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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 janvier 1840
Sommaire
1. Pièces adressées à la chambre
2. Projet de loi ouvrant un crédit pour pourvoir au payement du
complément de la pension de la veuve Mersch (de
Brouckere, Dumortier, de
Brouckere)
3. Projet de loi portant le budget des travaux publics pour l’exercice
1840. Discussion générale. Canal de l’Espierre : utilité, préjudice
flamand (notamment pour le canal de Bossuyt), constitutionnalité de la
concession, etc. (de Puydt, de
Foere, Delehaye, Desmet, de Puydt), motion d’ordre (Pirson, Dumortier, Nothomb, de Foere, Dubus (aîné), Nothomb, F. de Mérode, Pirson, Nothomb, Dubus
(aîné), Dumortier)
(Moniteur belge
n° 16 du 16 janvier 1840)
(Présidence de M.
Fallon)
M.
Scheyven procède à l’appel nominal à midi et demi. La séance est
ouverte.
M. Cogels-Dubois, admis dans une précédente séance, prête serment.
M.
Scheyven lit le procès-verbal de la
séance précédente, dont la rédaction est adoptée. Il présente ensuite l’analyse
des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Des habitants de la commune de
Novilles-les-Bois demandent que cette commune devienne le siège de la justice
de paix du canton de Huy. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet
de loi relatif à la circonscription cantonale.
___________________________
« Le sieur Poncelet, notaire à Florenville,
adresse des observations contre la proposition relative aux notaires de
Neufchâteau. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la
proposition relative aux notaires de Neufchâteau.
__________________________
« L’administration communale de la ville d’Eecloo
adresse des observations contre le projet de déplacement du chemin de fer entre
Gand et Bruges. »
- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
_________________________
« Des négociants en grains d’Anvers adressent des
observations sur le projet de loi relatif à l’exportation des farines. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet
de loi relatif à l’exportation des farines.
_________________________
« Le sieur Schoumacker, chef de pension à
Bruxelles, demande que la chambre s’occupe de la loi relative à l’instruction
primaire. »
« Le sieur Ruttens, détenu aux Alexiens à
Louvain, se plaint d’être reclus sans certificat de médecin et de n’avoir
jamais été visité par aucun officier de l’ordre judiciaire. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission
des pétitions.
_________________________
« Le sieur Hulet renouvelle sa demande en
naturalisation.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
_________________________
« Les conseils communaux de Tamise, Saint-Gilles
et Beveren (Flandre occidentale) adressent des observations contre les
pétitions qui demandent la prohibition du lin à la sortie ou un droit
élevé. »
- Sur la proposition de M. Cools, la chambre ordonne
l’insertion dans le Moniteur des deux pétitions qui sont écrites en français.
Elle envoie en outre les trois requêtes à la commission des pétitions avec
demande d’un prompt rapport.
_______________________
« Un grand nombre de négociants en toiles et fils
de lin, de cultivateurs, tisserands et de notables demandent qu’il soit établi
par une loi spéciale, des droits à la sortie sur les lins et les étoupes, et à
l’entrée, des droits plus élevés sur les fils et les toiles venant de l’étranger.
- Sur la proposition de M. de Foere, cette pétition
est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
________________________
« Des fabricants, négociants et voituriers de
Turnhout adressent des observations contre le projet de loi relatif à la
répression de la fraude en matière de douane. »
Sur la proposition de M. de Nef, la chambre ordonne
l’insertion de cette pétition au Moniteur et la renvoie à la commission des
pétitions avec demande d’un prompt rapport.
_______________________
« Les conseils communaux de Potte, Herinnes,
Pecq, Ohigies, Ramegnies, Escanaffles, Warcoing et Esquelmont réclament contre
le canal de l’Espierre et protestent contre le dommage que l’élévation des eaux
de l’Escaut causera aux propriétaires riverains de ce fleuve. »
- Sur la proposition de M. Dumortier, dépôt sur le
bureau pendant la discussion relative au canal de l’Espierre.
_______________________
« Le sieur P.-J. Nolet, nommé par la régence,
receveur communal à Ingeyghem, réclame contre une décision de la députation
permanente qui refuse de sanctionner sa nomination. »
« Des habitants d’Anvers, dont les propriétés ont
été incendiées par le bombardement de cette ville, demandent que la chambre
s’occupe de la loi relative aux indemnités. »
« Le sieur Herwyns, ancien conseiller de régence
et négociant de Venloo, demande qu’il soit pris des mesures en faveur des
habitants des parties cédées dont la fortune a été compromise par les
événements politiques, et qui sont rentrés en Belgique. »
« Sept gardes civiques d’Anvers demandent que la
loi sur la garde civique soit exécutée ou qu’ils soient remboursés de leur
uniforme. »
- Ces quatre requêtes sont renvoyées à la commission
des pétitions.
______________________
« Les greffiers des justices de paix de
l’arrondissement de Dinant demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de
l’examen de la proposition de M. Verhaegen.
_______________________
« Le sieur Lucien-Antoine Spinatch, adjudant
sous-officier au 14e régiment de réserve, né en Suisse, demande la
naturalisation. »
« Le sieur Jean-Adolphe Kolin, sergent au 14e
régiment de réserve, né en Suisse, demande la naturalisation. »
« Le sieur Charles Rosselet, sergent-major au 2e
régiment de chasseurs à pied, demande la naturalisation. »
« Le sieur Joseph Lignac, sergent de
sapeurs-mineurs à Liége, né en France, demande la naturalisation. »
- Ces quatre pétitions sont renvoyées à M. le ministre
de la justice.
_______________________
M. Dechamps informe par lettre M. le président qu’une
maladie grave de sa mère l’empêche de venir prendre part aux travaux de la
chambre.
- Pris pour notification.
_______________________
Le sénat fait connaître à la chambre, par plusieurs
messages, qu’il a adopté les projets de loi suivants :
Projet de loi de budget de la dette publique et des
dotations pour l’exercice 1840.
Projet de loi ouvrant des crédits et autorisant des
transferts aux budgets du département de la justice des exercices 1837, 1838 et
1839.
Projet de loi de budget des voies et moyens pour
l’exercice 1840.
Projet de loi du budget du département des affaires
étrangères pour l’exercice 1840.
Le projet de loi ouvrant un crédit provisoire de deux
millions au département de la guerre, pour les dépenses du mois de janvier
1840.
Le projet de loi du budget du département des finances
pour l’exercice 1840.
Le projet de loi fixant le contingent de l’armée pour
l’exercice 1840.
- Pris pour notification.
Rapport sur le projet de loi
ouvrant un crédit pour pourvoir au payement du complément de la pension de la
veuve Mersch.
M. de Brouckere – Messieurs, je suis chargé
de vous faire un rapport sur le projet de loi présenté par M. le ministre des
finances, le 5 décembre 1838, tendant à ce qu’il soit ouvert au département des
finances un crédit pour pourvoir au paiement du complément de la pension de la
veuve Mersch. Je vous ferai ce rapport verbalement, parce que je crois que la
chambre pourra prendre immédiatement une décision.
Le sieur Mersch, directeur honoraire de
l’enregistrement et des domaines, conservateur des hypothèques à Liége, mourut
le premier août 1835.
Le conseil d’administration de la caisse de retraite,
appelé à examiner les droits à la pension de la veuve, estima que cette pension
devait s’élever à 9,901 annuellement, à la charge pour elle de payer une somme
de 3,456 francs 5 centimes, due à la caisse de retraite pour contributions
extraordinaires sur le traitement de feu son mari, qui avait cessé d’être recouvrée
à partir du deuxième semestre de 1830.
Mais, dans les discussions qui avaient eu lieu
précédemment à la chambre, à l’occasion des demandes de crédits nécessaires au
service de la caisse de retraite du département des finances, le taux illimité
des pensions de cette caisse avait été vivement critiqué. Le ministre des
finances (M. d’Huart) avait pris l’engagement de ne plus allouer de pensions
qui excéderaient le maximum de 6,000 francs, fixé par la loi du 14 septembre
1814.
En conséquence, M. le ministre proposa à S.M., le 2
mai 1836, un arrêté qui statua que jusqu’à disposition ultérieure, il ne serait
inscrit et payé, au profit de la dame veuve Mersch, qu’une pension de 6,000
francs. Cet arrêté disposait également que le recouvrement de la somme susmentionnée
de 3,456 francs 5 centimes, serait provisoirement tenu en suspens.
La dame veuve Mersch adressa à la chambre une
réclamation contre cet arrêté du 2 mai, réclamation que la chambre renvoya à M.
le ministre des finances. Le ministre vit dans ce renvoi, qui eut lieu le 23
février 1838, une manifestation du désir qu’avait la majorité de la chambre que
l’intégralité de la pension réclamée par la dame veuve Mersch lui fût payée. Il
proposa donc, le 5 décembre 1838, un projet de loi qui avait pour but de
demander une allocation de 9,871 francs 95 centimes, qui lui était nécessaire
pour payer le complément de la pension, la différence entre 6,000 francs et
9,901 francs depuis le moment où la pension avait commencé à courir jusqu’à la
fin de l’exercice 1838.
Mais voici comme M. le ministre des finances termine
son exposé des motifs à l’appui du projet de loi :
« L’adoption de cette demande (dit-il) est non
seulement nécessaire pour pouvoir faire droit à la réclamation de la veuve Mersch
sous le rapport de la question d’argent, mais elle est encore indispensable
pour le relevé de l’engagement pris par lui, et qui a motivé l’arrêté qu’on
demande à faire rapporter, et enfin pour fixer le gouvernement sur
l’application à donner aux dispositions du règlement du 29 mai 1822 en ce qui
concerne les pensions dont la liquidation d’élève au-dessus du taux de 6,000
francs. »
Vous voyez donc que l’adoption du projet de loi
n’aurait pas pour unique résultat de mettre le gouvernement à même de payer à
la dame Mersch le complément de sa pension, telle qu’elle a été liquidée par le
conseil d’administration de la caisse de retraite, mais qu’elle entraînerait
implicitement l’autorisation pour le gouvernement d’allouer à l’avenir, sur ces
causes, des pensions excédant 6,000 francs et pouvant aller à un taux illimité.
La section centrale ne pense pas qu’une question de
cette gravité puisse être ainsi résolue d’une manière indirecte. Elle estime
que cette question doit être, de la part de la chambre, l’objet d’un examen et
d’une discussion spéciale. Or, cet examen et cette discussion auront
nécessairement lieu, quand la chambre s’occupera de la loi générale des
pensions. Cela est d’autant plus exact que nous avons acquis la certitude
qu’une section a proposé à cette dernière loi un article additionnel ainsi
conçu : « Tous les droits assurés aux fonctionnaires actuels de
l’administration financière par les lois et règlements existant sur cette
matière leur seront conservés pour la possession et la réversion », et
qu’une autre section a proposé également un article additionnel tendant à
maintenir tous les droits antérieurs des fonctionnaires, sauf que les pensions
ne pourront dépasser le maximum de 6,000 francs, à l’exception de celles des
ministres.
Il résulte de là que la section centrale, chargée
d’examiner la loi générale des pensions, devra présenter une conclusion sur ces
deux propositions.
En conséquence, nous croyons devoir vous proposer de
renvoyer le projet de loi présenté le 5 décembre 1839 à la section centrale
chargée de l’examen de la loi générale des pensions, qui comprendra ce projet
de loi dans le rapport qu’elle a à vous faire.
Nous croyons aussi devoir vous faire une autre
proposition ; c’est d’engager cette section à présenter son rapport dans
le plus bref délai possible et de décider que la loi générale des pensions sera
mise à l’ordre du jour immédiatement après les budgets.
M. le président – S’il n’y a pas d’opposition, je déclarerai les conclusions de
la section centrale adoptées.
M.
Dubus (aîné) – Ce doit être subordonné à
l’hypothèse que nous serons mis en possession du rapport de la section centrale
assez tôt pour pouvoir l’examiner.
M. de Brouckere – Oui certainement, c’est
ainsi que l’entend la section centrale.
M. le président – Le travail de la section centrale est presque terminé.
M.
de Behr – Avant de mettre la loi à
l’ordre du jour, il faudrait avoir le rapport ; car il peut arriver qu’il
s’élève des difficultés dans le sein de la commission.
M. Dumortier – J’ai été frappé de
l’élévation du chiffre de la pension dont il s’agit. Il s’agit d’une pension de
9,901 francs pour une veuve ; et comme la pension d’une veuve est
inférieure d’un tiers à celle qu’aurait eue son mari, M. Mersch aurait eu une
pension de près de 15,000 francs. Comment, une pension de 15,000 francs !
15,000 francs le traitement d’un gouverneur de province. J’appelle l’attention
de l’assemblée sur l’élévation de ce chiffre, afin qu’elle ne soit pas prise à
l’improviste, quand elle s’occupera de la loi générale des pensions.
En France, le maximum des pensions, même pour les
ministres, est de 6,000 francs. Avec votre système de ne pas limiter le
chiffres des pensions, si un de vos ambassadeurs au traitement de 80,000 francs
venait à mourir, vous seriez obligés d’allouer à sa veuve une pension de 60,000
francs. La chambre comprendra d’après cela qu’elle doit être en garde contre le
système qui consiste à ne pas fixer de maximum pour le chiffre des pensions.
Pour moi, je crois que le maximum des pensions devrait être en Belgique comme
en France de 6,000 francs.
M. de Brouckere – Il est à remarquer que M. Dumortier est entré dans le fond
de la question, tandis que la question soulevée est relative au renvoi. Quant
aux craintes sur les abus qui pourraient avoir lieu d’ici au moment où la loi
sera révisée par les chambres, je ferai observer que le ministre des finances a
pris l’engagement de ne plus accorder de pensions, sur la caisse des retraites,
dépassant 6,000 francs ; et je crois que le ministre actuel des finances
est lié par les engagements pris à cet égard, par son prédécesseur.
M.
Dumortier – Ce que j’ai dit est pour
montrer que la matière est grave. Je ne veux pas que d’ici à la décision
législative personne vienne demander des pensions s’élevant à 15,000 francs.
M. le président – La chambre sera consultée relativement à l’époque de la
discussion du projet sur les pensions quand le rapport en sera présenté.
M. de Brouckere – La section centrale chargée
d’examiner la loi sur les pensions n’est plus complète : La cinquième
section de mars 1838 avait nommé M. Corneli ; elle doit être invitée à le
remplacer.
______________________
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) annonce que son rapport sur
les adjudications des sables de mer pour le chemin de fer est imprimé et qu’il
sera distribué aux membres de l’assemblée demain.
Discussion générale (canal de l’Espierre)
M.
de Puydt – Lorsque, dans une séance
précédente, l’honorable ministre des travaux publics est venu, préalablement à
toute attaque motivée, donner sur l’affaire du canal de l’Espierre les
explications qu’il avait spontanément promises, il a osé espérer que par là il
empêcherait tout débat dans cette chambre.
Moi-même, après avoir entendu ces explications si
développées et si lumineuses, j’ai pensé à mon tour, dans ma conscience de
représentant et d’ingénieur, que la discussion devenait impossible.
Je l’ai pensé comme représentant, parce qu’un acte
d’administration, accompli sous la responsabilité d’un ministre, me paraît à
l’abri de tout blâme du moment qu’il est justifié par des considérations
d’intérêt général aussi évidentes, et sous la garantie des formes exigées par
la loi et si religieusement observées qu’elles l’ont été dans cette
circonstance, comme le prouvent les enquêtes et l’instruction minutieuse qui
ont précédé la décision prise en faveur du canal de l’Espierre.
Je l’ai pensé comme ingénieur, parce que les faits
matériels qui servent de motifs au projet, les calculs sur lesquels il se
fonde, et les avantages promis au commerce et à l’industrie du pays, affectent
si clairement le caractère de l’intérêt général et sont à mes yeux si vrais et
si bien établis que les adversaires de ce canal n’ont plus de refuge que dans
des calculs d’intérêts particuliers.
J’ai vu avec regret que nous étions dans l’erreur et
que l’esprit de localité ne s’apaise pas aussi facilement, quand un espoir
trompeur le pousse à l’opposition.
Cependant, messieurs, après deux jours de discussion
et lorsque les organes de ceux qui se croient personnellement lésés par cette
concession ont déroulé devant nous leurs griefs, j’étais à peu près décidé à me
taire, et je n’ai pu voir, dans les moyens qu’ils ont fait valoir, que des
arguments déjà produits, depuis plusieurs années, sous toutes les formes,
arguments que l’instruction légale de cette affaire avait réduits à néant et
que les explications du ministre venaient encore de combattre par avance.
Dans cet état de la question, que pouvait-il y avoir à
dire, après tout ce qui avait été dit dans la séance du 26 décembre 1839.
J’avoue que je me serais trouvé très embarrassé de prendre part à une
discussion épuisée dès le premier jour, et qu’une aveugle obstination seule
pouvait prolonger.
Mais, à la suite de ces premiers orateurs, vous avez
entendu un honorable représentant de Courtray développer la question sous un
autre aspect, et par des développements, sinon concluants, au moins très
spécieux, nous sortir du cercle des intérêts privés, prétendument froissés, et
appeler l’attention de la chambre sur des projets où les intérêts généraux de
Deux systèmes ont été exposés. L’un tout français,
tendant à créer une grande navigation parallèle à la frontière ; destiné à
lier le bassin de
L’autre, tout belge, est destiné à paralyser les
projets de
Dans cette nouvelle position de la question, je n’ai
plus pensé qu’il fût convenable, qu’il fût possible de me taire : nous
sommes entraînés dans une discussion où les considérations d’art sont tellement
liées aux faits, que les conséquences à en tirer ne peuvent être exactes ou
admissibles qu’en se déduisant d’un accord parfait entre les unes et les
autres.
Or, comme la navigation intérieure des départements
limitrophes de
La tâche que je m’impose me paraît d’autant plus
facile qu’elle permet de suivre un ordre méthodique qui nous livre chacune des
questions séparément et dégagées des complications dont on les avait
enveloppées depuis quelques temps.
Je m’efforcerai de prouver que non seulement il
n’existe pas de projet de navigation en France pour atteindre le but dont il
s’agit, mais que ce projet, en supposant qu’il eût jamais été conçu, est
aujourd’hui rendu impossible par des empêchements invincibles : que dans
tous les cas, il ne pourrait avoir les conséquences qu’on lui attribue.
Je m’efforcerai de prouver aussi que, si le projet de
navigation à établir en Belgique, du Hainaut à la mer du Nord est possible
physiquement, et sous le rapport de l’art, il est jusqu’à présent impossible
commercialement, c’est-à-dire que le moment de les exécuter n’est pas encore venu.
Car, messieurs, chaque canal, chaque route à faire, a
son temps propre pour devenir nécessaire. Les communications se font rarement a
priori ; il faut une certaine maturité industrielle pour en justifier
l’opportunité.
J’établirai ensuite que le canal de l’Espierre, qui se
trouve essentiellement dans ces conditions de vitalité, est étranger aux divers
projets dont il s’agit ; qu’il ne favorise pas ceux que
Pour ce qui regarde le canal de Bossuyt isolément, je
démontrerai qu’il n’est d’aucune utilité actuelle ; que ce canal ne
remplacerait pas celui de l’Espierre qui, dans tous les cas, comme je viens de
le dire, n’en gênera pas la construction, lorsque le moment sera venu de le
faire avec un avantage réel pour les Flandres.
Enfin, répondant à divers orateurs qui ont voulu
démontrer que le canal de l’Espierre n’avait qu’une utilité restreinte au seul
marché de Roubaix, je prouverai que cette utilité s’étend aussi au marché de
Lille nonobstant ces calculs.
Occupons-nous d’abord du but caché qu’on a prêté à
l’Espierre.
Le système dénoncé par l’honorable représentant de
Courtray, a pour tout fondement un passage d’un mémoire publié en 1820 par M.
Cordier, alors ingénieur en chef des ponts et chaussées du département du Nord.
Je vais messieurs, vous donner connaissance de ce
passage.
« Les rivières et vallées du département du Nord vont
parallèlement de l’ouest à l’est, et tombent en Belgique ; leur hauteur
au-dessus du niveau de la mer est en raison de leur éloignement des côtes.
Ainsi la vallée de
Landrecies est le point culminant et le nœud essentiel
de la navigation du département du Nord. De ce point on peut ouvrir quatre
canaux ; le premier de
Le canal de
Supposons maintenant que tous ces
travaux soient exécutés ; que le canal de
Je considérerai ce système sous deux points de vue :
Sa possibilité physique et ses
résultats hydrauliques. Sa possibilité commerciale et ses résultats commerciaux
en ce qui concerne
L’intention annoncée dans le mémoire
de M. Cordier, consisterait à réunir le bassin de
Pour bien apprécier les résultats hydrauliques de ce projet, il faut commencer par se rendre compte de l’importance des écoulements.
Le bassin actuel de l’Escaut en France reçoit les eaux d’une surface de territoire d’environ 178 lieues carrées, mesurées sur la carte hydraulique des ponts et chaussées.
Ce sont les eaux de cette surface qui arrivaient autrefois en Belgique par Mortagne.
Le cours de la rivière dans cette
étendue est d’à peu près
Le bassin de l’Escaut est lié à ceux
de l’Oise et de a Scarpe et de
Il faut déduire de la surface primitive du bassin, les plans compris dans le système d’alimentation des points de partage de ces deux canaux, ce qui a réduit les eaux arrivant aujourd’hui en Belgique, à celle d’une surface de 158 lieues carrées.
Quelle serait la diminution de ces eaux par suite du projet de M. Cordier ? Voilà une première question.
D’abord, toutes celles appartenant
au terrain supérieur à l’embouchure de
Ensuite, celles du bassin affluant
de
La partie du bassin de l’Escaut dont les eaux continueraient à entrer en Belgique malgré l’exécution du projet, serait donc à 116 lieues, au lieu de 158 lieues. L’Escaut, à son arrivée à Mortagne, serait donc en apparence réduit aux 5/7 de son importance totale.
Je dis en apparence, parce que le
produit d’eau n’est pas proportionnel aux surfaces, il est plus ou moins
abondant selon la nature du terrain et sa forme. Toute la contrée, en remontant
de Cambray vers les sources de l’Escaut, est un pays crayeux, découvert et qui
produit peu d’eau ; on doit remarquer même que, sur un développement de 10
à 12 lieues à travers cette partie de son bassin, l’Escaut n’a pas un seul
affluent ; tandis qu’à l’aval du canal de
Quoi qu’il en soit, je n’hésite pas à déclarer que, dans cette situation, l’Escaut belge, loin de perdre ses moyens de navigation, pourra au contraire être canalisé d’une manière plus efficace ; et, pour faire juger par comparaison l’importance de la rivière à son arrivée à Mortagne serait alors ce quelle est aujourd’hui en sortant de Valenciennes ; or, personne ne s’avisera de dire que la navigation entre Valenciennes et Mortagne soit moins facile qu’après son entrée en Belgique. C’est au contraire là qu’elle est la plus active, puisque Condé est le nœud de trois directions différentes.
Sous le rapport hydraulique, le projet dont on nous a menacés, n’offre donc pas de danger réel pour l’Escaut ; il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser ses résultats comme je viens de le faire.
Par des observations analogues, on
peut juger de l’influence du même projet sur
Le bassin de
La grande ligne de déviation
mentionnée dans l’ouvrage de M. Cordier, n’exercerait aucune action nouvelle
sur
Ainsi donc les eux de
Voilà donc quel serait, pour nos
rivières, les effets d’une entreprise présentée comme si funeste à l’avenir
commercial : Un cinquième de moins sur la quantité d’eau que charrie
l’Escaut, un septième de moins sur celle de
Mais, d’un autre côté, considérez
les conséquences de ce projet pour
La section de l’Escaut comprise entre Valenciennes et Bouchain, dont la navigation est si importante pour les établissement d’Anzin, de Vieux-Condé et de Doucky, se trouverait réduite au produit du ruisseau l’Escaillon, et aurait perdu par conséquent plus des ¾ de ses eaux.
Il résulte donc de là que si ce projet
n’exerce aucune influence sous le rapport hydraulique sur nos voies navigables,
il nuit au contraire au système de navigation de
Tous ces faits, messieurs, je les énonce positivement et non sous forme de doute. Chacun peut vérifier les calculs, apprécier les résultats que j’indique et rester convaincu que le détournement d’une partie des eaux du bassin de l’Escaut n’intéresse en rien l’état matériel et physique de la navigation en Belgique.
Voyons maintenant la possibilité d’exécution de ce projet.
M. Cordier, comme nous l’avons vu,
dit, dans son mémoire : « Supposons que ces travaux soient
exécutés » ; c’est-à-dire le canal de
« Supposons, ajoute M. Cordier,
que le canal de
« Puissent être jetées. » Remarquez l’expression ; car, en effet, ici est l’impossibilité. M. Cordier ne vous présente pas ses idées comme un projet à exécuter, mais comme un projet qu’on ne peut plus exécuter, qu’il regrette de voir impossible. C’est là le sens vrai de cette phrase, et en voici la preuve :
Le projet de canal de
Ce dernier projet consistait en un
canal de niveau entre l’Escaut et
Les eaux de l’Escaut supérieur et de
Cependant le génie militaire, sans
l’intervention duquel il est impossible de faire adopter des travaux qui
peuvent intéresser aussi directement la défense des places frontières, s’est
opposé formellement à cette disposition, et sur la proposition de M le
directeur général Rogniat, inspecteur-général du génie, on a
décidé l’établissement d’un bief de passage pour le canal de
La faculté qu’offrait le projet de M. Cordier de rejeter à volonté les eaux d’un côté ou de l’autre, pour augmenter les inondations défensives de différentes places, a paru au contraire un grand inconvénient, en ce que le canal de niveau, placé hors de l’influence des forteresses, pourrait servir à l’ennemi, pour détendre les inondations, ce qui faciliterait les travaux d’attaque au lieu de les gêner, comme le pensait M. Cordier.
Nous voyons donc, d’après la
condition posée par le génie militaire, et suivant laquelle le canal de
Les principes de défense, dont la
conservation est confiée en France au comité des fortifications, ne fléchissant
devant aucune considération, M. Cordier lui-même en a vu un nouvel exemple,
dans la résistance qu’il a éprouvée à cet égard pour l’adoption du canal de
jonction de
Mais, messieurs, ce n’est pas tout, et nous ne sommes pas au bout des impossibilités de ce genre.
Cette ligne de navigation à diriger
depuis
M. Cordier dit plus loin :
« Supposons (car ce sont toujours des suppositions qu’il nous présente), supposons encore qu’un nouveau canal parte des Fontinettes, évite Saint-Omer, arrive à Wallen et de Wallen à Bourbourg en longeant l’Aa. »
Pourquoi faut-il un nouveau canal sur ce point où la ligne navigable existe ?
C’est que cette ligne navigable qui
n’a précisément entre Aire et la rivière d’Aa qu’une profondeur de
Il faut donc lui donner une plus grande profondeur, et c’est là ce que nos honorables adversaires considèrent comme praticable, parce qu’ils ne connaissent pas les faits, M. Cordier les connaissait, lui, qui nous signale les obstacles dont son projet est hérissé. Néanmoins il tombe dans l’erreur à son tour, par l’indication des moyens d’y remédier.
Le canal d’Aire à Saint-Omer a été
construit sous la direction et est resté sous la surveillance du génie
militaire, quoiqu’il fasse partie d’une ligne navigable. A partir des
Fontinettes, c’est-à-dire avant d’arriver à Saint-Omer, le niveau de son
plafond est mis en rapport avec le repère des eaux d’inondation de la place.
Cette condition a influé sur son tirant d’eau, réduit invariablement à
Mais il oublie que faire un canal
des Fontinettes à Watten, en évitant la place de Saint-Omer, c’est se placer
dans la même position où il se trouvait avec le projet de canal de
En effet, pour donner à ces canaux un plus grand mouillage, il y a deux moyens :
Approfondir le plafond :
Elever la flottaison en augmentant le relief des digues.
Le premier moyen est impraticable à cause du génie militaire : je pense qu’on ne contestera plus ce fait.
Le second moyen a d’autres inconvénients : d’abord, les canaux existant à l’aval de Saint-Omer servent au desséchement ; en surélevant leur plan de flottaison, on ne pourrait plus y introduire les eaux affluentes et une grande partie de ce pays se trouverait converti en marais.
Ensuite, la constitution du sol est telle, qu’on ferait difficilement un canal étanche du moment qu’il faudrait l’élever au-dessus du terrain naturel sur une grande longueur.
Enfin, le système d’alimentation dans ce cas exigerait des retenues supplémentaires, d’autant plus difficiles à obtenir, que les eaux n’appartiennent pas à la navigation seule, mais appartiennent aussi au génie militaire.
Rien n’autorise donc à croire à la
possibilité d’amélioration dans la ligne des canaux existant entre
C’est en 1822, c’est-à-dire deux ans
après la publication du mémoire de M. Cordier sur la navigation du département
du Nord, que le canal d’Aire à
« Il a été décidé, dit M. Huerne de Sommeuse, dans son ouvrage sur les canaux, par la commission mixte des corps royaux du génie et des ponts et chaussées, que le canal serait à point de partage, pour éviter qu’on pût, par sa direction, dériver les eaux de la haute Deule qui servent aux inondations de Lille. »
Vous voyez bien par tous ces faits,
qu’il n’est pas possible de s’occuper de la construction ou de l’amélioration
d’une seule branche des nombreux canaux dont se compose la navigation
intérieure des départements limitrophes de
La navigation intérieure dans les
départements limitrophes de
Aussi tout ce que
Si l’on fait plus tard un canal d’Hazebrouck à Bergues, chacune des communications précédentes aura une nouvelle branche qui leur sera commune ; mais cette fois encore la question de la concurrence pour les Flandres restera intacte, parce que le canal d’Hazebrouck se trouvera comme les autres dans le cercle d’action des forteresses dont la défense doit être assurée avant tout. Il y aura dans ce cas une ligne de plus vers Dunkerque, présentant des avantages aux localités comme toutes celles que l’on peut faire, mais ne présentant aucun avantage général au transit et aux expéditions de Mons à la mer.
Je crois, messieurs, en avoir dit assez sur cet objet : vous devez être convaincu comme moi maintenant que le prétendu projet attribué à M. Cordier n’était déjà plus un projet à l’époque où son ouvrage a été publié. La manière dont il en parle le prouve, et les faits que je vous ai cités vous donnent le sens véritable de ce passage de son mémoire, dont on s’est appuyé pour supposer un système nuisible au pays et qui serait le but caché du canal de l’Espierre.
En résumé, je crois avoir suffisamment établi et démontré que, même dans le cas d’exécution d’une dérivation des eaux de l’Escaut, il n’en résulterait cependant aucun préjudice pour notre navigation.
Quoiqu’il soit démontré par tout ce
que je viens de dire que le système attribué à
La navigation des départements du
Nord de
Ces deux dernières jonctions ne font
rien à la question actuelle ; nous ne nous occuperions que de l’Escaut et
de
L’usage commun des canaux des deux pays intéresse deux espèces de transport :
Ceux qui se font avec concurrence entre les producteurs français et belges, sur différents marchés ;
Ceux qui se font sans concurrence, soit par l’un, soit par l’autre pays.
Le système de canaux destinés à
faire communiquer
1° S’il pouvait donner aux producteurs français des avantages nouveaux sur les marchés où nos producteurs font concurrence aux premiers ;
2° S’il pouvait nous exclure des marchés que nous exploitons seuls.
Les marchés que nous exploitons en
concurrence avec
Lille et Roubaix, ou autrement dit, le centre du département du Nord ;
Dunkerque ;
Le bassin de
Les marchés que nous exploitons sans concurrence se trouvent en Belgique : un seul pourrait être influencé par les modifications dont les canaux français sont susceptibles :
C’est le marché de la haute Lys.
Comme les transports communs vers ces différents lieux de consommation se composent de charbons de terre, les producteurs français nos concurrents sont les établissements d’Anzin, Vieux-Condé et Douchy.
Il faudrait, pour qu’un tort quelconque nous fût fait, que ces établissements pussent obtenir par le système de navigation supposé, des avantages nouveaux, que ne leur donne pas la navigation actuelle, ou que les producteurs belges rencontrassent dans les voies navigables existantes, des obstacles qu’aurait créé ce système.
La question ainsi posée, procédons à sa solution.
Ici, messieurs, c’est encore une fois à M. Cordier que j’aurai recours, et c’est à l’aide du mémoire dont nous avons déjà cité des passages que je vais détruire tous les doutes.
A la suite de ce que j’ai lu sur la description du mouvement des eaux, par les différents canaux énumérés, on trouve :
« Ces travaux ne sont point
gigantesques et seraient soumissionnés par des compagnies, parce qu’on sait déjà
en prévoir les avantages. Le commerce prendrait une extension
extraordinaire : en huit jours on transporterait les bois et les marbres
de
Cet ensemble de canaux, liés entre
eux et présentant une ligne continue, parallèlement à la frontière, depuis
Tel devait être le but commercial du projet dont il s’agit ; et, vous le voyez, pas un mot dans tout cela n’intéresse les transports de notre navigation. Nous n’avons, et nous ne pouvons avoir aucune prétention que les échanges de marchandises mentionnés dans ce que je viens de lire viendraient contrarier ; il est question ici de marchés sur lesquels nous ne sommes pas en concurrence avec les producteurs français, dont cette navigation serait destinée à favoriser l’accès.
Cependant, c’est à cette seule énumération que se bornent les avantages, attribués par M. Cordier, à son système.
Jusque là, rien de plus inoffensif
pour
Mais, messieurs, pour avoir l’esprit tranquille à cet égard, j’ai poussé plus loin mes investigations, et j’ai consulté un ouvrage plus récent de ce même M. Cordier.
C’est un mémoire publié en 1838, sur
le canal de jonction de
« Le canal de
« Les routes royales et départementales coûteraient moins des frais d’entretien ; les places de guerre de l’Escaut seraient approvisionnées à plus bas prix.
« L’influence de cette
communication s’entendrait beaucoup au-delà des limites des départements du
Nord et de l’Aise ; c’est par ce canal qu’arriveraient les ardoises de
Fumery et les productions agricoles toujours à bas prix dans le département des
Ardennes, et particulièrement les vins et les céréales des départements de
« En échange, les
arrondissements manufacturiers du Nord, plus commerçants et plus rapprochés de
la mer, expédieraient dans les départements de l’est de
« En tous temps et dans le cas
surtout d’une interruption de commerce entre
« Ce canal augmenterait de
moitié les produits de
La pensée réelle de M. Cordier est parfaitement exprimée dans cet exposé : il a voulu rapprocher les arrondissements maritimes des départements du nord et du Pas-de-Calais, de l’arrondissement d’Avesnes, des départements de l’Aisne et des Ardennes.
Le fer, les bois de construction,
les pierres, le marbre si abondants sur les bords de
C’est là le but que désirent atteindre depuis longtemps les administrateurs du département du Nord et surtout l’ingénieur en chef des ponts et chaussées qui a si puissamment contribué à y améliorer la condition des voies de transport de toute nature.
Le commerce belge ne peut éprouver aucun dommage de la réalisation de ces vues, et si le projet de navigation parallèle à la frontière était possible, il est évident que, conçu dans ce but, il est loin de pouvoir nous porter préjudice.
Mais comme tout cela ne constitue que des preuves négatives, il faut bien chercher notre complète sécurité, dans l’examen même du mouvement des transports actuels après l’exécution du canal supposé, pour voir en quoi ces transports seraient influencés par les modifications que ce canal aurait apportées aux voies navigables dont nous nous servons aujourd’hui.
Voyons les différents marchés l’un après l’autre.
Dunkerque d’abord. Ce marché est à la vérité fermé aujourd’hui aux produits belges et aux produits français. N’importe, puisque nous sommes dans le champ des suppositions, nous admettrons que l’ancien état de choses se rétablisse.
Anzin et Mons fournissaient autrefois à Dunkerque une quantité de 100,000 tonneaux environ de houille, dont les deux tiers y étaient embarqués, à destination de Rouen, Nantes et Bordeaux, et l’autre tiers se consommait sur les lieux.
Tous ces transports, même ceux expédiés d’Anzin, se faisaient par l’Escaut belge, par Bruges et Nieuport, à cause de l’imperfection des canaux vers Saint-Omer.
Anzin a deux directions à sa
disposition pour entrer dans la ligne de
Mais nous avons vu que, par l’effet
de la dérivation de l’Escaut supérieur, le cours de cette rivière est
presqu’anéanti entre Valenciennes et Bouchain où serait le barrage. Anzin se
trouve d’après cela presque isolé du reste de
Singulier résultat d’un projet
prétendument conçu pour donner à un centre de production aussi important une
prépondérance sur
Resterait la voie de
Anzin serait donc forcé d’emprunter la ligne des canaux belges pour atteindre le marché de Dunkerque.
Les transports belges restent donc à l’égard de ce marché dans la même position qu’avant.
En ce qui concerne Lille et Roubaix,
où nous arrivons aujourd’hui par
Vient maintenant le marché de
Ici, messieurs, la conséquence est
plus bizarre encore, car voilà les consommateurs de l’intérieur de
Est-il besoin, après cela de beaucoup d’efforts pour comprendre qu’un projet est impraticable du moment qu’il arrive à un résultat aussi absurde ?
Reste le marché de la haute Lys.
Celui-là est plus que jamais hors d’atteinte pour Anzin.
On dira peut-être que ces lacunes
dans la navigation de l’Escaut et de
De tout cela, il résulte que, sous
le rapport commercial, il n’y a pas plus de danger pour
A l’égard de Dunkerque,
A l’égard de Lille et Roubaix, la chance est en notre faveur.
Et comme l’intérieur de
Pourquoi s’appesantir davantage sur les résultats étrangers de projets plus étranges encore ?
Ou pour mieux dire, pourquoi s’obstiner plus longtemps dans ces recherches, et supposer un but qu’ils n’ont pu avoir à des projets reconnus impossibles ?
Mais ce n’est pas moi, messieurs, qui ai créé toutes ces questions sans solution raisonnable : elles découlent du système qui vous a été exposé ; j’ai dû les en déduire pour vous démontrer dans quelle série d’anomalies nous étions entraînés, loin de l’Espierre, dans cette discussion. Sortons de ce cercle vraiment fantastique et rentrons dans le vrai.
Mais avant d’en venir au canal de l’Espierre, j’ai à examiner en peu de mots la question du second système de l’honorable représentant de Courtray. Le système qu’il appelle national en opposition avec la prétendue ligne français appelée antinationale.
Il s’agit ici d’un projet de navigation pour joindre Mons à la mer du Nord.
Plus franc et plus expéditif que d’autres adversaires de la concession de l’Espierre, l’honorable représentant de Courtray nous dit que le canal de Bossuyt à Courtray, n’est proposé que comme la première section d’une ligne continue de l’Escaut vers la mer.
A la bonne heure, la question se simplifie par cette déclaration. Gand, Bruges, Ostende et Nieuport, qu’on avait ameutés contre l’Espierre, n’ont plus à s’en occuper : Le nouveau projet d’un canal, parallèle à la frontière par Courtray, Ypres, Knocke et Furnes, va déplacer l’opposition. Le débat restera concentré dans les Flandres où toutes ces rivalités intempestivement soulevées contre l’Espierre, trouveront un aliment en elles-mêmes, contre elles-mêmes.
Le canal doit il s’agit est-il possible : est-il utile au point de réclamer une exécution immédiate ?
Il est rare, messieurs, qu’un canal ne soit pas physiquement possible, les plus grandes difficultés de terrain peuvent être surmontées par les travaux de l’art : c’est une question de dépense.
Mais de ce qu’un canal est possible, il ne s’ensuit pas qu’il soit utile, un canal est utile généralement dans deux cas.
1° Lorsque l’état de l’agriculture, de l’industrie et du commerce d’une localité, sont assez prospères pour nécessiter une quantité de transports telle, qu’un péage imposé sur ces transports, puisse en laissant des avantages suffisants à la nouvelle voie sur les anciennes, procurer une recette convenable pour couvrir les dépenses annuelles et l’intérêt des fonds employés. C’est alors que l’industrie particulière peut elle-même subvenir à l’exécution.
2° Lorsque l’état de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, sans être actuellement assez prospère, se trouvent néanmoins dans une situation qui permet de juger que l’ouverture d’une voie navigable doit infailliblement en amener le développement. Dans ce cas, il est du devoir du gouvernement de proposer lui-même le canal aux frais de l’Etat. C’est là ce que j’appelle faire une communication a priori.
Je n’ai pas besoin de dire que cette hypothèse est difficile à justifier d’une manière évidente. Pour le moment, je ne considère le projet que sous le rapport des conditions relatives au premier cas, l’exécution par l’industrie elle-même et par suite de besoins existants.
Pour établir la ligne de l’Escaut à la mer par Courtray, Ypres et Furnes, il faut :
1° Construire deux canaux neufs à point de partage, l’un de l’Escaut à Courtray, l’autre de Menin à Ypres ;
2° Canaliser
3° Approfondir et élargir le canal d’Ypres à Knocke et faire les mêmes travaux sur le canal de Loo, de Knocke à Furnes.
La largeur au plafond du premier de
ces canaux est de
L’un a un mouillage de
Ces dernières dimensions sont nécessitées par l’intérêt de l’agriculture : le repère des eaux a été fixé de la sorte hors des temps d’inondation pour la sécurité des terres voisines.
D’après le rapport des chambres de commerce les travaux de ces deux canaux neuf s’élèveraient à la somme de 10 millions environ : les autres travaux pour compléter la ligne porteraient la somme des dépenses à au moins douze millions.
L’intérêt de ce capital, l’entretien, l’administration exigeront une dépense annuelle de 750,000 francs au moins.
C’est à cette somme que devra s’élever la recette du péage.
Or, quelle est dans l’état actuel des choses, l’importance des transports ?
Cela se borne aux transports vers
Dunkerque, réduits aujourd’hui à 36,000 tonneaux ; le marché de
C’est-à-dire qu’il faudrait faire
payer par tonneau pour les transports destinés à
Et pour les transports vers Dunkerque 17 francs, d’où il résulte que le fret pour Dunkerque serait triplé.
Ou plutôt il faudrait en conclure que le transport vers Dunkerque serait impossible en présence de la voie existante.
Un pareil canal est évidemment une entreprise sans avantages pour le commerce actuel ; donc elle n’a pas d’utilité démontrée.
Aura-t-elle une utilité dans l’avenir ? C’est là une question pour la solution de laquelle aucun de ceux qui ont appuyé la proposition n’a fourni d’éléments positifs.
En fait de calcul pour motiver un projet de communication, les raisonnements vagues sur l’influence exercée par les communications ne prouvent rien ; il faut des chiffres détaillés de faits réels. J’ai examiné les chiffres donnés par les chambres de commerce intéressées, et par les promoteurs de projets, je n’ai rien vu qui fût d’accord avec ce qui est, avec ce qu’on expédie et ce qu’on consomme. On a fait des hypothèses, et voilà tout.
Au reste, pour que l’on ne critique pas les chiffres de produits que j’indique, je dirai où je les puise.
Les transports actuels sur toute la
longueur de
Ces mêmes transports sont évalués
par la chambre de commerce de Gand à 43,200 tonneaux (pièces à l’appui des
projets de canalisation de
Il n’y a donc rien de hasardé à
porter les transports dans le cercle d’action d’une jonction de l’Escaut à
Si la base de mon calcul diffère essentiellement de celle du calcul de M. Verrue, c’est donc parce qu’il a pris des chiffres hypothétiques ; il a supposé un accroissement de consommation et le détournement d’une navigation qui suit aujourd’hui d’autres directions. Mais, messieurs, ce n’est pas ainsi qu’on calcule quand on ne veut pas se tromper.
J’ai fait des canaux dans ma vie, et j’ai surtout étudié beaucoup de projets tant en Belgique qu’en France, et je me suis constamment conformé à une règle qu’on observe rigoureusement en pareil cas ; c’est qu’il faut assurer ses calculs sur l’état rél de la masse des transports pour résoudre la question de remboursements et les intérêts du capital, parce que ce remboursement est la chose qui doit être positivement garantie, pour former le crédit de l’opération et pour démontrer la question d’utilité ; Il n’y a que les bénéfices qu’on rejette dans les éventualités. Voyez tous les projets qui se font en France, en Angleterre, en Amérique, quand cette règle est observée ils réussissent ; c’est son inobservation, au contraire, qui a entraîné la ruine de plusieurs entreprises, dont les projets peu étudiés se trouvaient basés sur une extension de marché au lieu de l’être sur le marché réel.
Il serait inutile, en présence de ces faits, de discuter les chiffres hypothéqués des différents projets de canaux présentés depuis le capitaine Alwin jusqu’à M. Verrue-Lafrancq inclusivement.
Les calculs ci-dessus, appliqués au canal de Bossuyt considéré isolément, nous conduisent aux mêmes conclusions.
La dépense de ce canal sera de quatre millions au moins ; je sais bien que l’un des promoteurs du projet ne l’évalue qu’à trois millions et demi à peu près ; mais en cela il n’est pas d’accord avec l’auteur du premier projet, ni avec les faits observés dans l’exécution des nombreux canaux construits en France et en Belgique depuis quelques années.
La dépense d’entretien, d’administration et d’alimentation est portée par l’auteur de la proposition à 118,000 francs. En y ajoutant l’intérêt, 200,000 francs. On a une charge annuelle de 318,000 francs. Nous ne la supposerons que de 300,000 francs.
Or, comme ce canal n’aurait d’autre
marché à alimenter que celui de
Il faudrait alors un péage de 6 francs par tonneau pour couvrir les frais. Certes, dans ces conditions, les transports ne suivraient pas la voie du canal et continueraient à aller par Gand.
Le canal de Bossuyt n’a donc réellement pas plus d’utilité commerciale actuelle, pris isolément, que réuni à la ligne vers Ypres et la mer ; puisque l’industrie particulière ne pourrait l’exécuter.
On dira sans doute aussi, qu’il y a une proposition pour le faire qui contrarie cette opinion.
A cela je répondrai, il y a eu un promoteur du projet, mais il n’y a et ne peut y avoir de soumissionnaire sérieux, il ne peut y avoir de concessionnaire. Un soumissionnaire sérieux aurait demandé un péage en proportion avec le transport réel, à moins d’être résolu à se ruiner. Ce qui n’est pas présumable ; il n’a demandé qu’un péage fictif précisément parce qu’il ne voulait pas donner suite à sa proposition et pour lui faire produire mieux l’effet qu’il avait en vue.
Je m’expliquerai un peu plus tard sur ce point ; il faut premièrement que j’aborde la question de l’Espierre considérée en elle-même.
Messieurs, je réclame encore un instant votre attention : nous voici arrivé à l’objet le plus important, et tout ce que j’ai dit précédemment s’y rattache plus ou moins.
Le canal de l’Espierre ne peut,
quoiqu’on en ait dit, rien faire en faveur du projet d’écoulement de
Par le canal de l’Espierre, on n’arrivera pas à faire jamais vers Dunkerque une meilleure navigation que celle existante, dont le commerce ne juge convenable de se servir. Je crois que cela est aussi incontestablement prouvé.
Le canal de l’Espierre résout une question indépendante de toute autre. Il a pour but d’améliorer la condition de nos transports vers Lille et Roubaix. C’est un but spécial ; un but qui est propre à ce canal seul.
Tout a été dit sur cet objet, je n’ajouterai aux développements donnés précédemment par l’honorable ministre des travaux publics, que quelques mots en réponse à des calculs reproduits dans la discussion quoique réfutés ailleurs antérieurement.
Pour le marché de Roubaix, tout le monde est d’accord que ce canal présente de grands avantages ! n’en parlons plus.
Pour le marché de Lille, les uns contestent ces avantages, les autres sont dans le doute.
Contester les avantages est une chose assez étrange en présence des efforts que font depuis plus de 10 ans, les consommateurs d’une part et les producteurs de l’autre.
Les consommateurs si intéressés à se procurer le charbon avec plus de facilité et à plus bas prix : les producteurs, gens éclairés, progressistes et accoutumés à provoquer, protéger et accomplir les entreprises les plus propres à développer les moyens industriels du pays. N’est-ce pas comme si l’on disait que ni les uns, ni les autres ne savent ce qu’ils disent ou ce qu’ils veulent ? Or, c’est ce qu’on ne peut raisonnablement admettre.
Mais deux mots et quelques chiffres suffiront pour expliquer les doutes.
Par les calculs faits sur le prix
comparatif des transports de
En effet, les calculs auxquels on s’est livré ne donnent que les dépenses, ou autrement dit, les débours à faire sur chaque route : ce n’est pas ce que paye le consommateur, c’est simplement ce que paye le batelier.
Ce que paie le consommateur, c’est ce qu’on appelle le fret.
Le fret se compose des dépenses, qu’on a calculées plus ou moins bien dans ces diverses comparaisons, et du bénéfice de l’expéditeur ou du batelier.
Ainsi, par exemple, quand, par les
calculs de M. Mimerel représentant le commerce de Lille à la commission
d’enquête de Courtray, les dépenses de
Et que par les calculs de M. Verrue, ces mêmes dépenses se trouvaient ne s’élever qu’à 2 francs 29 centimes.
Le fret sur Lille était cependant au taux de 4 francs.
Or, que les dépenses à faire par la route de l’Espierre soient comparativement plus ou moins rapprochées des calculs de M. Mimerel ou de M. Verrue, ce n’est pas dans les différences que je trouverai ma conclusion, mais dans les circonstances qui, indépendamment de ces dépenses, influent sur le fret.
C’est-à-dire la durée du voyage et le tonnage de la nouvelle navigation ; là est la source du bénéfice du batelier, lequel doit compléter le fret.
Pour aller de Mons à Lille par
Pour aller de Mons à Lille par le
canal de l’Espierre, il faudra 9 jours, avec un enfoncement de
Le même batelier pourra donc faire plus qu’un nombre double de voyages par la nouvelle voie, et transporter d’avantages avec les mêmes frais. Là est toute la question.
Cet avantage-là, messieurs, échappe au calcul mais il est très grand et exerce une influence très marquée sur le fret et qui trompe souvent les ingénieurs et les industriels les plus éclairés.
Ainsi, par exemple, en 1817, lorsque l’on a achevé le canal de Mons à Condé, le fret par bateau allant de Mons à l’Escaut, était de 2,900 francs ; aussitôt après la construction de l’écluse de Thivenelle, et malgré le péage de 12 centimes par tonneau, le fret fut réduit à 1,900 francs.
On construisit ensuite l’écluse de Guelsin à l’embouchure du canal et dès qu’elle fut livrée à la navigation, le fret tomba à 900 francs.
Ce résultat trompa tous les calculs, et dans beaucoup de circonstances semblables la même chose est arrivée, toujours d’une manière inattendue.
Il est hors de doute que le fret sur
Lille va se réduire par l’Espierre, par l’influence de considérations de même
nature ; les frais de route qui ne sont qu’un élément du fret peuvent
rester les mêmes pour Lille sur l’Espierre et sur
Un nombre au moins double de voyages en un an.
Une plus grande charge par voyage
par un canal où l’on pourra prendre
D’après cela, on admettra, j’espère que le marché de Lille est tout aussi intéressé que celui de Roubaix, à l’adoption de ce projet.
Le canal de l’Espierre est donc
éminemment utile aux intérêts généraux de
Il ne nuit à aucun intérêt local, puisqu’il ne déplace aucune industrie nationale, ne détourne la marché d’aucuns transports belges.
Il ne contrarie l’exécution d’aucun
projet utile à d’autre localités ; car en admettant que le canal de
Bossuyt puisse servir avec avantage le marché de
Donc, pas de motifs de rivalité entre eux. Donc, si le canal de Bossuyt pouvait se faire, il se ferait.
Dans cet état de choses, il est bien
permis de demander sur quoi se fonde réellement l’opposition ; il est
aussi permis de supposer à cette opposition un but et des instigateurs
étrangers aux intérêts de
Mais on va l’a dit, messieurs, la raison de cette opposition est en France, et quoiqu’elle émane essentiellement d’intérêts privés, ceux-ci sont tellement puissants, que leur influence n’a rien qui doive surprendre pour peu qu’on soit au courant de quelques faits antérieurs bien propres à caractériser les événements dont nous sommes aujourd’hui les témoins.
Les opposants, ce sont les
compagnies charbonnières d’Anzin et de Douchy ainsi que les concessionnaires
des canaux de
Outre les pièces produites dans les enquêtes et dans la présente discussion, nous en avons de nombreuses preuves dans la conduite tenue par ces compagnies à d’autres époques.
Jamais une entreprise avantageuse à l’industrie belge n’a été annoncée sans que les uns ou les autres n’aient cherché à y apporter des obstacles.
La canalisation de
Cette opposition, qui, en d’autres temps, a mis en œuvre divers moyens, emploie ici le canal de Bossuyt pour arrêter, si possible, la concession de l’Espierre. Je n’hésite donc pas à dire que le canal de Bossuyt, qui probablement un jour sera une chose bonne à réaliser, n’a été inventé dans cette circonstance, que comme obstacle à une entreprise alarmante pour les intérêts signalés plus haut.
Et d’abord, messieurs, déjà une première fois une semblable manœuvre a été tentée dans un cas absolument identique ; ceci mérite d’être rapporté, et quoique le fait soit assez récent, il peut n’être pas connu de out le monde.
Lorsque le canal de jonction de
De là est né un projet de chemin de
fer dirigé du Borinage vers
Qu’est-il arrivé, messieurs ? C’est que les intérêts français mentionnés plus haut, si constamment opposés aux moyens de développements de l’industrie belge se sont émus de nouveau et se sont ligués contre le projet de chemin de fer proposé.
Les charbons de Mons, en se
dirigeant vers
Tout aussitôt on a vu surgir contre
le projet de chemin de fer proposé un canal de jonction de
Or, ce qui doit paraître remarquable, c’est que les promoteurs de ce canal, exhumé tout à coup en opposition au chemin de fer, sont précisément ceux qui ont poussé le canal de Bossuyt contre le canal de l’Espierre.
L’intention était la même, le moyen le même. Ce sont les mêmes hommes qui agissent plus ou moins ouvertement dans les deux cas. Aussi tenaient-ils le même langage, à deux époques différentes.
Le chemin de fer, disait-on en 1833, est une entreprise antinationale, c’est un ouvrage moitié français, moitié belge le canal, au contraire, entièrement sur le territoire belge, est un projet national.
Quel a été le résultat de ce conflit ? C’est que le chemin de fer arrêté par des difficultés qu’a soulevées le génie militaire, à cause de la place de Maubeuge, est encore aujourd’hui ajourné. Dans l’intervalle le canal a été mis en adjudication mais n’a pas été soumissionné, même par ceux qui l’avaient proposé. Cela devait inutile en effet du moment et aussi longtemps que le projet de chemin de fer restait en suspens.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est précisément parce que j’ai été dupe une fois, que je ne veux pas l’être une seconde.
M. de Puydt – Eh bien, voilà précisément ce qui n’a fait dire tout à l’heure que le canal de Bossuyt, entreprise commercialement impossible aujourd’hui, n’aurait pas des soumissionnaires sérieux. – Que voulait-on ? embarrasser la marche de l’affaire de l’Espierre, jeter des doutes dans les esprits, rendre peut-être une décision impossible. On a réussi pendant quelques temps, mais, en définitive, la vérité s’est fait jour et l’Espierre a triomphé de ses adversaires ; dès ce moment, une soumission pour Bossuyt devenait sans objet ; aussi n’y a-t-il pas eu d’adjudicataire, quoiqu’il y ait eu une adjudication.
Cependant, messieurs, en émettant cette opinion, je dois à la vérité de déclarer que j’ai foi pleine et entière dans la sincérité des honorables membres de cette assemblée qui ont appuyé le canal de Bossuyt ; j’en dirai autant des chambres de commerce et des régences des diverses localités qui se sont prononcées dans le même sens.
Le canal de Bossuyt a été réclamé et défendu par tous comme une œuvre qu’ils ont réellement crue avantageuse au pays, parce qu’elle était désirée par ces localités.
Le désir a fait admettre sans autre examen la possibilité et partant l’utilité ; cette conviction a conduit a proclamé l’urgence. Arrivé là, le désir s’est, dans leur esprit, converti en droit, et du moment que le canal de l’Espierre pouvait être signalé comme portant atteinte à ce droit, il n’a pas fallu grand effort à ceux qui avaient intérêt d’exploiter cette disposition des esprits, pour changer son simple vœu dans l’origine, en plaintes et griefs.
On a parlé d’intrigues. Je ne sais en quoi cette accusation, à l’appui de laquelle on ne cite d’ailleurs aucun fait, peut être dirigée contre les partisans et les demandeurs du canal de l’Espierre.
Les nombreux consommateurs du département du Nord et les industriels du Hainaut qui veulent le canal de l’Espierre, ont demandé hautement et ouvertement l’exécution de cette communication pour leurs besoins et leurs intérêts réciproques.
Ils ont combattu publiquement leurs adversaires partout où ils les ont aperçus. Tous leurs actes se sont accomplis au grand jour. Ils n’avaient pas d’intentions à dissimuler, pas de but à cacher ; pas de démarches à dérober à la connaissance du pays. La raison et la justice sont pour eux, à quoi leur auraient servi des manœuvres déloyales ?
Mais l’intrigue est là où le but véritable se déguise, où l’instigateur se cache à l’ombre d’un intérêt qui n’est pas le sien ; intérêt qu’il soulève, qu’il excite, qu’il feint de servir avec sa volonté arrêtée d’avance de ne pas le satisfaire, après qu’il aura recueilli seul tout le fruit de cette tactique.
Sans vouloir renvoyer ces vagues
accusations à ceux qui mettent de l’aigreur dans la défense du canal de
Bossuyt, nous nous contenterons de leur dire : Oui, il y a de
l’intrigue ; une intrigue dont votre bonne foi et vos louables intentions
vous rendent dupes. En voulant protéger les intérêts de l’industrie et du
commerce des Flandres, vous êtes, sans le savoir, les instruments de la
cupidité de tiers, accoutumés à sacrifier à leur intérêts propres et privés,
l’industrie et le commerce de
Nous ne nommerons personne ; mais, dans cette enceinte, il y assez d’honorables membres qui me comprennent pour n’avoir pas besoin d’en dire davantage.
Heureusement, messieurs, la vérité a percé les ténèbres, dont on l’avait enveloppée, et le canal de l’Espierre a surmonté les obstacles accumulés contre lui. Tous les hommes bien pensants qui veulent le progrès matériel du pays, doivent, dans cette circonstance, rendre hommage au ministre qui a eu le courage de braver des clameurs sans fondement réel pour accomplir un acte d’utilité nationale.
Je ne pousserai pas plus loin ces observations déjà trop étendues. Je pense en avoir dit assez pour justifier la concession de l’Espierre des attaques dirigées contre l’urgence si bien établie de cette entreprise et surtout pour vous mettre à même de réduire à leur juste valeur les accusations relatives au but caché qu’on a supposé.
Je souhaite dans l’intérêt des Flandres auxquelles je ne suis pas hostile, tant s’en faut, que le canal de Bossuyt et même celui de l’Yperlée puissent s’appuyer un jour sur des nécessités aussi évidentes que celles dont l’Espierre s’étaye : ces canaux n’auront pas besoin de promoteurs pour qu’on les adopte alors, ils trouveront en eux leur principe d’existence ; mais il ne faut pas que leur prétention de se produire avant terme, mette obstacle à la construction de ceux qui sont devenus un besoin bien démontré.
Je terminerai par quelques observations accessoires et qu’a fait naître la discussion.
D’abord, messieurs, je dirai que les commissions d’enquête ne décident pas l’utilité publique d’une route ou d’un canal, elles ne font qu’instruire l’affaire, entendre le pour et le contre et donner des avis motivés. C’est le gouvernement et le gouvernement seul qui décide, et quand il résulte des doutes de quelques points de l’enquête, au ministre appartient l’appréciation des circonstances qui établissent le doute. C’est ce qui est arrivé pour l’Espierre.
La question d’utilité a donné lieu à un partage de voix ; 7 membres se sont prononcés pour l’utilité, 7 se sont prononcés contre et 5 membres se sont abstenus.
Les motifs d’abstention sont étrangers à la question d’utilité ; ces honorables membres ne sachant pas si le canal de l’Espierre pouvait nuire aux fabriques de Gand, n’ont pas voulu voter.
De là je conclus qu’il y avait réellement dans la commission 12 voix pour l’Espierre.
En effet, si les 5 non votants avaient été contre l’utilité, ils auraient voté négativement, puisque par là ils obéissaient d’une part à leurs convictions et de l’autre ils se conformaient à leurs scrupules.
C’est donc parce qu’ils étaient favorables à l’utilité du canal qu’ils n’ont pas voté.
Quant à la valeur de l’abstention, la voici :
J’ai pris des informations sur l’importance de la consommation du charbon dans les fabriques.
Une fabrique moyenne, celle qui produit par an un million d’aunes d’étoffes, consomme pour six mille francs de charbon.
Or, le fret est pour un tiers dans cette dépense ; c’est donc une somme de deux mille francs qui peut, pour une quotité quelconque, être diminuée ou augmentée par l’usage de telle ou telle route. Nous avons vu par les pièces de l’enquête que le fret pourrait à Roubaix et Lille être diminué moyennement de 30 p.c. ; ce serait donc une diminution de dépense de 600 francs qui pourrait être opérée dans ce cas, pour une fabrique qui produit un million d’aunes d’étoffes, dans la supposition que le fret soit égal de part et d’autre à Gand et à Roubaix. Mais le fret sur Gand est au contraire plus favorable que sur Roubaix.
On a prétendu aussi qu’il n’y avait pas eu un délai suffisant pour l’adjudication : ceci n’est pas fondé.
Quand le gouvernement fait exécuter par adjudication publique un ouvrage dont ses ingénieurs ont fait le projet, le public ne connaît les détails de ce projet qu’au moment où l’adjudication est publiée. Il faut alors que les entrepreneurs fassent l’étude des détails du projet, l’étude des localités pour s’assurer du prix de la main-d’œuvre, du prix des matériaux, des transports, etc. Il faut enfin que le gouvernement accorde un délai proportionné à l’importance de l’ouvrage à faire.
Pour une concession, il n’en est pas de même, l’entreprise est connue par l’enquête et par le dépôt obligé des pièces du projet ; la moindre durée de ces enquêtes est de 4 à 5 mois ; dans mon opinion, il ne faudrait pas d’autre délai que celui nécessaire pour donner connaissance du jour de l’adjudication dans toute l’étendue du royaume ; et je crois que c’est pour obvier à une habitude de formalités que le ministre accordera davantage.
L’Espierre a occasionné une instruction de plusieurs années ; l’opposition même du canal de l’Espierre a dû obliger les intéressés à en étudier tous les détails ; il n’y avait pas besoin ici d’un délai de plus de 8 à 10 jours, c’est donc purement un prétexte que ce prétendu défaut de temps.
Je ne puis, messieurs, passer sous silence une observation que j’ai plusieurs fois entendue faire et dont on a semblé attendre un grand effet sur quelques esprits.
On a dit que si le ministre avait voulu, le canal de Bossuyt se serait fait conjointement avec celui de l’Espierre, en l’imposant comme condition au soumissionnaire de ce dernier projet.
Es-ce bien sérieusement, messieurs, qu’une semblable proposition serait mise en avant ? est-ce bien sérieusement qu’on voudrait exiger du concessionnaire de l’Espierre une sorte de «pot de vin » de quatre millions en faveur de Courtray ?
Quoi ! parce que le canal de l’Espierre est une entreprise d’une haute utilité, puisqu’elle sert de grands intérêts, vous voudriez la rançonner en désespoir de cause pour servir des intérêts plus minimes et presqu’imaginaires ?
Mais c’est là précisément ce qui vous condamne et si les calculs les plus positifs, si les raisonnement les plus logiques ne prouvaient à l’évidence que votre canal de Bossuyt n’est, sous certains rapports, qu’une conception malheureuse, à laquelle manquera toujours l’appui de l’industrie particulière, aussi longtemps que les intérêts qui la réclament ne seront pas assez importants pour couvrir les rais ; il suffirait de votre proposition pour démontrer son peu d’utilité actuelle et le peu de fondement des prétentions qu’on fait valoir ici.
N’est-ce pas d’ailleurs, renverser tous les principes d’équité que d’en agir ainsi ?
Vous avez considéré comme immorale
la clause de l’article 18 de l’acte de concession du canal de
Cet article est ainsi conçu :
« Le gouvernement ne pourra stipuler en faveur des concessionnaires que d’autres communications ne pourront être établies dans un rayon déterminé. »
Cet article est fondé sur un principe de concurrence salutaire pour l’industrie. Il ne faut pas que l’avenir soit sacrifié au présent. Mais faut-il que l’industrie en progrès d’une partie du pays, que de grands intérêts actuels soient sacrifiés, aux espérances d’avenir d’une autre localité ?
Et vous, qui n’avez pas voulu consacrer par la loi des conditions d’exclusion, des conditions exorbitantes, on voudrait vous faire croire dans cette même loi, que le concessionnaire qui demande à appliquer un capital quelconque à l’exécution d’un ouvrage d’une utilité incontestable, et qui promet de couvrir les dépenses annuelles de cet ouvrage, sera tenu, sera obligé de dépenser quatre ou cinq fois le même capital pour aller exécuter dans un autre arrondissement ou dans une autre province un autre ouvrage dont les produits ne sont pas assurés.
Jamais on ne parviendra à faire consacrer par la chambre une pareille anomalie.
Ce serait une mesure monstrueuse, destructive de tout esprit d’entreprise et souverainement inique.
J’en viens, messieurs, à un dernier fait relatif à la navigation par les Flandres.
On espère qu’un jour cette navigation vers Dunkerque pourra être rétablie et aussi florissante qu’autrefois ; je le désire, mais je ne le crois pas.
Quoi qu’il en soit, si jamais cela
arrive, craignons que des entraves n’y soient apportés par les localités mêmes,
et je puise mes doutes, à cet égard, dans les actes de l’administration
provinciale de
Le droit de tonnage perçu à Bruges et autres points est basé sur les dispositions de l’arrêté du 30 octobre 1819. on faisait payer avant 1839 sur les deux tiers de la contenance totale d’un bateau.
L’administration provinciale voulant augmenter ses ressources financières, a changé ces dispositions et pendant l’année 1839 on a perçu pour la contenance totale sans respect pour les lois.
De là, des réclamations de la part du commerce et même de la navigation maritime d’Ostende qui se trouve menacée par ces augmentations de péage. L’administration a compris que sa mesure était frappé d’illégalité. Elle a rapporté sa première décision, mais elle n’a pas fait droit aux réclamations. Un nouvel arrêté, exécutoire pour 1840, rétablit la base de l’impôt, mais en augmentant le tarif aggrave encore la charge.
En effet, pour un bateau de 150 tonneaux de contenance totale, on payait avant 1839, 5 francs.
Par arrêté exécuté en 1839, on a payé pour le même bateau, 7 francs 50 centimes.
Enfin, en vertu du nouvel arrêté pour 1840, ce même bateau payera 8 francs.
Voilà, messieurs, des mesures qui sont réellement propres à nuire à la navigation des Flandres.
M. de Foere – Messieurs, je vous ai dit dans une séance précédente que je ne voulais pas me prononcer sur le fond de la question qui se rattache à la concession du canal de l’Espierre, par la raison que je ne l’avais point encore mûrement examinée. J’ai eu depuis, le temps d’examiner les documents relatifs à cette question et la discussion parlementaire l’a entourée de nouvelles lumières. Il est résulté de cet examen, messieurs, une conviction qui me fait présenter cette question, et sous le rapport du fond et sous celui de la constitutionnalité, sous une face nouvelle.
Je n’ai trouvé dans les documents et dans les discussions contradictoires qu’une question de localités. Jamais, messieurs, je n’ai réduit des questions de cette importance à la mesquine proportion d’intérêts locaux opposés. Quel est le résultat de discussions placées sur un terrain aussi restreint ? C’est celui que vous avez toujours obtenu. La discussion est à peu près impossible et par vos votes avantagez les intérêts d’une localité, vous lésez les intérêts de l’autre, et vice versa. Ce n’est point ainsi, messieurs, que j’envisagerai cette question. Je l’examinerai sous le point de vue des intérêts généraux du pays auxquelles les localités particulières, même dans leur propre intérêt, doivent se résigner.
Dans le sens restreint dans lequel le ministère a posé la question, je dois la repousser. Les avantages qu’une partie du Hainaut peut retirer du canal de l’Espierre sont, dans mon opinion, loin de compenser les désavantages qui doivent en résulter pour les Flandres et sous le rapport de la navigation et sous celui du commerce et de l’industrie. C’est la question locale ; je n’entrerai pas dans le fond de la question ; je m’en rapporte d’ailleurs aux motifs qui ont déjà été développés par d’autres orateurs.
Si l’honorable ministre des travaux publics avait rattaché au canal de l’Espierre des résultats beaucoup plus généraux, des avantages d’une toute autre importance, s’il avait présenté les effets de ce canal dans leur extension, quoique député des Flandres, je n’aurais pas hésiter un instant d’accorder en dehors de la question constitutionnelle que je traiterai plus loin, mon approbation entière à la commission du canal de l’Espierre. Malheureusement le ministère lui-même s’oppose à cette extension d’avantages que produirait ce canal. Remarquez, messieurs, la position de cet immense centre d’industrie établi en France, à proximité de nos frontières. Cette fabrication est forcée de recevoir ses matières premières du pays du Havre par le roulage. Elle doit prendre le même moyen de transport pour l’exportation de ses produits. Si le ministère suivait un autre système commercial maritime, le pays pourrait participer en grande partie au transport de ces deux espèces de marchandises pour les conduire par nos voies navigables, les unes de nos ports de mer vers Roubaix, et Lille, les autres de ces centres de production vers Anvers et Ostende.
Il pourrait prendre aussi une grande part dans le commerce directe de ces marchandises soit en livrant aux fabriques du département du Nord une partie de ses matières premières, soit en plaçant à l’extérieur aussi bien par notre comme direct, les produits de ces fabriques. Par le système commercial que le gouvernement veut implanter dans le pays, presque tous ces avantages sont abandonnés à la navigation et au commerce étranger. Je me borne à indiquer ici cette combinaison. Je l’ai souvent développée dans cette chambre Je n’en dirai pas davantage, d’autant plus que le ministre refuse d’entrer dans le fond de cette discussion. Je passe donc à la question de constitutionnalité.
A mes yeux, messieurs, la concession du canal de l’Espierre a été accordée par le gouvernement contrairement à la constitution. Il y a, dans mon opinion, évidence sur cette question. Cependant je sacrifierai à cet égard mon opinion personnelle. J’accepterai le doute sur la constitutionnalité de cette concession. Je poserai en fait qu’il y a à cet égard divergence d’opinions parlementaires. Ce fait ne peut être et ne sera contesté par aucun membre de la chambre, attendu qu’il est prouvé que les uns croient, avec le ministère, que la concession du canal de l’Espierre a été faite conformément à la constitution, que les autres professent une opinion contraire.
Enfin, que d’autres encore n’ont à cet égard pas d’opinion arrêtée. La prémisse que je pose, sous le rapport du fait de ce conflit d’opinions contradictoires est incontestée et incontestable. J’ajouterai, comme prémisse, un autre fait qui n’est pas moins inattaquable, c’est qu’il résulte de l’opposition qui a été faite au canal de l’Espierre qu’avant que la concession ait eu lieu, que cette concession, si elle était faite par le gouvernement seul et sans intervention des chambres, était publiquement envisagée comme inconstitutionnelle, et qu’une partie considérable de l’opinion publique soutenait que la législature aurait eu à délibérer sur la question de savoir si le gouvernement avait à lui seul le droit constitutionnel de concéder ce canal. Le ministère ne peut prétexter sous ce rapport aucune ignorance.
Dans cette position inexpugnable de la question, quelle a été la conduite du ministère ? Il s’est constitué juge et partie dans cette question. Il a décidé, à lui seul, non seulement que le canal de l’Espierre n’est pas nuisible aux intérêts généraux du pays, mais encore qu’il a le pouvoir d’en faire la concession. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il blesse publiquement toutes les convenances politiques, qu’il foule aux pieds les égards qu’il devait à la constitution, au pays et à la représentation nationale et qu’il se croit assez fort de sa majorité parlementaire pour pouvoir secouer toute pudeur politique et constitutionnelle ; mais ce que vous n’avez peut-être pas assez pénétré, messieurs, ce sont les conséquences épouvantables, destructives de tout ordre, de toute sécurité, de toute garantie qui recèle dans son sein un semblable système gouvernemental. Si un ministère constitutionnel était investi du pouvoir de se constituer à la fois juge et partie dans ses propres actes, alors qu’ils sont, et avant même qu’il les pose, publiquement et avec fondement taxés d’inconstitutionnalité, la conséquence directe en serait qu’il n’existe plus de constitution, qu’elle n’est plus que le tourment des amis du pays et la risée de ses ennemis. En effet, messieurs, si ce pouvoir monstrueusement arbitraire pouvait être sanctionné par la législature, si un ministère quelconque avait à lui seul le droit d’interpréter, dans des questions importantes, la constitution du pays, alors que la constitutionnalité de ses actes est publiquement et solidement contestée, quel obstacle pourrait encore arrêter un ministère quelconque dans l’intervalle qui sépare les sessions parlementaires et même pendant les sessions, de nuire, aux plus graves intérêts du pays par des contrats dictés, soit par l’impéritie, soit par esprit de coterie et de faveur envers ses partisans et ses amis au-dedans, soit enfin par une coupable lâcheté envers de hautes influences du dehors.
Les ministères une fois investis d’un pouvoir aussi exorbitant, rencontreront-ils un frein dans les majorités des chambres ? L’histoire parlementaire de tous les pays n’est-elle pas là pour détruire une illusion aussi dangereuse ? Cette histoire ne prouve-t-elle pas à l’évidence que ces majorités se forment souvent par la corruption, par les emplois, par les faveurs, par les menaces, par les destitutions, par les intrigues, par la faiblesse, par l’impéritie et enfin par la puissante influence corruptive que tout ministère, par sa position, exerce sur les élections. Avant que ces majorités soient expulsées des représentations nationales et qu’elles soient devenues la honte et la réprobation générale, les plus graves intérêts du pays sont irrévocablement lésés : les maux sont devenus des faits accomplis. L’histoire parlementaire offre-t-elle à cet égard le moindre doute ? N’est-ce pas le flambeau de cette histoire à la main qui doit éclairer votre marche dans des questions de cette importance ? Cette même histoire ne vous enseigne-t-elle pas en outre que les ministères constitutionnels ne tentent jamais de coups d’Etat que lorsqu’ils comptent, soit sur la force morale de leurs majorités dévouées, soit sur la violence brutale des armes ? Pour repousser ces enseignements de l’histoire, même contemporaine, il faudrait vous livrer, messieurs, à une idéologie stupide, ou ouvrir sciemment l’œil d’un bandeau épais et marcher jusqu’à ce que vous tombiez, avec le pays, dans l’abîme.
Pour revenir ce malheur, il faut que vous fassiez, même dans le doute, respecter l’autorité sacrée de la constitution. Elle doit être la sauvegarde de l’ordre et des intérêts du pays. Il faut que, placée devant le pays comme un boucler impénétrable, elle le garantisse contre les excès du pouvoir exécutif contre les coups qu’un ministère arrogant, quelqu’il soit, pourrait porter soit à la représentation nationale, soit au pays tout entier.
Croyez-vous, messieurs, que, si l’administration actuelle n’eût pas compté sur la majorité parlementaire, il n’eût jamais osé s’arroger un pouvoir aussi monstrueux ? et la position du ministère n’explique-t-elle pas ouvertement le caractère exorbitant de prétention, de suffisance et d’arrogance avec lequel il s’est posé devant cette discussion ?
Les fameuses ordonnances de Polignac étaient aussi basées sur la charte. Le ministère de Charles X se constituait aussi juge et partie dans sa propre cause. Le roi Guillaume qui, dans un état constitutionnel, prétendait être tout à la fois roi et ministère, s’arrogeait le même pouvoir désordonné, lorsque, par ses nombreuses violations de la constitution, il tranchait, à lui seul, les questions sans entendre la partie contractante et intéressée. Vous savez les déplorables perturbations radicales, ils ont toujours eu pour résultat le renversement des ministères, aussitôt que la minorité parlementaire était parvenue, par sa persistance inaltérable, soit à déplacer la majorité, soit à flétrir ce ministère dans l’opinion publique.
Le ministère ne peut, pour se justifier, mettre en avant ses bonnes intentions, son opinion, sa conviction même que sa concession n’était pas contraire à la constitution ; tous les ministres qui ont abusé de leur pouvoir, en se constituant juges et parties dans leur propre cause, ont allégué les mêmes prétextes. Ce serait, d’ailleurs, par une prétention arrogante et absurde, placer ses propres convictions au-dessus de toutes les autres.
Si, messieurs, il était possible que la chambre consacrât un système de gouvernement aussi destructif de tout ordre et de toute garantie constitutionnelle ; si le pouvoir exécutif pouvait s’arroger le droit exorbitant d’exécuter, sans l’intervention de la législature, des actes, alors qu’avant leur exécution ils sont publiquement et solidement accusés d’inconstitutionnalité ; la constitution tout entière serait effacée. Dans les affaires publiques comme dans les affaires particulières, il n’y a plus ni droit, ni ordre, ni garantie possible, s’il est admis que l’on peut s’ériger en juge et partie dans sa propre cause.
M. Delehaye – Messieurs, si le gouvernement avait, dès le commencement de la révolution, accordé une partie de sa bienveillance à l’industrie et au commerce, peut-être ne serais-je point obligé, aujourd’hui, de m’opposer au canal de l’Espierre. Ces sentiments, non antipathiques, que l’on remarque encore dans quelques-unes de nos villes, pour le gouvernement déchu, et qu’on désigne sous le nom d’orangisme, ne sont que des sentiments de reconnaissance pour un gouvernement qui faisait tout pour favoriser le commerce et l’industrie.
J’ai déjà eu l’occasion de reprocher au gouvernement d’avoir laissé, dans un état de stagnation le commerce et l’industrie des Flandres, et malheureusement je trouve encore ici des motifs de lui reprocher de ne pas protéger des intérêts aussi vivaces.
Quoique député d’une ville de ces importantes contrées, j’aurais voté pour le canal si le gouvernement avait stipulé en faveur des intérêts des deux Flandres. Les députés de Courtray ont fait connaître avec clarté et talent les griefs des populations dont ils tiennent leur mandat ; ces griefs sont les mêmes contre le ministère de la part des deux Flandres.
Messieurs, par le nouveau canal la
navigation de
Mais il y en a d’autres plus puissant encore pour rejeter le canal. La ville de Gand s’adonne à l’industrie cotonnière ; par le canal de l’Espierre, vous allez accorder à la ville française, sa rivale, les charbons à plus bas prix ; et la position des Gantois restant la même, ils auront plus de difficultés pour lutter contre cette rivale.
Vous allez donc favoriser l’industrie
cotonnière au détriment de la nôtre. De plus, en favorisant cette industrie
cotonnière étrangère, vous allez encore nuire à l’industrie linière que vous
voulez protéger, car vous savez (erratum Moniteur du 17 janvier 1840 :)
que l’industrie cotonnière et l’industrie linière ont à lutter en France contre
des industries similaires. Voilà des faits trop palpables pour qu’on puisse les
contester. Quoique député de Gand, je le répète, j’aurais voté pour le canal si
le gouvernement avait stipulé pour le commerce et pour l’industrie du
pays : Pourquoi en effet, n’avoir pas demandé au gouvernement français que
jamais le droit sur l’industrie linière ne sera augmenté ? Pourquoi
n’avoir pas exigé de
Il existe contre le canal des
appréhensions d’une autre nature. Nous allons être exposés à des inondations
par suite de la construction de ce canal.
Mais l’autre partie des eaux du département du Nord qui nous arrivent pas l’Escaut n’ont pas un écoulement aussi facile : pour peu que la crue des eaux soit grande, qu’un dégel soit considérable, il y a crainte fondée d’inondation à Gand. Ces appréhensions existent aujourd’hui dans cette ville ; et je demanderai au gouvernement qu’il dissipe les craintes conçues à cet égard si elles ne sont pas fondées entièrement.
Messieurs, chose étrange, depuis neuf ans que nous sommes constitués, il ne s’est pas passé d’année sans que les villes de Gand, de Bruges, d’Ostende, aient fait entendre les justes réclamations en faveur de leur commerce et de leur industrie qui sont dans un état de souffrance si funeste à leurs populations, et même au pays entier.
Et cependant nous voyons la sollicitude du gouvernement se porter sur l’industrie houillère, la plus prospère de toutes nos industries. Les produits des extractions de houille ont tellement augmenté de prix qu’on voit la partie peu aisée de nos populations transir de froid pendant l’hiver. L’exploitation des houilles prospère depuis la révolution et lui doit tout ; c’est elle néanmoins que l’on veut encore favoriser.
Tels sont les motifs qui m’ont déterminé à voter contre le canal de l’Espierre ; j’aurais voté tout autrement si pour ériger ce canal on avait stipulé en faveur de l’industrie linière.
M. Desmet – Messieurs, le
projet d’ouvrir, pour
Vous aurez vu que depuis quelque temps les trois pays qui nous entourent se préparent à un rapprochement commercial et étendent, pour ainsi dire, leurs bras au-dessus de nous pour se donner la main et jeter les bases d’une association, ou celles des traités de commerce et de navigation, en nous laissant isolés au milieu d’eux.
Si de tels projets devaient se
réaliser, quel sort devons-nous craindre, qui serait réservé à
Par le fait seul du rapprochement et d’une communauté d’intérêts, ne devrions-nous pas craindre que le commerce réciproque de ces trois nations deviendrait de plus en plus important et dans la proportion qu’il s’étendrait, ne verrions-nous pas décroître nos relations que nous entretenons avec chacune d’elles et particulièrement avec celle avec laquelle nous en avons toujours eues d’intimes ?
Or, il est à remarquer que, dans
l’état actuel des choses et dans un moment où
Sa sphère est déjà trop petite pour le développement de ses diverses branches d’industrie ; elle produit déjà trop pour la consommation qu’elle peut avoir chez elle : que deviendrait-elle donc, si elle voyait encore décroître les débouchés qu’elle possède chez les nations qui l’environnent ? Elle ne pourrait qu’étouffer dans sa prison ou se voir desséchée par un marasme pléthorique.
J’ai cru nécessaire de soumettre ces réflexions à vos méditations, et à celles du gouvernement, qui, je m’en flatte, y aura quelque égard ou aura probablement déjà pris ses mesures pour arrêter le coup et sauver le pays de la catastrophe que ses voisins lui préparent.
Il connaît la position périlleuse où le pays se trouve pour ce qui regarde ses intérêts commerciaux et industriels ; il connaît ses besoins ; il sait que c’est surtout le marché qui lui manque ; il sait aussi qu’il y a nécessité absolue de l’agrandir sur le territoire étranger, et il appréciera le flagrant de la lutte qui existe entre les nations marchandes et industrielles pour ne pas se hâter à développer par tous ses moyens, afin que la nôtre en sorte avec avantage.
Mais cette crise et ce combat à mort qui existe entre les peuples qui produisent et qui vendent, me donnent de plus en plus la conviction que nous devons employer tous les moyens qui nous sont possibles pour fabriquer du beau et du bon, et au plus bas prix, et qu’il faut surtout ne rien ménager pour faire arriver nos marchandises sur les marchés étrangers de la manière la plus facile et la plus économique ; qu’il faut donc soigner les voies de transport et de communication, et les rendre les plus directes, les plus commodes et les moins frayeuses.
Ce sont ces vues que j’ai toujours eues depuis qu’il a été question du nouveau canal vers un pays étranger et vers un centre de grande communication, et c’est pourquoi j’ai toujours été partisan du prolongement du canal de Roubaix jusque dans une de nos rivières.
Je n’ai pas seulement apprécié tous les avantages qu’auraient tirés de ce canal les exploitations qui portent l’aisance et la prospérité dans une province wallonne, mais j’ai surtout considéré tout le bien-être commercial qu’en aurait ressenti une grande partie de la province que je représente ici. J’ai dit qu’il fallait aller au-devant d’une nation qui voulait nous donner la main pour frayer une nouvelle voie de transport vers une partie de son territoire, qui aurait consommé en abondance les produits divers de nos exploitations agricoles et manufacturières…
Quoique j’aie de la sorte apprécié
ce nouveau canal, et que le gouvernement, comme la majeure partie du pays,
l’aient aussi considéré comme avantageux à
On a déjà longuement répondu à ces objections ; mais comme elles constituent le principal objet de la controverse, je me permettrai d’émettre mon opinion à leur sujet.
Pour bien s’entendre et pouvoir clairement discuter cette question, il faut d’abord voir de quelle navigation dans l’intérieur il s’agit.
Il faut aussi l’examiner en présence des deux canaux projetés et apprécier quels changements dans la navigation leur exécution respective apporterait.
Avant d’aborder cette question, je dois cependant déclarer que, pour moi, ce ne sera jamais l’intérêt secondaire de la navigation dans l’intérieur, ou les intérêts particuliers de quelques localités dans le passage ou les arrivages des bateaux, qui m’arrêteront à procurer à l’avantage de notre agriculture, de nos manufactures ou de nos exploitations souterraines de nouvelles voies d’exportation vers les pays étrangers ; car, comme je l’ai dit, la difficulté n’existe point à produire, mais à vendre, et à vendre le plus avantageusement.
Par l’établissement du canal de l’Espierre, la navigation doit d’abord accroître sur nos eaux, sur le haut Escaut, depuis Mortagne jusqu’à Warcoing par Tournay.
Elle doit s’accroître, sinon de
toute la partie de la navigation qui de
Déjà M. le ministre des travaux publics vous a fait voir toute l’importance de cette navigation en vous communiquant une relève du courant de l’année 1839. Le dossier qui nous a été distribué contient celui du courant de l’année 1837.
D’après le relevé officiel de
l’octroi de la ville de Lille, dans le cours de l’année 1837,
Et d’après le relevé officiel de l’octroi de la ville de Roubaix, cette ville en a consommé, sur cette quantité, 30,000 tonneaux.
L’industrie et la population de Tourcoing sont en analogie parfaite avec celles de Roubaix ; on peut donc évaluer sa consommation égale à celle de Roubaix.
Et comme les quatre cantons de Lannoy, Roubaix, Tourcoing et Waltrelois, comptent, dans leur ensemble, une population de 100,000 âmes, que Roubaix et Tourcoing en contiennent 40,000 ; admettre pour 60,000 habitants répandus dans les campagnes une consommation égale à celle faite par les 20,000 habitants de Roubaix, ce ne sera certainement pas exagérer le chiffre, surtout que ces campagnes sont aussi parsemées de fabriques et d’usines, qui consument beaucoup de charbon.
Ainsi, sur les 337,000 tonneaux que
Il est incontestable que cette partie de la navigation que vous enlèverez à votre voisin est déjà très importante ; aussi c’est ce qu’on reconnaît en France, car voyez ce qu’en dit M. Honnorez dans un mémoire qu’il a publié le 23 juillet 1835, où il dit entre autres, qui si jamais le canal de l’Espierre se fait, il y aura une révolution dans toute la navigation du département du Nord, qui tendra à faire tirer par Lille, Roubaix et Tourcoing, par un canal belge, tous les charbons qui leur arrivent aujourd’hui par les canaux français.
Il y aura donc, ajoute M. Honnorez,
grand dommage pour la navigation française, et, par conséquent, dommage pour le
trésor, dommage pour l’immense vallée de
Voilà, messieurs, comment M. Honnorez envisage l’établissement du canal de l’Espierre pour le tort qu’il fera à la navigation française, et par conséquent les avantages qu’en retirera la navigation belge. Et vous savez que M. Honnorez est en état d’en juger.
Vous avez vu comme moi comment le conseil général du département du Nord envisage le nouveau canal du chef de la navigation, dans un rapport du 21 juillet 1834, qui se trouve aussi au dossier.
« Nous avons aujourd’hui, y est-il dit, un ensemble si sage, si bien combiné, si forcément possédé et défendu de canaux français, qui, sans rien emprunter au territoire français, et par une navigation toute intérieure et toute française, unit le grand centre de production des houilles avec le centre de fabrication où fleurissent Lille, Roubaix et Tourcoing !
« Quelle grande nécessité d’abandonner cette ligne de navigation qui est nôtre, qui ne révèle que de nous, sur laquelle s’élèvent nos forteresses, pour aller envoyer nos chargements en transit par Antoing et Tournay.
« Disons-le donc, nous avons une navigation toute nôtre ; c’es un ien dont nous devons être fiers et que l’étranger nous envie.
«
Ces observations sont assez claires pour vous faire voir qu’elles sont les craintes que les Français ont de perdre une navigation si importante pour l’ouverture du canal de l’Espierre.
De la même manière, il a été envisagé en Belgique par ceux-là mêmes qui fréquentent les deux navigations françaises et belges, et qui trouvent leur unique existence dans la navigation.
Je veux parler des bateliers qui vous ont adressé une pétition, souscrite à Mons et Gand les 10 et 11 février 1834, en faveur du canal de l’Espierre et qui, après beaucoup de considération en faveur de cette navigation, se résument de la sorte : Nous demandons la navigation par le canal de l’Espierre, parce que par cette voie la navigation vers le département du Nord s’accroîtra, ainsi que la consommation des houilles belges ;
Que la navigation du haut Escaut
belge et le passage par Tournay vont considérablement s’accroître par le
creusement du nouveau canal, et que de ce chef c’est un avantage pour
Mais, répondrons les partisans du
canal de Courtray, si le canal de l’Espierre est si avantageux pour
On pourrait peut-être adopter ce raisonnement et le trouver juste, s’il y avait possibilité d’établir qu’un canal pourrait être remplacé par un autre qui n’aurait pas la même direction et qu’il pourrait absolument servir au même usage, c’est-à-dire qu’on pourrait arriver aux mêmes destinations et y faire les transports avec la même facilité et les mêmes frais.
Mais, comme c’est une chose qui peut être mise sur la ligne de celles qu’on peut envisager comme impossible, du moins en pratique, je peux donc repousser le raisonnement et les conséquences qu’on veut en tirer.
Mais les adversaires mêmes du canal d’Espierre reconnaissent que le canal de Courtray ne peut pas remplacer celui-ci et qu’il ne procurera pas les mêmes avantages pour le transport en France des produits belges. Je pourrais vous citer beaucoup d’observations qu’ils ont faites à ce sujet, mais je me bornerai à vous présenter celles que les ingénieurs Vander Elst ont consignées dans un mémoire qu’ils vous ont adressé.
Ce mémoire porte la date de juillet 1839.
Pour démontrer que la navigation de
Par la première voie, le fret s’élève à 4 francs 68 c., et par la seconde à 5 francs 85 c. par tonneau.
Il y a donc une différence en faveur du canal de l’Espierre de 1 franc 17 c. par tonneau.
Vous trouverez ce calcul établi dans tous ses détails, à la page 33 du mémoire.
Et à la page 11 de ce mémoire les
mêmes ingénieurs démontrent, par un calcul qui est établi, comme le précédent,
sur des données officielles, qu’il y a, dans le fret de la navigation par
Il y a donc un avantage sur le fret
par la navigation de
Avec un tel avantage dans la dépense
du fret, comment pourrait-on concevoir que les bateliers abandonneront les
canaux de
Il est donc clairement démontré que
le canal de Courtray ne pourra jamais servir de voie pour le transport des
houilles du Hainaut destinées pour Lille et le centre manufacturier de Roubaix
et de Tourcoing ; et il est, par conséquent, incontestable que ce canal ne
pourra jamais remplacer le canal de l’Espierre et procurer tous les avantages
que l’exportation de nos produits vers
Messieurs, je crois donc qu’il vous est démontré que par le creusement du nouveau canal de l’Espierre, la navigation sur le haut Escaut belge en amont de Warcoing y trouvera de grands avantages et qu’au lieu d’y perdre, la navigation belge y gagnera considérablement.
Mais, objecte-t-on encore, le nouveau canal fera un tort immense à la navigation dans les deux Flandres et aurait pour conséquence d’enlever aux canaux et rivières belges, dans un avenir plus ou moins prochain, la navigation vers Dunkerque en la transportant dans les eaux françaises.
Je n’entrerai pas dans de grands détails pour vous démontrer que cette crainte n’a aucun fondement.
Déjà M. le ministre des travaux publics y a amplement répondu, et les explications qu’il vous a données sur cette objection doivent pleinement vous apaiser.
Il vous a fait voir de quelle petite importance est le transport des houilles vers Dunkerque, depuis le système des zones établi en France.
Les lois de douanes établissaient en France, il y a deux ans, un droit sur les charbons anglais, de 1 francs 10 c.
Et sur ceux belges, de 33 centimes.
Depuis, le tarif a changé, et
aujourd’hui, les charbons anglais paient 55 centimes et les nôtres 16 ½
centimes. Ce nouvel état de choses a dérangé l’ancien équilibre. La différence
de droit était il y a deux ans, en faveur de
Cette facilité apportée à l’introduction en France des charbons anglais a eu pour résultat immédiat de diminuer, le long du littoral de l’Océan, la consommation des charbons belges ; la navigation de Mons sur Dunkerque s’est immédiatement ralentie.
Aussi on a vu, si mes renseignements sont exacts, qu’en 1838 le nombre de bateaux qui sont passés dans les eaux des Flandres en destination pour Dunkerque n’a été que de 115.
Il vous a aussi communiqué les calculs de M. Woltier, ingénieur en chef de la province de Flandre orientale, qui a été spécialement chargé de l’étude du nouveau canal d’Espierre, qui a résolu cette question en posant les chiffres suivants :
La navigation de Mons vers Dunkerque
coûte au tonneau : par les Flandres, 1 franc 60 c., par
Il est vrai que ces péages peuvent
être modifiés en faveur de
Mais à ce sujet, une circonstance ne vous échappera pas, et qui cependant donne une solution complète à la question : c’est celle que si les charbons devaient quitter les eaux belges pour prendre les eaux françaises, probablement, par celles-ci, la voie qui offrirait l’apparence de la plus légère économie serait préférée.
Cette voie ne serait pas celle de
Roubaix. Ce serait celle de
Il est, comme vous le voyez, très facile à démontrer que le canal de l’Espierre, au lieu de porter quelqu’atteinte à la navigation belge, l’avantagera de beaucoup sur le haut Escaut, et cela au détriment de la navigation française.
Si la navigation dans les Flandres
pouvait faire des pertes par l’exécution de l’un ou de l’autre des deux canaux en projet, ce
serait certainement par celui de Courtray. Si ce canal s’établit, Audenaerde et
Gand feront des pertes réelles, car aujourd’hui toutes les marchandises qui
viennent de Mons et de Tournay en destination pour Courtray et environs,
descendent l’Escaut jusqu’à Gand pour y entrer dans
Cette navigation est assez
importante, car on compte qu’annuellement il passe au pont de Deynze sur
C’est ce que les bateliers de Gand
soutiennent de même dans la pétition qu’ils ont adressée à la chambre, ainsi
que les chambres de commerce de Gand et de Bruges dans leurs avis qui nous ont
été communiqués et la députation du conseil provincial de
Si les villes d’Audenarde et de Gand
perdent dans le passage des bateaux, si le canal de Bossuyt ne s’étend que
jusqu’à Courtray, les villes de Bruges et de Nieuport perdront de même ;
si, pour compléter le système, la jonction se fait de
Si je fais ces remarques, ce n’est certainement pas pour critiquer le projet du canal de Courtray et la continuation jusqu’à Ypres, car je suis aussi partisan de cette nouvelle voie de transport, mais je le fais dans le seul but de vous démonter que ce ne sera jamais le canal de l’Espierre qui pourra faire du tort à la navigation sur les rivières et canaux dans les deux Flandres.
Mais on ajoute encore aux objections qu’un savant ingénieur français a prédit que par le creusement du canal de Roubaix, on aurait pu faire une révolution complète dans les eaux navigables des départements du Nord et du Pas-de-Calais, et faire une navigation directe de Lille à la mer du Nord.
Je ne pourrai pas dire comment cet ingénieur a entendu le système qui a avancé ; mais il ne faut que consulter le territoire de la partie française qui est entre Lille et les rives de la mer du Nord, pour vous convaincre que la direction vers la mer ne peut pas être tellement améliorée comme on voudrait le faire accroire.
Car, sur le territoire français, la seule autre direction et amélioration qu’on pourrait porter aux voies de navigation vers la mer du Nord, ce serait le complément du canal commencé, de la haute Lys française vers Hazebrouck par Merville, car il n’y a pas d’autre moyen de traverser les hautes montagnes qui se trouvent dans la direction de Cassel. Mais en ouvrant la carte, vous vous apercevrez de suite que le canal de Hazebrouck est dans une direction parallèle au canal de Neuffosse et de l’Aa canalisé, et qu’à une petite distance de ces canaux, on ne pourra pas, par conséquent, procurer l’amélioration dans la navigation vers la mer, comme on voudrait bien le faire présumer.
D’ailleurs, messieurs, veuillez
encore une fois le remarquer, que ce n’est pas le canal de Roubaix qui pourra
influencer dans cette amélioration de navigation et être la cause, en tout cas,
que
Cette voie étant bien plus courte, plus facile et plus économique que celle par le canal de Roubaix, il est indubitablement assuré qu’elle sera préférée.
Il est donc encore une fois démontré que de ce chef notre navigation ne peut rien perdre, et c’est ainsi que les objections de la navigation tombent l’une après l’autre.
Une autre objection principale que les adversaires du canal de Roubaix font valoir, c’est celle, que le creusement de ce canal est un obstacle à la réalisation du projet du canal de Courtray, et que si le premier ne se fait pas, on pourra exécuter le dernier, autrement pas.
J’ai eu beau étudier la question et la tourner de tous les côtés, je n’ai pu me rendre compte de cette objection et de sa réalité. Jamais je ne pourrai voir que le canal de Courtray aurait de tels avantages du non creusement du canal de Roubaix, pour pouvoir en faire une condition de sine qua non d’exécution.
Nous vous avons fait voir déjà, que les canaux de l’Espierre et de Courtray ne sont pas dans des conditions de concurrence telles que la construction du premier puisse faire obstacle à l’établissement du second.
Nous vous avons aussi fait voir, et par les calculs même des adversaires du canal de Roubaix, des ingénieurs Vander Elst, qu’il y avait une économie considérable pour conduire les produits du Hainaut à Lille par le canal de Roubaix, au lieu que de suivre celui de Courtray.
Qu’il était donc de toute impossibilité d’admettre qu’il puisse y avoir concurrence entre les deux canaux pour approvisionner un article du département du Nord. Si ce n’est entre Warneton et Courtray.
Mais une si petite étendue de navigation pourra-elle jamais influencer sur la base des calculs pour une entreprise aussi coûteuse que celle du canal de Courtray ? Certainement personne ne pourra le démontrer.
Je finis en renouvelant mon opinion en faveur du canal de l’Espierre, parce que je vois dans ce canal une nouvelle et importante voie pour l’exportation des produits belges au pays étranger et vers un centre de grande consommation ; que la navigation belge, au lieu d’y perdre y gagnera, et qu’il me paraît de toute évidence que le canal ne peut présenter le moindre obstacle sérieux au creusement du canal de l’Escaut à Courtray.
Si je suis partisan du canal de Roubaix, parce que j’y vois un intérêt général pour le commerce, l’industrie et l’agriculture du pays ; je le suis aussi du canal de Courtray, parce que j’y vois aussi un intérêt pour cette ville et ses environs, et je fais des voeux pour qu’il puisse s’exécuter. Car certainement le détour que les produits de Tournay et de Mons doivent faire pour arriver à Courtray est considérable et frayeux outre toute mesure.
C’est ce qu’on a vu depuis plusieurs
siècles, et que sous tous les gouvernements on a fait des études pour obtenir
la jonction de
C’est encore pour ce motif que l’inspecteur des ponts et chaussées Vifquain a présenté le projet de jonction d’Eeke à Deynze, étant le premier point entre Tournay et Gand, qui montrât la possibilité d’atteindre le but.
Et si on ne trouve pas les moyens de
donner suite au projet du canal de Bossuyt, je partage entièrement l’opinion de
M. Vifquain, qu’il faut faire la jonction à Eeke. Elle n’entraînera point de si
fortes dépenses, et elle procurera de grands avantages au bassin de
Ce membre critique le canal, parce qu’il craint que sa jonction à l’Escaut produirait une plus grande quantité d’eau dans cette rivière et augmenterait les inondations dans les Flandres.
Si je ne partage pas entièrement
cette crainte, je la trouve cependant plus fondée que celle qu’ont fait valoir
d’autres adversaires du canal, en alléguant qu’il procurerait à
C’est assez étrange que sur un point
si important, les adversaires du canal de l’Espierre ne soient pas d’accord,
que les uns avancent que ce canal enlèvera à
A la première objection, celle que les eaux de nos rivières pourront être dérivées par l’établissement du canal de l’Espierre, l’honorable M. de Puydt y a déjà amplement répondu et vous aura pleinement apaisé sur cette objection.
Il vous a fait voir que la crainte
exposée par ces membres et sur quoi est basée la protestation de la députation
du conseil provincial de
Il vous a fait voir encore que le plan de l’ingénieur Cordier était purement hypothétique et que lui-même en a reconnu l’impossibilité.
Il serait difficile de vous le démontrer autrement que vous l’a fait M. de Puydt. Sa démonstration aussi vraie que lucide, vous a fait sentir que les suppositions faites par l’ingénieur français étaient toutes gratuites et que géologiquement envisagées ne présentaient aucune possibilité d’exécution.
Je n’y ajouterai que quelques mots
pour vous faire remarquer que si même les suppositions de M Cordier étaient
réalisables, les résultats n’en pourront être que désavantageux à
C’est ce que les habitants des rives
des rivières du département du Nord et de celui du Pas-de-Calais, savent si
bien que jamais ils ne laisseraient faire cet essai, même s’il se trouvait dans
le cadre des choses possibles ; et ils le prouvent presque tous les ans,
car il y a peu d’années qui se passent sans que de
Et pour ce qui regarde la navigation
que les plans supposés de M. Cordier pourraient enlever à la navigation de
l’Escaut et de
Mais comme on craint, comme le
député de Gand, que la jonction du canal de Roubaix à l’Escaut pourrait
conduire par cette nouvelle voie, plus d’eau dans les Flandres, cette crainte
est, en apparence, plus fondée, car on pourrait supposer que la basse Deule et
Je ferai remarquer à l’honorable
préopinant que ce n’est pas là qu’on doit, en ce moment, chercher les causes
des inondations dont les Flandres ont à se plaindre tous les ans, mais que
c’est particulièrement dans les défauts d’écoulement qui existaient dans le haut
Escaut et dans
Je n’en dirai pas plus sur la question des eaux des Flandres, nous devrons encore en parler quand on traitera les améliorations à faire à l’Escaut, et les obligations que le gouvernement a contractées depuis qu’il a pris à lui cette rivière.
Messieurs, comme on voulait pousser les objections contre le canal de l’Espierre à outrance, on en a encore cherché une dans le barrage qui doit être établi sur le haut Escaut à Hauterive, on a dit que ce barrage, établi pour fournir la hauteur d’eau suffisante pour faire la jonction entre le canal et la rivière, allât en peu d’années ensabler l’Escaut aux environs du barrage.
D’abord, nous ferons remarquer que le barrage d’Hauterive est justement celui qui doit être établi pour le canal de Bossuyt, et non pas pour le canal de l’Espierre, dont l’embouchure est à une grande distance d’Hauterive.
D’ailleurs, qu’on mette à exécution les projets de M. Vifquain, on ne devra pas avoir peur des ensablements qui se formeraient dans le haut Escaut, les redressements et les canaux de dérivation ou l’écoulement en seront un remède efficace.
Messieurs, avant de terminer, je dois encore le répéter, je ne vois dans les objections qu’on fait contre le canal de l’Espierre, aucune qui soit fondée, et je m’étonne fortement qu’on trouve une telle opposition à une nouvelle voie d’exportation et qui nous procurera un nouveau débouché vers un pays qui est si important pour la consommation de nos produits, et justement dans un moment où de tous côtés les industriels comme les négociants de Belgique demandent l’agrandissement du marché et les moyens de se défaire de leurs marchandises.
M. de Puydt – On vient de parler
de dangers d’inondations que l’on craint par l’Escaut, en conséquence de la
construction du canal de l’Espierre ; ces craintes sont sans motifs. Le
canal de l’Espierre réuni au canal de Roubaix, présente un point de partage, de
sorte qu’il est impossible que les eaux remontent par là pour aller dans
l’Escaut ; de manière qu’il est impossible que
Je considère ces barrages comme très nécessaires à la navigation et je considère de plus les barrages comme ne pouvant nullement nuire à l’écoulement des eaux. C’est là une question d’art sur laquelle les hommes de l’art sont aujourd’hui parfaitement éclairés.
M.
Pirson – Je voudrais faire remarquer
à l’assemblée que la discussion a été jusqu’à présent à peu près oiseuse en ce
qu’il n’y a point de proposition faite. Nous discutons sur l’exécution du canal
de l’Espierre ; ce canal a été adjugé, le ministre nous a communiqué
toutes les pièces, mais c’est là une simple communication qu’il a faite pour
rendre compte de l’emploi fait par lui de la loi sur les péages que la chambre
lui a accordé l’année dernière ; c’est en demandant la prorogation de
cette loi qu’il a fait cette communication. Dans la séance du 20 décembre, la
chambre a demandé des explications à M. le ministre. M. le ministre a donné ces
explications et voilà tout ce qui existe sur le bureau ; maintenant
trouvera-t-on que les explications de M. le ministre sont suffisantes ou
qu’elles ne le sont pas ? Dans ce dernier cas, il faudrait en demander de
nouvelles. Mais je crois que ce n’est pas là ce qu’ont en vue certains
orateurs, surtout ceux qui sont tout à fait opposés au canal de l’Espierre. Je
crois que ceux qui désapprouvent la concession doivent formuler une proposition
quelconque et alors nous pourrons discuter cette proposition mais si l’on ne
fait pas de proposition, je pense que nous devrons passer à l’ordre du jour car
tout cette discussion est alors parfaitement inutile.
M. Dumortier – Messieurs, il y a dans les
observations que vient de présenter l’honorable préopinant quelque chose de
très vrai, c’est que cette discussion ne mène à rien, mais d’où provient que
cette discussion ne mène à rien ? Cela provient de ce que le ministère,
l’avant-veille de l’ouverture de la session, a adjugé le canal, alors qu’il
aurait dû attendre.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il a usé de son droit.
M.
Dumortier – Il n’a pas usé de son
droit ; il n’avait pas le droit de faire ce qu’il a fait ; mais
eût-il eu ce droit, il n’en serait pas moins vrai qu’il a manqué à son
devoir : son devoir était de ne pas précipiter les choses.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Je vous ferai une
proposition.
M.
Dumortier – Je ferai ce que je devrai
faire ; je n’ai point de conseils à vous demander à cet égard. Vous avez
abusé de votre position en venant l’avant-veille de la session adjuger le canal
de l’Espierre, afin d’éviter la discussion des graves questions que soulevait
le projet de ce canal, et lorsque vous venez maintenant nous dire que vous
désirez cette discussion, c’est une comédie qu vous jouez.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Rien de plus simple, messieurs, que de venir dire ;
Vous avez abusé de la loi, vous avez abusé de la confiance de la
législature ; mais c’est précisément là qu’est la question. Nous soutenons
que nous n’avons pas abusé de la loi du 19 juillet 1832, que ceux qui trouvent
que nous en avons abusé, qu’il y a eu excès de pouvoir, que ceux-là fassent une
proposition, je leur en fait l’invitation me joignant à cet égard à l’honorable
M. Pirson ; mais que l’on cesse de résoudre la question par la question,
que l’on cesse de poser en fait ce que nous nions et ce que nous espérons que
la majorité de la chambre niera avec nous.
M.
Dumortier – Il est un fait incontestable,
c’est qu’il s’est passé dans l’affaire du canal de l’Espierre des choses qui
jamais ne se sont vues en Belgique : 20 jours avant l’ouverture du
parlement le gouvernement annonce l’adjudication, et à 17 jours de distance, 3
jours avant l’ouverture des chambres le canal est concédé, nonobstant les
protestations réitérées des demandeurs en concession du canal de Bossuyt et des
personnes qui avaient demandé la concession du canal de l’Espierre. Lorsque le
gouvernement s’est conduit d’une pareille manière, lorsqu’il est passé
au-dessus de toute espèce de convenance, de toute espèce de respect humain,
lorsqu’il n’a accordé qu’un délai tellement court que ceux qui étaient dans le
secret pouvaient seuls se présenter pour obtenir la concession, je le demande,
sied-il bien au ministère de venir dire qu’il a usé de son droit ? Je le
répète, si le droit que vous invoquez avait existé, vous n’en auriez pas moins
trahi votre devoir ; mais ce droit vous ne l’aviez pas : un traité de
commerce avait été conclu avec
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Ou le gouvernement avait le droit de concéder le canal ou il
ne l’avait pas ; s’il avait ce droit, lui seul était juge de la question
de l’opportunité qu’il y avait de l’exercer, lui seul était juge de la question
de savoir quel jour il devait en user ; si, au contraire, le gouvernement
n’avait pas le droit d’adjuger le canal, alors tous les droits des chambres
sont restés intacts, usez-en. Voilà le dilemme par lequel je réponds à
l’honorable membre, qui a de nouveau décidé la question par la question en
disant que la convention faite avec
Le gouvernement savait fort bien qu’il y aurait une
discussion ; évidemment une question de cette importance qui avait été
tenue en suspens depuis 15 ans ne pouvait pas échapper à une discussion. Le
gouvernement le savait et il s’est préparé à cette discussion. Mais devait-il
se présenter devant vous avec des faits non accomplis lorsqu’il avait le droit
d’accomplir ces faits ? Ne lui aurait-on pas dit de nouveau alors :
« La loi vous donne le droit d’agir, agissez donc, et ne venez pas
demander un avis, une permission à la chambre ? » Nous n’avons pas
demandé d’avis parce qu’un avis ne nous était pas nécessaire, nous avons fait
ce que nous avions le droit de faire, en vertu de la loi du 19 juillet
1832 : nous avons agi dans l’intérêt du pays, nous avons bravé les
préjugés parce que nous avions le pouvoir de les braver, parce qu’il était de
notre devoir de les braver.
Maintenant que l’on aborde le fond de la question, que
l’on fasse une proposition, nous en accepterons toutes les conséquences.
M. de Foere – Messieurs, il est vrai que nous discutons dans l’absence
toute proposition ; mais une proposition n’est pas nécessaire. L’honorable membre de Dinant a
oublié que nous sommes dans la discussion générale du budget des travaux
publics ; or il a été convenu que dans la discussion générale des budgets,
ce qui est, d’ailleurs, établi par nos usages, on pourrait attaquer les abus,
les excès de pouvoir commis par le ministère. Certes, personne ne viendra
contester ce droit à la représentation nationale. S’il était établi que nous ne
pouvons plus signaler et discuter les abus dont le ministère se rend coupable,
alors la représentation nationale deviendrait en grade partie inutile et il n’y
aurait plus moyen de demander et d’obtenir le redressement des griefs et
d’arrêter les excès du pouvoir exécutif.
Je conviens avec M. le ministre des travaux publics
qu’il avait le droit d’avoir une opinion, une conviction même sur la
constitutionnalité de la concession du canal de l’Espierre ; mais je lui
conteste le droit d’exécuter, par la concession, sa propre conviction
particulière, alors qu’une conviction contraire était publiquement établie dans
le pays. Il n’est pas même nécessaire de prouver que nul ne peut être juge et
partie dans sa cause ; l’évidence est saillante. J’ai signalé, dans la
discussion, les conséquences désastreuses que recèle le principe contraire. Si
le principe opposé était admis, les ministres, pour justifier leurs actes les
plus exorbitants et les plus arbitraires, n’auraient plus qu’à alléguer leur
conviction et nous dire ; J’étais convaincu de la constitutionnalité de
mes actes, donc ils sont constitutionnels. Si un semblable système de défense
était admis, il n’y aurait plus de garantie pour aucun intérêt du pays.
M. Dubus (aîné) – Je pense également, messieurs, qu’une proposition n’était
pas nécessaire pour motiver la discussion à laquelle la chambre s’est livrée
jusqu’ici. La discussion a été ouverte sur l’ensemble du budget des travaux
publics, et si elle s’est établie spécialement sur la question du canal de
l’Espierre, c’est que cette question a absorbé toute l’attention de la chambre.
C’est donc par suite de l’importance même de la question que la discussion a
porté jusqu’ici sur ce seul point, et il n’a point fallu de proposition pour
amener ce résultat ; mais vraisemblablement une proposition arrivera par
l’effet même de la discussion comme il pourrait en arriver sur d’autres points
qui auraient fixé l’attention de la chambre.
Voilà, messieurs, ma manière de voir sur la motion de
l’honorable député de Dinant.
Quant au dilemme dans lequel M. le ministre des
travaux publics s’est retranché, je dirai que pour bien des députés et
notamment pour moi, ce dilemme n’est nullement satisfaisant, que ce dilemme
n’apaise pas la conscience de tout le monde. Il ne suffit pas de dire :
« J’ai eu le droit de faire l’adjudication, ou je ne l’ai pas eu ; si
je n’ai pas eu ce droit faites une proposition. » En admettant que le ministère
eût le droit de concéder le canal, il resterait encore à examiner de quelle
manière il en a usé, s’il en a usé avec une précipitation inusitée et
dommageable pour les intérêts du pays ; à cet égard, il faudrait, dans
tous les cas, donner des explications satisfaisantes à la législature.
Il ne suffit donc pas d’un dilemme pour se dispenser
de donner des explications ; quant à moi, je déclare que ces explications
me sont nécessaires ; mais même en présupposant que le ministre eût le
droit de faire la concession sans une loi spéciale, je dis qu’il y a eu
précipitation inusitée ; et, à cet égard, je n’ai trouvé d’autre
explication de la part du ministre, sinon qu’il a accordé un délai de 17 jours,
au lieu du délai de 8 jours, prescrit par les règlements. Eh bien, je dirai que
l’examen des règlements sur la matière m’a donné une opinion tout opposée à
celle-là ; j’y ai rencontré un article qui porte formellement que le
demandeur en concession, c’est-à-dire celui qui connaît naturellement le
travail, tous les dessins, tous les devis, puisque c’est son œuvre ; que
ce demandeur, dis-je, peut réclamer le délai d’un mois pour se prononcer sur
l’acceptation ou la non-acceptation du cahier des charges ; et pourquoi ce
délai ?
Pour que le demandeur en concession puisse se livrer,
dans le silence du cabinet, à l’étude approfondie du cahier des charges, avant
de se lancer dans une entreprise considérable. Eh bien, messieurs, ceux qui
veulent concourir avec le demandeur en concession, qui ont à étudier non
seulement les conditions du cahier des charges, mais encore tout ce que connaît
a priori le demandeur en concession, ceux-là, dis-je, n’auraient pas droit à un
semblable délai : il suffirait de leur donner un délai de dix-sept jours.
Mais c’est là une chose que je ne puis comprendre ; si l’on a jugé qu’un
mois était nécessaire pour le demandeur en concession, il me semble qu’on doit
en conclure qu’il fallait au moins six semaines pour le public.
Je ne puis pas comprendre, je l’avoue, cette manière
de raisonner. Je dis que le ministre doit nous donner des explications sur les
motifs qui peuvent l’avoir déterminé à un simple délai de 17 jours pour ceux
qui voudraient concourir avec le demandeur en concession, il me semble que sans
cela on est autorisé à croire que les dispositions des règlements n’ont pas de
motifs ou que la concurrence a été impossible.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Il a été répondu à cette
dernière observation : les règlements sont très bien faits, mais on vous les
explique mal. Il est très vrai que le demandeur en concession peut, s’il ne se
prononce pas de prime abord, réclamer un délai d’un mois ; mais s’il y a
de prime abord acceptation ou refus de sa part, il n’y a plus lieu de lui
accorder le délai d’un mois ; or, c’est précisément ce qui est
arrivé ; et ce que j’ai longuement exposé à la chambre dans les
explications que j’ai données, en réponse aux trois questions qui m’ont été
posées par l’assemblée, de sorte qu’il n’est pas exact de dire que d’après les règlements
il doit être nécessairement accordé un mois, dans tous les cas, au demandeur en
concession ; le demandeur est tenu de se prononcer dans le mois, à moins
qu’il ne se prononce plus tôt ; alors, il est inutile de laisser courir le
délai d’un mois à moins que d’autres circonstances imprévues ne rendent
nécessaire ce délai, et nous avons également prouvé que ces circonstances ne se
sont pas présentées dans le cas dont il s’agit.
M. F. de Mérode – Messieurs, un honorable préopinant a dit que la discussion
actuelle n’avait lieu qu’à l’occasion d’un abus qui aurait été commis par le
gouvernement ; eh bien, messieurs, si cette discussion n’est qu’une
discussion relative à un abus, nous devons être suffisamment éclairés. Voilà
quatre jours entiers qu’on discute sur le canal de l’Espierre, et je crois
qu’il serait fort difficile de présenter aucun argument nouveau, après les
explications qui ont été données par M. le ministre des travaux publics d’une
part, et après les réfutations de ceux qui n’admettent pas ces explications,
d’autre part.
Messieurs, une des choses qui me prouvent combien les
griefs qu’on a contre le canal de l’Espierre sont faibles, c’est la crainte
qu’on a manifestée tout à l’heure, d’inondations pour la ville de Gand. En
vérité, sans être ingénieur, je ne puis pas comprendre comment quelques écluses
d’eau qu’on peut donner ou refuser à volonté, pourraient contribuer à
l’inondation de la ville de Gand. Messieurs, quand on est obligé de recourir à
des arguments de cette force, on avoue que l’attaque qu’on dirige contre un
acte du ministère est bien faible.
On a dit aussi que le ministère a adjugé le canal la dernière extrémité, presque à la veille de
l’ouverture de la session des chambres. Mais quelle a été la cause de cette
lenteur ? Ce sont les précautions excessives que le ministère a
prises ; ce sont les négociations pour la convention faite avec
En résumé, messieurs, chaque partie de la puissance
publique a ses attributions ; si les diverses parties de cette puissance
publique usurpent leurs attributions respectives, nous ne sortirons jamais de
rien. Les tribunaux rendent des arrêtes plus ou moins bien motivés ; y
a-t-il une autorité quelconque dans l’Etat, excepté les tribunaux supérieurs
aux autres, qui s’ingère de redresser les arrêts des tribunaux ? Non, sans
doute ; on considère la justice comme une autorité qui s’exerce dans son
ensemble raisonnablement et avec équité, et l’on ne s’en occupe pas autrement.
Maintenant, si les attributions de la chambre
consistent particulièrement dans ses fonctions législatives ; si néanmoins
elle fait constamment de l’administration, ou qu’elle soulève une discussion
sur chaque route, sur chaque canal, enfin sur chaque objet d’utilité publique
que le gouvernement aura jugé convenable de faire exécuter, nous consacrerons
tout notre temps à discuter longuement ce qui n’est pas de notre compétence.
Et ici je conçois très bien qu’à propos du canal de
l’Espierre, l’on attaque le ministère ou qu’on motive l’adhésion qu’on lui
donne ; les uns disent que le ministère a bien fait, d’autres disent qu’il
a mal fait ; mais, en définitive, il faut bien que le ministère décide de
pareilles questions, et je ne pense pas qu’on puisse entraîner les chambres
dans des discussions interminables sur une affaire qui n’a pas l’importance
qu’on a voulu lui donner, tandis que nous avons une foule de lois à faire, que
l’intérêt du pays réclame avec instance.
M. Pirson – Je persiste à dire que tout ce qui vient d’être dit et tout
ce qui sera dit, sera oiseux, si l’on ne fait pas une proposition relativement au
canal de l’Espierre. Il faut donc déclarer ou que vous désapprouviez ce que le
ministère a fait pour en empêcher l’exécution, ou que vous le considériez comme
un fait accompli. Je parle à ceux qui ne veulent pas du canal de
l’Espierre ; un refus de budget ne serait pas un moyen de sortir de la
difficulté, car un refus de budget n’empêchera pas l’exécution du canal. Il
faut donc trouver un autre moyen quelconque, et si l’on en trouve un, je m’y
rallierai.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, je voulais faire
l’observation que vient de soumettre l’honorable préopinant, sans qu’il
l’approuve toutefois. Il y a beaucoup d’actes qui rentrent dans le contrôle des
chambres, sans qu’elles puissent annuler l’acte ; dans ce cas, le fait
reproché au ministère entraîne ce que l’honorable préopinant vient de vous
indiquer, savoir le blâme du ministre qui a posé l’acte. Mais ce blâme
n’empêche pas l’acte d’exister ; le blâme n’est plus qu’effet personnel
que je saurai comprendre le cas échéant ; c’est par exemple le refus du
budget. C’est là le gouvernement représentatif.
M. Dubus (aîné) – M. le ministre des travaux publics n’a pas compris la
question que j’ai faite tout à l’heure ; je n’ai pas demandé pourquoi l’on
n’avait pas accordé au demandeur en concession le délai d’un mois, mais j’ai
demandé pourquoi, lorsqu’on a mis en adjudication le canal de l’Espierre, on
n’avait pas accordé au public un mois pour concourir avec le demandeur en concession.
S’il y avait nécessité, d’après les règlements, d’accorder un mois au demandeur
en concession du canal de l’Espierre, lui qui connaissait son œuvre et qui
n’avait qu’à se prononcer sur le cahier des charges, à plus forte raison
devait-on donner un mois au public qui avait à se prononcer sur les devis, sur
le détail du travail et sur ce même cahier des charges ; je ne comprends
pas pourquoi l’on doit donner un mois à l’un et seulement 17 jours à l’autre.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, il y a une distinction à faire ; l’arrêté
sur les concessions accorde, à la vérité, un mois au demandeur en concession
pour se prononcer sur le cahier des charges : c’est une règle générale qui
a été introduite, quoiqu’il fût bien certain, ce que l’expérience a justifié
que dans une infinité de cas particuliers, ce délai sont beaucoup trop long. En
ce qui concerne les adjudications, il n’y a pas de règlement qui prescrive le
délai d’un mois ; ainsi, en matière d’adjudication, le ministre peut fixer
le délai qu’il juge convenable, suivant les circonstances, dans telle
circonstance, il fixera un délai plus long que celui d’un mois ; dans
telle autre circonstance, il fixera un délai moins long ; ce point est
laissé à la bonne foi du ministre, à son appréciation.
M. Dumortier – Il est incontestable que
des personnes qui voulaient se présenter pour l’adjudication du canal n’ont pas
eu le temps suffisant pour en examiner les conditions. Ceci est d’autant plus
incontestable que des protestations ont été déposées contre l’adjudication. Si
un demandeur en concession a le droit de demander un mois pour examiner le
cahier des charges, à plus forte raison doit-on l’accorder à ceux qui viennent
prendre part à l’adjudication. On ne répondra pas à ce qu’a dit à cet égard mon
honorable ami M. Dubus.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Lisez le règlement.
M. le président – L’assemblée paraît disposée à lever la séance.
La séance est levée à 4 heures ¾.