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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 6 décembre 1838

(Moniteur belge du 7 décembre 1838, n°342)

(Président de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.

M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la marine de l'exercice 1839

Rapport de la section centrale

M. Van Hoobrouck, au nom de la section centrale, chargée de l’examen du budget du département de la marine, exercice 1839, dépose le rapport sur ce budget.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1839

Discussion générale

M. le président – La discussion générale continue. La parole est à M. de Brouckere.

M. de Brouckere – J’avais demandé la parole dans la séance d’hier ; je la céderai aux orateurs après moi. Je soumettrai à la chambre une seule observation, et qui porte sur l’irrégularité qu’il y a à discuter et à voter le budget des recettes avant les budgets des dépenses.

Lorsque, dans une séance précédente, on a demandé que la chambre s’occupe immédiatement du budget des recettes, je n’ai pas fait d’objection, parce que je crois que nous sommes cette année dans des circonstances extraordinaires ; mais de nouveau j’exprime le désir que dorénavant la chambre puisse voter le budget des dépenses avant le budget des recettes.

M. Beerenbroeck – Messieurs, la demande des centimes additionnels est une conséquence de l’adresse que nous avons votée à l’unanimité, il n’y a que quelques jours. Les expressions qu’elle renferme ont averti le gouvernement que l’état actuel de notre armée ne nous paraissait pas suffisant dans les circonstances actuelles ; nous avons donc imposé de nouveaux devoirs au ministère, et une plus grande responsabilité pèse sur lui.

Refuser, messieurs, les fonds qu’on nous demande ne serait pas seulement se mettre en contradiction avec ce que nous avons dit dans l’adresse, mais nous détruirions l’effet que nos paroles ont dû avoir à l’étranger ; car ce n’est pas par des phrases énergiques que nous montrerons aux puissances que nous sommes fermement résolus à défendre l’honneur national, mais c’est en nous imposant des sacrifices qu’elles seront convaincues que nos protestations ne sont pas de vains mots.

Je suis très économe des deniers du peuple, mais dans les circonstances graves où nous nous trouvons, je ne puis m’associer à ceux de mes collègues qui ont fait des propositions pour restreindre les ressources qu’on nous demande.

Mais, a-t-on dit, la section centrale accorde plus que le ministère demande ; pourquoi aller au-delà ? Il me semble que la réponse est facile ; déjà le ministre de la guerre, dans la séance du 4 de ce mois, nous a fait sentir que de nouveaux crédits seront bientôt demandés par lui.

Un honorable membre, pour faire face aux besoins de l’armée, aurait préféré l’émission de bons du trésor. Ce moyen serait certainement plus populaire que frapper des impôts, parce qu’il est moins sensible au contribuable ; mais, indépendamment qu’une trop grande dette flottante peut devenir un grand embarras pour nos finances, je ne pense pas qu’on doive contracter des emprunts pour liquider des dépenses de la nature de celles qu’on nous propose dans ce moment.

On a parlé en faveur des propriétaires. Il est vrai qu’on ne doit pas légèrement imposer la propriété ; la prudence commande de la ménager pour que, dans des temps moins favorables, elle puisse venir au secours du trésor ; mais j’ai trop bonne opinion du patriotisme qui anime les propriétaires, pour croire qu’une contribution extraordinaire de 10 c. soulèvera quelque mécontentement, surtout quand ils connaîtront à quelle destination elle est appliquée. Je trouve moins équitables les centimes sur la contribution personnelle, parce que les bases de cet impôt frappent trop inégalement dans leur exécution.

Je veux donner au gouvernement les moyens qu’il croit nécessaires pour mettre l’armée sur un pied tel qu’elle puisse nous être utile dans les circonstances actuelles. N’oublions jamais que par l’absence d’une armée les Hollandais sont entrés au cœur du pays en 1831. Que cette invasion nous serve de leçon pour l’avenir ; si de pareils malheurs nous arrivaient une seconde fois, les moyens nous seraient à jamais ôtés pour faire valoir nos droits.

Je voterai pour le projet de la section centrale auquel le gouvernement s’est rallié.

M. de Langhe – Il n’est personne dans cette enceinte qui ait l’intention de refuser au gouvernement les fonds qui lui sont nécessaires, surtout dans les circonstances actuelles. Ainsi, je me dispenserai de protester de mes sentiments. Je désire autant que tout autre atteindre le but que nous nous proposons ; mais il ne s’ensuit pas que je doive adopter les moyens qui sont proposés. On propose des centimes additionnels. Avant de recourir à cette ressource, dont nous aurons besoin plus tard, je désire savoir si nous n’aurions pas d’autres ressources à notre disposition. La troisième section a demandé que les fonds dus par la banque fussent employés à cet effet ; et je crois donc que la banque pourrait payer immédiatement. Dans le cas contraire, je ne verrais pas d’inconvénient à une émission modérée de bons du trésor.

On a exprimé la crainte que, dans le cas d’une émission nouvelle, les bons du trésor ne pussent maintenant être négociés. Je crois cette crainte dénuée de fondement. Les fonds publics sont au-dessus du pair. La rente 3 p.c. est à un taux tel qu’elle ne donne pas 5 p.c. d’intérêt. Une nouvelle émission de bons du trésor (non pas à 3, mais à 4 ½ ou à 5 d’intérêt) se ferait aujourd’hui d’autant plus favorablement qu’elle aurait, pour ainsi dire, dans les fonds dus par la banque une hypothèque certaine. On pourrait donc, ce me semble, faire usage de ce moyen. J’attends sur ce point les explications de M. le ministre des finances. Ce n’est qu’à défaut du moyen dont je viens de parler que je voterai les centimes additionnels. Il me semble inconcevable que dans la situation où nous nous trouvons, lorsque nous avons un créancier solvable qui avoue sa dette, nous ne fassions pas rentrer cette créance avant de recourir à de nouveaux impôts.

M. Pirmez – Il est vraiment déplorable que, lorsque nous avons besoin de fonds, nous ayons toujours recours aux mêmes ressources. Ce sont toujours ces éternelles bases qu’on nous propose ; c’est au moyen de centimes additionnels qu’on veut combler le déficit. Cette opération est bien facile. Pour arriver à un tel résultat, il n’y a pas besoin d’un grand effort de mémoire.

Depuis la révolution, nous avons anéanti un grand nombre de base d’impôts considérables et d’un recouvrement très facile. A chaque instant nous faisons disparaître peu à peu une de ces bases, et nous nous en tenons aux anciennes bases, sur lesquelles nous ajoutons des centimes additionnels. Cela provient de ce que nous cédons trop facilement aux obsessions des intérêts privés. Nous sommes ainsi construits, notre constitution politique est ainsi faite, que nous ne pouvons résister aux efforts des intérêts privés, soit qu’il s’agisse d’abolir des impôts, soit qu’il s’agisse d’augmenter les dépenses. C’est là le faible de notre position. Peut-être nous en apercevons-nous parce que nous voyons ici les choses gouvernementales de plus près qu’on ne les voit ailleurs. Peut-être en est-il de même, dans d’autres états. Au reste, cela ne prouverait rien ; car il est certain qu’un tel système ne peut manquer d’amener nos finances à la situation la plus déplorable.

Pour vous citer des exemples, je parlerai de l’impôt sur les sucres.

Le consommateur paie sur les sucres le double de l’impôt que l’on nous demande au moyen des centimes additionnels. Ce n’est pas une hyperbole. C’est démontré par les chiffres qu’ont produits les raffineurs de sucre. Et nous n’avons pas eu la force de frapper une denrée sur laquelle tout contribuable demande à payer l’impôt. Nous n’en avons pas eu la force, parce que quelques intérêts privés se sont mis en travers de l’intérêt de tous.

Cette particularité dans la discussion de la loi sur les sucres a eu quelque chose de vraiment surprenant.

Le ministre propose une loi réclamée par la grande majorité de la chambre, et qu’on demandait à cor et à cri. On disait qu’il était déplorable de voir qu’une substance comme le sucre ne fût pas frappée. Le ministre propose donc la loi. On envoie une députation d’Anvers. Le ministre fait volte-face ; et la majorité de la chambre fait volte-face avec lui.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Elle a très-bien fait.

M. Pirmez – Je soutiens, moi, qu’elle a très mal fait. J’ai prouvé, dans la discussion de la loi sur les sucres et par les chiffres des raffineurs de sucre, qu’on payait au moins 4 millions de francs sur les sucres. On a contesté mes chiffres ; mais on ne les a pas réfutés ; ils sont restés debout.

Après avoir cité l’impôt sur le sucre, je citerai celui sur le genièvre. Là, nous avons cédé aux obsessions des distillateurs. Cependant la nation ne se plaignait pas de la cherté du genièvre.

Comment avons-nous pu sacrifier deux bases aussi productives d’impôt ?

Il me reste à parler de l’impôt sur la viande. Je ne sais quel accueil on ferait à la proposition de rétablir le droit d’abattage. Mais ce qui est certain c’est que nous payons ce droit en grande partie. Je ne sais quel est exactement le renchérissement qu’a produit la loi sur le bétail ; mais toujours est-il qu’il y a eu renchérissement ; car sans cela il n’y aurait pas de saisie de troupeaux, on n’aurait pas intérêt à faire la fraude.

Voilà pour les impôts. Quant aux charges que nous établissons, quand aux augmentations que nous votons, nous cédons également aux obsessions de l’intérêt privé. Je suis convaincu que les budgets des dépenses contiennent des propositions d’augmentation de traitement ; je ne suis pas éloigné de croire qu’elles seront admises par la chambre, parce que, quand nous considérons les choses en masse, cela ne produit sur nous aucun effet, et l’intérêt privé qui nous obsède nous contraint en quelque sorte à augmenter les dépenses.

Quant aux bases d’impôts, tels que le sucre surtout, je crois que l’on en pourrait tirer un grand produit. Je regrette que nous soyons obligés de n’avoir d’autre système financier que celui de mettre 5 ou 10 centimes additionnels, c’est-à-dire, à proportion des dépenses à faire. Il est vrai que cela est excessivement facile.

M. Desmet – Il est inutile de parler de l’utilité de l’impôt qu’on nous demande, parce que la chambre paraît d’accord sur ce point ; personne ne s’oppose à la demande du gouvernement, et tous nous voulons l’appuyer en un moment si grave qu’il s’agit de défendre l’intégrité du territoire, de nous conserver des frères, et des frères qu’on voudrait sacrifier et livrer à la tyrannie de Guillaume ; mais on peut parler du mode d’obtenir le montant des centimes additionnels. Et d’abord j’appuierai ce qu’a dit M. de Brouckere sur la nécessité de commencer nos délibérations par l’examen et le vote des budgets des dépenses, et de faire suivre cet examen du budget des voies et moyens. Cette marche ne serait pas seulement logique, mais elle nous conduirait à de bons résultats financiers.

Dans la section centrale dont je faisais partie, on a demandé que le ministère s’expliquât sur les besoins de la guerre ; elle a trouvé qu’il serait préférable d’allouer en une seule fois les sommes nécessaires que d’accorder successivement plusieurs sommes.

Messieurs, si on pouvait connaître en une fois tous les besoins d’un armement extraordinaire que la prudence nous indique de faire aujourd’hui, il serait plus facile de faire le choix des impôts sur lesquels nous voulons établir les centimes additionnels. Je crois qu’il y aurait plus de régularité et plus d’économie, car il y a toujours de l’avantage de bien combiner les besoins et de les comprendre dans une même dépense. Un membre a prétendu hier qu’il y avait d’autres moyens de satisfaire aux besoins de l’armée. Ce membre croit qu’il y a des fonds qui ne figurent pas au budget de 1839 et qu’on pourrait employer. M. de Langhe vient aussi de vous entretenir de différents moyens de trouver des fonds ; mais je crois que le ministre des finances aura examiné ces questions avant de proposer les centimes additionnels, et je ne m’arrêterai pas sur ce point ; j’ai confiance dans son examen et je ne puis douter que la demande ait été faite en connaissance de cause. Toutefois j’aurais préféré que la section centrale eût adopté la proposition du gouvernement au lieu de taxer des objets de fabrication. A cet égard je répondrai aux assertions d’un honorable membre sur les distilleries.

Mon honorable voisin, M. Seron, a même avancé que dire que les distilleries sont utiles à l’agriculture, n’est qu’un prétexte et non une réalité ; cependant il doit savoir qu’on distille moins pour obtenir une liqueur spiritueuse que pour obtenir des engrais pour les terres, et pour l’engraissement du bétail qui fournit l’engrais ; c’est à un tel point, que si beaucoup de nos contrées n’avaient pas eu des distilleries, vous auriez encore eu des landes et des bruyères où à présent vous trouvez des terres riches et de grandes productions. L’honorable M. Seron, qui a beaucoup voyagé et visité nos provinces de Flandres, l’aura certainement vu. D’ailleurs, messieurs, il n’y a jamais personne qui ait mis en doute que les distilleries ne soient très nécessaires pour l’agriculture ; dans toutes les lois qui ont été publiées sur cette matière, vous trouverez dans les considérants que c’est pour favoriser l’agriculture que telle ou telle disposition est prise pour la distillation du grain, et de quelle utilité ne sont-elles pas pour l’engraissement du bétail ? Aurions-nous suffisamment du bétail pour la boucherie si vous n’aviez point de distilleries ? Voulez-vous donc que les Hollandais, qui nous livrent déjà tant de bétail maigre, nous fournissent aussi le bétail gras ? Messieurs, la question de l’utilité des distilleries est tellement claire, que je ne veux pas m’étendre sur cet objet.

Si vous augmentiez l’impôt sur la fabrication du genièvre, qu’arriverait-il ? L’on consommera davantage de genièvre hollandais et prussien et d’eau-de-vie de France. Il est de plus à observer que depuis quelques années les eaux-de-vie de grains sont moins employées comme boissons que pour faire des alcools ; et cela est si vrai, qu’il nous vient actuellement peu ou même point d’esprits de Montpellier.

Augmenter l’impôt sur la fabrication du genièvre, c’est favoriser la fraude relativement à l’entrée des genièvres étrangers. Il faudrait atteindre la consommation et non la fabrication, c’est ce que nous demandons tous. Tout le monde a vu que la loi sur les débitants de boissons spiritueuses a produit un bon effet ; il fallait continuer en système, et mettre plutôt 25 p.c. sur le débit que de frapper les distilleries. Je présenterai d’ailleurs un amendement sur ce point. Je pense que nous obtiendrons la somme pétitionnée sur les eaux-de-vie indigènes, et vous ne ferez aucun tort à la fabrication, tout en faisant encore plus diminuer les petits cabarets, ce que nous devons principalement chercher.

Nous ne refuserons pas les sommes qui nous sont demandées ; il ne peut y avoir de doute sur cet objet ; nous n’en élèverons que sur les moyens d’opérer les recettes sur ces sommes. Quoi qu’il en soit, nous devons engager le gouvernement à prendre promptement les mesures nécessaires pour garantir l’intégrité de notre territoire et ne pas attendre le dernier moment pour se mettre en bonne mesure, plutôt faire de trop que trop peu ; et quand j’émets ce vœu, je suis certain de parler d’après le désir et le vœu de tout le pays ; le seul reproche que le pays ferait au gouvernement, c’est qu’il ne serait pas en mesure et qu’il aurait pris trop peu de précautions. La section à laquelle j’appartiens a demandé qu’on ne tardât pas à remplir tous les cadres de l’armée, à nommer les officiers supérieurs qui pourraient manquer, non attendre pour les nommer le moment juste où on en aurait besoin, où ils devraient se mettre en campagne, mais les nommer dès à présent ; à créer des corps spéciaux et à organiser partout les gardes civiques, car je pense qu’ils pourront, au besoin, rendre un grand service au pays.

En 1831, cette milice nous a montré combien elle pouvait être utile. Un commissaire de district dans les Flandres ayant été informé qu’un corps hollandais voulait faire une invasion et s’emparer de Termonde, il en donna avis à un autre commissaire, son voisin ; on envoya, sur-le-champ, vers les points menacés, douze mille hommes de garde civique, et l’invasion n’eut pas lieu ; on rend encore grâce aux gardes civiques qui, alors, sont venus au secours du pays de Waes, pour le service qu’ils y ont rendu.

Non-seulement il faut garder notre territoire, mais il faut soutenir nos intérêts près de la conférence, et bien conduire les négociations concernant ce qu’on appelle notre dette. La grande dette de plus d’un milliard et demi est une dette créée par Guillaume, et en grande partie à son profit. Guillaume étant encore en Angleterre, logé chez son tailleur, dès qu’il fut informé qu’on rétablissait la Hollande, fit acheter, par des juifs, tous les fonds de la dette, appelée la dette française. Il obtient à 4 et à 5 ce qui valait 33 ; et les conversions qui ont eu lieu ensuite sous son règne, ont toujours tombé sur cette dette. On compte qu’il a acheté pour des centaines de millions de cette dette que Napoléon avait réduite au tiers, et que Guillaume a relevé au pair ; et tout le tripotage financier qui a eu lieu sous le règne de Guillaume, a eu pour but de consolider les fonds que Guillaume avait achetés, pour ainsi dire, pour rien.

La dette dite austro-belge est une dette autrichienne qui montait à 65 millions. Guillaume, de son propre mouvement, l’a mise à la charge des Pays-Bas. On peut facilement voir par le traité de Lunéville, que la dette autrichienne n’a jamais été une dette belge, qu’elle était purement autrichienne. Probablement que Guillaume a eu une belle compensation pour soulager l’Autriche de cette dette et en charger les Pays-Bas.

Par suite des négociations que Guillaume eut avec l’Autriche pour parvenir à ses fins, il a encore mis à la charge des Pays-Bas la créance des engagères.

Les engagères existent encore ; elles constituent une dette toute hollandaise, et cependant Guillaume est parvenu, en transigeant avec l’Autriche, à en faire une dette néerlandaise. Elle est hollandaise, parce que dans le compte que Guillaume a liquidé avec le gouvernement autrichien, il a compensé une créance à charge de la Hollande au profit de l’Autriche, par le montant des engagères que l’Autriche devait aux provinces belges. Je ne sais si ceci a été dit quelque part, mais si on l’a dit, il est bon de le répéter.

D’ailleurs, il me paraît qu’il était impossible que la conférence puisse établir le compte de chacun des deux pays, quand le gouvernement hollandais ne lui ouvre pas les deux caisses secrètes qui engloutissent tant de sommes : celle du syndicat et celle des Indes orientales. Si le couvercle de ces caisses était levé, je crois que là on trouverait le véritable nœud de cet énorme chiffre dont était chargée la dette publique de la Néerlande.

Messieurs, je pense qu’on aura fait valoir près de la conférence les domaines que Guillaume a enlevés à la Belgique, et qu’on peut dire à son propre profit. Ceux qui ont été cédés au syndicat, dont la valeur montant à 35 millions, et alors ceux qui ont été cédés à Guillaume et après à la banque, dont la valeur, pour les provinces belges, montait après estimation à 32 millions de florins.

Vous pouvez donc être certains, messieurs, que ces caisses secrètes dont Guillaume seul avait la clé ont eu pour but de lui faire une caisse particulière, et je pense qu’on est dans l’erreur si l’on croit que la Hollande soit absolument dans la gêne pour faire la guerre ; je crois au contraire que Guillaume, dans sa prévoyance reconnue, a eu soin de se faire une bonne caisse, et que si on pouvait fouiller chez lui on y trouverait un énorme magot. Je veux vous faire cette remarque, afin que le public sache, et surtout la conférence, que malgré les lamentations de Guillaume et des Hollandais à l’égard d’une dette qu’on veut mettre à leur charge, cette dette est réellement dette hollandaise et nullement dette à charge de la Belgique ; que si elle pouvait compter toutes les sommes qu’elle a versées pendant l’union au profit de la Hollande, au lieu de devoir elle aurait encore des prétentions, car c’est inconcevable comme cette pauvre Belgique a été volée.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Le gouvernement avait d’abord demandé 15 centimes additionnels sur les impôts directs, parce que les bases qu’ils présentent sont les plus certaines. Les objections que cette proposition a rencontrées proviennent principalement, je pense, de ce qu’on se fait généralement illusion sur la portée de centimes additionnels appliqués exclusivement sur les contributions directes ; on s’imagine que des additionnels ajoutés aux impôts indirects ne frapperaient pas, ne grèveraient pas les contribuables qui paient l’impôt direct ; cependant un peu de réflexion doit convaincre que ces contribuables constituent à peu près la totalité de ceux qui sont en position de supporter les charges publiques du pays.

En effet, messieurs (et je pourrais citer des chiffres à l’appui de cette assertion), les citoyens qui participent aux trois branches des impôts directs, c’est-à-dire le foncier, le personnel et les patentes, constituent très approximativement la totalité des contribuables ; il est évident que ce sont les propriétaires fonciers, les assujettis à la contribution personnelle et les patentables qui paient presque exclusivement les impôts indirects. C’est donc se faire illusion que de croire que nous allons alléger d’une manière sensible ces trois classes de contribuables en reportant certaines centimes additionnels sur les impôts indirects, puisqu’en définitive ces centimes additionnels seront toujours supportés par les mêmes personnes que l’on aurait eu en vue de dégrever.

Quoi qu’il en soit, messieurs, la proposition du gouvernement a été accueillie unanimement par toutes les sections, quant au fond ; elle n’a rencontré d’opposition que sur la forme ; il y a même eu certaines sections qui ont trouvé que les demandes du gouvernement n’allaient pas assez loin ; que nous aurions dû demander des subsides plus considérables que ceux dont nous nous occupons en ce moment. Nous ne devons donc avoir aucune espèce d’inquiétude sur le dernier résultat de la discussion actuelle ; il ne s’agit que de s’entendre sur la manière dont le subside sera prélevé.

Appelé dans la section centrale, je n’ai pas tardé à me convaincre, d’après l’examen des procès-verbaux des sections, d’après le rapport verbal de chacun des membres de la section centrale, que l’on désirait généralement reporter sur les impôts indirects une partie des centimes additionnels que j’avais proposé d’établir exclusivement sur les trois branches de l’impôt direct dont j’ai parlé tout-à-l’heure ; dès-lors, désirant me rapprocher de l’opinion de la plus grande partie des membres de la chambre, j’ai eu à examiner quels seraient les impôts indirects qui pourraient sans danger être augmentés de quelques centimes additionnels. En ce qui me concerne les douanes, j’ai dû m’opposer de tous mes efforts à ce que cette branche fût chargée d’une manière trop sensible, car l’expérience de 1835 nous a démontré qu’en ajoutant, temporairement, un certain nombre de centimes additionnels, huit ou dix par exemple, aux droits de douane, l’on va en sens inverse du but qu’on se propose, c’est-à-dire qu’au lieu d’obtenir une augmentation de revenu, on ne retire pas même du principal et de tous les additionnels réunis, ce que les droits auraient produits, s’ils n’avaient pas été augmentés. Instruits par cette expérience, j’ai cherché à restreindre autant qu’il a été en moi le nombre des centimes additionnels nouveaux à ajouter aux droits de douane, et d’accord avec la section centrale, nous avons porté ces centimes de 13 à 15, convaincus qu’une augmentation aussi modérée n’aura aucun effet défavorable sur l’entrée des droits. Une augmentation plus forte serait dangereuse, non-seulement sous le rapport que je viens d’indiquer, mais encore sous celui de l’économie politique. Il ne faut pas, en effet, changer sensiblement, sans un mûr examen, ni surtout changer d’une manière générale, les relations qui se sont établies entre les différentes branches de commerce et d’industrie, d’après les droits de douane existants ; ces droits sont d’ailleurs perçus bien plutôt pour protéger le commerce et l’industrie que pour alimenter les caisses de l’état, et dès-lors la prudence commande de n’y introduire d’innovations sérieuses que spécialement et après avoir pondéré les différents intérêts auxquels ils se rapportent. Nous avons eu, messieurs, à l’occasion d’une discussion qui n’est pas encore loin de nous, combien il est difficile d’en venir à une conclusion lorsqu’il s’agit d’innover dans cette matière.

En ce qui concerne les autres impôts indirects, c’est-à-dire les droits de consommation et les droits d’enregistrement, nous avons vu, messieurs, que porter les centimes additionnels de 26 à 30 ne serait pas de nature non plus à entraver les transactions desquelles dépend la rentrée plus ou moins forte de ces différents impôts ; nous avons pensé qu’une aussi faible augmentation ne restreindrait pas la consommation et n’arrêterait pas non plus les mutations de propriétés ni tout ce qui donne lieu à la perception des droits d’enregistrement ; dès-lors, nous n’avons pas hésité à proposer l’augmentation de 4 centimes additionnels.

Examinant ensuite spécialement l’impôt des distilleries, nous avons jugé que bien que d’une part le prix élevé des céréales pût faire craindre un ralentissement dans la fabrication du genièvre, il fallait, d’une autre côté, tenir compte du plus grand nombre d’hommes qui doivent se trouver sous les armes, ce qui donnera lieu à une plus grande consommation de spiritueux. D’après cette considération nous avons proposé 10 centimes additionnels sur l’impôt des distilleries, ce qui, pensons-nous, produira une somme de 300,000 fr.

Je dois répondre ici à un honorable préopinant qui a semblé croire que depuis 1831, nous aurions successivement diminué le droit d’accise sur les eaux-de-vie indigènes. C’est là une grave erreur : l’impôt avait été effectivement diminué par la loi de 1833 ; mais depuis 1834, nous avons pris des mesures qui, loin de renforcer cette réduction, ont au contraire considérablement augmenté les droits, à tel point qu’au lieu de 18 à 19 cent mille francs qu’ils devaient produire, d’après la loi de 1833, ils procureront maintenant au trésor, y compris les droits d’abonnement sur le débit du genièvre, plus de 4 millions. Qu’on ne dise donc pas que nous diminuons continuellement nos impôts, car je démontrerai tout à l’heure, par d’autres exemples encore, que nous avons toujours su élever les ressources du trésor au niveau de ses besoins.

Après avoir admis, messieurs, de concert avec la section centrale, de nouveaux centimes additionnels sur les différentes branches des impôts indirects dont je viens de parler, il restait à voir combien il fallait en appliquer aux contributions directes, pour parvenir à la somme que le gouvernement regarde comme nécessaire ; or, nous avons trouvé qu’au moyen de 10 centimes ajoutés au montant du principal et des centimes additionnels ordinaires et extraordinaires qui existent déjà, nous arriverions très approximativement à la somme demandée par le gouvernement, c’est-à-dire à 139,491 fr. de plus que le total de la première proposition.

A l’égard de cette faible différence de chiffre un honorable membre a adressé, dans la séance d’hier, d’assez vifs reproches à la section centrale de ce qu’elle aurait, selon lui, renchéri, et à tort, sur la proposition du gouvernement. Déjà l’honorable rapporteur a très-bien répondu à ces reproches en vous faisant comprendre qu’en retranchant des centimes additionnels d’une base fixe, certaine, pour les reporter sur une base essentiellement variable, surtout dans les circonstances où le pays peut se trouver placé, loin d’augmenter en réalité la somme demandée par le gouvernement, la section centrale l’a peut-être, au contraire, considérablement réduite. Les reproches dont il s’agit n’étaient donc nullement fondés.

Mais, a dit le même honorable membre auquel je viens de faire allusion, la somme que le gouvernement demande actuellement est supérieure d’environ 2 millions à ce qui est nécessaire pour couvrir les dépenses prévues dans les différents budgets et dans la partie du crédit supplémentaire demandé par M. le ministre de la guerre, restant à voter, qui doit être imputée sur l’exercice 1839. D’honorables orateurs ont déjà fait remarquer que M. le ministre de la guerre a déclaré formellement qu’il aurait encore d’autres augmentations du crédit à demander ; et certes la somme de 2 millions, qui restera à cette fin en réserve, est bien minime à côté des besoins encore imprévus qui peuvent surgir.

Il est vrai que l’honorable membre auquel je réponds, a dit que nous pourrons examiner les nouvelles demandes de crédit qui seront faites et voir alors s’il est utile de voter des nouveaux impôts pour y faire face ; mais, messieurs, c’est là un système tout-à-fait impossible dans la pratique ; on ne peut pas établir des impôts autant de fois dans l’année qu’on le trouverait bon ; il faut que la perception parte du 1er janvier ; sans cela vous jetteriez la perturbation dans le recouvrement non seulement des additionnels mais même du principal.

Et d’ailleurs, la plus simple prudence ne commande-t-elle pas d’avoir quelques fonds en réserve ? Faut-il marcher au jour le jour, sans aucune prévision de l’avenir ? Je ne saurais supposer, messieurs, que ce soit là le système que la chambre voudra suivre.

Un honorable député d’Anvers nous a indiqué, dans la séance d’hier, la ressource des bons du trésor, comme pouvant convenablement remplacer les centimes additionnels que nous demandons. Il est sans doute inutile, messieurs, que je m’arrête longuement à réfuter cette idée ; dans plusieurs occasions précédentes, nous avons tous été d’accord pour reconnaître qu’une dette flottante ne peut être convenable et utile qu’autant qu’elle est restreinte dans certaines limites, ne dépassant pas celles dans lesquelles nous avons toujours cherché à maintenir nos bons du trésor.

D’ailleurs, messieurs, dans un moment difficile, cette base de ressources serait infailliblement stérile ; toutes les bourses seraient fermées. Et en définitive, que sont donc les bons du trésor, si ce n’est le prélude d’un nouvel emprunt constitué ? C’est un emprunt provisoire, à terme limité, qu’il faut bien finir par rendre définitif si l’on veut échapper aux vicissitudes auxquelles on est exposé lorsque des prêteurs peuvent venir à chaque échéance, réclamer le paiement de sommes d’autant plus difficiles à réunir, que les circonstances seraient plus critiques. J’ai la confiance que la chambre sera d’accord ave moi pour repousser le moyen factice proposé par l’honorable représentant d’Anvers.

Le même député, messieurs, et un autre honorable membre que vous venez d’entendre dans la séance d’aujourd’hui, ont parlé des fonds de l’état déposés à la société générale ; ils voudraient recourir à l’emploi immédiat de ce capital.

Chacun de vous sait que ce fonds est régi par une convention spéciale, convention qui est déférée à l’examen de la législature, et qu’il n’est pas en notre pouvoir d’user de ce dépôt comme bon nous semble. Du reste, messieurs, ce fonds n’est pas improductif, il nous sert essentiellement : une somme de 600,000 francs est portée au budget des voies et moyens de 1839, à titre d’intérêts, et en vérité je ne vois pas que nous ayons à nous plaindre de la non disposition de ce capital, que nous absorberions peut-être pour échapper à quelques centimes additionnels, s’il était à notre libre application.

Il n’y a donc pas ici de péril en la demeure ; l’ancien solde est une ressource que nous conserverons utilement pour l’avenir, et il sera plus utile au pays que nous nous imposions véritablement les sacrifices que nous pouvons supporter, comme tous nous avons entendu le faire, lorsque nous avons, par un acte solennel, manifesté nos intentions relativement à la défense des droits légitimes du pays.

Messieurs, un honorable député, M. Seron, voudrait, qu’au lieu d’imposer le personnel, les patentes et le sel, on rétablit, par un amendement à introduire au budget des voies et moyens, le droit de 2 pour cent sur les ventes des fruits pendants par racines.

M. Seron – J’ai parlé aussi des bois.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je comprends les coupes de bois dans cette dénomination générale.

L’honorable membre voudrait aussi qu’on élevât l’impôt sur le café, le tabac, le sucre et les eaux-de-vie indigènes.

En ce qui concerne la contribution personnelle et les patentes, je crois, messieurs, que la prospérité du pays, l’activité de son commerce et de son industrie ont été jusqu’à ce jour tellement en croissant, que nous pouvons sans inconvénient appeler à la participation des charges extraordinaires l’impôt du personnel et celui des patentes qui pèse plus spécialement sur le commerce et l’industrie. Je crois, messieurs, qu’il ne peut à cet égard nous être opposé aucune objection sérieuse.

Je sais bien qu’on reproche à l’impôt personnel de frapper trop exclusivement les villes à la décharge des campagnes. Cela est vrai : l’impôt personnel pèse plus fortement sur les villes que sur les campagnes ; mais il est à considérer aussi que les villes, celles du premier et du second rang, qui supportent plus particulièrement l’impôt personnel, que ces villes, dis-je, ont par compensation des avantages que n’ont pas les campagnes. En effet, c’est dans ces villes que se dépense une bonne partie du budget de l’état. Elles possèdent des garnisons, des administrations publiques ; elles ont encore devers elles beaucoup d’autres moyens d’attirer le mouvement des affaires, tandis que les campagnes sont presque toujours privées de participer aux sommes considérables que vous votez annuellement pour les dépenses publiques.

Sans vouloir, toutefois, prétendre que l’impôt personnel soit essentiellement bon et qu’il doive être maintenu à perpétuité, je puis dire que si les villes sont plus chargées par l’impôt personnel, elles jouissent, par une sorte de compensation, d’avantages notables dont les campagnes sont exclues par leur position.

Et à propos des campagnes, je dirai aux honorables membres de cette chambre qui s’intéressent plus particulièrement à cette partie de la population ; je leur dirai d’y bien réfléchir, quand ils réclament des changements à la contribution personnelle ; j’adresserai également cet avis à tous ceux qui entendent se charger spécialement de la défense des classes les moins aisées de la société : le premier résultat d’un changement à la législation sur l’impôt personnel, serait de le répartir indistinctement sur tous les contribuables, car l’injustice capitale de la loi actuelle, c’est qu’il y a une certaine limite au-delà de laquelle l’impôt n’est pas exigé, c’est que toute valeur locative inférieure à 20 florins est exempte. Voilà où gît l’injustice principale. Le premier effet de la moindre modification serait de rendre proportionnellement passibles de la contribution personnelle toutes les habitations quelconques, quelle que minime que fût la valeur locative.

Ainsi, que ceux qui prétendent à tout propos défendre les intérêts des campagnes, alléger la condition des classes les moins aisées, y prennent bien garde : tout changement à la législation de l’impôt personnel frapperait immédiatement les classes et les localités qu’ils ont en vue de protéger particulièrement.

L’amendement que l’honorable M. Seron voudrait voir introduire au budget des voies et moyens, en ce qui concerne le rétablissement du droit de 2 p.c. sur les ventes de fruits pendants par racines, cet amendement, dis-je, ne me semble pas pouvoir être admis ainsi par la chambre.

L’intention de l’honorable M. Seron (et il vous l’a déclaré franchement, selon son habitude), serait de forcer en quelque sorte l’autre chambre d’admettre la disposition.

Mais, messieurs, il importe, avant tout, que les diverses branches du pouvoir législatif soient libres dans leur action, que l’une n’engage pas l’autre. Or, la considération que le sénat ne rejetterait pas sans doute le budget des voies et moyens, pour éviter une perturbation certaine ; cette considération, dis-je, doit vous suffire, messieurs, pour ne pas donner votre assentiment à la proposition de l’honorable M. Seron, telle qu’il vous la présente. Qu’on propose un projet spécial sur cette matière ; qu’on en fasse un examen particulier, je le veux bien ; mais je ne pense pas qu’on puisse admettre un amendement, tel que celui-ci, qui aurait pour but, et peut-être pour résultat d’entraver l’exercice de la prérogative d’une autre branche du pouvoir législatif.

Le droit sur un sel, qui plus d’une fois a éveillé la sollicitude des membres de cette chambre, n’est, comme je l’ai fait remarquer dans d’autres circonstances, que de la moitié de celui qui existe, sur cette denrée dans les autres pays, moins riches que le nôtre, où l’usage en est nécessairement aussi grand, aussi indispensable que chez nous.

Je l’ai déjà dit dans une autre discussion, et je le répète : je pose en fait que les neuf dixièmes des contribuables ignorent qu’un impôt existe sur le sel, tellement la perception s’en opère sans aucune espèce d’embarras, et sans charger le peuple, qu’on aurait en vue de soulager en réduisant considérablement cette branche essentielle de nos ressources. Du reste, tous les citoyens usent de cette denrée ; chacun est astreint à l’impôt, et le riche est sans doute frappé dans une proportion plus forte que ne l’est le pauvre, car il est indubitable que celui-ci en use beaucoup moins que l’autre.

Je pense donc que les reproches que l’on adresse à l’impôt sur le sel ne sont pas fondés, et que surtout il n’y a pas lieu d’établir des exceptions en ce moment relativement aux additionnels de cette base de nos impôts.

Pour ce qui concerne le café, le tabac, le sucre et les eaux-de-vie indigènes, dont l’honorable M. Seron a parlé, je ferai remarquer qu’à la fin de la session dernière, nous avons fait droit à sa réclamation. Nous avons augmenté les droits sur le tabac, sur le café et sur le sucre, et nous avons été, quant au tabac et au café, aussi loin que nous pouvions aller sans entraver le commerce important qui se fait de ces deux espèces de marchandises, commerce que nous perdrions évidemment si nous imposions le café et le tabac, de manière à absorber les bénéfices que les petits marchands de nos frontières avec la France et la Prusse retirent de l’exportation de ces marchandises.

Venant à l’article des sucres, cité par M. Seron, je répondrai en même temps à ce qu’un honorable membre qui s’est fait entendre dans cette séance, a dit relativement à cette denrée.

Loin d’avoir réduit l’impôt sur le sucre, comme M. Pirmez l’a prétendu, nous l’avons augmenté, nous avons amélioré la législation qui existait ; et cependant, à entendre l’honorable membre, nous ne l’avons modifiée que pour céder à des exigences, pour favoriser l’industrie des raffineries de sucre. Il n’en est pas ainsi, messieurs ; et je pense que le reproche que l’on pourrait faire au système de l’honorable membre, qui voudrait frapper tout à coup cette industrie d’une manière exorbitante, c’est-à-dire, amener son anéantissement ; que ce reproche, dis-je, serait plus fondé que celui qu’il nous adresse.

Les contribuables, dit l’honorable membre, paient un tribut de 8 millions à l’industrie des raffineurs de sucre. Mais si ce n’était là une erreur évidente, si ces contribuables paient à l’industrie des raffineries de sucre une somme assez forte, vous n’en verriez pas diminuer le nombre, vous verriez prospérer outre mesure celles qui subsistent ; or, les faits sont contraires à cette assertion que les raffineries sont dans une voie de prospérité telle que le prétend l’honorable M. Pirmez.

J’entends dire à mes côtés que dans une seule localité 30 raffineries ont cessé d’exister depuis l’adoption de la loi que la législature a votée l’année dernière. Je ne pensais pas, il y a six semaines, que l’effet de la loi eût été aussi sensible ; je croyais que les raffineries avaient à peu près conservé les positions qu’elles avaient lors du vote de la loi, mais j’ai pu m’assurer depuis peu (et ce qu’on vient de dire le confirme) que les modifications que nous avons apportées à la législation sur les sucres, ont été telles qu’aller au-delà eût été tuer une industrie des plus utiles.

Mais l’honorable M. Pirmez, qui, en toute occasion, se pose, et avec raison, le défenseur de l’industrie et du commerce, ne craindrait-il pas, en jetant la perturbation dans les raffineries de sucre, d’anéantir une navigation importante, de fermer un des moyens essentiels de débouchés à la Belgique ?

Je livre, messieurs, ces courtes réflexions à vos méditations. Je ne pense pas qu’à l’occasion du budget des voies et moyens vous soyez disposés à augmenter considérablement un impôt que nous n’avons pas réduit, comme on vient de le dire, mais que nous avons majoré l’année dernière de diverses manières, en augmentant (légèrement, il est vrai) le rendement ; en obligeant les importateurs de payer nécessairement le dixième des droits sur le sucre importé ; en spécifiant les qualités de sucre de telle manière qu’il n’y ait eu plus de fraude possible ; et enfin en empêchant les transferts qui se passaient si facilement par la voie de la poste, sans que la marchandise suivît les documents qu’elle aurait toujours dû accompagner.

Ces modifications sont plus importantes qu’on n’a semblé le croire, et elles sont loin d’avoir amené la diminution de recette dont a parlé l’honorable M. Pirmez, puisque l’accise des sucres qui était descendu à rien, produira maintenant plus d’un million.

Je rencontrerai ici encore une réflexion critique que vous a soumise l’honorable M. Pirmez. Il vous a dit qu’au moment de la révolution, nous avions supprimé l’impôt de l’abattage, et que nous l’avions depuis rétabli d’une manière déguisée, sous un autre nom, plus onéreux pour les consommateurs et nullement productif pour le trésor.

Je pense qu’on a bien fait de supprimer l’impôt mouture et le droit d’abattage, du moins je ne les regrette point ; je nie ensuite formellement que le droit dont nous avons frappé en 1835 l’entrée du bétail étranger ait eu pour résultat d’élever le prix de la viande et qu’il n’ait apporté aucune amélioration au trésor.

En ce qui concerne les produits je puis dire que depuis la loi de 1835 les droits de douane perçus sur le bétail étranger se sont à peu près décuplés, loin d’avoir diminué. Ils s’élèvent maintenant à environ 550 mille fr., année commune et précédemment nous ne percevions que de 30 à 60 mille francs. Et qu’on ne vienne pas nous opposer qu’il se fraude maintenant beaucoup plus de bétail qu’auparavant, qu’alors que le droit était plus faible, il était naturel que les revenus de la douane fussent moindres, bien que le nombre de têtes de bétail importées et déclarées fût plus considérable. Je répondrai à une telle objection que sous l’empire de la loi de 1835, il est entré légalement le double de têtes de bétail qu’avant cette loi, et par conséquent qu’il a dû y avoir moins de fraude.

Je pourrai citer les chiffres si on le désire.

Nous avons donc pris nos précautions contre la fraude, puisque, avec un droit beaucoup plus élevé, il se déclare en douane le double de têtes de bétail.

Maintenant, je réfuterai ce qui a été reproché à la loi en question par rapport au prix de la viande. Cette objection, faite en très bonne intention, s’est ressentie de l’absence de la connaissance positive des faits. On a prétendu que le prix de la viande s’était élevé depuis par les effets de la loi de 1835. Or, j’ai ici des documents de l’octroi de Bruxelles pour les années 1831 à 1839 inclusivement, desquels il résulte que le prix des bêtes à cornes a été, en 1838, comme en 1836 et 1837, généralement inférieur à celui des années antérieures.

J’ai sous les yeux ces prix établis au commencement de chaque trimestre ; je ne fatiguerai pas la chambre par la citation de ces détails de chiffres, mais je communiquerai le document à tous ceux d’entre vous qui désireront le vérifier. Ainsi notre loi sur l’importation du bétail hollandais est justifiée par les faits. Il y a eu répression de la fraude, protection pour les cultivateurs, produits pour le trésor et expérience que le consommateur n’a pas dû payer la viande plus chère que précédemment.

Je désire que les effets de toutes les lois de douane puissent se justifier d’une manière aussi péremptoire que celle-là.

Le dernier orateur que vous avez entendu dans la séance d’hier a posé plusieurs maximes de haute administration que je n’ai pas l’intention de contester ; il a fini son discours en donnant formellement son appui aux propositions du gouvernement, et par conséquent je pourrais me dispenser de vous en entretenir en ce moment. Toutefois, l’honorable membre a déclaré se réserver d’examiner, quand nous serons arrivés aux budgets des dépenses, s’il n’y aurait pas lieu d’y introduire des réductions considérables, de supprimer des branches d’administration, d’opérer en un mot des réformes radicales.

Nous attendrons avec confiance l’examen des budgets des dépenses, et les réflexions qu’ils suggéreront à M. Angillis ; nous sommes convaincus qu’il reconnaîtra, avec chacun de vous, que l’économie que la prudence pouvait permettre, a présidé à la rédaction de ces budgets ; et nous prédisons d’avance que vous ne trouverez à y introduire que de très faibles et insignifiantes réductions, si tant est que vous en admettiez, parce qu’il ne serait pas possible d’en opérer d’un taux assez important pour être mentionnées, si ce n’est au détriment de la chose publique. Et nous avons la garantie que jamais, dans cette chambre, on n’admettra sciemment des mesures qui pourraient avoir un résultat de cette nature.

Qu’il me soit permis, messieurs, en terminant de vous présenter sur l’état de nos finances quelques faits qui seront une justification de la manière dont elles sont administrées.

En 1834, l’insuffisance de ressources résultant des besoins extraordinaires antérieurs et qui se rapportaient aux circonstances difficiles de 1830, 1831 et 1832, était de 15 millions. Depuis lors, l’attitude menaçante de l’armée hollandaise stationnée près de nos frontières, commandait de maintenir nos forces militaires sur un pied respectable,et nous imposait des dépenses énormes. Les inondations désastreuses, résultant des faits de l’ennemi, nous ont entraîné dans des travaux qui ont coûté près de 7 millions pour réparer les rives de l’Escaut. Le rachat de la Sambre canalisée a coûté à l’Etat, en déboursés, 2,490,000 fr., qui ne produisent aujourd’hui aucun intérêt ; nous avons à payer les intérêts des sommes empruntées pour la canalisation à la société générale ; ces intérêts ajoutés aux dépenses d’amélioration et d’entretien de la navigation en absorbent les revenus. C’est donc 2,490,000 francs payés, aujourd’hui improductifs, ais qui rapporteront plus tard.

Il y a bien en sus un excédant de 38,000 francs mentionné dans le rapport de la section centrale, qui se réduit à 20,000 francs, si l’on défalque les frais de perception, mais ces 20,000 francs sont insuffisants pour faire face aux travaux extraordinaires qu’on ne peut pas prévoir et qu’il faut cependant exécuter à peu près chaque année. Je puis donc maintenir que nous avons déboursé pour la Sambre canalisée 2,490,000 francs, dont nous ne tirons aucun intérêt.

Nous avons acquis trois grands hôtels pour les ministères, un hôtel pour le gouvernement provincial à Hasselt ; nous avons fait l’acquisition de la bibliothèque Van Hulthem, qui a coûté une somme assez forte pour qu’on la mentionne. Ce n’est pas que je regrette cette acquisition, au contraire, je me félicite que la législature ait alloué la somme nécessaire pour la réaliser ; nous avons acquis encore l’emplacement et les bâtiments de l’école vétérinaire, nous avons fait construire deux bateaux à vapeur ; je pourrais citer d’autres acquisitions ; enfin toutes les dépenses extraordinaires faites depuis 1834, indépendamment de celles pour l’armée, s’élèvent à 17 millions payés par les ressources ordinaires. Eh bien, quelle est notre situation financière actuelle comparée à celle de 1834 ?

Sans avoir gêné les contribuables, car il faut reconnaître qu’ils peuvent payer facilement les impôts qu’on leur demande ; sans avoir même augmenté les bases essentielles de nos impôts, nous sommes arrivés à réduire le déficit de 1834, de 15 millions à 12. Je vous le demande, un tel résultat ne doit-il pas être trouvé satisfaisant pour tout homme impartial ? J’en appelle avec confiance au jugement de chacun de vous : quel est le pays qui pourrait présenter une situation semblable à celle-là, et ne puis-je pas avec un certain orgueil vous en tracer le tableau ?

M. Pirmez – Je puis parler de la question des sucres, parce que je l’ai étudiée. C’est d’après les chiffres donnés par les raffineurs eux-mêmes, que j’ai établi l’impôt qu’ils pouvaient payer. Il pourrait être plus élevé, parce qu’ils nous ont donné les chiffres les plus bas possible.

Je n’ai pas voulu porter à l’extrême l’impôt sur cette denrée ; mais je crois que c’est une matière très imposable et que chaque année on peut et doit l’atteindre progressivement. C’est donc à tort qu’on m’a accusé de vouloir détruire d’un seul coup toutes les raffineries.

On a parlé encore de la navigation que nécessite le commerce du sucre ; si on revenait sur la question, je ferais voir que la prime qu’on accorde aux sucres dans l’intérêt de la navigation équivaut à faire transporter de la terre et à payer les frais de navigation.

Quant à l’abattage, comme mes adversaires n’ont pas cité de chiffre, il est impossible que j’évalue comme pour le sucre à combien monte le droit payé par le consommateur. Mais M. le ministre des finances nous a dit qu’il a été payé pour plus de 500,000 francs de droit de douanes sur le bétail étranger introduit en Belgique. Je vous demande si, en présence de ce fait, on peut prétendre que le prix du bétail indigène n’a pas augmenté. La contradiction n’est-elle pas manifeste ? n’est-il pas clair que ces deux choses ne peuvent pas co-exister ?

Je ne sais comment les choses se passent quant à l’octroi de Bruxelles ; toujours est-il que dans les petites villes et dans les campagnes, la viande est aussi chère qu’au temps de l’abattage.

Quant aux produits des impôts de consommation, en général, je crois qu’ils ont augmenté ; mais il faut tenir compte de la prospérité du pays qui a augmenté beaucoup la consommation.

M. Gendebien – Mon intention n’est pas d’abuser de votre patiente ; je sais qu’au temps où nous sommes, mes paroles ne produiront aucun soulagement pour les contribuables ; car on se laisse fasciner par des circonstances dont on s’exagère l’importance, ou plutôt qu’on ne veut pas considérer avec calme ; dès lors on ne veut plus rien entendre, tout paraît hostile.

Quoi qu’il en soit, je ne veux pas laisser passer l’année 1838 plus que les années précédentes, sans protester contre le mode de perception des impôts.

Je commence par dire, avec M. le ministre des finances, que la Belgique peut, à la rigueur, supporter un budget de recettes de 100,000,000 fr., si ces cent millions sont répartis avec justice et équité, si chacune concourt dans ces cent millions selon ses moyens. Mais malheureusement il n’en est pas ainsi.

Comment ! (et, je le répète pour la huitième fois, car je l’ai dit toutes les années), sous le roi Guillaume, on se plaignait amèrement, avec tant de chaleur, d’acrimonie même, de l’impôt personnel, et huit ans après la révolution, on est encore dans la même ornière ! Comment se fait-il que l’injustice de la répartition de cet impôt étant chose avouée depuis si longtemps, on n’en ait pas encore changé la base !

Je l’ai dit les années précédentes, il aurait fallu étendre la matière imposable, abandonner les centimes additionnels et les réserves pour les moments de calamité, pour le cas d’une guerre imminente. Je disais alors que plus la matière de l’impôt est étendue, moins la perception en est sensible, plus les centimes additionnels sont supportables. On n’a tenu aucun compte de ces observations, on est resté dans l’ornière des vieilles traditions.

Sans doute, ainsi que le disait tout-à-l’heure M. Pirmez, cela est plus facile et plus commode que de chercher de nouvelles bases d’impôts ; mais le premier devoir d’un ministre des finances n’est pas d’aligner les recettes et les dépenses, n’est pas seulement de faire produire les impôts ; il doit travailler pour l’avenir, étendre la matière imposable ; en un mot, éviter de surcharger des cotes de contribuables qui, si on agissait avec équité, devraient plutôt être secourus ou du moins dégrevés.

Vous allez augmenter l’impôt personnel et mobilier. Je ne renouvellerai pas la démonstration de l’injustice de cet impôt. Vous savez dans quelle proportion il est payé ; d’une part, par les boutiquiers de Bruxelles, Anvers, Liége, Mons, etc. ; et, d’autre part, par les riches fermiers.

Ceux-ci ne paient à peu près rien de ce chef, alors qu’ils vivent dans l’aisance et acquièrent de la fortune pour leurs enfants, tandis que le détaillant, l’industriel, dans une grande ville, paie un impôt décuplé pour avoir l’avantage, en définitive, de faire très souvent faillite. Vous mettez le couteau sur la gorge à ces industriels qui ne peuvent se dispenser d’avoir une maison dans une rue commerçante et de payer un loyer excessif. Ils ne peuvent se dispenser de payer cette contribution, et vous la faites peser non pas sur le superflu, mais sur le capital même. Vous voulez ensuite qu’ils s’exécutent sans rien dire ; je vous le demande si c’est justice.

Examinons les choses sous un autre point de vue. Le père de famille, je l’ai déjà dit l’année dernière, qui a de nombreux enfants et 10,000 francs de revenu (il n’y en a pas tant en Belgique dont le revenu atteigne ce chiffre), est contraint, pour abriter sa famille, de payer un fort loyer, ou de mettre un prix élevé à l’acquisition d’une maison ; eh bien, vous l’imposez encore ! et le célibataire qui n’a aucune charge, vous ne lui demandez rien. Cependant le ministre des finances ne niera pas qu’en matière d’impôt le premier principe c’est de prendre sur le superflu. On impose le père de famille qui a dix mille francs de rente ; à ses charges excessives de père de famille on en ajoute de nouvelles, et le célibataire riche de dix mille livres de rente pourra agir de façon à ne rien payer. Voilà l’état normal du système.

Maintenant que nous sommes menacés d’une guerre, vous demandez des subsides, à qui ? au célibataire qui n’a aucune charge ? non, au célibataire qui ne court aucun danger ? non ; c’est au père de famille qui, aux surcharges de la paix, va en subir bien d’autres. Il va se trouver obligé de faire remplacer ses enfants ; il sera forcé de débourser 3,000 fr., 3,500 fr. et bientôt 4,000 fr. pour payer un remplaçant. Et s’il n’a pas le moyen de payer un remplaçant, il lui faudra envoyer son fils ou ses fils à l’armée ; et en se couchant, il tremblera d’apprendre le lendemain que son fils a été tué ou blessé. C’est sur ce père de famille, contraint déjà aux plus grands sacrifices, que vous faites peser des charges nouvelles, et pendant ce temps le célibataire bien tranquille continuera sa vie oisive sans se soucier de rien. Il n’a pas d’enfant, lui, et on ne lui demande rien pour la guerre.

Vous conviendrez que ce système d’impôt est aussi absurde qu’injuste. Je vous demande, après cela, s’il est raisonnable de demander des centimes additionnels sur l’impôt personnel et mobilier. C’est dans de telles circonstances qu’il faudrait diminuer cet impôt pour donner au père de famille un soulagement à ses charges extraordinaires, une compensation, s’il peut en exister une, pour la chance qu’il a de perdre un fils et peut-être même plusieurs.

Pour l’impôt foncier, je reconnais que cette matière est la plus imposable ; mais encore, qui paie cet impôt ? est-ce le propriétaire ? non, parce qu’en général il ne cultive pas par lui-même. C’est toujours le locataire qui, en règle générale, paie l’impôt foncier.

Ainsi que vous le disait un honorable orateur, vous allez augmenter les charges de ceux qui paient le plus fort contingent dans la plus pénible de toutes les contributions, celle du contingent de l’armée.

Le propriétaire qui a peu à souffrir des charges de la guerre, des campements, des logements militaires, n’a d’autres soucis en temps de paix que de louer sa terre au plus haut prix possible ; et dès qu’il a signé son bail, il ne songe plus qu’au moyen d’en augmenter le prix au bout de neuf ans, c’est-à-dire à son expiration. La seule inquiétude qu’il ait, c’est de savoir s’il y réussira. A cet heureux propriétaire, vous ne demandez rien ! C’est le locataire que vous frappez.

Vous demandez des centimes additionnels sur l’impôt du sel. Mais n’est-ce pas là l’impôt le plus injuste de tous. Les neuf dixièmes des contribuables, vous dit le ministre des finances, paient l’impôt sans s’en apercevoir ; mais en supposant que cela fût vrai, cela rend-il l’impôt plus juste et sa répartition plus équitable ? Le citoyen victime d’une escroquerie sans s’en apercevoir, en est-il moins victime d’une escroquerie ?

L’impôt sur le sel est un impôt qui pèse essentiellement sur la classe nécessiteuse et sur l’agriculture, et veuillez bien remarquer que l’élévation de l’impôt ne fait pas rentrer plus d’argent au trésor et qu’elle ne profite qu’à la fraude ; car il est notoire pour tous ceux qui connaissent les opérations des négociants et des raffineurs du sel, que la majeure partie de l’impôt du sel entre dans leurs caisses particulières et non dans les caisses de l’état. Ainsi cet impôt est établi sur la matière la plus nécessaire à la classe la moins riche, celle qu’on devrait le plus favoriser, surtout en temps de guerre, car c’est le peuple, en définitive, qui supporte le fardeau de la guerre.

Au lieu d’augmenter par des centimes additionnels de guerre, diminuez l’impôt du sel, et vous en augmenterez la consommation, car le pauvre ne s’en privera plus. Vous concilierez ainsi les intérêts de la classe indigente et ceux du trésor public ; on fraudera moins, et une partie de l’impôt qui entre aujourd’hui dans la caisse du fraudeur, entrera dans les caisses du trésor. On consommera davantage et vous recevrez en proportion de la consommation plus grande ; ainsi le trésor y gagnera sous un double rapport.

N’est-il pas évident, d’après ces considérations, qu’au lieu d’établir des centimes additionnels sur le sel, vous devriez diminuer cet impôt, même en ne le considérant que sous le rapport fiscal.

Mais, dit le ministre des finances, le riche paie l’impôt comme le pauvre, il paie même davantage.

Messieurs, cela est inexact ; le riche a mille moyens d’assaisonnement ; le pauvre qui n’a, le pus souvent, que du pain et des pommes de terre à manger, doit faire grande consommation de sel ; pour les pommes de terre, le sel est l’assaisonnement indispensable.

Il y aurait eu un moyen d’éviter les centimes additionnels ; on pourrait, par exemple, discuter immédiatement, ainsi qu’on l’a déjà proposé, la grande question de la liquidation de la banque et aviser aux moyens de la déterminer de payer une partie de la somme qu’elle doit. Je ne sais pas s’il est de l’intérêt de la banque de conserver des capitaux en en payant les intérêts ; quant à moi, je crois que son intérêt bien entendu est de payer ; son intérêt pécuniaire et son intérêt politique bien entendus lui en font un devoir. Quant aux craintes qu’elle pourrait avoir d’être recherchée plus tard en cas d’événements malheureux ; nous ne pouvons pas les admettre ; si la nation succombe, ce qu’à Dieu ne plaise, eh bien ! que chacun en ressente les effets, la banque comme les autres institutions ; la banque et la nation doivent traverser les mêmes événements, les mêmes chances. Si nous sommes menacés d’un naufrage, qu’il soit général, que chacun sache qu’il doit tout engloutir, banque, institutions, patrie.

Si nous triomphons, ce serait un titre glorieux pour cette institution, déjà si utile, d’avoir contribué à la défense du pays, au triomphe de la civilisation.

Il y aurait, messieurs, un moyen plus complet et fort simple de pourvoir aux dépenses de la guerre. (Veuillez bien le remarquer, vous ne pourvoyez pas, quant à présent, aux besoins de la guerre, vous ne faites qu’aligner le budget de 1838 ; et vous n’avez rien ou presque rien en prévoyance pour les dépenses extraordinaires du budget de 1839.)

Si nous faisons la guerre, chose que je ne désire pas plus que personne, quoiqu’on ait, à une autre époque, accusé notre banc de vouloir la guerre quand même, accusation qui, à cette époque, s’adressait au ministre des finances comme à nous ; si nous faisons la guerre, il faut dès à présent nous mettre en mesure de la soutenir avec succès. Or, ce n’est pas avec quatre ou cinq millions qu’on atteindra ce but ; c’est avec 25 ou 30 millions. Je ne désire pas, je ne demande pas la guerre, mais je suis prêt à faire les sacrifices les plus grands, s’il le faut, pour la faire avec gloire et utilité pour mon pays ; mais point de demi-mesure.

Comme on veut pas recourir à des emprunts à l’étranger, à des emprunts onéreux, ce que j’approuve, il y a moyen de se procurer de l’argent sans surcharger les contribuables ; c’est de le chercher là où il est, là où il y a du superflu ; au lieu de demander de l’argent à des locataires, demandez-en aux propriétaires ; demandez-leur de faire non pas même un sacrifice, mais de faire des versements au trésor, à titre de prêt et avec un intérêt de quatre et demi ou de 5 p.c. Ce sera pour eux de l’argent très-bien placé. L’immense majorité des propriétaires peut, sans se gêner, faire l’avance d’une année de contributions ; tandis que peu de locataires peuvent payer, sans se gêner, un dixième de leurs contributions foncière, personnelle et mobilière.

Je voudrais que dans la loi qui ordonnerait cette mesure il fût déclaré positivement que c’est un emprunt qu’on fait sur la propriété à charge des propriétaires, et non sur les locataires ou à leur charge ; je voudrais que l’on dit, comme je l’ai proposé au temps du congrès, que la contribution foncière sera prise seulement pour base de l’emprunt ; je voudrais que l’on évitât toute équivoque, afin que les locataires n’en soient pas chargés ; c’est en réalité un emprunt et non une contribution que je propose ; c’est le riche que je veux atteindre, et non les moins fortunés.

Si vous voulez sérieusement vous mettre en mesure de faire la guerre, demandez cet emprunt ; car pour faire la guerre, il faut de l’argent, et par l’emprunt vous aurez de l’argent ; et si vous n’en avez pas besoin, comme je le désire bien vivement, vous pourrez ne pas le percevoir en entier ; vous pourrez vous arrêter au tiers, à la moitié, aux trois quarts des rentrées ; et si nous ne faisons pas la guerre, vous serez bientôt en position de restituer.

Vous demanderez qui possède, à ceux qui ont le plus d’intérêt à éviter les invasions, à ceux qui nous reprochaient autrefois, lorsque nous nous opposions aux 18 et aux 24 articles, de vouloir la guerre à tout prix, à ceux qui nous ont injuriés, molestés jusqu’à nous dire qu’il ne fallait pas avoir un pouce de terrain au soleil pour repousser les 18 et les 24 articles, pour s’exposer à faire la guerre. Maintenant que ceux qui ont du terrain au soleil sont de notre avis maintenant qu’ils sont, à ce qu’ils disent, prêts à soutenir la guerre avec nous, maintenant qu’ils prennent l’initiative, nous leur demandons, non pas à faire un sacrifice, mais à faire une avance d’une année de leurs contributions à titre de prêt à intérêt.

Si un propriétaire était assez égoïste pour se plaindre, nous lui répondrions : retirez-vous de l’unanimité de la nation, et il sera stigmatisé de la juste réprobation qu’il aura méritée.

Vous voulez la guerre, vous voulez au moins vous disposer à la faire ; eh bien, il ne faut pas de demi-mesure. Il faut prouver à l’Europe que ce que l’on a dit dans cette enceinte, que les paroles descendues du trône ne sont pas de vaines parades ; il faut prouver que nous sommes décidés à la faire, non en décrétant des levées d’hommes sur le papier, mais en emplissant les caisses publiques des sommes nécessaires pour des levées d’hommes effectives. Et pour cela point de demi-mesures, point de mesures mal prises, surtout point de vexations, c’est-à-dire, point de sacrifices imposés aux moins riches, point de surcharges à ceux qui sont déjà trop chargés. Pour moi, je suis prêt à voter tous les sacrifices qui pourront être significatifs, qui pourront être nécessaires dans la guerre où l’on paraît vouloir nous entraîner, c’est-à-dire, où paraît vouloir notre entraîner l’étranger.

Mais je ne veux pas surcharger ceux qui le sont déjà, ceux surtout qui, par leur position, sont appelés à supporter la plus grande part du fardeau de la guerre. Je voterai pour l’emprunt foncier, si je puis m’exprimer ainsi ; mais je voterai contre les centimes additionnels proposés sur les contributions personnelles ou mobilières, sur le sel, sur les patentes et même sur la contribution foncière. Je déclare que si plus tard la nécessité nous en fait une loi, je voterai des centimes additionnels, mais sur tous les impôts, mais sans faire de catégories.

Messieurs, j’aurais beaucoup d’autres observations à faire, mais l’heure étant avancée je m’arrêterai. Je crois en avoir assez dit pour faire connaître mon opinion et mon désir de nous tirer honorablement de la position fâcheuse où l’étranger veut nous en placer.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Il serait sans doute inutile de rentrer dans le fond de la discussion et d’examiner un à un les différents impôts que nous proposons d’atteindre en ce moment par les centimes additionnels. Je me dispenserai aussi de répondre à ce reproche qui m’est personnel, de recourir au moyen simple des centimes additionnels, au lieu de rechercher de nouvelles matières imposables : il me serait cependant facile de me justifier de ce reproche et je pourrais vous citer six ou huit dispositions importantes qui amèneront plus de trois millions annuellement au trésor, dispositions que j’ai proposées à la législature et qu’elle a adoptées. Je me dispenserai, dis-je, de répondre à ce reproche que le résultat final de nos ressources financières justifie suffisamment.

J’ai pris la parole, messieurs, pour une considération d’un ordre plus élevé que celle d’une imputation personnelle qui intéresse le pays et dont à ce titre je veux dire deux mots. Le préopinant ne regarde que comme une demi-mesure la demande que nous formons actuellement de quelques millions pour pourvoir aux besoins de notre situation militaire. Je ne puis admettre que nous prenions ici des demi-mesures, que nous agissions par simple ostentation. Nous faisons tout ce que les circonstances demandent de nous en ce moment. A la différence de M. Gendebien, nous terminerons, s’il le faut, comme il voudrait commencer ; nous laisserons aux contribuables ce qui ne nous est pas nécessaire aujourd’hui, et, si les circonstances devenaient impérieuses, nous en viendrons à l’emprunt forcé, moyen violent, mais que justifieraient alors les événements.

Dans de tels instants, nous ne craindrions pas, quelque odieuse que paraisse une semblable mesure, de venir la proposer, parce que nous n’envisagerions que le salut de la patrie auquel elle pourrait être utile (Adhésion générale.) Mais gardons-nous de recourir à l’emprunt forcé, quand il n’est pas indispensable de le faire : l’expérience doit nous avoir appris, nous devons tous savoir que les emprunts forcés sont une grande ressource pour l’agiotage ; et que le propriétaire au patriotisme duquel on fait appel, est la première victime de son dévouement à la chose publique, de son exactitude à obéir à la loi. Nous savons que dans les emprunts contractés en 1831 et 1832, les propriétaires n’ont retiré que 30 p.c. de leurs avances. Evitons de les mettre dans une aussi fâcheuse position sans la plus impérieuse nécessité.

Le patriotisme est aussi vivace maintenant qu’il n’a jamais été ; et vienne le moment où il faudra faire appel à la fortune de nos concitoyens, nous n’hésiterons pas à leur demander les plus grands sacrifices si le salut du peuple le réclame. (Vives marques d’adhésion.)

- La séance est levée à 5 heures.