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Note d’intention
Sommaire
a) Pièces adressées à la chambre
b) Projets de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
(Moniteur belge du 10 mars 1839, n°69)
(Présidence de M. Raikem)
M. Scheyven procède à l’appel nominal à midi ½.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M. Scheyven fait connaître
l’objet des pièces adressées à la chambre :
« Les habitants des hameaux d’Ombret, Raula et Ponthier (commune d’Amay) demandent que ces hameaux soient érigés en commune séparée. »
_________________________
« Cinq militaires pensionnés demandent à jouir des bénéfices de la nouvelle loi sur les pensions. »
_________________________
« Le sieur J.-B. Potty, à Lasne (Wavre), réclame contre une décision du conseil cantonal de la garde civique de Wavre qui le déclare apte au service du premier ban. »
__________________________
« 62 fabricants de
salin et de potasse de
_________________________
« Le sieur A.
Holvoet, auditeur militaire de
_________________________
« Le sieur Herpain,
chirurgien à Genappes, demande que la chambre adopte le projet de loi relatif
au traité de paix, et qu’il soit créé dans
_________________________
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Bekaert – Je viens, messieurs, de recevoir de Courtray une pétition contre le morcellement ; cette pétition énergique me semble contenir l’expression d’une conviction bien établie, je demande qu’elle soit insérée au Moniteur, comme les autres pétitions relatives à la question qui nous occupe.
PROJET DE LOI CONCERNANT LE TRAITE DESTINE A REGLER
Discussion générale
M. Desmanet de Biesme (pour un fait personnel) –Messieurs, dans la séance d’hier j’ai été violemment attaqué par un honorable député du district d’Alost ; je demande la permission de lui répondre quelques mots.
Dans mon discours d’avant-hier, je m’étais imposé la loi d’être court, et c’est pour cela que je n’avais pas écrit mon discours et que je n’ai parlé que sur des notes. Je sais très bien que, dans un discours improvisé, il peut quelquefois échapper quelques-unes de ces expressions que l’on aurait à regretter parce que souvent on veut donner une série d’idées en très peu de mots ; c’est là un écueil dangereux surtout pour ceux qui, comme moi, n’ont pas une très grande habilité de la parole. Cependant, messieurs, en relisant mon discours, j’y ai vu des choses qui pouvaient choquer des opinions, mais je n’y ai rien rencontré qui pût choquer des individualités. Toutefois ce que je dois dire, c’est que s’il m’était échappé un seul mot qui pût choquer le moins du monde les honorables députés du Limbourg et du Luxembourg, j’en aurais le regret le plus amer et je ne pourrai que m’en excuser devant vous ; mais je ne pense pas qu’il en soit ainsi.
Plusieurs voix – Non ! non !
M.
Desmanet de Biesme
– Parce que j’ai dit que je ne voyais pas de déshonneur pour
Si j’ai servi peu de
temps, messieurs, j’ai eu le triste avantage d’assister au grand drame, la
chute de Napoléon, et j’ai pu voir là combien le courage est quelquefois
inutile contre la force. Napoléon n’a pas voulu traiter, on ne lui a pas arracher
son épée, il l’a brisée entre ses mains. Par son refus de traiter il a perdu
les provinces rhénanes et
Je ne connais pas de plus
bel exemple d’une conduite conforme à l’honneur militaire que ce qui s’est
passé à l’armée de
Un dernier mot,
messieurs, en ce qui touche l’allusion que j’ai faite à la conduite d’un noble
pair de France. Je ne suis pas ingrat, non plus ; tant que le noble comte
s’est borné à traiter la question belge à la chambre des pairs et à défendre
notre cause, il a eu toute ma reconnaissance ; mais un écrit a été publié
(je n’examine pas comme il l’a été, tout écrit publié est du domaine public),
j’y ai trouvé des paroles amères contre
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, plusieurs orateurs m’ont directement imputé l’idée de l’échange entre une partie du Limbourg et une partie du Luxembourg, ou, en d’autres termes, l’idée de l’acquisition d’une partie du Luxembourg au moyen de la cession d’une partie du Limbourg.
L’honorable député qui a clos la séance d’hier, sans toutefois m’accuser personnellement, a désiré obtenir sur ce point des explications appuyées de pièces ; je vais donc compléter les renseignements qui vous ont été donnés par M. le ministre des affaires étrangères.
L’idée du démembrement du
Limbourg est très ancienne ; elle est antérieure à l’idée de l’acquisition
du Luxembourg en tout ou en partie par
Ce n’est pas l’idée de l’acquisition d’une partie du Luxembourg qui a fait naître celle du démembrement du Limbourg ; c’est tout lecontraire ; c’est la nécessité du démembrement du Limbourg qui a conduit à l’idée de démembrer le Luxembourg.
La conférence, en
déclarant le 20 décembre 1830 le Royaume-Uni des Pays-Bas dissous, annonça
qu’elle s’occuperait des nouveaux
arrangements les plus propres à combiner l’indépendance future de
Tout en protestant contre
le principe de la dissolution du royaume, le cabinet de
Pour régler les bases de
séparation du royaume, on aurait pu, en consultant, non pas la volonté des
populations, mais certains principes de droit public, que je suis loin
d’admirer, considérer
Tel est, en effet, le
système que le cabinet de
Ce système ne détruisait
pas le grand-duché de Luxembourg, bien que cette province eût fait partie des
Pays-Bas autrichiens en 1790 ; en admettant un échange fictif, on supposait
la principauté de Liège donnée à
La révolution s’est
arrêtée devant la forteresse de Maestricht ; je ne veux pas rechercher ce
qu’il serait advenu si elle eût emporté cette place ; il me suffit de
constater l’influence décisive que le fait de la non-possession de Maestricht
par
La ville de Maestricht
étant demeurée en la possession du roi Guillaume, il n’a pu entrer dans les
intentions de la conférence d’en faire l’objet d’une cession volontaire à
Quel sera le territoire
contigu à rattacher Maestricht à
Telles sont les questions que soulevait cette combinaison.
Par son projet du 6
janvier 1831, le cabinet de
Comme il importe de
constater ce point de départ, ne fût-ce que pour démontrer que
« Extraits des propositions du 6 janvier 1831
« A. Territoire.
« Les frontières de
« La ligne de
démarcation partira de la mer au point où se touchaient à ladite époque les
territoires hollandais et autrichien, et longera, jusqu’à la rive gauche de
l’Escaut, celui de
« Tous les territoires
et pays situés au nord et à l’est de cette démarcation appartiendront à
« En traçant cette
ligne, on a eu en vue d’établir une démarcation qui ne laissât pour l’avenir
aucun prétexte à des discussions quelconques ; et le système de désenclavement
et de contiguïté ayant été adopté autant que possible dans toutes les
transactions modernes, le roi n’hésite pas à demander l’application de ces
principes en sa faveur. Il en résultera que S.M aura une communication libre
avec Maestricht, communication indispensable, et qu’elle aura renoncé, de son
côté, aux enclaves que
« L’addition de
territoire que cette démarcation procurera à
« Pour rendre encore
plus claire la délimitation indiquée, on peut aussi la décrire comme assurant à
S.M. les provinces du nord du royaume des Pays-Bas, avec deux arrondissements
de la province de Limbourg, ceux de Ruremonde et de Maestricht, à l’exception
toutefois de Tongres et de son district, lesquels appartiendront à
« Extrait d’une note du 12 février 1831
« Pour compléter les
arrangements relatifs au territoire dans le sens proposé par le roi des
Pays-Bas, et approuvé par les cinq cours, il reste à établir de quelle manière
il s’étendra depuis la frontière de
« On a fait observer que les deux arrondissements, demandés à cet effet, de la province de Limbourg n’ont pas grande valeur, soit en terrain, soit en population, lorsqu’on en déduit :
« 1° Les deux
susdites de Maestricht et de Venloo avec leurs environs immédiats, qui de droit
appartiennent à
« 2° Tongres et son
district qui resteraient à
« A quoi il faut
ajouter quelques villages et terrains que
« Mais pour prouver
encore davantage que les cinq cours ne doivent pas craindre de déroger à
l’impartialité dont elles font profession en adjugeant au roi les deux
arrondissements mentionnés plus haut, il convient de rappeler que les huit
cantons qui étaient restés à
La conférence n’adopta
pas les propositions du cabinet de
« Comme il
résulterait néanmoins des bases posées dans les articles 1 et 2 que
Remarquez que l’échange
des enclaves devait s’effectuer « par les soins des cinq
cours » ; disposition menaçante pour le Limbourg, car évidemment elle
recelait la pensée de rattacher Maestricht à
Ce danger avait frappé le
gouvernement belge ; aussi fût-il stipulé par les 18 articles du 26 juin
1831 qu’il serait fait à l’amiable entre
Ce n’est pas la seule
stipulation favorable au Limbourg que renfermaient les 18 articles, négociés
par mon honorable ami M. Devaux et moi ; nous avions découvert que le
principe qui ne rendait à
Puisque des Limbourgeois
m’ont accusé, je dois bien insister sur l’observation que les 18 articles, à la
négociation desquels j’ai pris part, étaient principalement à l’avantage du
Limbourg : reconnaissance, quant à Maestricht, de la conséquence la plus
exorbitante du principe qui ne rend à
En ce qui concerne le
Luxembourg, le statu quo que rien jusque là ne garantissait, devait y être
maintenu au profit de
Et c’est là, messieurs,
ce que l’on perd toujours de vue ; c’est ce que l’on ne devrait jamais
perdre de vue et pour juger les promesses personnelles et pour apprécier les
résultats généraux ; août 1831 est une date qui domine la situation de
Je fais cette remarque, bien que j’aie été d’une grande réserve dans la discussion des 18 articles.
Dans la négociation
ouverte à la suite de ses succès militaires, le roi Guillaume reproduisit ses
prétentions du 6 janvier 1831 ; il demandait les deux rives de
La conférence rejeta de
nouveau ces prétentions ; comme elle avait reconnu que les anciennes
enclaves possédées par la république seraient insuffisantes pour assurer à
Comme vous l’a dit hier
M. le ministre des affaires étrangères, la résolution de la conférence fut
tellement subite que nous n’en eûmes connaissance que quelques jours avant le
14 octobre, et encore par la voie de Paris ; dans cette extrémité, et tout
en protestant au fond nous fîmes des efforts pour obtenir des rectifications,
notamment pour sauver Ruremonde et Aron ; car dans le Luxembourg, on se
proposait de prendre pour ligne de démarcation la limite de l’arrondissement de
Neufchâteau. On tira précipitamment une nouvelle ligne dans le Luxembourg, sans
attendre de détails sur les limites naturelles qu’auraient pu offrir quelques
rivières ; on fit cette rectification dans l’intérêt non de
Le roi Guillaume refusa
d’adhérer aux 24 articles, notamment à cause des stipulations
territoriales ; il reproduisit, à plusieurs reprises et entre autres dans
son projet de traité du 30 janvier 1832 (Recueil de
Nous sommes arrivés à la deuxième période de la négociation.
En septembre 1833, le roi
Guillaume en adhérant en principe aux arrangements territoriaux, se chargea
d’obtenir de la diète et de sa maison, leur consentement à ce que la rive
droite de
Il résulte de ces explications :
Que Maestricht étant
resté en possession de
Que, dans ce but, le roi
Guillaume demanda le 6 janvier 1831, les deux rives de
Que la conférence
réduisit à la rive droite de
Que jugeant néanmoins insuffisante la compensation territoriale offerte par le roi Guillaume, elle en chercha le complément dans le grand-duché de Luxembourg, qu’elle démembra en vertu des pouvoirs donnés par la diète ;
Qu’il n’a obtenu que la
rive droite de
Qu’il n’a obtenu la rive
droite de
Je ne dis pas ceci pour atténuer ce qu’il y a d’injuste et de douloureux dans le sacrifice qu’on nous imposé ; je le dis parce qu’on a voulu connaître les faits.
Enfin il résulte encore de ces explications :
Que le gouvernement belge est resté totalement en dehors de la combinaison du double démembrement qu’il n’a connu qu’à la veille de la signature de l’acte du 14 octobre.
Nous ajouterons que s’il
avait pu intervenir dans cette combinaison, en temps utile, et non à la
dernière heure, il aurait, peut-être, sans empêcher l’ensemble des
arrangements, obtenu de meilleurs limites dans le Limbourg et le
Luxembourg ; il aurait peut-être, dans le Limbourg, obtenu pour limite la
route de Maestricht à Aix-la-Chapelle ; dans le Luxembourg,
Je n’ai pris la parole, messieurs, que pour donner spécialement ces explications ; j’attendrai l’occasion de prendre de nouveau part à la discussion d’une manière plus générale, et notamment pour insister sur les raisons qui expliquent et justifient la marche suivie par le gouvernement depuis l’adhésion donnée par le roi Guillaume, le 14 mars 1838 au traité non modifié, jusqu’à l’adhésion qu’il a donné, le 4 février, au traité modifié. Je terminerai par une réflexion qui me semble pour trouver place ici.
La conférence nous a
laissé les parties les moins fertiles du Limbourg et surtout du
Luxembourg ; c’est à
M. Mast de Vries – Messieurs, après tous les discours que vous avez entendus, je n’ai point la prétention de vous faire envisager la grave question qui nous occupe sous un nouveau point de vue. Mais je sens le besoin de motiver mon vote, c’est ce qui m’oblige à prendre la parole.
Les adversaires du traité
sont d’accord avec nous qu’une guerre ne peut que nous être désavantageuse, nul
doute, messieurs, qu’au moindre désastre notre nationalité ne se trouve en
jeu et qu’en tous cas les 24 articles ne subissent un changement dans le même
sens que les 18 ont été suivis des 24, c’est-à-dire, tout en notre défaveur.
Tant que j’ai pu croire qu’il nous restait une voix amie dans la conférence,
j’ai voté toutes les mesures qui ont été proposées pour conserver les
territoires qu’on nous arrache ; mais aujourd’hui, messieurs, il y a
unanimité pour nous imposer le fatal protocole, et celui même, qui avait
déclaré ne jamais vouloir reconnaître
Mais supposez
l’impossible, supposez un ministère extrême gauche, qui ne recule point devant
une conflagration générale, qui ne recule point devant les malheurs qu’elle
traîne à sa suite, associés à sa fortune, nous n’en partagerions point les
bénéfices. Vainqueurs, nous connaissons son programme, le Rhin pour frontière,
Ces considérations, messieurs, font taire mes sympathies, l’âme navrée, je cède à la force, je me crois obligé de me soumettre au plus odieux document qu’ait enfanté la diplomatie.
M. de Longrée – Messieurs, lors de l’ouverture des chambres au mois de novembre dernier, les trois grands pouvoirs de l’état apparurent sous les auspices les plus honorables, les plus flatteurs ; l’unanimité des chambres et du cabinet était loin d’être douteuse pour repousser avec un ferme dignité les propositions, la sommation même qui pourraient nous être faites par la conférence de Londres, tendantes à expulser de la grande famille belge environ 400,000 de nos frères ; le pays tout entier applaudit à cette résolution de caractère, les nombreuses adresses qui nous sont parvenues l’attestent ; personne ne voulait consentir à l’abandon de ses compatriotes, ni au moindre morcellement de notre territoire ; aucun sacrifice matériel ne serait trop onéreux pour pouvoir maintenir l’honneur national intact ; le gouvernement, fort de ces dispositions, vint nous demander tous les moyens d’action qu’il jugeait nécessaires ; les chambres votèrent avec empressement, avec enthousiasme même, tous les fonds demandés ; notre armée fut mise sur un pied respectable ; le cœur des braves qui la composent, palpitait de joie, croyant voir arriver à chaque instant l’heure à laquelle elle aspirait pour prouver à l’Europe ce qu’elle était, ce qu’elle pouvait.
Au mois de janvier
dernier, chacun de nous, profitant de quelques jours de repos, rentra dans sa
famille ; ceux d’entre nous députés des populations menacées furent, dès
leur arrivée, entourés de leurs commettants, qui s’empressaient de témoigner
leur joie, comme leur reconnaissance, de l’attitude que la législature venait
de prendre en leur faveur ; chacun de nous, agissant avec la plus parfaite
sincérité, s’attacha à corroborer par des sentiments profondément sentis, leur
espoir, leur foi même dans une solution honorable et avantageuse de nos
différends avec
Mais, hélas ! d’après ce qui se passe depuis quelque temps, dans le pays, comme dans cette enceinte, ne serait-ce pas une véritable déception de notre part, que de les entretenir dans leurs espérances, quoique fondées sur un droit sacré, sur un droit incontestable ?
Mais, messieurs, qu’il me soit permis de vous retracer rapidement les maux, la terrible tourmente, auxquels vous les livrerez par un arrêt qui, pour ces populations, serait celui d’une agonie bien cuisante. Notre constitution a été acceptée avec enthousiasme par eux comme par vous ; des milliers d’entre eux, par leur position, ont juré, par un serment solennel, de la maintenir ; n’avez-vous pas à craindre de leur faire croire que de nos jours le serment n’est plus qu’un vain mot ?
Cette constitution consacre les libertés religieuses, comme celles de leur exercice ; libertés si précieuses pour tous, et profondément appréciées et chéries par les malheureux ! Les libertés civiles, politiques, ainsi que celles de l’enseignement, sont également garanties par ce pacte fondamental ; autre illusion, lettre morte, pour les malheureuses populations.
Vous parlerais-je des intérêts matériels de ces populations ? Non messieurs, car je vous ai promis d’être bref, tandis que l’exposé que je pourrais vous en faire serait fort long, et surtout trop affligeant ! Il n’y aura plus dorénavant pour elles que la misère, accompagnée de tout son lugubre cortège ; voilà l’héritage qui leur est réservé !!
Je termine en vous conjurant de puiser profondément dans votre conscience, la résolution que vous avez à prendre sur une question de vie ou de mort de quelques centaines de milliers de vos frères ! Quant à moi, je repousse avec toute la conviction de mon âme, le terrible projet soumis à notre décision.
M. Milcamps – Messieurs, je rends grâce aux orateurs qui m’ont précédé de nous avoir éclairé, par de longs débats, sur toutes les questions de fait, de droit, de moralité et d’honneur national que l’objet en discussion fait naître. Quoiqu’il ne puisse rester de doute, que toutes les convictions sont établies, je me permettrai cependant encore quelques observations qui porteront sur le vote de l’adresse de la chambre et sur la proposition d’accepter le nouveau traité.
Aux énergiques paroles qui ont retenti dans cette enceinte et qui révélaient une si vive sympathie pour les habitants du Limbourg et du Luxembourg, la chambre a répondu par une adresse conforme à ces paroles ; elle a de plus, et, comme conséquence, voté tous les crédits qui ont été demandés pour l’organisation d’une nombreuse armée, et le gouvernement n’a pas fait faute de cette organisation.
Aujourd’hui on s’étonne même de voir le gouvernement proposer une délibération dans un sens tout contraire à ces actes, et on déplore de trouver la majorité de la chambre disposée à accéder à cette proposition.
Messieurs, nul de vous ne l’ignore, lorsque nous avons posé ces actes et que nous semblions ainsi nous associer à la persévérante et courageuse politique du gouvernement, nous nous trouvions dans un statu quo paisible, mais en présence de des deux faits récents, l’adhésion du roi des Pays-Bas au traité des 24 articles et la reprise des conférences à Londres.
L’opinion générale s’était manifestée d’une manière éclatante contre l’exécution de ce traité.
Le discours d’ouverture et votre adresse n’ont été que l’expression du sentiment national.
Si alors le ministère se fût présenté devant les chambres avec un autre langage, on l’eût mal accueilli.
L’Europe, après tant de secousses, a le droit de réclamer la paix, l’humanité le commande, l’intérêt des puissances est de la rendre générale. Voilà l’intérêt européen.
Devant cet intérêt, les cinq grandes puissances avaient, par le traité du 15 novembre 1831, imposé une transaction, que devant le même intérêt, en raison des circonstances et à cause des réserves que cette transaction renfermait, elles pouvaient modifier.
Or, c’étaient des modifications qu’il s’agissait d’obtenir et d’appuyer.
Le discours d’ouverture
m’a prouvé que le gouvernement désespérait d’obtenir des modifications sur la
question territoriale, ou du moins que s’il en espérait, c’était ou d’une
attitude ferme ou au moyen de sacrifices pécuniaires, et encore fallait-il
compter sur l’intérêt et les sympathies de
Ce sont là les impressions sous lesquelles j’ai voté l’adresse et les crédits pour l’organisation de l’armée ; mais, je dois le dire, ce n’a pas été pour faire la guerre aux cinq puissances. Je n’aurais pu prendre au sérieux une pareille résolution.
Je n’ai nul regret, messieurs, d’avoir, par mes votes, donné de l’appui au gouvernement, et je suis bien aise de me retrouver ici avec mon collègue le rapporteur de la section centrale. Quel meilleur appui que celui du pays tout entier attestant l’intérêt et le prix qu’il mettait à la conservation intégrale des provinces du Limbourg et du Luxembourg, et quels reproches pourrait-on nous faire de ces sentiments généreux envers des populations avec lesquelles, depuis quatre siècles, nous avons une communauté d’intérêts, de religion et de mœurs ?
Ah ! si des événements graves n’étaient pas survenus, si notre situation était la même qu’à l’époque de l’adresse, si notre crédit n’était pas compromis, nos industries souffrantes, peut-être céderions-nous encore aujourd’hui à l’entraînement des chaleureuses paroles des députés du Limbourg et du Luxembourg ; mais les événements maîtrisent le ministère, les chambre, le pays tout entier ; une réaction complète s’est opérée dans l’opinion. Belges, nous pleurons la perte de nos concitoyens, mais comme membres de la chambre, comme hommes politiques, nous devons faire taire notre douleur et remplir un rigoureux devoir.
Un moment, on a pu avoir encore quelqu’espoir, on attendait avec impatience la discussion de l’adresse en France. Mais là encore nous avons trouvé peu de sympathie.
Permettez-moi de vous rappeler quelques paroles de cette discussion.
Je conviens, disait M.
Thiers, qu’il était grave pour
La révolution belge a
déchiré un article du traité de Vienne, disait M. le président du conseil, elle
a démembré le royaume des Pays-Bas qui avait été formé contre
Si nous portons intérêt à
Et depuis,
Ainsi nul espoir du côté
de
Pour moi tout est désespéré.
Le ministère belge n’a pas réussi dans ses négociations sur la question territoriale. Pourquoi ? parce qu’il avait tenté l’impossible.
Les cinq grandes
puissances ne pouvaient s’accorder qu’en donnant une paix dans laquelle il y
eût pour elles et pour toutes les parties honneur, justice et égalité. Vous
savez, messieurs, que le grand-duché de Luxembourg, avait été, comme état
allemand, érigé contre
Le ministère a eu du succès sur la question de la dette, et la (erratum, Moniteur du 12 mars 1839 : ) stipulation du péage sur l’Escaut pourrait être une amélioration du principe de l’article 9 du traité des 24 articles.
Je n’examine pas si sa politique a été ce qu’elle devait être, s’il a mis de l’habilité dans ses négociations, tel n’est pas l’état de la question.
Je suis préoccupé d’une question bien autrement grave.
Un nouveau traité, le traité du 23 janvier 1839, plus favorable que celui de 1831, nous est proposé.
Son acceptation assure
notre indépendance et notre avenir, en signant les puissances et
Mais cette acceptation nous sépare de notre frère du Limbourg et du Luxembourg.
Le refus d’adhérer au traité empêcherait-il cette séparation ? je le dis à regret ; non.
Il nous placerait
identiquement dans la position de
Sous doute, sur notre refus, ce ne serait pas le traité du 15 novembre 1831, mais bien le nouveau traité que les cinq puissances feraient exécuter comme imposant une paix où, dans leur pensée, les parties trouvent honneur, justice et égalité.
Je veux bien croire, et
ici, messieurs, j’abonde dans le système de mes contradicteurs, je veux bien
croire que les mesures d’exécution seraient de même nature que celles qui ont
été employées contre
Croyez-vous que
Croyez-vous que votre refus n’amènerait pas des résultats analogues ? Ne repoussez pas, messieurs, la leçon des faits.
Mais ceux de nos collègues que l’amour et l’indépendance animent, et qui dans leurs douleurs ne peuvent ou ne savent abandonner le parti qu’ils ont jugé le plus honorable et le plus digne, pensent-ils qu’une plus longue résistance sauvera le Limbourg et le Luxembourg ?
Oui, sans doute, telle est leur conviction.
Mais mes collègues, y réfléchissez-vous bien ?
Ce n’est pas la guerre que vous voulez, vous le proclamez assez haut.
Ce n’est même pas une guerre défensive, et cependant celle-ci seule serait rationnelle.
Que voulez-vous donc ?
Attendre que l’une des cinq puissances ou la confédération du Rhin ait consommé ses préparatifs ?
Attendre qu’elle ait porté le théâtre de la guerre dans le Limbourg et le Luxembourg ?
Attendre enfin les dernières extrémités, puis, s’il le faut, céder ?
Ah, messieurs, je ne puis, je ne saurais m’associer à ce système. Je n’y vois que calamités pour le pays, l’anéantissement de notre crédit, la ruine de notre industrie et de notre commerce, déjà compromis sans servir aucun intérêt moral, et en dernier résultat la perte du Limbourg et du Luxembourg.
Je voterai, en acquit d’un devoir rigoureux, pour le projet de loi.
M. d’Huart – Je n’accorderai pas, à raison de la clause territoriale, mon assentiment au traité que la conférence de Londres nous offre, parce que l’acceptation de cette clause serait subversive des principes, c’est-à-dire de la base de la révolution qui a donné vie au royaume de Belgique ; parce que cette acceptation, produite sans nécessité absolue, sans exemple dans l’histoire d’aucun peuple, serait inhumaine, contraire aux lois naturelles de la société et dangereuse pour une Belgique n’ayant plus ainsi d’autre existence que celle des protocoles.
Vous vous rappellerez, messieurs, que la prospérité matérielle du royaume des Pays-Bas n’avait jamais été plus grande que pendant ses dernières années ; le commerce et l’industrie étaient en progrès. Les intérêts matériels qui agissent si puissamment sur beaucoup d’esprits dans les circonstances actuelles, n’étaient donc pour rien dans la pensée à peu près unanime qui a amené le succès de la révolution.
C’étaient les intérêts moraux, c’était l’honneur, la dignité nationale qui ont motivé et consommé l’expulsion des maîtres qui pendant quinze ans avaient pris plaisir à humilier les Belges, à les froisser dans leurs affections les plus chères. Je n’ai pas besoin de rappeler ces vexations gratuitement accumulées contre nous, elles sont encore trop vivement présentes à vos esprits pour qu’il faille les énumérer.
Ainsi, messieurs, si nous
nous laissons entraîner aujourd’hui par des considérations basées sur les
intérêts matériels, nous ne resterions pas fidèles aux principes de la
révolution, nous frapperions de la plus cruelle déception ceux qui ont eu foi
dans les promesses solennelles de
La prise de Venloo et le
blocus de Maestricht, le désarmement des garnisons hollandaises d’Arlon et de
Bouillon, le sang versé par les volontaires limbourgeois et luxembourgeois sur
les champs de bataille, n’ont-ils pas efficacement contribué à la
victoire ? et qui oserait prétendre que sans la coopération des
Limbourgeois et des Luxembourgeois,
Et ce sont ces concitoyens sans lesquels il n’y aurait point de Belgique, qu’on voudrait donner en holocauste, afin de ménager des intérêts matériels qu’ils ont, eux, foulés aux pieds, pour n’écouter que la voix de l’honneur ! ce sont ces hommes qui seraient cédés et livrés comme une marchandise en vue exclusive de l’aisance, du bien-être matériel d’autres hommes qui doivent aux premiers d’être affranchis d’un despotisme odieux.
Eh ! messieurs, je le demanderai ave d’honorables préopinants, où est donc cette nécessité absolue de sacrifier ainsi nos semblables ; les colonnes d’ennemis inexpugnables sont-elles là, réunies, organisées, prêtes à fondre sur nous ; qu’on nous indique la réalité, l’imminence de ces dangers qui doivent nous rendre de si facile composition. Je réclamerai, moi, des partisans de l’abandon volontaire du territoire, la preuve que l’unanimité actuelle des membres de la conférence de Londres subsistera s’ils sont mis en demeure d’aviser aux moyens d’exécution de la clause territoriale.
La susceptibilité
nationale de nos voisins du midi, les souvenirs de Waterloo, encore si vivaces,
s’effaceront-ils assez subitement, et assez complètement pour permettre aux
puissances du nord, une représentation des actes de 1815, sur les limites mêmes
de
En vain, messieurs,
chercherait-on à se dissimuler le cruel malheur qu’il y aurait de mutiler
Que dirait-on, messieurs, d’un père de famille qui menacé de l’enlèvement de tel ou tel de ses enfants, sous peine de voir incendier sa maison, laisserait consommer cet attentat, sans résistance, sans user du droit naturel de légitime défense, sans s’y opposer, en un mot, par tous les moyens qui seraient en son pouvoir ; on dirait, messieurs, que c’est là un père dénaturé, égoïste, chacun chercherait à éviter désormais toute espèce de contact avec un tel homme ; Eh bien, je crains que cette réprobation méritée ne soit également réservée à la nation qui suivrait un exemple analogue, car une nation est, dans la réalité, une grande famille ont les enfants, égaux entre eux, sont tous les citoyens qui la composent.
La constitution de
Que dans un certain
temps, après avoir suscité quelques difficultés administratives quelques
contestations militaires (et il ne vous en manquera pas, vous pouvez y
compter),
Je crois avoir justifié la proposition que j’ai posée en commençant comme indication des motifs de ma détermination à l’égard d’un projet de loi qui nous occupe.
Mais on oppose à la liberté du vote que nous avons à émettre en cette circonstances des engagements pris antérieurement par nous, en un mot le traité du 15 novembre 1831. Tout a été dit et écrit à cet égard ; assez d’écrivains et d’orateurs ont développé les puissantes raisons qui démontrent la caducité, la nullité de cet acte. Modifié et remis en question par les réserves de plusieurs des signataires, repoussé pendant huit ans par l’une des parties essentiellement intéressée, afin de se réserver la faculté de profiter des événements qu’elle espérait pour arriver à une restauration ; considéré implicitement par la convention du 21 mai 1833, seul acte obligatoire qui fasse loi pour nous ainsi que pour nos alliés ; considéré, dis-je, comme devant être remplacé par un traité définitif à intervenir, le traité du 15 novembre n’existe plus que comme un projet suranné, prescrit par la non-exécution en temps utile.
Ce point a été jugé récemment par le gouvernement lui-même dans le rapport (pages 45 à 47) fait le 1er février par M. le ministre des affaires étrangères et de l’intérieur ; voici comment s’exprime la note portée à Londres dans les premiers jours de l’an et qui a pris la date du 14 janvier :
« Si, en un mot, la conférence
a pu, en raison de motifs majeurs qu’elle a exposés dans ces actes, dévier des
propositions des 18 articles, il ne paraît point douteux que
« Le soussigné doit encore
faire remarquer à leurs excellences les plénipotentiaires, qu’il résulte des
adresses votées au mois de mai et de novembre 1838, par les chambres belges,
que ces chambres supposent la nécessité de communications ultérieures de la
part du gouvernement pour être muni de pouvoirs nouveaux conformément à la
constitution, à l’effet de signer un traité, attendu que, s’il a été mis par
elles à même de souscrire, dans les premiers temps, le traités des 24 articles
en vue de l’exécution immédiate annoncée dans les annexes B et C du protocole
n°49, et sous l’empire de considérations énoncées dans ces actes, il n’en est
plus de même aujourd’hui que l’acceptation du gouvernement néerlandais n’ayant
pas eu lieu en temps opportun, et sous l’empire des mêmes circonstances qui
avaient déterminé l’acceptation de
« Il est à observer surtout qu’une séparation telle que celle dont il s’agit à la suite d’événements désastreux, quoique toujours douloureuse, est cependant susceptible d’exécution immédiate ; mais qu’une semblable mesure acquiert une tout autre gravité lorsque ces populations ont continué de vivre pendant un grand nombre d’années sous les mêmes lois et de jouir des mêmes avantages que le reste du pays, et que, par cette longue communauté, de nouveaux liens se sont formés. »
Ainsi, messieurs, nous sommes libres, même diplomatiquement, de refuser le morcellement du territoire. J’ajouterai qu’en droit le refus d’accéder au traité qui nous est proposé nous laisserait, ainsi que les puissances, sous l’empire de la convention du 21 mai ; et pour vous démontrer que le sens que je donne ici à la force obligatoire de cette convention n’est nullement forcé, il suffit de vous rappeler qu’il est en concordance avec l’interprétation formulée par notre propre diplomatie ; veuillez relire la lettre du 13 novembre dernier, adressée par M. le ministre des affaires étrangères et de l'intérieur (M. de Theux) à M. le ministre d’Angleterre à Bruxelles ; le dernier paragraphe de cette lettre (annexe F), page 140 du rapport que je viens de citer, est ainsi conçu :
« Quant à la
déclaration qui termine la lettre que sa seigneurie a chargé votre excellence
de me communiquer, le moment ne me paraît pas opportun pour la discuter,
puisque l’événement auquel il est fait allusion est purement hypothétique. Je
ne puis cependant admettre que, dans le cas où la négociation actuelle
viendrait à échouer, les effets de la convention du 21 mai 1833 cesseraient par
cette seule circonstance. Les conséquences que l’on voudrait tirer de ce fait
seraient certainement moins fondées que celles que
Je rencontrerai maintenant le reproche principal que l’on adresse à l’opinion de ceux qui, ainsi que moi, voudraient vous voir persister dans les résolutions antérieurement prises de résister à l’exécution de tout traité qui aurait pour effet de morceler le territoire.
On prétend que nous sommes en défaut de préciser la nature et l’étendue de cette résistance.
Je vais exprimer très clairement ma pensée à cet égard.
La révolution de 1830, et non la diplomatie, nous a donné le Luxembourg et le Limbourg au même titre et pour les mêmes moyens que les autres provinces ; nous sommes en possession du tout. Eh bien, après avoir formellement déclaré la cession des territoires impossible par la seule puissance des actes diplomatiques, nous attendrions les événements. Vous voyez que selon nous il ne s’agit pas d’aller, comme tant de personnes ont feint de le croire, faire la guerre à qui que ce soit ; nous ne l’appelons pas plus que nos adversaires, et ils le savent très bien ; nous ne sommes en dissension avec eux sous ce rapport, que parce que nous ne partageons pas leurs craintes.
Si, malgré les dangers immenses que, selon les paroles éloquentes de M. Devaux, tous les souverains ont à redouter également d’une collision, c’est-à-dire que si, contre toutes les probabilités, une puissance quelconque se mettait en mesure d’attenter au statu quo, il serait usé par nous du droit naturel de légitime défense, et l’usage de ce droit de tous les temps serait poussé jusqu’aux dernières limites de ce qui est raisonnablement possible ; c’est-à-dire que le devoir sacré de l’honneur serait rempli jusqu’au bout.
Cette résistance, messieurs, est absolument la même que celle qu’a définie en quelques mots mon honorable ami, M. Ernst, dans la séance du 19 février dernier et que nous avions développée après dans la section aux délibérations de laquelle nous avons pris part pour l’examen du projet de loi ; ce ne peut donc être que par mégarde qu’on a donné une autre portée à ces paroles.
Afin de s’arranger un
thème facile à déduire, les plus zélés défenseurs du traité ont posé en fait
incontestable qu’il n’y avait pour les opposants qu’un seul système qui ne fût
point absurde, celui d’une résistance désespérée dont le programme sera
« vaincre ou mourir », et de suite pour combattre aisément ce système,
l’exemple de
Nous repoussons, messieurs, cette manière commode de poser la question et nous prétendons qu’entre l’humble soumission et l’extravagante témérité, il y a un milieu qui est conforme à l’honneur et à la dignité d’une nation civilisée.
« Nous ne pouvons aller à un rendez-vous de duel pour ne pas combattre », a dit M. le ministre de la guerre. Nous sommes entièrement de son avis et nous admettons volontiers cette comparaison. Le duel une fois accepté, les deux combattants en face sur le terrain ne peuvent se retirer sans lutte ; mais, messieurs, si au lieu de trouver votre adversaire seul sur le champ de batailles, dix adversaires tirent à la fois l’épée et se disposent à fondre tous sur vous, serez-vous déshonorés pour n’avoir point combattu ; non, messieurs, le déshonneur, l’indignation seraient pour ceux-là seulement qui auraient organisé le lâche assassinat dont vous auriez évité d’être la victime. (Bien ! très bien !)
Pour soutenir, messieurs, la position qui, dans notre système, devrait être prise immédiatement, l’armée ne serait jamais numériquement plus forte que les troupes ennemies disposées contre nous ; elle ne serait d’ailleurs jamais portée au-delà d’une proportion convenable avec la population et les ressources financières. Des sacrifices pécuniaires deviendraient bientôt indispensables, il seraient successivement demandés au pays, qui les supporterait avec résignation, parce qu’il apprécierait le mérite et l’avenir d’une nationalité fondée et consolidée par de généreux efforts, parce qu’il comprendrait que, pour rester nation, il doit sans cesse prouver qu’il est digne de l’être.
Je viens de dire qu’un appel aux contribuables serait bientôt nécessaire, et que chacun de vous s’y était attendu. On savait très bien en effet que si grands armements, comme ceux qui ont été subitement opérés, avaient lieu, des moyens nouveaux de finance ne tarderaient pas à suivre. Le service du trésor marcherait très bien ainsi durant les quatre premiers mois de l’année, mais force serait de s’occuper avant l’expiration de cette période de pourvoir aux besoins ultérieurs des caisses publiques.
En 1833, après la charge
des emprunts forcés de dix ou douze millions, 40 centimes additionnels furent
ajoutés au principal de la contribution foncière et recouvrés
régulièrement ; comment donc les chambres, en offrant au gouvernement par
leurs adresses les plus grands sacrifices, avaient-elles pu songer un moment
qu’en 1839 quelques centimes additionnels suffiraient dans des circonstances
qui pouvaient devenir analogues ; et ces quelques centimes additionnels
seraient-ils peut-être tout ce dont on suppose le patriotisme des Belges
capable ; serait-ce à cela que se rapporterait l’allusion d’un orateur qui
s’est écrié plusieurs fois que
Je reviens, messieurs,
aux conséquences du système de la résistance. Si la violence n’était pas
immédiatement exercée contre nous, loin de m’effrayer de cette tournure de
l’affaire, nous l’accepterions volontiers, parce que
On a contesté, je le sais, la possibilité du rétablissement de la conférence qui s’était successivement formée dans l’état provisoire créé par la convention du 21 mai 1833, mais on n’a donné que des conjectures à l’appui de cette objection, tandis que nous appuyons nos prévisions à cet égard de l’exemple du passé. L’épuisement du pays était bien autrement réel après les 3 premières années de la révolution qu’aujourd’hui ; à peine la nationalité belge apparaissait-elle vraisemblable au milieu des partis qui la contestaient, et cependant cette confiance qui a amené la prospérité industrielle et commerciale des années 1834, 1836 et 1837, avait bientôt pris racine. Pourquoi donc serait-elle sans retour quand les autres partis ont disparu et que neuf années ont habitué les plus incrédules à voir une Belgique née viable ?
Mais, a-t-on dit, que le
jour de la violence avenu, la force brutale des armes s’empare des deux
demi-provinces, les habitants seront alors livrés à la merci d’ennemis
vainqueurs et irrités. Ah, messieurs, les députés des parties menacées du
Limbourg et du Luxembourg vous ont déjà répondu avec cet accent de la douleur
qui nous accable aussi : Quoi que vous fassiez, si les malheureux
Limbourgeois et Luxembourgeois rentrent soit diplomatiquement, soit
militairement sus le joug de leurs anciens maîtres, le même sort est
réservé ; les preuves d’attachement qu’ils ont données à
Et
« La plupart des
plénipotentiaires se montraient fort impatients de recevoir la réponse du
cabinet de Bruxelles. Ceux d’Autriche et de Prusse remirent à lord Palmerston,
le 27 octobre, un memorandum pour déclarer que, dans l’opinion de leurs cours,
les puissances, si
« Cette déclaration,
l’Angleterre en donna connaissance au cabinet de Paris. J’en pris occasion pour
rétablir, par une suite de déductions tirées des faits, le sens et la portée de
la convention du 21 mai, convention dont, à mes yeux, la violation donnerait à
« Le cabinet français, près
duquel nous insistâmes sur les obligations résultant pour lui de la convention
du 21 mai, quelle que fût, d’ailleurs, l’interprétation qu’y attachassent les
autres parties contractantes, pensait qu’il serait obligé de s’abstenir, si le
statu quo cessait d’être maintenu par
Messieurs, on nous a renvoyés à l’histoire ancienne, à celle du siècle dernier pour nous démontrer que les révolutions doivent transiger, pour nous amener à la cruelle cession qu’on nous demande. Il ne m’a point paru que l’on ait établi dans les citations qu’on a produites, la similitude, l’analogie des positions ; mais, quoi qu’il en soit, je vous prierai, moi, de n’aller pas si loin en arrière chercher des exemples d’une application moins incontestable ; je vous prierai de réfléchir où en serait la révolution si en 1830 et en 1831 le congrès national avait admis les transactions qu’on prétendait lui imposer par la terrible menace, en cas de refus, de la perte même du nom belge. L’acceptation de ces transactions, messieurs, c’eût été la honte, l’avilissement, puis la restauration ou le démembrement.
Un préopinant toutefois a essayé de vous mettre à l’aise relativement à vos antécédents, aux obligations de conscience, qui peuvent résulter des adresses que vous avez votées pour le maintien de l’intégrité du territoire en cherchant à vous persuader que le congrès national qui, par son adresse du 1er février 1831, protestait avec énergie contre tout morcellement du territoire, rétrograda lui aussi en votant plus tard les 18 articles qui, selon cet orateur, nous enlevaient, en principe, le Luxembourg ; or ses souvenirs sont évidemment en défaut. Un des motifs principaux qui ont déterminé la majorité des membres du congrès à consentir le vote approbatif de ces préliminaires de paix, était particulièrement la considération que la conservation du Luxembourg nous était assurée. Les uns basaient cette opinion sur le texte même du protocole, les autres ajoutaient que des assurances positives en dehors de ce document donnaient les garanties les plus certaines à cet égard. La minorité, seule, conservait des doutes sérieux sur ce point.
Je ne veux pas recourir au Moniteur du temps pour rendre sans réplique ce que je dis à ce sujet, les citations dont je m’appuierais pourraient paraître désobligeantes pour plusieurs de mes honorables collègues, et cela suffit pour que j’y renonce.
Ce serait donc erronément qu’on tenterait de vous entraîner par l’exemple du congrès, cette mémorable assemble n’a jamais dérogé à ses antécédents ; la dignité constante de son langage, la fermeté inébranlable de ses résolutions ont, seules, sauvé le pays.
Je n’en dirai pas davantage, messieurs, pour motiver mon vote, dans la grave question qui nous occupe. Je pourrais cependant ajouter quelques considérations saillantes aux raisons que je viens de vous exposer ; mais je préfère, alors qu’une si vive et si pénible agitation tourmente les esprits, que mon langage soit celui de la plus sévère modération ; je veux éviter surtout que mes paroles puissent être considérées par la suite comme contribuant au malaise moral, que je redoute pour mon pays. (Approbation.)
M. de Jaegher – Au point où en est venue la discussion, tout est dit, toutes les opinions sont formées ; j’aurais donc renoncé à la parole, si à l’approche du moment où j’aurai à assumer ma part de responsabilité dans l’acte mémorable que vous êtes appelés à consacrer le besoin de me mettre à couvert sous l’expression franche et entière de ma conviction, de ma conscience, était moins impératif que lors de l’ouverture de vos débats.
Je vous épargnerai le tableau des impressions pénibles contre lesquelles j’ai eu à prémunir ma raison ; portant un cœur qui sait battre aux sentiments généraux, dans l’âge où ils exercent leur plus puissant empire, qu’ils me suffisent de vous dire que j’ai dû me défendre de l’entraînement de mon caractère et de mes sympathies pour m’élever à la hauteur de mon mandat, celui de représentant, appelé à émettre un vote sérieux et réfléchi dans une question vitale pour la nationalité, l’honneur, l’indépendance de tout un peuple.
Séparé en deux camps, la chambre ne présenterait certes pas l’aspect de sa division actuelle, si pour toutes les intelligences, l’antithèse de l’acceptation des propositions qui lui sont soumise était, dans un sens absolu, la guerre. La guerre, peu de vous la veulent, et la résistance chez les autres se borne à une halte dans la crise, qui arrache des conditions meilleures à l’impuissance d’exécution forcée, au besoin de faire disparaître de l’Europe un élément de discorde. Aux uns et aux autres, je dirai : libre à vous de choisir, dans le champ des illusions, un chemin qui conduise à votre but, mais du point de départ il faut bien que vous teniez compte.
Lorsque, par la volonté d’un peuple, il s’érige en état libre, que les modifications introduites dans ses institutions, dans la forme de son gouvernement, conviennent ou non à ses voisins, peu lui importe s’il a pour lui la force matérielle ; le fait seul suffit pour lui tenir lieu de tout acte de reconnaissance, de tout traité d’admission dans la grande famille des peuples à laquelle alors il s’impose ; mais quand ce fait n’est pas appuyé sur la force matérielle, qu’il froisse des intérêts, qu’il blesse des convenances, cette admission, cette reconnaissance restent soumises à des conditions basées sur ces intérêts, sur ces convenances, conditions auxquelles les circonstances peuvent momentanément imposer silence, mais que le temps ne détruit pas pour les avoir assoupies.
La république française s’est
imposée à l’Europe ; l’empire a renversé tout ce qui se présentait comme
obstacle ;
Auront beau s’insurger contre l’illégalité, l’injustice, la violation des droits qu’ils consacrent, ceux qui se posent au centre de l’Europe et se font une politique à eux sans s’inquiéter des intérêts et de la politique des autres ; auront beau, les mêmes hommes, supputer les modifications onéreuses qui y ont successivement été apportées et dans le traité des 24 articles et dans celui qui nous est soumis ; ce traité avait pour base une condition de politique européenne, et s’il a été modifié, c’est qu’il ne tendait qu’à consacrer des principes ; que les circonstances n’en permettaient pas une plus complète application définitive ; qu’elles conseillaient de vous bercer dans l’espérance ; c’était une question de temps ; dès alors comme aujourd’hui vous étiez condamnés ; mais on se réservait le prononcé du jugement. Je puis me tromper et j’en demande pardon à ceux dont cette manière de voir peut blesser l’amour-propre : j’abandonne à la diplomatie des victoires ou des défaites sur les questions accessoires, mais quant au fonds, je crois ne devoir à sa conduite ni blâme ni éloge. Nos revers de 1831, le refus d’acceptation du roi Guillaume, son acceptation tardive, tels sont les faits qui ont déterminé les actes ; mais, quant à elle, impuissante pour arrêter le torrent, elle n’a pu que le suivre.
Messieurs, si dans ma pensée, l’Europe a su attendre neuf ans pour en venir à ses fins, pour compléter son œuvre, la résistance au traité doit à mes yeux se réduire à une question de temps dans l’exécution. Vous résisteriez et je n’oserais pas avancer qu’il en résulterait, ni une guerre ni une exécution immédiate ; mais la volonté du plus fort n’en deviendrait pas moins tôt ou tard la loi du plus faible. J’admets pour un instant l’éventualité la plus favorable, je fais devant vos menaces, vos manifestations, les difficultés d’exécution, reculer l’Europe entière :
Dès cet instant, la position change : le refus du roi de Hollande en 1831 vous avait placés dans un situation favorable : vous aviez cédé pour ne rien perdre. Votre agréation vous avait acquis des droits à la protection de ceux dont les intérêts avaient fixé le but, et qui voulaient l’atteindre sans guerre ; la convention du 21 mai 1833 vint nous couvrir de leur égide.
Quelque peu sérieux qu’il fut, votre état de guerre permanent fut admis comme nécessité indépendante de votre volonté, comme conséquence nécessaire du refus du roi Guillaume, et vous valut à titre de compensation le non-paiement de l’arriéré de votre part dans la dette ; tournez l’échiquier, mettez-vous par un refus dans l’ancienne situation du roi Guillaume, et les positons nouvelles sont dessinées : votre garantie cesse, la convention du 21 mai est déchirée, et votre part dans la dette devient exigible. Je me trompe, votre position devient plus dangereuse, car autre chose est de refuser, comme le roi Guillaume, un bénéfice qui lui était octroyé, autre chose, de s’opposer, comme vous, à une cession qui vous est imposée ; autre chose est de rester comme le roi Guillaume en deçà des limites assignées à un état reconnu, autre chose, de se maintenir de force, comme vous, dans un état dépouillé par votre fait de toute espèce de reconnaissance.
C’est dans cet état que vous vous
préparez à la résistance , non contre
Je me reporte involontairement,
messieurs, à vos séances de
Je sais bien que de vos lèvres est prêt à tomber le nom des traîtres ; pour nous qui avons eu les faits sous les yeux, nous pouvons y trouver de quoi sauver l’honneur national ; mais vous aurez beau faire, aux yeux de l’étranger, la trahison n’en restera pas moins le manteau sous lequel se cache toujours l’amour-propre des vaincus.
Le prestige est détruit ; les grandes phrases ne sont plus cotées dans les arsenaux militaires ; si vous voulez résister, il vous faut du plus solide, il vous faut du positif.
On a développé trois systèmes de résistance ; le premier, qui commence pour le désarmement, a été apprécié à sa juste valeur, et ne sera guère goûté par tous ceux qui ont assez de l’humiliation d’une première invasion hollandaise ; le second, qui consiste à ne pas dépasser le chiffre de notre ancien état d’armement, et à ne consacrer que des corps spéciaux pour la défense du territoire contesté et de certains places, a été discuté et condamné par l’homme le plus compétent, le ministre de la guerre. Je ne m’aventurerai pas jusqu’à essayer de reproduire ses arguments assez positifs pour dispenser qui que ce soit de lui venir en aide, et me bornerai à consigner que les résultats qu’on s’en promet, ne portent en rien sur le fond de la question, et se réduisent à fournir à la partie de l’armée qui serait appelée sous les drapeaux, l’occasion de se faire tuer quelques milliers d’hommes pendant que l’autre serait en semestre dans ses foyers. De ce résultat, je ne veux pas, et pour de bons motifs.
Pourquoi ne pousserait-on pas la
défense jusqu’à ses dernières limites ? pourquoi n’appellerait-on pas sous
les armes tout ce que
La force, de quelque part qu’elle vienne, est toujours imposante, et le premier effet d’une manifestation qui montrerait à un peuple entier en armes pour défendre son territoire, serait peut-être, je vous l’accorde, de faire réfléchir à deux fois ceux qui seraient chargés de vous exécuter. Cette première réflexion vous coûterait déjà cher ; nous le verrons plus loin.
S’il s’agit d’aller arracher à des mains étrangères un sol qu’on vous conteste, l’attente ne serait pas longue ; et l’offensive prise de votre part, précipiterait le dénouement ; mais vous êtes en possession de ces territoires, et à moins de vous prêter audacieusement des idées de conquête, la défense serait nécessairement votre rôle.
Que l’on ne se récrie pas contre cette condition ; j’apprécie autant que qui que ce soit notre belle et courageuse armée ; mais quand chacune de ses victoires ne pourrait être que le signal de nouveaux combats, ce ne peut pas être sérieusement que vous songeriez à l’opposer à l’Europe entière. Vous n’aurez pas à me rappeler que, sans être plus nombreux, certains corps d’armée de la république et de l’empire ont neutralisé, en les prenant isolément, des forces qui, réunies, leur étaient bien supérieures ; mais ces corps d’armée avaient derrière eux quarante millions de concitoyens pour regarnir leurs rangs à mesure que le canon les éclaircissait, et le vôtre n’en aurait pas quatre.
Dans les limites que, sans la plus injustifiable des témérités, vous ne pourriez pas franchir, votre rôle serait donc la défensive… la défensive, moins la convention du 21 mai ; la défensive sérieuse contre l’Europe entière. J’accepte cette nouvelle position.
Lorsque, dans d’autres circonstances comme dans celle-ci, on a de certaine part cherché à faire entrer en ligne de compte la possibilité d’armement et d’intervention de la confédération germanique, l’un des principaux arguments déclinatoires avait pour base ses embarras financiers. J’en conclus que, tout comme aux nôtres, aux yeux des orateurs qui s’emparaient de ce moyen , et qui sont aujourd’hui au nombre des partisans de la résistance, la question militaire est étroitement liée, subordonnée même à la question financière.
A Dieu ne plaise que je porte atteinte à notre crédit, à sa salutaire influence ; mais quand de divers côtés partent des cris de guerre, quand la résistance est érigée en système, un devoir est de ne pas laisser subsister d’illusion sur les moyens de le mettre en pratique.
Votre armée, au grand complet, peut être portée de 100 à 110,000 hommes ; les dimensions de sa tâche ne vous permettraient guère de rabattre sur ce nombre. Compulsez vos budgets, et vous y verrez qu’un million est nécessaire pour chaque mille hommes ; votre administration intérieure absorbe en outre environ 60 millions ; à ces dépenses approximativement établie, opposez vos ressources.
En temps ordinaires, vos recettes s’élèvent à environ 100 millions ; portez atteinte à la confiance qu’alimente la paix, et les sources principales de nos produits, celles que vivifient l’industrie et le commerce, se détournent et se tarissent. Augmentation de moitié de vos dépenses d’une part, diminution notable de vos recettes de l’autre ; et vous restez à découvert pour toute une moitié de vos besoins.
Que vous reste-t-il pour y faire face ? Votre encaisse ? Il est insignifiant, et vous allez entamer par anticipation le premier semestre de votre principal impôt sur le foncier. Vos emprunts ? ils sont conditionnellement affectés à des services spéciaux, à l’exécution de vos chemins de fer. Vos domaines ? ils sont grevés d’hypothèques pour vos obligations contractées. Votre crédit…, vous n’oserez plus en invoquer le souvenir.
Reste l’impôt extraordinaire et l’emprunt forcé ; l’impôt, quand tout ce qui alimente le travail et la production serait en souffrance ? l’emprunt forcé, triste et dernière ressource dont vous avez pu apprécier l’effet moral, dès votre premier essai de 1833.
Après avoir consommé la ruine de votre commerce, de votre industrie, celle de votre sol comblerait la mesure.
J’ai admis, messieurs, toutes les
chances les moins immédiatement funestes à votre résistance. A
Quant à moi, de quelque côté que j’envisage la résistance, je ne vois pour terme que mécomptes et désastres : simulacre de résistance : sacrifice barbare et inutile d’hommes et d’argent ; résistance réelle : statu quo ruineux et insoutenable, ou invasion à main arme, défaite, morcellement ; assistance insurrectionnelle des peuples : nationalité compromise avec de pareils auxiliaires, plus compromise encore s’ils deviennent vos sauveurs.
Vous auriez reçu de nos mains une Belgique prête à recueillir les fruits de ses neuf années de lutte pénible contre la convoitise, les intérêts, les préventions de ses voisins : forte de sa sagesse, de son industrie, de sa prospérité ; heureuse d’avoir su justifier ses institutions ; la chance la moins défavorable pour vous serait de pouvoir la rendre au terme de vos efforts, revenue à 1830 ; à 1830 moins son avenir, chargée de dettes et de haines ; consignée à la porte des nations, debout encore, mais devant les mêmes difficultés d’existence intacte qui occupent aujourd’hui vos débats.
Je n’ai pas mission de prêter les mains à un pareil acte de démence.
J’honore, messieurs, la haute intelligence avec laquelle notre situation politique a été esquissée par certains orateurs ; mais, dans la nécessité même qui les a inspirés, je puise un nouvel enseignement des dangers de notre position. A des gens que l’on accuse d’être mal intentionnés, il n’est pas sans inconvénient de montrer si clairement tout le mal qu’ils pourraient nous faire.
Je me suis circonscrit dans le cercle de la position, telle qu’elle nous est faite, sans m’arrêter aux probabilités de celle qu’on aurait pu nous faire, parce qu’affaiblir les hommes, c’est aussi affaiblir les moyens de nous en tirer, et que, dans les crises violentes, le remède doit être prompt pour être efficace.
Toutes pénibles qu’elles soient, je subirai les conditions qui nous sont dictées. Je les subirai douloureusement, pénétré de toute l’étendue des sacrifices qu’elles imposent ; et fort du sentiment d’avoir rempli mon devoir ; je trouverai dans ma conscience la récompense la plus chère pour un bon citoyen : la conviction d’avoir fait quelque chose pour le bonheur de ma patrie.
M. Dechamps – Messieurs, lorsque j’avais l’honneur, il y a peu de temps, de vous entretenir de notre question belge, le rôle de la diplomatie n’était pas encore terminé ; les négociations étaient encore pendantes, mais nous devions pressentir déjà, d’après les déclarations faites par le cabinet français à la tribune des deux chambres, quel sort notre intime allié voulait nous faire.
Cependant, tout préparé que j’étais
à sa faiblesse, j’étais loin de m’attendre qu’il se fût courbé plus
profondément devant les cours du Nord que ne pouvaient l’espérer même les
ennemis de
Le ministère Molé, accusé d’inhabilité par la moitié de la chambre des députés, forcé de donner sa démission, parce que sa politique à l’extérieur surtout, n’avait pas reçu l’approbation de la majorité ; en appelant au pays par la dissolution ce ministère, s’il avait compris, la dignité de la nation et la sienne, n’aurait-il pas dû, dans un pareil moment, laisser en suspens la question belge ? De toutes les questions extérieures, elle était la seule qui restât en litige ; et n’est-il pas inouï que M. le comte Molé aille trancher ainsi la difficulté principale sur laquelle il appelait, par la dissolution, le pays à se prononcer, comme s’il avait craint que ses successeurs ne défendissent avec plus de succès l’intérêt français compromis par le traité du 15 novembre.
Le ministère whig a dû être bien flatté des applaudissements que les torys lui ont donnés à la chambre haute, pour sa conduite dans l’affaire hollando-belge ; il a dû comprendre tout ce que cette approbation avait de poignant pour lui.
Et
Messieurs, elle ne l’a pas compris, si j’en juge par le rôle inqualifiable que le gouvernement semble vouloir faire remplir en ce moment par son armée, sur nos frontières : Peut-être, et j’aime à le croire, le ministère français ne sait pas précisément quelle sera la destination de l’armée du Nord, mais, si elle n’était là que pour appuyer indirectement la signature que le gouvernement a apposé au traité, un tel acte justifierait la mise en accusation du cabinet qui s’en rendrait responsable.
Comment ! il s’agit d’élever
dans le Limbourg et le Luxembourg une deuxième barrière contre
Ce n’est plus dans les plaines de
Waterloo que devrait s’élever le monument érigé en souvenir de la défaite de
1815, c’est dans la plaine de Maubeuge et de Metz. A Waterloo,
Messieurs, il faut le proclamer hautement, nous sommes victimes de l’alliance française ; c’est à cette alliance trop exclusive que nous devons tous ces mécomptes qui sont là comme de tristes jalons dans notre carrière diplomatique.
Je suis loin de méconnaître les
immenses services que
Mais, au lieu de tendre une main de
son côté, en laissant l’autre libre pour la tendre vers l’Allemagne, si notre
intérêt le voulait, nous avons eu l’imprudence de les tendre toutes les deux à
la fois vers
C’est une faute énorme que l’Allemagne commet là ; elle ne tardera pas à s’en apercevoir, mais nous aurions dû l’en avertir nous-mêmes depuis longtemps, en abandonnant cette politique exclusivement française qui nous tue et à laquelle nous devons toutes nos déceptions diplomatiques.
Messieurs, la force des choses nous ramènera vers le Nord, où nous trouverons peut-être plus de sympathies véritables, plus d’analogie nationale, je dirai même plus de respect pour nos institutions, que du côté de ce peuple que nous nous sommes habitués depuis cinquante ans à regarder comme notre seul allié naturel.
Ne croyez pas que de désespoir de
nous voir abandonnés par
Messieurs, si depuis huit ans que dure le statu quo, nous avions dirigé une partie de nos efforts et de nos négociations vers la confédération germanique, pour entamer notre question territoriale sur le pied où les 18 articles l’avait laissée, croyez-vous que cette politique toute rationnelle ne nous eût pas réussi ? Croyez-vous que nous en serions aujourd’hui à opter entre la résistance et le déshonneur ?
C’est là où notre gouvernement a
commis la plus grande faute : des sacrifices pécuniaires pouvaient
désintéresser
C’était donc aux prétentions de la confédération qu’il fallait s’adresser, et nos ministres n’y ont pensé que le 1er février, 10 jours après la signature du traité par tous les membres de la conférence.
M. le ministre des travaux publics a
voulu nous prouver que
Messieurs,
C’est ici, messieurs, que je dois répondre à l’objection fondamentale que M. Nothomb a pris tant de soin de vous développer. Ce n’est pas par des subtilités que je veux le combattre, je désire me placer franchement sur son terrain, afin de vous montrer la pensée que je trouve derrière ces décors si brillants.
M. le ministre vous a fait le
tableau de
Or,
Vous le voyez, s’écrie M. Nothomb, vous avez un intérêt supérieur qui écrase le vôtre dans la question territoriale, l’intérêt européen.
Eh bien, messieurs, toute cette argumentation contre laquelle j’ai fait tout-à-l’heure mes réserves, toute cette argumentation, si elle est vraie, savez-vous où elle nous conduit ? Elle nous conduit à démontrer qu’une Belgique indépendante, une Belgique européenne est radicalement impossible.
Si notre destinée est de nous
heurter le front alternativement contre ces deux écueils, contre la
confédération qui prend ses précautions contre notre tendance française, qui ne
croit pas en nous comme peuple indépendant : de nous heurter contre
Tout ce que vous avez dit de
l’intérêt européen, qui exige que le Limbourg et le Luxembourg ne nous
appartiennent plus, et cela à cause de l’insuffisance du royaume de Belgique,
aux yeux des cours du Nord, pour rester une barrière contre
L’idée qui a présidé à l’érection du royaume de Belgique en 1830, est la même, avez-vous dit, que celle qui a présidé à la formation du royaume des Pays-Bas : c’est de constituer un état neutre faisant barrière à tous les envahissements ; 1830 est une modification de 1815, ce n’en est pas le renversement.
Eh bien, vous vous ingéniez à nous
prouver précisément que cette idée, l’Allemagne n’en veut pas, qu’elle ne
compte plus sur notre neutralité, qu’elle ne nous regarde plus comme
barrière ; vous vous ingéniez à nous prouver que
M. le ministre, vous avez mis beaucoup de talent à plaider contre la possibilité d’une nationalité belge, et le jour où nous nous trouverions en face d’une restauration ou du partage, on n’aurait qu’à nous relire votre discours pour nous démontrer que c’est toujours l’intérêt européen qui domine, qui écrase, de son haut, cet intérêt belge trop chétif pour résister. (Sensation.)
Non, messieurs, ce n’est pas là
l’intérêt des puissances. Le but européen qu’elles doivent avoir dans la
question belge, c’est que
Or, le traité que l’on nous propose
contrarie directement ce but, ce traité tend à nous séparer de l’Allemagne, en
interposant
En déclarant
Mais si la conférence voulait une
neutralité d’impuissance, au lieu d’une indépendante neutralité ; si elle
entendait parler de cette neutralité qui a amené le complet dépérissement du
Danemark, de cette neutralité qui a place
Eh bien, messieurs, l’idée politique qui est au fond du traité, que la conférence l’ait su ou l’ait ignoré, cette idée n’est-elle pas de nous faire cette neutralité de faiblesse et d’isolement ?
Vous qui croyez que nos relations
avec la confédération germanique doivent se nouer plus étroites, ne voyez-vous
pas que le traité est rédigé précisément en sens inverse de ce but ? Nous
tous qui voulons que
Messieurs, réfléchissons-y ; voulez-vous accepter un traité qui vous fait cet avenir plein d’embarras, de périls, de ruine, et c’est M. Nothomb qui vous l’a prouvé ? Voulez-vous rendre dérisoire l’indépendance de notre pays ? Voulez-vous prêter vous-mêmes les mains à ce complot organisé contre vous ? Eh bien, faites, mais pour moi je ne le saurais jamais.
En rejetant le traité, l’une des pensées qui m’a le plus déterminé, est celle de donner le temps à la confédération de se reconnaître, de mieux comprendre son intérêt en consentant à notre alliance ; et, messieurs, il est certain qu’elle commence à se retourner vers nous, quoiqu’on en affirme ; c’est de donner à l’Europe le temps de comprendre quelle est la faute qu’elle va si imprudemment commettre.
Lorsque, dans quelques années, notre politique impossible se sera clairement manifestée, lorsque nous reprocherons à l’Allemagne d’avoir ainsi repoussé notre alliance, qui sera devenue un besoin pour nous et pour elle, n’aura-t-elle pas le droit de nous dire : Pourquoi avez-vous accepté si facilement ces entraves ? Pourquoi avez-vous signé si vite le traité qui vous créait un tel avenir ?
Les traités de Vienne, déchirés en cent endroits depuis leur existence, ces traités auxquels aucune vue d’avenir et de véritable équilibre n’a présidé, c’est toujours cela qu’on reproduit ; c’est un de leurs feuillets dispersés par les révolutions qu’on nous présente encore aujourd’hui. C’est ce système aveugle qui ne tient compte dans la délimitation des états ni des affinités nationales, ni des croyances, ni des mœurs, ni des éléments historiques ; c’est ce droit public qui consacre ces marchés d’hommes ou plutôt ces marchés d’esclaves, puisqu’on en dispose malgré eux, c’est tout cela qu’on veut mettre en vigueur contre nous !
Les admirateurs de l’équilibre
applaudirent beaucoup la conception du congrès de Vienne, de réunir
M. Nothomb vous a parlé de l’intérêt de l’Europe comme vous en auraient parlé Castlereagh et Talleyrand ; l’Europe, pour lui, date toujours de 1815 ; c'est de ce point de vue qu’il juge les événements politiques qui passent devant nous.
Je sais bien que M. le ministre nous a dit qu’il expliquait, mais qu’il ne justifiait pas. Cependant, vous m’avouerez, messieurs, qu’il a mis tant d’âme à expliquer ce système sans entrailles, qu’on aurait pu croire que sa propre conviction était en cause.
Messieurs, il y a deux Europes dans l’Europe, l’une qui se démolit et qui tombe, l’autre qui s’édifie lentement.
Le première est cette Europe artificielle façonnée à la hâte, au hasard, par le congrès de Vienne, au milieu des influences égoïstes qui s’arrachèrent des lambeaux de pays comme on se partage une proie.
Pour elle, les limites des états sont
fixées d’après la position d’une forteresse ou d’une rivière ; pour elle
les nationalités historiques ne sont rien. Peu importe à l’Europe de 1815 que
le Luxembourg ait une origine belge de plusieurs siècles, qu’il ait été
identifié aux provinces méridionales des Pays-Bas, sans réclamation de la part
de la confédération, peu importe que ses populations restent attachées des deux
mains à
Ce système par âmes et par lieues
carrées de la vieille Europe de 1815, ce système fondé sur le triple pivot
d’une France bourbonienne, d’un royaume des Pays-Bas constitué comme barrière
contre
Quand M. Devaux nous a prédit le moment où, dans le remaniement qu’il prévoit en Europe, les puissances allaient se jeter encore des lambeaux de territoires comme des appoints, c’était aussi un souvenir de 1815 qui le préoccupait. Non, messieurs, tout cela est du passé.
Comment se fait-il, en présence des
démentis que les événements donnent chaque jour au système des négociateurs de
Vienne, que ce soit encore lui que l’on appelle pour présider à la séparation
de
Messieurs, nous qui n’acceptons pas le traité, c’est au nom de l’intérêt de l’Europe nouvelle que nous protestons ; vous, c’est de celle qui tombe dont vous nous parlez.
Messieurs, je vous ai démontré que
le mouvement politique qui entraîne aujourd’hui les nations et les
gouvernements n’est plus celui imprimé par le système de 1815 ; je vous ai
démontré que, même au point de vue du congrès de Vienne, c’est un royaume de
Belgique assez fort, assez indépendant, assez neutre pour être une barrière
qu’il fallait constituer ; tandis que c’est une Belgique faible, repoussée
par l’Allemagne vers laquelle elle devrait peut-être pécher, jetée du côté de
Ah ! pour celui qui aime son
pays, qui en est fier, qui a la conscience du beau rôle qu’il était destiné à jouer
en Europe, être condamné à délibérer froidement soi-même sur des projets de
démembrement, c’est bien pénible, il faut l’avouer, messieurs. Lorsque les
puissances ordonnèrent les trois partages successifs de
En 1831, affaissés que nous étions sous le poids des désastres d’un mois d’août, les 24 articles n’ont été acceptés qu’en présence d’une imposante minorité ; ils n’ont été acceptés par tous qu’avec tristesse et dans le silence du découragement. « le souvenir de ces grandes douleurs, a dit un de nos ministres actuels, restera dans ma mémoire, ineffaçable ; mais la nécessité absout ».
Le traité du 15 novembre était donc regardé unanimement comme humiliant, comme onéreux, comme étant le résultat de nos malheurs, que nous devions subir comme des vaincus.
Ce traité, est-il aujourd’hui
amélioré, après huit années d’intervalle ? Est-il vrai que Messieurs les
ministres puissent se vanter d’avoir recueilli les bénéfices du temps, d’avoir
obtenu mieux que 1831 ? Je ne le pense pas, messieurs : Les
arrangements territoriaux, et pour moi, c’est presque tout le traité, sont
restés les mêmes, je me trompe, messieurs, ils ne sont plus les mêmes ;
ils sont bien plus préjudiciables qu’en
Mais aujourd’hui, après huit années de vie commune, après avoir vu nos habitudes, nos affections, nos meurs se nouer plus étroitement, à l’ombre de nos institutions et sous le sceptre d’un roi aimé, dites-moi, messieurs, le sacrifice que nous devrions consommer ne serait-il pas dix fois plus pénible, le déchirement qui résulterait aujourd’hui de cette séparation, combien ne serait-il pas plus douloureux, qu’il ne l’eût été alors.
Ainsi, messieurs, la question territoriale n’est plus la même qu’en 1831 ; le morcellement auquel nous consentirions serait un fait d’une tout autre gravité après un intervalle de huit ans.
Sous ce rapport, le plus important de tous, le nouveau traité qu’on nous propose est donc empiré, et je ne vois pas là ces bénéfices que le temps vous a légués.
Mais, après avoir ainsi blessé au cœur notre nationalité, la conférence nous donne-t-elle, en échange, des avantages matériels ?
Après nous avoir défendu d’être une nation que l’on puisse avuer avec orgueil, une nation ayant son honneur sauf, nous permettra-t-elle, comme quelques-uns l’espèrent, d’être une peuplade d’honnêtes marchands que la neutralité protège ? Non, messieurs, cette triste compensation, vous ne l’avez même pas.
Et d’abord, quand la vie politique s’affaiblit chez un peuple, sa vie industrielle s’éteint en même temps. Comment voulez-vous établir des relations de commerce avec les autres peuples, si votre existence est problématique, si ces peuples ne croient pas à vous.
Mais j’abandonne ces réflexions générales pour entrer directement au cœur de la question, et il ne me sera pas difficile de prouver, messieurs, que le traité proposé est plus encore peut-être une conspiration contre notre avenir commercial que contre notre avenir politique.
Lorsque j’ai eu l’honneur, il y a
peu de temps, de vous entretenir encore de notre question belge, je vous ai
indiqué la savante combinaison commerciale qui se trouve dans le système de
délimitation territoriale telle que nous le fait le traité. M. le ministre des
travaux publics a parfaitement résumé cette question, en nous disant que l’idée
fondamentale du traité du 15 novembre était de priver
C’est toujours la même conspiration
ourdie si savamment à Utrecht par l’habilité de Guillaume d’Orange : il
s’agit toujours, comme alors, de donner la garde de nos frontières et de ses
forteresses à
La seule question territoriale,
telle que le traité la posait, me paraissait déjà alors compromettre évidemment
les espérances commerciales que
Mais alors je ne prévoyais pas,
messieurs, que maîtresses sur
J’examinerai tout à l’heure s’il est
vrai que la conférence ait posé derrière une phrase obscure, artificieuse, le
principe d’un péage sur l’Escaut dans le traité primitif, mais cette excuse ne
rend pas le fait moins funeste, la souveraineté du fleuve n’en est pas moins
donnée, en principe, à
Savez-vous, messieurs, ce que
disaient, en 1785, les états-généraux de Hollande, dans une note adressée à
l’ambassadeur de Joseph II ? (Ces paroles sont remarquables) : « Nous
n’avons pas, disaient-ils, réclamé la possession des Pays-Bas autrichiens,
parce que les restrictions apportées au commerce de
Messieurs, quand, à l’aide du
principe de la souveraineté du fleuve qu’on lui concède aujourd’hui,
Si des nations de vieille
expérience, comme
Vous le savez, messieurs, la
prospérité commerciale de
Le traité de Munster, celui de la
barrière, la paix d’Aix-la-Chapelle, le traité de Fontainebleau en 1785 où
Joseph II vendit l’Escaut pour 9 et demi millions de florins, le traité de
Je vous ai dit tout à l’heure,
messieurs, que dans ces projets dirigés contre nous, l’Angleterre, était
peut-être complice de
Messieurs, il faut bien le comprendre, l’Angleterre veut une Belgique, tout justement assez prospère pour continuer à rester un marché de consommation important pour ses produits ; elle désire voir nos communications avec l’Allemagne tout justement assez faciles pour qu’elle en profite, mais l’Angleterre ne nous veut pas assez riches et assez puissants pour que notre industrie manufacturière fasse une concurrence sérieuse à la sienne, pour que nos ports surtout partagent avec Londres et Liverpool l’empire commercial du monde.
Huskisson, chaque fois que des questions de navigation et de douanes s’agitent au sein du parlement anglais, montre du doigt avec terreur ce port d’Anvers, le plus beau du monde, et dont l’importance n’est peu comprise que par nous seuls.
Messieurs, veuillez réfléchir au double fait que je vais vous signaler, et vous aurez la clef du mauvais résultat de nos négociations relativement à l’Escaut, et peut-être à tout l’ensemble de nos négociations.
La veille d’adhérer au traité qui
allait lui donner la souveraineté de l’Escaut
A peu près en même temps, le roi
Guillaume signait avec
Il lui fallait, d’un côté, empêcher le contact de nos frontières avec celles de la confédération : on l’a fait. Il lui fallait la souveraineté de l’Escaut pour être en position et en droit de l’entraver ; on la lui a donnée. D’un autre côté, il devait augmenter la liberté de ses fleuves en concurrence avec l’Escaut, il devait abaisser les barrières douanières de l’Allemagne, abaisser les siennes du côté de l’Angleterre, amener ces deux grandes nations dans ses intérêts ; tout cela est fait ; voilà comme on négocie, messieurs. Les ministres du roi Guillaume connaissent peut-être moins bien que les nôtres l’intérêt européen ; mais vous conviendrez qu’ils ont mieux compris celui de la nation qu’ils dirigent.
Le traité une fois accepté, je
pense, pour moi, que la grande question est de savoir si ce sera
L’objection que l’on oppose est que le principe d’un péage se trouvait posé dans le traité primitif.
D’abord pour ceux qui ne considèrent pas ce traité comme encore debout, cette objection n’a d’autre portée que de démontrer que la conférence avait consacré dans les 24 articles une injustice de plus qu’on ne le croyait.
Mais le principe d’un péage est-il bien consacré par le traité de 1831 ? Je ne le pense pas.
D’abord, veuillez remarquer, comme
antécédents, que dans les bases de séparation du 20 janvier, acceptées par
Ainsi, messieurs, si ce principe avait été inséré dans les 24 articles, il y eut novation, et novation sur un point capital. Ce principe nouveau, dont la portée est immense, aurait dû y figurer en lettres majuscules, au lieu de se glisser furtivement sans être aperçu, derrière une phrase obscure et si propre aux contestations.
Je reconnais bien là l’ancienne
diplomatie hollandaise, mais la conférence n’a pu y prêter les mains, ni
Examinons maintenant l’article 9 à la lumière de la bonne foi :
Le premier paragraphe pose en principe général que c’est le traité de Vienne qui sert de base à toutes les stipulations qui vont suivre le traité de Vienne qui a introduit le nouveau droit public relativement aux fleuves, celui de leur liberté.
Or, quel est le système de 1815 ? c’est que la quotité des droits à fixer ne pourra en aucun cas excéder ceux existant actuellement.
Eh bien, messieurs, à l’époque de la promulgation de ces traités, il n’y avait pas de péage sur l’Escaut ; de simples droits de pilotage et de balises y étaient établis.
En 1816, le roi Guillaume fit de nombreuses tentatives pour fixer un droit de tol, en violation du traité de Vienne, mais il échoua contre la vive opposition du commerce d’Anvers.
Ainsi, messieurs, le premier paragraphe de l’article 9 pose en système qu’un droit de péage ne pourra être établi sur ce fleuve. Comment serait-il possible, après cela, que le dernier alinéa vînt, non modifier, mais contredire directement le principe adopté comme base des autres stipulations ?
Veuillez relire attentivement l’article en entier, et vous serez convaincus que le tarif de Mayence, dont il est parlé dans ce denier paragraphe, n’est relatif aux eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin ; vous le croirez d’autant mieux que c’est précisément pour ces embranchements du Rhin que la convention de Mayence a été conclue
Croyez-vous, messieurs, s’il était
vrai qu’un droit de 4 florins qui équivaut à la complète fermeture du fleuve,
eût été admis dans le traité primitif, croyez-vous que les puissances eussent
consenti à cette révoltante injustice ? Croyez-vous que
Messieurs, tout cela n’est pas admissible.
De toute façon, messieurs, l’application du tarif de Mayence ne devait être que provisoire, en attendant le traité définitif.
La seule base de ce traité final ne pouvait être un tarif en contradiction manifeste avec le principe de la liberté du fleuve, le principe du traité de Vienne, clairement posé comme devant servir de prémisse à tout règlement ultérieur sur l’Escaut.
Messieurs, je n’examinerai pas tout ce qu’il y a d’illusion à compter sur le rachat du péage, comme quelques-uns semblent l’espérer.
Pour moi, tout le mal se trouve dans
le principe de la souveraineté du fleuve que vous concédez si bénévolement à
Une fois cette propriété établie, ne comprenez-vous pas toutes les conséquences fâcheuses pour notre commerce, que pourra en déduire ce gouvernement qui a su prolonger, pendant 15ans, les conférences de Mayence, appuyé sur les prétextes les plus futiles et les moins honorables ?
Un fait tout récent et dont l’analogie est frappante avec la question qui m’occupe, vient d’attirer toute l’attention du parlement anglais. Une convention conclue à Dresde en 1821, en conséquence des traités de 1815, avait établi sur l’Elbe, au profit du roi de Hanovre, qui a quelque parenté de caractère et de position avec le roi Guillaume, avait établi, dis-je, des droits de péages modérés sur les navires en destination de Hambourg.
Eh bien, malgré cette convention, le Hanovre, se fondant sur telles circonstances imprévues, sur telle interprétation forcée, a successivement augmenté ces péages, malgré les vives réclamations du commercer anglais. Les plaintes qui viennent, il y a quelques jours, d’être manifestées au parlement, portent plus encore sur les vexations de toute espèce, dont la perception du péage est accompagnée, que sur son élévation même.
Si vous me demandez maintenant,
messieurs, quelles seront ces vexations que le roi Guillaume tient en réserve,
je vous répondrai qu’il les trouvera facilement dans cet arsenal où
Messieurs, en examinant la fâcheuse position politique et commerciale que le nouveau traité nous fait, je pense vous avoir démontré que ce traité, en réalité, nous est plus préjudiciable encore que celui du 15 novembre ; plus préjudiciable sous le rapport de la question territoriale, plus préjudiciable sous le rapport de l’Escaut. Or, pour moi, ce sont là les deux grandes questions qui renferment tout notre avenir commercial et politique. Pour la dette, d’autres membres, qui se sont spécialement occupés de ce point important aussi, vous prouveront qu’en renonçant au boni qui nous revenait du syndicat, nous avons peut-être plus donné que nous n’avons reçu par le dégrèvement des trois millions. Notre situation est donc plus fâcheuse aujourd’hui que le lendemain des désastres du mois d’août.
Mais il y a plus, messieurs,
j’espère vous convaincre que si aujourd’hui on nous présentait le protocole des
20 et 27 janvier comme bases de séparation entre
Ces bases des 20 et 27 janvier avaient décidé la question si importante de l’Escaut en notre faveur ; le principe d’un péage ne s’y trouvait pas ; nous avions notre co-souveraineté du fleuve reconnue. Ce point, vous en connaissez l’importance.
Sous le rapport des dettes, à la
vérité, la conférence mettait à notre charge les 16/31, mais nous jouissions,
en compensation, de la navigation et du commerce aux colonies, sur le même pied
que
Or, messieurs, avec cette dernière
réserve, je consens encore volontiers pour ma part, à voir figurer
Pour la question des territoires, ces premières bases de séparation posaient, comme vous le savez tous, un principe de délimitation infiniment moins défavorable que celui adopté en 1831 et reproduit aujourd’hui.
Mais en supposant même que le
protocole du 21 mai ne fût pas parvenu à modifier les bases du 20 janvier par
rapport à la cession du Luxembourg, il n’en reste pas moins vrai, que mieux
valait infiniment perdre le Luxembourg, en entier, que d’arriver à ce perfide
système d’échange entre la partie pauvre du Luxembourg, contre la partie du
Limbourg que
« La conférence, disait M.
Lebeau, nous croirait-elle tellement frappés de cécité, que d’espérer que nous
achetions le Luxembourg par l’abandon du Limbourg. Mais par une telle
négociation, ce ne sont pas les affaires de
M. Lebeau avait raison, et il en résulte à l’évidence que les bases de séparation du 20 janvier nous faisaient une position bien préférable, sous les trois rapports de la dette, de l’Escaut et des limites territoriales, à celle que le nouveau traité nous prépare.
Or, souvenez-vous, messieurs, que c’est contre ce traité que le congrès s’est levé unanimement pour protester, sans discussion, sans hésitation, au nom de notre dignité nationale blessée.
Et cependant voyez dans quels
embarras nous nous trouvions : Nous allions partout demandant à l’Europe
un roi qu’elle nous refusait, qu’elle craignait de nous donner ; nous
étions à la veille de la non-acceptation du duc de Nemours ; nous étions
abandonnés des puissances ; on méditait le démembrement de nos
provinces ; eh bien, le congrès protesta alors contre des conditions
d’arrangement bien moins dures que celles qu’on nous soumet aujourd’hui. Le
congrès protesta, rompit toute négociation sur les bases qu’ils repoussait, et
six mois plus tard
Les 18 articles, de tous les traités celui qui nous a fait les conditions meilleures, voilà donc, messieurs, le fruit de la protestation du congrès !
Je sais quelle est l’objection qu’on m’a déjà faite et qu’on renouvellera ! Vous disposiez alors, me dit-on, de la puissance révolutionnaire devant laquelle la conférence reculait effrayée. Mais savez-vous bien ce que vous dites là ? Comment ! ce que vous nommez l’énergie révolutionnaire a pu nous tenir lieu de tout ; elle nous a amenés, seule, des résultats que nous n’avons plus su obtenir depuis que nous sommes une nation organisée, depuis que nous avons fondé un trône auquel s’attachent de royales alliances, depuis que tout cela a pesé dans les négociations. Prenez garde, vous qui parlez ainsi, prenez garde que le peuple ne vous écoute !
Pour moi je proteste contre une
telle doctrine et je suis convaincu que
« Si nos différents avec
Vous voyez, messieurs, qu’on a un peu modifié cette thèse depuis. Aujourd’hui, comme en 1831, on n’a qu’un même argument, la nécessité qui est toujours là avec sa large main étendue sur nous.
En 1831 on pouvait apercevoir cette
nécessité, en 1831 je conçois l’acceptation : nous étions courbés,
humiliés sous le poids des journées du mois d’août ; nous étions des
vaincus ; notre Roi venait à peine de mettre le pied sur le sol
belge ; les liens intimes qui l’unissent aux deux trônes de France et
d’Angleterre n’existaient pas ; notre nationalité pouvait paraître
problématique ; la stagnation commerciale était plus n
qu’aujourd’hui ; nous n’avions pas d’armée ;
Messieurs, s’il est vrai que la
position de
L’idée qui a présidé à la formation d’une Belgique
indépendante, en 1830, vous le savez, messieurs, c’est de poser entre
l’Allemagne, l’Angleterre et
Le jour où il sera prouvé que
Permettez-moi, messieurs, de vous citer ici les belles paroles que M. Nothomb nous adressait il y a quelques années, et qu’il ne désavouera pas aujourd’hui :
« Le dernier degré où puisse descendre un peuple, s’écriait-il, c’est de douter de soi, c’est de se demander : vaut-il mieux pour moi d’être ou de ne pas être ? Si vous ne croyez pas en vous-même, si vous n’êtes pas capables de tous les sacrifices n’aspirez pas au titre de nation, vous n’en êtes pas dignes. Mais sachez-le bien, ne comptez plus sur la pitié de l’Europe, vous en serez la risée. »
Eh bien, oui, si le système pacifique n’a pas d’autre conclusion que de céder irrévocablement et toujours, si nous sommes en face de la nécessité chaque fois que la conférence le voudra, chaque fois qu’une proposition de sa part nous sera soumise, nous ne devons plus croire en nous-mêmes, nous ne devons plus aspirer au titre de nation.
Ceux-là ne sont pas les plus pacifiques qui acceptent une paix ou plutôt une trêve grosse d’agitations futures et de ruines ; la paix, messieurs, on l’accorde à ceux assez fermes pour l’exiger, on la refuse à ceux qui la mendient toujours à genoux.
La paix, oui, c’est le premier besoin, pour un peuple, surtout pour un peuple qui se constitue, mais ce n’est pas elle, croyez-le bien qu’une telle nation achète au prix de l’affaiblissement de son indépendance et de la perte de son avenir, non, messieurs, ce n’est pas la paix, c’est la mort politique qu’on achète ainsi !
Il est de certains moments de périls pour une nation, où il est plus habile de gouverner avec le cœur qu’avec la tête, où la science ordinaire d’un ministre ne suffit pas.
Si en place de cet homme de génie,
La seconde fois fut le 1er février 1830, quand le congrès vota cette fameuse protestation, dont je vous ai déjà parlé et qui fit reculé la conférence.
Eh bien, messieurs, nous avons pensé
que
Notre position était bien belle, il faut l’avouer, messieurs. L’unanimité régnait entre le gouvernement, les chambres et le pays ; des paroles recueillies avec enthousiasme par les populations étaient tombées du trône, l’armée était belle d’ardeur et de dévouement, les puissances chargées chacune d’embarras intérieurs, tremblantes à la pensée d’une guerre, voulaient vite se débarrasser de la question belge, si remplie de périls. Or, elles ne pouvaient s’en débarrasser qu’en tentant une exécution par la force, ce qui était impossible, puisque c’était risquer cette guerre qu’elles voulaient éviter, ou bien, en se dissolvant, et c’est ce qui serait arrivé.
Si nous avions eu des ministres convaincus comme nous, de notre système, ils n’auraient pas, par leur indécision, désuni notre force, perpétué le malaise ; ils auraient porté activement leur attention sur la crise industrielle et financière qu’il était si facile, sinon de faire cesser entièrement, du moins de circonscrire ; d’une main ils auraient pacifié l’intérieur pour être forts, de l’autre, dans la résistance à l’extérieur ; ils auraient pris une attitude nette, rompu en temps des négociations inutiles ; ils auraient ainsi mis la conférence en demeure d’exécuter ; cette mise en demeure aurait divisé les puissances qui ne seraient pas plus entendues, qui se seraient moins entendues en 1839 qu’en 1832, sur l’emploi des mesures coercitives ; en un mot, ils auraient fait comme Stein, dirigé nos affaires avec courage et sauvé leur pays.
Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? On a dicté des paroles royales belles, populaires, pour les jeter plus tard en pâture à la moquerie de tous ; on a voté des adresses pour proposer de les déchirer aujourd’hui ; on a organisé cette armée naguère si confiante et si fière, et à cette heure si profondément découragée ; on a provoqué le départ des ambassadeurs par la nomination de ce général illustre qui serait arrivé assez à temps pour être témoin de notre défaite. Mais si le ministère ne voulait pas pousser son énergie au-delà des négociations, s’il ne se sentait pas la main assez ferme pour signer une protestation contre le traité que la conférence nous propose, il ne fallait pas tous ces décors de résistance derrière lesquels il n’y avait qu’une résolution arrêtée de tout céder.
Les ministres nous ont appris que tout cela a été fait en vue des négociations ; nos adresses étaient diplomatiques, notre armée était diplomatique, nos énormes dépenses étaient diplomatiques ! Messieurs, il est possible que les puissances s’en soient douté, il est possible que la diplomatie l’ait su et en ait souri ; mais je le déclare, lorsqu’ému, j’applaudissais au discours du trône, lorsque avec enthousiasme, je prenais part à la rédaction de nos adresses, lorsque je me sentais fier de voir flotter notre drapeau au milieu de nos régiments si fiers aussi, non, je ne croyais pas être un instrument, je ne me croyais pas trompé, je ne croyais pas jouer une si inqualifiable comédie et la nation, messieurs, ne le savait pas plus que moi.
Que notre situation soit grave aujourd’hui, il faudrait fermer volontairement les yeux pour le nier. Mais ces difficultés dont nous sommes entourés, est-ce le système de résistance qui les a fait surgir ? Non, messieurs, cette position pleine d’embarras ce sont nos adversaires qui nous l’ont faite ainsi. Je n’accuse pas, je crois volontiers et sincèrement aux bonnes intentions, mais est-ce notre faute, à nous, s’il continuait des négociations dans lesquelles il n’avait lui-même aucune foi, au moment où nous eussions protesté ? S’il prorogeait les chambres et perpétuait le malaise par l’incertitude, alors que nous eussions par une attitude dessinée, calmé le pays pour lequel l’indécision est ce qu’il y a de plus funeste ? est-ce notre faute, à nous, si notre ministre des affaires étrangères était tellement occupé, absorbé, qu’il ne pouvait pas y avoir de place ni de loisir par M. le ministre de l'intérieur, lorsque cependant la question extérieure devait se décider par notre force au-dedans ? Est-ce notre faute, si on n’a rien fait pour remédier à l’annulation à peu près complète des escomptes causée par la chute de la banque de Belgique, alors que le gouvernement avait en main le moyen de ramener la vie commerciale qui avait tari ! est-ce notre faute si l’unanimité entre le gouvernement et le pays qui nous rendait si fort, si cette unanimité a cessé d’exister ? Non, messieurs, les difficultés de notre position, nous n’en sommes pas responsables, c’est vous qui les avez créées, malgré nous.
Mais, messieurs, quand il s’agit d’accepter un traité qui, dans notre conviction profonde, menace notre existence nationale et notre prospérité future, des difficultés même graves doivent-elles nous faire reculer ? devons-nous abandonner le gouvernail, laisser le vaisseau prendre la route de écueils, et cela parce que le vent souffle fort autour de nous ? Un peuple qui ne sait pas un peu souffrir pour conquérir une indépendance forte et durable, mérite-t-il d’en porter le nom ?
Voici, messieurs, la différence radicale qui existe entre vous, qui voulez l’acceptation, et nous, qui ne pouvons y consentir : Vous êtes surtout frappés des embarras qui forment cette nécessité devant laquelle vous vous courbez. Pour nous, permettez-moi de vous le dire, la question est plus haut, c’est une question d’avenir.
Nous ne pensons pas que
Nous la voyons, avec sa position
admirable au milieu de l’Europe, avec sa population double, après neuf ans
d’indépendance nationale, de prospérité enviée, après s’être mise en tête du
mouvement européen, par ses institutions, par son génie industriel, par son
unions au milieu des agitations des autres peuples, par sa fidélité aux fortes
croyances, nous voyons cette Belgique, emprisonnée dans de fausses limites,
rendue presque impossible, redevenir comme au traité de Munster, comme en 1815,
une espèce de vassale de
Mais vous qui ne voulez pas accepter le traité ! ne cesse-t-on de nous répéter, quel est votre système de résistance ?
Messieurs, si vous attendez de moi que je suive plusieurs orateurs et en particulier M. le ministre de la guerre, dans les divers plans de campagne qu’ils ont discutés ; si vous attendez de moi que je me prononce sur les chances de succès à attendre d’une guerre faite, ou derrière les buissons, ou d’après telle ou telle combinaison de tacticien, je vous demanderai la permission de me récuser.
La question n’est pas là, messieurs.
Le parti de la résistance, comme on l’appelle, n’était pas sans idée, sans
système. Son hypothèse à lui, c’était et c’est encore l’impossibilité
d’exécution, comme elle a été l’hypothèse de
La conférence qui, selon l’expression d’un des orateurs, représente la paix du monde qu’elle a mission de maintenir, la conférence ne s’entêtera pas à la compromettre plus longtemps sans motifs puissants, sans nécessité, en tenant éveillés tous les dangers que la question belge porte dans son sein.
Si réellement l’Europe est aussi mal assise, aussi inquiète, aussi menacée de ces secousses profondes qui en ébranlent les bases, que l’honorable M. Devaux nous l’a annoncé ; s’il est vrai que nous en soyons arrivés là qu’une conflagration générale peut dépendre d’un coup de fusil tiré par une sentinelle perdue, messieurs, les puissances ne sont-elles pas les premières à s’en effrayer ? La tâche pleine de fatigue et d’angoisses qui les tient à l’œuvre tout le jour, n’est-elle pas de conjurer tous ces périls, d’étouffer au plus vite toutes les causes qui peuvent menacer cette paix dont le maintien est le but de tous les efforts ?
Plus vous me prouverez que les
chances de guerre tiennent aujourd’hui les puissances effrayées, plus je
resterai persuadé que la force dont
Ah ! si vous me disiez : l’Europe est entrée dans le repos ; les longues guerres de la république et de l’empire ont fatigué pour longtemps les nations et les royautés ; c’est bien plus le travail des idées, que celui des conquêtes qui entame le grand remaniement des peuples de la vieille Europe ; oh ! alors, messieurs, je concevrais peut-être l’inutilité de nos protestations, de notre résistance, contre les décrets des cinq cours ; ce serait peut être nous raidir vainement contre la nécessité.
Messieurs, dans l’état actuel où se trouvent les nations européennes, si nous nous refusons avec dignité, avec fermeté à accepter le traité, il ne me paraît pas qu’une menace sérieuse d’exécution puisse nous être faite.
Mais veuille bien réfléchir combien
ce qu’on nomme les décisions irrévocables de conférence sont loin de présenter
ce caractère de menace et de violence que quelques-uns ont cru y trouver.
D’abord, quel est ce traité qui nous est soumis ? est-ce un traité que la
conférence nous impose comme arbitre ? Non, messieurs, et ceci est
important : L’arbitrage des puissances a cessé, dans cette nouvelle
négociation ; la conférence, dès le mois de juillet
Aussi, messieurs, veuillez comparer
son langage de 1831, alors qu’elle garantissait solennellement l’exécution du
traité, quand même
On nous rappelle toujours ce qui
s’est passé au siège de la citadelle d’Anvers ; on nous demande pourquoi
si
D’abord, messieurs, veuillez-vous souvenir
que les puissances signataires du traité du 15 novembre, après de longues
discussions, se divisèrent sur l’emploi des mesures coercitives à employer
contre
Pensez-vous, messieurs, aujourd’hui
qu’aucun engagement formel d’amener elles-mêmes l’exécution du nouveau traité
n’a été pris par les puissances, pensez-vous qu’elles vont trouver
immédiatement cet accord qu’elles n’ont pas su obtenir en 1832 ?
Pensez-vous sérieusement que
Et vous pourriez penser, messieurs,
que la confédération, voulant prendre un revanche éclatante, va poser à son
tour cette question de guerre européenne, elle, cette confédération si déchirée
par ses discordes intestines, renfermant dans son sein cette triple et profonde
discorde entre l’Autriche,
Messieurs, calculer froidement ces chances, et vous ne les craindrez plus.
Voici d’après moi, quels seraient
les résultats de la non-acceptation du traité : la conférence, après
quelques moments d’hésitation se dissoudrait, comme elle s’est dissoute
officiellement dix jours après la protestation du roi Guillaume. Les puissances
auront sur les bras, d’ici au printemps, plusieurs questions européennes devant
lesquelles la question hollando-belge s’effacera bientôt ; la situation si
périlleuse de l’Espagne, l’attitude de
Mais le statu quo, c’est la pire de
toutes les positions que
Cette opinion de l’honorable membre,
repose sur la prémisse qu’il a établie dans la situation inquiétante de
l’Europe, dans cet avenir de guerre imminente, qui se trouve devant nous, dans
ce remaniement complet qui va peut-être s’opérer dans les limites des
états ; dans ce remaniement des alliances qui tend à rapprocher
Tout cela repose sur un peut-être, et il ne me serait pas difficile de vous faire dix tableaux différents de la situation prochaine de l’Europe, selon que je me placerais au point de vue de telle éventualité, de tel fait à naître, de tels système qu’il est possible de prévoir.
Le statu quo, si la destinée de l’Europe est pacifique, et non seulement possible, mais nous présente, de l’aveu de M. Devaux, une belle perspective d’avenir.
Or, je le demande, le « peut-être » d’un avenir pacifique n’est-il pas aussi probable que celui sur lequel il a bâti tout son discours, si remarquable sans tant de rapports ?
Pour moi, je pense aussi qu’une
large voie de guerre va s’ouvrir à l’ambition de
Mais je suppose que les prévisions
de M. Devaux soient exactes, eh bien je dirai à
Ah ! messieurs, comprenez-le bien, l’Europe a mis notre existence à une double et solennelle épreuve.
Pendant neuf ans, elle a voulu constater si, dans notre organisation intérieure, nous aurions cet esprit de sagesse, cette unité nationale qui font un peuple ; si nous savions nous servir habilement des éléments de prospérité que la providence plaçait entre nos mains ; elle a voulu constater si nous étions arrivés enfin à notre âge de majorité politique qui nous dispenserait désormais de cette tutelle des grandes nations à laquelle nous avons été soumis jusqu’ici.
Cette première épreuve nous l’avons
subie, nous pouvons le dire, messieurs, aux applaudissements de l’Europe. Pas
une nation n’a été aussi paisible, aussi active à son œuvre d’élaboration, pas
une ne peut montrer un trône aussi peu en butte aux passions mécontentes. Nulle
part, l’esprit d’ordre et les institutions libérales ne se sont donné aussi
étroitement la main ;
Après cette première épreuve, celle de notre sagesse à l’intérieur, vient la seconde, celle de notre force nationale, et c’est celle-là, messieurs, que nous subissons.
L’Europe veut savoir si
- La séance est levée à quatre heures et demie.