qu'on les soulève, elles dominent tellement la loi qu'il faut
d'abord se prononcer sur ces deux questions. Mais une fois que la chambre aura
statué sur le taux du droit et sur la question de permanence, je pense qu'il
sera impossible d'aborder l'examen des classes, surtout de fixer la première
classe sans examiner au moins la deuxième des exceptions, car si la deuxième
exception n'existait pas, il est tel député qui admettrait la subdivision de la
première classe en deux, c'est-à-dire qui proposerait de frapper seulement du
droit de a 5 fr. le fil fournissant
Quoi qu'il en soit, du
moment qu'on soulève les deux questions de principe relatives au taux du droit
et à la durée de la loi, ces deux questions dominent toute la discussion, il
faut les résoudre d'abord.
M. le président. - M. le ministre se ralliant à la proposition de
M .Cools, la discussion portera d'abord sur le taux du droit, puis sur la
permanence de la loi et ensuite sur les exceptions.
- Cette proposition est
adoptée.
Le
gouvernement propose de fixer le droit au taux moyen de 10 p. c.
M. Cools. - Puisque j'ai soulevé la question, je dois dire
quelques mots sur le taux du droit en déclarant toutefois que je ne propose pas
d'amendement si d'autres membres ne le font pas. Le taux de 10 pour cent m'a
paru trop élevé. Nous ne devons pas nous guider, pour la fixation du droit, sur
la loi française, mais sur les besoins du pays. Je crois que le gouvernement,
en adoptant le tarif qu'il a établi par arrêté en juillet dernier et qu'il
propose de convertir en loi, a été principalement guidé par le tarif décrété en
France, je pense que la situation des deux pays est essentiellement différente.
Les enquêtes instituées en France et en Belgique ont établi que la filature à
la mécanique était plus avancée en Belgique qu'en France. Les renseignements
recueillis par l'enquête française ont établi que la filature anglaise avait un
avantage de 25 p. c. sur la filature française. Quand la commission d'enquête
belge a examiné la même question, elle a trouvé que la filature belge n'était
inférieure à la filature anglaise que de 10 p. c.
D'un autre côté, il existe
en France le même nombre de broches qu'en Belgique, il y en a 50 mille. De
sorte que cette industrie n'est pas, proportion gardée, aussi développée en
France qu'en Belgique. Ainsi le motif principal de la mesure, c'était de
protéger la filature à la mécanique. Chez nous, je crois que les filatures à la
mécanique sont dans un état prospère, que cette industrie est assez développée, que si nous jetons les yeux sur l'industrie à
la main, nous devrions regretter le développement
qu'a pris la filature à la mécanique et dont on
s'applaudit. Voilà deux causes de différence. Voilà pourquoi j'ai toujours
pensé que le droit de 10 p. c. établi en France était trop élevé chez nous et
qu'il nuirait à nos tisserands. Cependant, si d'autres membres ne proposent pas
d'amendement, pour ne pas abuser des moments de la chambre, je n'en proposerai pas non plus.
M. Rodenbach. - Je répondrai à l'honorable préopinant que nos
tisserands ne manquent pas de fil, mais ils manquent de débouchés. Je l'ai déjà
dit, c'est parce que partout, en France, en Espagne, des barrières douanières
s'élèvent constamment contre notre industrie, que nos exportations diminuent ;
ce n'est pas parce que nous manquons de fil que nous fabriquons moitié moins,
c'est parce qu'on repousse nos produits. Je regrette que le ministre n'ait pas
appliqué la loi de 1822 pour prohiber par terre les vins de France, par mesure
de représailles. Hier on m'a fait dire pour prohiber les vins de France, d'une
manière générale, je sollicite cette mesure fortement ; il n'y a pas d'autre
moyen de nous arranger avec
Le taux moyen de 10 p. c.
qu'a proposé le gouvernement n'est pas trop élevé. Il est reconnu que nous
devons conserver la main-d'œuvre dans le pays. On a annoncé que les dépôts de
mendicité devaient être augmentés. On y conduit comme des vagabonds une foule
de malheureux ouvriers tisserands qui ne trouvent plus moyen de gagner leur
vie. En présence de pareils faits le devoir du gouvernement est de protéger la
main-d'œuvre. Si vous repoussez toute espèce de marchandise manufacturée, plus
vous conservez la main-d'œuvre. Si la rigueur de la saison continue, au lieu de
voir des mendiants par bandes de 50, vous les venez par
centaines. Il faut adopter les droits les plus élevés dans l'intérêt de la
main-d'œuvre.
M. Desmet.- Il paraît que le principal argument de M. Cools,
pour trouver que le droit de 10 p. c. est trop élevé, c'est que
Certainement, un droit de 10
p. c. n'est pas trop. Hier M. Rogier a dit qu'il ne s'opposerait pas à ce que
ce droit fût accordé (M. Rogier. si c'était nécessaire), cela est
constant. Cette mesure est de bien peu d'importance. Il n'en résultera pas un
grand avantage pour la filature, mais enfin, c'est un commencement de
protection donnée au travail.
- La fixation du droit au
taux moyen de 10 p. c. est mise aux voix et adoptée.
On passe
à la deuxième question, celle de savoir si la loi sera permanente.
M. Cools. - Messieurs, lorsque l'idée de protéger le fil a
surgi pour la première fois, quand la commission d'enquête linière a été
consultée sur cette question, j'ai longtemps hésité si j'adopterais le
principe. J'ai surtout hésité dans l'intérêt de nos fileuses et de nos
tisserands. A mes yeux la loi devait être nuisible aux uns et aux autres.
Cependant, après quelque temps de réflexion, je me suis prononcé pour la
mesure, mais uniquement comme mesure temporaire, comme mesure déterminée par
les circonstances dans lesquelles se trouvaient
cette industrie en Belgique, en Angleterre et dans d'autres pays. Pour
expliquer ma pensée sue les résultats que j'attends de la loi à l'égard des
fileuses et des tisserands, je dois déclarer qu'à mes yeux la loi aura un
résultat certain ; elle facilitera le travail à la mécanique pour l'industrie
belge. Or quel doit être l'effet d'un tarif quelconque ? Il doit être de
fournir des facilités à l'industrie indigène, de maintenir les prix, d'arrêter
une baisse de prix qui aurait lieu si le tarif n'existait pas. Eh bien je dis
que l'effet du tarif doit être de nuire à nos tisserands, puisqu’il doit être
de faire vendre plus cher la matière première.
Quant à la filature à la
main, (erratum, Moniteur du 21 janvier 1842) quelle est la cause de la gène de cette
industrie ? C'est (à cet égard, je crois qu'on n'a pas dit assez haut la
vérité) la lutte avec la nouvelle industrie, la filature à la mécanique. Elle a
à soutenir cette lutte dans l'intérieur du pays, non pas contre la filature à
la mécanique de l'étranger, mais contre la filature à la mécanique de
Un autre motif me fait
hésiter à adopter la mesure, c'est que la filature belge à la mécanique est
dans un état prospère. Dans la séance d'hier, un membre a fait observer
qu'aucune société n'a demandé un droit protecteur pour les fils. Je n'attache
pas à cette circonstance la même importance que cet honorable membre. Il
m'importe peu que cette protection ait été demandée. Elle eût été demandée si
l'idée eût été mise en avant, car du moment qu'il est question d'une mesure qui
peut être favorable à une industrie, cette industrie ne manque pas de la
demander, alors même qu'elle n'en a pas besoin. Je suis convaincu que si avant
l'enquête, il avait été question d'imposer les fils à l'entrée, la filature à
la mécanique aurait réclamé cette mesure. Ce qui le prouve, c'est que du moment
qu'un établissement l'a demandée, tous s'y sont associés.
Mais ce qui est plus
important, c'est que la commission d'enquête, après avoir examiné les
mécaniques des pays étrangers, a reconnu que la filature belge à la mécanique
est dans un état satisfaisant eu égard aux circonstances. Cela est plus
important pour moi ; cela m'a fait penser que (erratum, Moniteur du 21
janvier 1842) cette
mesure de protection en faveur d’une industrie qui s’est développée sous le
régime de la libre concurrence, ne doit être que temporaire. Le motif de la
mesure est la crise qui agite l'Angleterre. La crise qui travaille ce pays nous
expose à voir les produits anglais déversés en Belgique ; il est à craindre que
nos filatures à la mécanique établies depuis quelque temps ne puissent pas
résister à une telle secousse ; nous devons faire en sorte qu'elle ne leur soit
pas fatale ; nous devons chercher à conserver des établissements qui offrent un
tel avenir à l'industrie du pays. La crise de l'Angleterre tient à ce que
l'industrie de ce pays qui jusqu'à présent avait fait la loi au continent,
rencontre depuis quelques années des obstacles en France, en Allemagne, etc. Il
en résultera qu'il y aura des faillites individuelles et que l'Angleterre devra
restreindre sa production. Il est probable que ce résultat sera obtenu d'ici à
trois ans. A chaque moment les journaux anglais nous apprennent qu’il y a eu
des faillites dans les grands centres de production : Manchester, Glascow, etc. Jusqu'à présent Leeds a été préservé de ces
désastres ; mais à quel prix ! Vous avez vu dans une pétition au parlement
anglais que la moitié des ouvriers sont sans ouvrage. Si ses filatures ont
échappé à toute faillite, cela tient à ce qu'elles existent depuis un grand
nombre d'années. Mais d'une manière ou d’une autre, l'Angleterre devra diminuer
sa production ; alors le danger d'une crise pour nos filatures à la mécanique
aura en grande partie disparu : s'il n'a pas disparu, nos filatures
auront fait assez de progrès pour y résister.
J’appellerai votre attention
sur un passage du rapport de la commission d'enquête. Si je m'appuie sur ce
document, c'est que le gouvernement l'a invoqué dans l'exposé des motifs.
Voici ce qui se trouve dans
le rapport de la commission, p. 340 :
« En résumé, la plupart
des avantages que l'Angleterre possède ne sont que temporaires. Nous avons tout
à espérer de l'avenir. L’achat de la matière première, le salaire des ouvriers,
l'entretien des machines constituent les plus fortes dépenses d’une filature.
Nous venons de voir que, si
Si donc l’on s'était borné aux dépenses appréciables, la
balance aurait penché du côté de
Je crois que ces motifs
suffiront pour vous déterminer à ne donner à la loi qu’une durée temporaire,
C'est surtout de la classe malheureuse des fileuses que nous devons nous
occuper. Je crois que, dès à présent, nous avons fourni au gouvernement le
moyen de venir à leur secours par le subside de cent mille francs que nous avons
voté pour l’industrie linière.
Si le gouvernement fait un
sage emploi de cette somme, je crois qu’il y a beaucoup de bien à en espérer et
pour nos fileuses et pour nos tisserands. Car, messieurs, quelle est la cause
première de la gêne de nos fileuses et de nos tisserands ? C'est que les femmes
ne gagnent pas assez comparativement à ce qu'elles gagnent en Angleterre.
Or, toute proportion gardée,
les tisserands belges se trouvent dans une position semblable comparativement
aux tisserands anglais. Et cependant, en Angleterre, ils mangent deux fois par
jour de la viande ; ils sont bien nourris, bien vêtus, tandis qu'en Belgique
ils sont dans la misère. Quelle en est la cause ? C'est que nos fileuses ne
gagnent pas assez.
Une fileuse gagne par jour, terme
moyen, de 40 à 50 centimes, et un tisserand 1 fr. 10 centimes. Eh bien ! s'il y avait moyen d'élever le gain de la femme jusqu’à 70
ou 80 centimes par jour, le problème serait en grande partie résolu. Or, je
crois que ce moyen existe ; je crois que le gouvernement peut beaucoup pour
organiser ce moyen. Si nous établissions des écoles de tissage, si au lieu de
faire filer les femmes, nous parvenions à leur faire tisser des toiles légères,
de manière qu'elles pussent gagner 70 à 80 centimes par jour, le problème
serait résolu,
Si nous propageons l'emploi
de la navette volante, le gain de la famille sera aussi augmenté.
Si encore, non par mesures
coercitives mais par la persuasion le gouvernement peut organiser des
directions de travail, si le travail ne se fait plus isolément, mais sous la
surveillance d'un chef expérimenté, je crois encore une fois que le gain de la
famille sera augmenté.
J’avais besoin de dire ces
mots pour éviter que les familles des tisserands et des fileuses ne se jettent
dans le découragement.
M. le président. - Que proposez-vous ?
M. Cools. - Je propose de limiter les effets de la loi à 3
ans.
M. de Theux. - Messieurs, je voterai pour la perpétuité de la loi.
Le motif en est que l'industrie de la filature du lin et du chanvre est
éminemment nationale. Nous produisons la matière première ; nous sommes déjà en
possession de cette industrie ; cependant une puissante rivalité existe. De
grands capitaux sont engagés dans cette industrie, qui a de l'avenir, puisque
non seulement elle peut fournir à la consommation du pays, mais encore fournir
beaucoup au commerce d'exportation.
Sous tous ces rapports il me
paraît qu'il n'y a aucune industrie plus digne de protection que l'industrie de
la filature du lin et du chanvre.
Le droit de 10 p.c. n’est
pas trop élevé. Ce droit n'est pas tel qu’il ne permette pas une certaine
concurrence de la part de l'étranger et qu’il n’oblige toujours nos filatures à
se tenir à la hauteur des procédés nouveaux, parce que du moment où elles
viendraient à négliger les perfectionnements, il est évident que l'étranger
pourrait encore concourir avec avantage.
La protection de 10 p.c. ne
me paraît pas non plus de nature à nuire à la fabrication de la toile, ni au
commerce des toiles parce que la concurrence intérieure sera toujours
suffisante pour établir le bon marché. Déjà il existe un très grand nombre de
filatures à la mécanique, et il est évident que ces établissements se feront
concurrence les uns aux autres. D'ailleurs l'étendue de la production du fil
mécanique en Angleterre, obligera toujours nos filatures à livrer leurs
produits à bas prix.
Du reste, messieurs, je ne
me fais pas illusion en ce qui concerne la protection que la présente loi
pourrait apporter à la filature à la main. Je considère cette loi comme une
protection pour la filature à la mécanique ; je crois qu'elle n'aura pas
d'effet pour la filature à la main, ou qu’elle n’en aura qu’un très insensible.
Le sort de la filature à la
main est subordonné à une tout autre condition ; c'est de savoir si le fil à la
main est plus utile pour la confection de certaines toiles que le fil
mécanique. Si cela est vrai la filature à la main conserve un certain avenir.
Si cela n'est pas vrai, il est certain que la filature nationale à la mécanique
écrasera complètement la filature à la main, parce qu'il est impossible de
filer à la main en concurrence avec la mécanique.
Mais la filature à la
mécanique seule mérite toute notre protection.
Des capitaux énormes y sont déjà engagés ; et alors que plusieurs
branches d'industrie sont périclitantes, nous devons
au moins encourager les industries qui commencent à s'établir et à prospérer.
Par ces
motifs, je voterai pour la perpétuité de la loi.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je ne dirai que quelques mots :
Moi aussi je crois que la
loi peut être permanente. D'abord je ne me fais pas illusion sur sa portée. Je
crois qu'elle ne sera pas un secours pour une classe à laquelle je m'intéresse
beaucoup, pour la classe des fileurs des Flandres.
Messieurs, je crois que nous
devons considérer l'industrie de la filature à la main comme perdue, de même
que l'industrie des fileurs de laine à la main a été perdue dans une partie du
Limbourg lors de l'établissement des mécaniques.
On nous dira peut-être que
le lin filé à la main est d'une qualité bien supérieure au lin filé à la
mécanique. C'est, messieurs, ce qu'on disait également lorsqu'on a commencé à
filer la laine à la mécanique. Dès le début on a trouvé que la laine filée à la
mécanique n'était pas aussi bonne que la laine filée à la main.
Eh bien ! on
améliorera également la filature à la mécanique du lin. On parviendra à
produire du fil aussi bon que celui fait à la main. Tel est, messieurs, mon
opinion ; telles sont mes prévisions.
Au surplus c'est une
question qui n'est pas jugée. Il faut le temps pour savoir si ces prévisions se
réaliseront ou non. Mais nous avons toujours vu que toute industrie ne faisait
pas les choses dans la perfection en commençant ; il faut le temps pour tout.
La protection qu'il s'agit
d'établir, messieurs, est, comme vous l'a fait remarquer l'honorable M. de
Theux, favorable à une nouvelle industrie. Je suis aussi d'avis de favoriser
toute industrie naissante, lorsqu'il y a des prévisions qu'elle pourra être
utile à mon pays.
Je ne dirai rien de plus
dans ce moment. On a émis hier différentes opinions relativement à des impôts à
frapper sur le lin à la sortie. Messieurs, c'est là une question qui n'est pas
à l'ordre du jour ; je ne la traiterai pas pour le moment, mais sous ce
rapport, il y a beaucoup de réflexions à faire. Quand elle se présentera devant
nous, nous la traiterons.
Je
voterai pour la perpétuité de la loi.
M. Desmet. - Messieurs, en ce qui concerne la durée de la
loi, je crois réellement qu'il ne peut y avoir de doute. Il est certain que
vous ne pouvez laisser une de nos principales industries dans l'incertitude où
la laisserait une loi temporaire.
Aussi ne comptais-je pas
prendre la parole parce que la question me paraissait trop claire. Mais en
faveur du commerce du pays, j'ai cru devoir dire quelques mots, parce qu'on a
jeté un certain blâme sur nos fileuses à la main sans que personne n'en prenne
la défense.
Si je dis que c'est en
faveur du commerce, c'est que j'en ai la conviction, En Belgique toujours les
toiles seront préférées lorsque vous aurez du bon fil. Et pourquoi
avons-nous toujours eu la préférence ? C'est parce
que nos toiles étaient si bien faites, et surtout si bien filées ; car c'est le
fil qui fait la toile.
Messieurs, on compare le fil
de lin à la laine ou au fil de coton. Mais il y a une grande différence. On
peut facilement avec la mécanique filer la laine et le coton. Mais il n'en est
pas de même pour le lin. La différence est telle que, lorsqu'on le file à la
mécanique, on ne fait que de la corde, tandis que quand on le travaille à la
main, on fait du fil.
La chose est palpable.
Lorsque vous allez en France, à St-Amand et aux environs, vous voyez comment le
lin se file.
Eh bien ! je
me demande quel bon tissu on peut faire avec de la corde ? Evidemment on ne
peut rien produire de bon.
Ce qui se passe en Espagne vous
le prouve à l'évidence. Il y a quelque temps, les, Espagnols, presque par
obligation, ont pris aux Anglais de la toile faite avec du fil fait à la
mécanique. Mais ils voient par l'expérience combien cette toile est inférieure
à l'autre. Aussi demandent-ils maintenant qu’on leur envoie des toiles faites
avec du fil travaillé à la main ; c'est ce que vous déclarera tout le commerce.
Il en est de même en France.
Voyez ce qui se passe au
marché d'une ville voisine, c'est sur ce marché qu'on présente le plus de
toiles faites avec du lin travaillé à la mécanique. Eh bien que nous disent
toutes les semaines les nouvelles de cette ville ? C'est
que les bonnes toiles ont été enlevées et que les mauvaises restent.
M. Peeters. - En réponse à ce que vous a dit l'honorable
ministre de l'intérieur au commencement de la discussion, j'aurai l'honneur de
lui observer que je désire autant que lui que le pays puisse prendre le fil
dont on a besoin pour les coutils de Turnhout. Mais Je dois lui faire observer
que le projet même de la section centrale qui établit une exception, n'est que
facultatif, et qu'on ne dit pas que le gouvernement doit maintenir cette
exception, mais qu'il est autorisé à la maintenir. De manière que le
gouvernement reste maître de faire ce qu'il trouvera convenir ; et il trouvera
moyen de stimuler les fabriques de fil qui feront leur
possible pour se perfectionner et pour produire les fils dont on aura besoin.
Si, au contraire, cette exception n'est que temporaire, nos fabriques ne feront
rien pour se perfectionner.
M. Dumortier. -
Messieurs, de tous temps j'ai été d'avis qu'il fallait accorder à l'industrie
les mesures qu'elle pouvait réclamer pour son bien-être. Et certes, il n'est à
mes yeux aucune industrie en Belgique qui mérite autant les soins du
gouvernement que l'industrie linière. Vous le savez, messieurs, c'est celle qui
occupe le plus d'ouvriers dans notre pays ; et c'est celle qui se trouve
menacée de la plus grande crise par l'introduction des machines a filer.
Dans un pareil état des
choses, je voterai pour le projet du gouvernement, quoique je ne me dissimule
pas que ce projet puisse avoir des effets tout différents de ceux qu'on en
attend. Je voterai pour la loi, mais je serais porté à ne lui donner qu'une
durée temporaire ; je crois que dans la position où nous sommes il faudra y
apporter des modifications dans un délai plus ou moins rapproché, de manière
qu'en pareil cas il est préférable, à mes yeux, de faire une loi temporaire que
de faire une loi définitive ; une mesure définitive, encore une fois, est
impossible.
Messieurs, l'industrie
linière se trouve maintenant dans une position absolument analogue à celle où
se trouvait, il y a un demi-siècle, l'industrie de la fabrication des cotons,
analogue à celle où s'est trouvée, il y a 20 ans, la fabrication des fils de
laine. Depuis le jour où l'on inventa les métiers à filer le coton, on vit
successivement tomber toute espèce de filature de coton à la main ; la même
chose est arrivée pour la laine, et, dans ma manière de voir, la même chose
arrivera malheureusement aussi pour le lin. Lorsque les machines à filer le
coton furent inventées, on prétendit aussi que le coton filé à la mécanique
était loin de valoir celui qui était filé à la main, on a prétendu la même
chose pour la laine ; aujourd'hui l'on prétend la même chose pour le lin. On
prétend cela pour le lin avec beaucoup plus de raison, j'en conviens, mais la
filature du lin à la main n'en tombera pas moins devant des considérations
d'économie, comme cela est arrivé pour le colon et pour la laine.
Messieurs, si je suis bien
informé (et je tiens la chose d'un négociant en toiles), si je suis bien
informé, telle qualité de toile qui, (erratum, Moniteur du 21 janvier 1842) filés à la main se vend en France 1
franc 50 centimes l'aune, ne se vend plus filés à la mécanique, qu'aux taux
moyen de 1 franc ; Or, quelque désir que nous puissions avoir d'assurer
l'avenir de la filature à la main, il est impossible, en présence de pareille réduction,
de garantir cette filature d'une chute plus ou moins prochaine. Nous devons
tâcher de rendre l'avenir de cette industrie le moins cruel possible, mais nous
ne devons point nous le dissimuler, il est tout à fait probable qu'avant peu
d'années d'ici, la filature à la main aura cessé d'exister comme la filature de
coton et de la laine,
Est-ce à dire pour cela,
messieurs, que l'industrie linière sera perdue pour
Il est une réflexion,
messieurs, qui a sans doute frappé plusieurs d'entre vous ; malheureusement,
dans les parties occidentales de
Il est cependant constant,
messieurs, que la navette volante est une des plus grandes améliorations que
l'on pouvait introduire dans les métiers à tisser la toile. Eh bien il n y a
que cinq ou six mois que l'on commence à employer ce nouveau procédé, et il a
fallu des efforts inouïs pour faire adopter cette amélioration (réclamations). La chose est tout-à-fait
exacte, j'en appelle à l’honorable M. Cools qui faisait partie de la commission
d'enquête et qui pourra l'attester.
M. Cools. - (erratum, Moniteur du 21 janvier 1842) Je dois déclarer que la commission
d'enquête n’a pas trouvé, il y a 18 mois, l’usage de la navette volante
introduit dans les Flandres, mais on s’en servait dans quelques parties du
Hainaut, aux environs de Soignies.
M. Dumortier. - Vous
voyez, messieurs, que j'avais raison de dire qu'elle n'était pas admise dans
les Flandres .
M. Rodenbach. - Il y a longtemps qu'elle existe à Roulers.
M. Dumortier. - Alors même
qu'il y aurait eu cinq ou six métiers à la navette volante à Roulers on ne
pourrait pas encore dire pour cela que j'ai
tort d'affirmer que cette amélioration n'était pas adoptée dans les
Flandres ; certes on ne prétendra pas que quelques métiers de Roulers
constituent l'industrie des Flandres.
Lorsque, depuis tant d'années, la navette
volante a été introduite en Belgique pour le tissage du coton et lorsque les
avantages de cette amélioration sont tellement grands qu'ils sont appréciables
pour le moindre ouvrier, il est pénible de voir que des années se sont écoulées
sans que le même perfectionnement ait été adopté pour les métiers à tisser les
toiles ; un fait de cette nature me donne le droit de dire que l'industrie
n'est pas assez progressive dans certaines parties du pays. Du reste, en disant
cela, je n'entends critiquer personne ; je me borne à constater un fait. Or, il
est toujours bon de constater les faits ; ce n'est pas en dissimulant le mal
qu'on peut le faire cesser ; pour pouvoir porter remède au mal, il faut
commencer par le reconnaître ; ce n'est qu'après avoir bien apprécié les faits
qu'on peut remédier aux inconvénients qu'ils présentent.
Ainsi, messieurs, ce n'est
pas la filature qu'il s'agit d'améliorer, mais c'est le tissage. Déjà un ouvrier
intelligent des Flandres a introduit dans le métier à tisser des améliorations
considérables et qui méritent au plus haut degré l'attention du gouvernement.
Toute l'attention du gouvernement devrait être dirigée vers ce but, de faire
introduire dans toutes les parties du pays où on fait de la toile les métiers
nouvellement perfectionnés, car s'il est vrai d'une part que lors de
l'introduction de la filature à la mécanique, en ce qui concerne le coton et la
laine, la filature à la main a été détruite, il est vrai aussi que la
mécanique, n'a jamais pu sacrifier le tissage à la main, ni du coton, ni de la
laine. Il en sera de même du tissage de la toile ; la filature du lin sera
perdue mais le tissage de la toile peut être conservé ; dans ce cas que faut-il
faire ? Perfectionnez ce tissage, développez-le, et il vous fera regagner ce
que vous perdrez sur le tissage à la main.
Ce n'est donc pas en
cherchant par tous les moyens possibles de maintenir le filage à la main, que
vous parviendrez à faire prospérer l'industrie linière ; vous n’obtiendrez ce
résultat qu'en améliorant le tissage. C'est là la seule marche que vous
puissiez suivre, messieurs, si vous ne voulez pas voir périr cette belle et
précieuse industrie qui a toujours fait la richesse des Flandres.
L'honorable M. Desmet a dit
que les fils filés à la mécanique sont des cordes. Je suis profondément
convaincu, de mon côté, que le fil fait à la mécanique ne vaudra jamais celui
qui est filé à la main. Mais la différence de prix est beaucoup trop grande,
elle est telle que l'on préférera toujours les toiles faites de fil filé à la
mécanique ; à finesse égale on aimera toujours mieux des toiles qu'on peut
obtenir à un franc que celles dont on doit donner un franc cinquante.
Dans cet état de choses,
nous devons chercher à développer progressivement la filature à la mécanique,
parce que c est la seule qui ait de l'avenir.
Il y a 20 ans, messieurs,
l'Angleterre ne faisait aucun commerce de toiles ;
Vous ne vendez plus
aujourd'hui de toiles dans les pays méridionaux ; la raison en est toute simple
; dans ces pays on veut se vêtir à bon compte ; ce sont des pays pauvres, des
pays de luxe et indigence où l'on préfère les étoffes qui coûtent le moins et
qui ont le plus d'apparence, et où l'on s'occupe fort peu de la solidité. Si
nous voulions reprendre sur ces marchés la position que nous y avions
autrefois, et que l'Angleterre nous a enlevée, nous devons faire comme elle,
nous devons fabriquer des toiles qui aient de l'apparence et qui coûtent peu.
Il est un genre de toiles
que nous ne fabriquons plus et qui conviennent cependant à un grand nombre de
consommateurs, ce sont ces toiles légères dites Rolez,
qui dans l’origine se fabriquaient à Roulers. Nous avons entendu un de nos
honorables collègues, que nous regrettons de ne plus voir siéger dans cette
enceinte, nous dire que ces toiles étaient le déshonneurs
de notre industrie. Je pense moi, messieurs, que le déshonneur d'une industrie,
c'est de ne pas vendre ; l'honneur d'une industrie c'est de lutter avec succès
contre les industries similaires des autres pays. Si de pareils préjugés
pouvaient triompher, si l'industrie belge prétendait ne pas faire telle ou
telle espèce de toiles, parce que ces toiles ne seraient pas aussi bonnes que
d'autres, comme nous ne pouvons pas imposer notre volonté aux consommateurs,
ceux-ci s'adresseraient nécessairement ailleurs où on leur fournirait des
marchandises à leur convenance. Si nous voulons voir prospérer notre industrie
linière, noues devons fabriquer toutes les toiles qui trouvent des acheteurs,
aussi bien des toiles légères que des toiles fortes ; il faut que nous
puissions constamment présenter aux consommateurs un assortiment complet dans
lequel chacun puisse choisir ce qui lui convient. Quoique
Ce qu'il faut à notre
industrie, c'est le progrès. Il faut surtout que le fil filé à la mécanique
puisse être importé à bon marché dans le pays, et, sous ce point de vue, je me
demande si la loi qui nous occupe sera un bien ou un mal. S'il peut être
démontré que la filature à la main doit nécessairement périr dans un délai plus
ou moins long, nous devons absolument encourager le tissage des toiles de fil
fait à la mécanique : c'est là le seul moyen de nous placer dans des conditions
égales à celles où se trouve l'Angleterre.
L’introduction à bon marché
en Belgique du fil anglais fait à la mécanique aurait cet avantage d’être
favorable au développement de notre tissage, et sous ce rapport, la loi
pourrait avoir un mauvais résultat.
Cependant nous voulons bien
que l’on accorde quelque protection aux établissements existants, d’autant plus
que je désire voir de plus en plus créer chez nous des filatures à la
mécanique. Je désire améliorer autant que possible la situation de nos
fileuses. J’adopterai donc le projet, mais je dois dire que, dans mon opinion,
il serait beaucoup plus sage de ne voter qu’une loi temporaire, car il est
humainement impossible de prévoir ce qui peut arriver dans un intervalle de
trois ans. Je pense donc qu’il conviendrait d’adopter l’amendement qui a été
présenté par l’honorable M. Cools, et mon intention est d’y donner mon assentiment.
M. Van Hoobrouck. -
Messieurs, mon intention n’était pas de prendre la parole dans cette discussion.
Toutefois j’ai cru devoir la demander, pour rectifier quelques assertions qui
ont été émises relativement à la question qui nous occupe.
Parmi les industries qui
s’exercent en Belgique, il en existe une qui est dans un état réel de
prospérité : c’est l’industrie linière à la mécanique. Cette industrie a pris
naissance, il y a trois ou quatre ans, elle a marché en silence, mais elle a
fait tant de progrès qu’à la dernière exposition ses produits ont attiré
l’attention toute spéciale du jury d’examen : elle a mérité d’être placée à la
tête de toutes les industries. Dès aujourd’hui elle procure déjà à la classe
ouvrière une main-d’œuvre de près de deux millions de francs par an ; chose
remarquable, cette industrie, qui avait d’abord trouvé le placement de ses
produits à l’étranger, a dû renoncer au marché de l’extérieur, pour satisfaire
aux demandes de l’intérieur. C’est assez vous dire quel est le développement
que cette industrie peut prendre en Belgique, quel avenir lui est réservé.
Eh bien, au milieu de circonstances
aussi favorables, cette industrie se trouve pour ainsi dire encore à l’état
d’enfance. De jour en jour elle est obligée de perfectionner ses mécaniques ;
de jour en jour, elle est obligée d’améliorer son système de filature et par
conséquent de faire des dépenses très considérables pour se mettre au niveau de
l’industrie rivale d’autres pays.
Vous voyez donc, messieurs, que la protection que vous avez décidé d’accorder à cette
industrie est une chose utile, nécessaire, puisqu’elle se trouve en présence de
besoins quelle ne peut éviter, pour se mettre en mesure de lutter contre ses
rivaux étrangers. Je connais des établissements qui depuis un an ont dû
dépenser plusieurs centaines de mille francs, pour se tenir au niveau des
mécaniques nouvelles.
Il est une autre
considération sur laquelle j’appelle aussi l’attention de la chambre : c’est
que les établissements du pays sont encore dans un état de transition. Aucune
fabrique n’a pu adopter définitivement un genre, parce que l’expérience n’a pas
encore pu faire connaître aux fabricants les genres dont l’exploitation leur
serait la plus avantageuse. Les fabricants du pays doivent donc être en mesure
de pourvoir à tous les besoins ; eh bien, pour pouvoir satisfaire aux
différents besoins de l’industrie linière, il faudra que les établissements
existants fassent, encore pendant un certain temps, la dépense de mécaniques
nouvelles, ou que de nouveaux établissements se forment dans le pays ; mais,
dans l’un ou l’autre cas vous aurez un immense développement de l’industrie
linière, développement qui sera une chose extrêmement heureuse, alors que
d’autres industries sont dans un état de décadence.
Maintenant, si votre loi
n’est que transitoire, si votre protection est limitée à un terme
de trois ans, par exemple, quels sont les fabricants qui voudront faire de
nouveaux sacrifices ? il n’y en aura évidemment aucun,
parce que vous ne leur accorderiez qu’une protection éphémère qui cesserait au
moment même où ils commenceraient à en recueillir les avantages, c’est-à-dire,
à se récupérer des sacrifices qu’ils auraient faits.
Ainsi l’intérêt de cette
industrie réclame que la protection qu’on veut lui accorder soit durable ;
qu’on puisse espérer de recueilli quelques fruits de cette protection, et c’est
pour cela que la loi, à mon avis, doit être permanente.
Tout à l’heure, j’ai
entendu un honorable collègue dire que l’industrie devait être progressive, Eh
bien, si ce système est vrai, je soutiens, et je crois avoir quelque expérience
dans cette matière, je soutiens que l’industrie linière à la mécanique
est encore en Belgique à l’état d’enfance. Elle sera à l’état
d’enfance, tant qu’elle devra faire de grands sacrifices, pour se tenir au
niveau de nouvelles mécaniques ; elle sera à l'état d'enfance, tant que les
fabriques du pays, n'auront pas adopté chacune un genre particulier.
Je ne
m'étendrai pas plus loin ; je crois en avoir dit assez pour prouver que la
protection que l'on veut accorder doit être permanente, si l'on désire
atteindre le but que l'on se propose.
M. Delehaye.- Messieurs, que la loi qui est actuellement en
discussion soit permanente ou temporaire, pour moi je n'y attache aucune
importance. J'ai trop de foi dans le patriotisme de la chambre pour ne pas
croire que la loi, lorsqu'elle serait temporaire, ne fût prorogée, si à
l'expiration des trois années l'industrie réclamait de vous une nouvelle
protection.
Mais, dans l'intérêt de
l'industrie, je pense qu'il est nécessaire que la loi soit permanente ; elle
doit être permanente, surtout si l'on veut éviter les inconvénients qu'a
signalés l'honorable M. Dumortier.
Le reproche qu'on a fait à
l'industrie belge de ne pas être assez progressive, n'est nullement fondé ;
sans doute, peu favorisée par des lois protectrices,
Il est facile de se
convaincre que plus un marché est étendu plus l'industriel qui exploite ce
marché peut faire de sacrifices pour perfectionner les moyens de fabrication.
Nos industriels se
décideront facilement à faire d'énormes dépenses pour se mettre au niveau des
progrès de
N'avons-nous pas vu, lors de
l'exposition de 1830, que les impressions sur coton avaient atteint un degré de
perfection qui ne cédait en rien aux produits similaires anglais ou français. A
cette époque les fabricants pouvaient faire de grands sacrifices, parce que
notre marché était alors bien plus étendu. A la révolution, l'industrie dû
stater en partie, et s'arrêter dans la voie des progrès ? Quelle a été la cause
de cet état stationnaire ? C'est uniquement parce que ces progrès exigeaient
des dépenses qui n'étaient plus en rapport avec le territoire circonscrit de
J'en reviens à l'industrie
linière ; M. Dumortier a cité à l'appui de son opinion l'emploi de la
navette volante qu'on prétend n'être en usage dans les Flandres que depuis
dix-huit mois, Eh bien, moi, je dirai qu'il est à ma connaissance que des
ouvriers employaient la navette volante il y a huit ans. Je vais vous dire,
messieurs, pourquoi ils l’ont abandonnée alors.
Il y a dix ou douze ans,
nous étions en possession d'un marché
important pour l’industrie linière : C'était le marché d'Espagne. Dans ce pays,
on ne voulait d'abord que des toiles très solides ; bientôt séduit par le bon
marché, le négociant espagnol a donné la préférence aux produits anglais ; le
tisserand belge, pour soutenir la concurrence, a dû songer à des moyens moins
onéreux ; il adopta la navette volante, mais bientôt la toile ne présenta plus
le même degré de solidité ; elle fut abandonnée par un grand nombre de
tisserands qui s'en étaient servis jusqu'alors. Je dois vous faire observer,
messieurs, qu’à cette époque la navette n'avait point le même degré de
perfection qu'aujourd'hui ; mais toujours cet exemple vous prouve que nous
adoptons tous les améliorations.
Ce fait est de notoriété
publique dans les Flandres, et je pense que beaucoup de mes collègues pourraient
l'attester.
Messieurs, je me suis montré
trop grand partisan de l'industrie en général, et de l'industrie linière en
particulier, pour que je craigne d'exprimer toute ma façon de penser sur
l'industrie linière à la main. Je crois aussi que cette industrie doit décliner
de jour en jour. Mais est-ce un motif pour ne pas faire tout ce qui est en
notre pouvoir pour la maintenir aussi longtemps que possible ? Est-ce un motif
pour lui refuser une protection raisonnable ?
Il serait à craindre, tout
en négligeant de la protéger, alors que la protection profite aussi à
l'industrie nouvelle, que nous ne soyons bientôt tributaires de l'étranger.
Voyez, messieurs, les
immenses avantages dont jouit l'industrie étrangère.
Parlons de l'Angleterre,
puisque c'est elle qui nous fait la concurrence la plus redoutable.
D'abord, on se procure en
Angleterre le combustible à bien meilleur compte qu'en Belgique ; les machines
s'y vendent à 30 ou 40 pour cent au-dessous des prix auxquels on se les fournit
chez nous ; en outre leurs établissements existent depuis longtemps, ils sont
en pleine activité.
S'exerçant sur un marché où
elle ne rencontre aucune concurrence étrangère, notre industrie a des avantages
que ne présentent point des établissements naissants ; la matière première
fournie par notre sol, la main-d'œuvre moins coûteuse chez nous, sont
certainement des avantages fort importants, mais pour le moment ils ne
suffisent point, et ne sont nullement en rapport avec ceux que possède
l'Angleterre ; ajoutons-y la protection consacrée par l'arrêté du 26 juillet
1841 qui, quoique ne s'élevant qu'à 10 p. c. peut cependant être envisagée
comme suffisante, quoique ni le gouvernement ni ceux qui ont proposé ce chiffre
n'aient pas fait connaître sur quoi ils le basaient.
Lorsque je réclame une
protection pour l'industrie linière, j'examine d'abord quels sont les
désavantages qu'elle a vis-à-vis de l'industrie étrangère ; je trouve que
comparativement à celle-ci, l'industrie indigène a trois désavantages ; d'abord
elle doit acheter le combustible plus cher, en second lieu, les machines
qu'elle emploie lui coûtent également davantage, et en troisième lieu, elle a
un marché moins étendu, triple désavantage qui n'est sans doute pas compensé
par celui qui résulte de la possession de la matière première et d'une
main-d'œuvre moins coûteuse.
Car remarquez-le bien, il
suffit qu'une industrie soit en possession d'un marché, pour avoir un avantage
que n'aurait pas une industrie similaire, à sa naissance, établie dans un autre
pays. Je pense, et je suis heureux de trouver l'opinion de M. de Theux conforme
à la mienne, je pense que vous devez adopter la loi non comme temporaire, mais
comme permanente. Car si vous la déclarez permanente, d'antres établissements
seront fondés, ils feront des sacrifices qu'ils ne feraient pas sans cette
circonstance, et ainsi cette concurrence établie chez nous et au profit de la
classe ouvrière préviendra les dangers qu'on vous a signalés. J'ai la
conviction que la filature à la mécanique prendra des développements qu'elle ne
peut pas atteindre aujourd'hui.
Ainsi, messieurs, si la loi
n'était adoptée que pour trois ans, les progrès qu'on peut espérer d'une loi
permanente seraient paralysés. Si après ce délai cette industrie pouvait se
passer de la protection qu'on lui accorde, on serait
toujours à même de la retirer. Par ces motifs je ne suis disposé à accorder un
vote favorable à la loi qu'autant que la chambre lui donnera le caractère de
continuité.
M. Desmet. - J'ai demandé la parole quand M. Dumortier a
dit que
J'ai vu avec plaisir qu'il
pensait avec moi que le fil à la main est meilleur que le fil à la mécanique.
Mais il n'est pas exact de dire que celui-ci à soit meilleur marché que
l'autre, car pour une masse de numéros, les fils à la mécanique venant de
l'étranger ne sont pas aussi bon marché que nos fils faits à la main. Les
toiles sont meilleures quand elles sont faites avec du fil à la main ; vous ne
dites pas si on gagne ; mais on paye la toile d'après sa valeur. La raison pour
laquelle un grand nombre de fils à la mécanique sont plus chers que vos fils à
la main, est que, pour le fil à la main, il n'y a pas de frais généraux, il
suffit de trois francs pour le rouet, tandis que les sociétés pour le filage à
la mécanique ont des millions employés dans les frais généraux et qu'il faut en
payer les intérêts.
Pour les tempes
On nous a reproché de n'être
pas progressifs. En Allemagne on l'est ; c'est reconnu ; on est toujours à la
recherche du nouveau. Eh bien, emploie-t-on la navette volante et le fil
mécanique pour le tissage de la toile ? Non ; on se moque de vous quand on en
parle ; on pense qu’il est impossible de faire une bonne toile avec du fil
mécanique.
Mais, messieurs, je ne puis
comprendre comment on ne sent pas toute l'importance de conserver en Belgique
le filage à la main, seul pays du monde entier où on le fait dans une si grande
perfection ; n'est-il pas clair que, dans une époque de concurrence aussi forte
et aussi universelle que celle qui existe aujourd'hui, il faut fabriquer ce que
les autres pays ne fabriquent point, il faut faire ce qu'un autre ne fait
point. Eh bien ! votre pays est dans cette position
exceptionnelle ; nulle part on ne fait un fil de lin aussi bien et aussi bon
que chez nous, et par conséquent nulle part on ne fait d'aussi bonnes et
d'aussi belles toiles. Conservez cette bonne fabrication, et vous êtes certains
de conserver une bonne part dans le commerce des toiles. Votre pays sera
toujours recherché.
Mais si vous allez changer
votre mode de filage, si vous allez faire ce que tout le monde fait, vous n'aurez
plus d’avantage sur les autres et vos toiles ne seront plus préférées.
Aujourd'hui vous livrez encore pour trente à quarante millions de toiles
en France ; abandonnez votre bon mode de fabrication, on fabriquera aussi bien
que vous en France, et elle n'aura plus besoin de vos toiles.
Mais, dit l'honorable M.
Dumortier, il faut imiter les Anglais, car ils livrent sur tous les marchés du
monde. - Ce n'est pas à cause de la qualité de leurs produits, mais bien parce
qu'ils ont eu soin de protéger efficacement leur commerce et leur marine
marchande, qu'ils ont réussi à étendre leur commerce extérieur et se faire des
marchés sur tous les points du monde. Si les Anglais pouvaient aussi bien
fabriquer que nous, ils ne tarderaient pas à nous imiter. Demandez-le aux
Irlandais, qui sont leurs meilleurs fabricants de toiles, ils vous diront
comment les Flamands travaillent bien et combien ils sont avancés dans l'industrie ; ils nous jugent tout autrement que M. Dumortier.
Je crois en avoir dit assez,
M. Rodenbach. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques
mots à l'honorable député de Tournay.
On fuit des toiles légères
pour lesquelles on emploie le fil mécanique parce que les toiles ainsi faites
sont à meilleur marché. Je pense que le gouvernement doit protéger les deux
industries. Nos commis voyageurs en Espagne doivent pouvoir présenter aux
consommateurs les deux articles et leur dire : Voulez-vous des toiles solides
comme les anciennes, voilà des échantillons à tels et tels prix ; voulez-vous
des toiles légères comme les toiles anglaises, nous en faisons aussi. Il est
vrai que chez vous le fer et la houille coûtent plus cher qu'en Angleterre, nous
avons sous ce rapport un certain désavantage. C'est pour cela que nous devons
écarter les fils anglais, puisque nos filateurs nouveaux ont besoin de
protection. Je ne pense pas que dans trois ans il faudra encore des fils
anglais pour certaines industries ; ainsi la loi ne doit pas être temporaire.
C’est à tort qu’on reproche
à nos industriels d’être stationnaires, car beaucoup se ruinent en innovations.
Je sais que l’honorable M. Dumortier est très progressif. Sans vouloir attaquer
la ville de Tournay, je dois dire cependant que pour la bonneterie cette ville
est stationnaire. Il y a environ trois semaines que j’ai visité au faubourg de
Flandre un atelier de bonneterie dont j’ai été émerveillé ; le gouvernement, je
crois, lui a accordé un subside de 15 à 20 mille francs.
Cet industriel était allé à
Tournay où il se proposait d’établir ses machines, mais il a dû quitter cette ville craignant pour ses
jours. C’est lui-même qui me l’a dit. On sait que quand j’avance une chose
c’est que je suis sûr qu’elle est vraie.
M. Dumortier.- Ces
machines existent à Tournay.
M. Rodenbach. - Maintenant il y en a peut-être quelques-unes,
mais il n’y a pas longtemps.
Messieurs, la protection
permanente que nous réclamons n’est pas trop élevée. Voyons ce qui se passe en
Angleterre : quand il entre en Angleterre pour 100 millions de marchandises, le
gouvernement perçoit 45 millions de droit. Qu’on ne nous parle donc pas du
libéralisme anglais. Quel est le tarif en Angleterre ? Il est de 20 à 25 p.c.
pour nos toiles et nos fils, cependant les Anglais sont plus avancés que nous.
Là on protège l’industrie nationale, ici au contraire nous consentons à tout
recevoir de l’étranger sans songer à protéger notre travail intérieur.
Quand le fil à la mécanique
suffira pour la consommation des tisserands, supposé qu’il soit plus cher que
le fil anglais, la mesure sera toujours favorable à nos 300 mille fileuses, car
la concurrence que leur fera notre fil à la mécanique sera moins forte que
celle du fil anglais. Mieux vaut protéger les mécaniques indigènes que les
mécaniques anglaises ; la transition pour nos fileuses sera moins brusque ; par
ces motifs je vote pour la permanence de la loi.
M. Dumortier. - Je
crois que les honorables préopinants, dont je respecte les opinions, m'ont mal
compris. Je n'ai pas dit que
Je désire que le
gouvernement emploie une partie des fonds qui lui sont accordés pour
l'industrie linière, à encourager l'amélioration des métiers.
Les observations judicieuses
de M. Delehaye, relativement à la quiétude qu’il faut donner à ceux qui veulent
établir des mécaniques, me porteront à voter la permanence de la loi.
Quant aux
métiers de bonneterie dont a parlé l'honorable M. Rodenbach, il peut être
tranquille, il y a longtemps qu'on se sert de ces métiers à Tournay.
M. Demonceau. - Une législation permanente offre cet avantage
qu’elle laisse à l’industrie le moyen de se développer sans crainte pour
l’industriel de voir ses intérêts compromis à l'expiration du terme fixé à la
loi qui lui sert de protection.
Je pense donc que, dans
l’intérêt de l’industrie, il faut une loi permanente. D’ailleurs, avec la
permanence, si l’on trouve des inconvénients à la loi, on peut la modifier.
S'il est bien vrai, comme quelques collègues l’ont assuré (et le gouvernement
nous dit que la moyenne est telle) que la protection résultant de la loi
proposée n'excède pas 10 p.c., je pense qu’on doit adopter cette protection,
dans l'intérêt de l’industrie. On dit : Mais, c’est aussi protéger l'industrie
à la mécanique. Je reconnais que la loi protège
plutôt l’industrie à la mécanique que l’industrie à la main. Mais si les
prédictions de plusieurs honorables collègues sont vraies, s’il est vrai que la
filature à la main doive être remplacée par la filature à la mécanique, c'est
une raison de plus pour protéger la filature à la mécanique ; car nous
conserverons ainsi la main-d'œuvre pour cette partie ; nous pourrons livrer à
nos tisserands les produits nécessaires pour les toiles, de sorte qu'ils
n’auront pas besoin de les faire venir de l'étranger.
Je ne connais pas assez
l'industrie linière pour en raisonner ; mais dans le district que j'habile nous
avons assisté à une grande révolution dans l'industrie drapière ; lorsqu'on a introduit des mécaniques à filer
la laine, il semblait alors que cette industrie allait être ruinée ; heureusement
nos industriels se sont conduits de manière à éviter cette ruine. Vous avez vu
par les produits qu'ils avaient envoyés à l’exposition que l'industrie drapière
a l'avantage (je ne sais si l'industrie des toiles peut obtenir également cet
avantage) de produire des draps solides et des draps légers. Ainsi l'on peut
contenter un plus grand nombre de consommateurs. Si vous pouviez parvenir aussi
à satisfaire au goût de ceux qui veulent de la toile solide, et de ceux qui
veulent de la toile légère, il me semble que ce serait un grand avantage pour
D’ailleurs, je répète, une
protection de 10 p. c. est tellement raisonnable qu’elle ne peut se refuser.
Et, si nous comparons notre système douanier avec celui de l'Angleterre, qu'y
voyons-nous ? Des droits bien autrement élevés que celui de 10 p. c., de manière que l’Angleterre, si libérale en parole, ne
l'est guère en fait. Elle ne laisse rien entre, elle aime à fournir à ses
voisins, mais elle ne reçoit d’eux que ce qu’elle ne peut pas produire. C'est
ainsi qu'elle agit à l’égard de
L'Angleterre nous enlève, me
dit-on à l'instant, une matière première, le lin brut. Voudrait-on qu'elle nous
le renvoyât filé ou tissé ? Cela ne ferait l'affaire ni de nos fileurs à la
main, ni des filatures à la mécanique ; ainsi quand même le tarif que nous
allons adopter frapperait l'Angleterre, celle-ci n'aurait pas le droit de se
plaindre, parce que le droit proposé est de 50 p. c. au-dessous de certains
droits établis en Angleterre.
Je
voterai pour la permanence de la loi, et la protection demandée de 10 p.c.
M. Delfosse. - L'augmentation des droits d'entrée sur les
fils ne soulagera pas ou soulagera peu les fileuses à la main, mais elle
accroîtra la prospérité de nos filatures à la mécanique. Voilà ce que la
discussion m'a appris.
J’ai dit à dessein que la
mesure proposée accroîtra la prospérité de nos filatures à la mécanique, car je
lis, dans l'exposé des motifs du gouvernement (page 5) que ces filatures
étaient, à l'époque de l'arrêté du 26 juillet 1841, dans une position
satisfaisante.
C'est donc pour protéger des
établissements qui n'avaient pas besoin de protection, qui étaient dans une
position satisfaisante, qu'on a pris une mesure que je considère comme
fâcheuse. On aura par là fait hausser des actions qui se trouvent dans je ne
sais quelles mains, peut-être dans les mains d'hommes qui ne sont pas étrangers
à la mesure.
J'ai qualifié, messieurs,
cette mesure de fâcheuse pour deux raisons : elle aura pour résultat inévitable
de faire renchérir nos toiles et d'en rendre le placement plus difficile sur
les marchés étrangers ; elle aura aussi pour résultat d'aggraver le sort de la
classe ouvrière. N'est-ce pas assez, messieurs, d'avoir rendu le pain plus cher
pour l'ouvrier ? Faut-il encore lui interdire en quelque sorte l'achat d'une
chemise !
J'admire, messieurs, la
contradiction qu'il y a entre les actes et le langage. J'entends souvent parler
dans cette enceinte de la classe ouvrière, de l'intérêt qu'elle inspire, de la
nécessité d'améliorer son sort, et beaucoup d'actes parlementaires ont, je ne
dirai pas pour but, mais pour conséquence de la rendre plus malheureuse.
J'entends aussi souvent
parler du manque de débouchés, de la nécessité de traités de commerce avec les
nations voisines, et tout ce que l'on fait a une tendance bien marquée à élever
le prix des productions nationales, en rendant plus chers les objets de
première nécessité, ce qui influe sur la main-d'œuvre, et en frappant de droits
d'entrée des objets que l'on peut considérer comme des matières premières,
c'est-à-dire que l'on veut des débouchés, et que l'on fait en même temps tout
ce qu'il faut pour ne pas en profiter. Avec ce système, si les marchés
étrangers nous sont un jour ouverts, nous y trouverons, non pas des
concurrents, mais des maîtres.
On se préoccupe beaucoup, je
le sais, du marché intérieur ; mais, faut-il pour conserver, ou, si on l'aime
mieux, pour reprendre ce marché, qui est tout à fait insuffisant et dont la
fraude, quoique nous fassions, nous enlèvera toujours une partie ; faut-il,
dis-je, prendre des mesures qui aboutiraient à nous exclure des marchés
étrangers ? C'est par le perfectionnement et le bas prix de nos produits, et
non par une protection préjudiciable aux consommateurs, dangereuse même pour
ceux qui l'obtiennent, que nous devons nous assurer le marché intérieur. C'est
par les mêmes moyens que nous vaincrons nos concurrents sur les marchés
étrangers, qui nous restent ouverts, et sur ceux qu'il faudra bien que l'on
nous ouvre encore un jour, car j'ai foi dans la raison publique. Elle saura
faire justice de tous ces préjugés qui retiennent encore les gouvernements dans
la vieille ornière du système prohibitif.
Lorsqu'en France, messieurs,
les intérêts privés s'opposent à l'adoucissement des tarifs, lorsqu'ils
parviennent à paralyser les bonnes intentions du gouvernement, nous crions à
l'égoïsme, nous accusons le gouvernement français de faiblesse ; n'allons pas
commettre la faute que nous reprochons à nos voisins ; que l'on ne puisse pas
nous répondre : Mais vous avez aussi vos égoïstes ; mais ils font aussi
la loi à votre gouvernement. N'accordons à nos industriels que la protection
qui leur est réellement due. Ils ont droit à une protection qui les dédommage
des charges imposées à la production nationale. Il faut aussi prendre en leur
faveur les mesures que des circonstances difficiles peuvent réclamer ; mais ces
mesures doivent être temporaires ; elles doivent cesser avec les
circonstances qui les ont fait naître ; si les industriels ont des titres à
notre sollicitude, les consommateurs en ont aussi.
Pour en revenir à nos
filatures mécaniques, elles sont, si j'en crois le ministre, dans une position
satisfaisante, on ne craint pour elles qu'une chose, c'est que les fabriques
anglaises ne déversent, ou comme le dit l'honorable rapporteur de la section
centrale, ne vomissent chez nous le trop plein qui les gêne en ce
moment. C'est là, messieurs, une circonstance tout accidentelle, qui ne me
paraît pas motiver suffisamment une mesure permanente. Une mesure temporaire
que l'on pourrait continuer, si les circonstances restaient les mêmes, serait certes suffisante.
Ces mêmes filatures, si j'en
crois l'honorable M. Delehaye, pourront un jour lutter avec avantage contre les
fabriques anglaises ; elles n'ont besoin de protection que parce qu'elles sont
dans l'enfance. C'est encore là une considération qui explique bien une mesure
temporaire, mais qui n'explique pas une mesure permanente.
La mesure doit donc être
temporaire. Si elle l'était, j'aurais moins de répugnance à voter pour
la loi ; bien que je trouve le droit de 10 p. c. trop élevé. Il n'y a ni dans
ce qui a été dit, ni dans les pièces qui ont été produites, rien qui
m'ait démontré la nécessité d'une protection aussi forte ; mais les
inconvénients d'un droit élevé, qui seraient très sensibles si la loi était
permanente, me frapperait moins dans une loi temporaire.
Quelques honorables membres
se prononcent pour la loi, et demandent même des mesures plus énergiques dans
l'espoir d'obtenir des concessions de nos voisins. Si tel devait être le
résultat de la mesure proposée, je m'y rallierais de tout cœur ; je me
rallierais aussi à toutes les mesures, quelque énergiques qu'elles fussent, qui
seraient présentées dans le même but. Mais je crains bien, messieurs, que les
honorables membres dont je parle ne se fassent illusion. Je crains bien que les
moyens auxquels ils veulent avoir recours n'amènent des représailles au lieu de
concessions. Nous n'avons pas perdu tout accès aux marchés étrangers, nos
exportations comptent pour quelque chose, l'on ne nous a pas encore fait assez
de mal pour que l'on ne puisse plus nous en faire et dans des matières aussi
délicates, qui touchent de si près aux plus graves intérêts, on ne saurait
mettre trop de prudence. Enfin pour terminer par une expression proverbiale, ce
n'est pas avec du vinaigre, mais avec du miel qu'on prend les mouches.
- La clôture, réclamée par une
partie de la chambre, est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M.
Cools, il est ainsi conçu :
« Je propose de limiter
à trois ans la durée de la loi. »
- Cet amendement n'est pas
adopté. Son rejet entraîne l'adoption par la chambre de la permanence de la
loi.
M. le président. - Nous passons maintenant à la question relative
aux exceptions.
Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, j'ai examiné la proposition qui vous a été faite par la
section centrale constituée en commission, relativement à la rubannerie et à la passementerie.
J'aurai quelques
observations à soumettre soit à la chambre, soit à la section centrale. Je
crois qu'il faut en quelques points adopter une autre échelle, une autre
gradation. Je pense qu'il faut faire une catégorie distincte de la
passementerie mélangée de soie. Peut-être, pourrait-on renvoyer la
question à la section centrale à laquelle je soumettrai les observations et les
faits que j'ai recueillis.
En attendant je crois qu'il est convenable qu'on insère au Moniteur
les tarifs français et allemand sur la passementerie et la rubannerie. (Le tableau des tarifs, non repris dans cette
version numérisée, est inséré au Moniteur du 20 janvier 1842)
-
La séance est
levée à quatre heures et quart.