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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 7 mai 1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative à la construction du chemin de fer (Mast de
Vries, Gendebien, de
Brouckere, Mast de Vries, de
Brouckere, Nothomb, de
Jaegher, de Brouckere)
2) Projet de loi portant des modifications au
droit de timbre (plus particulièrement au timbre des journaux) (Metz,
d’Huart, Metz, de Brouckere, Demonceau, Metz, Gendebien, de Brouckere)
3) Rapport sur des pétitions relatives à la
culture de la garance (Desmaisières, Pollénus, de Jaegher, Van Hoobrouck, Desmaisières,
de Brouckere)
4) Projet de loi autorisant le gouvernement à
contracter un emprunt de 37 millions de francs. Modalités d’émission de
l’emprunt (d’Huart), préférence à accorder à
l’initiative privée plutôt qu’à celle de l’Etat, coût et rentabilité du chemin
de fer (Verhaegen, Nothomb, Desmanet de Biesme, A. Rodenbach,
Desmet, Devaux, Desmet,
Demonceau)
(Moniteur belge n°128, du 8 mai 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
B. Dubus fait l’appel nominal à une heure et demie.
M.
Kervyn lit le procès-verbal de la séance d’avant-hier ;
la rédaction en est adoptée.
M.
B. Dubus fait connaître l’objet des pièces adressées à
la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le
conseil communal de la ville (erratum
inséré au Moniteur belge n°131, du 11 mai 1838) d’Ath demande la réforme
électorale et l’uniformité du cens. »
_________________
« L’administration
communale de Lierre demande la construction d’un embranchement du chemin de fer
de Lierre au chemin principal, conformément à la dépêche de M. le ministre, en
date du 30 juin 1836. »
_________________
« Le sieur Dominique Van Bauwel, milicien de
1832, demande son licenciement par suite du décès de l’un de ses frères. »
_________________
« Des fabricants, marchands et cultivateurs de
Lin de Wevelghem et communes environnantes, adressent des observations sur le
projet de loi relatif à la canalisation de la Lys. »
« La dame Marie-Thérèse Stallemans, veuve
Peeters, se plaint de ce que sa pension comme veuve de victime de septembre lui
ait été retirée. »
M. Mast de Vries.
- Messieurs, je demande que la pétition de la ville de Lierre soit renvoyée à
M. le ministre des travaux publics ; car il est probable qu’il n’y aura plus de
rapport de pétitions avant que la chambre s’ajourne.
M.
Gendebien. - La chambre a déjà passé à l’ordre du jour
sur des pétitions de même nature.
M.
de Brouckere. - Est-ce qu’on entend, en proposant le renvoi,
appuyer la pétition ? Il faudrait, en cas d’affirmative, que nous la
connussions. Dans le cas contraire, le renvoi est tout à fait inutile.
M. Mast de Vries. - Messieurs, voici
de quoi il s’agit. La ville de Lierre a voulu faire un embranchement du chemin
de fer à ses frais ; le gouvernement lui a fait connaître qu’elle ne pouvait
pas construire cet embranchement à ses frais, et que lui-même s’en chargerait.
La ville de Lierre réclame l’accomplissement de la promesse qui lui a été
faite.
M.
de Brouckere. - Il s’agit donc d’une affaire contentieuse.
Eh bien, si l’assemblée, sans connaître l’affaire, renvoyait la pétition au
département des travaux publics, ce serait appuyer les réclamations des
pétitionnaires. Si le renvoi n’est pas un appui offert aux pétitionnaires, il
est tout à fait illusoire, et les pétitionnaires obtiendront le même résultat
en adressant la pétition au gouvernement. Je crois donc que le renvoi de la
pétition ne peut avoir lieu sans que nous ayons eu d’abord un rapport de la
commission.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - Messieurs, voici quelques faits qui se rattachent
aux antécédents de cette affaire. Un embranchement sur Lierre a été compris
dans l’étude primitive du chemin de fer d’Anvers à la frontière prussienne, et
la loi du 1er mai a été votée dans l’idée que cet embranchement, compris dans
le devis, serait exécuté en même temps que le chemin de fer d’Anvers à la
frontière de Prusse.
Cet
embranchement devait en effet être exécuté ; mais jusqu’à présent, le projet
n’est pas complétement étudiée, parce que deux directions se présentent, l’une
vers Contich et l’autre vers Vieux-Dieu. Dès que la direction sera décrétée, le
gouvernement donnera suite à ce qu’il faut regarder comme un engagement tacite
de la législature, quoiqu’il ne soit pas formellement question de
l’embranchement de la ville de Lierre dans la loi du 1er mai.
M.
de Jaegher. - Si j’ai bien compris M. le ministre des
travaux publics, il veut faire une exception en faveur de l’embranchement sur Lierre,
entre tous les embranchements qui, dans le temps, ont été demandés per
différentes localités. Il me semble que l’embranchement sur Lierre rentre dans
la même catégorie que les autres embranchements...
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Non ! non !
M. de Jaegher.
- Lorsque cet embranchement a été sollicité, il n’était encore question que du
chemin de fer d’Anvers à Bruxelles, et l’on conçoit qu’à une pareille époque
une pareille demande n’ait pas rencontré de grandes difficultés ; mais
aujourd’hui que les lignes s’étendent et que des localités plus importantes que
celle de Lierre sont également à proximité du chemin de fer, il me semble que
la question est changée, et que si l’Etat a des ressources à appliquer à des
embranchements, il faut encore examiner quel est l’embranchement le plus
important. Je ferai à cette occasion une observation qui concerne la localité à
laquelle je dois m’intéresser particulièrement. Un chemin de fer doit se
diriger de Gand vers la frontière française ; ce chemin de fer pouvait prendre
deux directions, celle du bassin de la Lys ou celle du bassin de l’Escaut. Eh
bien, on a pris la première direction au préjudice du bassin de l’Escaut. On a
dit qu’il y aurait moyen de concilier les deux intérêts, en réunissant les deux
bassins par un embranchement. Voilà donc un embranchement qui sera au moins
aussi important que celui de Lierre.
M.
de Brouckere. - Messieurs, ce qui vient de se passer prouve
qu’on ne peut pas admettre le renvoi de la pétition au ministre des travaux
publics ; car, sans même que nous connaissions le contenu de cette pétition, la
discussion s’engage déjà sur le fond même de la pétition. Nous rentrerons dans
les vues de l’honorable M. Mast de Vries, en manifestant le désir que la
commission s’occupe le plus tôt possible de la pétition, et nous fasse son
rapport dans le plus bref délai, au moins avant la fin de la session. J’en fais
la proposition.
-
Cette proposition, à laquelle se rallie M. Mast de Vries, est mise aux voix et
adoptée.
PROJET DE LOI PORTANT DES MODIFICATIONS AU DROIT
DE TIMBRE
M. Metz (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, il y a déjà
longtemps que les journaux font entendre leurs plaintes sur l’impôt dont ils
sont frappés ; depuis longtemps aussi on leur a promis justice, et le
gouvernement l’a si bien senti que, dans le projet de loi sur le timbre, il y a
une réduction sur le droit qui frappe actuellement les journaux. Cependant il y
a quelques jours que la chambre a ajourné à une époque assez éloignée la
discussion de la loi entière sur le timbre, sous prétexte que cela devrait
donner lieu à de longs débats. Comme il conviendrait cependant de rendre
justice aux journaux, je pense que nous pourrions facilement séparer de la loi
les articles qui concernent les journaux, pour en faire un projet de loi
séparé. J’ai l’honneur d’en faire la proposition à la chambre.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, je ne
pense pas qu’il y ait lieu à admettre la motion de l’honorable préopinant. Le
projet de loi sur le timbre contient en effet une disposition relative aux
journaux ; cette disposition doit amener une réduction assez notable sur le
produit actuel, car la réduction doit s’élever au moins au tiers d’un impôt qui
monte en totalité à plus de 250,000 francs.
D’un
autre côté, la loi dont il s’agit comprend des dispositions qui doivent, par
compensation, maintenir les revenus sur le timbre au taux où ils sont
aujourd’hui.
Dans
un pareil état de choses, et eu égard aux besoins du trésor, il nous paraît
tout à fait insolite de scinder un projet de loi qui est présenté par le gouvernement
et qui forme un ensemble ; il nous paraîtrait contraire aux intérêts généraux
de donner une priorité à la discussion de la partie du projet qui doit amener
une diminution dans les ressources de l’Etat.
Du reste, pourquoi
scinder la loi ? Quel motif invoque-t-on pour agir ainsi ? Je n’en aperçois
pas. Qu’on mette la loi entière à l’ordre du jour, je ne demande pas mieux. La
session ne doit pas se clore immédiatement, nous avons encore le temps
d’examiner ce projet et d’autres questions importantes. Voyons donc la loi dans
son ensemble, et c’est ainsi que nous agirons véritablement dans les intérêts
généraux du pays, sans établir un privilège pour aucune classe de citoyens.
Je
demande, messieurs, qu’on mette à l’ordre du jour la loi sur le timbre, lorsque
les objets dont la discussion a déjà été fixée auront été épuisés.
M. Metz.
- Je me rallie volontiers à cette motion, sauf, si elle et rejetée, à
reproduire celle que j’ai faite.
M.
de Brouckere. - Messieurs, si ma mémoire est fidèle, dans la
séance de samedi, le rapporteur de la section centrale s’est en quelque sorte
opposé à ce que le projet de loi sur le timbre fût mis à l’ordre du jour. Je
voudrais savoir si dans l’opinion de la section centrale, rien ne s’oppose à ce
que le projet soit discuté dans cette session.
M.
Demonceau, rapporteur. - Messieurs, dans la séance de vendredi, je
vous ai dit que si nous n’étions pas d’accord avec te gouvernement sur les propositions
de la section centrale, je pensais que la loi subirait une longue discussion.
Je faisais observer cependant que s’il ne s’agissait que du timbre des
journaux, il serait possible de s’en occuper, et que la question me paraissait
même assez simple, parce qu’aujourd’hui tous les journaux semblent disposés à
adopter le système de la section centrale.
Je
dois ajouter que M. le ministre des finances a pensé trouver une compensation à
la réduction qu’il a proposée dans une augmentation que la section centrale
repousse. Je dois dire aussi qu’il est un article où la section centrale est
d’accord avec le gouvernement et qui servira peut-être à compenser la réduction
: je veux parler du timbre relatif aux annonces. Aujourd’hui le timbre des
journaux et celui des annonces sont régis par les mêmes lois. Or, nous
admettons trois centimes pour le timbre des journaux, et cinq centimes pour le
timbre des annonces : j’ignore si cette augmentation compensera la réduction
que les revenus de l’Etat doivent éprouver, par suite de la diminution de
l’impôt sur les journaux.
A entendre les organes de la presse, moins le
timbre est élevé, plus le droit du timbre deviendra productif pour le
gouvernement ; car les abonnés deviendront plus nombreux, quand le prix de
l’abonnement pourra être proportionnellement réduit.
Aujourd’hui,
je dois le reconnaître, nous avons une loi spéciale qui régit la matière, le
timbre des journaux, des annonces et des affiches. Mais le projet du
gouvernement est une refonte de toutes les lois sur le timbre. Pour moi, je ne
vois pas d’inconvénient à faire une loi particulière sur le timbre ; je suis
prêt à défendre la loi dans son entier, ou en partie si on veut la diviser.
M. Metz.
- La chambre se trouvera peut-être arrêtée pour la motion de M. d’Huart par
cette raison que la discussion de toute la loi devra prendre plusieurs jours.
Cette considération ne devrait pas arrêter la chambre pour ma motion, car la
discussion de la loi du timbre, en ce qui concerne les journaux, durera tout au
plus la moitié d’une séance.
Il
ne faut pas se laisser influencer par cette considération que l’ensemble de la
loi, en réduisant le timbre sur les journaux, donne au trésor une compensation
sur une autre nature de timbre. Je ne partage pas cette opinion que la
réduction du timbre sur les journaux doive entraîner une réduction dans les
produits du trésor. Il est reconnu que partout où le taux du timbre a été
diminué, le produit s’est élevé, parce que les journaux pouvant se livrer à
meilleur marché se répandent avec plus de profusion. Je ne pense donc pas qu’en
abaissant le timbre des journaux, comme il est juste de le faire, le revenu du
trésor doive subir une réduction qu’il faille compenser.
Si
ma motion est admise, l’expérience, j’aime à le croire, prouvera ce que j’ai eu
l’honneur d’avancer.
M. Gendebien.
- En mettant à l’ordre du jour la loi sur le timbre, il est bien entendu qu’on
laisse intacte la question de savoir si l’on discutera cette loi ou si on ne la
discutera pas.
M. le
président. - A quel jour veut-on fixer cette discussion ?
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - A vendredi.
M.
de Brouckere. - Si on termine aujourd’hui les objets qui
sont à l’ordre du jour, que ferons-nous alors demain et après-demain ? Je
demande qu’on fixe l’ordre de la discussion de cette loi avant de passer au
vote de la loi dont nous allons nous occuper.
M.
Gendebien. - Il vaut mieux fixer éventuellement la
discussion à demain, sauf à l’ajourner à après-demain, si nous ne terininons
pas aujourd’hui les deux projets à l’ordre du jour.
-
La chambre, sur la proposition de M. le ministre des finances, décide qu’elle
fixera, à la fin de la séance, le jour de la discussion de la loi sur le
timbre.
M. Desmaisières.
- J’ai à vous présenter le rapport de la commission permanente d’agriculture,
d’industrie et de commerce, sur les pétitions qui lui ont été renvoyées
relativement à la garance.
-
La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.
M. Pollénus.
- D’après la communication qui vient de m’être faite par le rapporteur, il
semble que les conclusions de la commission tendent à proposer, en faveur de la
culture de la garance, des encouragements qui depuis longtemps ont été réclamés
en faveur de cette branche d’agriculture. Je demande qu’on mette prochainement
à l’ordre du jour ce rapport. Je ne pense pas que la discussion donne lieu à de
longs débats.
M.
de Jaegher. - M. Pollénus propose de fixer prochainement
la discussion du projet présenté par la commission d’industrie en faveur de la
garance, paraît-il, car jusqu’ici personne n’en a connaissance. Ce projet, si
c’est un projet d’encouragement, intéresse deux espèces d’industrie, l’agriculture
et les fabricants de cotonnades, de draps et de tous les produits pour lesquels
on emploie la garance.
Je
pense que ce projet peut être très bon, mais il faut que les industries qu’il
pourrait menacer aient le temps d’adresser leurs observations à la chambre.
Nous ne devons pas donner suite, quant à présent, à la proposition de M.
Pollénus .
M. Van Hoobrouck.
- La commission d’industrie propose d’accorder des encouragements à la culture de
la garance. Si M. de Jaegher avait eu connaissance du rapport que M. le
rapporteur a bien voulu nous communiquer, je suis persuadé qu’il n’aurait pas
fait les observations que vous venez d’entendre. Il s’agit purement et
simplement de consacrer à la culture de la garance les sommes mises à la
disposition du ministre pour cet objet les années précédentes et qui n’ont pas
été employées. Je pense que cet objet ne peut pas souffrir la moindre
difficulté à la chambre. J’appuie la proposition de M. Pollénus.
M.
de Jaegher. - Si la chambre avait eu connaissance du
projet qu’on propose de mettre à l’ordre du jour, je ne me serais pas opposé à
la proposition.
M. Desmaisières.
- Pour mettre fin à ce débat, je demanderai la permission de lire le projet qui
ne se compose que de deux articles. (Lisez
! lisez !) (L’honorable membre donne lecture de ce projet de loi.)
Je
crois qu’il est réellement urgent de discuter ce projet, parce que l’époque de
la plantation est arrivée. C’est vers la fin de mai qu’on plante ordinairement
la garance. Si on veut que la loi ait son effet cette année, il faut la
discuter promptement. Elle ne rencontrera, je pense, aucune difficulté.
M.
de Brouckere. - Après la loi sur le timbre.
-
La discussion du rapport de la commission d’industrie est fixée après le vote
de la loi sur le timbre.
Discussion générale
M. le
président. - Je demanderai à M. le ministre des finances
s’il se rallie au projet de la commission.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Le projet du
gouvernement a pour but de l’autoriser à la fois à contracter un emprunt pour
faire face aux dépenses de l’achèvement
des chemins de fer, et pour opérer la conversion de l’emprunt de 100,800,000
fr. en 5 p. c. ; (Erratum
inséré au Moniteur belge n°129, du 9 mai 1838 :) mais aucun délai
n’est prescrit pour cette double opération le gouvernement resterait juge
de l’opportunité, maître d’user de l’autorisation, lorsqu’il en croirait le
moment arrivé, dans l’intérêt du pays. Il lui serait loisible d’emprunter en
une ou plusieurs fois ; son action ne devrait être aucunement limitée.
Je
reste persuadé, messieurs, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à voter le
projet tel qu’il vous est soumis, et qu’au contraire ce projet aurait l’immense
avantage de permettre au gouvernement de saisir le moment d’opérer la
conversion du 5 p. c. dès que ce moment s’offrirait, ce qui est essentiel, car
personne n’ignore la variation presque continuelle du cours des fonds publics,
les fluctuations sensibles que provoque la simple appréhension, réfléchie ou
non réfléchie, d’événements de diverses natures.
Je
dois toutefois reconnaître que des incidents de politique extérieure,
l’imminence de grandes mesures financières dans un pays voisin, sont venus
modifier l’état de choses qui existait lors de la présentation de la loi ; à
ces considérations, la section centrale en ajoute d’autres sur l’opportunité de
la conversion, qui ne peuvent manquer de faire impression. Dans cette position,
je crois agir selon les intentions de la chambre en n’essayant pas de soutenir
et de faire prévaloir, dès maintenant, l’ensemble du projet que j’ai eu
l’honneur de vous soumettre. Je me rallie à celui de la section centrale,
tendant à borner l’opération à la partie qui ne peut subir d’ajournement,
c’est-à-dire, à celle qui a pour objet de donner au gouvernement les moyens de
continuer les travaux des chemins de fer décrétés.
La
rédaction de la loi qui vous est proposée par la section centrale laisse au
gouvernement toute latitude sur le mode à suivre pour contracter l’emprunt et
sur le taux de l’intérêt ; cette latitude nous est indispensable pour
l’exécution utile de la loi, car dans de semblables opérations (Erratum inséré au Moniteur belge n°129, du 9
mai 1838 :) rien ne doit être arrêté d’avance en théorie, il faut
rester libre d’user de ce qui est pratique.
Je
dis, messieurs, que je me rallie à la proposition de la section centrale, parce
que je trouve dans sa rédaction toute liberté d’action ; parce que, modifiant
dans les développements de cette rédaction, spéciale pour l’emprunt destiné à
la construction des chemins de fer, les principes et les raisonnements émis en
ce qui concerne la conversion, le rapport de la section centrale déclare
suffisamment ne pas vouloir obliger moralement le gouvernement à préférer tel
système d’emprunt à tel autre.
Il serait intempestif, messieurs, puisqu’il ne
s’agira actuellement que de l’emprunt destiné aux travaux du chemin de fer, de
vous exposer mon opinion sur les vues exprimées dans le rapport de la section
centrale en ce qui concerne la conversion. J’attendrai, messieurs, que cette
seconde question arrive spécialement à la discussion pour me prononcer.
M. le
président. - Ainsi M. le ministre des finances se rallie
au projet de la section centrale. La discussion est ouverte sur l’ensemble de
ce projet.
M.
Verhaegen. - Par le projet en discussion, le gouvernement
vous demande de l’autoriser à emprunter jusqu’à concurrence d’un capital
nominal de 37 millions à un intérêt de 4 1/2 p. c. ou à un intérêt moindre avec
augmentation relative du capital nominal. Les fonds à provenir de cet emprunt
seraient affectés à l’extinction de dix millions de bons du trésor créés en
vertu de la loi du 12 novembre 1837, et à la continuation des travaux des
chemins de fer.
En
discutant ce projet d’emprunt, il ne sera pas inutile d’examiner si l’Etat doit
continuer de construire à ses frais toutes les lignes des chemins de fer
destinées à lier les diverses parties de la Belgique.
Allouer
sans examen au gouvernement les fonds qu’il sollicite pour ces constructions,
ce serait lui donner les moyens de persévérer dans un système qui selon moi est
essentiellement vicieux, dans un système qui est repoussé par tous les pays qui
ont adopté ces nouvelles voies de communication ; les Etats-Unis d’Amérique,
l’Angleterre, l’Allemagne, la Hollande, nous ont indiqué les seuls moyens de
réussite, et la France tout récemment encore nous a donné d’utiles leçons.
Ne
perdons pas de vue que l’utilité des chemins de fer pourrait être mise en doute
si les frais de construction et d’administration étaient tellement élevés qu’il
faudrait augmenter les péages ou lever de nouveaux impôts pour couvrir les
intérêts, je ne dirai pas encore l’amortissement des emprunts. L’enthousiasme a
certes son bon côté, mais prenons garde qu’il ne nous entraîne à des mesures
fiscales dont auraient à souffrir les classes les plus nombreuses de la
société, déjà frappées par l’impôt dans leur strict nécessaire.
Tout
l’avenir, toute la question des chemins de fer se résout dans une question
d’argent. Construisez à bon compte, administrez sagement et avec économie, pour
que vous puissiez offrir au commerce des péages modérés ; l’utilité sera
démontrée et la réussite sera certaine ; au contraire, si vous construisez à
grands frais, vous vous éloignez du but et vous chargez inutilement le pays de
dépenses considérables.
Loin
de nous de vouloir, par nos observations, arrêter l’essor de la Belgique, car
des compagnies, investies de la confiance générale, offrant toutes les
garanties désirables de moralité et de savoir, sollicitent la concession de
plusieurs chemins de fer ; ces compagnies construiront mieux et à meilleur
compte que le gouvernement. C’est une vérité qui s’applique par gradation. Les
particuliers construisent à meilleur compte que l’Etat et même que les
sociétés. Les chemins de fer ne pouvant être construits par de simples
particuliers, il faut bien recourir à ceux qui, après eux, construiront le
mieux et à meilleur compte. C’est pour les grandes constructions que le code de
commerce a introduit la société anonyme.
«
L’industrie particulière, disait M. Molé en 1833 à la tribune française, a le
secret du juste rapport des avantages et des dépenses. Elle seule sait
approprier les travaux à leur fin, elle seule sait éviter les folles dépenses
où entraîne le grandiose dans les travaux qui ne le réclament pas. »
Ce
goût ruineux pour le grandiose se rencontre chez les ingénieurs de tous les
pays et surtout chez nous ; on construit de beaux et d’énormes bâtiments qui
font l’objet de l’admiration et la réputation des architectes ; on absorbe dans
ces constructions des capitaux immenses, et souvent la partie essentielle,
celle d’utilité et de garantie individuelle, est négligée.
Ces
vues générales, applicables à toutes les natures de travaux possibles en faveur
de compagnies, se fortifient quand il est question de chemins de fer : dans un
chemin de fer il ne s’agit pas uniquement de nivellements, de tracés, de
travaux d’art ; des transactions commerciales y jouent un rôle important. Les
affaires de commerce supposent une aptitude toute spéciale qui ne s’acquiert
que par l’expérience. Les achats de terrains, de rails, de machines, de
locomotives, se font moins bien et à des conditions moins favorables par les
employés de l’Etat que par ceux des compagnies.
Cette
vérité a été si bien sentie en Hollande, où les questions d’intérêt matériel
sont ordinairement bien appréciées, que tout récemment les états-généraux ont
rejeté à l’unanimité, sauf une voix, la proposition du gouvernement, voulant
exécuter lui-même le chemin de fer entre Rotterdam et Amsterdam, Utrecht et
Arnhem.
Notre
loi du 1er mai 1834, autorisant l’exécution d’un système de chemins de fer
qu’elle détermine à charge du trésor public, et par les soins du gouvernement,
n’a été portée qu’après de longues et vives discussions, et ne peut être
considérée qui comme un essai.
Si
l’essai ne répond pas à l’attente de la chambre, elle doit s’empresser
d’abandonner le système et de recourir à d’autres mesures.
L’article
4 de la loi, en attendant la négociation de l’emprunt, autorise l’ouverture au
gouvernement d’un crédit de dix millions à couvrir en tout ou en partie par
l’émission de bons du trésor aux conditions de la loi du 16 février 1833.
D’après
l’article 5, les produits des péages à régler annuellement par la loi doivent
servir à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt, ainsi que les
dépenses annuelles d’entretien et d’administration de la nouvelle voie.
L’article
6 exige qu’avant le 1er juillet 1835, et d’année en année, jusqu’au parfait
achèvement des travaux, il soit rendu un compte détaillé aux chambres de toutes
les opérations autorisées par la loi.
De
nouvelles ressources ont été créées au gouvernement par les lois du 18 juin
1836 et 12 novembre 1837 ; et aujourd’hui que les chemins de fer ont absorbé
près de 34,000,000, on en demande 21,000,000 autres.
Les
péages couvrent-ils les intérêts des capitaux employés aux sections déjà
ouvertes à la circulation ? Nous ne parlerons pas de l’amortissement d’une
partie de l’emprunt, car pour 73 ou 75 qu’il a reçu, le gouvernement doit payer
100. La dette, au lieu de diminuer, est augmentée.
Quelles
sont les dépenses de construction ?
Quels
sont les frais d’administration ?
Quels
sont les produits ?
Quel
est le matériel qui appartient à l’Etat ? où sont les inventaires ?
Il
serait curieux de savoir ce que le gouvernement a payé pour rails et combien il
en a été placé ; c’est ce qui devrait faire l’objet du compte détaillé qu’on
aurait dû nous présenter.
Jamais
il n’y a eu un arbitraire comme dans l’espèce nous occupe. Nous votons
aveuglément des crédits au ministère ; des millions sont absorbés.
De
son côté, le ministre doit mettre deux ou trois millions à la disposition de
MM. les ingénieurs.
La
besogne n’est pas encore assez compliquée, le contrôle n’est pas encore assez
difficile. On veut, si nous sommes bien informés, créer des établissements à
l’instar de ceux de Seraing, des ateliers de fabrication, des hauts-fourneaux ;
on est déjà en marché pour acheter des ustensiles en Angleterre.
On
était jadis très bien avec M. Cockerill, les industriels du pays s’en
plaignaient peut-être avec raison ; aujourd’hui on abandonne Cockerill et les
industriels du pays, et on va chercher à grands frais les locomotives en
Angleterre.
Les
bonnes dispositions envers M. Cockerill semblent avoir fait place à une
animosité qu’il serait difficile d’expliquer.
Cette
animosité est allée si loin qu’on a fait ôter les plaques qui se trouvent sur
les locomotives et qui portent le nom Cockerill ; elles n’ont pas reparu, si
nous sommes bien informés, quoiqu’un arrêté de M. le ministre en ait ordonné le
replacement.
Voyez
l’inextricable dédale dans lequel l’administration du chemin de fer jette le
ministre dans notre pays ; à peine a-t-il redressé quelques abus, que d’autres
le remplacent aussitôt.
J’ai
parlé d’administration du chemin de fer, je me trompe : à vrai dire, il n’y a
pas d’administration, pas de hiérarchie ; l’un marche d’un côté, l’autre de l’autre
; on conçoit difficilement que le gouvernement persiste à vouloir continuer à
ses frais la construction des chemins de fer, alors que des plaintes sur
l’inexactitude du service, je dirai même sur des inconvénients graves de nature
à compromettre la vie des voyageurs, lui arrivent tous les jours ; cela ne
devrait-il pas lui servir de preuve que la direction et l’administration du
chemin de fer ne s’implantent pas dans l’action gouvernementale ? C’est tout un
gouvernement que l’administration du chemin de fer. Autre chose est d’organiser
un ministère, des administrations, et d’organiser une entreprise colossale dans
laquelle il faut la surveillance incessante de l’intérêt particulier, pour en
embrasser tous les détails et prévenir les abus de tous genres auxquels ces
rouages si compliqués prêtent trop facilement occasion. Il n’y a pas de jour
qu’il n’y ait des retards de 2 à 3 heures dans l’arrivée des convois, et déjà
on se prépare à monter des services accélérés pour entrer en concurrence avec
le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, de Louvain à Tirlemont, etc. Les
accidents graves qui se renouvellent sans cesse, éloigneront d’ailleurs les
voyageurs. Il n’y a que trois jours que le convoi de Tirlemont a abandonné le
railway. Certes ce n’est pas à M. le ministre qui dirige le département des
travaux publics qu’il faut en attribuer la faute, mais à la centralisation de
l’action du gouvernement.
L’administration
devrait servir d’exemple. M. le ministre pourrait-il nous dire s’il a action
sur ses ingénieurs ? M. le ministre a porté un arrêté qui défend d’attacher
plus de douze waggons à une locomotive ; hier il y en avait 15 ou 16 ; le
conducteur suivait au pas à côté de la locomotive.
Faut-il,
pour éviter la reproduction de ces abus, destituer et remplacer un de ces
nombreux employés qui se serait rendu coupable d’une inexactitude ou d’une
négligence ; faut-il même réprimander un ingénieur ? Un particulier ne recule
pas devant cette nécessité, mais le gouvernement est obligé de suivre une
filière administrative où des rapports complaisants viennent souvent absoudre
les imprévoyances les plus impardonnables, où l’intérêt de l’administration et
l’amour-propre des fonctionnaires haut placés l’emportent souvent sur l’intérêt
général ; de là des abus permanents, des abus graves qui dégoûtent des chemins
de fer, et font quelquefois regretter les anciens modes de communication.
Comme
il a été démontré, la question d’argent se résout contre le gouvernement, et il
en est de même de la question de temps qui n’est pas moins importante. Si la
construction des chemins de fer avait été confiée à des sociétés particulières,
toute la Belgique serait déjà, à l’heure qu’il est, liée par différentes lignes
au centre commun ; déjà, depuis longtemps des convois de nuit pour les marchandises
seraient organisées, et on ne serait plus à attendre la confection des waggons
nécessaires pour le transport de celles appelées pondéreuses. L’intérêt
particulier aurait tout d’abord et simultanément ordonné toutes les
constructions ; l’intérêt toujours plus lent du gouvernement y va plus
méthodiquement, c’est au jour le jour qu’il fait construire les parties de ce
vaste ensemble. Combien cependant ne doit-on pas être frappé de la perte
immense qu’éprouve le commerce de n’être mis en possession de tous les
avantages que le chemin de fer doit lui procurer qu’un an ou deux ans plus tard
! Partout on se plaint de la cherté du combustible, et on néglige de diminuer
les frais de transport, ce qui seul pourrait amener une diminution dans les
prix.
Le
gouvernement, au lieu de spéculer lui-même, doit surveiller les spéculateurs.
Qu’on impose aux sociétés telles conditions qu’on jugera nécessaires ; que le
gouvernement se réserve de disposer en faveur de l’Etat, dans des circonstances
données, de telles lignes politiques ; que sous le point de vue commercial il
prenne des mesures pour la diminution des péages lorsque l’intérêt général
l’exigera, moyennant une juste indemnité au concessionnaire ; qu’on établisse
telles inspections que l’importance de l’entreprise exigera ; qu’on attache aux
infractions des peines sévères. Là, l’action du gouvernement sera prompte et
utile. Là, le contrôle amènera des résultats, tandis qu’une administration
intéressée qui se contrôle elle-même est à la fois juge et partie.
Le
gouvernement, en abandonnant ses spéculations et en ouvrant la concurrence,
fera cesser ce reproche, de monopole si odieux aux Belges.
Nous
avons entendu le rapport, il y a peu de jours, sur une demande en concession de
M. Vandenbossche et de ses co-intéressés. Il s’agissait d’ouvrir une
communication directe entre Bruxelles et Louvain, et entre Bruxelles et Gand.
Certes, les plus grands avantages doivent en résulter pour le public. Je ne
parlerai pas des avantages des localités ; les Flandres et le pays d’Alost en
retireraient la plus grande utilité ; eh bien, on a jugé à propos de détourner
l’attention de ce projet. Aux termes de la loi sur les concessions, il
s’agissait d’ouvrir des enquêtes, afin de prendre des mesures pour arriver à un
résultat quelconque ; mais on a renvoyé les pétitionnaires à la chambre,
quoiqu’il n’y ait aucun motif pour les y renvoyer ; car c’était une demande de
concession à temps, et elle se trouvait dans les attributions du ministre.
A
la chambre qu’a-t-on fait ? On a fait ce que l’on pouvait faire ; on a ordonné
le dépôt de la pétition au greffe pour renseignement. Tout cela est le résultat
de ce monopole que le gouvernement exerce. Quand il s’agit de l’intérêt public,
si le gouvernement vient se mettre à la place de cet intérêt, tout est perdu.
Je croyais jusqu’ici que l’intérêt public et l’intérêt gouvernemental étaient
les mêmes, mais il paraît qu’ils sont séparés. Quand le gouvernement spécule,
l’intérêt gouvernemental peut se mettre en opposition avec l’intérêt public.
Certes l’intérêt public exige les nouvelles voies de communication directes de
Bruxelles à Gand et de Bruxelles à Louvain ; et si l’on voulait s’expliquer
franchement à cet égard, on dirait que le système adopté pour le centre des
lignes est manqué. C’est pour revenir à des idées plus saines qu’il importerait
que le gouvernement abandonnât ce monopole, tout aussi odieux dans les mains du
gouvernement que dans les mains des particuliers ou des sociétés.
Le
gouvernement, en suivant notre système, évitera cette rivalité entre les villes
et les provinces. N’est-il pas injuste que ceux qui perdent leur cause, voient
une partie de l’impôt qu’ils paient détourné au profit de ceux qui l’auront
gagnée ?
Laissons
donc faire les compagnies ; exigez seulement des garanties et prenez des
précautions.
Nous
terminerons par dire un mot sur la partie financière. Chez nous il n’y a certes
pas d’excédant de recette ; il ne nous reste que la voie d’emprunt, et c’est
celle-là qu’on prend.
Emprunter,
c’est aggraver notre position.
Par
l’emprunt de 100 millions nous avons perdu réellement 30 millions ; pour
73,000,000, nous en avons reconnu 100.
Emprunter
de cette manière, c’est courir à une banqueroute.
Emprunter
pour des chemins de fer quand bientôt nous aurons à trouver des millions pour
remplir des obligations qu’on nous a imposées, quant à la dette de l’ancien
royaume des Pays-Bas, peut- être même pour racheter une partie du territoire
contesté ;
Emprunter
dans un moment où il faudrait payer une dette légitime et criarde, celle des
indemnités ;
Emprunter
en définitive pour des travaux que l’industrie particulière veut exécuter et
exécutera mieux que le gouvernement, alors surtout que pour le gouvernement il
n’y a aucun avantage, c’est un acte de grande imprévoyance ; et si j’osais
donner ici un conseil au gouvernement, je lui dirais : Le temps est venu de
modifier la loi du 1er mai 1834 ; l’essai n’a pas répondu à l’attente.
Si
j’avais un conseil à donner, je dirais au gouvernement : Vendez votre chemin de
fer ; il y a encore assez d’engouement dans les circonstances actuelles pour
que vous en retiriez vos capitaux ; si vous attendez plus longtemps, les
chances ne seront peut-être plus les mêmes. Il est à craindre que les capitaux
que vous avez employés et que vous voudriez employer encore ne soient perdus.
Laissez faire l’industrie particulière ; soyez stricts dans l’exécution des
obligations qu’elle contractera ; Faites des lois sévères contre ceux qui ne
rempliraient pas leurs engagements, et vous atteindrez le but que vous vous
proposez ; vendez vos lignes de chemins de fer, employez le produit aux
indemnités, et laissez les nouvelles lignes à l’industrie.
On
trouverait alors les fonds dont on aura besoin lorsqu’on voudra remplir les
conditions qui nous ont été imposées, lorsqu’on voudra peut-être racheter les
territoires contestés ; on trouverait alors des fonds pour payer une dette
sacrée, celle des indemnités ; le gouvernement, de son côté, se trouverait
retiré d’un véritable chaos, qui doit peser à M. le ministre des travaux
publics.
Dans
ces circonstances, messieurs, il et de notre devoir, avant de voter le nouvel
emprunt, d’obtenir des éclaircissements de M. le ministre des travaux publics :
je me permettrai en conséquence, de lui adresser les questions que voici :
1°
Quelles sont les sommes dépensées pour la construction de chacune des sections
du chemin de fer, actuellement ouvertes à la circulation ?
2°
Quel a été le produit des péages pour chacune de ces sections, depuis leur
ouverture ?
3°
Quels sont les employés attachés à chacune de ces sections ?
4°
Quelle est la hauteur des frais d’administration ?
5°
Le gouvernement pense-t-il qu’il sera nécessaire d’élever le tarif, pour
couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt ?
6° Existe-t-il dans les bureaux du ministère des
inventaires du matériel acquis pour compte de l’Etat ?
7°
Le gouvernement se propose-t-il d’organiser les services de nuit ?
8°
Est-il vrai que le gouvernement va créer des ateliers de fabrication, établir
des hauts-fourneaux, exploiter des houillères pour l’exploitation des chemins
de fer ?
J’ai
dit.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, la loi
du 1er mai, en décrétant l’établissement du chemin de fer, a imposé au gouvernement
l’obligation de présenter chaque année, aux chambres, un rapport sur les
opérations de cette grande entreprise.
Deux
fois, messieurs, je vous ai présenté ce compte-rendu ; mon prédécesseur, avant
moi, vous l’avait également présenté. Le premier des comptes-tendus que j’ai eu
l’honneur de vous soumettre, est du 1er mars 1837, l’autre est du 20 octobre de
la même année. J’aurais pu, à la rigueur, me regarder comme dispensé de
présenter un troisième compte-rendu, celui du 21 octobre dernier pouvant être
considéré comme le compte-rendu de la session ; il ne faut pas deux rapports
par an ; néanmoins j’en ai préparé un nouveau, qui pourra, j’espère, être
déposé cette semaine sur le bureau ; il y sera répondu à tous les points qui
viennent d’être posés par l’honorable préopinant ; toutefois, je pourrai dès à
présent répondre de mémoire à quelques-uns.
Je
croyais, messieurs, je l’avoue, que les questions soulevées par l’honorable
membre étaient des questions jugées, des questions jugées par les votes que
vous avez émis, des questions jugées d’une manière plus solennelle encore, des
questions jugées par les faits. Je trouve, messieurs, que les événements ont
largement répondu à notre attente : quand on veut tenir compte des
circonstances, quand on veut être juste, on doit convenir que nous avons été
heureux dans la construction, heureux, jusqu’à présent, dans l’exploitation du
chemin de fer. Nous avons été heureux dans la construction, puisque le chemin
de fer belge est celui qui, de tous les chemins de fer, coûte le moins en frais
d’établissements.
Le
chemin de fer belge, y compris le matériel, les stations et la double voie,
conterait environ 160,000 fr. par kilomètre ; eh bien, messieurs, j’ai sous les
yeux un relevé de ce qu’ont coûté les chemins de fer dans les autres pays,
exécutées par des compagnies ; le chemin de fer de Liverpool à Manchester a
coûté 700,000 fr. ; le chemin de fer de Londres à Birmingham, 300,000 fr. ; le
chemin de fer de Birmingham à Waringthon, 300,000 fr. ; de Londres à Bristol, 600,000
fr.
Je
ne parte pas du chemin de fer de Londres à Greenwich, qui est construit d’une
manière toute particulière ; il s’élève sur des arcades au-dessus de la ville
de Londres. Il coûte 2 millions par kilomètre.
On
me dit : Citez les chemins de fer français. J’y arrive.
Le
chemin de fer de Lyon à St-Etienne, exécuté par une compagnie, qui a doublé son
capital, a coûté 300,000 fr. par kil, et n’est pas encore entièrement achevé.
Celui
de Paris à St-Germain. 600,090 fr.
Celui
de Paris à Versailles, 400.000 fr.
Celui
de Paris à Lille et Valenciennes est évalué 250,000 francs.
L’expérience
nous permet de dire que nous pouvons faire des chemins de fer à double voie à
raison de 150 à 160,000 fr. par kilomètre. ; le chemin de fer à voie unique
coûte moins encore.
Voilà,
messieurs. des chiffres, en réponse aux assertions de l’honorable préopinant.
Ouvrez,
messieurs, les rapports faits à l’étranger sur le chemin de fer de la Belgique,
lisez l’ouvrage qui vient d’être publié sur les intérêts matériels de la France,
vous verrez que partout on cite le chemin de fer belge comme celui qui a le
moins coûté pour l’exécution.
Je
pourrais, messieurs, entrer dans bien des détails, mais je ne puis m’empêcher
de croire que ces détails ne sont pas susceptibles d’entrer dans une discussion
parlementaire ; ils sont insaisissables ; il faut le secours des yeux ; la
chambre me permettra de m’en référer au rapport que je déposerai très
prochainement sur le bureau.
J’ai
dit, en deuxième lieu, que nous avons été heureux dans l’exploitation ; il ne
restera aucun doute à cet égard, si l’on veut apprécier toutes les
circonstances, si l’on veut les apprécier avec impartialité, si l’on veut être
juste. Nous avons été heureux dans l’exécution, d’abord parce que nous n’avons
eu à déplorer aucune de ces terribles catastrophes qui se renouvellent presque
périodiquement dans d’autres pays ; nous avons eu des accidents, mais des
accidents partiels ; des hommes ont péri, et la vie de l’homme est toujours
précieuse, mais je vous le demande, messieurs, est-ce qu’il ne périt pas aussi
des hommes dans les autres entreprises ? Si l’on tenait compte de
l’exploitation des mines, par exemple, croyez-vous que vous ne seriez pas
effrayés des malheurs auxquels elle donne lieu ? Mais les mines sont exploitées
par des particuliers, et le public ne sait rien de ce qui s’y fait ; je le sais
moi ; si les houillères étaient exploitées par le gouvernement, comme je l’ai
fait remarquer dans une autre circonstance, c’est le ministre dans les
attributions duquel se trouveraient les houillères qu’on rendrait
quotidiennement responsable de la vie des ouvriers qui périssent dans les
entrailles de la terre.
Quand
le gouvernement exploite, il le fait sous l’inspection du public, sous le
contrôle quotidien de la presse, et sous ce rapport l’exploitation du chemin de
fer a quelque chose de tout nouveau ; lorsqu’il arrive un accident à une
diligence, par exemple, il ne contrarie qu’un très petit nombre de personnes,
tandis qu’un accident arrivé au chemin de fer atteint un millier d’individus ;
les diligences les plus chargées contiennent tout au plus 18 personnes : qu’une
diligence soit empêchée de continuer sa route, voilà dix-huit individus de
mauvaise humeur ; mais, 18 personnes ne font pas beaucoup de bruit, leurs
plaintes n’ont pas un vaste retentissement. Les choses sont bien différentes
avec le chemin de fer : qu’un accident quelconque interrompe quelque peu le
service, et voilà deux ou trois milles personnes mécontentes, qui se plaignent
du gouvernement, du ministre qui devrait, pour ainsi dire, se trouver présent à
chaque station.
Le
chemin de fer de la Belgique, messieurs, est exploité aussi bien que les
chemins de fer d’Angleterre ; et cependant, par suite de l’élévation du tarif,
on ne transporte, dans ce pays, qu’un petit nombre de voyageurs. Le tarif belge
n’est pas un tarif aristocratique comme le tarif anglais ; donnez-moi un tarif
comme celui de l’Angleterre, rien de plus facile que l’exploitation du chemin
de fer ; il n’y aurait pas alors des convois de huit cents personnes, il n’y
aurait pas l’embarras de résoudre la question de savoir quand il faut deux
locomotives, quand il en faut trois. Les compagnies ont raisonné tout autrement
que nous ; elles ont dit : Cent voyageurs qui paient 20 fr. valent mieux que
1,000 voyageurs qui paient 2 fr., quoique les uns comme les autres rapportent
2,000 fr. ; la raison en est très simple : c’est qu’on peut, sans de grands
embarras, transporter 100 personnes, tandis que, pour en transporter 1,000, il
faut un matériel énorme, des frais d’administration considérables, des mesures
de surveillance bien plus compliquées.
Les
conditions de l’exploitation des chemins de fer en Belgique sont donc des
conditions d’un genre tout particulier, des conditions qui ne se rencontrent
nulle part ; en Belgique, c’est la foule qu’on transporte sur le chemin de fer
; en Belgique, on a résolu ce problème que jusque-là personne n’avait osé
poser.
L’année
dernière, messieurs, on a transporté 1 million 3 cent mille voyageurs sur le
chemin de fer belge ; sur ce 1,300,000, nous pouvons admettre très facilement
que 200,000 avaient des bagages, et nous accorderons, parce que nous ne voulons
pas exagérer, que chacun n’avait qu’un paquet ; eh bien, messieurs, il n’y a eu
que très peu de pertes, et des pertes à l’égard desquelles l’administration
s’est parfaitement justifiée, pour lesquelles on n’a pas osé intenter de procès
parce qu’il a été prouvé qu’elles sont dues au défaut de précautions prises par
les voyageurs eux-mêmes.
Il
y a, messieurs, 4 ans et quelques jours que la loi qui décrète le chemin de fer
est promulguée, et aujourd’hui environ 40 lieues sont livrées à la circulation.
Messieurs,
j’ose dire que c’est là un beau résultat, un résultat dont nous devons nous
féliciter et dont le pays se félicite : j’en appelle volontiers au pays, j’en
appelle à vous, les organes du pays.
Un
de mes premiers actes de mon administration a été de proposer à la chambre de
faire figurer les frais d’entretien et d’exploitation du chemin de fer au
budget ordinaire de l’Etat. Dès lors, il s’est établi une séparation plus
complète et distincte entre les dépenses d’exécution et les dépenses
d’entretien et d’exploitation.
Par
cette séparation, il a été possible d’établir, au 31 décembre dernier, la
balance, d’une part, entre les dépenses réelles d’entretien et d’exploitation,
et d’autre part, entre les recettes réelles.
Les
dépenses d’entretien et d’exploitation ont été de 1,051,407 fr. ; les recettes
se sont élevées à 1,416,982 fr. ; il reste une somme de 365,875 fr. 93 c. pour
pourvoir au paiement des intérêts des capitaux employés.
Ce
résultat est satisfaisant, parce qu’il faut tenir compte de plusieurs
circonstances. D’abord, plusieurs sections ouvertes sont à leur première année,
et c’est pendant les premières années que l’entretien est le plus coûteux. J’ai
déjà eu occasion de le faire remarquer plusieurs fois à la chambre : c’est que
l’état normal d’entretien est en quelque sorte la troisième année,
D’un
autre côté, le service n’est pas complétement organisé ; les marchandises ne se
transportent pas encore. Je dis que dès lors l’excédant de 365,875 fr. obtenu
sur les dépenses d’entretien et d’exploitation est un résultat qu’on peut
considérer comme satisfaisant.
Voulez-vous
savoir ce qu’aurait probablement fait une compagnie ? S’il s’agissait d’une
compagnie, vous ne sauriez d’abord pas ce qu’un chemin de fer a coûté ; une
compagnie n’est pas tenue, comme le gouvernement, de rendre compte de ses
opérations à qui que ce soit ; personne ne peut interpeller une compagnie. Le
coût du chemin de fer d’une compagnie serait connu tout au plus
approximativement. Une compagnie aurait ensuite adopté un tarif tout différent
; une compagnie aurait adopté un tarif se rapprochant des tarifs anglais ; une
compagnie n’aurait pas transporté la multitude, elle ne se serait adresser qu’à
certaines classes de la société, et les personnes de ces classes, on les aurait
transportées avec beaucoup plus de facilité, avec beaucoup moins d’embarras, et
même avec moins de mesures de police. Dès lors, le chemin de fer n’aurait pas
eu la grande portée sociale qu’il a aujourd’hui ; dès lors, le chemin de fer
n’aurait pas en quelque sorte changé les conditions de locomotion de toutes les
classes de la société, et surtout des classes inférieures.
Messieurs,
l’état du matériel du chemin de fer m’est parfaitement connu. D’après un
règlement qui a été inséré au Moniteur,
le ministre doit recevoir, le 2 de chaque mois, l’état du matériel disponible
et l’état du matériel en réserve ou en réparation. On s’occupe aussi d’un
inventaire général du matériel, inventaire qui sera déposé au ministère. Ainsi,
je le déclare à l’honorable préopinant, l’état du matériel m’est parfaitement
connu par les rapports mensuels que je dois recevoir ; il m’est aussi connu par
tous les certificats de réception qui doivent m’être adressés à l’appui des
demandes de paiement.
Messieurs,
le gouvernement a fait construire à Malines des ateliers en quelque sorte
centraux, et des ateliers pour petites réparations dans quelques autres
stations. Jusqu’à présent ce ne sont que des ateliers d’entretien et de
réparations ; il est impossible que le gouvernement, exploitant le chemin de
fer, ne se charge pas de l’entretien et des réparations du matériel.
Prétendre
le contraire, messieurs, ce serait livrer l’administration du chemin de fer à
la merci de l’entrepreneur, avec lequel il faudrait contracter pour la moindre
réparation ; pour un clou qui manquerait, il faudrait renvoyer la voiture ou la
locomotive chez un industriel qui pourrait être fort éloigné et très négligent.
Je
ne dis pas que si l’exploitation se faisait à proximité du grand établissement
qui a livré les locomotives, on ne pût pas passer un contrat avec le chef de
cet établissement pour entretenir pendant un certain temps au moins les
locomotives qu’il aurait fournies. Encore, un contrat de ce genre
soulèverait-il des questions très délicates, parce qu’il arrive très souvent
que les réparations se font de nuit ; les locomotives et les voitures qui ont
éprouvé des accidents pendant la journée, se réparent d’urgence la nuit, pour
pouvoir être livrées de nouveau à la circulation le lendemain.
Messieurs,
le gouvernement a contracté avec deux entrepreneurs pour les locomotives ; il a
contracté avec M. John Cockerill de Seraing et avec M. Robert Stephenson de
Newcastle. L’industriel anglais a pleinement rempli ses engagements ; il devait
fournir quatorze locomotives, suivant le contrat passé avec mon prédécesseur ;
de mon côté, j’ai fait un nouveau marché avec lui pour huit autres. Et j’ai dû
faire cette commande, parce que l’industriel belge n’avait pas pleinement
exécuté ses engagements. L’industriel belge devait fournir 27 locomotives : ce
marché n’est pas encore accompli.
En
contractant l’autre marché, j’ai eu même soin, pour prévenir toute réclamation,
de consulter l’industriel belge ; il a reconnu que le gouvernement pouvait sans
inconvénient contracter un nouveau marché peu considérable à l’étranger.
Les
rails ont toujours été achetés en Belgique, à l’exception d’un marché peu considérable
qui s’est fait tout au commencement de l’entreprise. Tous les rails ont été
achetés à des prix très élevés.
Messieurs,
l’honorable préopinant a annoncé la résurrection des diligences. Messieurs, que
les diligences se rétablissent, je le veux bien ; mais je me permets d’en
douter. Je consens volontiers à ce que tout le monde vive ; mais à en croire un
rapport que j’ai reçu ce matin, cet événement n’est pas très prochain. Car hier
encore l’affluence était telle sur le chemin de fer que l’exploitation était
devenue pour ainsi dire impossible ; et si l’on n’a pas mis deux locomotives,
c’est qu’il n’y en avait plus. D’après
le rapport que j’ai reçu dans la matinée, tout le matériel était épuisé.
Le
matériel du chemin de fer deviendra immense, toujours pour satisfaire aux
conséquences du tarif qui a fait un appel à la foule. Des commandes seront
faites pour porter d’ici à 6 ou à 8 mois le nombre de locomotives à 80 ou 100 ;
des commandes de nouvelles voitures sont déjà faites ; le nombre devrait être de
500 au 1er juin. Toutes les soumissions sont approuvées depuis le mois de
janvier. Mais on ne fait pas un matériel aussi considérable du jour au
lendemain.
C’est
cette pénurie de matériel qui cause aussi de grands embarras pour
l’exploitation du chemin de fer ; peut-être, pour bien exploiter, faut-il un
matériel superflu ; c’est alors que les combinaisons seraient bien faciles.
Mais,
dit-on, il y a quatre ans qu’on aurait pu faire confectionner le matériel
nécessaire. Mais, messieurs, les idées n’étaient pas fixées sur les modèles ;
les Anglais ne veulent plus de ceux qu’ils avaient suivis jusqu’ici ; nos
modèles, ceux que nous avons inventés, sont reconnus meilleurs que ceux des
pays qui nous ont devancés dans la carrière.
Aujourd’hui
que les essais sont faits, que nous pouvons adopter les modèles dont
l’expérience a prouvé la bonté, nous n’avons pas hésité à faire des commandes.
Et sans doute, si nous les avions faits dans le principe d’après les modèles
anglais, nous nous en repentirions aujourd’hui,.
Et
voyons quelles étaient nos prévisions. Que voulait la loi du 1er mai ? D’après
le mémoire des ingénieurs que j’ai relu ce matin, on avait compté sur 98,000
voyageurs par an entre Malines et Anvers, et sur 100,000 voyageurs entre
Malines et Bruxelles.
Eh
bien, au lieu de 100,000 voyageurs, il en a été transporté 563,2100 entre
Bruxelles et Malines depuis le 5 mai 1835, jour de l’ouverture, jusqu’au 3 mai
1836. Mon prédécesseur aurait-il osé le 4 mai 1835 dire : « Il s’est
transporté un demi-million d’hommes entre Bruxelles et Malines, et je vais
faire commander des voitures pour transporter un demi-million d’hommes.»
Evidemment non.
On
supposait donc qu’on transporterait 198,000 voyageurs entre Bruxelles et Anvers
pendant un an. Eh bien, on a transporté 729,745 voyageurs sur le chemin de fer
entre ces deux villes, dans l’espace de huit mois, du 5 mai 1836 au 31 décembre
de la même année. Ce qui aurait fait plus d’un million de voyageurs par an.
C’est aussi la raison pour laquelle on n’a pas construit de stations, autre
objet de plaintes du public. Il faut construire les stations d’après le nombre
des voyageurs qui se présenteront.
Qui
aurait conseillé au gouvernement d’établir une station à Bruxelles pour une
éventualité d’un demi-million de voyageurs ? L’année dernière on a transporté
4,300,000 voyageurs, c’est à-dire le triple de ce qu’on supposait qu’on
transporterait sur tous les chemins de fer en Belgique.
Ainsi on a fait des stations provisoires, parce
que la prudence exigeait qu’on s’en tînt autant que possible au provisoire ; en
attendant les éventualités, ou a fait un matériel d’essai, parce qu’on a
reconnu que le matériel étranger ne nous présentait pas des conditions
satisfaisantes ; et ce qui prouve que nous avons eu raison, c’est que les
modèles particuliers que nous avons faits, ont réussi à tel point que les
étrangers nous les empruntent.
En
ce moment, une compagnie allemande s’adresse à moi pour me demander des
voitures comme modèles. Les ingénieurs étrangers affluent en Belgique pour
s’enquérir de ce que nous faisons.
Ainsi,
les agents de l’administration, les ingénieurs chargés de l’exécution des
chemins de fer se consoleront bien s’ils sont méconnus par d’honorables
préopinants ; les étrangers leur rendent justice, ils viennent étudier chez nous
la construction et l’exploitation des chemins de fer ; ils se croient dispensés
de passer la mer.
M. Desmanet de Biesme.
- En entendant le premier orateur qui a pris la parole, j’ai dû regretter qu’il
ne fît pas partie de la chambre au moment où nous avons discuté la loi sur le
chemin de fer ; il se serait joint à nous pour s’opposer à ce que le
gouvernement le construisît par lui-même et pour demander que l’industrie
particulière en fût chargée. Nous avions prévu les difficultés qu’il a
signalées, nous avions même poussé l’opposition jusqu’à voter contre le chemin
de fer exécuté par l’Etat. Aujourd’hui la position est-elle la même ? Peut-on
venir arrêter l’exécution de ce qui a été le résultat d’une délibération faite
non sans maturité, mais après un mûr examen ? Nous avions conçu la pensée que
le gouvernement aurait fait le chemin de fer d’Anvers au Rhin, parce qu’il y
avait des raisons politiques pour agir ainsi ? Quand on aurait dû transporter
pour rien les marchandises, il fallait le faire pour lutter avec la Hollande
sur le marché de l’Allemagne.
Le
gouvernement a été amené presque malgré lui à faire le monopole qu’on lui
reproche. Il n’aurait pas pu obtenir son chemin de fer, s’il n’avait pas promis
d’en faire aussi dans les provinces qui se trouvaient déshéritées dans le
projet primitif et dont le commerce se trouvait ainsi menacé. Elles ont adressé
des réclamations à la chambre, et alors est venue la loi du mois de mai 1837
qui complète le système des chemins de fer par l’Etat. Peut-on venir maintenant
dire au gouvernement : Arrêtez vos constructions ? Non ; je regarde la loi de
1837 comme aussi sacrée que celle du 1er mai 1831. Je pense que si on voulait
revenir à un autre système, il faudrait, comme l’a dit un préopinant, arrêter
les travaux de l’Etat dans toutes les directions, vendre à des compagnies les
chemins de fer terminés, et laisser aux sociétés le soin de faire les autres.
Mais
cela est impossible. Que la voie dans laquelle on est entré soit bonne ou
mauvaise, il faut la suivre.
Je
ne veux pas me joindre au préopinant pour adresser des compliments au ministère
français. Il eût été facile au gouvernement belge de mériter les mêmes
compliments : c’était de ne rien faire. Les paroles qu’on emprunte à un membre
du cabinet français pour combattre le système de construction par l’Etat,
peuvent être rétorquées par celles du ministère actuel, qui demande que les
grandes lignes de chemin de fer soient exécutées par le gouvernement. J’insiste
sur ce point, parce que la province que j’ai l’honneur de représenter y est
particulièrement intéressée. Et je saisis cette occasion pour demander à M. le
ministre des travaux publics si bientôt il commencera à mettre à exécution la
loi qui a décrété que les provinces de Namur et du Limbourg seraient reliées au
système général du chemin de fer.
Je dirai à cette occasion qu’une foule de
pétitions sont venues appuyer le projet primitif ; le gouvernement doit
s’entourer de beaucoup de lumières pour décider un point très important pour le
commerce de cette province. Je suis convaincu que M. le ministre ne sacrifiera
pas ses intérêts.
On
a parlé de l’administration. Je sais qu’il y a beaucoup de plaintes, qu’on
éprouve beaucoup de retards. Je pense que la station centrale de Malines peut
être une mauvaise conception qui devra être changée. Mais je sais les
difficultés que le gouvernement doit rencontrer.
Le
ministre les a fait sentir dans sa réponse au député de Bruxelles. Nous ne
pourrons juger le système que quand tous les points principaux seront ralliés
entre eux. Et maintenant, entrés que nous sommes dans la voie de construction
par le gouvernement, nous devons le continuer pour toutes les directions, aussi
bien pour les routes décrétées en 1837 que pour celles décrétées en 1834. Je le
répète, j’appuie sur ce point, et je prie M. le ministre de me dire si bientôt
on donnera exécution aux travaux qui intéressent les provinces de Limbourg et
de Namur.
M.
A. Rodenbach. - Je pense que nous sommes à peu près unanimes
pour reconnaître que les chemins de fer font honneur à la Belgique ; c’est
l’opinion qu’on professe à l’étranger. Si nous voulons des chemins de fer, il
faut voter les fonds, nous devons adhérer à l’emprunt ... J’entends une rumeur.
Est-ce que par hasard on aurait regret d’avoir fait des chemins de fer ? En
1837, malgré les abus qu’il doit nécessairement y avoir eu, il y a eu un
excédant de 40 mille fr. Le peuple n’a pas été accablé d’impôts par suite de la
construction des chemins de fer. C’est le produit de l’exploitation qui a payé
l’intérêt du capital déboursé.
On
dira que, d’après le rapport, on peut penser qu’il y aura plutôt déficit que
boni en 1838. C’est l’encombrement des voyageurs qui est cause de cela ; c’est
parce que le matériel manque, que le produit n’est pas plus considérable ; sans
cela il n’y aurait pas de déficit. Je pense même qu’il n’y en aura pas quand le
matériel sera complété.
Je crois que le revenu augmenterait beaucoup si
le service du transport des marchandises était amélioré. Ou loue à un
entrepreneur un waggon moyennant 30 francs par jour. Il est évident que c’est
trop peu, car cet entrepreneur met au moins trois articles dans son waggon à 50
fr. chacun ; voilà 150 fr., ce qui lui fait 120 fr. de bénéfice. Je ne conçois
pas comment on n’a pas renoncé à cet essai. Le ministre devrait trouver
d’autres moyens pour obtenir un plus grand produit.
Ne
pourrait-on pas mettre en adjudication le taux du prix des transports, comme
pour les barrières ? Il me semble que le gouvernement devrait y songer. Le
ministre qui a étudié à fond la question pourrait sans doute nous donner des explications sur
ce point. Si on devait perdre au lieu de gagner à la construction des chemins
de fer, je m’opposerais à ce qu’on les continuât. Mais je ne pense pas qu’on
puisse perdre si ou augmente convenablement le matériel.
M.
Desmet. - L’honorable député de Bruxelles vous a
prouvé par des faits que la construction du chemin de fer, avec une
administration par régie, est mauvaise. L’honorable ministre des travaux
publics lui a répondu par des faits. Je n’examinerai pas les faits allégués par
le députe de Bruxelles, parce que je les tiens pour fort exacts. Je répondrai
seulement aux faits avancés par le ministre des travaux publics.
Nous
sommes heureux, a-t-il dit, de ce que les faits répondent à notre attente et
prouvent, en premier lieu, la bonne construction du chemin de fer. Pourquoi ?
parce qu’elle a été faite au bon marché ; parce qu’il n’y a pas au monde un
autre chemin de fer qui soit fait à aussi bon compte que le chemin de fer de
Belgique. Mais c’est précisément ce bon marché que je critique ; c’est à ce bon
marché que j’attribue les accidents qui arrivent. Pourquoi ce bon marché ?
Parce qu’on emploie de mauvais matériaux, de mauvais bois qui ne dureront que
peu d’années.
La
Belgique aurait-elle donc le privilège que le bois tendre du peuplier du Canada
y serait aussi bon que le bois de chêne ? Nous savons d’où vient cette mauvaise
construction. Elle vient de ce que, dans la discussion de la loi du 1er mai
1834, on a prédit que les dépenses du chemin de fer seraient considérables.
Aujourd’hui, vous pensez qu’il vous coûtera moins cher, mais vous ne tenez pas
compte de ce que d’ici à peu d’années vous devrez tout remplacer. Où sera alors
le bon marché ? Le chemin de fer n’offrira que quelques accidents de plus. Il
est certain, en effet, qu’en employant du bois du Canada pour soutenir les
rails, vous aurez bien plus d’accidents que si vous aviez employé de la maçonnerie
ou de la pierre, ou des traversines en bois de chênes, qui est aussi bon que de
la maçonnerie puisqu’on sait qu’il résiste sus terre.
Quand
on dit que le chemin de fer ne coûte que tant par kilomètre, le calcul n’est
pas bien établi ; on ne calcule pas les millions que l’on a perdus sur
l’emprunt. Le chemin de fer a déjà coûté au-delà de fr. 39,000,000. Voici son
compte :
Crédit
ouvert par la loi du 1er mai 1834, fr. 10,000,000 ; l’emprunt accordé par la
loi du 18 juin 1836 était de fr. 30,000,000. Après avoir défalqué de ce capital
la somme de 10,000,000 pour le remboursement des bons du trésor émis en suite
de la loi de 1834, et 350,000 fr. pour construction de routes pavées, il vous
restera pour le chemin de fer 19 650,000 fr., et par la loi du 19 novembre
1837, vous avez encore consenti à une émission de bons du trésor pour un
capital de 10,000,000 pour l’emploi du chemin de fer ; lesquelles trois sommes
ensemble s’élèvent à un capital de fr. 39,650,000 ; mais comme il a encore été
employé de cette somme fr. 312,224 pour des routes, le capital crédité pour le
chemin de fer montera à fr. 39,337,776, et en y ajoutant les 27,000,000 qu’on
vous demande en ce moment, vous aurez dépensé en chemins de fer pour l’énorme
capital de fr. 66,337,776.
Avec
cela vous aurez 100 lieues de chemin de fer. Ainsi, chaque lieue vous coûtera
près de 700,000 fr. Ce sera donc comme en France et en partie comme en
Angleterre.
Je
le répète encore, si vous ne prenez pas garde à la mauvaise construction, avant
peu de temps vous aurez des accidents à déplorer ; et on tient très peu compte
de la grande dépense que vous devrez faire quand vous devrez renouveler
entièrement vos traversines de peuplier du Canada, et vous aurez cette dépense
sous peu de temps.
Nous
sommes heureux, dites-vous, dans l’exploitation. Oui, il y a peu d’accidents ;
cependant il y en a, et les derniers qui ont eu lieu, et qui ont été assez
graves, proviennent de la mauvaise construction. Ainsi il y a peu de jours 5
waggons sont sortis des rails : cela ne serait pas arrivé s’il n’y avait pas eu
un rail brisé. Ainsi un malheureux conducteur est mort avant-hier ; il se
tenait à une latte d’un waggon qui s’est détaché ; la mauvaise construction du
waggon est donc la cause de cet accident.
On
a parlé d’irrégularités : à cet égard il faut rendre justice à l’honorable
ministre des travaux publics, les irrégularités ont diminué, il s’en faut bien
qu’il y ait le même désordre qu’auparavant. Il y a de l’ordre ; les comptes
sont régularisés ; il n’y a plus qu’un compte d’un demi-million des premiers
travaux qui n’est pas régularisé. Je rends justice sous ce rapport à M. le
ministre des travaux publics, mais je crains qu’en donnant toute son attention
au chemin de fer, il ne néglige parfois les autres branches de son administration,
et que par suite le nombre des abus n’augmente.
L’honorable
ministre des travaux publics, pour défendre le système de l’administration du
chemin de fer en régie, vous a dit qu’on s’était trompé dans l’évaluation des
produits et surtout quant au transport des voyageurs. Il vous a dit qu’un
demi-million d’individus est transporté par année par le chemin de fer ; mais
ceci est précisément la condamnation de l’administration par régie. Comment !
les transports sont du quadruple de l’évaluation présumée, et cependant le
bénéfice est tellement nul qu’il ne couvre pas les intérêts. Vous ne recevez
pas 4 p. c. tandis que le chemin de fer de Liverpool à Manchester, chemin qui a
tant coûté parce qu’il traverse des marécages, et qui présente des ouvrages d’art
extraordinaires, rapporte jusqu’à 6 p. c. Cela prouve, dans le sens de
l’honorable M. Verhaegen, qu’une société ferait mieux et à meilleur compte.
Mais,
dit-on, il y a lieu d’espérer que d’ici à peu de temps le produit du chemin de
fer augmentera en raison de l’ouverture de plusieurs nouvelles sections ; je
dis qu’il en sera tout autrement parce que les dépenses d’entretien
augmenteront dans une proportion supérieure aux recettes.
Un
objet plus important encore, c’est le monopole qu’exerce le gouvernement en
matière de construction et d’exploitation de chemins de fer. On demande la
concession d’un chemin de fer de Bruxelles à Gand, au moyen duquel on ferait ce
voyage, non pas en 3 ou 4 heures comme par le chemin actuel, mais en 3/4
d’heure. On rejette cette demande comme on rejette celle de construction de
chemins de fer à peu près parallèles à ceux de l’Etat, et une grande partie du
pays en souffre.
Ne
trouve-t-on pas ridicule l’opinion qu’a exprimée un honorable préopinant de
voir ressusciter les diligences ? Pour moi je désire vivement cette
résurrection. Les diligences sont utiles, elles sont nécessaires. Autrefois, de
demi-heure en demi-heure, il passait des diligences sur les principales routes,
aujourd’hui c’est à peine si on en trouve une par jour, tout est mort sur nos
belles routes, et une seule ligne dans tout le pays absorbe tout ! Que
résultera-il de là ? Que tout le monde sera forcé d’avoir un équipage. (On rit.)
Vous
riez, messieurs, mais c’est un fait certain. On devra aller à pied si l’on n’a
pas une voiture à soi, qui vous transporte au chemin de fer.
Je
répète que le monopole du gouvernement pour les chemins de fer est subversif de
l’aisance et de la commodité publique et fera le plus grand tort au commerce et
à l’industrie. A cet égard, au lieu de tourner en ridicule la résurrection des
diligences, on devrait la désirer, car c’était un grand bien pour le pays.
M. Vergauwen.
- Pour Alost.
M. Desmet. - Pour les autres pays
comme pour Alost.
Je
termine en appelant votre attention sur la voie de dépenses effrayantes dans
laquelle on entre pour la construction de chemins de fer.
On
a déjà dépensé, et on ne sait combien il faudra dépenser encore pour
l’achèvement des chemins demandés. On vous a demandé aujourd’hui un
embranchement ; mais je crains qu’il ne soit à la charge de l’Etat. Le produit
en est douteux. Dans quelle position placez-vous les finances de l’Etat ?
J’appelle sur cette question, qui est des plus sérieuses, l’attention de la
chambre et du gouvernement.
A
cet égard je pense avec l’honorable M. Verhaegen, qu’il faudrait vendre les
chemins de fer de l’Etat et laisser faire les concessionnaires, et j’ai
l’intime conviction que si dès l’année 1834 les chemins de fer eussent été
laissés à des concessionnaires, déjà vous auriez eu en Belgique le double de
voies en fer, et que vous n’auriez pas ressenti tout le mal que fait peser sur
le pays le monopole du gouvernement.
M.
Devaux, rapporteur. - Les orateurs qui ont parlé contre le système
actuel de construction et d’exploitation du chemin de fer ont quelque peu égayé
l’assemblée ; il me sera donc permis sans doute de ne pas prendre toutes leurs
objections au sérieux ; cependant il en est quelques-unes que, comme rapporteur
de la section centrale, je ne crois pas devoir laisser sans réponse. La section
centrale a cru le mode en usage pour la construction et l’exploitation des
chemins de fer, chose tellement jugée par la chambre et par les faits, qu’elle
n’a pas cru devoir insister dans son rapport sur cet objet, auquel se rattache
plus ou moins la loi en discussion.
Un
de ces orateurs qui vient de se rasseoir, n’a guère fait que reproduire les
objections qu’il avait présentées lors de la discussion de la loi du 1er mai
1834. L’autre qui ne faisait pas partie de la chambre à cette époque a exprimé
une crainte que l’on exprimait il y a 4 ans dans la même discussion. A cette
époque, ce qui effrayait surtout, c’était que la construction du chemin de fer
par le gouvernement eût lieu sans économie, c’était que les ingénieurs du
gouvernement dépensassent plus d’argent que les compagnies ; aujourd’hui je
crois qu’il ne serait plus permis de renouveler l’expression de pareilles
craintes. Vous venez d’entendre M. le ministre des travaux publics faire
justice d’une erreur échappée à M. Verhaegen qui a prétendu que nos chemins de
fer seraient construits à plus grands frais que ceux faits en Angleterre par
les compagnies. Les chiffres répondent suffisamment à ce qu’a dit M.
Verhaegen... J’entends dire à cet honorable membre qu’il n’a pas dit cela. Je
lui rappellerai cependant qu’il a dit que tout se fait d’une manière grandiose.
Je suppose qu’il aura voulu dire que tout coûte plus cher, car si on faisait du
grandiose à meilleur compte, personne ne s’en plaindrait ; mais le grandiose
est ce qu’il y a de moins dans notre chemin de fer ; ceux qui ont vu des
chemins de fer à l’étranger en ont été frappés.
Si
vous comparez le grandiose des constructions du chemin de fer de Manchester à
Liverpool avec la simplicité des constructions du nôtre, vous trouveriez que le
nôtre a l’air très mesquin. Si vous comparez notre chemin de fer avec le court
chemin de fer de Paris à St-Germain, vous trouverez encore que le nôtre et sans
grandiose ; aussi plusieurs personnes venues dans le pays pour voir les chemins
de fer ne les ont pas trouvés assez grandioses.
Un
autre orateur prétend aussi que les constructions ont été faites à trop bon
marché : ceci étant une question technique, je me sens incompétent pour la
résoudre. Quoi qu’il en soit, j’approuve le gouvernement d’avoir choisi les
justes proportions où il est resté pour le chemin de fer ; il a eu raison de ne
pas construire sur une trop grande échelle, et sur une double voie.
La
nécessite de la double voie n’est pas chose démontrée sur toutes les parties de
la route ; et je crains même que le gouvernement ne cède trop facilement aux
réclamations qui seraient faites pour obtenir la double voie. L’expérience
apprendra bientôt au gouvernement qu’elle n’est pas utile partout. Il faut
attendre que nous soyons dans des conditions normales par rapport au chemin de
fer, et nous n’y sommes pas encore, pour juger des améliorations dont il pourra
être susceptible.
le
chemin de fer a été critiqué sous le rapport de la sûreté des voyageurs : mais
il me semble que si tous les voyageurs qui ont été transportés par les chemins
de fer, et le nombre en est grand, avaient été transportés par les diligences,
ils auraient été exposés à plus d’accidents qu’ils n’en ont éprouvé.
Le
bonheur avec lequel on a exploité les chemins de fer est vraiment admirable. Un
seul accident provenant de la faute de l’administration n’est pas à déplorer.
Quelques personnes, il est vrai, y ont perdu la vie, d’autres ont été blessées
; mais toujours ç’a été par suite de leur propre imprudence.
Je
crois qu’il est impossible d’avoir une plus grande sûreté pour les marchandises
; car il n’y a pour ainsi dire rien eu de perdu parmi les effets des voyageurs.
Le nombre des voyageurs a été énorme et a dépassé toute prévision ; cependant
il n’y a eu de perdu qu’une guitare pendant toute une année.
Les
retards qu’éprouvent les convois sont sans doute chose fort contrariante, mais
ces choses étaient-elles à prévoir ? Quand, au lieu de cent mille voyageurs sur
lesquels on comptait, il y en a sept ou huit cent mille, il peut bien y avoir
des retards. Lors même qu’une compagnie eût été à la tête de l’exploitation,
elle n’aurait pu parer à de tels inconvénients.
Mais,
dit-on, les chemins de fer sont un monopole et un monopole odieux : je ne
connais pas le moyen d’exécuter un chemin de fer sans monopole ; et je préfère
au monopole exercé secrètement par une compagnie celui du gouvernement qui est
surveillé, contrôlé et par les chambres et par le public. Si j’avais quelque
crainte à cet égard, ne serais-je pas rassuré par le soin minutieux avec lequel
on épluche les moindres griefs que l’on croit avoir contre l’administration du
chemin de fer ? Il serait à désirer que dans les compagnies qui entreprennent
des chemins de fer, il se trouvât des actionnaires qui fissent aux directeurs
et aux administrateurs des questions aussi multipliées que celles qu’on adresse
au ministre des travaux publics ; malheureusement il n’en est pas ainsi.
M.
Desmet a dit que par suite de l’érection des chemins de fer, tout le monde
serait bientôt obligé d’avoir équipage, parce que les lignes des chemins de fer
ne suivent pas exactement les lignes des anciennes diligences. Par exemple,
pour aller de Bruxelles à Gand, on allait autrefois par Alost, maintenant on
passe par Termonde et les habitants d’Alost sont obligés d’aller à Termonde, ou
à pied, ou en voiture. Mais il faut bien que le chemin de fer passe quelque
part ; et comme il ne peut passer partout, l’inconvénient signalé par
l’honorable membre est inévitable pour une localité ou une autre.
Un
des effets du monopole, dit-on encore, c’est que le gouvernement n’accorde plus
d’autres concessions de chemins de fer ; mais quand même les chemins de fer
eussent été concédés à une compagnie, je doute fort qu’on accordât toutes les
demandes d’embranchement qui seraient faites par d’autres compagnies. Le
gouvernement ne pourrait approuver tous les plans qui lui seraient présentés ;
il empêcherait les diverses compagnies de se ruiner les unes les autres. Eh
bien, ce droit qu’il exercerait à l’égard des diverses compagnies, il est très
juste qu’il l’exerce à son propre égard.
Le
chemin de fer a un côté financier et un côté qui ne l’est pas, et peut-être ce
côté n’est-il pas le moins influent. On a dit que le gouvernement aurait dû
céder l’entreprise aux compagnies, et l’on a cité l’exemple du gouvernement
français ; exemple assez mal choisi, puisque le gouvernement français a demandé
à imiter le nôtre. On a avancé que tous les gouvernements repoussaient notre
système ; et l’assertion n’est pas heureuse, puisque tous les gouvernements
demandent à construire eux-mêmes.
En
Hollande, il y a peu de jours, on a décidé la construction par le gouvernement.
En Italie, si je suis bien informé, on prépare en ce moment des lois pour faire
exécuter des chemins des fer par le gouvernement : aussi, loin que ce mode soit
repoussé, l’exemple de la Belgique est suivi, et le système des concessions aux
compagnies ou aux particuliers a beaucoup perdu.
On
prétend encore que le chemin nécessitera des mesures fiscales dont les classes
les plus nombreuses auront à souffrir. Je demanderai si jamais on a montré plus
de sympathie pour les classes nombreuses que par les chemins de fer exécutés
par le gouvernement ? En Belgique ces chemins sont devenus populaires ; ils
sont à la portée de tout le monde ; comparez les prix de transport qu’ils
coûtent avec ceux des compagnies, et vous verrez ce qu’il faut penser de
l’objection qui est faite.
J’ai
dit que les chemins de fer avaient un côté autre que le côté financier, c’est
le côté politique. Sous le rapport financier toutes les prévisions ont été
dépassées ; sous le rapport politique les chemins de fer ont fait le plus grand
honneur à notre administration ; tous les étrangers qui les ont visités ont
loué le gouvernement de les avoir entrepris et de les avoir exécutés comme ils
le sont. Mais si à l’étranger les chemins de fer nous obtiennent des suffrages,
à l’intérieur ils ont contraint les partis à se dissoudre ; et ils ont payé à
la patrie les soins qu’elle a pris pour les ériger.
On
a parlé encore de l’exploitation ; mais l’exploitation d’une telle œuvre
peut-elle se juger dès aujourd’hui ? On nous avait assuré que cette
exploitation serait très onéreuse ; maintenant, tout en avouant le contraire,
on voudrait qu’ils rapportassent des sommes immenses. Je le demande encore,
pouvez-vous juger actuellement de l’exploitation quand vous payez des intérêts
pour des capitaux qui ne rapportent encore rien ? Pouvez-vous juger de cette
exploitation quand toutes les lignes ne sont pas construites, quand le
transport des marchandises n’est pas encore organisé ? Pouvez-vous en juger
quand jusqu’ici ou n’a pu s’occuper que de la construction elle-même ?
Je
crois qu’il reste beaucoup faire, qu’il est impossible que le gouvernement ait
trouvé, ou plutôt imaginé, toutes les améliorations dont l’entretien du chemin
de fer et les différentes parties du service sont susceptibles ; je pense qu’il
devra s’occuper de ces améliorations ; mais on ne peut exiger que toutes choses
soient faites à l’avance. Des essais sont de rigueur dans cette matière.
Pour
une compagnie, comme pour le gouvernement, ce n’est qu’après des essais qu’on
arrive à organiser tout définitivement. Je pense que, relativement à
l’administration, le gouvernement devra s’attacher des hommes spéciaux pour le
chemin de fer, des hommes s’occupant sur les lieux des moyens d’en
perfectionner l’exploitation. Peut-être conviendrait-il, à cet égard, d’imiter
ce qui se passe dans des sociétés qui paient des hommes chargés d’indiquer les
économies qu’on peut effectuer ; peut-être faudrait-il stimuler ces hommes en
leur accordant un tantième dans les économies réalisables.
Dans
un gouvernement représentatif, quand des fautes ont lieu, un grand avantage,
c’est qu’elles sont passagères ; c’est qu’il y a des orateurs sévères qui les
reprochent à l’administration ; alors le gouvernement rectifie ses fautes, et
elles sont l’occasion d’améliorations. Ici, le contrôle du public, qui, Dieu
merci, est assez largement exercé, profite au gouvernement et au pays. Avec les
compagnies, messieurs, une fois que le cahier des charges est accepté, que les
conditions sont faites, on a beau faire des interpellations, le mal est sans
remède. Ce mal nous l’avons signalé en 1834, nous avons fait voir alors quelle
différence il y avait entre les prix du gouvernement et ceux demandés par la
compagnie à laquelle on aurait pu concéder le chemin de fer.
Il
est donc incontestable, messieurs, que dans tous les détails de l’exploitation
il s’introduira plus de régularité, plus d’économie qu’on n’a pu en introduire,
lorsqu’on est encore forcé de marcher à la hâte, lorsque tous les six mois on
ouvre une section nouvelle. Je crois même qu’on a déjà fait des progrès dans
cette voie, si je suis bien informé ; les réparations, par exemple, se font
plus économiquement ; tout cela on ne pouvait pas le faire dès l’abord ; il
fallait aller au plus pressé, il fallait que les voyageurs pussent faire le
trajet avec sûreté.
On ne peut pas encore fixer le maximum des
produits du chemin de fer, parce que ce maximum dépend de l’ouverture de
nouvelles sections, de l’organisation du transport des marchandises, du parti
qu’on peut tirer, par exemple, du service de nuit.
Il
est également impossible de juger des frais, parce que les frais n’ont encore
rien de définitif, parce qu’il doivent être beaucoup plus considérables
aujourd’hui que dans la suite, attendu qu’on n’est pas encore dans des
circonstances normales, qu’il faut encore faire beaucoup de dépenses qui
pourront être supprimées ou réduites plus tard.
Je
crois donc, messieurs, que jusqu’à présent le chemin de fer a tenu bien au-delà
de ce qu’il avait promis, et que des propositions du genre de celles qui ont
été faites, de vendre le chemin de fer aux compagnies, trouveront toujours à la
chambre l’accueil qu’elles y ont reçu dans d’autres circonstances.
M.
Desmet. - Messieurs, l’honorable préopinant croit que
je m’oppose au mode actuel d’exploitation du chemin de fer, parce que la
section de Bruxelles à Gand ne passe pas par Alost ; loin de là ; j’ai toujours
été opposé à l’exécution du chemin de fer par l’Etat, et les faits prouvent
aujourd’hui que je n’ai pas eu tort. Si le gouvernement voulait se désister du
monopole qu’il exerce et accorder la concession d’un chemin de fer de Bruxelles
à Gand, qui est demandée par un certain M. Vandenbossche, la ville d’Alost et
300,000 habitants de ces localités auraient leurs apaisements. Si je critique le
monopole du gouvernement, c’est parce qu’il est cause qu’il n’y aura qu’une
seule ligne de pays qui jouira des avantages du chemin de fer, tandis que tout
le reste verra sa position empirer en proportion de la faveur qu’auront reçue
les localités privilégiées.
On a voulu tourner en ridicule ce que j’ai dit
de l’anéantissement des diligences ; je soutiens que les diligences ont de la
plus grande utilité pour le public, pour le commerce et l’industrie ; et, je le
répète encore, si les choses continuent à marcher comme elles marchent
actuellement, on sera obligé d’aller à pied ou de tenir équipage.
Je
voudrais donc que le gouvernement ne s’obstinât pas autant à conserver le
monopole, et qu’il accordât la concession qui est demandée d’un chemin de fer
de Bruxelles à Gand dans une direction plus directe, qui serait dans l’intérêt
d’une population de plus du 300,000 habitants qui est demandé par les villes
d’Alost, Grammont, Ninove, Lessines, par un grande partie du Brabant, de la
Flandre et du Hainaut, et qui compenserait tout le mal que fait à ces contrées
le chemin de fer de l’Etat, par la privation d’autres moyens de transport dont
il est la cause.
M.
Demonceau. - Messieurs, je ne faisais pas partie de la
chambre lorsque la loi du 1er mai 1834 a été votée ; si j’avais siégé dans
cette enceinte, j’aurais appuyé la loi, j’aurais voté pour que le chemin de fer
fût construit par l’Etat et exploité par l’Etat ; je ne partage donc en aucune
manière l’opinion qui a été défendue aujourd’hui par quelques honorables
membres, qui voudraient que le gouvernement vendît le chemin de fer.
On
parle de monopole, messieurs ; mais je crois que c’est bien à tort qu’on fait à
cet égard un reproche au gouvernement ; le gouvernement pourrait-il accorder
une concession sans concéder un monopole ? La société qui deviendrait
concessionnaire d’une ligne de chemin de fer n’aurait-elle pas le droit
exclusif de parcourir cette ligne et de fixer son tarif ? Que le gouvernement
achève le chemin de fer, et lorsqu’il sera achevé, s’il nous prend envie de
faire une spéculation, soyez persuadés, messieurs, que nous trouverons à le
vendre avec un bénéfice considérable.
« Le
chemin de fer, dit-on, ne produit pas ce qui est nécessaire pour couvrir les
dépenses. » Songez donc, messieurs, que vous voyagez pour la moitié du
prix que vous paieriez à une société ; croyez-vous qu’une société particulière
se chargeât de transporter des voyageurs de Bruxelles à Liége pour 2 à 3
francs, tandis que les diligences coûtent 14 francs ? Eh bien, messieurs,
malgré le bas prix du transport, lorsque le chemin de fer sera entièrement
construit, lorsque le service sera définitivement organisé, il procurera des
ressources considérables au trésor, il rapportera annuellement plus de 10 p. c.
des sommes qu’il aura coûté.
Ce
n’est cependant pas dans un intérêt financier que le chemin de fer a été
décrété, c’est dans un but plus élevé ; c’est pour consolider notre
nationalité, pour rapprocher les habitants des différentes parties du pays,
pour concilier les opinions, pour resserrer les liens qui doivent unir de plus
en plus tous les habitants de la Belgique.
Vous
vous plaignez des produits du chemin de fer ; mais faites donc attention que
les capitaux qui sont employés aujourd’hui aux constructions non achevées, ne
produisent encore rien. Vous avez dépensé des sommes considérables pour
construire la route d’Ans ; cette route vient seulement d’être livrée à la
circulation, ce n’est que maintenant qu’elle va produire. Ce n’est que quand
toutes les sections seront ouvertes, quand le service sera complétement
organisé, que vous pourrez apprécier, avec exactitude, les produits du chemin
de fer ; et alors, soyez-en persuadés, vous aurez lieu d’être satisfaits.
L’honorable
M. Desmet se plaint du bois qu’on emploie à la construction du chemin de fer :
je ne connais rien en cette matière, mais je dois faire part à la chambre d’une
conversation qui a eu lieu en ma présence entre des ingénieurs de la société
qui doit construire le chemin de fer de Cologne et des ingénieurs belges ; ces
messieurs, reconnaissaient tous que le bois de chêne coûte trois fois autant
que le bois que nous employons ; nous faisons donc là une économie notable, je
dois cependant ajouter que les ingénieurs de la société du chemin de fer de Cologne
disaient que les conventions portaient que le bois de chêne devait être employé
de préférence.
Maintenant,
messieurs, je dirai un mot de la partie du chemin de fer d’Ans à la frontière
prussienne ; aujourd’hui que la société de Cologne désire ardemment voir la
Prusse en contact avec la Belgique, je demanderai à M. le ministre des travaux
publics s’il a l’espoir de tenir la promesse qu’il nous a faite, il y a à peu
près 8 mois, d’exécuter très prochainement cette ligne ? Au mois d’octobre
dernier, je me suis plaint de ce que la route de Liége à la frontière
prussienne n’était pas encore mise en adjudication, de ce qu’elle paraissait
même en quelque soute abandonnée ; M. le ministre me répondit que la section de
Tirlemont à Liège serait terminée très prochainement, que l’étude de la route
de Liège à la frontière de Prusse était très avancée, que très prochainement il
mettrait en adjudication la section de Liège à Fraipont.
Je
n’en veux aucunement à M. le ministre des travaux publics de ce qu’il prend les
plus grandes précautions avant d’entreprendre les travaux dont il s’agit,
cependant je dois lui dire que les populations de ces localités attendent avec
la plus vive impatience la construction de la communication qui leur est
promise ; les frais de transport sont énormes dans ce pays ; les produits qui
sont employés dans nos manufactures, surtout la houille, ont haussé
considérablement ; vous comprenez, messieurs, quel avantage nous devons retirer
d’une route qui diminuera si fortement le prix du transport.
D’un
autre côté, messieurs, si vous consultez l’esprit de la loi de 1834, vous
verrez qu’elle a eu principalement pour objet de réunir l’Escaut à la frontière
du Nord ; cependant on s’occupe d’embranchements, tandis que la ligne
principale ne sera pas achevée d’ici à longtemps ; car M. le ministre a dû
rencontrer, et il rencontrera dans cette direction des travaux difficiles qui
occasionneront beaucoup de retards ; il serait donc urgent de commencer, car
quelqu’activité qu’on y mette, il faudra toujours encore longtemps avant que
nous ne voyions la fin des travaux. il y a sept mois que la route dont je parle
devait être mise en adjudication ; les sept mois sont écoulés, et nous sommes
tout aussi avancés que le premier jour ; le chemin de fer ira à Ostende que
l’on n’aura pas encore commencé la route de Liége à la frontière prussienne.
J’espère
que M. le ministre des travaux publies voudra bien me dire à quel point nous en
sommes pour le chemin de der dont il m’a promis, depuis si longtemps,
l’exécution, et qu’il fera tout ce qui sera en lui pour remplir enfin sa
promesse. Je voterai l’emprunt tel qu’il est proposé.
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La séance est levée à 4 heures et demie.