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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 décembre 1839

(Moniteur belge n°341 du 7 décembre 1839)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à midi et demi.

M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Les débitants de boissons distillées de Roulers adressent des observations sur la loi relative à l’abonnement des boissons distillées. »

« La députation permanente du conseil provincial de Namur émet, au nom du conseil provincial, le vœu qu’il soit fait une nouvelle loi sur la contribution personnelle. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« Les représentants de diverses sociétés charbonnières du couchant de Mons, négociants, banquiers et industriels adressent des observations en faveur de l’adjudication passée du canal de l’Espierre, et demande que la chambre passe à l’ordre du jour sur les pétitions de MM Ronstorff et Verrue-Lafrancq. »

- Renvoi à la section centrale pour le budget des travaux publics.


« Le sieur L.-J. Naverdet, maréchal-des-logis, au 2e chasseurs à cheval, né en France, demande la naturalisation. »

« La demoiselle Amélia Wood, née en Angleterre et établie en Belgique depuis 1819, demande la naturalisation. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.


« Les commis-greffiers du tribunal de première instance de Bruges demandent une augmentation de traitement, à l’occasion de la prochaine discussion du budget de la justice. »

« Le sieur Ig.-Jacq. Dubois, ex-sergent au 8e de ligne, ayant joui d’une pension pendant 2 ans, se plaint d’avoir été congédié par M. le ministre de la guerre avec une simple gratification de 120 florins. »

« Des habitants de la commune d’Auwegem (Flandre orientale) demandent que l’arrêté royal du 8 septembre 1825, qui les réunit, à partir du 1er janvier 1840, à la commune d’Huysse, ne soit pas exécuté. »

- Ces trois pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

Proposition de loi relative au notariat

Prise en considération

M. le président – Cette proposition a été développée dans une séance précédente ; si personne ne demande la parole, je mers aux voix la prise en considération de la proposition.

- La proposition est prise en considération.

M. le président – M. Zoude propose de renvoyer la proposition à une commission spéciale. Y a-t-il de l’opposition contre ce renvoi.

M. Delehaye – Cet objet est très important : il s’agit d’établir un privilège en faveur de quelques notaires ; la question mérité d’être examinée en sections. Je demande donc que la proposition soit renvoyée aux sections.

M. Zoude – Il ne s’agit pas ici de privilège, qu’on lise le rapport et l’on restera convaincu que la demande est fondée, non seulement en justice mais en équité.

M. de Brouckere – Mais il s’agit toujours d’établir une exception. Vous voulez une exception en faveur de quelques notaires ; nous ne voulons pas préjuger la question. M. Delehaye ne dit pas que l’exception ne soit pas fondée, mais toujours est-il vrai qu’il y a une exception en faveur de quelques notaires, et dès lors il convient de renvoyer un semblable projet aux sections.

M. Zoude – La chambre est libre de renvoyer le projet aux sections ou à une commission. Je sais bien qu’on rencontrerait dans les sections plus de lumières que n’en pourrait fournir une commission spéciale. Cependant il est à remarquer que la chambre étant occupée de la discussion des budgets, les sections pourraient difficilement se réunir, tandis qu’une commission spéciale aurait bientôt terminé son rapport. Je persiste donc dans ma proposition tendant à ce que le projet de loi soit renvoyé à une commission.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

Projet de budget des dépenses et des recettes de l'Etat de l'exercice 1840

Discussion générale

M. Sigart – Messieurs, je viens demander la permission d’interpeller le ministère au sujet des démissions qui ont ému le pays.

Je ne veux pas travailler au relâchement des liens de la discipline ; je suis d’avis que le pouvoir doit être sérieusement pouvoir. Outre l’obéissance complète que le subordonné doit à ses chefs dans la ligne de ses attributions, il a encore envers eux d’autres devoirs à remplir.

Mais si l’employé a vendu son talent, il n’a pas vendu sa conscience. Est-ce que par hasard, dans notre terre sainte de Belgique, on voudrait organiser une traite des consciences ? est-ce que par hasard l’employé devrait se livrer corps et âme ? elle n’est pas la pensée du gouvernement, je ne puis le croire. Il doit exister une ligne, une barrière derrière laquelle l’employé puisse se retrancher comme en un fort inexpugnable. Cette ligne, je viens prier le gouvernement de la tracer nettement pour notre gouvernement et celle des employés.

Je suppose que le gouvernement parvienne à bourrer cette chambre de fonctionnaires ; d’après le système d’obédience complète, absolue en tout, serait-ce encore un gouvernement représentatif ? ne serait-ce pas une dérision ? ne serait-ce pas, messieurs, un gouvernement absolu, plus une insulte à la nation ?

De deux choses l’une, ou bien plus de fonctionnaires dans les chambres, ou indépendance dans les fonctionnaires. Comme si l’honorable M. de Stassart, voué aux flammes éternelles, n’était pas suffisamment malheureux, on voulu encore le fustiger temporellement, probablement pour son bien. Il est évident que pour destituer l’honorable sénateur, on ne cherchait qu’un prétexte ; ce prétexte on l’a fait naître. On lui a reproché son défaut de franchise. Messieurs, (erratum, Moniteur du 8 décembre 1839 : ) édifiez-vous de la francise de M. de Theux. M. le baron de Stassart, tout le monde sait cela, est l’ennemi personnel de M. le comte d’Aerschot, et on ordonne à M. le baron de Stassart de travailler à une candidature rivale ! N’était-ce pas une bassesse qu’on demandait à M. de Stassart ? Je le demande, un homme d’honneur, pouvait-il accepter une pareille tâche ? mais pouvait-il la repousser alors qu’on l’accusait d’insubordination ?

On a parlé de pouvoir fort. Il n’en est rien, messieurs, il n’y a eu qu’un acte de faiblesse : un parti à commandé, on lui a obéi. MM. les ministres, gardiens du pouvoir royal, prenez garde ! Tant que vous céderez aux exigences, tout ira bien ; mais les prétentions iront croissantes, c’est leur nature ainsi faite. Vous-mêmes devrez enfin poser une digue ; je crains qu’alors il ne soit trop tard.

M. Verhaegen – Messieurs, en provoquant une discussion générale sur les budgets, j’ai, comme l’honorable M. de Brouckere, pris l’engagement d’y apporter mon contingent, et je me hâte de remplir cette obligation.

Quoi que je fasse partie de la majorité qui a voté pour le traité des 24 articles, je ne crains pas, messieurs, de conserver dans l’opposition la place que je me fais honneur d’y avoir prise. Loin de vanter le courage du ministère, loin de dire qu’il a bien mérité du pays, ainsi que le paraissait supposer hier un honorable membre, M. Dechamps, je blâme hautement sa conduite, et le premier reproche que je lui adresse, c’est de nous avoir préparé, par son impéritie ou par sa négligence, une nécessité à laquelle nous, mandataires de la nation, n’avons pu échapper sans compromettre la nationalité belge. Je ne crains pas, messieurs, de répéter ici ce que je disais naguère dans une discussion solennelle ; je disais aux ministres, loirs de la discussion du traité des 24 articles : « A vous seuls on demandera compte un jour de tous ces millions inutilement dépensés, de toutes ces manifestations d’opinions maladroitement provoquées, de toutes ces bravades qui ont failli nous exposer à la risée de l’Europe et compromettre la dignité royale ; de ces angoisses, entremêlées d’espérances, auxquelles nos malheureux frères ont été en butte ; de cette crise commerciale et industrielle enfin, que vous avez laissé éclater sans utilité. »

Le jour de rendre compte est arrivé, et le pays l’attend avec impatience. Le résultat de ce compte ne peut être que la dissolution du cabinet ; alors seulement on pourra dire que le fait est accompli, jusque-là la plaie restera toujours saignante.

Si de la question extérieure nous passons aux questions intérieures toutes vivaces, trouve-t-on que le cabinet mérite la confiance du pays ?

L’oubli par le ministère des promesses écrites dans la constitution, je dirai même la violation flagrante de la constitution, la violation des lois provinciale et communale ; les actes de brutalité qui ont précédé ou suivi l’intervention du gouvernement dans les élections ; son imprévoyance et sa torpeur au milieu des circonstances actuelles, son indifférence, j’ose encore dire son mépris pour le pouvoir judiciaire, un des trois pouvoirs indépendances de l’état, tels sont, entre plusieurs autres, les griefs que je formule contre le cabinet et que je soumets au jugement du pays.

Un honorable député de Thielt, dans une séance précédente, a formulé de son côté des griefs, qu’il a développés et dont nous avons pu apprécier le fondement. En développant ces griefs, il n’a pas pu condamner ceux dont il n’avait pas encore connaissance ; en prenant la parole le premier, il n’a pu, quoi qu’il ait dit M. le ministre de l'ntérieur, combattre les orateurs inscrits après lui.

L’oubli des promesses écrites dans la constitution.

Et d’abord l’article 139 faisait au gouvernement un devoir de s’occuper des objets qui étaient reconnus urgents. Le congrès national avait déclaré qu’il était indispensable de pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants : la presse, l’organisation du jury, les finances, l’organisation provincial et communale, la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir, la révision de la liste des pensions, etc. Qu’a-t-on fait depuis que la constitution est en vigueur ? De quelles lois a-t-on doté le pays ? Les plus importantes qui nous avaient été promises, celles qui devaient nous donner des garanties contre le ministère lui-même sont restées dans l’oubli. La première que nous attendions que le pays entier devait attendre avec impatience, c’était celle qui organisât la responsabilité ministérielle. L’article 63 de la constitution pote : « Le Roi est inviolable, les ministres seuls sont responsables. » Voilà deux principes corrélatifs et qu’il ne faut jamais séparer.

Le Roi qui, dans le système de la constitution, n’est que le mandataire du peuple lui devrait compte de ses actes, si le ministère en les contresignant n’en assumait la responsabilité. Mais pour que le Roi soit à l’abri de la critique, des accusations et de toutes les conséquences des déterminations qu’il peut quelquefois prendre contrairement aux vœux de la nation, il faut que les accusations et les condamnations puissent atteindre ses représentants devant l’opinion ; il faut que la responsabilité ministérielle ne soit pas un vain mot, mais un fait réel.

Une disposition légale est sans effet quand elle n’a pas de pénalité ; une loi sans sanction n’est rien ; c'est une chimère. Il n’y a pas de responsabilité ministérielle quand il n’y a pas de peines comminées par le législateur pour les fautes et les délits que les ministres peuvent commettre ; car après les avoir accusés et convaincus, à quoi et en vertu de quoi les condamnera-t-on ?

Et que signifient ces phrases, ces vaines parades des ministres : Nous assumons la responsabilité de nos actes ; nous sommes responsables ; nous ne reculons pas devant les conséquences de cette responsabilité ? Ce sont des mots et rien de plus. Aussi longtemps que nous en serons réduits à des mots, la responsabilité ministérielle n’existera pas, et, par une conséquence nécessaire, l’inviolabilité du chef de l’état sous le point de vue moral, s’entend, sera mise en question ; car elle n’existe qu’à la condition de la responsabilité ministérielle.

L’article 139 de la constitution avait décrété que la responsabilité ministérielle serait un des premiers objets dont s’occuperait à nouveau le législateur. Depuis dix ans ce vœu n’a pas été accompli. C’est un des principaux griefs, je dirai même le grief capital que je formule contre le ministère.

Qu’a-t-on fait pour nous doter d’une loi qui donnât ces garanties, qui assurât la responsabilité ministérielle de fait ? Rien ; et cependant nous avons dans le cabinet des membres qui y sont depuis assez longtemps pour qu’ils eussent pu trouver l’occasion de remplir une promesse qui avait été écrite solennellement dans la loi fondamentale. La responsabilité ministérielle n’existant pas, c’est au Roi que pourraient s’adresser les attaques, car son inviolabilité ainsi que je l’ai dit, n’est, sous le point de vue moral, que conditionnelle. C’est cette inviolabilité que nous devons sauver. Et en provoquant ici l’organisation de la responsabilité ministérielle, nous sommes les premiers soutiens du trône.

La responsabilité ministérielle n’existant pas, les ministres n’ont plus de frein. Ils peuvent à leur aise trahir le pays ou provoquer la justice du peuple. C’est ce qu’il faut éviter.

Une loi sur la responsabilité ministérielle est donc indispensable. Cette loi aurait dû être proposée depuis longtemps, et les ministres qui ont la conscience bonne ne doivent pas la craindre. La craindre serait convenir qu’on a la conscience mauvaise.

Messieurs, si la responsabilité réelle nous échappe, car, ainsi que je l’ai dit, cette responsabilité dont on fait un vain étalage n’est qu’un mot, si dis-je cette responsabilité réelle nous échappe, jusqu’ici, il nous était resté la responsabilité morale, mais dans la situation actuelle on a voulu même se soustraite à cette responsabilité morale. Dans les autres sessions, le ministère venait rendre compte de sa conduite ; sa responsabilité morale au moins était examinée et la majorité de cette chambre devait énoncer une opinion sur ses actes et sur sa conduite ; au discours du trône, il y avait une adresse, une réponse votée par la chambre. C’est dans cette adresse, dans cette réponse, que la majorité se fait jour. Si elle est hostile à la marche du cabinet, elle se montre à découvert, et le cabinet s’expose à voir flétrir ses faits et ses actes.

On a eu des raisons toutes spéciales pour ne pas s’exposer, cette année, à une pareille investigation ; et non seulement on a privé le pays de la responsabilité réelle du ministère, promis par la constitution, mais on l’a même privé de la responsabilité morale.

Messieurs, il ne faut pas se dissimuler notre position. Où marchons-nous dans cette discussion générale sur les budgets, le seul moyen bien faible qui nous reste pour scruter la conduite du ministère ? Il me semble entendre les ministres se consoler et dire : Ils parleront pendant plusieurs jours, mais ce ne seront que de vaines paroles ; ils déclameront, ils critiqueront nos actes, mais il n’y aura pas de vote possible, la majorité de la chambre ne pourra pas se prononcer, puisqu’il n’y a pas d’adresse à soumettre au Roi. Nous échapperons à toutes conséquences ; et les discours des orateurs de l’opposition ne nous auront fait aucun mal ; à eux les déclamations, mais à nous les portefeuilles qui étaient bons à prendre et qui sont bons à garder. Tel est le système dans lequel nous nous trouvons ; et ce système nous le devons au ministère.

Peut-être nous dira-t-on, vous avez d’autres moyens ; si la majorité n’approuve pas la conduite du ministère qu’elle refuse les subsides, qu’on présente une adresse et qu’on la fasse discuter, ce sont là des moyens extrêmes auxquels on espère échapper, mais on savait qu’on n’aurait pas échappé à ceux qui d’ordinaire se présentent en pareille circonstance.

Pour moi, je le déclare très franchement, comme je ne recule devant aucune conséquence, le cabinet n’ayant pas ma confiance, je ne reculerais pas devant un vote négatif sur les divers budgets. Je me bornerai alors à voter, comme cela se fait dans d’autres pays, des crédits provisoires, afin que les services publics ne restent pas en souffrance.

Voilà, messieurs, où nous conduit l’oubli des promesses écrites dans la constitution.

J’ai reproché en second lieu au ministère des violations et des violations flagrantes de la constitution. Entre plusieurs violations dont je pourrai entretenir la chambre, je me bornerai, messieurs, à vous en signaler une des plus importantes, et dont s’est occupé tout récemment le conseil provincial du Brabant.

Le ministère a violé et ouvertement violé la constitution en rejetant, par un arrêté, une demande de séparation de deux communes. Cette demande, aux termes de la loi fondamentale, devait être soumise aux chambres.

Les habitants de Ganshoren avait adressé au gouvernement plusieurs requêtes à l’effet d’être érigés en commune indépendante de Jette.

Un arrêté signé de Theux, du 4 octobre 1837, après avoir visé les pétitions et plusieurs délibérations y relatives, rejeta définitivement la demande de séparation par plusieurs motifs qu’il renferme.

D’après la constitution, article 3, c’est aux chambres seules qu’il appartient de connaître des changements à apporter aux limites des communes, et d’après l’article 83 de la loi provinciale le conseil provincial donne son avis sur les changements proposés à la circonscription des communes.

L’arrêté de M. le ministre de Theux, du 4 octobre 1837, violait donc et la constitution et la loi provinciale.

Les habitants de Ganshoren ne se découragèrent point, ils s’adressèrent directement au conseil provincial qui dans sa dernière sessions ‘occupa de leur demande et y donna un avis favorable, dans la séance du 12 juillet ; la quatrième section avait conclu à un avis favorable.

M. De Viron, alors commissaire du gouvernement, avait combattu ces conclusions et s’était, entre autres, basé sur l’arrêté ministériel du 4 octobre 1837, qui se trouvait joint aux pièces.

Plusieurs membres appuyèrent chaleureusement les réclamations des habitants de Ganshoren et blâmèrent en termes énergiques la conduite du ministère.

« Parmi les pièces imprimées qui nous ont été remises, disait l’un des conseillers de la province du Brabant, à la séance du 12 juillet, je trouve un arrêté ministériel signé de Theux, du 4 octobre 1837. En voyant ce document d’une évidente illégalité, je me suis demandé avec mon honorable collègue M. Defacqz, si la pièce n’était pas apocryphe. S’il me faut renoncer à le croire, s’il est vrai qu’un ministre se soit permis de trancher de son autorité ce que la constitution, article 3, défère exclusivement à la législature, je ne puis assez m’élever contre cette usurpation de pouvoir, contre ce mépris de nos lois et de nos institution : je le signale hautement ici et de mon droit de citoyen et du droit que j’ai comme conseiller provincial de défendre dans cette enceinte des intérêts que la loi protège ; il faut que M. le ministre de Theux apprenne à respecter nos institutions, il faut aussi que nous sachions maintenir, partout où on les viole, les garanties qu’elles établissent. »

Voilà comment s’exprimait, au conseil provincial de Brabant, un honorable membre qui flétrissait, à l’occasion de l’arrêté du 4 octobre, la conduite du ministère.

Le conseil provincial, sans que le commissaire du gouvernement ait eu un mot à répondre pour défendre le gouvernement, adopta les conclusions de la quatrième section, et, contrairement à l’arrêté du ministre, il donna un avis favorable.

Ce qui s’est passé dans le conseil provincial du Brabant, relativement au blâme du ministère, est d’autant plus important que d’autres conseils provinciaux ont également blâmé le ministère. Nous dirons un mot des conseils provinciaux du Hainaut et de Liége ; dans ces divers conseils, le ministère a été blâmé et blâmé à juste titre.

Le ministère a violé la loi provinciale et la loi communale, en maintes circonstances, et je me permettrai de vous rendre compte de ce qui m’a paru le plus grave. Je veux parler des élections qui ont eu lieu dans la commune de Hamme-sur-Heure, et à l’égard desquelles la chambre est saisie de trois pétitions qui ne demandent ni plus ni moins que la mise en accusation du ministère. L’honorable M. de Jaegher fut chargé de faire le rapport sur ces pétitions, et depuis longtemps on espérait que ce rapport aurait été présenté à la chambre. L’éloignement de cet honorable collègue a été cause que ce rapport n’a pas été présenté.

J’accuse le ministère d’avoir violé la loi provinciale et la loi communale. Je vais prouver cette accusation en donnant quelques détails sur ce qui s’est passé dans les élections de Hamme-sur-Heure. Vous y verrez que non seulement le ministère a violé la constitution, mais encore qu’il a agi contre un arrêt de la cour de cassation, contre lequel il n’y avait aucun recours possible.

Par un arrêté de 1837, M. de Theux, en décidant que les réclamations contre les élections communales de Hamme-sur-Heure ne pouvaient être prises en considération, quoique ces réclamations fussent appuyées sur un arrêt de la cour de cassation et sur une décision de la députation du conseil provincial de Namur, a enlevé, de son autorité, aux réclamants des droits que leur assuraient la loi communale et la constitution. En nommant les bourgmestre et échevins parmi les conseillers illégalement élus et en procédant à leur installation nonobstant les oppositions réitérées de plusieurs intéressés, il a commis un excès de pouvoir, et violé toutes les dispositions de la loi communale.

Voici les faits, en 1836, M. Tallois était membre de l’administration communale de Hamme-sur-Heure ; des intérêts opposés à ceux de la commune exigeaient qu’il fût éliminé de la nouvelle administration, à la nomination de laquelle on allait procéder.

La liste électorale fut dressée avec partialité par le bourgmestre d’alors. Quelques individus réclamèrent leur inscription ; deux entre autres, fils de veuves, remirent à M. Tallois la délégation de leur mère, afin qu’il les fît porter sur la liste supplémentaire qui devait être arrêtée par le conseil ; ces réclamations furent écartées par une fin de non-recevoir et la liste supplémentaire fut arrêtée.

Après l’arrêté de cette liste le bourgmestre fit porter encore six fils de veuves qui n’avaient jamais fait de réclamations ; on afficha de nouveau la liste, et M. Tallois adressa à l’administration une opposition contre l’inscription de ces six individus ; il envoya copie de son opposition tant au commissaire de district qu’au gouvernement. L’administration communale n’eut aucun égard à l’opposition non plus que la députation du conseil provincial du Hainaut, à laquelle M. Tallois s’était adressé en degré d’appel. Mais, sur le pourvoi en cassation, la décision de la députation du conseil provincial du Hainaut, fut cassée pour violation de la loi communale, et la cour suprême renvoya l’affaire devant la députation du conseil provincial du Hainaut.

L’affaire était pendante à Namur lorsque les élections eurent lieu ; M. Tallois se présenta au bureau électoral, remit une opposition contre les élections qui allaient avoir lieu, fondée sur ses réclamations primitives et sur l’arrêt de la cour de cassation, et se retira avec plusieurs électeurs qui ne voulurent pas prendre part à des élections qui devaient nécessairement être annulées ; on n’eut aucun égard à cette opposition, les élections eurent lieu et les six individus illégalement inscrits y prirent part ; l’un d’eux fut nommé conseiller.

Il y avait 74 votants : majorité absolue 38 voix.

En comprenant les six voix contestées, huit conseillers obtinrent la majorité absolue ; en retranchant ces voix, deux conseillers seulement avaient la majorité.

Trois avaient 43 voix.

Trois autres 40 voix.

Quelque temps après l’élection intervint la décision de la députation du conseil provincial de Namur qui, conformément à l’arrêt de la cour de cassation déclara illégale l’inscription des six individus portées après coup sur la liste électorale supplémentaire, et ordonna que leurs noms soient rayés.

M. Tallois adressa ensuite une requête à la députation, en annulation des élections, en envoya une copie de cette requête à M. le ministre de l'ntérieur pour information.

Voilà où en était l’affaire quand intervient un arrêté royal qui nommait les bourgmestre et échevins de Hamme-sur-Heure parmi les conseillers élus d’une manière aussi illégale.

Aussitôt que M. Tallois eut connaissance de ces nominations, il s’empressa de rappeler au ministre et à la députation permanente sa requête en annulation, basée sur l’arrêt de la cour de cassation et la décision de la députation qui en avait été la suite.

Il fut accordé par la députation un sursis à l’installation jusqu’à la décision à prendre sur la requête présenté par M. Tallois.

Les réclamants espéraient enfin triompher de toutes les intrigues, mais grand fut leur étonnement lorsqu’ils reçurent du commissaire de district de Thuin une lettre par laquelle on leur annonçait que le ministre avait décidé que les réclamations ne pouvaient être prises en considération, et que des ordres avaient été donnés pour installer la nouvelle administration. Le ministre avait tranché la question en enlevant aux réclamants tous les droits que leur accordait la loi communale.

Enfin, M. Tallois s’est adressé à la chambre pour obtenir justice. Nous sommes saisis de trois réclamations sur lesquelles un rapport devait être fait.

Voilà de quelle manière le ministère comprend la sainteté des élections. Voilà comment il foule aux pieds les dispositions de la loi électorale, comme il méprise la décision de la cour suprême, de la cour de cassation !

J’arrive au troisième point que j’avais signalé : les actes de brutalité du ministère, son intervention dans les élections. On a voulu faire, a-t-on dit, du gouvernement fort. Le ministère a voulu se faire respecter. Il était dans l’intention du gouvernement d’exercer une influence dans les élections ; là ses subordonnés pouvaient le contrarier ; pour se montrer pouvoir fort, il les a frappés de destitution. Disons-le de suite : le ministère a pris une voie mauvaise à tous égards, et qui l’a dépopularisé davantage encore s’il est possible, et cela sans aucun avantage pour lui ; car il est entré dans cette voie, pour exercer dans les élections une influence qu’il n’a pas obtenue, et, disons-le hautement, une influence qu’il n’obtiendra jamais. Ce qui s’est passé récemment dans le Luxembourg, ce qui s’est passé dans la capitale et dans d’autres localités, est là pour démontrer au ministère que l’influence à laquelle il prétend dans les élections, il ne l’obtiendra jamais.

Dans l’espace de quelques semaines, triple application de ses doctrines.

Un procureur du roi refuse de se prononcer contre la réforme électorale et de renoncer à une candidature électorale que le gouvernement désapprouve. Destitué !

Un gouvernement de province est élu sénateur dans la capitale à une immense majorité, et sans avoir brigué cet honneur il est nommé en même temps par deux autres collègues. Honneur sans exemple dans les fastes électoraux. Le ministre est contraire à cette élection. Destitué.

Un commissaire d’arrondissement reçoit, de la part de ses administrés, des marques de sympathie et de confiance, il est envoyé par eux pour les représenter dans cette enceinte, cette élection déplaît au gouvernement, et si l’on en croit les bruits publics, le gouvernement le force à donner sa démission ou, ce qui veut dire la même chose, le destitue.

Que résulte-t-il de là pour le gouvernement ? manque de confiance chez ses subordonnés ; manque de confiance dans le pays ; blâme dans le pays tout entier.

Quand le gouvernement a frappé M. Delehaye, les électeurs de Gand ont protesté contre cet acte de brutalité, en adoptant à une grande majorité, pour leur représentant, le fonctionnaire destitué.

Quand il a enlevé à M. de Stassart le gouvernement du Brabant, la province et ses représentants ont protesté par d’importantes démonstrations contre l’éloignement d’un administrateur capable et éclairé, et les électeurs des trois arrondissements qui l’avaient choisi pour leur mandataire ont si noblement venger l’injure qu’avait osé leur faire un ministère imprudent et téméraire.

La démonstration populaire, dont la ville de Bruxelles a été témoin et dont elle conservera longtemps le souvenir, a fait voir au ministère que s’il lui était possible d’obtenir parfois la majorité dans cette enceinte, sa conduite est à jamais condamnée dans le pays.

Quand il a exigé la démission de M. Cools, la presse et le public tout entier ont donné des marques de sympathie à un fonctionnaire qui venait d’être sacrifié à une fausse politique.

Et tout récemment un conseil provincial, celui du Hainaut, n’a-t-il pas protesté contre toutes ces mesures arbitraires, en portant un arrêté qui interdit désormais les destitutions politiques, arrêté qui ne fut provoqué que pour blâmer les actes du ministère qui venait de frapper certains fonctionnaires. Il est vrai que cet arrêté a été cassé ; mais au-dessus du ministère se trouve un juge plus respectable : le pays tout entier a désavoué sa conduite.

En parlant du ministère, me serais-je trompé ? les membres du cabinet seraient-ils bien d’accord sur ce système de destitution qui paraît dominer aujourd’hui ?

Et ici, messieurs, nous aurons occasion de corroborer ce qui a été si bien dit par l’honorable M. de Brouckere sur le défaut d’unité entre les ministres, sur l’absence de tout gouvernement en Belgique. Nous voyons siéger parmi nous d’honorables collègues également fonctionnaires ; et puisque, d’après M. de Theux, ils doivent suivre les inspirations des chefs des administrations auxquelles ils appartiennent, qu’on nous dise donc pourquoi tel ministre a permis à ses subordonnés ce que tel autre a défendu et frappe de destitution.

Sur le banc où nous siégeons se trouve un honorable officier du génie, aux sentiments et à la conduite parlementaire duquel nous rendons tous hommage ; le ministre de la guerre lui a-t-il défendu d’entrer dans la lutte électorale ? Pour avoir pris cette voie, l’a-t-il frappé ou menacé de destitution ? Non.

Mais un gouverneur, un commissaire d’arrondissement, mais un procureur du Roi, dans des circonstances semblables, ont été l’objet de destitutions brutales, respectivement provoquées par le ministre de l’intérieur et par le ministre de la justice ou par celui qui en faisait les fonctions ; preuve irrécusable que les ministres ne sont pas d’accord entre eux sur le point important des destitutions. Ce principe est certainement un de ceux sur lesquels un cabinet doit se mettre d’accord ; il n’y a pas homogénéité dans le ministère s’il y a divergence sur les principes gouvernementaux.

M. le ministre de la guerre, dans la séance d’hier, a dit que si le système de M. de Brouckere était adopté, il y aurait anarchie ; que, loin d’atteindre le but que se propose son honorable auteur, on arriverait à un but contraire, qu’il y aurait anarchie, et anarchie complète dans la haute administration.

Chaque chef d’administration, a dit ce ministre, doit exercer sur ses subordonnés une influence que lui donne sa position. Il serait surprenant qu’un subordonné allât prendre ses inspirations près d’un chef auquel il n’appartient pas. Moi, je pense que c’est dans le système de M. le ministre de la guerre qu’est l’anarchie. Pourquoi ? Parce que les chefs d’administration doivent avant tout s’entendre entre eux. Je comprends que chaque chef d’administration dit donner des inspirations à ses subordonnés ; mais il faut au moins que le gouvernement marche d’accord, et que les chefs d’administration se soient concertés sur les principes du gouvernement. Si une opinion ne domine pas dans un cabinet, qu’on l’abandonne ; tout au moins il faut qu’il y en ait une qui soit la même pour tous.

Je rétorque donc l’argument du ministre de la guerre, et, je le répète, il y aurait anarchie en suivant le système qu’il préconise.

Les chefs d’administration ne doivent pas être considérés comme des chefs relevant d’une autorité plus élevée ; les membres du cabinet doivent former un seul être moral que l’on appelle « ministère » et qui doit être homogène. Aussi le ministre de la guerre n’a pas détruit les observations faites par M. de Brouckere, mais il les a renforcées. Des principes contraires amènent nécessairement l’anarchie. Vous en avez un exemple dans les destitutions qui ont été prononcées. Ce n’est pas que je veuille tenir compte à celui ou à ceux des membres du cabinet (je ne sais si je dois m’exprimer au singulier ou au pluriel), qui n’a ou qui n’ont pas adopté la voie des destitutions ; car, en pareille circonstance, l’homme imbu des vrais principes constitutionnels, alors qu’il voit qu’on prépare un mal qu’il ne peut éviter, doit se retirer. S’il reste, il assume la responsabilité d’un fait d’autrui tout en le blâmant.

Je crois en avoir dit assez sur ce point, et je me réserve de rencontrer les objections du ministre, si tant est qu’il juge à propos de m’en faire.

J’ai dit, messieurs, en quatrième lieu, que le gouvernement ne fait rien dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons ; qu’il montre une apathie complète. J’entends parler de l’industrie. Quand je parle d’industrie, ce n’est pas à l’industrie cotonnière de Gand seule que je m’attache, c’est à l’industrie en général. Le péril, messieurs, est imminent, et je demanderai au gouvernement ce qu’il prétend faire pour éviter la catastrophe.

Il a reçu des députations de Gand ; qu’a-t-il répondu à leurs observations ? Si j’ai bien compris, pour échapper aux conséquences de ces plaintes, on voudrait, pour ainsi dire, mettre la ville de Gand hors la loi, et en état de suspicion. Un honorable collègue a suffisamment répondu, dans une séance précédente, à ces attaques indirectes et inconvenantes ; mais en abandonnant pour un instant ce qui est relatif à l’industrie gantoise, je dirai que l’industrie de Bruxelles et des environs se trouve dans la même position ; et ce ne sont pas des allégations ; j’ai des preuves ici à la main. Il y a un grand nombre de fabriques dans Bruxelles et dans ses environs ; il y en a une, entre autres, à Auderghem, où sont employés trois cent ouvriers. Le chef de l’établissement m’annonce qu’il va les renvoyer parce que chaque semaine il perd plusieurs milliers de francs.

Comme membre de l’administration communale, je lui avais soumis quelques observations ; j’avais fait appel à son patriotisme, j’avais signalé les dangers du défaut de travail, pour 300 ouvriers, à l’entrée de l’hiver, dans une petite commune ; et le fabricant, malgré mes observations, m’a répondu qu’il était obligé de fermer ses ateliers. Qua fait le gouvernement dans cette circonstance ? Rien ; il en est de Bruxelles, comme de Gand, comme de toutes les localités. Nous allons entrer dans la saison rigoureuse ; un grand nombre de bras vont demander du travail, et il faut que le gouvernement, sous peine d’encourir une responsabilité énorme, évite pour Bruxelles et pour d’autres localités ce qui est arrivé dans la ville de Gand.

Enfin, messieurs, j’ai reproché au gouvernement son indifférence pour le pouvoir judiciaire, l’un des pouvoirs indépendants de l’état et ici se présente l’occasion de faire une observation sur le chiffre du budget.

Nous sommes entrés dans une ère nouvelle, ainsi que l’a dit un honorable préopinant. Ce n’est plus un budget dû à des circonstances extraordinaires, c’est un budget normal qu’on présente, et ce budget s’élève à un chiffre d’au-delà de 101 millions. Les comparaisons faites par l’honorable M. de Brouckere, entre le budget de 1840 et celui de 1830, sous le royaume des Pays-Bas, sont exactes sous plus d’un rapport, et le ministère n’a rien détruit de ce qui a été établi à cet égard. Ce chiffre de 101 millions comprend une multitude de dépenses que nous pouvons appeler des dépenses de luxe et de fantaisie.

Et dans ces dépenses ne se trouvent pas compris des frais depuis longtemps indispensables. Nous voyons figurer au budget des sommes considérables pour dépenses diplomatiques ; nous voyons des promenades payées 13, 14, 20 mille francs ; là, il n’y a aucune économie, il y a profusion complète ; mais lorsque il s’agit de l’ordre judiciaire, dont il est urgent d’améliorer le sort, à l’égard duquel j’ai depuis longtemps déposé ne proposition qui, je ne sais pourquoi, n’a pas encore pu être discutée, quand il s’agit d’une semblable dépense, alors on veut faire des économies, alors il semble que l’ordre judicaire ne mérite pas l’attention du gouvernement.

Voilà donc un beau budget de 101 millions de francs qui ne fait pas même droit aux réclamations les plus justes.

Et qu’on ne dise pas, comme on semble l’insinuer, que c’est pas esprit de camaraderie que j’ai fait ma proposition. Ce que je veux, c’est qu’on rétribue la magistrature comme elle doit l’être, et elle l’était mieux sous le gouvernement des Pays-Bas.

Ce que je veux, c’est l’indépendance de la magistrature, non pas une indépendance de nom, mais une indépendance de fait ; car je veux des faits. Quand je parle de responsabilité ministérielle, je la veux de fait ; quand je parle de l’indépendance de la magistrature, je la veux de fait. Croyez-vous donc avoir assez fait lorsque vous avez, pour ainsi dire, jeté un morceau de pain aux magistrats pour rendre la justice, eux qui marchent de pair avec vous, eux qui forment un pouvoir indépendant comme vous ? J’espère que, lors de la discussion du budget spécial, la chambre saura faire justice de cette conduite du ministère.

M. Lys – La position du pays est grave, elle mérité toute l’attention de la législature, et c’est surtout lorsqu’il s’agit de voter le budget de l’Etat, lorsqu’il s’agit, à cette occasion, d’apprécier la conduite du ministère, qu’il importe de proclamer les besoins de la nation, ses vœux et ce qu’elle est en droit d’exiger du gouvernement.

De tous côtés s’élèvent des plaintes, des réclamations, qui accusent de l’état souffrant de l’industrie ! Une masse de malheureux ouvriers sont actuellement sans ouvrage et sans pain ; ces ouvriers ont une famille, et ils sont hors d’état de subvenir à leurs besoins ; toutes les détresses de la faim et de la misère sont assises à leur foyer souvent éteint ; et l’hiver qui va doubler toutes les privations de ces malheureux s’avance à grands pas. Il est temps de s’émouvoir en présence d’un pareil état de choses. Les émeutes de Gand sont là pour attester combien le mal est grand. La protestation de la chambre de commerce de Verviers, approuvée unanimement par le conseil de régence, est là pour témoigner des souffrances de nos ouvriers et de la détresse de l’industrie drapière.

Depuis longtemps, le gouvernement connaît la plaie qui mine l’industrie de notre pays, ce sont les lignes de douanes qui tracent à l’entour de nous un cercle infranchissable, qui sont la cause de la décadence de l’industrie, et, par suite, des malheurs de la classe ouvrière.

Nos draps sont refusés aux frontières de France, ils ne sont reçus en Allemagne et en Hollande qu’après le paiement de droits de douane fort élevés ; bornées à la consommation intérieure, comment veut-on que nos belles et vastes fabriques puissent se soutenir ? Nous sommes réduits au marché intérieur dont nos draps n’ont pas même le privilège exclusif, les autres pays et la France même étant admis à nous envoyer les produits de leur industrie drapière sans que nos fabricants puissent leur faire concurrence dans les marchés français aux produits de Sédan, d’Elboeuf et de Louviers.

Il n’y a, messieurs, qu’un seul remède efficace à tant de maux, ce sont des débouchés.

Le gouvernement s’est borné jusqu’à présent à nous fournir le budget de nos recettes et de nos dépenses et un rapport sur notre état financier. Il a gardé le plus profond silence sur la position du pays même sous le rapport des négociations avec les autres états ; cependant il conserve et établit des agents politiques, à grands frais, dans tous les états de l’Europe, aux Etats-Unis et jusqu’en Afrique. On ne nous dit pas ce qu’ils ont fait, quels avantages ils ont procuré au pays, quelles espèces de négociations ils ont entamées, à quel point sont ces négociations : on nous laisse enfin dans l’ignorance la plus complète. Le ministère devait cependant s’attendre à une demande d’explications que le pays attendait avec anxiété.

On a expédié des envoyés extraordinaires, et particulièrement près de la confédération germanique, et on ne daigne pas nous instruire de l’état des négociations avec l’union des douanes allemandes, et c’est du côté de l’Allemagne que doivent tendre tous nos efforts, parce que la France, gouvernée par des industriels intéressés au maintien de tous les privilèges, de toutes les prohibitions, ne fera rien pour la Belgique. On nous leurrera par de belles promesses, dont nous attendrons longtemps la réalisation ; tout se bornera de sa part à nous rappeler nos sympathies politiques et notre origine commune de 1830. La France a d’ailleurs un marché intérieur de plus de 30 millions de consommateurs, elle a dès lors peu ou point d’intérêts à accorder des avantages commerciaux à un pays de quatre millions d’habitants, surtout que ce petit pays est loin d’être en arrière de l’industrie française.

Pour le moment, c’est donc du côté de l’Allemagne que nous devons diriger tous nos efforts ; c’est le marché intérieur de l’union des douanes allemandes que nous devons tâcher d’obtenir, et maintenant que l’on réclame des subsides, des impôts, que l’on nous dise ce que l’on a fait dans l’intérêt du pays, que l’on nous indique quels sont les traités que l’on a négociés, pour tirer le pays de l’état de marasme dans lequel il languit. Ce n’est pas se montrer fort exigeant que de demander au gouvernement de faire part à la législature de notre situation vis-à-vis des nations étrangères. La franchise du ministère ferait connaître toute la profondeur de la plaie et nous saurons au moins juger du sort que l’avenir nous réserve.

M. le ministre de l'ntérieur n’a pu mettre en avant d’autre avantage fait à l’industrie drapière que de citer la loi des douanes de 1838. Par cette loi, messieurs, aucun débouché n’est procuré à cette industrie, des mesures sont simplement prises pour la protéger par un droit au poids, établi sur les étoffes de laine, mais en revanche l’entrée des draps français, ci-devant prohibée, a été autorisée sans que pour nos draps, on pût espérer en France pareille levée de prohibition. N’est-ce pas là, messieurs, une mesure que j’appelle honteuse parce qu’elle concède sans obtenir même concession ?

Le libre échange des produits, sous la condition de réciprocité, est un bienfait, mais il faut les représailles pour ceux qui prohibent.

Si nous avons, par un sacrifice pénible, paye l’avantage ; si tant est qu’il y en ait d’être considérer comme un pays neutre, nos voisins ont sans doute pris l’engagement de soutenir cette neutralité ; si ce sacrifice, qui n’a pas été arrosé de notre sang, mais nous laisse bien des regrets, nous a donné le privilège de figurer au nombre des royaumes reconnus, il ne faut pas que nous payions cette légitimité par la perte et la ruine de nos établissements. Nous avons fait assez en nous soumettant à tout ce qu’on a exigé ; en nous bornant à des représentations humbles, cédant au premier refus ; mettant en avant quelques réserves, mais les retirant aussitôt qu’elles semblaient déplaire, et nous comptant heureux d’obtenir la promesse de vente de quelques parcelles de terrain.

Là ne se bornent pas les observations que j’ai à présenter ; je signalerai encore un vice du système général des impôts qu’il importe de faire disparaître dans l’intérêt du pays. Le seul, la bière, le vinaigre paient 26 centimes additionnels, et les eaux-de-vie indigènes n’en paient que dix.

Cette assiette de l’impôt ne me paraît pas juste. Ce sont des objets de consommation usuelle qu’il faut par suite s’abstenir, dans l’intérêt des malheureux, dans l’intérêt du peuple, d’imposer autant que cela est possible.

L’industrie agricole est surtout intéressée à ce que cette branche des accises (le sel), ne soit pas surchargée. Le canton d’Aubel souffre tant par le voisinage des lignes de douanes qui empêchent l’accès à son marché, et le canton de Herve, sont surtout intéressés à ce que cet impôt soit assis sur des bases équitables.

Parcourez les annales des tribunaux de police correctionnelle, et vous verrez que c’est l’abus des liqueurs spiritueuses qui cause la presque totalité des rixes et des délits, sur lesquels les tribunaux répressifs sont appelés à prononcer. Les additionnels, même dans l’intérêt de la morale publique, devraient donc être reportés sur les eaux-de-vie indigènes.

Nous croyons, messieurs, que le gouvernement agirait sagement en proposant des modifications à cette branche du système des impôts.

Des économiques ont été indiquées par l’un de nos honorables collègues, par la suppression de nos bâtiments de guerre, dont l’inutilité reste démontrée sans réplique.

J’en indiquerai aussi, par la suppression de la dépense portée au budget pour la garde civique.

Il a été reconnu dans cette enceinte, combien cette loi est vicieuse, inexécutable ; cela étant dit, tout subside doit être refusé aussi longtemps que le gouvernement reste en retard de présenter un remède au mal existant.

Quelle doit être la surprise des représentants de la nation lorsqu’ils apprennent que le ministère force encore l’organisation de cette garde civique dans certaines localités ? que, dans ce moment même, dans la ville de Verviers, il ordonne qu’elle soit organisée ! Ainsi, messieurs, tandis que l’habitant aisé n’a pas assez de toutes ses économies pour aider ses ouvriers sans travail, tandis que des petits marchands, des maîtres-ouvriers ont à peine de quoi fournir à leur subsistance, on les force à se procurer des uniformes de cette garde civique, et on exerce des poursuites contre les retardataires ; j’ai peine à croire que, dans des circonstances aussi critiques que malheureuses, M. le ministre des travaux publics ait exigé pareille organisation.

Une économie est encore à faire, messieurs, en ce qui concerne les haras. Jusqu’à présent nous n’en avons retiré aucun fruit, et en les supprimant entièrement, il y aurait bénéfice réel.

Il vaudrait beaucoup mieux distribuer des primes d’encouragement, en faveur des éleveurs, et j’aime à citer, en ce moment la société verviétoise qui vient encore de faire l’acquisition, en Angleterre, d’un étalon de la meilleure race, qui n’est nullement destiné aux courses, mais à l’amélioration de la race (Erratum, Moniteur belge n°344 du 10 décembre 1839 :) chevaline.

On m’a rapporté que le gouvernement avait destiné 50,000 francs pour l’achat d’un étalon pour la province de Liége ; cette dépense deviendra inutile, la société verviétoise l’ayant procuré.

Une dépense a été critiquée par l’honorable M. de Brouckere ; elle concerne l’allocation de 20 mille francs pour frais de réparation des monuments de la commune de Spa. Je suis persuadé que l’explication que je vais donner lui fera abandonner cette critique.

La ville de Spa n’a d’autre ressource que le bénéfice que lui donne les étrangers par une résidence de trois mos pendant la belle saison. Là il n’y a ni commerce ni industrie ; les beaux monument de Spa, ses promenades si agréables, tout a été fait avec le produit des jeux. Par le bail qu’en a fait le gouvernement, il s’est réservé la moitié du produit net des bénéfices.

Sous le gouvernement des Pays-Bas, ce produit n’entrait pas dans les caisses de l’état. Le roi s’était réservé d’en disposer, ainsi qu’il le trouverait bon, et toujours cet emploi a eu lieu au profit de Spa, cela paraît d’autant plus juste que Spa doit nécessairement tenir ses monuments, fontaines et promenades en bon état, si elle veut soutenir la concurrence avec Aix-la-Chapelle, dont les jeux produisent un bénéfice annuel de plusieurs centaines de mille francs, qui lui sont abandonnés par le roi de Prusse ; cet emploi est d’ailleurs indispensable pour Spa, qui ne possède aucune ressource pour y faire face.

L’état ne s’expose ici à aucune dépense autre que l’emploi du produit de sa recette provenant des jeux de Spa.

Sa recette de ce chef pour 1832 inclus 1836 est de 32,172 13 ; pour 1837 de 6,950 30 ; pour 1838, 49,725 74 ; pour 1839 pour la haute police, 3,900. Total : 84,948 17 francs.

Le gouvernement a fourni en 1839, 22,220. Il fournira en 1840, 22,220.

Il lui restera encore en caisse : 40,508 17 francs.

Et, remarquez-le bien messieurs, le gouvernement ne peut jamais supporter de pertes, elles retombent sur les actionnaires quel que soit l’état de la caisse des jeux, y eût-il déficit, comme cela a eu lieu cette année ; malgré cela, le gouvernement reçoit toujours la somme de 6,900 francs à titre de haute-police.

Ces frais d’entretien pour Spa, et seulement en emploi de bénéfices, sont dans l’intérêt de tout le pays.

En effet, Spa ne produit rien, ce sont les villes du royaume qui lui fournissent tout ce dont elle a besoin ; ajoutez, messieurs, qu’une bonne partie des étrangers qui fréquentent les eaux de Spa, finissent par passer l’hiver dans les principales villes de la Belgique.

Un autre objet doit encore attirer toute notre sollicitude, c’est l’instruction publique donnée aux frais de l’état. Jusqu’à présent l’instruction universitaire est seule organisée. La loi sur l’enseignement moyen et primaire est encore à faire.

Le clergé catholique a seul organisé son instruction. Instruction primaire, instruction moyenne, instruction supérieure, tout est chez lui constitué ; nous sommes loin d’en faire un reproche au clergé ; il n’a fait qu’user d’un droit qui lui est garanti par la constitution ; mais nous disons que l’éloge du clergé fait l’effet contraire pour le gouvernement.

Le ministère n’a pas rempli la mission qui lui était confiée. Il n’a pu ignorer que l’instruction supérieure des universités de l’état est (Erratum, Moniteur belge n°344 du 10 décembre 1839 :) absolument faussée, parce que l’enseignement universitaire n’est pas le complément d’un système d’éducation, ayant tous ses échelons. Les universités de l’état sont donc dans un état d’infériorité vis-à-vis de l’université de Louvain, qui, seule, est constituée comme couronnement d’un système d’éducation.

Les retards qui ont été apportés dans cette branche importante de l’organisation intérieure, doivent cesser immédiatement. Il est (Erratum, Moniteur belge n°344 du 10 décembre 1839: ) presque temps que l’état ait aussi ses enseignements ; la société doit à chacun de ses membres l’instruction, et jusqu’à présent il n’en a pas été ainsi : le gouvernement a manqué à sa mission, au but de son institution ; il n’exerce pas sur l’éducation de la jeunesse, la part légitime d’influence qui lui revient.

Un tel état de choses ne peut continuer. Le ministère ne peut abdiquer plus longtemps les droits de la cité ; il faut qu’à côté des établissements d’instruction particulière s’élèvent des institutions créées par l’état et rétribuées par lui.

Abandonner l’instruction de la jeunesse est une faute trop lourde pour que nous n’en fassions pas un reproche au gouvernement ; les communes et les villes ont fait jusqu’à présent tous leurs efforts pour suppléer à l’insouciance du ministère, mais elles sont restées en-dessous des besoins, et finiraient, à défaut de ressources suffisantes, à céder la place à ceux dont l’organisation ne laisse rien à désirer.

Je ne parlerai point, messieurs, de la priorité accordée à la discussion du budget des voies et moyens, parce que le gouvernement reste averti qu’il n’en sera plus ainsi à l’avenir ; l’ordre doit enfin régner.

Vous aurez soin, messieurs, de réfléchir que le budget qu’on vous présente est un budget normal pour la Belgique, que ce n’est point un budget fait pour un état transitoire, et prenez-y garde, l’année prochaine on ne négligera pas de vous répéter que telle allocation a eu lieu pour 1840, époque à laquelle nous étions dans le même état de paix.

La position financière de la Belgique exige de grandes économies. Nous ne pourrons, de longtemps, réaliser l’espoir de voir le peuple appelé à profiter de notre révolution, ainsi que le faisait présager le gouvernement provisoire, en faisant l’ouverture du congrès national. Dans la discussion du budget des dépenses vous saurez, sans doute, diminuer les charges dans la proportion de ses vrais besoins. Vous réduirez cette dépense à la stricte nécessité ; si vous juger que notre diplomatie n’exige plus des envoyés aussi chèrement rétribués vous en avertirez le gouvernement pour qu’il avise en temps opportun à opérer des réductions. Vous supprimerez les emplois inutiles ; vous réduirez avec sagesse l’armée à la force nécessaire, et faisant ainsi de bonnes économies, vous serez à même de dire un jour : L’œuvre de notre régénération nationale fait le bonheur du peuple belge.

M. Manilius – Vous venez d’entendre dans quelle situation se trouve le pays à la suite de cette paix qu’on nous a préconisée comme si heureuse.

Où sont tous ces bienfaits dont on a fait tant d’étalage ? où est cette prospérité industrielle et commerciale que les ministres nous promirent si pompeusement ? où sont les avantages que nous devions goûter pour compenser le terrible abandon de nos frères qui sont exposés aujourd’hui à la conduite de leur ennemi déloyal ? Vainement on parcourt le pays pour trouver des traces de toutes ces fallacieuses promesses ; rien ne s’est réalisé, rien n’existe de tout cela ; au contraire, abattement général, démoralisation, antipathie pour les ministres, voilà ce que l’on rencontre partout dans toutes les classes de la société ; et, dans une pareille situation l’on vient nous proposer un budget de 101 millions !...

Un honorable préopinant a dit que le ministère, dans sa divergence d’opinions pour les questions d’économie politique, ne pouvait ainsi former un esprit public, qu’il devrait, lui, cependant, former. Eh bien, messieurs, je suis d’avis, au contraire, qu’il a formé un esprit public très prononcé ; comme je viens d’avoir l’honneur de vous le dire, cet esprit public est généralement partagé ; c’est le mécontentement, c’est l’inquiétude de voir la direction des affaires du pays entre les mains de pareils ministres, des hommes qui ne font d’autres preuves d’habilité que pour le maintien de leur portefeuille ; des hommes qui ne songent qu’à se fortifier dans leur position, en s’attirant tous ceux qui se résignent à penser comme eux et repoussant par des actes de vengeance ou d’intrigue tous ceux qui s’obstinent à ne voir que l’intérêt du pays, et ne pas vouloir aveuglément se ranger de leur avis. Voilà, messieurs, voilà l’esprit public qui règne partout, dans toutes les parties du pays, dans toutes les réunions de la société où les budgets des dépenses ne viennent pas jouer un grand rôle.

Ainsi, messieurs, dans un pareil état de choses, que peut espérer le pays si nous ne nous opposons avec force contre cette marche et contre cette prodigalité des deniers publics.

D’abord, messieurs, pour ce qui me regarde, je ne saurai me résoudre à voter un budget aussi élevé, car il est plus que temps que l’on songe une bonne fois aux intérêts des contribuables. On en les bercera plus si facilement des besoins d’une armé nombreuse, pour les éventualités d’une guerre ; et le repos de l’intérieur vous est assuré si vous prenez les véritables intérêts du peuple à cœur. Je ne voterai les budgets qu’après réduction suffisante.

Maintenant, messieurs, j’ai à répondre un mot sur ce qui a été dit de la ville qui m’a honoré de mon mandat : L’on a insinué que la fabrique, la classe ouvrière, par mécontentement de la conduite d’un député devenu ministre, se serait émeutée à Gand ; je dois protester de toutes mes forces contre une pareille insinuation : S’il y a eu des émeutiers à Gand, ce n’est pas la classe ouvrière que l’on peut accuser.

Les ouvriers ont présenté une pétition au gouverneur de la province, ils ont usé d’un droit constitutionnel.

Quelques malveillants semblent être parvenus à se glisser parmi eux, ainsi on a pu craindre un instant de trouble. Mais, si l’autorité communale avait usé des moyens de persuasion et des moyens de répression qu’elle a à sa disposition avant de recourir à la force militaire, j’ai lieu de penser que le sang des malheureux ouvriers n’eût pont couler dans nos rues.

La classe ouvrière qui souffre le plus de la cherté des vivres et du manque de travail est vraiment à plaindre ; et méditer sérieusement sur l’amélioration de leur sort, serait le devoir d’un ministère qui prend sérieusement à cœur les intérêts du peuple.

Mais, messieurs, qu’avons-nous à attendre d’un gouvernement qui prétend se perpétuer dans la mauvaise voie. Quand une modification du ministère a lieu, on croirait aussi à une modification d’opinion dans le conseil ; mais erreur ! les nouveaux venus sont obligés de faire le sacrifice de leurs principes, qui ne sont point conformes, et ainsi le conseil maintient sa marche si contraire aux intérêts du pays.

Quels sont les actes du ministère qui prouvent qu’ils ont le moindre souci pour parer aux souffrances du peuple, qu’ont-ils fait pour remédier à la crise commerciale et industrielle ? quoique les instructions ne leur aient point manqué, qu’ont-ils fait pour parer à la cherté des vivres ?

Quand la constitution a voulu que nous fussions réunis, alors, et alors seulement on est venu présenter la loi sur les céréales, pourquoi ne pas y songer plus tôt ?

Pourquoi ne pas l’accompagner d’une loi sur le bétail ?

Mais, messieurs, les ministres d’aujourd’hui ont trop de besoin de leur propre situation : c’est là où sont absorbés tous leurs instants ; il leur manque du temps pour l’étude incessante, non pas d’actes bienfaisants pour le peuple, mais pour avoir une agglomération d’un personnel suffisant pour résister, à défaut de raisons, par la force numérique ; et plus ils remportent de victoires, plus le peuple souffre. J’ai dit.

M. Angillis – Messieurs, dans une des précédentes séances, deux honorables orateurs qui ont prononcé des discours remarquables, ont touché légèrement l’importante question du canal de l’Espierre ; dans une autre séance, M. le ministre de l'ntérieur s’est efforcé de répondre à toutes les objections, et il a, en même temps, donné quelques explications sur la concession de ce canal ; mon intention était d’entamer de suite la discussion de ce point important, mais on m’a fait remarquer que mes observations trouveraient mieux leur place lorsqu’il s’agirait de discuter le budget des travaux publics ; je me suis rendu à cette raison et j’ajournerai mes observations ; mais j’ai cru devoir faire cette remarque afin qu’on ne pense pas que moi, et d’autres députés qui se proposent de parler dans cette discussion, afin que ne pense pas que nous soyons satisfaits des observations qui ont été faites par M. le ministre. Je fais en même temps cette remarque, pour prévenir M. le ministre des travaux publics, que cette discussion aura lieu avec tous les développements dont cette grande question est susceptible lorsqu’il s’agira du budget de son département.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’intention du gouvernement, mon intention personnelle, n’est pas d’éluder la discussion qu’annonce l’honorable préopinant. Jusqu’à présent, cette question n’a point été traitée. On s’est borné à dire qu’une concession avait été fait à l’étranger, que c’est un canal antinational, qualification devenue banale, mais on ne s’est livré à aucun examen. La discussion, non seulement non l’acceptons, mais nous la désirons ; il importe au gouvernement, il importe à l’assemblée qu’il y ait une discussion. La forme, messieurs, l’occasion nous importe peu : que cette discussion s’ouvre comme incidente de la discussion générale qui nous occupe depuis trois jours, je le veux bien ; que la discussion se rattache à celle du budget des travaux publics, j’y consens encore ; ou bien qu’elle se rattache à la loi que j’ai eu l’honneur de vous présenter hier et qui a pour objet la prorogation de la loi du 19 juillet 1832, j’y consens encore. C’est même à ce dernier objet que la discussion se rattache le plus naturellement : le gouvernement, en concédant le canal de Roubaix, a usé des pouvoirs que lui donne la loi du 19 juillet 1832, loi annuelle, loi dont il demande le renouvellement pour l’année prochaine. Cette année, comme les années précédentes, j’ai soumis, en faisant cette proposition, un travail à la chambre ; ce travail comprend deux parties : d’une part, il fait connaître à la chambre l’usage qui a été fait de cette loi dans le cours de l’année qui va expirer ; d’autre part, il faut connaître à la chambre les demandes en concession sur lesquelles il reste à statuer.

La chambre reçoit aussi communication de l’acte de concession du canal de Roubaix et de la convention qui en fait partie.

Me résumant, messieurs : loin de la repousser, je demande la discussion, le gouvernement la demande, il la demande pour lui, il la demande pour la chambre ; quant à l’occasion et à la forme de cette discussion, nous nous en rapportons entièrement à l’assemblée.

M. Delehaye – Je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion, si M. Nothomb, par les observations qu’il vient de faire, ne m’y avait pas en quelque sorte contraint. Le gouvernement, dit-il, demande la discussion de ce qui est relatif au canal de l’Espierre. Mais sur quoi, messieurs, discuterons-nous ? Le gouvernement envisage la concession du canal de l’Espierre comme un fait accompli. Mais le gouvernement n’a reculé devant rien de ce qui pouvait contribuer à ce que ce fait fût accompli ; le gouvernement a usé de la position qu’il avait envers le pays, en l’absence des chambres, pour faire en sorte que le fait fût accompli. Aujourd’hui que pouvons-nous faire ? Le gouvernement se trouve lié. Certainement il est permis à la chambre d’exprimer hautement son mécontentement ; nous exprimerons notre opinion d’une manière forte, sans doute, mais en définitive, le canal n’en sera pas moins instruit, l’intérêt des Flandres n’en sera pas moins sacrifié. M. Nothomb, dans un ouvrage très remarquable, a si bien fait ressortir les griefs de la Belgique contre la Hollande ; eh bien, je n’hésite pas à dire, messieurs, que les mêmes griefs peuvent aujourd’hui être articulés par les Flandres contre les autres provinces.

M. le ministre de l'ntérieur, en répondant hier à l’honorable député de Bruxelles, a dit que les difficultés relatives à la régence de Gand existent depuis la révolution. Messieurs, dans ces paroles il y a, je ne dirai pas un mensonge, ce serait une exagération non parlementaire, mais je dirai une erreur et une erreur grave, et c’est encore là un de ces faits propres à diminuer votre confiance en le ministère.

Non, messieurs, la régence de Gand n’est point contraire au gouvernement ; elle a repoussé un homme parce que cet homme a été introduit par la corruption.

Il s’agissait, messieurs, de donner à la ville de Gand un bourgmestre, et à cette occasion, le ministère s’est servi des fonds que la chambre avait alloués pour l’instruction publique, il s’en est servi pour corrompre un individu. Depuis deux ans, messieurs, le bourgmestre de Gand touche des appointements comme professeur à l’université, et pourquoi ? Ce n’est point pour donner un cours à l’université.

Non, messieurs, c’est pour pouvoir le séduire qu’on lui a donné ce traitement. Et si ce que je dis ici pouvait vous paraître étrange, je vous rappellerai, messieurs, qu’auparavant, l’université de Gand manquait d’un cours, ce cours ne devait pas avoir d’élèves, mais il fournissait à M. le ministre de l'ntérieur un moyen de corruption dont il s’est empressé de profiter.

Il a donc aussitôt jeté cette place à la tête d’un individu qui ne l’a jamais remplie, et cela dans l’unique but d’acheter une conscience. C’est là, messieurs, ce qui a attiré au gouvernement la haine de la ville de Gand.

Il est un autre fait, messieurs, qui est cause de la haine des Gantois pour le ministère, c’est la conduite infâme qu’il a fait tenir par ses agents dans les états provinciaux de la Flandre orientale, lorsqu’on y agitait la question de la réforme électorale. Moi-même, j’ai été invité au nom du gouvernement non pas, messieurs, seulement à parler dans le sens du gouvernement, mais encore à user de toute mon influence pour empêcher qu’on examinât cette question importante. Voici, messieurs, la lettre que j’ai reçue à cet égard :

« Monsieur,

« Le désir du gouvernement étant que toute modification à la loi électorale qui nous régit soit rejetée, il me suffira, je m’en tiens assuré, de vous donner connaissance de ses intentions pour que vous concouriez à faire rejeter toute proposition ultérieure qui pourrait être faite tendant à examiner même le vœu que cette question vitale soit examinée

« Je compte sans réserve sur votre concours personnel et sur l’influence que, par la nature de vos fonctions vous exercez sur plusieurs membres du conseil, pour amener le résultat désiré. »

Je vous le demande, messieurs, quel est, après cela, l’homme ayant quelque sentiment de sa dignité, ayant quelque énergie, quel est l’homme ayant comme moi contribué à faire la révolution, qui n’aurait pas repoussé de pareilles injonctions avec tout le mépris qu’elles méritent ? Aussi, messieurs, j’ose le dire, ma réponse fut telle que le méritait la conduite du ministère. Et que l’assemblée ne se figure pas que ce sont des rancunes personnelles qui me font parler. Non, messieurs, mais après une pareille conduite j’aurais rougi de servir plus longtemps le ministère, et si les circonstances relatives à mon élection ne s’étaient pas présentées, je n’en aurais pas moins quitté mes fonctions.

Que le ministère parle après cela de dignité ! Lui qui ne sait que fléchir devant la diplomatie.

N’avez-vous pas encore foulé aux pieds la dignité nationale lorsqu’il s’est agi de l’illustre général Scrzynecki ! Et qu’avez-vous demandé à la chambre de pouvoir faire des réserves ; et quelles réserves avez-vous faites ? Avez-vous stipulé quelques garanties pour les habitants du Limbourg et du Luxembourg ? Non, vous avez stipulé des réserves pour conserver quelques misérables mesures de terre ! ne savez-vous donc pas que ces mesures de terre vous n’aviez pas besoin de les demander à la diplomatie, que nous pouvions, nous, vous les faire conserver ?

Il est une autre dignité, c’est d’assurer le bien-être du pays. Qu’avez-vous fait sous ce rapport ? Rien, absolument rien. On se plaint à Gand, on se plaint à Bruxelles, on se plaint d’un bout du pays à l’autre ; vous pouviez faire quelques chose pour la prospérité de la Belgique, il y avait dignité à le faire, mais cette dignité vous ne l’avez pas comprise.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, l’affaire du canal de l’Espierre soulève trois questions : 1° La convention est-elle sujette à l’assentiment législatif 2° Le gouvernement a-t-il violé les dispositions règlementaires en concédant ce canal ? 3° Le gouvernement a-t-il fait chose utile en concédant ce canal ? Voilà les trois questions que l’affaire soulève, et qu’il n’est pas possible de ne pas soulever.

J’accepte, je le répète, la discussion ; je la demande, je l’accepte le plus prochainement possible. Dès que la section centrale, à qui on a renvoyé les pétitions relatives à cet objet, ainsi que la loi portant prorogation de celle sur les péages, aura présenté son rapport, je m’empresserai de saisir cette occasion pour montrer que la convention n’est pas sujette à l’assentiment législatif ; que le gouvernement n’a pas violé les dispositions règlementaires en vigueur ; enfin, que le gouvernement a fait une chose utile en concédant le canal de Roubaix ; je prouverai que les faits sur lesquels on s’est appuyé pour soutenir que ce canal est contraire à des intérêts réels dans les Flandres ; je prouverai que ces faits sont inexacts.

Je dirai un mot, en ce qui me concerne, comme ministre ayant eu par intérim le ministère de la justice ; je dirai un mot, dis-je, de l’acte auquel l’honorable préopinant a fait allusion, qui a été pris à cette époque, que j’ai contresigné et dont je ne décline en rien la responsabilité.

Cette mesure, messieurs, est conforme aux principes que j’ai toujours professés dans cette chambre, que j’ai professés à une époque où je n’étais pas ministre, et dont j’ai dit que je me ferais à moi-même l’application, quand l’occasion s’en présenterait.

L’honorable préopinant nous a dit, s’il avait été nommé député, étant encore fonctionnaire public, il aurait réalisé la résolution qu’il avait arrêtée depuis longtemps, de donner sa démission de ses fonctions publiques.

Eh bien, messieurs, c’est ce qu’il aurait dû faire depuis plusieurs années, car les dissentiments qui ont rendu nécessaire la mesure à son égard, ces dissentiments remontent très haut, ils ne se rattachent pas à l’incident dont il a été question tout à l’heure. Ces dissentiments sont nombreux ; ils se rattachent à l’ensemble de la conduite de ce fonctionnaire public, conduite que je ne veux pas apprécier autrement que par le dissentiment qu’elle a provoquée entre lui et d’autres fonctionnaires supérieurs. Ces dissentiments étant arrivés au point qu’il y avait une véritable incompatibilité entre lui et ces fonctionnaires. C’est ainsi que je me suis expliqué dans une conversation que j’ai eue dans mon cabinet avec l’honorable préopinant, la veille du jour où la mesure fut prise. Et je saisis cette occasion pour démentir l’entretien ridicule qu’on m’a attribué ; je suis loin de dire cependant que ce soit l’honorable préopinant qui ait commis une indiscrétion relativement à cet entretien ; je me suis borné à lui dire dans cette conversation : « Ce sont les dissentiments entre vous et d’autres fonctionnaires supérieurs de la province qui rendent la mesure nécessaire ; ces dissentiments existent, ils sont constatés ; vous aviez une résolution fort simple à prendre, c’était de donner votre démission ; vous auriez dû la donner depuis longtemps, c’est ce que j’aurais fait à votre place. »

M. Delehaye – Messieurs, il est assez difficile de parler avec calme dans une discussion qui nous concerne spécialement je n’avais pas parlé de ma démission, mais enfin, puisque le ministre vous a entretenus de cet objet, je me permettrais, messieurs, de vous dire quelques mots :

Il me paraît fort étrange que l’on vienne dire que je me trouvais depuis longtemps en dissentiment avec le gouvernement, puisque j’ai la conviction intime que le ministre ne possède aucune pièce, ne peut produire aucune preuve, qui puisse faire induire que j’ai été en discussion avec lui.

Il est très vrai qu’en ma qualité de membre des états provinciaux, j’ai souvent exprimé un blâme sur la marche du gouvernement. Il est très vrai qu’il m’est arrivé bien des fois de déclarer qu’il était au pouvoir du ministère d’empêcher que les difficultés avec la ville de Gand ne finissent, comme elles ont fini. Il est très vrai encore que, lorsqu’il s’est agi d’une des dernières élections communales, j’ai, contrairement à l’opinion du gouvernement, émis l’avis que M. Van Combrugghe pouvait être nommé bourgmestre.

Il y a donc des faits que j’ai blâmes. Mais est-ce que les fonctionnaires, par hasard, sont dans la nécessité d’approuver tout ce que fait le gouvernement ? Ne sera-t-on donc fonctionnaire que pour adopter aveuglement tout ce que fera le gouvernement ?

Mais, en définitive, croit-on qu’il y ait, à cet égard, dissentiment entre moi et le gouvernement ? Non, messieurs, je n’ai jamais eu la moindre discussion avec le gouvernement. La lettre dont j’ai donné lecture tout à l’heure et qui est écrite d’un des commis du gouverneur, prouve hautement qu’à cette époque on avait en moi la plus grande confiance ; on faisait alors un appel à la grande influence que j’exerçais, disait-on, sur les membres du conseil provincial. Et voilà l’homme qui aurait été en opposition constante avec le gouvernement ! Conciliez donc, messieurs les ministres, les actes de ceux qui dépendent de vous ? Dites-moi ce que vous voulez ?

Il y a une autre partie sur laquelle j’ai à répondre. M. Nothomb vous a dit qu’il ne pensait pas que j’eusse commis une indiscrétion relativement à l’entretien que j’ai eu avec lui ; mais pourquoi aurais-je dû être discret. Je n’avais pas dit à M. Nothomb que je me tairais sur la conversation que j’avais eue avec lui ; bien loin de là, il eût été assez ridicule que moi, qui briguais les suffrages de mes concitoyens, je me fusse tu sur un acte qui pouvait porter atteinte à mon honneur : c’était un devoir pour moi de dire ce qui s’était fait. Eh bien, M. Nothomb prétend que ma destitution a été le résultat de ma conduite d’opposition comme fonctionnaire public ; il n’en est rien, messieurs ; mais voici la circonstance à laquelle il faut attribuer l’acte qui m’a frappé : lors du malheur qui est arrivé au convoi du chemin de fer, au pont de Sneppe, M. Nothomb, qui n’était pas alors ministre de la justice, voulu que je fisse arrêter le pontonnier ; je me suis soustrait à cette obligation ; M. Nothomb blâma cette conduite. Eh bien, je pense que je dois le déclarer maintenant, cette conduite fait mon honneur, et certes elle ne fait pas le vôtre, M. le ministre.

M. Nothomb a traité de ridicule l’entretien que j’ai eu avec lui, tels que les journaux l’ont rapporté. Mais M. Nothomb a-t-il donc oublié que, lorsqu’il me demanda ce que je ferais à la chambre, si j’étais nommé député, je lui ai répondu que j’y voterais en homme d’honneur et de conscience, et que là-dessus M. Nothomb se prit à rire. M. Nothomb a-t-il donc oublié ce qui s’est passé dans cet entretien ? je n’ai pas tout à fait présent à la mémoire tout ce qui a été dit dans les journaux ; mais je sais parfaitement bien que le résumé que les journaux de Gand ont donné de ce qui s’est passé, reproduisait exactement les paroles qui ont été prononcées dans l’entretien. Je ne parle pas des inductions que ces journaux en ont tirées ; mais, quant aux expressions, je le répète, il n’y a pas un seul journal qui ne les ait données fidèlement.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, l’arrêt était signé ; mais en priant le fonctionnaire public de passer dans mon cabinet, je voulais précisément invoquer le principe que l’honorable membre a posé tout à l’heure : c’est que quand il y a dissentiment entre un fonctionnaire public et un gouvernement ; quand il y a incompatibilité entre un fonctionnaire qui doit exercer une grande influence dans une des plus grandes villes du pays, et un autre fonctionnaire public supérieur, l’un d’eux, se rendant compte de sa position, donne sa démission. C’est précisément ce principe que j’ai invoqué, en priant l’honorable préopinant de venir me voir. Tel a été le véritable objet de l’invitation que je lui ai faite.

Je dois démentir une seconde fois la conversation qu’on m’a prêtée. Je n’ai pas souri lorsque l’honorable préopinant m’a dit que, s’il était nommé député, il voterait comme un homme d’honneur et de conscience ; ce sont des mots qui ne me font pas sourire et que je respecte autant que l’honorable préopinant.

L’honorable préopinant m’a dit : « Quels soupçons avez-vous donc contre moi ? croyez-vous que je fasse une opposition systématique à la chambre ? » - « Je ne demande pas, répliquai-je, ce que vous avez envie de faire comme député ; je ne m’occupe de vous que comme fonctionnaire, et, à cet égard, d’après les rapports qui sont arrivés au ministère depuis que je suis chargé du portefeuille intérimaire de la justice, rapports conformes à des rapports encore plus anciens et adressés par les différents gouverneurs aux divers ministres qui m’ont précédé, il y a incompatibilité entre vous et des fonctionnaires publics d’un ordre supérieur. » C’est là, messieurs, le résumé de notre conversation.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne dirai plus rien sur la question spéciale qui vient de s’agiter. Je ferai seulement remarquer que, d’après la date de la lettre dont il vous a été donné lecture, il est évident que le vote du préopinant dans le conseil provincial n’a pas été la cause de sa destitution.

Messieurs, on s’est occupé d’un député du district de Saint-Nicolas, de ses rapports avec le gouvernement.

Je me hâte de déclarer que l’estime que la conduite de ce fonctionnaire a été entièrement honorable, lorsqu’il a spontanément donné sa démission. Mais, messieurs, je dois remonter un peu plus haut, en ce qui concerne les commissaires de district en général.

Déjà avant 1836 on avait remarqué qu’un grand nombre de fonctionnaires de cette catégorie arrivaient successivement à la chambre. Le gouvernement lui-même en fut frappé ; il crut qu’il fallait y mettre un terme jusqu’à ce que le nombre de députés de cette catégorie fût réduit. C’est pour cela qu’avant même que la proposition eût été faite par un député de Tournay, de déclarer les commissaires d’arrondissement non éligibles dans le lieu de leur résidence, j’avais déjà interdit à deux de ces fonctionnaires de se mettre sur les rangs. J’ai fait connaître ce fait et à cette chambre et au sénat.

Le gouvernement n’a pas agi d’une manière arbitraire ; il n’a pas dit à tel : Faites-vous élire ; à tel autre : refusez le mandat qu’on vous offre. La règle a été générale, et en effet depuis cette époque, il n’est pas entré de nouveaux commissaires de district dans cette chambre. Toutefois, je dois ajouter que la mesure qui a été prise alors ne doit pas être considérée comme tellement définitive, que le gouvernement n’en revienne un jour, s’il trouve que le nombre des fonctionnaires de cette catégorie dans cette enceinte n’est pas trop considérable.

On aurait cru que la mesure qui avait reçu l’assentiment des deux chambres, n’aurait pas pu devenir un objet de critique. Quels motifs suppose-t-on au gouvernement dans cette conduite ? Est-ce un motif d’influence ? Non, messieurs, et particulièrement en ce qui concerne le ministre de l’intérieur qui a déjà eu occasion de proposer au choix du Roi un grand nombre de ces fonctionnaires. Il semble, au contraire, que, s’il suivait les errements qu’on suppose être dans ses intentions, il aurait favorisé de semblables candidatures.

L’honorable député de Saint-Nicolas avait été proposé par moi à la nomination du Roi. Mais la mesure était générale, elle n’avait pas été retirée, nous ne pouvions avoir deux poids et deux mesures.

Quant à la destitution d’un haut fonctionnaire, l’opinion du gouvernement a été que ce fonctionnaire avait l’intention de se mettre en opposition avec lui. Dès lors le gouvernement devait s’en séparer, ou plutôt si ce fonctionnaire avait suivi les principes exposés par l’honorable préopinant, député de Gand, il aurait dû, s’il pensait que la marche du gouvernement était contraire à ses opinions politiques, s’en séparer spontanément.

Nous n’avons pas à examiner si des motifs d’inimitié personnelle ont influé sur la conduite de ce haut fonctionnaire. Mais je déclare que ni son vote ni son concours n’avait été réclamé pour la nomination du sénateur auquel on fait allusion.

En ce qui concerne la candidature dans le Luxembourg, elle n’a pas été proposée par le gouvernement, elle a été offerte spontanément par les habitants à cet ancien sénateur.

Mais, dit-on, le gouvernement ne semble pas d’accord avec lui-même dans ces questions de politique intérieure, et spécialement en ce qui concerne la mesure prise à l’égard des commissaires d’arrondissement.

Le gouvernement, messieurs, dans les actes de haute politique intérieure, a été entièrement d’accord. Nous n’avons pas jugé que la mesure relevée à l’égard des commissaires d’arrondissement ait dû être étendue à d’autres classes de fonctionnaires, parce qu’aucune classe de fonctionnaires n’était représentée dans la chambre en nombre aussi considérable que celle des commissaires d’arrondissement, et qu’aucune non plus n’avait autant de facilité pour se faire élire.

C’est à tort qu’on impute au gouvernement la situation de l’industrie et du commerce. Dans le moment actuel, le pays subit une crise qui ne se borne pas à la Belgique ; elle est la même ou à peu près dans d’autres états où un système beaucoup plus restrictif que le nôtre est en vigueur. Du reste, le gouvernement est résolu à ne négliger aucune mesure capable d’accroître la prospérité de notre commerce et de notre industrie.

Je m’étonne qu’un honorable membre jurisconsulte ait pu soutenir que j’avais violé la constitution en rejetant une demande en séparation de commune.

En effet, aucun texte de la constitution ne prescrit au ministère de présenter un projet de loi, contre son opinion. Il y a d’ailleurs un remède contre les erreurs du pouvoir s’il venait à en commettre. Chaque député à le droit d’initiative.

A la vérité, l’article 3 de la constitution dit qu’il ne peut être fait aucun changement de délimitation à une commune que par une loi. Mais le congrès n’a pas entendu exiger qu’il intervînt une loi pour que le ministère pût déclarer à une commune que sa demande n’est pas fondée.

La question de l’élection de Hamme-sur-Heure ne présente pas plus de difficulté que celle que je viens de traiter, cependant je ne puis en parler à fond dans ce moment, parce que les détails ne sont pas présents à ma mémoire ; l’objet en est d’ailleurs minime.

M. Fleussu – Je vous demande pardon !

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je suis prêt à justifier ma décision dans cette affaire.

On a parlé de responsabilité ministérielle, on a même, en quelque sorte, osé avancer une maxime anticonstitutionnelle, en présentant comme possible une autre responsabilité, en attendant que celle des ministres soit légalement organisée. Je réponds d’abord que la constitution, en aucun cas, ne permet de transférer la responsabilité. Mais il n’y a pas de lacune dans la constitution sur cet objet.

En effet, l’article 134 de la constitution, dit formellement que, jusqu’à ce qu’il y soit pourvu par une loi, la chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre et la cour de cassation pour juger en caractérisant le délit et en déterminant la peine. Si une disposition semblable ne suffit pas, il est difficile de concevoir ce qu’on peut exiger de plus. Les ministres ont intérêt à organiser leur responsabilité par une loi pour être soustraits à l’arbitraire de la constitution, arbitraire qui ne pèse sur aucun autre citoyen du pays.

J’oubliais un autre fait qu’on a relevé. Je veux parler de la régence de Gand. J’ai déjà dit que les difficultés de la situation remonte à 1830. En ce qui concerne le bourgmestre de Gand qui a été en même temps nommé professeur de l’université, je soutiens l’exactitude de mes dires, quand j’ai répondu à l’interpellation de M. de Brouckere, il y a deux ans. Ce professeur n’a pas de cours sur lequel les élèves doivent subir un examen, parce que des dispositions transitoires prorogent d’année en année l’ajournement du programme dans lequel ce corps est compris.

M. Dumortier – Messieurs, en me levant pour prendre la parole après M. le ministre de l'ntérieur, je ne sais si je dois le blâmer ou le féliciter d’avoir posé en principe la nécessité de ne plus admettre dans la chambre autant de fonctionnaires amovibles. Mais s’il partage cette pensée, s’il est convaincu de la nécessité de mettre un terme à l’introduction dans l’assemblée du peuple de gens à chaque instant exposés à être frappés de destitution, pourquoi s’est-il opposé avec tant de force à la proposition que j’avais faite à l’assemblée, de déclarer qu’un mandataire du peuple ne pouvait pas exercer de fonctions amovibles ?

Les faits qui viennent de se dérouler sont sous vos yeux ; ne prouvent-ils pas la nécessité de revenir à ce grand système qui existe dans tous les gouvernements vraiment constitutionnels ? Les faits signalés dans cette séance nous donnent d’ailleurs la mesure de votre conduite. Vous destituez des fonctionnaires parce que leurs opinions ne vous conviennent pas ; vous en nommez d’autres parce que vous prenez une part active dans les élections ; vous signez des lettres ordonnant aux fonctionnaires sous vos ordres de les influencer ; vous autorisez les uns à se mettre sur les rangs et vous le défendez à d’autres ! Quand un gouvernement est arrivé à un tel point de turpitude, les fonctionnaires amovibles, hommes de cœur, ne peuvent pas siéger dans l’assemblée de la nation. Le ministre ne vient-il pas de vous dire qu’il peut destituer un fonctionnaire, quand il n’agit pas d’après l’opinion du gouvernement ?

Cela montre ce que doit penser le pays des majorités qu’il obtient.

Loin de moi, messieurs, la pensée que tous les fonctionnaires soient disposés à vendre leurs votes au ministère ; j’en connais bon nombre au caractère desquels je rends hommage, qui préféreraient une destitution brutale et s’en feraient honneur, plutôt que de se rendre aux faveurs ou aux menaces du ministère.

Mais, dès l’instant qu’un gouvernement n’hésite pas à déclarer qu’il peut révoquer un fonctionnaire parce qu’il est en dissentiment d’opinion avec lui, il fait planer sur tous les fonctionnaires un large soupçon qui ne devrait pas exister.

Dans les destitutions dont le ministre a frappé divers fonctionnaires publics, il se trouve un honorable commissaire d’arrondissement et un honorable sénateur qui a été élu par trois collèges électoraux, puis un membre de la magistrature. On avait bien déjà vu le gouvernement oser préconiser dans cette enceinte le système d’obéissance passive des fonctionnaires administratifs, mais aurait-on pensé qu’il n’eût pas respecté la magistrature, qu’il eût oser porter la main sur la robe du fonctionnaire judiciaire ? Eh bien, ce qu’aucun ministère jusqu’ici n’avait osé faire, celui-ci n’a pas hésité à l’exécuter. Quoi qu’on puisse dire, il y a ici un fait incontestable ; en rapprochant la destitution du magistrat qui siège maintenant dans cette enceinte, de l’époque des élections et des ordres qu’on lui avait donnés d’user de son influence pour faire prévaloir tel ou tel système, vous aurez la preuve que cette destitution est une destitution politique, un acte brutal que rien ne justifie.

Messieurs, je ne m’attendais pas à prendre aujourd’hui la parole ; mais puisque je suis occupé à vous entretenir, je ne puis m’abstenir de vous dire quelques mots au sujet des ratifications déposées sur le bureau. L’examen des pièces vous prouvera que ce gouvernement, qui se montre si arrogant et si fort vis-à-vis des fonctionnaires, est en revanche bien humble et bien faible vis-à-vis des puissances étrangères. Vous avez pu voir les actes ratifiés, déposés sur le bureau. Qu’y trouvez-vous ? Des expressions qui doivent faire saigner le cœur à tous ceux qui aiment réellement leur pays. Nous y lisons des phrases dont certes un gouvernement qui se fût respecté n’aurait jamais toléré l’insertion. Dans le procès-verbal d’échange des ratifications avec le roi Guillaume, le gouvernement n’hésite pas à déclarer « qu’il a pour agréable le susdit traité dans toute et chacune des dispositions qui y sont contenues. »

Ainsi vous avez pour agréable la cession et la vente de vos frères !

Vous avez pour agréable l’abandon du Limbourg et du Limbourg !

Vous avez pour agréable un pareil traité, où je ne vois, moi, que honte et infamie !

Je vous le demande, messieurs, tenir un pareil langage, n’est-ce pas insulter la morale, outrager la douleur publique ? un gouvernement qui se respecterait, ne serait pas assez bas pour employer de telles expressions. Mais comment n’aurions-nous pas attendu pareilles choses d’un gouvernement comme le nôtre ! Vous savez comment le gouvernement s’est conduit dans l’affaire du général Scrzynecki. Après avoir montré un véritable courage le gouvernement a dû se prosterner aux pieds des cours absolutistes pour demander son pardon. Il nous était réservé de voir un gouvernement né de la révolution s’avilir au dernier point, à nous qui avait fait avec courage une révolution glorieuse pour faire triompher les principes généreux, il était réservé de voir le gouvernement que nous avons établi se traîner à plat ventre au pied de la diplomatie et lui demander pardon d’avoir pris au service l’épée du plus illustre des Polonais.

Jetons un coup d’œil sur la conduite du gouvernement à l’intérieur ; voyons la position qu’il a faite au pays. A l’intérieur, que voyons-nous ? Démoralisation profonde dans l’armée, découragement de la nation entière, crise commerciale qui se perpétue par la faute du ministère, destitution des fonctionnaires publics, mesures brutales du gouvernement contre ceux qui dépendent de lui.

Dans nos relations avec l’étranger, que nous offre le ministère ? l’exemple de la dernière bassesse.

Non, un pareil gouvernement n’aura pas mon appui ; je le déclare, je ne puis donner mon assentiment au ministère qui a présenté les 24 articles, qui a trompé le pays.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Le préopinant a singulièrement interprété mes paroles, lorsqu’il a prétendu que j’aurais porté atteinte à la liberté des votes de la chambre. Rien de ce que j’ai dit ne peut justifier cette assertion. Il a fallu pour cela dénaturer mes paroles ; mais dans l’administration proprement dite, le gouvernement, sans aucune contestation, est dans son droit, lorsqu’il fait usage de l’article de la constitution qui porte que le Roi nomme et révoque les fonctionnaires.

On a eu tort de dire que nous faisions acception de personnes. Si nous avions fait acception de personnes, elle eût été dans l’un des cas qu’on a cités entièrement favorable Ainsi, ce que j’ai dit demeure intact et n’a nullement été renversé par le préopinant.

On a parlé de la formule des ratifications. Cette formule de ratifications était adoptée avant la conclusion du traité passé avec la Hollande et les cinq puissances, et on sent que le gouvernement ayant adopté cette formule, il ne pouvait la changer sans éveiller des soupçons. D’autre part, le roi des Pays-Bas a suivi la formule anciennement usitée chez lui. Ainsi il a également approuvé chaque article du traité ; or, l’approbation emporte un assentiment de plein gré.

Au surplus, la preuve évidente que la formule des ratifications était complètement insignifiante, et tout à fait en dehors de la question de sentiment ou de dignité nationale, c’est que le gouvernement a eu soin d’exprimer par son ministre plénipotentiaire à Londres, et de la manière la plus positive, que ce n’était que contraint qu’il acceptait le traité. Cette pièce, en date du 19 avril, est annexé aux actes déposés dans la séance du 2 mai.

En ce qui concerne le général Scrzynecki, l’honorable préopinant pense que la Belgique a manqué de dignité. D’autres ont pensé que les autres cours, qui ont été momentanément en dissentiment avec la Belgique, ont manqué de dignité en revenant sur la résolution qu’elle avait précédemment adoptée. Lorsqu’un dissentiment existe entre les cours, il faut un rapprochement ; lorsqu’un tel rapprochement est jugé honorable par des cours qui n’y ont pas intérêt, il est à l’abri de toute critique et dans l’intérêt de tous les états.

M. Verhaegen – Il me serait extrêmement difficile de mettre de l’ordre dans ma réplique, parce que je dois le dire franchement, je n’en ai trouvé aucun dans celui de M. le ministre de l'ntérieur. Il a pris simplement par-ci par là quelques-unes de mes observations ; c’est de cette manière qu’il juge convenable de me répondre. Je ne suivrai pas sa marche, je vais rependre chacun des griefs que j’ai articulés ; je tâcherai très brièvement de rencontrer ce qu’i a pu dire relativement à mon discours.

Ce que j’ai dit est resté en son entier. Ce que j’ai fit, je l’ai dit de conviction et je n’ai rien à y retrancher.

J’ai indiqué comme premier grief l’oubli des promesses faites par la constitution. J’ai dit que le ministère n’avait présenté aucune des lois dont parle l’article 139 de la constitution et notamment la loi destinée à régler définitivement la responsabilité ministérielle.

On nous a dit toujours que les ministres sont responsables ; qu’ils assument la responsabilité de leurs actes ; que la chambre peut les accuser, la cour de cassation les condamner, on ajoute même que les peines qu’elle peut prononcer sont laissées à son arbitre. Mais on sait fort bien quelles sont aussi les conséquences de cet état de choses, et l’on conviendra qu’aussi longtemps que la responsabilité ministérielle ne sera pas organisée, on ne fera pas usage de cette latitude laissée par la constitution à la chambre et à la cour de cassation. Si on veut une responsabilité réelle, si le ministère veut faire cesser ce qu’il appelle l’arbitraire, pourquoi ne présent-t-il pas une loi sur la responsabilité ministérielle ? Nous avons dit que dans l’article 63 de la constitution il y a deux principes corrélatifs : « Le Roi est inviolable. Les ministres sont responsables. » M. le ministre de l'ntérieur dit que nous avons été en cela beaucoup trop loin et que nous avons énoncé un principe anticonstitutionnel. Probablement M. le ministre ne nous a pas compris. Nous avons signalé des inconvénients, et nous avons été les premiers à dire qu’il importait à tous de les éviter. Je n’ai pas dit qu’à défaut de responsabilité réelle des ministres, le Roi ne serait plus inviolable. A Dieu ne plaise que je profère jamais une pareille hérésie ! mais, en parlant de responsabilité morale et de responsabilité matérielle, j’ai dit que les ministres en agissant comme ils avaient fait, avaient même eu soin d’écarter l’investigation de leur conduite, d’échapper à la responsabilité morale de leurs actes et au blâme que la chambre, à une majorité quelconque, aurait dû déverser sur eux. C’est de cette responsabilité morale que j’ai parlé. La conséquence de ce système ministériel, la voici : c’est que les ministres ont su en maintes circonstances se faire un rempart du manteau royal, c’est qu’ainsi ils vont jusqu’à le dépopulariser dans le pays ; c’est ce que la représentation nationale doit éviter, c’est ce que nous, amis sincères du trône, nous devons éviter ; tels sont les principes que nous avons professés et non ceux dont a parlé M. le ministre de l'ntérieur , et à coup sûr la chambre me rendra la justice que, dans tout cela, il n’y a rien d’inconstitutionnel.

J’ai parlé de violations de la constitution, j’ai indiqué entre autres celle qui m’a frappé le plus et qui a éveillé l’attention du conseil du Brabant dans sa dernière session. Je n’ai dit à cette occasion que ce qu’un membre influent de ce conseil à dit en présence du commissaire du gouvernement qui n’a pas eu un mot à lui répondre. Vous avez entendu (car j’ai cité les expressions mêmes) de quelle manière la conduite du gouvernement a été flétrie. Ce n’est pas, comme on a voulu le faire croire, un simple arrêté par lequel on aurait déclaré qu’il n’y aurait pas lieu de présenter un projet de loi, c’est un arrêt formel de rejet. Or, celui qui s’arroge le droit de rejeter, s’arroger celui d’accorder. Autre chose est de déclarer qu’on ne veut pas préparer un projet de loi, ou de déclarer que la demande est sans fondement. Je dirai que sur ce point le ministre a violé et la constitution et la loi provinciale.

J’avais parlé aussi de violation de la loi communale, et pour prouver ce fait, j’avais cité ce qui était relatif aux élections de Hamme-sur-Heure : M. le ministre de l'ntérieur croit répondre à mon objection en disant qu’il lui serait aussi facile de détruire ce grief que le précédent, mais qu’il n’a pas les renseignement en main. Ceci est fort commode. J’ai articulé des faits appuyés sur des pièces tirées des archives de la chambre ; le ministre doit y répondre ; c’en est actuellement le moment. Nous avons le droit d’examiner la conduite de la haute administration ; et le défaut de réponse serait la preuve que ce que j’ai dit est exact, que le ministre a violé et la constitution et la loi communale.

J’ai parlé du système de destitution qu’une fraction du gouvernement paraît avoir adopté ; et, en partant des destitutions, j’ai cru devoir corroborer ce qu’avait dit M. de Brouckere, qu’il n’y avait pas accord dans le ministère ; d’où j’ai conclu qu’il n’y avait pas de gouvernement en Belgique. On a répondu en distinguant trois catégories de fonctionnaires ; c’est se mettre son aise ; tout cela parce qu’on ne voulait pas rencontrer le principe fondamental. Le gouvernement se justifie à l’égard d’un commissaire de district qui siège parmi nous et qui, quoi qu’on en dise, a été obligé de donner sa démission afin de ne pas recevoir sa destitution ; et comment le gouvernement se justifie-t-il ? Il y avait trop de fonctionnaires de cette catégorie dans la chambre, et le gouvernement avait pris la résolution de ne plus en admettre à l’avenir. Mais cette réponse ne va pas être d’accord avec la destitution d’un fonctionnaire d’une autre catégorie, car à l’égard d’un procureur du Roi on ne dit pas qu’il y en a trop ; il est destitué parce qu’il a été en dissentiment avec le gouvernement.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Comme procureur du Roi !

M. Verhaegen – Ce n’est pas ce que disait le ministre de l’intérieur ; ce qui prouve encore que les membres du cabinet ne sont pas d’accord. Il y a d’autres faits qui prouvent ce désaccord des ministres ; M. de Theux disait qu’il n’avait pas deux poids et deux mesures ; M. Nothomb dit qu’il en a deux, car il y a d’autres procureurs du Roi qui siègent parmi nous et qui ne sont pas destitués. On parle de l’opposition qu’aurait faire M. Delehaye au gouvernement ; mais où est la preuve de cette opposition ? Ce fonctionnaire devait et pouvait exercer une influence que n’a pas blâmé M. de Schiervel, gouverneur ; et quand le gouvernement a vu que le procureur du Roi voulait conserver son libre arbitre dans les élections, on l’a frappé. Ce qui a été dit dans le cabinet du ministre des travaux publics en est la preuve ; on exige des fonctionnaires un servilisme hors de toute convenance, et que nous devons repousser de toutes nos forces.

On a sévi contre un gouverneur, contre un fonctionnaire très haut placé ; ici on ne dit pas non plus qu’il y en a trop ; c’est une autre raison qu’on allègue. J’ai tenu note des termes dont s’est servi M. de Theux : M. de Stassart a été destitué parce que, dans l’opinion du gouvernement, il allait se mettre en opposition avec lui. Ainsi parce que le gouvernement présume qu’on va se mettre en opposition avec lui, il destitue ! Pauvre raison que celle que l’on allègue aujourd’hui. Mais quand on se rappelle ce fameux document dont tout le monde a parlé, nous seulement chez nous, mais dans les pays voisins, j’entends le rapport au Roi, que le ministre de l’intérieur a présenté et dont il a fait précéder la destitution de M. de Stassart, on voit que ce n’est pas l’opinion de ce haut fonctionnaire qui a déterminé à le destituer. On a prétendu qu’il s’était présenté aux élections à Bruxelles quand un autre sénateur s’y était d’abord présenté ; on voulait que le gouvernement ne fût pas contrarié.

J’en sais assez sur ce point pour pouvoir dire que M. de Stassart ne s’était pas présenté aux électeurs de Bruxelles ; on voulait qu’il renonçât à la candidature par une déclaration dans les journaux. Mais il ne pouvait renoncer à ce qu’il ne sollicitait pas.

Au reste, y eût-il renoncé, les électeurs de Bruxelles l’auraient néanmoins nommé ; c’était un parti pris ; c’était un blâme que l’on voulait déverser sur le ministre, à raison des tracasseries qui avaient transpiré. Le gouvernement n’aurait jamais pu empêcher la nomination de M. de Stassart à Bruxelles, en même temps qu’il était élu à Nivelles et à Namur. Un démenti récent a été donné au ministre lui-même sur les assertions consignées dans son rapport. M. de Stassart allait faire de l’opposition, allègue le ministre ; mais je défie le gouvernement de citer un fait qui annonce de pareilles intentions de la part de ce fonctionnaire. Je terminerai sur ce point, en affirmant que ce que l’on a allégué dans cette séance est tout aussi faux que ce qui a été allégué dans le rapport dont on a fait précéder l’acte de destitution.

Quoi qu’il en soit, je répète qu’une fraction du gouvernement est entrée dans une voie mauvaise, désastreuse pour le pays, qu’elle est entrée dans cette voie parce qu’elle espérait saisir de l’influence à Gand, à Saint-Nicolas, à Bruxelles, en intimidant au moyen de son pouvoir fort ; mais cette influence, elle ne l’a pas saisie, et ne la saisira jamais.

J’ai fait remarquer qu’il n’y avait pas accord dans le cabinet relativement aux destitutions, et pour le prouver j’ai cité des paroles de M. le ministre de la guerre. Selon ce ministre, il ne doit avoir à s’occuper que de l’organisation de l’armée, de son instruction et de sa discipline, du bien-être du soldat, comme s’il n’était qu’un administrateur ordinaire ; il nous a fait entendre que dans ce cabinet tous les partis à rendre étaient permis ; ainsi il n’y règne pas une pensée commune sur un point fondamental en administration et nous sommes autorisés à dire que, de ce qu’il n’y a pas d’unité entre les membres de l’administration, il n’y a pas de gouvernement en Belgique.

Mes observations sont donc restées entières sur ce point, loin d’avoir été détruites par le préopinant.

Nous avons, messieurs, parlé de la crise industrielle. M. le ministre de l'ntérieur nous a dit qu’il ne négligerait rien pour améliorer le sort de l’industrie et de la classe ouvrière. Ce sont là des mots dont nous ne pouvons que prendre acte. Nous avons signalé le mal, nous avons dit que les circonstances étaient pressantes, que nous nous trouvons à l’entrée de la saison rigoureuse, que le gouvernement avait à se mettre en garde, que ce n’était pas seulement en Flandre, mais encore en Brabant, mais partout que la crise se faisait sentir. A lui donc la responsabilité, si, à défaut de mesures et de mesures urgentes, il en résulte des inconvénients.

Quant au dernier point, l’oubli dans lequel on laisse l’ordre judiciaire, on n’a pas daigné me donner un mot de réponse. J’ai dit ; il y a un budget de 101 millions de francs, un budget normal, on y porte des dépenses de luxe et des dépenses de luxe très considérables, alors qu’on n’a pas songé à améliorer le sort de ceux qui constituent un des trois pouvoirs de l’état ; à tout cela on n’a pas répondu un mot.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’avais en effet oublié de répondre à cette partie du premier discours de l’honorable préopinant où il fait mention de l’ordre judiciaire. Veuillez remarquer, messieurs, qu’il ne se trouve dans le budget d’augmentation de traitement d’aucune catégorie de fonctionnaires ; la question de la majoration des traitements de membres de l’ordre judiciaire a été ajournée. Il faut être juste, messieurs, et reconnaître que, dans l’ordre judicaire, des améliorations importantes ont déjà été apportées au moins à l’égard des membres des tribunaux de première instance qui avaient plus particulièrement à se plaindre de leur position.

Au reste, la question des traitements de l’ordre judiciaire ne peut être isolé, il est d’autres fonctionnaires qui réclament également et qui, assurément, ont tout autant de titres ; leurs droits, on les fera valoir en temps et lieu et tout au moins en même temps qu’on fera valoir ceux de l’ordre judicaire.

Ce qui m’étonne, messieurs, c’est qu’on ait persisté à soutenir qu’il y avait dissidence dans le cabinet relativement à la manière d’agir des différents ordres de fonctionnaires qui se portaient candidats aux élections. J’ai expliqué le motif pour lequel la mesure a été restreinte aux commissaires d’arrondissement. Elle était aussi la pensée des auteurs du projet de loi qui a été rejeté par le sénat. Du reste, je puis affirmer, messieurs, que la révocation du procureur du roi de Gand a été arrêtée en conseil avant qu’on ne sût qu’il s’était porté candidat aux élections de Gand. M. le ministre de la guerre, dans son discours d’hier, loin de décliner les décisions du conseil, en a formellement assumé la responsabilité. S’il était présent ici, il ne déclinerait la responsabilité d’aucun des actes du gouvernement pour lesquels nous avons subi des attaques spéciales.

Quant au rapport que j’ai publié sur la destitution du gouverneur du Brabant, je le maintiens exact en fait ; il n’y a pas une seule circonstance de fait que je doive rétracter. Il était inutile de répéter ici le contenu d’un document qui a été imprimé et publié ; je me suis donc borné à reprendre la conclusion de ce document qui constatait à l’évidence que des dissentiments existaient entre ce haut fonctionnaire et le ministère.

On a parlé à tort d’autres pays, car je pourrais invoquer non seulement de nombreux précédents qui se sont présentés dans d’autres pays constitutionnels, mais encore l’approbation toute spéciale que la mesure a reçue dans la presse d’un pays éminemment constitutionnel, dans la presse anglaise.

M. Pirson – Messieurs, le pouvoir fort de l’oligarchie anglaise reposait sur les bourgs-pourris. L’Angleterre a été purifiée de ce cloaque impur. Le pouvoir fort de notre gouvernement reposerait bientôt sur une assemblée pourrie, si le système du gouvernement pouvait jamais triompher dans un pays où tous les citoyens sont unanimes, où tous les citoyens sont décidés à conserver, à maintenir intacte notre constitution.

Tout ce que l’on vient de dire, tout ce que l’on savait d’avance, tout ce que l’opinion publique a découvert, prouve à l’évidence que l’anarchie est dans le ministère ; l’anarchie serait aussi dans le pays si l’on pouvait croire qu’il y eût des hommes qui se laissassent réellement influencer qu’ils n’arrivaient ici qu’avec une conscience corrompue. Il y a beaucoup de fonctionnaires ici, messieurs, et j’ai trop de confiance en eux pour croire qu’ils puissent être infidèles à leur mandat. Dans la position du pays, telle qu’elle a été dépeinte par divers orateurs que nous avons entendus dans cette discussion telle qu’elle a été dépeinte par ceux même qui ont voté avec le gouvernement dans une circonstance malheureuse, car il est encore assez étonnant que c’est précisément parmi ceux qui étaient alors avec lui qu’il rencontre aujourd’hui les plus chaux adversaires.

Cela prouve, messieurs, qu’il y a eu des hommes trompés, quoique consciencieux, cela prouve que le gouvernement a fait un mauvais usage du pouvoir qui lui a été accordé, cela prouve que les effets de la mauvaise mesure qui a été adoptée se font sentir aujourd’hui plus que jamais.

Dans une pareille situation, lorsque nous sommes appelés à voter un budget qui va servir de type à tous ceux qui vont suivre, il est nécessaire d’examiner les choses avec attention, et j’ose dire avec calme, puisque le petit orage qui vient d’apparaître à l’horizon se détourne déjà. Il faut donc examiner le budget avec calme et comme c’est un budget normal ou du moins qu’il préparera la voie à tous ceux qui vont lui succède ; dans cette position je ne crois pas que nous puissions retarder le vote du budget des voies et moyens, parce que quelques soient les mesures que prenne le chef de l’état, il faut toujours que les contributions puissent être reçues. Et quant à ces mesures je crois que, dans les circonstances où se trouve le pays, le chef de l’état fera bien de renvoyer le ministère au lieu de dissoudre les chambres ; j’appelle de tous mes vœux cette dissolution ; alors on connaîtra l’opinion du pays ; car ici, messieurs, j’ose vous le dire, il n’y a pas d’opinion, nous nous regardons tous, nous ne savons ce que nous voulons ; en vérité, ce qui est assez singulier, c’est que nous sommes ici aujourd’hui précisément comme si nous nous voyions pour la première fois de la vie ; on se regarde ; on cherche à s’interroger ; on ne sait que se dire. Moi, je sais très bien ce que je pense et je vais le dire ; je l’ai déjà dit ailleurs : dans les circonstances actuelles, si le Roi veut sauver le pays, il faut qu’il dissolve ou le ministère ou la chambre. Dans cette position nous devons commencer par voter le budget des voies et moyens ; s’il y a de trop et que nous ayons un bon ministère, il n’en abusera pas, s’il y a trop peu, nous y pourvoirons ou du moins nos successeurs y pourvoiront. Mais il faut à nos successeurs ou aux successeurs du ministère, quelque chose pour gouverner ; il faut des fonds, sans cela le gouvernement n’existerait plus, et il faut cependant qu’il se maintienne. Je voterai donc le budget des voies et moyens, mais je repousserai tous les autres budgets.

M. le président – Comme il n’y a plus d’orateurs inscrits, je proposerai à la chambre de clore la discussion générale.

M. de Brouckere – J’ai quelques mots à répondre à MM. les ministres de l’intérieur et de la guerre, qui m’ont tous les deux honoré d’une réponse ; mais je vois que M. le ministre de la guerre n’est pas à son banc et comme c’est particulièrement à lui que j’ai à répondre, je demanderai à pouvoir remettre à demain ma réplique, qui, du reste, ne sera pas longue.

- La séance est levée à 4 heures.