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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16
février 1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Fixation de l’ordre des travaux de la
chambre. Canal de Zelzaete à la mer du Nord (de
Muelenaere), chemins vicinaux (Lebeau, de Theux, Lebeau)
3) Projet de loi relatif à l’abonnement des
débitants de boissons distillées. Second vote des articles. Non-prise en compte
dans le calcul du cens électoral (de Theux), conditions
d’assujettissement (Dubus (aîné), d’Huart,
Vandenbossche, Lebeau, Pirson, A. Rodenbach, Demonceau, Dubus (aîné), Simons), application aux cantines militaires (Willmar, de Langhe, Pirson)
4) Projet de loi prorogeant la loi sur les
étrangers
5) Rapport sur des pétitions relatives à la
réforme de la législation électorale, notamment en ce qui regarde l’uniformité
du cens électoral (Dechamps, de
Jaegher, Pollénus, (lecture in-extenso du rapport)
Dechamps, Verhaegen, Dechamps, Verhaegen, Zoude, Dubus (aîné), Dolez,
Dechamps, Dolez, de Brouckere, Dechamps, Verhaegen)
6) Projet de loi majorant les droits sur le
tabac
7) Projet de loi majorant les droits sur les
bois étrangers
8) Fixation de l’ordre des travaux de la
chambre. Naturalisations et feuilletons de pétitions (de
Brouckere, d’Huart, Dumortier,
Lebeau, Dumortier, Ernst, Gendebien, de Brouckere, Dumortier)
9) Analyse des pétitions relatives à la réforme électorale
(Moniteur belge n°48, du 17 février 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.
M.
Lejeune lit le procès-verbal de la dernière séance ; la
rédaction en est adoptée.
M.
B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le
sieur P-J, Lemaire, aîné, marchand tailleur à Anvers, né en France et habitant
la Belgique depuis 1823, demande la naturalisation. »
-
Cette pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice.
________________
« Les
directions des polders d’Ordam, Lillo, et communes environnantes, et Muysbrock
et Ellenhoven, réclament le paiement de diverses sommes avancées par elles pour
la construction et la réparation des digues. »
-
Cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions.
_______________
-
La chambre ordonne le renvoi en sections du projet de loi relatif aux chemins
vicinaux présenté par le gouvernement dans une des dernières séances.
FIXATION DES L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. de Muelenaere (pour une motion
d’ordre.) - Il y a quelque temps j’ai fait à la chambre la proposition de
mettre à l’ordre du jour le projet de loi relatif au canal de Zelzaete,
présenté par un de nos collègues. Une seule objection me fut faite à cette
époque, c’est qu’il convenait de ne pas interrompre la discussion des budgets.
J’ai accepté cette objection, et j’ai retiré ma proposition en déclarant que je
la reproduirais. J’ai exposé alors les motifs qui rendaient, pour les Flandres
surtout, la décision de cette affaire extrêmement urgente. Il est important, il
est juste que ce projet de loi soit examiné. Je propose donc de faire une
motion formelle à cet égard, après avoir prié M. le président de vouloir bien
dire s’il a été pris quelques mesures au sujet de la proposition de l’honorable
M. Lejeune, concernant le canal de Zelzaete.
M. le
président. - Le président s’est réuni aux présidents des
sections afin de fixer l’ordre du jour des sections, et le projet relatif au
canal de Zelzaete a été compris dans les objets qui doivent être mis à l’ordre du
jour des sections.
M. Lebeau.
- Le projet de loi sur les chemins vicinaux est renvoyé dans les sections. Ce
projet est d’une très grande importance ; car de la loi à intervenir dépend le
bon état de la voirie vicinale. Je crois donc qu’il serait utile que la chambre
s’entourât de tous les renseignements possibles. M. le ministre de l'intérieur
a dit que les députations permanentes ont été consultées sur le projet de loi,
avant qu’il soit soumis à la chambre. Je
demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il croit qu’il y aurait de
l’inconvénient à faire imprimer les délibérations des députations permanentes
sur ce projet de loi et à les faire distribuer, comme on est dans l’habitude de
faire imprimer et distribuer les avis des chambres de commerce, lorsqu’il
s’agit de lois de douanes. Je crois que non seulement les députations
permanentes, mais encore les conseils provinciaux, ont exprimé leur avis sur ce
projet de loi. Je voudrais savoir s’il y aurait de l’inconvénient à réunir ces
avis et à les faire distribuer à la chambre pour rendre la discussion le plus
courte possible.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères
(M. de Theux). - Les conseils provinciaux ne se sont en
aucune manière occupés du fond. Quant aux députations permanentes, il est vrai
que leur avis a été pris sur un avant-projet ; mais le projet, tel qu’il est
rédigé, est peu en harmonie avec les observations qui ont été faites. Je crois
que de l’impression de ces avis pourrait résulter beaucoup de confusion, sans
aucune utiité. Du reste, j’examinerai la chose. Je verrai jusqu’à quel point on
peut mettre les observations des députations permanentes en rapport avec le
projet de loi.
M.
Lebeau. - Je n’insiste pas ; Je m’en rapporte à la
déclaration de M. le ministre de l'intérieur. Je persiste à croire qu’il est
utile que la chambre prenne connaissance de l’avis des députations permanentes
sur les questions les plus importantes du projet, comme celle des prestations
en nature on en numéraire. Je sais que des conseils provinciaux ont aussi
exprimé leur avis sur cette question, qui est la question dominante du projet.
On pourrait réunir ces avis et les faire distribuer. Du reste, je m’en rapporte
complétement, je le répète, à la déclaration de M. le ministre de l’intérieur.
PROJET DE LOI RELATIF A L’ABONNEMENT DES DEBITANTS DE
BOISSONS DISTILLEES
Second vote des articles
M. le
président. - La discussion est ouverte sur l’article
premier ainsi conçu :
« Art.
1er. Indépendamment des impôts existant actuellement, il sera perçu, à partir
du 1er avril 1838, un droit de consommation sur les boissons distillées à
l’intérieur ou à l’étranger, et autres boissons alcooliques qui seront vendues
en détail ; le droit sera acquitté par voie d’abonnement et d’avance, sur la
déclaration que devront faire les débitants en détail desdites boissons, aux
bureaux qui seront indiqués à cette fin par le gouvernement.
« Ce
droit ne sera pas compris dans le cens électoral. »
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je vois que l’honorable auteur de
l’amendement n’est pas présent. Je crois que, dans sa pensée, le droit ne doit
être compris dans aucun cens électoral. Je pense donc qu’au lieu de « Le
droit ne sera pas compris dans le cens électoral, » il faudrait dire :
« Le droit ne sera compris dans aucun cens électoral.’
-
Cette modification est mise aux voix et adoptée.
L’article
premier est adopté avec cette modification.
La
chambre passe à l’article 2 ainsi conçu :
« Est
réputé débitant en détail de boissons distillées, et, comme tel, tenu à
l’abonnement mentionné à l’article précédent :
« 1°
Quiconque en donne publiquement à boire chez lui ;
« 2°
Celui qui en vend ou livre par quantité de deux litres ou au-dessous à la
fois. »
M. Dubus (aîné). - La section
centrale avait proposé de fixer la quantité à un litre. C’est par amendement
qu’on a proposé le chiffre de deux litres. Je crois qu’en cela on n’a pas pris
en considération que cette loi ne s’applique pas seulement aux débitants de
genièvre, mais aux débitants de toute espèce de boissons alcooliques. Or, en ce
qui concerne les autres espèces de boissons alcooliques, la plupart des
personnes ne s’en approvisionnent pas par quantités excédant un litre ; et ce
n’est pas chez les débitants en gros qu’ils les prennent. Je crois que
maintenir la disposition adoptée au premier vote, ce serait contrarier dans
leurs habitudes une foule de personnes, et gêner dans leur commerce les
débitants de boissons alcooliques autres que le genièvre. Je pense donc qu’il
convient d’adopter le chiffre d’un litre proposé par la section centrale.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Je me suis
opposé, dans la première discussion, à la proposition de la section centrale
qui substituait la quantité d’un litre à celle de cinq litres proposée par le
gouvernement ; les raisons que j’ai déduites alors étaient notamment que cette
disposition offrirait un moyen d’éluder souvent la loi ; j’ai dit que des
militaires, des ouvriers pourraient se réunir pour se procurer, au plus bas
prix possible, des boissons distillées par quantité d’un litre, qu’ils iraient
boire dehors, dans la rue ou ailleurs ; d’où j’ai conclu qu’il y aurait là une
facilité pour la consommation du genièvre, facilité que nous devions
restreindre pour rester fidèles aux principes du projet.
Toutefois,
messieurs, j’ai pensé que le minimum de deux litres ne pourrait occasionner
aucune gêne, ni pour les détaillants, ni pour les particuliers, et j’ai ramené
là la proposition primitive de 5 litres. Je n’insisterai pas davantage
aujourd’hui, espérant que vous trouverez convenable, sur ces mêmes motifs, de
maintenir le premier vote.
J’ai
à vous proposer, messieurs, dans ce même article 2, une disposition nouvelle,
motivée sur la suppression, admise au premier vote, du mot
« distribue » dans le secundo de cet article. Vous avez ainsi
considéré comme débitant de boissons distillées celui qui vend ou livre ces
boissons par quantité de deux litres du au-dessous, et non celui qui distribue.
Dans la discussion du premier vote, je me suis oppose à la suppression dont il
s’agit, parce que je pensais que, dans beaucoup de cas, l’administration ne
pourrait pas prouver le fait de la vente au débitant de boissons distillées,
qui, pour échapper à loi, prétendrait n’avoir pas vendu, mais distribué
gratuitement ces boissons. La chambre n’a pas admis ma conclusion, dans la
crainte que des propriétaires, des particuliers, pour avoir distribué quelquefois
du genièvre à des ouvriers qu’ils emploieraient, ne fussent inquiétés au moyen
des termes généraux de la disposition proposée ; or j’ai à vous soumettre une
nouvelle rédaction qui remplira le but que le gouvernement s’était proposé et
qui n’ouvrira aucunement la voie aux tracasseries que vous avez eu en vue
d’éviter en rejetant les expressions « ou distribue. »
Je proposerai d’ajouter au n°3 ainsi conçu :
« Ceux qui, tenant boutique de toute autre denrée ou marchandise, livrent
ou distribuent des boissons alcooliques par quantités inférieures à un ou deux
litres (suivant la décision que va prendre la chambre), et sans distinction si
cette distribution se fait gratuitement ou à prix d’argent. »
De
cette manière les marchands de tout autre chose que de genièvre, des marchands
de fil ou de tabac, par exemple, qui, donnant du genièvre à boire aux personnes
qui iront acheter du fil et du tabac chez eux, ne feront pas payer ce genièvre
directement, mais en compteront le prix dans celui de l’objet livré ; ces
marchands, dis-je, seront à juste titre atteints par la disposition. Vous
n’ignorez pas, messieurs, que chaque jour, dans toutes les boutiques où l’on
n’est pas censé vendre des liqueurs alcooliques, on en distribue cependant à
tous ceux qui ont occasion d’en demander ; c’est pour atteindre ce débit
déguisé que je crois qu’il importe d’adopter le paragraphe dont je viens de
vous donner lecture.
M. Vandenbossche. - Je demanderai si
on ne doit pas faire une exception pour les liqueurs fines qui ne se vendent
que par petits flacons et même par pinte. Ne pourrait-on pas borner
l’application de la disposition au genièvre et à l’eau-de-vie ? Il n’est pas
dans l’intention de M. le ministre des finances de gêner le commerce des
liqueurs fines ; mais il devra il s’expliquer à cet égard.
M.
Lebeau. - L’honorable M. Dubus n’est pas plus que moi
disposé à faciliter le débit des boissons alcooliques, mais il a été préoccupé
de la gêne que l’application de la loi entraînerait pour les marchands de
liqueurs fines, punch, anisette, curaçao.
L’honorable
M. Vandenbossche voudrait qu’on restreignît la disposition dont il s’agit à
l’eau-de-vie et au genièvre. Je ferai observer que si on faisait cela, il
serait très facile d’éluder la loi, car la moindre infusion ferait naître des
difficultés, nécessiterait des expertises, mettrait l’administration dans
l’impossibilité de remplir sa mission d’une manière convenable. Si, comme le
propose M. Dubus, on restreint à un litre au lieu de deux la quantité qui
constituera le débit, je crois qu’il sera encore très facile d’éluder la loi ;
car il suffira que 5 ou 6 soldats ou ouvriers se présentent chez un marchand de
genièvre, et que l’un d’eux achète pour son compte un litre et le partage avec
ses camarades. Je reconnais que la même chose pourra se faire pour deux litres.
Mais la difficulté est double, et il faut s’arrêter quelque part. Je pense
qu’il serait dangereux d’adopter l’amendement de M. Dubus, et que si l’on ne
veut pas donner aux débitants les moyens d’éluder la loi, il faut s’arrêter au
minimum de deux litres.
Il faut un peu compter sur la tolérance de
l’administration à l’égard des marchands de liqueurs. Il est dans les habitudes
de l’administration des finances d’exercer avec beaucoup de discernement et de
tolérance la partie si difficile de ses fonctions, la surveillance de
l’exécution des lois fiscales.
Il
ne faut pas supposer que les employés iront tracasser les marchands qui ne
tombent pas sous le coup de la loi, car ils ne trouveraient pas d’encouragement
auprès du ministre des finances.
Je
crois que l’adoption de l’amendement de M. Dubus aurait des inconvénients plus
grands que ceux qu’il veut prévenir.
M. Pirson.
- Si le gouvernement avait persisté dans sa proposition, j’aurais voté pour le
minimum de 5 litres. Mais le gouvernement ayant consenti à le réduire à deux
litres, j’ai voté pour ce chiffre que je regardais comme une concession.
L’honorable M. Dubus ne trouve pas d’inconvénient dans cette limite, pour ce
qui concerne le genièvre ; il n’en trouve que pour les liqueurs fines qui se
débitent en plus petite quantité ; mais ce n’est pas dans les classes peu élevées
que ce débit se fait ; ce que vous voulez empêcher, c’est l’ivrognerie.
Pour
celui qui achète ces liqueurs pour les débiter, ce n’est pas trop d’avoir une
provision de deux litres de liqueurs fines. Sous ce rapport je ne vois aucune
espèce d’inconvénient à maintenir la limite adoptée. Je ne voterai pas pour la
dernière disposition proposée par M. le ministre des finances. Ce n’est pas
dans les boutiques où on vous donnez un verre de genièvre, qu’on s’enivre.
C’est l’ivrognerie que vous voulez atteindre et non toute espèce d’usage de
liqueur alcoolique. Cet usage n’est pas dangereux quand il est modéré ; et je
crois que c’est un soulagement pour celui qui a fait plusieurs lieues pour se
rendre de son village à une ville quelconque.
Je
voterai donc contre la nouvelle proposition de M. le ministre des finances.
M. A. Rodenbach.
- On a demandé que les débitants vendant des boissons alcooliques par quantité
d’un litre et au-dessous fussent seuls frappés par la loi. On prétend qu’en
portant la quantité à 2 litres, on atteint les épiciers. Mais nous voulons les
atteindre, les épiciers, parce qu’ils vendent en détail, et que les ivrognes se
rendent chez eux comme dans des petits cabarets. En maintenant le minimum de
deux litres, vous diminuerez la consommation des boissons spiritueuses, parce
que beaucoup d’épiciers cesseront d’en vendre.
Quant
à l’amendement que vient de présenter M. le ministre des finances, je le trouve
mauvais ; car à la campagne, quand on va dans les magasins, c’est l’usage
presque partout d’offrir un petit verre à l’acheteur quand il paie ses
acquisitions. On ne lui donne pas 4 ou 5 petits verres, ainsi il ne peut pas en
résulter d’ivresse. Je me prononcerai fortement contre cet amendement, parce
qu’il ferait beaucoup crier, surtout dans les Flandres, il entraînerait une
espèce de violation de domicile, car ou ne pourrait plus donner un verre de
genièvre à un individu, parce qu’il aurait acheté quelque chose.
M.
Demonceau, rapporteur. - La section centrale avait réduit à un litre
le minimum passé lequel on tomberait sous l’application de la loi, parce
qu’elle a pensé que de cette manière tous les épiciers seraient atteints par la
loi. Il n’est pas un épicier qui vende par quantité supérieure à un litre. M.
A. Rodenbach a donc tort de dire que la section centrale n’a pas voulu
atteindre les épiciers. Il est certain que tous les débitants de la Belgique
sont atteints si vous fixez la limite à un litre. M. le ministre a fait
observer que cette limite présentait des inconvénients en ce que des ouvriers
ou des soldats pourraient s’entendre pour acheter un litre et aller le boire
ensemble. Mais cet inconvénient existe également quand on porte la limite à
deux litres. Si c’est là le seul motif que M. le ministre a à objecter à la
proposition de la section centrale, je l’engagerai à l’accepter.
Quant à la nouvelle proposition de M. le
ministre, si vous l’adoptez, vous allez contrarier un usage général de la
Belgique ; car quand un marchand quelconque vient acheter chez un boutiquier,
on lui donne la goutte ou le café. Vous allez donc contrarier toutes les
habitudes du pays L’honorable M. Rodenbach vient de vous dire que, dans sa
province, cet usage est général.
Dans
notre pays, quand on a des ouvriers, il faut leur donner la goutte deux ou
trois fois par jour, sans cela vous ne les garderez pas. Je suis fâché que
cette habitude soit aussi invétérée. Mais c’est un fait que si on ne donne pas
la goutte aux ouvriers, il est impossible de les garder chez soi.
M. Dubus (aîné). - Je vais ajouter
un mot à la proposition que j’ai faite de revenir à celle de la section
centrale On m’a objecté qu’elle donnerait lieu à la fraude, que cinq ou six
personnes pourraient s’entendre pour aller demander un litre de genièvre : ce
litre serait demandé par l’un d’eux qui en ferait le partage aux autres : ce ne
serait pas un moyen de frauder la loi : ce serait bon si cette loi était
dirigée contre les consommateurs ; mais la loi est dirigée contre les
débitants, et un débitant ne peut pas se restreindre à ne donner de cette
liqueur que lorsque six personnes viennent se réunir pour demander un litre ;
il faut qu’il en donne en aussi petite quantité que l’on en demande, et qu’il
prenne la patente appelée impôt de consommation.
Quant
à l’autre proposition du ministre des finances, je la repousserai ; elle est en
opposition avec l’article premier de la loi. D’après cet article, ou ne peut
considérer comme débitant celui qui donne des liqueurs.
M.
Simons. - Je crois que le but que se propose le
ministre ne sera pas atteint par son amendement. En fixant la quantité à un
litre, il y aurait en effet un grand nombre de détaillants qui ne seraient pas
atteints par la loi ; on en atteindra un bien plus grand nombre en maintenant
le chiffre de deux litres.
-
La quantité de deux litres, mise aux voix, est définitivement adoptée.
L’addition
à l’article 2 présentée par le ministre des finances, est rejetée.
L’article
2 est voté définitivement et tel qu’il est sorti du premier vote.
M. le
président. - A l’article 3, il y a deux amendements ; le
premier relatif à la ville de Verviers mise au premier rang, et le second
relatif aux emplacements des camps, mis aussi dans le premier rang.
M. le ministre de la guerre (M.
Willmar). - Je regrette de ne pas m’être trouvé présent
à la discussion qui a eu lieu dans la séance d’avant-hier ; j’étais en chemin
pour y venir quand j’ai appris ce qui s’était passé. Au reste, je n’aurais pas
présenté d’amendement pour rendre moins bonne la position des débitants aux
camps. Les délits contre la discipline sont plus rares aux camps qu’ailleurs :
le soldat est là sous la main des sous-officiers et des officiers ; il est plus
surveillé ; il est plus occupé, et a moins d’occasions de s’abandonner à l’abus
des boissons spiritueuses. Je n’ai pas de motifs pour aggraver la position de
ceux qui les débitent dans les camps. Leur position est moins bonne en général
que celle des détaillants ordinaires, puisqu’ils sont assimilés à ceux qui
n’ont pas de domicile fixe, et qu’on ne leur permet d’établir des cantines que
lorsqu’ils donnent de bons renseignements sur leur moralité. Il n’y a pas de
raison pour que l’amendement appuyé par moi.
M. de Langhe. - D’après la
déclaration du ministre de la guerre, le but de l’amendement vient à cesser.
Mais reste à savoir si le ministre veut que les militaires boivent le genièvre
à bon marché, c’est-à-dire s’il veut qu’ ils puissent en boire en plus grande
quantité. L’usage des liqueurs spiritueuses porte au désordre ; il en résulte
que les salles de discipline sont remplies. Je persiste dans mon amendement,
persuadé qu’il ne peut en résulter que de bons effets.
M.
Pirson. - Il paraît que M. de Langhe tient à son
amendement sous le rapport de la fiscalité : mais c’est une loi contre
l’ivrognerie que nous faisons. C’est dans les garnisons que le soldat se livre
à l’ivrognerie, parce que là il est moins surveillé que dans les camps. C’est
dans les camps mêmes que les cantinières distribuent leurs boissons. Nous ne
voulons pas empêcher le soldat de boire à bon marché ; nous voulons seulement
qu’il ne boive pas trop. Par ces motifs, je demande que les camps soient
retranchés de la première catégorie, et ne soient compris que dans les communes
rurales.
-
La chambre, consultée, conserve au premier rang les camps.
Articles 4 à 8
Les
amendements introduits dans les autres articles de la loi sont ensuite
confirmés par le vote de la chambre.
Vote sur l’ensemble de la loi
On
passe à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :
74
membres prennent part au vote.
1
s’abstient.
48
adoptent.
26
rejettent.
En
conséquence la loi est définitivement adoptée.
Ont
voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Coppieters,
de Brouckere, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, de
Muelenaere, de Nef, Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme,
desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Donny, Dubois, B. Dubus, Duvivier, Eloy
de Burdinne, Ernst, Heptia, Jadot, Lebeau, Lejeune, Mercier, Morel-Danheel,
Nothomb, Pirson, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier,
Scheyven, Simons, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vergauwen, Wallaert,
Willmar, Zoude.
Ont
voté le rejet : MM. Angillis, Brabant, David, de Behr, Dechamps, de Jaegher,
Demonceau, de Perceval, de Puydt, Desmaisières, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus
(aîné), Dumortier, Gendebien, Keppenne, Kervyn, Lecreps, Metz, Milcamps,
Pirmez, Polfvliet, Stas de Volder, Troye, Verhaegen et Raikem.
M.
Dolez s’est abstenu ; il est invité à énoncer les motifs de son abstention.
M.
Dolez. - Messieurs, j’approuvais le principe de la
loi, et j’aurais par conséquent dû dire oui ; mais, d’un autre côté, l’adoption
de l’amendement de M. Devaux excluant du cens électoral un impôt qui peut être
un impôt direct, j’aurais dû répondre non : dans cette incertitude j’ai cru
devoir m’abstenir.
PROJET DE LOI PROROGEANT LA LOI SUR LES
ETRANGERS
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux) monte à la tribune
et dépose un projet de loi prorogeant, pour un nouveau terme de trois années,
la loi du 22 septembre 1835, concernant les étrangers résidant en Belgique.
-
La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et le renvoie à
l’examen des sections.
M. Dechamps, rapporteur.
- Messieurs, les pétitions sur lesquelles je suis chargé de vous présenter un
rapport, étant relatives à la question électorale, et la commission ayant pensé
que cette question est trop grave pour être traitée incidemment, comme les
pétitions ordinaires, elle a voulu que je vous fisse, à cet égard, un rapport
spécial.
Plusieurs
membres. - L’impression !
D’autres
membres. - La lecture !
M. de Jaegher.
- Messieurs, en pareil cas on ordonne toujours l’impression du rapport. M. le
rapporteur vient de nous annoncer lui-même que son rapport est assez long ; il
me semble qu’une matière qui a été l’objet d’importantes controverses, mérite
d’être examinée assez sérieusement.
Plusieurs
membres. - Cela n’empêche pas que l’on ne donne lecture
du rapport.
M.
Pollénus. - Messieurs, je viens proposer à la chambre
que, sans dévier des usages reçus, elle continue la parole à M. le rapporteur,
et qu’elle l’autorise à nous donner communication du rapport dont il a été
chargé. C’est à tort que l’honorable préopinant objecte les antécédents de la
chambre, puisque tous les rapports qui sont relatifs à des pétitions sont
toujours lus en séance publique ; et la gravité de l’objet dont il s’agit dans
le rapport de l’honorable M. Dechamps me paraît être un motif déterminant pour
traiter cette affaire au moins avec la solennité que l’on met à présenter des
objets d’un intérêt ordinaire, J’ose penser que la grande majorité de cette
assemblée, pénétrée de la haute importance de l’objet qui nous occupe,
témoignera avec moi le désir de connaître immédiatement le résultat des
délibérations de la commission des pétitions. (Oui ! oui !) Nous répondrions ainsi à l’impatience avec laquelle
l’opinion publique attend la solution d’une question à laquelle se rattachent
les plus graves intérêts du pays. (Appuyé
! appuyé !)
- La chambre, consultée, décide que la parole
est continuée à M. Dechamps pour la lecture du rapport de la commission des
pétitions.
(Moniteur
belge n°60, du 1er mars 1838) M. Dechamps, rapporteur.
- Messieurs, depuis un an, à peu près, quarante et une pétitions relatives à la
question électorale ont été déposées sur le bureau de la chambre. Vingt d’entre
elles réclament l’uniformité du cens, afin de réparer l’injustice qui, selon
les pétitionnaires, a été commise au détriment des villes. Quelques-uns
prétendent établir cette uniformité par provinces, les autres par districts, la
plupart pour tout le royaume ; les uns élevant le cens des campagnes au niveau
de celui des villes, les autres abaissant celui-ci au niveau du cens des
campagnes. Les vingt autres pétitions demandent, les unes le maintien de la loi
du 3 mars 1831, les autres des modifications favorables aux campagnes, que la
législation électorale en vigueur a traitées, selon cette seconde catégorie de
pétitionnaires, avec partialité et injustice.
Une
pétition ne formule aucune conclusion.
Vous
vous apercevez, messieurs, que les prétentions des pétitionnaires sont tranchées
et contradictoires, parce qu’ils se placent au point de vue de principes tout
opposés ; les premiers ne tenant compte uniquement que de l’impôt dans la
détermination de l’aptitude électorale, les autres combinant cet impôt avec la
population ; les uns s’appuyant sur le principe de l’égalité devant la loi, et
demandant que chaque contribuable payant un même impôt soit également apte à
exercer le droit électoral ; les autres soutenant que l’égalité doit consister
à faire représenter les intérêts divers, d’une manière proportionnelle aux
populations respectives.
Avant
de porter notre examen sur toutes les faces de cette grave question, rappelons
en passant que cette tentative de réforme a déjà subi une première épreuve qui
ne lui a pas été favorable ; je veux parler de l’accueil fait par plusieurs
conseils provinciaux aux demandes de cette nature sur lesquelles ils ont en à
délibérer.
Messieurs,
nous pourrions dire avec raison ce que le comte Français de Nantes disait en
1820, lors de la présentation de la loi du double vote : « On nous donne
un coupable à juger ; on traduit devant nous la loi électorale qui nous régit,
comme atteinte et convaincue d’avoir produit la chambre dont nous faisons
partie. Il n’y eut jamais un plus grand procès, ni un plus grand nombre
d’accusés. » Qu’on me permette d’ajouter que c’est une raison pour que nous
apportions dans notre examen une impartialité et une raison froide que les
passions ne puissent ébranler.
Il
ne faut pourtant pas nous le dissimuler : la loi électorale ne peut être
reconnue vicieuse que par les fruits qu’elle a portés ; or, ces fruits étant
les législatures qui se sont succédé depuis la révolution jusqu’à présent,
c’est bien le procès à toutes ces assemblées représentatives qu’il s’agit
aujourd’hui d’instruire, c’est bien un dix-huit brumaire légal que l’on veut
tenter.
Avant
de nous y résigner, nous pourrions demander que les chefs d’accusation fussent
plus nettement formulés qu’on ne l’a fait, et à notre tour il nous serait
permis d’extraire de notre dossier tous les actes du congrès et des
législatures suivantes, pour démontrer que pas un peuple au monde ne pourrait
en offrir autant qui méritassent les applaudissements de la nation.
Il
serait peut-être beau de répondre aux récriminations passionnées qui n’ont pas
été épargnées aux chambres belges, en faisant l’analyse de cette constitution
que les autres peuples trouvent plus facile d’admirer que de réaliser chez eux
; en faisant l’histoire de nos libertés politiques auxquelles nulle main n’a
touché, de nos institutions administratives si sagement organisées ; en
montrant notre prospérité matérielle se développant à l’aide de lois sages et
se tenant au milieu des exigences opposées ; en rappelant le courage et à la
fois la prudence dont les chambres ont presque constamment fait preuve, dans
l’établissement et la consolidation de notre indépendance, si longtemps menacée
par la tourmente des événements politiques qui ébranlaient l’Europe. Quand on
réfléchira que ce sont les chambres créées par le système électoral existant
qui ont dirigé la Belgique entre les deux écueils de la haine active du
gouvernement hollandais et les rancunes de la diplomatie, pour arriver à la
convention du 21 mai, on reconnaîtra que ce système électoral mérite peut-être
quelque gratitude si on le juge par ses effets. Mais nous avons hâte
d’abandonner ce terrain et d’aborder directement la question de réforme en
elle-même, et abstraction faite des motifs qui ont été mis en avant pour la
soulever.
Une
chose digne de remarque et sur laquelle les hommes d’Etat ne sauraient trop
méditer, c’est qu’une loi d’élection est tellement inhérente à la constitution
d’un pays, qu’on ne peut modifier l’une dans son essence sans que l’autre ne
soit altérée en même temps.
Dans
un gouvernement représentatif, la loi d’élection est fondamentale, comme
l’observe Montesquieu. Le plus ou moins de perfection dans le mode du droit
d’élire y est naturellement la mesure du progrès des formes représentatives.
Aussi la charte de chaque peuple contient-elle presque toujours expressément
les principes du système électoral qui le régit, afin que la loi d’élection
participe de l’immutabilité de la constitution fondamentale.
Lorsqu’en
1820, en France, le gouvernement présenta à la législature le projet de réforme
électorale qui avait la prétention de mieux interpréter la charte que la loi de
1817 ne l’avait fait, voici les paroles mémorables que fit entendre à cette
occasion M. Boyer-Collard dans la chambre des députés : « Ces questions,
disait-il, sont immenses : d’une part elles embrassent tout le gouvernement et
toute la société, d’autre part elles portent des révolutions dans leur sein. Si
l’on dit que la composition de la chambre est restée suspendue à la versatilité
de toutes les circonstances, de telle sorte qu’on peut chaque année recomposer
la chambre, pour un nouveau but, et que, toujours différente, elle sera
toujours la chambre de la charte, on dit en d’autres termes que la charte a été
donnée en dérision des peuples qui l’ont reçue. Si, sous prétexte d’organiser
les collèges électoraux, on va jusqu’à vouloir charger la loi de transférer
audacieusement les élections de la majorité à la minorité, ce qu’on lui
demande, ce n’est pas seulement la violation de la charte, ce n’est pas
seulement un coup d’Etat contre le gouvernement représentatif, c’est un coup
d’Etat contre la société, c’est la vraie contre-révolution. »
Ainsi,
si ce patriarche de l’opposition française avait à juger ici la tentative de
ceux qui, loin de regarder notre système d’élection comme loi constitutive et
fondamentale, proposent de la réformer dans sa base, et cela sans cause
déterminante, et avec cette précipitation irréfléchie qu’y mettrait l’esprit de
parti, il leur dirait que vouloir ainsi, sous prétexte d’organiser les collèges
électoraux, transférer les élections de la majorité à la minorité, c’est
méditer un coup d’Etat, c’est tenter une contre-révolution.
Si
des doutes pouvaient rester dans vos esprits sur la corrélation intime qui
existe entre les lois électorales et les constitutions, ainsi que sur le sort
commun que les unes et les autres éprouvent presque toujours, il me suffirait
de rappeler ce qui s’est passé à cet égard chez nous et autour de nous.
Sous
le gouvernement des Pays-Bas, le grief, source de toutes les usurpations
commises depuis, a été cet article de la loi fondamentale qui accordait à la
Hollande, peuplée de 2 millions d’habitants, autant de députés aux
états-généraux que la Belgique, dont la population était de moitié plus
considérable. Cette inégalité dans la représentation du royaume était donc un
vice de la loi électorale, aussi bien qu’un vice inhérent de la constitution,
et lorsque l’opposition belge demandait le redressement de ce grief, c’était
une réforme électorale et en même temps une réforme de la constitution qu’elle
réclamait.
En
France, la loi de 1820, la loi du double vote, en dénaturant totalement la
législation électorale de 1817 qui avait traduit la pensée de la charte, cette
loi de 1820 n’a-t-elle pas altéré en même temps la charte elle-même ? N’est-ce
pas cette réforme électorale qui a produit la réaction des 221 et posé la cause
des ordonnances et de la révolution de 1830 ? Après la révolution de juillet,
le premier soin fut de modifier la charte de 1814, et aussitôt le législateur
fut amené à modifier la loi électorale existante.
La
charte de 1830 reposa sur des bases plus libérales que celle de 1814 ; la loi
des élections de 1831 fut également plus large que celles de 1820 et de 1817.
On le voit, la cohérence naturelle qui existe entre la constitution d’un peuple
et la loi électorale qui en dérive, est telle qu’un changement de l’une de ces
institutions entraîne nécessairement le changement de l’autre.
Si
nous voulions vérifier cette espèce d’axiome politique dans les événements qui
se sont passés depuis 1789 jusqu’à la restauration, nous trouverions que pour
les huit ou neuf constitutions que la France s’est données pendant cette
époque, huit ou neuf systèmes électoraux ont été créés.
En
Angleterre, tous les projets de réforme parlementaire, depuis celui présenté en
1770 par lord Chatham jusqu’à celui présenté par lord John Russel en 1831, ont
toujours été considérés comme liés au sort de la vieille constitution du pays.
C’est pour cette raison si importante que les conservateurs s’opposent à la
réforme, et que les whigs ne veulent y procéder qu’avec lenteur et sans altérer
les bases mêmes de la constitution fondamentale que les radicaux tâchent de
bouleverser entièrement.
Le
bill de réforme, disait sir Robert Peel, est le premier pas, la première d’une
série de mesures qui doivent altérer le caractère de la constitution mixte de
ce pays et conduire ultérieurement à la république.
Cette
nuit, s’écriait lord Winchelsea, dans la séance du 4 juin 1832, cette nuit la
chambre des pairs va cesser d’être ; ceux qui me suivront vont assister à la
chute de la monarchie. Lord Grey soutenait, au contraire, l’utilité d’une
réforme partielle et prudente, parce que les usurpations de la chambre des
lords avaient complétement altéré la constitution d’Angleterre, et qu’il était
urgent de la reconstruire.
Je
citerai comme dernier témoignage sur un point aussi majeur celui du ministre
réformiste, de lord John Russel lui-même :
« Selon
moi, dit-il, la plus grande objection qu’on puisse faire contre un plan général
de réforme parlementaire, est le danger où il jetterait toutes les autres
institutions. Aussi, les principes de nos plus grands hommes d’Etat semblent
incliner vers une réforme électorale partielle et non vers une réforme
générale. »
Vous
le voyez, messieurs, en Angleterre, tous regardent la réforme électorale comme
synonyme d’une réforme de la constitution, et quoique cette constitution soit
aussi vieille que la monarchie, les hommes d’Etat s’étudient à choisir les
moyens les plus conciliants pour corriger partiellement le système d’élections,
et cela afin que la constitution n’en reçoive pas le contrecoup.
Messieurs,
votre commission désire attirer toute votre attention sur ce point capitale de
la question de la réforme ; pour elle, elle reste convaincue que notre système
électoral, établi par le congrès lui-même, et dès lors tout empreint de
l’esprit de la constitution, ne pourra être modifié, surtout dans ses bases,
comme on nous le propose, sans que l’on ne soit entraîné bientôt à changer
cette constitution belge qui fait l’admiration de l’étranger, et dont nous ne
faisons que commencer à recueillir les fruits. Plusieurs conseils communaux
n’ont pas reculé devant cette conséquence, et les régences de Tournay et de
Louvain, par exemple, ont émis le vœu, en demandant la réforme électorale, que
l’article 47 de la constitution fût bientôt révisé.
Le
congrès l’a si bien compris, que l’une des raisons pour lesquelles l’amendement
de M. Defacqz a été proposé et inséré dans la constitution, est précisément
celle de rendre invariables, comme la constitution même, les principes
fondamentaux de la législation électorale.
Voici
comment les choses se sont passées : La section centrale, en consacrant
l’élection directe, avait cependant laissé à la loi à intervenir le soin de
régler les élections. On a pensé, dit le rapport, que ces objets pouvaient être
susceptibles de variations. M. Defacqz présenta son amendement qui est devenu
l’article de la constitution, en alléguant pour motif principal « qu’il a
cru convenable, par la fixation d’un cens, de consacrer le principe dans la
constitution même, afin d’en ravir l’application à l’arbitraire d’une loi
mobile et changeante. »
M.
Forgeur soutint « qu’il fallait, ou bien que l’on déclarât dans la loi
électorale que cette loi fait, quant à ses bases, partie de la constitution ;
ou bien qu’il fallait admettre l’amendement de M. Defacqz, car il serait
dangereux, ajoutait-il, de laisser aux législateurs le droit de changer
continuellement, et suivant les besoins du temps et des hommes, les bases du
droit d’élire. »
Après
les observations faites dans le même sens, par MM. Pirson, Destouvelles, de
Sécus et Le Hon, le congrès consacra ce principe en adoptant l’amendement de M.
Defacqz.
Nous
aurons occasion de revenir sur cette décision du congrès, lorsqu’il s’agira de
prouver que l’article de la constitution a établi définitivement le système du
cens relatif en proscrivant le cens uniforme. Pour le moment, il nous suffit de
faire remarquer que le congrès était tellement persuadé que le sort de la
constitution est intimement lié à loi électorale, qu’il a voulu que les
principes de cette loi fussent insérés dans la constitution même.
Maintenant,
je vous le demande, messieurs, comment peut-on concilier la prétention des
pétitionnaires de substituer au cens relatif, principe fondamental de notre loi
d’élection, celui du cens uniforme qui lui est tout opposé ; comment concilier
cette prétention avec l’intention formelle du congrès de ne pas laisser aux
législateurs le droit de changer, suivant le besoin des temps et des hommes,
les bases du droit d’élire ?
Par
tout ce qui précède, il vous a été démontré, nous l’espérons du moins,
messieurs, que toute réforme électorale contient en germe un changement de
constitution, ou, pour me servir des paroles de M. Boyer-Collard, porte une
révolution dans son sein.
Un
homme sérieux et qui mesure la portée de son opinio, en appuyant une réforme de
cette nature, doit donc de deux choses l’une, on bien méditer un coup d’état,
une révolution, ou bien être convaincu que le pays est dans une situation
tellement périlleuse, que la plaie sociale est tellement gangrenée, qu’il ne
reste d’autre moyen, comme Fox le prétendait en 1797 à l’égard de l’Angleterre,
que de reconstituer l’Etat dans sa base.
Maintenant,
messieurs, il est une autre point que nous aimons à soumettre à votre
appréciation : Supposons un moment, par abstraction, que toutes les
considérations que je viens de présenter soient comme non avenues, que le
danger politique d’une réforme entraînerait n’existe pas, et que nous
puissions, sans rien craindre pour la stabilité de notre monarchie, essayer une
réforme parlementaire radicale : il n’en resterait pas moins vrai qu’on ne
pourrait, sans faire preuve d’une grande inexpérience législative, adopter le
mode de procéder à cette réforme que les partisans du cens fixe nous proposent.
Les
pétitionnaires demandent une réforme électorale parce que, selon eux,
l’uniformité du cens est plus conforme à l’idée d’égalité politique que le cens
varié et relatif. C’est donc au nom de l’égalité politique, au nom d’un
principe abstrait, d’une théorie, que leur demande est formulée. Or, vous le
savez, messieurs, il n’est rien de plus faux, de plus nuisible, je dirai presque
de plus ridicule, en fait de législation, que de procéder par principes
abstraits et par théorie de cabinet : les lois a priori sont presque toujours
de mauvaises lois. Les lois constitutives doivent être découpées sur le patron
des habitudes du peuple pour lequel ces lois sont faites ; elles doivent sortir
de l’ensemble des mœurs et de la civilisation de ce peuple, de manière qu’une
législation peut être excellente pour telle nation et radicalement mauvaise
pour telle autre.
Quand
Mounier et Sieyes, épris de la constitution anglaise, voulurent l’implanter en
France, ils ne virent pas que les éléments vivaces qui formaient le peuple
britannique et qui avaient produit ce gouvernement mixte et pondéré qu’ils
admiraient tant, n’existaient pas en France, où toute aristocratie puissante
avait disparu, ou du moins allait disparaître.
Ils
ne virent pas qu’en important en France, tout d’une pièce, la constitution
anglaise qui avait été lentement formée par le travail du temps et des
habitudes, ils n’obtiendraient, au lieu d’un gouvernement mixte et
représentatif, qu’une démocratie pure, après avoir provoqué une révolution.
Messieurs,
ce serait une chose fertile en instructions que d’examiner les deux manières
profondément différentes que les législateurs de l’Angleterre et de la France
ont adoptées dans la révision de leurs lois respectives : en France, ce sont
des chartes a priori, comme les droits de l’homme, des lois-principes faites
par des théoriciens ; aussi les changements de législation ont-ils toujours été
marqués, en France, par une révolution sociale. En Angleterre, les principes de
la vieille constitution ont constamment été respectés ; les législateurs n’ont
jamais procédé que par des réformes partielles, en remédiant aux abus, en
apportant les améliorations indiquées par le progrès de la raison publique.
C’est à cette cause, on peut le croire avec fondement, que l’Angleterre doit
d’avoir évité ces révolutions qui sont fâcheuses même quand elles sont une
nécessité.
Vous
me permettrez, messieurs, d’appuyer ces considérations de l’autorité de celui
dont l’active persévérance obtint pour l’Angleterre les premières réformes, de
lord Grey.
Voici
quelques passages du discours si remarquable qu’il fit, en 1810, à la chambre
des lords :
« Une
réforme parlementaire graduelle et tempérée, ne franchissant en aucun cas les
bornes préservatrices de la constitution, voilà le système dont je suis le
partisan déterminé. Mais une réforme salutaire n’a jamais, dans mon esprit,
reposé sur les fondements d’une perfection théorique, et elle n’y reposera
jamais ; et tandis que je serai toujours prêt à remédier, suivant les principes
fixes de la constitution, à un inconvénient, partout où la pratique le fera
sentir, je ne cesserai de désapprouver toutes ces spéculations générales que
certains hommes voudraient réaliser. »
Après
avoir cité, à l’appui de cette doctrine, l’opinion de Fox qui ne cessait de
répéter qu’il ne fallait jamais corriger une législation en vigueur par des
théories, lord Grey conclut en ces termes :
« C’est
à ces principes de réforme pratique, présentés par ce grand homme d’Etat, que
j’ai pris la détermination d’adhérer, répétant de nouveau que le remède que je
sollicite sera déterminé par la constitution même, et ne sera jamais abandonné
à l’extravagance d’aucune théorie que les apparences pourraient
favoriser. »
Ainsi,
messieurs, si on était venu demander aux chambres anglaises de remplacer le
principe de leur loi électorale par celui d’un cens uniforme, afin de porter
remède aux inconvénients des bourgs-pourris, et à tous ces abus criants qui
entachent encore leur système d’élection, tous les réformateurs, Fox, Grey et
John Russell, ces hommes que l’opinion publique a portés sur le pavois
populaire, se seraient vivement opposés à cette réforme théorique, à cette
substitution de principes spéculatifs ; ils auraient unanimement qualifié
d’extravagante cette tentative, cette demande de réforme absolue, sur laquelle
nous sommes appelés, nous chambre belge, à délibérer aujourd’hui.
Le
congrès, dans l’établissement aussi bien de la constitution que de la loi
électorale, qui ont été formées d’un seul jet et d’après les mêmes idées, le
congrès a eu soin d’éviter les errements de la constituante : il ne s’est pas
attaché à créer un système, une charte idéologique ; avant tout, il a consulté
les mœurs du pays, les lois antérieures auxquelles la nation était habituée,
les vœux et les besoins des populations, enfin ce qu’on pourrait nommer
« l’élément historique. »
Si
notre constitution est plus libérale, plus démocratique que les chartes des
autres peuples européens, c’est uniquement parce que nos mœurs ont toujours été
telles ; c’est parce que nos communes, dès le XVIème siècle, étaient les plus
libres du monde ; c’est parce que nos souverains, plus tard, n’ayant droit à notre
obéissance qu’en jurant la Joyeuse-Entrée, étaient les seuls en Europe qui
cédassent ainsi leur pouvoir absolu ; c’est parce que nos états-généraux
avaient inscrit sur leur bannière, en lettres plus lisibles que les autres
assemblées représentatives, cet axiome des peuples libres : Pas de redressement
de griefs, pas de subside.
Quand
le congrès proclamait nos libertés constitutionnelles, il ne créait pas un code
de droits a priori, comme les auteurs des droits de l’homme, il ne faisait que
réaliser le redressement des griefs formulés avant la révolution. En un mot, il
consultait nos antécédents et fondait son œuvre sur notre histoire au lieu de
l’établir sur une abstraction.
Il
a procédé d’après cette même doctrine à l’égard de la loi électorale ; au lieu
d’aller mendier le cens uniforme à la charte octroyée de la restauration, comme
les pétitionnaires le réclament aujourd’hui, il a consulté sur ce point les
traditions législatives du pays, il a sagement construit le système d’élection
avec les matériaux qu’il a trouvés sur notre sol.
Si
l’on demandait aux conseils communaux dont nous examinons les réclamations, et
qui reprochent au congrès constituant de ne pas avoir adopté le cens uniforme
comme principe de la loi électorale, si on leur demandait sur quel antécédent
historique le congrès aurait pu établir ce cens uniforme, à quelle époque il
aurait pu découvrir dans notre législation le germe de ce système, ils
chercheraient en vain une réponse satisfaisante, ils ne la trouveraient pas. Le
système de cens fixe est chose inconnue en Belgique ; le principe du cens
relatif, c’est-à-dire le système électoral fondé tout ensemble sur l’impôt, le
territoire et la population, y est seul national, parce que seul il est
consacré par les habitudes du peuple.
Sans
remonter jusqu’à l’époque antérieure à la révolution française, alors que la
représentation nationale était fixée par les différents ordres existant dans
l’Etat, où découvrira-t-on des traces du système que les pétitionnaires
préconisent ?
Ce
n’est ni pendant l’époque de la réunion de la Belgique à la république et à
l’empire français, ni pendant la durée du royaume des Pays-Bas : chacun sait
que pendant cette première période, depuis 1789 jusqu’en 1814, les différents
systèmes électoraux élaborés sur le principe des assemblées primaires et des
plus imposés reposaient sur des calculs de population.
Pendant
la seconde période, les règlements du gouvernement des Pays-Bas avaient établi
le cens varié d’après les localités, de manière que toutes concourussent, quoique
indirectement, à l’exercice du droit d’élire. De cens uniforme, il ne s’en
trouve de vestige nulle part, et si le congrès l’eût adopté, il eût fait
preuve, en brisant ainsi toute tradition historique, d’une inexpérience et
d’une légèreté impardonnables.
Un
fait plus récent, plus significatif encore et qui a dû agir puissamment sur les
décisions électorales prises après la révolution, c’est la plainte unanime, et
sans cesse renouvelée pendant les quinze ans de la domination hollandaise, que
la Belgique manifestait à l’égard de l’inégalité dans la représentation
nationale. C’est un fait que nous devons sans cesse avoir devant les yeux.
L’opposition belge a fait constamment retentir la presse et la tribune de ce
grief, qui accordait à la Hollande, avec une population moindre, autant de
députés aux états-généraux que la Belgique, dont la population était bien
supérieure.
Que
signifiait donc ce grief, si, comme le soutiennent les pétitionnaires, la
représentation du pays ne doit être proportionnelle à la population ; s’il est
vrai que nos villes qui compte 958,000 âmes à peu près, doivent comprendre
autant d’électeurs que nos campagnes dont la population est de plus de 3
millions d’habitants ?
Messieurs,
il faut l’avouer cependant, les intérêts de la Hollande et de la Belgique
étaient bien plus tranchés, plus prépondérants que ne le seront jamais les
intérêts des villes et des campagnes dans un même pays.
Le
roi Guillaume avait à faire valoir des raisons d’équilibre bien autrement
puissantes que ne peuvent en énoncer les pétitionnaires en faveur de leur
système ; et cependant l’idée d’une représentation nationale proportionnelle à
la population paraissait aux yeux de tous les Belges un axiome tellement
incontestable, qu’aucune de ces raisons d’Etat n’a pu empêcher qu’ils ne
regardassent le grief signalé comme le motif le plus déterminant contre le
gouvernement des Pays-Bas.
Je
vous le demande maintenant, messieurs, le congrès et antérieurement le
gouvernement provisoire auraient-ils pu, en adoptant le cens uniforme, en
repoussant le système électoral basé sur la population, auraient-ils pu renier
ainsi la conduite et les vœux de la Belgique sous le gouvernement précédent ;
auraient-ils pu oser donner un tel démenti à la justice de nos réclamations, et
proclamer en même temps l’hypocrisie de nos griefs et la bonne foi du roi
Guillaume ? Il faut en convenir, les pétitionnaires ont eu le souvenir bien
prompt à s’effacer pour reprocher au gouvernement provisoire et au congrès
précisément ce qui conforme leur réputation de juste entente des besoins du
pays.
Ainsi,
messieurs, à moins de soutenir que le congrès, dans le choix qu’il avait à
faire du système électoral, aurait dû négliger nos traditions historiques, et
ne pas consulter les habitudes, les mœurs, les vœux des populations ; à moins
de soutenir qu’il eût mieux fait de livrer les destinées du pays au hasard
d’une théorie, il faudra reconnaître qu’il lui était impossible de songer au
système du cens fixe, et de fonder cette législation autrement qu’il ne l’a
fait.
Maintenant
que nous avons recherché des documents dans le temps qui s’est écoulé avant la
révolution de 1830 et l’installation de l’Etat belge, nous devons parcourir ce
qui s’est passé de relatif à la question qui nous occupe, sous le gouvernement
provisoire, pendant la discussion des articles de la constitution qui ont posé
les principes généraux de notre système électoral, et puis lors de
l’élaboration de la loi du 3 mars 1831. Cet examen formera l’histoire de la
question électorale en Belgique.
La
révolution était encore flagrante, quand le gouvernement provisoire, à peine,
installé aux acclamations de la nation entière, comprit qu’il devait, sans
tarder, convoquer un congrès constituant pour que la Belgique fût dotée, sans
délai, des institutions politiques que ses besoins réclamaient.
Par
un décret du 10 octobre 1830, il fixa le cens électoral à 100 florins pour les
électeurs des campagnes du Brabant, et à 150 florins pour les autres provinces.
Le système de cens relatif était donc consacré par ce décret du gouvernement
provisoire, mais l’application en était faite sans principes arrêtés, de
manière que le cens, dans certaines communes rurales, était aussi élevé que
celui des villes de la même province.
Des
réclamations vives et unanimes accueillirent ce décret, non pas, veuillez bien
le remarquer, messieurs, parce qu’il posait à la base du système d’élection le
cens varié au lieu du cens uniforme, mais au contraire parce que la répartition
du cens varié était faite d’une manière inégale et défavorable aux campagnes,
du moins dans certaines provinces.
Sans
vouloir énumérer fastidieusement les pétitions nombreuses qui furent présentées
à cette occasion, et qui démontraient dans quel sens l’opinion publique se
manifestait alors, vous nous permettrez, messieurs, de vous citer deux
autorités non suspectes en cette matière.
Voici
comment s’exprime le Courrier belge,
dans son numéro du 15 octobre 1830 :
« La
question capitale est celle du cens électoral ; l’uniformité, la simplicité
séduit toujours ; d’ailleurs c’est une sorte d’égalité devant la loi.
« Cependant,
en y regardant de près, on découvre dans cette espèce de cens une grande
inégalité et une véritable injustice. Plusieurs impôts qui entrent dans le cens
varient d’après les localités, et il paraît juste que le cens suive les mêmes
variations. En nivelant, on place l’électorat dans les villes et on exclut la
plupart des communes rurales.
« Le
gouvernement provisoire avait à opter entre ces deux principes ; en adoptant un
cens uniforme, la tâche devenait bien simple ; une ligne suffisait : en
conservant le cens français, on aurait pu écrire : « Le cens électoral
pour la Belgique entière est de 150 florins. » C’eût été attribuer
l’électorat aux villes et à quelques propriétaires des campagnes, et mettre
hors de cause des cantons, des districts entiers, des provinces presque
entières.
« Cette
considération paraît avoir engagé le gouvernement à maintenir le principe du
cens non uniforme. »
Vous
le voyez, messieurs, le cens uniforme, à cette époque de fraternité politique,
alors que les questions étaient envisagées en elles-mêmes et sans aucune
préoccupation, le cens uniforme était repoussé par toutes les nuances
d’opinions. Les réclamations soulevées par le décret du 10 octobre avaient pour
objet l’élévation du cens, surtout dans les campagnes. Voici un passage de
l’adresse présentée au gouvernement provisoire par le comité électoral de
Bruxelles, qui résume assez exactement le sens des plaintes exprimées avec
autant l’unanimité : « Nous considérerions comme essentiel, pour mieux
lier les masses, de faire concourir, s’il était possible, tous les Belges sans
exception ; mais faisant la part des inconvénients qui pourraient résulter d’un
trop grand nombre d’électeurs, par l’absence total de cens, nous proposerons de
réduire du cens pour les villes de moitié, et pour les campagnes de le fixer au
taux des plus petites villes, en conservant la proportion actuelle. »
Le
gouvernement ne présenta aucune résistance à ces réclamations, et son décret du
10 octobre fut rectifié par un autre du 16 du même mois, qui fut conçu de telle
manière que le cens, dans les campagnes, fut réduit à 25, 37, 50 et 75 florins,
et varia dans les villes sur une échelle de 50 à 150 florins.
Ce
décret était précédé des considérants suivants : Eu égard aux réclamations
faites par un grand nombre d’habitants des campagnes, relatives à la quotité du
cens électoral ; considérant que ces réclamations sont fondées ; que les villes
étant, par l’article 3 de l’arrêté précité, assimilées aux campagnes sous le
rapport de l’élection directe, il n’existe plus de motif pour que le cens
électoral des campagnes soit aussi élevé que précédemment, etc. »
Ainsi
donc, messieurs, la presse, les associations politiques, le gouvernement
provisoire, tout le monde s’accordait à préférer le cens relatif au cens fixe,
et s’il est vrai que le système adopté soit une conception monstrueuse, il est
consolant pour ceux qui défendent ce système d’avoir la Belgique entière pour
complice.
En
nous résumant sur les faits qui viennent d’être exposés, il ne faut pas perdre
de vue que le système de cens relatif à été d’abord adopté spontanément par le
gouvernement provisoire, dans son décret du 10 octobre ; que son décret du 10
octobre, modifiant le premier en établissant une répartition du cens plus
équitable en faveur des campagnes, a été provoqué par la presse et appuyé par
une association politique, formée par les notabilités de la ville capitale du
royaume.
Si
l’inégalité du cens, tel qu’il est établi, consacre une criante injustice au
détriment des grandes villes, comment se fait-il que le comité électoral de
Bruxelles et sa presse tout entière, qui auraient dû être spécialement frappés
de cette injustice, l’ont réclamée vivement du gouvernement provisoire comme
une réparation et un bienfait ? En y réfléchissant un peu, la raison n’en
serait peut-être pas difficile à saisir : c’est qu’alors personne ne pensait à
organiser une lutte entre les villes et les campagnes, c’est que nous voulions
avant tout nous unir sans méfiance pour fortifier notre jeune nationalité et
assurer notre prospérité future, c’est que ces dénominations de villes et de
campagnes s’effaçaient devant l’intérêt homogène du pays.
Les
élections organisées par les décrets du gouvernement provisoire produisirent le
congrès, cette assemblée si prudente et à la fois si populaire, contre laquelle
les récriminations malveillantes des partis n’ont pas encore osé se diriger,
par peur de s’y briser.
Par
une coïncidence heureuse qui nous permettra de bien connaître le sens des
articles de notre charte relatifs au droit d’élire, c’est le congrès qui fut
appelé en 1831, dans la formation de la loi électorale, à interpréter lui-même
les articles 47, 48, 49 et 50 de la constitution qu’il venait d’achever.
Vous
le savez, messieurs, dans la discussion, en février 1831, de la loi électorale
qui nous régit, il ne s’est seulement pas agi sérieusement de la prééminence à
accorder, soit au système du cens relatif, soit à celui du cens uniforme. A
l’exception d’un amendement de M. l’abbé de Foere qui réclamait l’établissement
d’un cens fixe de 20 florins, et qui a été rejeté presque sans discussion, pas
un orateur n’a pensé à soulever cette question de principes, et le cens varié
d’après les localités fut admis sans opposition comme sans controverse.
D’où
vient cette presque unanimité à admettre à la base de la loi électorale un
principe que les partisans de la réforme nous présentent comme opposé à
l’égalité politique ? Ce n’est assurément pas à cause d’une propension du
congrès vers les idées anti-libérales, personne n’oserait articuler cette
accusation : ce n’est pas non plus par ignorance de la question même, ce
reproche serait aussi absurde que l’autre : cette presque unanimité dans
l’adoption du cens relatif provient, selon nous, d’abord de ce que le congrès
regardait le principe du cens fixe comme faux en lui-même et consacrant une
grande inégalité, selon l’expression du Courrier
belge ; en second lieu, parce que notre assemblée constituante avait trop
bien consulté nos antécédents historiques pour établir un système d’élection
qui n’a pas d’analogie dans nos annales législatives ; en troisième lieu, parce
qu’il connaissait trop bien le sens de l’article 47 de la constitution pour
hésiter d’en faire l’application franche dans la loi électorale.
Si
l’intention de cet article 47, de consacrer le principe du cens relatif,
n’avait pas paru manifeste à la majorité du congrès, ne se fût-il pas présenté
des partisans du cens uniforme qui eussent défendu chaudement en 1831 ce
système spécieux pour le regard superficiel ? Si cette question de prééminence
entre les deux principes opposés du cens varié ou du cens absolu n’a pas même
été agitée dans la discussion de la loi électorale, c’est que le congrès était
persuadé que cette question était tranchée dans la constitution même.
Nous
sommes amenés à examiner ici avec attention cette question de
constitutionnalité dont la solution peut couper court à toute controverse
ultérieure, si la chambre partage à cet égard l’opinion de sa commission.
Le
congrès, en établissant, par l’article 47 de la constitution, un cens de 100
florins au maximum et de 20 florins au minimum, a-t-il voulu consacrer le
principe du cens varié d’après des calculs de population, ou bien a-t-il laissé
aux législatures à venir la faculté de prendre l’un des chiffres de cette
échelle pour en constituer un cens uniforme pour tout le royaume ? Telle est la
question interprétative qu’il faut poser et résoudre.
D’abord,
veuillez vous rappeler, messieurs, le principal motif allégué par M. Defacqz,
lorsqu’il présenta l’amendement qui forme l’article 47 de la constitution,
motif dont je vous ai parlé tout à l’heure ; c’était de fixer le cens dans la
constitution même. Tous les orateurs étaient d’accord sur ce point,
quelques-uns mêmes voulaient que la loi électorale fît partie de la
constitution, afin qu’on ne pût plus y porter la main.
Vous
n’avez pas plus oublié, messieurs, les paroles significatives de M. Forgeur,
que nous avons citées déjà et par lesquelles il déclarait qu’il fallait,
« en fixant le cens dans la charte, ne pas laisser aux législateurs le
droit de changer, selon les besoins des temps et des hommes, les bases du droit
d’élire ; » voici un passage du discours que M. Le Hon prononça sur ce
même objet, et qui achèvera de mettre en évidence la véritable intention du
congrès : « L’amendement de M. Defacqz, disait M. Le Ho, me semble faire
naître cette question-ci : Est-il nécessaire que le cens électoral soit
invariable ? Les uns pensent qu’il suffit de le fixer par la loi ordinaire, les
autres qu’il faut le fixer par la loi fondamentale ; je suis de ces derniers,
et je me fonde sur ce qu’on pourrait modifier non pas vos institutions
seulement, mais leur esprit général. »
Il
doit donc être clair pour tout le monde que le motif de l’amendement de M.
Defacq, et par conséquent de l’article 47 de notre charte, a été de rendre le
cens invariable, en le fixant dans la constitution, et d’empêcher les
législateurs futurs de changer les bases du droit d’élire. Or, je le demande,
cette intention du congrès n’est-elle pas ouvertement violée, le but de
l’article 47 n’est-il pas complétement manqué, s’il est vrai que nous puissions
indistinctement adopter le cens uniforme ou le cens relatif, principes opposés,
mais fondamentaux, de toute loi électorale ?
Si
cela est vrai, si la constitution nous laisse cette immense latitude, elle n’a
donc rien fixé ; les bases du droit d’élire peuvent donc être continuellement
changées à tout vent de partis ; en un mot la volonté formelle, impérative du
congrès, est déclarée comme non avenue, comme ne devant pas faire loi pour
nous.
Le
congrès a voulu établir dans la constitution les bases de la loi électorale,
pour qu’on ne pût plus les modifier. Or, les principes contradictoires du cens
varié et du cens uniforme font certainement partie de ces bases. Si le congrès
avait donc voulu le cens uniforme, n’aurait-il pas établi ce cens absolu dans
la constitution ? Par quel motif aura-t-il fixé un maximum et un minimum, une
échelle aussi étendue que celle comprise entre 20 et 100 florins ? Ces
rapprochements suffiraient pour démontrer que l’intention du congrès, en votant
l’article 47, a été d’adopter le cens relatif et d’exclure le cens uniforme ;
mais il nous reste à faire valoir une preuve sans réplique et qui eût pu nous
dispenser de toute autre ; c’est la déclaration explicite de M. Defacqz
lui-même, auteur de l’article de la constitution ; voici textuellement ses
paroles telles qu’elles se trouvent consignées dans l’Union belge, du mois de janvier : « J’ai établi, dit-il, un
maximum et un minimum pour que la loi électorale ait la latitude nécessaire
afin de fixer le cens d’après les localités. »
Ceci
est formel, et, à moins de nier que personne ne peut mieux interpréter une loi
que celui qui l’a faite, il faudra admettre que la constitution, par son
article 47, a exclusivement admis le principe du cens relatif. D’après cela il
est facile de comprendre pourquoi, lors de la discussion de la loi électorale
en 1831, ce principe du cens varié a été adopté sans discussion ; le congrès ne
pouvait ignorer que la constitution lui en faisait une loi.
Messieurs,
le rapport de votre commission pourrait finir ici, mais comme quelques-uns
peut-être pourraient ne pas être frappés autant que nous le sommes de
l’évidence de cette question de constitutionnalité, et que d’ailleurs il
importe de donner à l’examen de cette question de réforme une solennité
proportionnée au retentissement qu’elle a produit, vous nous permettrez
d’ajouter quelques considérations encore.
Supposons
un moment que la constitution ait laissé toute latitude au législateur dans le
choix du principe à placer à la base de la loi électorale, et voyons si le
congrès en 1831 a bien fait de préférer le cens varié au cens uniforme. Nous
avons déjà démontré qu’il a bien fait, sous le rapport des antécédents
historiques qu’il a consultés, et qui lui imposaient le cens relatif ; mais
envisageons cette question sous un autre point de vue, et laissant de côté
toutes ces considérations majeures et décisives pour les hommes d’Etat,
examinons si le congrès a choisi le principe le plus juste et le plus conforme
à l’égalité politique.
Quelle
doit être la base d’une bonne loi électorale dans un gouvernement représentatif
? Est-ce la capacité seule, est-ce la propriété, la richesse, et les divers
intérêts épars dans la nation ; est-ce la population ?
Voici
en quels termes M. Royer-Collard répondit à cette question, lors de la
discussion de 1816 :
« Pourquoi,
disait-il, y a-t-il dans notre gouvernement une chambre élective ? Est-ce que
les élections ont ce but d’appeler les hommes les plus capables, de mettre la
vertu et le mérite en lumière ?
« Sans
doute la chambre élective a besoin de gens de bien et de gens éclairés, et les
élections en amèneront ; mais ce n’est pas là le but exclusif pour lequel il
existe une chambre élective. Je ne veux pas amener des théories contestées ;
mais qui peut méconnaître, dans l’élection d’une chambre à laquelle il
appartient de voter la loi de l’impôt, l’intervention de la nation elle-même ?
Il y a donc une chambre élective dans l’intérêt de la nation, afin que ses vœux
et ses besoins soient connus et ses droits respectés. »
On
ne peut mieux dire ; ce sont donc les intérêts de la nation entière, les
intérêts répartis selon les divers centres de population, que la chambre
élective doit représenter, bien plus directement que la capacité.
« Dans
un Etat, pour que la représentation soit juste, dit Burke dans ses réflexions
sur la révolution française, il faut qu’elle représente et les talents et la
propriété. Mais comme les talents ont une espèce de chaleur vitale qui tient à
un principe entreprenant, et comme la propriété au contraire est par sa nature
paresseuse et timide, elle ne pourrait jamais être à l’abri des invasions de ce
principe entreprenant, si on ne lui accordait pas dans la représentation un
avantage au-delà de toute proportion. » La capacité est quelque chose de vague,
d’impondérable, qui ne pourra jamais servir de base au droit d’élire parce que
le signe en sera toujours arbitraire. Chacun pourra le réclamer, parce que la
définition de la capacité est impossible à formuler en loi. Les populations
urbaines prétendront être plus éclairées ; les populations rurales le
contesteront, elles se déclareront plus morales ; comment le prouver, et à qui
donner la prééminence, à la capacité ou à la moralité ? C’est un débat sans
limite et sans conclusions possibles.
Si
le but des chambres représentatives était seulement de réunir ce que le pays
renferme de supériorités intellectuelles, le droit d’élection lui-même serait
une véritable absurdité. Le choix venant d’en haut, le choix par le
gouvernement aurait bien plus de chances pour atteindre ce but, que l’élection
faite par les populations, et dès lors livrée au hasard des intrigues, des
influences qui se choquent et se contrarient.
Si
nous laissions au gouvernement le droit et le soin de former une assemblée
législative dans le seul but de trouver les hommes les plus capables, et en lui
laissant les coudées franches dans les choix qu’il aurait à faire, n’est-il pas
manifeste qu’il trouverait plus aisément que qui que ce soit cent personnages
très distinguées par leur savoir ? Il n’aurait pour cela qu’à jeter un coup
d’œil sur la liste des membres de l’académie, des sociétés savantes, des
professeurs de nos universités, des juges de nos différentes cours et des
avocats de notre barreau.
Une
chambre ainsi formée comprendrait certainement plus de capacités
intellectuelles que toutes celles produites par les élections quelconques ;
mais pourrait-on la nommer chambre représentative, elle qui ne représenterait
aucun des intérêts nationaux ? Ce serait, si l’on veut, une académie, un
conseil d’Etat, mais jamais une assemblée constitutionnelle. L’appréciation des
capacités doit être laissée aux électeurs qui sauront bien les distinguer, et
le congrès l’a tellement compris qu’il n’a pas exigé des candidats un cens
d’éligibilité, qu’il n’a pas même admis à l’électorat les professions
libérales. Ces moyens eussent cependant été les plus simples pour amener les
capacités. C’est parce que le congrès n’envisageait pas la capacité comme base
du droit électoral, mais bien plutôt la propriété, la richesse combinée avec
les populations.
Vous
comprenez, messieurs, que de ce point de vue, toutes les phrases qui ont été
dépensées sur la capacité des électeurs des villes, par opposition aux
électeurs des campagnes, ne reposent absolument sur rien et n’entraînent aucune
conclusion dans la question électorale.
En
y réfléchissant un peu, tout le monde conviendra que les principes fondamentaux
d’une bonne loi d’élection sont d’abord la fortune, la propriété par laquelle
les hommes sont attachés au sol de la patrie, par laquelle ils sont intéressés
à la paix publique. Or, le signe de cette fortune, c’est l’impôt, c’est le
cens.
Mais
si l’on ne tenait compte que de la richesse représentée pas l’impôt, si on ne
la combinait pas avec la population, on arriverait ce résultat que la
répartition des électeurs serait faite de la manière la plus inégale, et que
l’on mettrait ainsi hors la loi, comme le disait le Courrier Belge de 1830, des cantons, des districts, des provinces
entières.
L’impôt
et la population, voilà la double base sur laquelle, dans l’opinion de votre
commission, une loi équitable d’élections doit reposer. C’est aussi celle que
le congrès a admise : il a établi un cens pour représenter la richesse ; il a
établi un maximum et un minimum, selon l’expression de M. Defacqz, pour
diversifier ce cens d’après les localités, c’est-à-dire, représenter la
population.
Substituer
le cens uniforme au cens relatif, ce serait donc rejeter l’idée de population
qui doit dominer toute législation électorale.
Dans
la discussion de la loi du double vote, en 1820, en France, M. Royer-Collard a
dit sur ce point un de ces mots qui tranchent une question mieux que toute
argumentation, et ce mot pourrait fort bien servir d’épigraphe à tout travail
sur la matière qui nous occupe. Voici comment il exprimait ses regrets sur ce
que la charte de 1814 ne permettait pas de consacrer le cens relatif et varié
au lieu du cens uniforme : « La charte, disait-il, aurait pu élever la
capacité électorale, l’abaisser, en multiplier les signes, les distribuer
diversement sur le territoire, et il est permis de penser que L’EGALITE AURAIT
ETE PLUS OBSERVEE, SI L’UNIFORMITE L’AVAIT ETE MOINS. »
Si
le congrès a admis le cens inégal, proportionné d’abord aux provinces et
ensuite aux localités, c’est qu’il a pensé que, quant aux provinces, 80 florins
dans le Luxembourg valaient plus que 80 florins dans le Hainaut ou le Brabant,
et que, quant aux localités, 30 florins dans une commune rurale de la Campine
valaient plus que 30 florins à Anvers ou à Bruxelles ; il a compris qu’un impôt
moins élevé à la campagne comprenait une fortune foncière ou capitale beaucoup
plus considérable que le même impôt dans une ville. Il a calculé que par nos
lois sur les diverses branches d’un impôt, il est fait des différences
sensibles sur la manière dont les mêmes valeurs, terres, maisons, ou
établissements industriels, sont frappées selon qu’elles se trouvent dans telle
commune ou dans telle ville, dans telle province ou dans telle autre. La valeur
des propriétés varie donc d’après les localités ; or, c’est la valeur relative
et non la valeur intrinsèque qui règle l’impôt ; et comme l’impôt règle
lui-même le cens électoral, il est clair que pour être juste et équitable, ce
cens doit varier d’après des calculs de population.
S’il
est manifeste que la base de la loi électorale doit être l’impôt combiné avec
la population, la seule question qui resterait à examiner, c’est celle de
savoir si, dans le tableau du cens électoral, annexé à la loi de 1831, l’impôt
est réellement bien calculé d’après les diverses localités ; si, par exemple,
les villes n’ont pas été plus mal partagées que les campagnes. Eh bien, voici un
tableau statistique qui n’est pas contesté :
Sur
une population de 4,061,782 habitants, la Belgique compte 47,853 électeurs ; ce
qui établit un rapport de 1 sur 84.
Les
villes, sur une population de 958,227 âmes, ont 14,835 électeurs ; ce qui donne
1 sur 64.
Les
campagnes, sur une population de 3,103,555 habitants, ne comptent que 33,018
électeurs ; ce qui ne fait que 1 sur 94.
Il
résulte de ces chiffres que les villes ont, proportionnellement à la
population, un tiers d’électeurs de plus que les campagnes. Si le cens uniforme
était aujourd’hui consacré par une loi, cette proportion qui établit déjà un
privilège évident en faveur des villes deviendrait beaucoup plus criante
encore, et l’uniformité que les pétitionnaires nous proposent au nom de l’égalité
politique, créerait en fait la plus monstrueuse inégalité.
Messieurs,
c’est ici le lieu de vous présenter une considération qui prouvera combien les
pétitionnaires ont été mal inspirés en inscrivant sur leur bannière le cens
uniforme. Cette considération, la voici :
En
France, la loi électorale de 1831 et en Angleterre, le dernier bill de réforme
parlementaire, ont corrigé les lois antérieures de ces deux pays précisément
d’après les principes réalisés dans la loi d’élection qui nous régit, et que les
pétitionnaires veulent changer ; de manière que si nous obtempérions aux
demandes de réforme telles qu’elles sont formulées, tandis que l’Angleterre et
la France avanceraient, nous au contraire nous irions à reculons, et cela au
nom du progrès.
En
France, la charte de 1814 ne comportait qu’un cens fixe de 300 francs pour tout
le royaume. On ne tarda pas à reconnaître le vice de ce système, qui faisait
que le département de la Corse avait 22 électeurs, et tel arrondissement du
Bas-Rhin 31, tandis qu’un arrondissement de la Seine en comptait 8,000. Signalé
à diverses reprises dans le cours des quinze années de la restauration, ce vice
a été formellement avoué en 1831. Voici comment s’exprimait M. Béranger,
rapporteur de la commission :
« Le
système du projet, plus approprié aux besoins de l’époque, est aussi de nature
à rattacher au nouvel ordre de choses tout ce qui a intérêt à sa conservation.
Il substitue le cens relatif ou le système des plus imposés, au cens déterminé
; il crée en outre autant d’arrondissements électoraux qu’il y a de députés à
élire. »
Ce
système du projet dont la base unique était la population, sans même la
combiner avec un impôt déterminé, n’a pas été admis entièrement par la chambre
; mais le principe est resté, et voici comment il a été réalisé :
La
législature française a posé un cens fixe de 200 francs ; mais lorsque dans un
arrondissement le nombre des électeurs ne s’élève pas à 150, ce nombre est
complété en appelant les citoyens les plus imposés au-dessous de 200 fr.
Or,
l’importance de cette mesure peut être appréciée par l’assertion de M. Enouf, à
qui on la doit principalement. « Pénétré, dit-il, de l’injustice et des
inconvénients du cens fixe, j’ai dû penser qu’il fallait chercher ailleurs les
bases d’une bonne répartition du droit électoral. Je crois fermement que ces
bases sont ces deux grandes cotisations, les hommes et l’impôt. Quelques-uns,
ajoute-t-il, regrettent le cens fixe. Votre commission en a fait bon marché,
car je pense que, dans le tiers des départements, le nombre des électeurs
complémentaires surpassera de beaucoup ceux à 200 fr.
M.
Berryer s’exprimait comme M. Enouf à l’égard du cens fixe : « Sous le
système de la charte octroyée, je conçois le cens fixe, disait-il en 1831 ;
c’est une limite à une concession faite. Mais, avec le principe de la
souveraineté nationale je ne comprends plus le cens fixe. »
Vous
n’ignorez pas, messieurs, que l’opposition, en France, demande à grands cris la
réforme électorale, dont beaucoup d’électeurs font même une condition à leurs
candidats ; eh bien, cette réforme y est réclamée dans le but d’effacer les
derniers vestiges du système uniforme de la charte de 1814, et d’établir une
législation mieux en rapport avec la population de tout le royaume.
Dans
l’organisation communale de la France, le nouveau système, celui qui exclut le
cens uniforme, est encore mieux caractérisé. Il y est dit que les citoyens les
plus imposés aux rôles de la contribution directe sont appelés à voter, pour
les communes de 1,000 âmes et au-dessous, à raison de 1 sur 10 de la
population, et ainsi de suite d’après une échelle progressive. Voilà bien la
nécessité reconnue de revenir comme base des droits électoraux à la population
combinée avec la richesse. C’est dans ce système que la France vient d’entrer,
c’est celui adopté par le congrès, et c’est celui-là que les pétitionnaires
veulent faire répudier, pour rétrograder vers les idées de la restauration,
vers le principe de 1814 dont la France elle, n’a plus voulu.
Voyons
maintenant ce qui s’est passé en Angleterre :
Avant
le bill de réforme adopté en 1832 sous le ministère de lord Grey, le nombre
total des électeurs était réparti entre les divers comtés et bourgs de la
manière la plus inégale.
Cette
inégale répartition a été signalée par lord Grey et par lord Russell, comme la
raison qui nécessitait la réforme parlementaire. L’acte de réforme a eu pour
but de corriger cette inégalité en distribuant mieux les électeurs entre les
divers bourgs et comtés, d’après leur population.
Une
assez grande quantité de bourgs qui ne comptaient plus que 10, 6, et même un
seul électeur, nommaient chacun deux membres à la chambre des communes. Ces
bourgs étaient ceux qui avaient perdu leur importance primitive et qui ne
possédaient plus qu’un petit nombre de maisons et d’habitants.
D’après
l’acte de réforme, on enleva à 46 de ces bourgs inhabités le droit de nommer
des membres à la chambre des communes ; on le réduisit pour trente autres, et
ce droit de nomination fut transféré à des comtés et bourgs existants, privés
jusque-là de l’exercice des droits politiques, quoique renfermant une
population plus nombreuse.
Ainsi,
les principes de la réforme parlementaire, en Angleterre, sont conçus d’après
le système basé sur la population. D’ailleurs, tout le monde sait que ce
système y est vieux, et que depuis longtemps on y répète cet ancien adage des
jurisconsultes du pays que chaque brin d’herbe est représenté dans la
Grande-Bretagne.
Le
cens uniforme y est inconnu, et les réformistes l’ont toujours repoussé :
« Toutes les parties de l’Etat, dit lord Russell, toutes les classes
doivent participer aux élections ; autrement la classe exclue perdra toute
importance aux yeux des autres ; la législature ne veillera jamais à ses
intérêts. Tout système de suffrage uniforme, excepté le suffrage universel, est
entaché de ce vice radical. »
Plusieurs
pourraient croire que dans un pays aussi éminemment manufacturier que
l’Angleterre, l’acte de réforme a dû être conçu à l’avantage des villes,
principaux centres de l’industrie. Ce serait là une complète erreur ; écoutons
Brougham : « Les nouvelles dispositions du bill, disait-il dans la discussion
de 1832, ne donnent-elles pas aux propriétaires toute l’influence désirable ?
Elles auront pour effet nécessaire d’accroître l’influence de la propriété foncière. Ainsi
il est inexact de dire que la meilleure partie du système électoral existant
est détruit par le bill. »
Lord
Holland disait, comme lord Brougham, « que l’adjonction des copyholders, et des
fermiers sans bail, donnerait aux intérêts agricoles une influence beaucoup
plus grande que celle qu’ils avaient eue jusqu’à présent. »
Vous
le voyez, messieurs, les idées des réformistes belges seraient singulièrement
dépaysées en Angleterre ; on leur citerait ces paroles de lord Russel, à propos
d’un plan de réforme élaboré en faveur des cités : « Ce plan livrerait le
gouvernement dans les pires de toutes les mains, celles de la population des
grandes villes. »
Messieurs,
votre commission ne pense pas qu’il soit nécessaire d’aborder longuement la
question de l’adjonction des professions libérales soulevée par quelques
pétitionnaires ?
Personne
n’ignore que cette adjonction a été rejetée par le congrès, lors de la
discussion de l’article 47 de la constitution, par des motifs d’égalité
politique qui ont été exprimés par la plupart des orateurs. En 1831, la
proposition faite par M. l’abbé de Foere, d’admettre les professions libérales
au minimum du cens, a été repoussée par la question préalable, comme étant
inconstitutionnelle.
Le
conseil communal de Liège, dans sa pétition en faveur de la réforme électorale,
en fait lui-même la remarque ; et tout en témoignant une opinion favorable à
l’adjonction, il regrette que la constitution fasse obstacle à ce qu’une
proposition en ce sens soit présentée à la législature.
Cependant,
messieurs, comme nous tenons à ce que le plus grand jour soit apporté sur
toutes les faces de cette importante controverse, nous n’abandonnerons pas ce
point relatif à l’admission des professions libérales sans citer l’opinion
émise par une autorité qu’il serait difficile de récuser, par Benjamin Constant
; voici ses paroles qui ont été citées par un orateur français, lors de la
discussion de 1831, paroles qui ont produit une telle impression sur
l’assemblée, qu’on leur doit, en grande partie, le rejet de presque toutes les
catégories de professions libérales, proposées par le projet :
« Quelques
publicistes ont cru reconnaître qu’il y avait une troisième espèce de
propriété. Ils l’ont nommée intellectuelle. Un homme distingué dans une
profession libérale, ont-ils dit, un jurisconsulte, par exemple, n’est pas
moins fortement attaché au pays qu’il habite que le propriétaire territorial.
Mais cette propriété qu’on nomme intellectuelle ne réside que dans l’opinion. S’il
est permis à tous de se l’attribuer, tous la réclameront sans doute. Si c’est
l’opinion des autres qui doit conférer cette propriété intellectuelle,
l’opinion des autres ne se manifeste que par le succès et par la fortune qui en
est le résultat nécessaire. Alors la propriété sera naturellement le partage
des hommes distingués dans tous les genres. Mais il y a des considérations
d’une plus haute portée à faire valoir. Les professions libérales demandent
plus que toutes les autres peut-être, pour que leur influence ne soit pas
funeste dans les discussions politiques, d’être réunies à la propriété. Ces
professions, si recommandables à tant de titres, ne comptent pas toujours au
nombre de leurs avantages celui de mettre dans les idées cette justesse pratique
nécessaire pour prononcer sur les intérêts positifs des hommes. L’on a vu, dans
notre révolution, des littérateurs, des chimistes, des mathématiciens, se
livrer aux opinions les plus exagérées, qu’ils avaient vécu loin des hommes.
Ils étaient arrivés par des chemins dissemblables au même résultat, celui de
dédaigner les considérations tirées des faits, et de raisonner sur l’état
social en enthousiastes, sur les passions en géomètres, sur les douleurs
humaines en physiciens. »
Ces
paroles si remarquables nous dispensent de nous étendre davantage sur ce sujet
; bornons-nous à ajouter cette observation majeure qu’admettre les professions
libérales serait accorder au gouvernement le droit de créer des électeurs,
puisqu’il a à sa nomination beaucoup de places qui constituent des professions
libérales.
Jusqu’ici
le rapport de votre commission n’a roulé que sur le mode de réforme électorale
proposé par les pétitions des grandes villes ; il nous reste à vous exposer
notre opinion touchant les pétitions qui nous ont été présentées au nom des
campagnes. La plupart des pétitionnaires, tout en se plaignant de la position
défavorable dans laquelle la loi a placé les communes rurales ; tout en
constatant le fait que les villes ont un tiers d’électeurs de plus que les communes,
eu égard à leur population, demandent le maintien de cette législation par des
motifs d’ordre et de stabilité.
Dans
la supposition que la nécessité d’un changement à la loi électorale sait
admise, voici quelles sont les améliorations que ces pétitionnaires
désireraient de voir adopter.
Tous
s’accordent pour dénoncer le privilège si important dont jouissent les
électeurs des chefs-lieux de district électoral, en ne devant pas se déplacer
pour exercer leurs droits politiques, tandis que les électeurs des communes
éloignées doivent souvent faire 8 ou 10 lieues, perdant beaucoup de temps, et
forcés à des dépenses considérables, pour aller déposer leur bulletin dans
l’urne.
Ils
font remarquer que les difficultés des communications et tous les frais et les
désagréments qui résultent d’un déplacement à de telles distances, empêchent
naturellement une grande partie des électeurs des campagnes d’user du droit
précieux que la loi leur confère ; de sorte que la prépondérance marquée que
possèdent déjà dans les opérations électorales les chefs-lieux de district, se
convertira tôt ou tard dans un véritable monopole.
La
modification que plusieurs proposent d’adopter, dans le cas où le principe
d’une réforme serait admis, consistent à fixer les assemblées électorales par
chefs-lieux de canton.
Plusieurs
pétitions, en s’appuyant toujours sur les mêmes données, présentent un plan de
réforme plus complet et mieux dessiné. Elles demandent :
1°
Que la province soit divisée à raison de sa population, en autant de districts
électoraux qu’elle a de députés à nommer ;
2°
Que le cens, dans les cantons judiciaires composant un district électoral, soit
fixé de manière à ce que les cantons soient représentés aux élections
proportionnellement à leur population respective, sans cependant que ce cens
puisse excéder 100 florins ni être moindre de 20 florins.
Puis
viennent des dispositions réglementaires.
Messieurs,
les raisons politiques que nous avons développées et qui nous ont déterminés à
rejeter les demandes de réforme présentées par les villes, nous commandent de
rejeter aussi celles dont nous venons de nous occuper.
Cependant
il est vrai de dire que ces dernières modifications, ayant pour but non de
changer les bases, les principes de notre système d’élection, mais d’en faire
au contraire une application puis exacte, ne présentent pas le même danger que
celui qu’entraînerait une réforme radicale de principes.
Il est bon de remarquer ici que le système de
créer autant d’arrondissements électoraux qu’il y a de députés à élire, a été
consacré en France par la loi de 1831, et qu’une disposition analogue, pour
éviter le déplacement des électeurs, a été introduite dans l’acte de réforme en
Angleterre. Ces deux autorités donnent quelque poids à la demande des
pétitionnaires.
Aussi,
messieurs, tout en vous proposant l’ordre du jour sur toutes les pétitions sur
lesquelles nous avons été chargés de vous présenter un rapport, nous déclarons
que si la chambre n’accueillait pas cette motion d’ordre du jour, nous nous
prononcerions dans le sens des dernières pétitions que nous venons d’analyser
parce que la réforme qu’elles demandent est partielle et prudente, reposant sur
les principes de la loi en vigueur et se tenant dans les bornes préservatrices
de la constitution.
(Moniteur
belge n°48, du 17 février 1838) M. Verhaegen. -
Messieurs, membre de la commission des pétitions, je dois déclarer que je ne
puis pas m’associer, non pas à un rapport, mais à un plaidoyer contre la
réforme électorale. En conséquence la chambre me permettra de lui faire
connaître la position dans laquelle je me suis trouvé comme membre de la
commission des pétitions.
Aux
termes de l’article 65 du règlement, il faut qu’il y ait une convocation
régulière, 3 jours à l’avance, au moyen d’un bulletin énonçant la mention des
pétitions avec le numéro et l’objet ; et cela avant la séance fixée dans
laquelle M. le rapporteur doit être entendu.
C’est
seulement hier que j’ai été informé officieusement par l’honorable M. Zoude que
M. Dechamps devait lire aujourd’hui en commission son rapport sur la question
électorale. J’ai reçu dans la matinée un billet qui m’annonçait que la
commission des pétitions se réunirait à 10 heures et demie, sans autre
indication.
J’ai
été étonné qu’on soit venu nous lire pendant deux heures un travail qui ne
renferme absolument rien qui soit relatif aux pétitions. Je m’explique.
On
a placé les pétitions dans deux catégories. On vous a dit ce que demandent les
pétitionnaires, mais on ne vous a pas exposé les motifs sur lesquels leur demande
est basée ; on a combattu le système de réforme, mais on a passé sous silence
les raisons de ceux qui réclament la réforme. Jusqu’à présent vous ne savez pas
les motifs qui ont engagé telle ou telle ville, Bruxelles par exemple, à
pétitionner ; et puisque je parle de Bruxelles, je dirai que cette ville a fait
valoir une masse de raisons pour appuyer la réforme électorale.
Je
le demande dès lors, est-il possible de se former une opinion sur les pétitions
dont la chambre est saisie ? Vous ignorez encore ce que les pétitions
demandent, vous savez seulement que M. Dechamps combat la réforme ; vous ne
savez pas de quelle manière s’est formée l’opinion de la commission des
pétitions. Est-ce à l’unanimité que la commission a adopté le travail ? Si ce
n’est à l’unanimité, à quel nombre de voix la commission s’est-elle prononcée ?
L’honorable
M. Dechamps vient de faire valoir une foule de raisons que nous aurons occasion
d’examiner plus tard. Ces raisons sont-elles toutes adoptées par tous les
membres de la commission ? C’est ce que je ne sais pas. Il me semble que pour
faire un rapport, il faut prendre une autre route.
Un rapport, ce me semble, doit contenir le pour
et le contre ; il faut qu’on expose à la chambre les motifs qui ont servi de
base à la demande, et la commission, soit à l’unanimité, soit à une majorité
quelconque, se prononce alors pour l’une ou l’autre opinion, et présente des
conclusions en conséquence.
Messieurs,
un rapport est l’exposé de tout ce qu’on rencontre dans la pétition ou dans les
pétitions diverses. Je demanderai donc qu’on nous soumette un rapport, pour que
nous puissions nous prononcer en connaissance de cause et que nous sachions de
quoi il s’agit. On proposera probablement l’impression du rapport de M.
Dechamps ; moi, je dirai du plaidoyer de M. Dechamps contre la réforme
électorale : mais cette impression ne nous servira à rien, et à notre tour nous
demanderions l’impression des pétitions dont on ne vous a pas donné l’analyse.
M.
Dechamps, rapporteur. - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen, en
lisant le règlement, a prétendu que les formes usitées n’ont pas été accomplies
; il a cité l’article du règlement qui veut que les convocations soient faites
trucs jours à l’avance.
Messieurs,
cela est vrai pour la réunion où la discussion a lieu au sein de la commission,
mais je crois qu’il ne se trouve nulle part que les mêmes formes doivent être
employées pour la lecture des rapports. Jamais on n’a exigé une convocation de
trois jours à l’avance, pour entendre la lecture d’un rapport.
L’honorable
M. Verhaegen a semblé me faire un reproche de ce que je n’avais pas dit par
quel nombre de voix le rapport a été approuvé ; il l’a été à l’unanimité des
quatre membres présents ; M. Verhaegen n’y était pas, et M. Mast de Vries n’a
pu s’y rendre, attendu qu’il est absent pour cause de maladie.
L’honorable
préopinant m’a fait un reproche plus grave, celui d’avoir présenté, non un
rapport, mais un plaidoyer contre la réforme réclamée par quelques pétitionnaires.
Mais, messieurs, quand une commission adopte un système, adopte des conclusions
quelconques, il faut bien que le rapporteur développe les raisons qui ont
motivé l’opinion de la commission. Selon M. Verhaegen, il semblerait que
l’office d’un rapporteur se borne à relater les opinions pour et les opinions
contre, sans donner un avis sur les questions. Mais tout rapport est un
plaidoyer, dans ce sens que tout rapport contient une opinion quelconque.
Messieurs, si je n’ai pas exposé toutes les
raisons développées dans les 41 pétitions déposées sur le bureau de la chambre
; c’est que chaque pétition contenait des raisons différentes ; mais la raison
générale, adoptée par les pétitionnaires des grande villes, a été (comme j’ai
eu l’honneur de vous le dire dans mon rapport) l’égalité de tous devant la loi,
l’égalité politique. Voilà la raison fondamentale sur laquelle leurs pétitions
sont appuyées.
Pour
ma part, je suis loin de m’opposer à l’impression des pétitions. Cependant je
ferai remarquer que la question électorale a été traitée depuis longtemps dans
tous les journaux, et que les points essentiels des pétitions ont été imprimés
dans les feuilles publiques et doivent dès lors être généralement connus. Quoi
qu’il en soit, comme je viens d’avoir l’honneur de le dire, je suis loin de
m’opposer à ce que les pétitions soient imprimées, ou, si l’on veut, à ce
qu’une analyse détaillée en soit donnée. Je crois qu’il est convenable, avant
que l’on discute cette question si grave, que la chambre soit saisie, comme la
commission l’a été, de toutes les pièces du procès.
M.
Verhaegen. - Messieurs, je n’ai pas voulu adresser un
reproche à qui que ce soit ; il n’y a jamais rien de personnel dans mes
observations ; mais à chacun son droit ; et comme je n’entends nullement
assumer sur moi une responsabilité du chef du rapport qui vous a été lu, j’ai
cru de mon devoir de vous donner une explication catégorique et publique.
Comme
je fais partie de la commission des pétitions, on aurait pu croire que je
m’associais au travail de M. le rapporteur, et il ne me convenait nullement
qu’on pût croire qu’il en fût ainsi. Voilà le premier motif pour lequel j’ai
pris la parole.
J’ai
parlé, et avec raison, de l’article 65 du règlement. L’honorable M. Dechamps a
dit qu’il n’était pas d’usage de convoquer trois jours à l’avance pour la
lecture des rapports, que cette convocation préalable n’était prescrite que
pour la discussion de ces rapports. Eh bien, je le répète, et à cet égard je
puis invoquer le témoignage de M. le président et de M. le secrétaire de la
commission, je n’ai pas été convoqué pour assister à la discussion relativement
à l’objet dont il s’agit. Je ne sais comment le travail a été fait ; j’ai
seulement su hier, par un avis officieux de M. Zoude, que M. Dechamps lirait
aujourd’hui son rapport.
Mais
je n’ai jamais été convoqué pour assister à la moindre délibération
relativement à l’objet qui nous occupe. Comment le travail qu’on vient de vous
lire a-t-il été fait ? Je n’en sais rien. Avais-je raison de faire
l’observation que je viens de soumettre à la chambre ? Je le crois, car une
commission pourrait se réunir à quelques membres sans convoquer les autres,
préparer un rapport, et venir le présenter à la chambre comme l’œuvre de toute
la commission des pétitions. C’est sous ce rapport que j’ai récusé la
responsabilité du travail de M. Dechamps. J’ai lieu de croire que la chambre ne
désapprouvera pas ma conduite.
J’ai
dit que le travail de M. Dechamps n’était pas un rapport, mais un plaidoyer
contre la réforme. Notre honorable collègue considère cela comme un reproche.
C’est un fait sur lequel j’ai à m’expliquer. Vous l’apprécierez. Un rapport, en
quoi consiste-t-il ? A rappeler ce qui a été dit et ce qui a été fait, et à
donner ensuite, au nom de la commission, l’opinion de cette commission.
Qu’avons-nous dans l’espèce ? Nous avons l’opinion de la commission, mais nous
n’avons aucune relation relativement au fait sur lequel la commission a donné
son opinion. C’est à la chambre à juger si la commission a eu tort ou raison
dans l’opinion qu’elle a émise. Comment la chambre pourra-t-elle juger, si elle
n’a pas les éléments sur lesquels la commission a formé son opinion ? Or, ces
éléments sont de deux espèces.
Les
raisons alléguées, il fallait les présenter. On a repoussé l’opinion de ceux
qui demandent la réforme électorale par tels et tels motifs, il fallait les
énoncer. La commission a donné la préférence à ceux qui ont combattu la
réforme, et elle a exposé les motifs sur lesquels ils s’appuient. Mais en ce
moment il est impossible de juger la question, à moins de vous en rapporter à
une opinion dont vous ne connaissez pas les éléments.
Un
rapport n’est pas un plaidoyer. Notre honorable collègue se trompe
grossièrement quand il dit qu’il a fait un rapport. Faire un rapport, c’est
énoncer les opinions diverses qui ont surgi sur une question et prendre des
conclusions.
Je me résume donc en disant que s’il y a lieu
d’imprimer ce qu’on appelle un rapport, il y aura lieu aussi d’imprimer les
pétitions. Il sera curieux de voir dans la pétition de Bruxelles notamment la
masse de raisons toutes aussi fortes les unes que les autres, dont on ne dit
pas un mot dans le travail qu’on vient de vous lire. Maintenant, ne vaudra-t-il
pas mieux, au lieu d’imprimer d’un côté le travail de M. Dechamps et de l’autre
les pétitions, ce qui ferait deux énormes volumes, ne vaudrait-il pas mieux
faire ce qu’on aurait dû faire dès le principe, donner le résumé de toutes les
raisons sur lesquelles les pétitionnaires se sont basés ? Le travail serait
complet. Je soumets cela à la sagacité de la chambre ; elle fera ce qu’elle
jugera convenable. J’ai cru devoir présenter ces observations à cause de la
position personnelle dans laquelle je me suis trouvé, et pour que la grave
question dont il s’agit fût jugée en connaissance de cause.
M. Zoude. - Je demande la
parole pour répondre au reproche de l’honorable préopinant qui s’est plaint de
ce que la commission des pétitions n’avait pas été convoquée. J’ai l’honneur de
dire à la chambre que pendant le mois pour lequel M. Verhaegen a été nommé
membre de cette commission, elle ne s’est occupée que de deux rapports, l’un
que l’honorable membre a fait lui-même, et celui que vient de présenter M.
Dechamps. On sait combien les pétitions sont en retard ; la chambre ne consacre
pas de jour à entendre les rapports. La commission se fatigue de se réunir,
elle ne s’occupe plus que de questions spéciales ; c’est ce qui faisait l’objet
des deux rapports dont je viens de parler.
M.
Dubus (aîné). - Je pense qu’on a invoqué à tort l’article 65
du règlement pour conclure qu’on aurait dû convoquer la commission des
pétitions trois jours à l’avance pour s’occuper de l’objet sur lequel elle
voulait faire un rapport. Cet article n’a jamais été appliqué aux commissions.
Cet article fixe le délai qui doit s’écouler entre la distribution du
feuilleton et la discussion des rapports de la commission des pétitions. Je ne
comprends pas que nous discutions le rapport qui vient d’être fait, nous
n’avons pas de feuilleton. Il doit être fait un feuilleton rappelant toutes les
pétitions rapportées ; ce feuilleton en fera connaître l’objet, analysera les
raisons sur lesquelles elles s’appuient, et trois jours après, au jour qu’il
plaira à la chambre de fixer, nous pourrons discuter.
Je
ne crois pas que parce que le membre de la commission chargée d’examiner une
pétition et de faire un rapport fait un rapport dans lequel il n’énonce pas les
raisons des pétitionnaires, on puisse dire que ce n’est pas un rapport. Que
doit faire un rapporteur ? Rapporter l’opinion de la commission dont il est
l’organe. Si l’opinion de la commission s’appuie sur un grand nombre de
raisons, le rapport est un plaidoyer qui développe toutes ces raisons.
Un
honorable membre vante beaucoup, sous le rapport des raisonnements et de leur
développement, une pétition de la ville de Bruxelles ; si je ne me trompe, elle
a été insérée dans les journaux ; ainsi il n’a pas à regretter qu’elle n’ait
pas reçu assez de publicité.
Si j’en crois l’honorable membre, cette pétition
est un plaidoyer pour la réforme. Eh bien, cesse-t-elle pour cela d’être une
pétition ? Non ; de même l’opinion développée d’une commission sera aussi un
plaidoyer sans cesser d’être un rapport et un acte tout à fait parlementaire.
Je
crois que le rapport qui a été présenté doit être imprimé et distribué ainsi
que le feuilleton des pétitions sur lesquelles porte ce rapport. Du reste, ceux
qui désireraient connaître le contenu des pétitions, comme elles restent
déposées, pourront en prendre connaissance.
M. Dolez.
- Je pense, quant à moi, comme l’honorable M. Verhaegen, que le rapport de
l’honorable M. Dechamps ne répond pas à ce qu’on doit réellement attendre d’un
rapport. Quel est en effet le but d’un rapport de la commission des pétitions ?
C’est d’éviter à tous les membres de la chambre d’entrer dans tous les détails
des questions que soulèvent les pétitions. C’est pour éviter une grande perte
de temps à la chambre qu’on renvoie cet examen à quelques membres seulement.
Sans doute il faut que le rapporteur, comme l’a dit M. Dechamps, vienne émettre
une opinion sur les pétitions. Mais il faut aussi qu’il vienne succinctement et
analytiquement faire connaître le contenu des pétitions. Sans cela un rapport
serait parfaitement inutile. Il importe peu à la chambre de savoir que 5 ou 6
membres sont de tel avis sur telle question. Ce qui importe, c’est que la
chambre soit éclairée et mise à même de statuer sur les prétentions des
pétitionnaires ; or, pour cela il est nécessaire que la chambre connaisse tous
les moyens que les pétitionnaires ont fait valoir. Comme le rapport ne nous les
fait pas connaître, je proposerai à la chambre de renvoyer à la commission les
pétitions, pour qu’elle en donne l’analyse, toutes les pétitions qui lui ont
été soumises sur cette question.
M. Dechamps, rapporteur.
- Je ne puis que me référer à ce que j’ai dit tout à l’heure. J’ai présenté
dans le rapport les arguments contenus dans les nombreuses pétitions qui vous
ont été adressées. Ces arguments se réduisent à deux : celui de l’égalité de
tous devant la loi, et l’argument tiré de la constitution. Or, j’ai démontré
que notre législation électorale n’est pas en désaccord avec l’article de la
constitution, qui consacre le principe de l’égalité de tous devant la loi ; en
second lieu, j’ai réfuté tous les arguments relatifs à la constitution.
Maintenant
certainement il est entré dans la pensée de la commission de faire, à l’égard
de ces pétitions, ce qu’on fait pour toutes les autres, de faire un feuilleton
; or ce feuilleton comprendra l’analyse de toutes les pétitions. La commission
ne l’a pas entendu autrement. C’est une règle adoptée, et l’on ne peut s’en
écarter pour ces pétitions, qui sont des plus importantes. Cette analyse des
pétitions sera annexée au rapport, à moins que la chambre, adoptant la
proposition de l’honorable M. Verhaegen, ne décide que les pétitions entières
seront imprimées.
M. Dolez.
- L’honorable M. Dechamps se trompe essentiellement lorsqu’il pense que je
demande pour ces pétitions un feuilleton analogue aux feuilletons de pétitions
qui sont distribués aux membres de la chambre. Ces feuillerons ne contiennent
que les noms des pétitionnaires et l’objet des pétitions. Ce n’est pas là ce
que je désire dans le rapport de M. Dechamps. C’est l’analyse des raisons
données dans les pétitions. M. Dechamps dit que l'appel au principe de
l’égalité de tous devant la loi est produit dans ces pétitions sous cent formes
diverses. Mais je crois qu’il importait de faire connaître la forme sous
laquelle ces principes ont été produits ; car un argument ne frappe pas sous
une forme et frappe sous une autre.
Je
persiste donc dans ma proposition. Je crois que la chambre ne peut manquer de
l’adopter si elle veut rester dans ses antécédents, qui sont de prendre
connaissance des motifs sur lesquels sont fondées les pétitions pour statuer
sur ces pétitions.
M.
de Brouckere. - Le rapport dont on vient de donner lecture
est positivement l’expression de l’opinion de la majorité de la commission,
puisqu’il a été approuvé par cette majorité et qu’aujourd’hui un seul membre
réclame comte son texte. Je pense donc que sous ce point de vue il n’y a aucun
reproche à adresser à l’honorable orateur qui a parlé au nom de la
commission...
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - C’est cela. Il
faut être juste.
M.
de Brouckere. - Oui, il faut être juste avant tout.
Mais
puisqu’un membre de la commission prétend qu’on n’a pas inséré dans le rapport
qui a été présenté tous les motifs qui militaient en faveur d’une opinion
contraire à celle défendue par le rapporteur au nom de la commission, il me
semble qu’on ne peut s’opposer à ce qu’il soit donné une analyse de
quelques-unes des pétitions adressées à la chambre. L’honorable rapporteur
convient qu’il faut imprimer, selon l’usage, un feuilleton où seront indiqués
le nom et la qualité des pétitionnaires et l’objet de la pétition. Je demande
que le rapporteur, en faisant imprimer ce feuilleton, y ajoute une analyse des
principaux motifs qu’ont fait valoir les pétitionnaires. Je m’en rapporte à lui
sur le choix des moyens.
De cette manière,
tout le monde aura ses apaisements. Nous aurons d’un côté un feuilleton, dans
lequel seront exposés l’objet des différentes pétitions et les motifs sur
lesquels se fondent les pétitions ; d’un autre côté, le rapport de la
commission des pétitions qui s’occupe des pétitions et des motifs sur lesquels
elles sont fondées. Je crois qu’ainsi tout sera concilié. Je suis persuadé que
l’honorable rapporteur ne s’opposera pas à l’adoption de ma motion.
M.
Dechamps. - J’en ai fait moi-même la proposition.
M.
Gendebien. - Toutes les pièces seront-elles imprimées
ensemble ?
Plusieurs
membres. - Oui, certainement.
M.
Verhaegen. - Je me rallie à la proposition de M. de
Brouckere.
-
La proposition de M. de Brouckere est mise aux voix et adoptée.
(Note du webmaster : voir ci-dessous
l’analyse dont il a été question.)
PRESENTATION DE PROJETS DE LOI
M. le
ministre des finances (M. d’Huart) présente deux
projets de loi : le premier, tendant à majorer les droits sur différents
articles de tabac, à remplacer par de nouveaux droits 15 articles différents,
qui se trouvent dans le tarif ; le second, tendant à augmenter les droits sur
plusieurs catégories de bois venant de l’étranger, mais laissant subsister les
droits actuellement existants sur toute espèce de bois servant aux
constructions navales et civiles.
-
La chambre ordonne l’impression et la distribution des projets de loi.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. de Brouckere.
- Il n’y a aucun projet de loi à l’ordre du jour pour la séance de demain ; je
demande qu’elle soit consacrée aux naturalisations et que les sections soient
réunies dans la matinée. La séance pourrait ne commencer qu’à une heure et
demie.
M. le ministre des finances (M. d’Huart).
- Messieurs, je crois la demande superflue. D’après nos antécédents, lorsqu’un
objet est à l’ordre du jour, si les travaux de la chambre empêchent de s’en
occuper, il se trouve nécessairement à l’ordre du jour du lendemain. Ainsi les
naturalisations étaient aujourd’hui, avec les pétitions, à l’ordre du jour, et
les pétitions ayant épuisé la séance, il s’ensuit que demain on doit commencer
par les naturalisations.
M.
Dumortier. - Il y a longtemps que nous nous sommes
occupés des pétitions, et le droit de pétition deviendra illusoire si nous
continuons, de la sorte. Le vendredi, dans les sessions précédentes, leur était
consacré ; je demande que demain on s’occupe d’abord des pétitions ; on passera
ensuite aux naturalisations, s’il y a lieu.
M. Lebeau.
- Je demande an contraire que l’on commence par les naturalisations, et que les
pétitions viennent après. Nous avons consacré, aujourd’hui, une séance entière
aux pétitions, quoique plusieurs d’entre nous aient cru qu’on s’occuperait des
naturalisations,
Depuis
longtemps on ne s’en est occupé ; cependant les naturalisations sont un objet
urgent relativement à la position toute spéciale de plusieurs personnes. Je le
répète, je demande que demain on commence par les naturalisations, mais je ne
m’oppose pas à ce qu’ensuite on s’occupe des pétitions.
M. Dumortier.
- Messieurs, l’opinion de l’honorable préopinant est le renversement de l’ordre
du jour d’aujourd’hui.
Nous
nous sommes occupés des pétitions, dans cette séance ; mais de combien de pétitions
? Il y a des Belges qui nous ont adressé des pétitions depuis deux ans ; il est
temps de leur répondre. Le droit de pétition est un droit sacré. Celui qui
demande une naturalisation demande une faveur, celui qui nous soumet une
pétition fait usage d’un droit ; je demande que le droit passe avant la faveur.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Messieurs, je crois la discussion sur
l’ordre du jour inutile quant à ses résultats : il n’y a qu’un bulletin de naturalisations
à l’ordre du jour ; on pourra l’épuiser promptement au commencement de la
séance de demain, puis épuiser après le bulletin des pétitions. Les pétitions
dont on devait s’occuper aujourd’hui ne peuvent pas prendre plus de la moitié
d’une séance. Je demande que l’on commence par les naturalisations.
M.
Gendebien. - Si des pétitions sont en retard depuis deux
ans, il y a des naturalisations qui sont en retard depuis cinq ou six ans,
depuis le commencement de la révolution. Il est temps d’en finir, et de dire
aux étrangers qui nous ont fait des demandes, si l’on veut qu’ils soient ou ne
soient pas Belges. La séance entière de ce jour a été consacrée aux pétitions ;
commencez demain par les naturalisations, vous aurez du temps de reste pour les
pétitions.
M. de Brouckere.
- On a fait une théorie sur le droit de pétition ; mais je ferai remarquer que
les demandes en naturalisation sont de véritables pétitions. Il n’est pas exact
de dire que les naturalisations soient des faveurs ; il y a des personnes qui
ont des droits réels à la naturalisation, et c’est justice de la leur accorder.
J’insiste
pour que demain on commence par les naturalisations.
M.
Dumortier. - Les pétitions viennent de citoyens belges ;
les demandes en naturalisation viennent d’étrangers : nous sommes les
représentants des Belges, chargés de nous occuper de leurs intérêts et non des
intérêts des étrangers. Vous voulez qu’on s’occupe des naturalisations ; mais
n’est-il pas fâcheux qu’on puisse dire, par rapport aux naturalisations, en se
servant d’une expression triviale, qu’on fait des Belges à la chambre comme on
fait des petits pains chez le boulanger ?
M. le
président. - Nous ne sommes plus en nombre ; demain, à
l’ouverture de la séance, la chambre décidera par quoi elle doit commencer.
-
La séance est levée à quatre heures et demie.
ANALYSE DES PETITIONS RELATIVES A LA REFORME
ELECTORALE
(Note du webmaster : les analyses qui
suivent ont été insérées dans le Moniteur en raison de la polémique qui avait
été ouverte lors des débats qui ont suivi la lecture du rapport de la
commission de la chambre dans la séance du 16 février 1837. Il est renvoyé
ci-dessus.)
(Moniteur belge n°61, du 2 mars 1838)
« Pétition
n°1427, datée de Bruxelles, le 14 avril 1837.
« Le
conseil communal de la ville de Bruxelles demande l’uniformité du cens dans le
même collège électoral.
« Les
pétitionnaires, après avoir constaté que, dans la capitale qui compte cent deux
mille âmes de population, plus de cent mille habitants sont exclus de
l’exercice du droit d’élire ; après avoir fait remarquer qu’une partie des
citoyens, frappés ainsi d’ilotisme dans la cité, deviennent électeurs en passant
l’enceinte de ses murs, concluent que l’un de leurs premiers devoirs est de
solliciter la révision d’une loi si contraire aux intérêts de leurs
administrés. « Ce que nous demandons, c’est l’égalité, c’est qu’il n’y ait
pour tous qu’un même poids, qu’une même balance ; c’est en un mot l’uniformité
du cens dans le même collègue électoral. Que l’habitant de la campagne ne cesse
pas d’être électeur lorsqu’il vient demeurer en ville, et qu’à son tour
l’habitant de la ville n’ait pas intérêt à la quitter pour aller acquérir
ailleurs le droit électoral.
« Cette
demande porte avec elle sa justification ; il n’est point de raisonnement qui
puisse obscurcir l’évidence du droit qui forme sa base, et il serait inutile
d’en invoquer pour la faire ressortir, car c’est une de ces vérités simples qui
tombent sous les sens. Le fondement n’en est-il pas posé dans la constitution ;
le principe de l’égalité devant la loi n’est-il pas gravé au frontispice de
cette loi des lois ? »
« Les
pétitionnaires avancent que le motif allégué pour justifier l’inégalité du cens
est celui de conserver l’équilibre entre les campagnes et les villes, et font
remarquer que c’est là diviser la nation en deux camps, en rendant même la
lutte inégale à cause des privilèges accordés aux campagnes.
« Ils
font observer que cette distinction du cens entre les villes et les campagnes
est un reflet de la loi fondamentale des Pays-Bas, qui divisait aussi les
électeurs par catégorie, et que ce sont les circonstances seules qui ont forcé
le gouvernement provisoire à prendre ce système de catégories pour principe de
son arrêté du 10 octobre. Ils soutiennent que la constitution, en établissant
qu’il n’y a dans l’Etat aucune distinction d’ordres, à réprouvé par cela même
une subdivision quelconque entre les membres d’un même collège.
« La
constitution, ajoutent-ils, a fait du cens la base de la capacité électorale.
Mais ce qu’elle n’a point voulu, ce qu’elle ne pouvait vouloir, c’est
l’inégalité dans la condition des contribuables. Si aux côtés opposés de l’échelle
de l’impôt elle a fixé deux points qui ne pourraient être franchis, c’est,
d’une part, pour empêcher que l’élévation excessive du cens ne fît du droit de
voter l’apanage exclusif de l’opulence et, d’autre part, que ce droit fût
réservé comme la dotation du travail et de l’industrie. Tel fut le but de la
constitution dans son article 47. Lorsqu’on y abandonnait à la loi ordinaire
les degrés intermédiaires du cens, on était loin de prévoir que cette latitude
servirait à détruire l’égalité entre les contribuables. »
« Les
pétitionnaires apportent pour preuve de l’intention du congrès l’article de la
constitution qui fixe le cens d’éligibilité au sénat à 1,000 florins, sans
distinction de villes ou de campagnes, de districts ou de provinces, et font
remarquer que cette uniformité est éminemment propre à créer un véritable
esprit national.
« Ils
constatent que le principe de l’uniformité a été consacré par le décret du 19
juillet 1831, qui organise l’institution du jury, décret qui n’admet aux
fonctions de juré que les habitants de la province qui paient le cens déterminé
pour le chef-lieu.
« Selon
les pétitionnaires, si un collège électoral était susceptible de catégories, il
ne faudrait pas balancer à attribuer le privilège aux villes, non pas que les
lumières y soient plus répandues, que le sentiment de patriotisme y soit plus
vif, que l’indépendance des votes y soit mieux assuré, mais uniquement parce
que les villes sont assujetties à une foule de charges pour la plupart
inconnues aux campagnes.
« Mais,
ajoutent-ils, ce n’est pas un privilège que nous réclamons, c’est le droit
commun. En déclarant que « tous les pouvoirs émanent de la nation, »
le pacte constitutionnel n’a pas jeté une stérile abstraction ; il a posé un
principe dont l’application devait se réaliser avec la plus grande étendue que
les circonstances comporteraient.
« Qu’on
ne déguise pas d’autres motifs sous les apparences de la crainte pour l’ordre
public. Une récente expérience a prouvé que la réforme pouvait s’accomplir sans
danger. La loi communale, votée en 1836, a abaissé le cens des électeurs
communaux au-dessous des deux tiers du cens exigé à Bruxelles pour l’élection
aux chambres. Cette mesure y a doublé le nombre des votants, et cependant ne
craignons pas de dire avec un juste orgueil que notre nomination, qui a été
leur premier ouvrage, est le produit des votes intelligents et libres. »
________________
« Pétition
n°1361, datée de Liége, le 16 mars 1837
« Le
conseil communal de Liége demande l’uniformité du cens par chaque province.
« Pour
les villes, la loi électorale en vigueur est moins qu’une fiction, c’est une
amère dérision : car, sous son empire, les intérêts des cités doivent être
nécessairement abandonnés à des représentants qui leur sont imposés par la
masse d’électeurs privilégiés venant du dehors. Le mal est inhérent à la loi,
il est tout entier dans la confusion de principes, qui cependant sont
entièrement distincts ; l’un est relatif au nombre des représentants, l’autre
concerne les conditions des électeurs. Que le nombre des députés soit calculé
sur le chiffre des populations, ainsi le veut la constitution. Mais s’ensuit-il
que les diverses populations qui sont représentées en commun, doivent concourir
aux élections par un nombre plus ou moins relatifs d’électeurs ? Evidemment,
non, et c’est ici que se découvre le défait radical de la loi.
« Sans
se préoccuper des intérêts particuliers aux villes et aux campagnes, sans nul
égard pour les qualités qui doivent faire l’électeur, on s’est laissé dominer
par la pensée qu’il fallait établir un équilibre entre les villes et les
campagnes, et de là cette distance plus que doublée entre le cens de la ville
et le cens des campagnes. Est-il besoin de signaler les effets de cette fatale
combinaison ? C’est un défi jeté aux villes d’ouvrir l’entrée des chambres aux
capacités administratives, financières, industrielles, sans l’autorisation des
campagnes.
« Que
dire d’une législation qui livre les villes à la discrétion d’électeurs qui
n’en connaissent pas les besoins ? Qu’elle est l’œuvre de la précipitation ;
que le congrès, qui d’ailleurs manquait de renseignements statistiques, a fixé
les chiffres du cens d’une manière arbitraire, qu’il a fait une loi
injuste. »
« Les
pétitionnaires affirment que ce serait aux villes qu’il devrait appartenir de
jouer le principal rôle dans les élections ; parce que c’est là que les
connaissances des intérêts généraux se rencontrent ; que le besoin de stabilité
se fait le plus sentir ; que les sciences, les arts, le commerce et
l’industrie, ont leur domaine spécial.
« Ils
font remarquer qu’il arrivera de l’état de choses actuel, que les villes,
indifférentes aux élections pour la législature, tourneront leur attention et
leurs espérances vers les conseils provinciaux, où les capacités des villes se
concentreront, tandis que la défiance accueillera les actes de la législature.
« Ils
regardent comme indispensable d’harmoniser les principes à mettre à la base de
la loi d’élection pour les chambres avec ceux adoptés pour la commune et la
province, où les villes sont suffisamment représentées.
« On
ne comprend pas, disent-ils, pourquoi l’habitant des villes qui paie un cens
égal à celui de l’électeur des campagnes, ne peut pas profiter du droit d’élire
; n’a-t-il pas sa propriété, son négoce à protéger ? Outre l’avantage de se
rattacher au principe d’égalité qui respire dans toutes nos lois politiques, le
moyen proposé a encore celui de pouvoir prendre place dans la loi sans en
détruire l’économie. »
« Après
avoir fait observer que si l’on voulait procéder par catégories, il faudrait
varier le cens dans les campagnes mêmes, les pétitionnaires arrivent à la
considération suivante :
« C’est,
vous le savez, messieurs, une opinion généralement admise que les sciences et
les arts libéraux devraient pouvoir prendre part aux élections sans aucune
condition. En descendant dans les villes le cens électoral à l’égal de celui
des campagnes, l’exclusion se fait moins sentir, et l’on adoucit ainsi une
disposition constitutionnelle, à laquelle l’esprit public n’a fait grâce qu’à raison
du motif d’égalité qui l’a déterminé. »
« Les
pétitionnaires terminent en rappelant encore l’importance des intérêts des
villes sacrifiés aujourd’hui à ceux des campagnes, et redemandent leur part
d’influence. »
_________________
« Pétition
n°1276, datée de Gand, le 28 janvier 1837
« Le
conseil communal de Gand demande :
« 1°
L’uniformité du cens entre les villes et les campagnes ;
« 2°
D’entourer l’élection de formes qui garantissent mieux la liberté de
l’électeur.
« Les
motifs à l’appui sont à peu près les mêmes que ceux renfermés dans les
pétitions de Bruxelles et de Liége. Il suffira d’en extraire les passages les
plus saillants :
«
En conférant aux habitants de la campagne les droits électoraux à titres
différents qu’à ceux des villes, la loi a fait une distinction injuste ; elle a
créé véritablement un ordre de villes et un ordre de campagnes, au mépris de la
constitution qui le défend et qui proclame l’égalité devant la loi. D’après la
combinaison adoptée, les électeurs des villes se trouvent partout et
nécessairement en minorité. C’est ce qui est démontré par la statistique
générale des électeurs du royaume, c’est ce que démontre plus particulièrement
le tableau des électeurs du district de Gand.
«
Ce tableau comprend 2,858 électeurs, dont 932 seulement appartiennent à la
ville de Gand. Les campagnes en fournissent 1853, et la ville de Deynze en
donne seule 73.
« La
constitution a voulu que les membres des deux chambres représentassent la
nation, et non uniquement la province ou la subdivision qui les a nommés. Pour
que cette disposition fût une vérité, il faudrait que les conditions
électorales fussent les mêmes pour tous ceux qui sont appelés à exercer leurs
droits en commun. »
« Après
avoir dit que les électeurs des villes ont un intérêt prépondérant à défendre
le commerce, l’industrie, la liberté individuelle et les autres garanties
constitutionnelles, les pétitionnaires soutiennent que les villes représentent
peut-être plus directement les intérêts de la propriété et de l’agriculture que
les électeurs des campagnes, parce que c’est dans les villes qu’il faut
chercher la plupart des propriétaires fonciers.
« Ils
font remarquer, d’autre part, que telle est, selon eux, l’absurdité de la loi,
que grand nombre de ceux qui exercent l’industrie agricole, les fermiers, sont
eux-mêmes exclus de la participation aux élections.
« Ils
renouvellent les considérations déjà énumérées dans les analyses précédentes,
sur l’injustice de ne pas admettre pour tous les mêmes conditions d’aptitude
électorale, et soutiennent que, pour déterminer le cens des villes à 80
florins, et celui des campagnes à 20 florins, il faudrait pouvoir dire que
l’habitant des villes payant 30 florins n’a pas la même capacité que l’habitant
des campagnes payant le même cens.
« L’inégalité
du cens est une violation du principe d’égalité, est une injure faite à
l’habitant des villes.
« Les
pétitionnaires s’appuient sur l’observation déjà exprimée dans la pétition de
Liége, et tirée du principe d’uniformité de cens adopté dans la loi sur le jury
; ils concluent que de cette anomalie résulte pour les villes une part plus
large dans les charges, et pour les campagnes une part plus large dans les
bénéfices.
«
En présence de ces monstruosités, disent les pétitionnaires, que devient la
constitution, que devient l’égalité devant la loi ? »
« Les
pétitionnaires terminent en critiquant les dispositions de la loi qui
permettent que l’électeur vote sans avoir écrit lui-même son bulletin, sans
même savoir quels noms ce bulletin contient. »
________________
« Pétition
n°1383, datée de Tournay, le 12 avril 1837
« Le
conseil communal de Tournay demande :
« 1°
Le cens uniforme, en émettant le vœu que l’article 47 de l’acte constitutionnel
puisse être bientôt révisé ;
« 2°
Que les étrangers ayant obtenu la simple naturalisation, soient admis à voter.
« Après
avoir rappelé le grand principe de notre pacte social, « les Belges sont
égaux devant la loi, » principe que l’inégalité du cens a faussé, d’après
eux, les pétitionnaires émettent la conviction que l’article 47 de la
constitution n’a point voulu que le cens changeât à raison des localités ;
qu’il paraît au contraire résulter de cet article que le cens doit être
uniforme.
« Le
conseil communal explique comment les circonstances au milieu desquelles se
trouvait le congrès, et qui n’existent plus aujourd’hui, l’ont amené à se hâter
dans la formation de cette loi. Il cite les paroles d’un orateur, desquelles il
résulte, d’après lui, que le congrès n’a voulu faire qu’un essai de loi provisoire.
« Il
ajoute que dans le système actuel, par une anomalie dont peut-être il n’y a pas
d’exemple, la partie de la nation présumée la moins instruite impose à l’autre
sa volonté.
« Après
avoir avancé que la justice commande qu’une exception soit faite au principe
d’égalité en faveur des capacités, des professions libérales, le conseil
communal de Tournay demande, en attendant que l’article 47 de la constitution
puisse être révisé dans ce sens, que l’on modifie la loi en adoptant un cens
uniforme pour les villes et les campagnes. »
__________________
« Pétition
n°1476, datée de Louvain, le 29 avril 1837
« Le
conseil communal de la ville de Louvain demande le cens uniforme pour tout le
royaume, en émettant le vœu que l’article 47 de la constitution soit bientôt
révisé.
« Les
motifs, très succincts d’ailleurs, sur lesquels le conseil s’appuie, se bornent
à signaler la sujétion des villes et la violation, par la loi électorale, du
principe de l’égalité devant la loi. »
__________________
« Pétition
n°1455, datée de Malines, le 2 mai 1837.
« Le
conseil communal de Malines demande l’uniformité du cens pour chaque province.
« Les
raisons qu’il rapporte à l’appui sont très peu développées et ne présentent
rien qui n’ait été dit. »
__________________
« Pétition
n°57, datée de Bruges, le 14 octobre 1837.
« Le
conseil communal de Bruges demande l’uniformité par province, ou tout au moins
par district électoral.
« Les
motifs de cette réclamation sont basés sur le principe de l’égalité devant la
loi, sur la comparaison tirée de la loi du jury, et sur d’autres considérations
qui ont été développées dans les pétitions déjà analysées. »
___________________
« Les
conseils communaux de Thuin, de Hasselt, de Verviers, de Huy, d’Huysse,
d’Ixelles, de Charleroy, d’Eyne, de Soignies, demandent l’uniformité du cens
dans tout le royaume, en reproduisant, chacun, quelques-unes des raisons
alléguées par les pétitionnaires de Bruxelles, de Liége ou de Gand.
« Le
conseil communal de Saint-Nicolas réclame un cens fixe par district électoral.
« Le
conseil communal d’Ypres demande l’élévation du cens des campagnes au niveau de
celui de la ville la plus imposée de l’arrondissement.
« Des
électeurs de Malines désirent l’adoption d’un cens uniforme pour tout le
royaume, et l’admission à l’électorat des professions libérales.
« Le
conseil communal d’Audenaerde demande que le cens électoral, pour les élections
aux chambres et aux conseils provinciaux, soit le même pour tout le
royaume. »
________________
« Pétition
n°1446
« Des
électeurs de l’arrondissement de Huy demandent le maintien de la loi du 3 mars
1831 ; mais dans l’hypothèse où la chambre adopterait l’utilité de quelques
modifications, ils proposent d’établir le chef-lieu de canton pour siège des
assemblées électorales, et d’accorder le droit d’élire aux fermiers des
propriétaires qui paient dans la même commune le double du cens électoral.
« Voici
quelques passages de cette pétition :
« Il
semble dangereux pour la tranquillité du pays de vouloir faire des changements
à la loi électorale qui, étant l’œuvre du congrès national, doit être regardée
comme faisant partie de la constitution. S’il venait à être fait des
changements à cette loi, on ne tarderait pas à voir multiplier ces sortes de
demandes, de manière qu’elle ne deviendrait bientôt qu’un recueil incohérent de
privilèges obtenus par la prépondérance des partis. »
« Ils
font observer qu’en assimilant le cens électoral des villes à celui des
campagnes, on réduirait à une nullité presque entière le droit électoral dans
les campagnes. « Les électeurs du plat pays disent-ils, par un vice de la loi
actuelle, sont obligés à aller voter au chef-lieu du district, ce qui, pour un
grand nombre d’entre eux, cause un déplacement frayeux, pénible, à cause des
distances de plusieurs lieues qu’ils ont à parcourir, ainsi que par le temps
souvent démesurément long pendant lequel on leur fait attendre le scrutin, ce
qui empêche un grand nombre d’électeurs de s’y rendre ou d’y rester.
« Nos
adversaires, dans leurs pétitions, établissent le principe de la justice de
leurs demandes sur celui de l’égalité de droits entre les citoyens d’un même
pays ; ce raisonnement est devenu futile, après avoir été tant de fois réfuté.
Depuis l’âge des révolutions, cette chimère a toujours été mise en avant par les
nombreux brouillons, avides de tout accaparer, auxquels on donne le nom
d’hommes du mouvement ; l’expérience de même que la théorie en ont constamment
démontré la nullité. En ce qui concerne son application de la manière dont nos
adversaires l’entendent, il suffit de dire qu’en supposant qu’on admît
l’égalité du cens électoral dans chaque province, il faudrait, pour que le but
proposé fût atteint, qu’il fût encore admis dans tout le royaume. Il en
résulterait que les Flandres n’auraient pas un autre cens électoral que le
Luxembourg. On voit quelle en serait la conséquence. De plus, pour se conformer
au principe d’égalité, l’abaissement du cens ne suffit pas, il faudrait qu’il
n’en fût exigé aucun. Il serait inutile d’exposer quelles seraient les suites de
cette mesure. »
« Après
avoir parlé des nombreux avantages que possèdent déjà les villes, et
spécialement du privilège qu’elles ont obtenu par l’addition des patentes aux
impôts directs pour former le cens, les pétitionnaires posent leurs conclusions
énumérées en tête de cette analyse, et terminent ainsi : « Nous le répétons :
Il semble préférable de renoncer à faire quelques perfectionnements à la loi
primitivement donnée, attendu les motifs que nous en avons donnés : le bon
ordre, ainsi que la sécurité qui en résulte, ne peuvent subsister là où les
lois n’ont point de stabilité. »
________________
« Une
pétition signée par un grand nombre d’électeurs du canton de Nandrin est conçue
dans le même sens. »
________________
« Pétition
n° 254, datée de Bierwart, le 20 décembre 1837.
« Des
habitants de la commune de Bierwart demandent que les principes suivants soient
admis comme bases des modifications que la chambre pourrait apporter à la loi
électorale :
« 1°
Que la province soit divisée, à raison de sa population, en autant de districts
électoraux qu’elle a de députés à nommer à la chambre des représentants ;
« 2°
Que le cens dans les cantons judiciaires réunis pour la composition d’un
district électoral, soit fixé de manière à ce que les cantons soient
représentés aux élections proportionnellement à leur population respective,
sans cependant que cette fixation puisse excéder 100 fl. ni être au-dessous de
20 ;
« 3°
Que, sous le rapport de l’élection au sénat, le mode suivi pour le Luxembourg
soit généralement adopté ;
« 4°
Qu’afin d’éviter des secousses électorales trop multipliées, il soit nommé
simultanément un suppléant et un représentant ;
« 5°
Qu’un scrutin pour les élections soit ouvert au chef-lieu du canton sous la
présidence du juge de paix, lequel, le lendemain de l’opération, se rendra au
chef-lieu du district électoral, où le bureau principal fera le recensement
général des votes. »
_______________
« Pétition
de la ville de Lessines, n° 24, en date du 10 juin 1837.
« L’administration
communale de Lessines demande que les assemblées électorales soient réunies par
chefs-lieux de canton.
« Elle
s’appuie sur la presque impossibilité, pour les électeurs des localités
environnantes, d’exercer leurs droits politiques, à cause de leur éloignement
du chef-lieu du district, dont les électeurs jouissent par cela même d’une
espèce de monopole électoral.
« Après
avoir constaté tous les inconvénients pratiques qui résultent, selon les
pétitionnaires, de cette violation des principes de l’égalité politique, ils
terminent ainsi :
« La
réforme si nécessaire, en ce sens, est l’objet de tous les vœux, au moins de la
grande majorité de la nation belge, et naît de la nature des institutions
consacrées par le pacte fondamental, dont les principes ne peuvent, sans elle,
recevoir une franche et entière application, et deviendraient un non-sens. »
__________________
« La
régence de Grammont, par une pétition n°70, fait la même demande que le conseil
communal de Lessines, et l’appuie sur des motifs analogues. »
__________________
« Pétition
n°60, datée du canton de Bodignée, le 1er mai 1837.
« Des
électeurs du canton de Bodignée demandent le maintien de la loi électorale, par
des motifs de paix publique ; mais ils ajoutent que si l’on reconnaissait l’opportunité
d’y apporter des modifications, il n’est pas douteux, selon eux, que ces
modifications devraient se faire en faveur des campagnes qui supportent, sans
se plaindre, que les villes jouissent d’un très grand avantage numérique
d’électeurs en proportion de leur population ; inégalité qui provient de
l’admission des patentes dans le cens électoral.
« Ils
terminent en émettant plusieurs considérations sur les faveurs dont, selon eux,
sont comblées les villes, et sur les charges qui pèsent sur les campagnes, qui
peuvent bien supporter, par dévouement à la chose publique, l’injustice de la
loi électorale actuelle à leur égard, mais qui conjurent les chambres de ne pas
pousser l’exigence des sacrifices au dernier terme. »
________________
« L’administration
communale de Warnant-Dreye, des électeurs du canton de Hollogne-aux-Pierres, un
grand nombre d’électeurs du canton de Héron, des électeurs de la commune
d’Ixelles, l’administration de Flosloy, le conseil communal de Beersel, le
conseil communal de Wolverthem, les bourgmestres, des conseillers et des
électeurs de onze communes du district de Verviers, l’administration communale
d’Anderlecht, des habitants de la commune de Londerzeel, des habitants de la
commune de Fumal, l’administration communale d’Evelette, le conseil communal
d’Aubel et des électeurs du canton de Nandrin, demandent, soit le maintien de
la loi du 3 mars 1831, soit de mieux établir les districts électoraux en
rapport avec la population, en fixant le lieu des assemblées électorales aux
chefs-lieux de canton. »
_________________
« Une
pétition des habitants de Genappe est conçue en termes généraux, et ne formule
aucune conclusion. »