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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 10 février
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à
la chambre, notamment pétition relative aux droits sur le lin (de
Man d’Attenrode)
2) Fixation de
l’ordre des travaux de la chambre
3) Projet de loi sur
les pensions civiles et ecclésiastiques. Caisse de retraite des employés des
finances
4) Projet de loi sur
le cumul des pensions
5) Projet de loi sur
les droits de douanes sur le café (Scheyven, de Theux)
6) Projet de loi
relatif à l’abonnement des débitants de boissons distillées.
a) Discussion
générale. (Non-)prise en compte de cet abonnement dans le calcul du cens
électoral (Verhaegen, Dubus (aîné),
Desmet, Mercier, Angillis, Duvivier, de Langhe, d’Huart, Demonceau, d’Huart, Gendebien, Devaux, Dolez, Gendebien, Devaux, Verhaegen, de Theux, Angillis, Dolez, Gendebien, Verhaegen)
b) Discussion des
articles. Renvoi du projet à la section centrale (de
Langhe, Andries), autorisation préalable d’ouvrir
un débit de boissons (lutte contre l’alcoolisme et police communale des
cabarets) (Lebeau), renvoi du projet à la section
centrale (Demonceau, d’Huart,
(+autorisation préalable) A. Rodenbach, Pollénus, Verdussen,
(+autorisation préalable) (d’Huart, A.
Rodenbach, Lebeau, Rogier, Demonceau, A. Rodenbach, Desmanet de Biesme, d’Huart, de Theux, A. Rodenbach)
7) Projet de loi
relatif à la police du roulage sur les routes vicinales (Rogier,
de Theux, Pollénus, Verhaegen)
8) Motion d’ordre
relative au renchérissement des houilles (David)
(Moniteur belge
n°43, du 12 février 1838 et Moniteur
belge n°44, du 13 février 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge
n°43, du 12 février 1838)
M. de Renesse
fait l’appel nominal à une heure.
M. B. Dubus
lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« La chambre de commerce de Louvain renouvelle
ses observations contre le projet de loi sur le sel. »
« Plusieurs négociants en toiles, de Louvain,
demandent qu’il soit établi : 1° un droit d’exportation sur les lins et les
étoupes ; 2° un droit élevé d’importation tant sur les fils que sur les toiles
et 3° qu’il soit accordé des primes d’exportation pour les produits de la
fabrication indigène. »
________________
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, vous venez d’entendre l’analyse d’une
requête des négociants en toile de la ville de Louvain ils vous signalent
l’état de souffrance de l’industrie linière, et vous demandent des moyens de
venir à son secours, qui consistent, selon eux, dans un droit à établir sur le
lin et l’étoupe à la sortie, et sur les fils anglais à l’entrée. Sans vouloir
préjuger en rien cette grave question, je demande le renvoi de cette requête à
la commission d’industrie, qui s’en occupe dans ce moment.
- La proposition de M. de Man d’Attenrode est mise aux
voix et adoptée ; en conséquence la pétition de la chambre de commerce de
Louvain est renvoyée à la commission d’industrie.
L’autre requête est renvoyée à la commission des
pétitions.
FIXATION DE L’ORDRE
DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. le président.
- Dans la séance d’hier M. le ministre de l’intérieur a déposé trois projets de
lois dont l’un est relatif aux chemins vicinaux, l’autre à une séparation de
communes, et le 3° aux ventes à l’encan ; ce dernier projet étant urgent, on
pourrait décider immédiatement s’il sera renvoyé aux sections ou à une
commission. Ce matin les présidents des sections se sont réunis, et ils sont convenus
que, si la chambre renvoyait ce projet aux sections, il pourrait y être mis à
l’ordre du jour pour lundi, avec le projet de loi relatif au droit sur le café.
- La chambre prononce le renvoi aux sections du projet
de loi sur les ventes à l’encan.
Le projet de loi relatif à une séparation de communes
est renvoyé à une commission qui sera nommée par le bureau.
M. le président.
- On statuera ultérieurement sur le projet de loi concernant les chemins
vicinaux, lorsqu’il aura été imprimé et distribué.
PROJET DE LOI SUR LES PENSIONS CIVILES ET
ECCLESIASTIQUES
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, j’ai l’honneur de présenter à la
chambre un projet de loi général sur les pensions ; ce projet comprend toutes
les pensions civiles et ecclésiastiques, c’est-à-dire toutes les pensions à
l’exception des pensions militaires et civiques qui sont réglées par des lois
particulières.
Vous avez été précédemment saisis, messieurs, d’un
projet de loi spécial concernant la caisse de retraite des employés du
ministère des finances ; comme les pensions de ces employés se trouvent
comprises dans le projet que j’ai l’honneur de vous soumettre, je dépose en
même temps un arrêté royal pour retirer le projet de loi relatif à la caisse de
retraite.
M. le ministre donne ensuite lecture de l’arrêté royal
dont il s’agit.
PROJET DE LOI SUR LE CUMUL DES PENSIONS
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, j’ai également l’honneur de vous
présenter un projet de loi réclamé par l’article 139 de la constitution, un
projet de loi sur le cumul ; ce projet est en quelque sorte le corollaire et le
complément du projet de loi sur les pensions,
que je viens de déposer.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution
des projets présentés par M. le ministre des finances ; ces projets sont
renvoyés aux sections.
M. Scheyven. - Messieurs, dans
la séance d’hier, M. le ministre des finances a déposé un projet de loi
concernant le droit de douanes sur le café. D’après les renseignements que j’ai
reçus, il paraît que le gouvernement a demandé sur cet objet l’avis des
chambres de commerce ; je crois qu’il serait très utile que le gouvernement
nous communiquât les renseignements qu’il a reçus, afin que nous fussions à
même d’examiner le projet en sections avec connaissance de cause, car moi et
beaucoup de mes honorables collègues n’avons pas une connaissance spéciale en
cette matière. Je crois donc qu’il est indispensable que le gouvernement nous
donne communication des avis des chambres de commerce.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je n’ai aucune
objection à faire contre la proposition de l’honorable préopinant ; si la
chambre le désire, la communication qu’il demande sera faite.
M. Scheyven. - Il est d’autant
plus important que cette communication ait lieu, que je tiens ici une copie de
l’avis de la chambre de commerce de Venloo, laquelle pense que si le projet de
M. le ministre des finances était adopté, tout le commerce de cette ville serait
anéanti ; il est important que la chambre connaisse les motifs qui ont été
allégués par cette chambre de commerce.
Je demanderai que les avis dont il s’agit soient
imprimés et distribués aux membres de la chambre, avant l’examen par les
sections du projet de loi dont il s’agit.
- La chambre décide que les avis des chambres de
commerce seront imprimés et distribués.
M. le président.
- Maintenant désire-t-on que le projet ne soit mis à l’ordre du jour des
sections, qu’après l’impression et la distribution des avis des chambres de
commerce.
Plusieurs
membres. - Oui.
M. le président.
- Alors aussitôt que l’impression sera faite, les sections seront convoquées
pour s’occuper du projet.
PROJET DE LOI RELATIF A L’ABONNEMENT DES
DEBITANTS DE BOISSONS DISTILLEES
Discussion générale sur la question de principe
posée par le gouvernement
M. Verhaegen.
- Messieurs, je ne reprends la parole que pour dire deux mots de l’article 112
de la constitution, en réponse à l’honorable M. Dubus. D’après cet honorable
préopinant, qui a annoncé qu’il voterait contre la proposition du gouvernement,
le texte de l’article 112 de la constitution ne pourrait ici recevoir son
application ; quant à moi, je pense que la solution de la question dépend de
l’article 112, et je maintiens tout ce que j’ai dit à cet égard. L’honorable M.
Dubus a dit que si l’article 112 était entendu comme je l’entends, la
constitution se serait violée elle-même ; je vous avoue, messieurs, que j’ai eu
peine de comprendre cet argument ; une loi ne se viole jamais elle-même ; il
faut examiner toutes les dispositions d’une loi dans leur ensemble. Lorsque
dans une loi il a été posé un principe et qu’il s’y rencontre une autre
disposition qui déroge à ce principe, il en résulte que la loi, en établissant
une règle générale a, en même temps, établi une exception à cette règle ; il ne
faut donc jamais consulter un article de loi isolément. Ainsi, quand on examine
l’article 112, il faut le mettre à côté de l’article 47 ; voilà la première
réponse que j’ai à faire à l’honorable M. Dubus ; mais il en est une autre tout
aussi péremptoire : l’article 112 ne dit pas du tout ce que lui fait dire
l’honorable préopinant ; l’article 112 ne dit pas que tous les impôts doivent
être mis sur la même ligne, ce qui semble résulter de l’opinion de l’honorable
membre ; l’article 112 n’a d’autre portée que d’établir que tous ceux qui
paient l’impôt (sans encore examiner quelle espèce d’impôt) doivent être mis
sur la même ligne.
Ainsi, quand un individu paiera un impôt quelconque,
il devra être mis sur la même ligne que son voisin qui paie aussi un impôt.
Il y a une grande différence entre ce principe et ce
que l’honorable préopinant fait dire à l’article 112, que tous les impôts
devraient être placés dans la même catégorie.
Voici, messieurs, ce que porte l’article 112 :
« Il ne peut être établi de privilège en matière
d’impôt. »
C’est-à-dire que tous ceux qui paient des impôts
doivent être placés sur la même ligne. Or, qu’est-ce qu’il y a de contraire en
cela à l’article 47 ? L’article 47 dit que quiconque paie en impôts directs une
somme de … sera électeur ; il n’y a là rien qui soit en opposition avec
l’article 112 ; le principe reste intact. Mais quand même l’article 47 aurait
quelque peu dérogé à l’art. 112, la constitution ne se serait pas pour cela
violée elle-même.
L’article 112 doit surtout être mis en rapport
avec l’article 6, qui dit que tous les Belges sont égaux devant la loi. Or,
messieurs, comment voulez-vous admettre que ces articles ne seraient pas
violés, si, pour être dans la même position qu’un Belge qui paie 80 florins
d’impôt, un autre Belge devrait en payer 95 ? Ce serait là une monstruosité !
Je terminerai par une autre observation qui n’a pas
encore été faite : il s’agit de l’opportunité de l’objet en discussion. Est-ce
bien le moment de s’occuper d’une question aussi importante alors que la
chambre est saisie d’une masse de pétitions en matière électorale ? Doit-elle
surtout s’en occuper, dans un sens inverse à l’opinion dominante qui paraît
être en faveur d’une augmentation du nombre d’électeurs ?
M. Dubus (aîné). - Je dirai aussi peu de mots en réponse, ou plutôt
pour la rectification de ce que vient de dire l’honorable préopinant ; il est
d’autant plus nécessaire que je dise quelques mots, que ce que j’ai eu
l’honneur de dire hier à la chambre a été tronqué dans le Moniteur. L’honorable
membre prétend que j’aurais avancé qu’il y avait antinomie entre l’article 47
et l’article 112 de la constitution ; je n’ai pas dit cela, j’ai dit au
contraire qu’il n’y avait pas d’antinomie ; l’argumentation à laquelle je
faisais allusion tendait à faire établir une antinomie entre ces deux articles.
Je n’ai pas dit d’une manière positive que la constitution se serait violée
elle-même, j’ai dit qu’en argumentant comme on le faisait, on arriverait à ce
résultat qu’il aurait opposition entre deux articles de la constitution. Voilà
ce que j’ai dit, et je le maintiens.
M. Desmet. - Je désire motiver
mon vote approbatif du principe de la loi qui nous a été présenté par M. le
ministre des finances ; car, messieurs, cette loi offre le meilleur moyen
d’arrêter les abus de la boisson ; on n’atteindra pas seulement les liqueurs
fabriquées à l’intérieur, mais encore celles qui sont importées de l’étranger.
La proposition ne portera pas atteinte à l’industrie de la distillerie, et
personne ne peut nier que l’agriculture n’ait nécessairement besoin de cette
industrie. Où se commettent les plus grands abus de boisson ? C’est surtout
dans les petits cabarets du plat pays ; selon moi, il n’y a pas d’autre moyen
pour arrêter ces abus que celui qu’on propose ; ajoutez-y une police un peu
plus active, et le bien que nous désirons atteindre le sera ; si j’ai quelque
chose à critiquer au projet, c’est que le taux de l’impôt est trop petit, mais
le ministre le sent comme moi, il nous a fait entendre que ceci ne servait que
d’essai et que plus tard il y aurait moyen de l’augmenter.
Je reviens encore sur la police des cabarets, car
vraiment il n’y en a plus du tout, et particulièrement dans le plat pays, rien
n’est observé l’égard de la surveillance des cabarets et de leur fermeture le
soir aux heures de retraite, et c’est en grande partie au défaut de cette
police qu’on doit attribuer les excès en boisson dont on se plaint aujourd’hui.
Tout en approuvant le principe du projet, avant de
finir, je désire répondre à l’objection qu’on a faite contre le nouvel impôt,
en le voulant faire passer comme un impôt direct, et par conséquent le faire entrer dans le cens
électoral. Je ne peux y trouver un impôt direct, mais un véritable abonnement
qui frappe sur la consommation des liqueurs fortes, débitées dans les cabarets
et autres lieux ouverts au public. Or, jamais vous n’avez vu qu’un abonnement
sur la consommation ait été considéré comme un impôt direct. Qu’avez-vous en
France depuis la restauration ? C’est que l’exercice sur les cabarets y a été
remplacé par un abonnement sur les boissons ; et cependant cet abonnement n’a
pas été considéré comme un impôt direct, mais bien comme faisant partie des
contributions indirectes.
En Angleterre, vous avez la même chose, l’accise sur
les distilleries se paie en une fois pour un certain laps de temps, vous
déclarez combien vous pouvez produire, et vous payez une somme capitale
proportionnée à la production déclarée ; c’est bien là un abonnement dans toute
la force du terme, et cependant cette accise figure dans le budget comme impôt
indirect.
Toujours les abonnements ont existé, et jamais ils
n’ont été considérés comme impôt direct ; pour pouvoir ranger le nouvel impôt
dans la catégorie des contributions directes, on l’assimile et on le fait
passer pour une patente. Mais avant de combattre cette assimilation, je
demanderai depuis quel temps la patente a été considérée comme impôt direct.
En France elle n’a été rangée parmi les contributions
directes que depuis l’arrêté de brumaire an X, avant elle avait toujours été
considérée comme impôt indirect ; quand en 1790, l’assemblée nationale a créé
les nouveaux impôts et en a fait une quintuple division, elle a rangé le droit
qui a remplacé les maîtrises et les jurandes dans la deuxième classe, qui
comprenait les impôts qui frappaient sur la consommation, et encore en France
on pourrait contester si la patente doit être prise comme impôt indirect, car
l’arrêté de brumaire émanait uniquement du pouvoir exécutif, et il ne stipule
rien d’autre, que la contribution sur les patentes serait perçue par les
percepteurs des contributions directes.
En Belgique ce n’est que depuis la loi de principe sur
les contributions, de 1821, que l’impôt patente a été rangé dans la catégorie
des contributions indirectes. Je crois que le motif en était de faire percevoir
cet impôt par les percepteurs des contributions directes et aussi de soumettre
son recouvrement aux mêmes règles que celles suivies pour le recouvrement des
contributions, qui sont plus faciles et moins coûteuses que celles à suivre
pour le recouvrement des contributions directes.
Si donc il n’avait pas été stipulé chez nous, par une
loi, que la contribution sur les patentes appartenait à la catégorie des impôts
directs, on pourrait encore mettre en doute si elle y appartient, et c’est la
raison, je pense, pour laquelle on a, en rédigeant l’article 47 de la
constitution, ajouté aux mots « contributions directes » ceux de
« patente comprise, » car, s’il était clair que les patentes
formaient une contribution directe, pourquoi fallait-il y ajouter ces mots et
quand dans cette même disposition on a parlé de patente, on n’a fait aucune
mention des abonnements sur la consommation ; cependant ces abonnements
existaient comme aujourd’hui.
L’assimilation au droit de patente n’est donc pas
applicable, car, comme je viens de le démontrer, par sa nature la patente
appartient plutôt à la catégorie des impôts indirects qu’à celle des directs,
et que ce n’est que par une stipulation expresse qu’elle a été rangée depuis
1821 dans la dernière.
D’ailleurs, on peut tenir très peu compte des
définitions données des impôts ; souvent elles ne sont pas exactement
appliquées, vous en avez l’exemple dans les droits de l’enregistrement sur des
biens immeubles ! Peut-on avoir un impôt plus direct que celui-là, et cependant
on le considère comme indirect.
En résumé, il me paraît de toute évidence que le
nouvel impôt est un abonnement qui frappe la consommation, et dont le montant
est payé par le débitant, par conséquent indubitablement une contribution
indirecte ; et c’est parce que j’ai cette conviction, que j’envisage que cet
impôt ne devra pas être compris avec ceux qui forment le cens électoral, et que
je croirai pouvoir donner mon assentiment à l’une des deux propositions
déposées sur le bureau ; mais cependant, je déclare formellement que j’aurais
préféré que ces propositions n’eussent jamais été rédigées de la sorte, car
elles sont toutes deux faites pour embarrasser et faire croire que nous voulons
modifier une disposition de la constitution.
En votant donc l’une ou l’autre de ces propositions,
celle du ministre ou celle de l’honorable M. Devaux, j’entends seulement
déclarer que cet impôt ne doit pas faire partie du cens électoral, parce que je
le considère comme un impôt indirect, et que jamais on ne pourra le considérer
autrement. C’est donc ainsi que je voterai ces propositions ; et je désire
encore le répéter, afin que mon explication soit bien comprise, que mon vote
approbatif à la proposition de M. Devaux n’a qu’un seul motif, c’est celui que
je considère l’impôt comme indirect, et le juge conséquemment ne pas devoir
être compris parmi les contributions d’où est formé le cens électoral ; mais je
déclare que je ne partage aucunement les motifs qu’a donnés l’honorable M.
Devaux en appui de sa proposition, que je considère même comme dangereux, car
on pourrait en conjecturer qu’elle a eu pour but de porter quelque atteinte à
une disposition de la constitution.
M. Mercier. - Dans la séance
d’hier, j’ai dit qu’aucune définition de l’impôt direct n’était établie par la
loi, et qu’il était impossible d’en trouver une qui ne fût pas susceptible de
contestation.
La suite de la discussion a prouvé que je ne m’étais
pas trompé, et toutes les définitions qui ont été essayées ont été ou peuvent
être réfutées, soit comme ne s’appliquant pas à toutes les contributions
directes, soit comme s’appliquant à d’autres impôts.
Des orateurs ont longuement examiné si la patente
devait être considérée comme contribution directe, et si l’article 47 de la
constitution la comprend incontestablement dans l’impôt direct qui forme le
cens électoral : pour ma part je n’ai pas élevé l’ombre d’un doute à cet égard
et je me suis au contraire attaché à prouver que la patente faisait
nécessairement partie de l’impôt direct mentionné à l’article 47 de la
constitution ; je l’ai prouvé en rappelant qu’une loi formelle, une loi de
principe, celle du 12 juillet 1821, rangeait cet impôt parmi les contributions
directes ; cette loi subsistait an moment où la constitution a été votée, et
pour que le droit de patente eût pu ne pas faire partie du cens électoral, il
eût fallu une disposition expresse à l’article 47 de la constitution pour l’en
exclure. Mais est-ce à dire pour cela que tout impôt qui aura quelque analogie
avec le droit de patente devra nécessairement aussi être considéré comme
contribution directe ? Je le crois d’autant moins que la patente elle-même n’a
été rangée parmi les contributions que par une sorte d’exception sept ans après
l’établissement de cet impôt, et probablement par le seul motif que la
perception en fut opérée par l’agence des contributions directes, après l’avoir
été précédemment par la régie de l’enregistrement ; d’ailleurs, messieurs,
l’abonnement des débitants de boissons tel qu’il est présenté est tout
différent du droit de patentes sous bien des rapports.
1° Il n’est pas établi d’après les bénéfices présumés
de l’assujetti, ce qui cependant est le principe fondamental du droit de
patente ;
2° Il est hors de toute proportion avec le droit de
patente ;
3° Il est uniforme pour tous les redevables d’une même
commune ;
4° Par sa nature il tient lieu de droit de
consommation sur les boissons spiritueuses ;
5° Il s’établit par semestre et par trimestre et non
pas pour toute l’année ;
6° Il doit être intégralement payé par
anticipation et non par douzièmes comme les contributions directes.
Ainsi, dans son principe, cet impôt n’a aucune
analogie avec le droit de patente : par sa nature, c’est un droit de
consommation établi dans le but avoué d’atteindre et d’entraver la consommation
des boissons spiritueuses ; dans sa forme, s’il se rapproche en quelques points
du droit de patente, nous venons de voir qu’il s’en éloigne en beaucoup
d’autres.
Il me semble donc qu’il existe de plus puissants
motifs pour ne pas considérer le droit sur les débitants de boissons comme
contribution directe que pour l’admettre dans cette catégorie d’impôts ; que
par conséquent c’est en le comprenant dans le cens électoral qu’il y aurait
violation de l’article 47 de la constitution.
Je voterai donc pour l’amendement de M. Devaux,
quoique par des motifs différents de ceux que l’honorable membre a exposés.
M. Angillis.
- Malgré la longue discussion qui a eu lieu sur la question qui nous occupe,
les difficultés qu’on rencontre toujours quand on discute des objets non
définis n’ont pas été aplanies, on a présenté une somme égale d’objections
contre les opinions contraires.
Je viens de dire que l’objet dont il s’agit n’est pas
bien défini, parce que la définition que les Français ont établie des impôts
directs et indirects ne présente ni une idée exacte ni une règle invariable.
La loi du mois de janvier 1790 a donné la définition
des impôts directs et indirects, mais cette définition n’est pas très claire ;
et surtout elle n’est pas complète. Il y
a une foule d’impôts qu’on ne sait dans quelle catégorie classer ; cependant la
question nous étant soumise, il faut que chacun de nous cherche à la résoudre.
Je présenterai mes observations en peu de mots ; je ne pourrais être long après
tout ce qui a été dit.
Pour ce qui est de l’impôt de patente, c’est un impôt
direct, cela ne fait pas le moindre doute. La loi créatrice de cet impôt, de
1791, a considéré l’industrie comme une propriété dont la jouissance rend
tributaire de l’Etat pour la protection qu’il accorde.
On a prouvé à satiété que l’impôt de patente était un
impôt direct et on n’avait pas besoin de cette démonstration pour en être
convaincu. Mais que l’impôt qu’on demande aujourd’hui puisse être considéré
comme une patente déguisée, c’est ce que je ne puis pas admettre.
L’assemblée constituante après avoir supprimé les
anciennes corporations connues sous le nom de maîtrises, de jurandes, de
communautés d’arts et métiers, a calculé l’étendue des spéculations des
habitants de toutes les classes jadis soumis à des avances très considérables
pour être admis à exercer telle ou telle profession, et a établi la patente qui
fut considérée comme un moyen de faire cesser les anciens abus et de dégager de
toute entrave le commerce et l’industrie. La patente est donc dans son origine
considérée comme un acquittement de la protection que l’Etat donne à l’exercice
d’une profession regardée comme propriété.
Maintenant l’impôt qu’on vous demande ne ressemble en
rien, n’a aucun rapport ni avec les impôts directs, ni avec les impôts
indirects, ni avec le droit de patente. On a dit hier qu’il fallait descendre
au fond des choses ; d’accord, mais en le faisant, je ne trouve rien qui
ressemble au droit de patente ; et selon moi, il n’y pas non plus subterfuge,
car il me paraît impossible d’assimiler au droit de patente, le droit qu’on se
propose d’exiger des débitants de boissons distillées.
De quelle nature est donc cet impôt ? Selon moi, il
est de la nature de la contribution indirecte ; car il ne me paraît être autre
chose qu’une augmentation de droit sur une matière déjà soumise à l’impôt
indirect. La loi de 1822 organisant ou désorganisant notre ancien système d’impôt, a classé parmi les impositions
indirectes le droit sur les boissons distillées. Les distillateurs qui paient
un impôt pour l’exercice de leur profession, calculent ce droit dans le prix de
vente de leurs produits ; le débitant restitue l’impôt au distillateur, le
débitant fait le même calcul que le distillateur, et c’est en définitive le
consommateur qui paie l’impôt.
On doit considérer cet impôt comme indirect, parce
qu’il est supporté indirectement par le consommateur.
En insérant l’amendement dans la loi, il n’y aura ni
mensonge, ni moyen détourné. La loi déclare qu’elle demande un droit de
consommation sur une matière déjà soumise à l’imposition indirecte, c’est donc
une imposition indirecte qu’elle demande. Or, toute chose doit être ce dont
elle porte le nom, à moins qu’on ne prouve que la dénomination est impropre.
Cette preuve, on ne l’a pas faite ; ma conviction est restée entière.
L’honorable M. Milcamps vous a dit tout à
l’heure : Si les débitants ne vendent rien, vous ferez payer l’impôt à une
personne qui n’aura rien vendu, ce n’est donc pas un impôt de consommation. Cet
argument, qui a été renforcé par mon honorable voisin M. Verhaegen, n’est pas
un argument, parce que si la chose est possible, elle n’est pas vraisemblable.
Il ne faut pas croire qu’on trouverait des gens assez mal avisés pour prendre
un abonnement de débitant de boissons distillées alors qu’ils seraient sûrs de
ne pas vendre. Ceux qui n’auront pas beaucoup de chance de vendre prendront un
abonnement pour un trimestre au lieu d’en prendre pour une année.
Avant de finir, je dois déclarer que si je considérais
l’impôt comme direct, je voterais comme mes honorables amis, car on ne peut pas
réfuter leur argumentation, une fois ce point admis. Mais comme je pense, et là
est toute la différence entre l’opinion de mes honorables amis et la mienne,
comme je pense, dis-je, que l’impôt dont il s’agit est de sa nature indirect,
je voterai pour l’amendement de M. Devaux. Mais je dois déclarer encore que ce
vote n’entraîne de ma part aucun engagement sur le vote de l’ensemble.
M. Duvivier.
- Je partage en tous points les opinions de MM. Mercier, Angillis et Desmet.
Comme eux je suis d’avis que l’impôt demandé aujourd’hui, n’est qu’un
supplément d’impôt sur une matière qui est et doit être nécessairement rangée
parmi les objets compris dans notre système d’accises. Si vous remontez à la
loi sur le système des impôts directs et indirects, dont la date a été plusieurs
fois citée dans cette discussion, il est incontestable que tous les impôts sur
les liquides distillés figurent dans le cadre des impôts indirects. C’est à
l’aide d’un exemple que je vais motiver mon opinion, que l’impôt dont il s’agit
en ce moment est réellement un impôt indirect.
Je suppose que les besoins du trésor exigent que les
liquides distillés à l’étranger ou dans le pays soient soumis à un impôt de 10
fr. par hectolitre, et que le gouvernement dise : à la fabrication vous paierez
5 fr., au commerce en gros vous paierez 2 fr. 50, et au débit vous paierez 2
fr. 50, vous aurez ainsi 10 fr. perçus de trois manières, de la fabrication, du
commerce en gros et du débit ; mais je demanderai à la chambre si ce mode de
perception déroge le moins du monde à l’essence de l’impôt ? Non, l’impôt reste
indirect, parce qu’il est d’origine, de l’essence de l’impôt d’accise.
Maintenant, si pour éviter les formalités
gênantes de l’exercice et une foule de démarches arbitraires auxquelles
pourraient se livrer les employés de l’administration des accises, le
gouvernement dans un esprit de sagesse, vient demander cet impôt par mode
d’abonnement, je crois qu’il n’en change pas la nature par ce mode de
perception. L’impôt reste toujours un impôt indirect. C’est dans ce sens que je
comprends l’impôt demandé aux débitants de boissons par mode d’abonnement. Ce
mode n’a aucune analogie avec ce qu’on qualifie de patente et d’impôt direct.
Je suis d’avis que ce supplément n’a aucun caractère d’impôt direct. C’est dans
ce sens que je voterai. Je tenais à donner ces explications pour motiver le
vote que j’émettrai dans la question.
M. de Langhe. - Messieurs, l’impôt proposé est-il direct ou
indirect ? Je n’en sais rien ; et nous discuterions encore pendant huit jours,
que je n’en saurais pas davantage. Mon avis, d’ailleurs, est que quand l’impôt
serait direct il ne devrait pas être compris dans le cens électoral. L’article
47 de la constitution n’en ferait pas une obligation. Je me rallierai à
l’amendement de M. Devaux, qui ne juge pas si l’impôt est direct ou indirect,
mais qui dispose qu’il ne sera pas compté dans le cens électoral.
(Moniteur belge
n°44, du 13 février 1838) M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - J’avais annoncé à la fin de la séance d’hier que je
prendrais encore la parole dans cette discussion, mais je le crois inutile
après avoir entendu les quatre orateurs qui viennent de parler successivement.
Ils ont démontré qu’on aurait beau imaginer des nuances diverses dans la forme
d’une chose telle que celle qui nous occupe, qu’on n’en changerait pas la
nature, et que le but et le résultat de l’impôt dont il s’agit, étant de
frapper la consommation, cet impôt ne pouvait que rester impôt indirect.
Je m’abstiendrai donc de répéter ce que viennent de
dire les honorables préopinants ; je crois, comme eux, que vous pouvez en toute
sûreté de conscience voter le paragraphe proposé par M. Devaux, tendant à ne
pas compter dans le cens électoral le droit d’abonnement que nous voulons
établir, attendu que tout au moins c’est là un impôt mixte et d’une nature qui
ne saurait être parfaitement définie. On peut dire que cet impôt est mixte,
parce qu’il présente un caractère particulier qui déroge entièrement à celui de
la patente, en ce sens qu’il est, dans l’intention qui l’a suggéré, en quelque
sorte préventif ; tranchons le mot, c’est une espèce de peine qu’on veut
attacher à la profession des débitants de boissons distillées.
Je ne reviendrai pas sur la similitude qu’on a voulu
établir entre le droit perçu par voie d’abonnement et la patente. Je pourrais
d’ailleurs contester à la patente, elle-même, le véritable caractère d’impôt
direct, et appuyer à cet égard mon opinion des termes qu’il a fallu ajouter
dans la constitution et dans la loi électorale, outre la désignation des impôts
directs, pour assurer que l’impôt patente soit compté dans le cens électoral ;
mais je n’ai pas besoin de m’arrêter à l’argumentation qu’il serait facile
d’établir sur ce point ; du moment qu’on doit reconnaître le droit d’abonnement
dont il s’agit comme spécial et comme ne devant être nécessairement rangé dans
aucune des deux grandes catégories de contribution, il est fort indifférent que
j’entretienne la chambre des développements de l’opinion que j’ai que la
patente elle-même, dans plusieurs de ses parties, est tout à fait mixte.
Et d’ailleurs, l’honorable M. Dubus, après s’être
attaché à démontrer que l’impôt que nous proposions était une patente déguisée
sous le nom d’abonnement, a reconnu que l’article 47 de la constitution ne
serait nullement blessé dans sa lettre par l’application de l’argument
développé par M. Devaux, et consistant à ne pas compter le droit d’abonnement
dans le cens électoral, alors même qu’il serait reconnu que l’abonnement est
impôt direct. A la vérité M. Dubus a prétendu que si une telle application
n’était pas contraire à la lettre de la constitution, elle en blesserait
l’esprit ; mais je me permettrai de n’être pas d’accord avec lui à cet égard.
Je pense que du moment où l’intérêt du pays réclame une mesure, et que la
constitution ne s’y oppose pas d’une manière tout à fait formelle, ce serait
fort mal en user que de ne pas prendre cette mesure.
Aujourd’hui, messieurs, la loi électorale a
pondéré les différents intérêts des citoyens en établissant les catégories
d’impôt qui serviraient à former le cens électoral ; elle y a appelé l’impôt
foncier, la contribution personnelle et le droit de patente existant ; ensuite,
au moyen d’inégalités réglées selon la richesse des localités, elle est
parvenue à établir une justice distributive ; c’est ainsi que, dans telle
localité, le cens est de 80 florins, tandis que dans telle autre il n’est que
de 30. Eh bien, si nous n’admettions l’impôt proposé que pour autant qu’il fût
compter dans le cens électoral, nous détruirions l’équilibre réglé par la loi
électorale ; or il y a de graves motifs ici pour ne pas changer de la sorte son
économie, car nous froisserions bien plus la justice distributive que veut,
avant tout, la constitution, en comprenant le droit d’abonnement dans le cens
électoral, qu’en ne l’y comprenant pas.
Je bornerai là ces observations que j’avais eu
l’intention de vous soumettre d’une manière plus développée.
Il suffit, pour se rendre un compte exact de la loi,
de l’envisager comme l’ont fait les honorables membres qui ont parlé dans cette
séance, c’est-à-dire de la considérer simplement dans son but connu et dans son
résultat vraisemblable ; sous ce point de vue, chacun doit reconnaître que
l’impôt projeté est un impôt de consommation, et par conséquent un impôt
indirect, qui ne peut servir au règlement d’aucun cens électoral.
M. Demonceau, rapporteur.
- La question dont nous nous occupons en ce moment a été discutée et résolue
clairement par votre section centrale ; sur ce point (et c’était, comme vous
pouvez en juger maintenant, le principal), nous ne serons pas accusé de ne pas
avoir rempli notre mandat ; si nous discutons ultérieurement, je prouverai,
j’espère, que sur le reste nous avons rempli notre tâche aussi exactement que
possible eu égard à la position où nous nous trouvons, alors que le rapport
nous a été demandé ; mais restons pour le moment dans la question.
Notre rapport établit clairement ce que, suivant nous,
l’on doit considérer comme impôt de consommation ou impôt indirect.
Nous considérons comme tel l’impôt qui frappe la
matière imposée d’une manière uniforme pour tous ; l’impôt, enfin, ayant pour
résultat de faire augmenter le prix de la denrée imposé d’une manière uniforme
pour tous ceux qui en font usage.
Nous considérons au contraire comme une véritable
patente, et par suite comme un impôt direct, l’impôt qui frappe directement le
commerçant pour lui conférer le droit d’exercer son industrie.
Nous ne pensions pas qu’il pût y avoir doute sur la
question ; cependant des honorables collègues sont venus nous combattre par des
arguments plus ou moins spécieux, que je dois tacher, en ma qualité de
rapporteur, de réfuter, si possible, l’honorable M. Dolez.
Cet honorable membre a soutenu d’abord que le droit
d’abonnement proposé pourrait être considéré comme impôt indirect, et pour
fortifier son opinion sur ce point, il vous a avancé, si ma mémoire est fidèle,
que dans l’espèce l’impôt frappait non le détaillant, mais la consommation ;
que cet impôt était assis sur la vente de la matière, non à raison de cette
vente. Je vous avoue, messieurs, que pour moi il ne m’est pas possible
d’admettre un pareil système, parce que les conséquences qui en découleraient,
conduiraient à l’absurde. L’impôt proposé frappe indirectement la consommation,
dit notre honorable collègue, puisque le détaillant, par le prix qu’il obtient
du consommateur, se rembourse du montant de cet impôt ; il est donc impôt
indirect. Tel est, à mon sens, le résumé de tout ce qui vous a été dit par M.
Dolez, pour justifier son opinion.
Mais puisque, selon notre honorable collègue, tout
impôt qui frappe indirectement la consommation, doit être rangé dans la classe
des impôts indirects, je lui demanderai à mon tour dans quelle classe il
rangera l’impôt que paie le boucher pour avoir le droit de débiter la viande,
l’impôt que paie le poissonnier pour pouvoir, sans s’exposer à l’amende, vendre
du poisson en détail, celui que paie le boulanger pour confectionner et vendre
du pain, etc. S’il veut être conséquent, dans son système, il doit
nécessairement reconnaître que tous ces impôts seraient indirects, et que par
suite leur import ne pourrait être compté à ceux qui le paient pour l’exercice
du droit électoral.
Les débitants, dit M. Dolez, ne sont frappés que d’une
manière indirecte ; mais il suffit de lire la loi proposée pour se convaincre
du contraire : combinez les articles 1, 2 et 3 du projet, et vous verrez que ce
sont tous les distillateurs, quel que soit du reste leur débit, qui devront
payer d’avance le droit proposé, suivant les localités que chacun d’eux
habitera ; ainsi, si j’habite aujourd’hui Bruxelles, je paierai 15 fr. ; si
dans six mois j’habite l’un de ses faubourgs, je ne paierai que 12 fr. 50 c.,
et ainsi de suite.
Lisez l’exposé des motifs, écoutez les défenseurs du
projet et même les organes du gouvernement, partout vous retrouverez cette idée
: le seul moyen d’arrêter la consommation des liqueurs fortes, c’est de
diminuer le nombre des détaillants. Ce sont donc les détaillants plutôt que la
matière que l’on veut atteindre, car si la denrée seule était le point fixe des
défenseurs du projet, il leur était bien plus facile d’atteindre à la source,
c’est-à-dire, à la fabrication ; mais, chose étrange ! l’on croit pouvoir
ramener à la morale, l’on croit pouvoir arrêter la consommation du genièvre en
frappant les débitants d’un droit élevé, et l’on recule devant la mesure qui
aurait pour résultat d’arrêter, de compromettre même la production de ces
liqueurs si pernicieuses ! Un honorable collègue craint même le retour à une
loi qu’il qualifie d’immorale, parce qu’elle donnait lieu à certaines exactions
et surveillances envers les producteurs, et lui-même vient appuyer une loi qui
aura pour résultat inévitable d’enlever à quelques détaillants leurs moyens
d’existence et de compromettre la production et la tranquillité de tous les
détaillants de la Belgique bien plus nombreux que les producteurs ; mais
puisque l’on vient toujours parler morale à propos de cette malheureuse loi,
qu’il me soit donc permis de demander à mes honorables adversaires si la
profession de celui qui débite du genièvre peut en général être considérée
comme étant plus immorale que celle de celui qui le fabrique.
S’il y a immoralité (et c’est ce que je n’admets
aucunement, pas plus pour l’une que pour l’autre de ces professions), est-elle
du côté de celui qui débite ou du côté de celui qui produit ? Mais ne vous
trompez pas ; plus vous protégez les producteurs, plus aussi vous protégez la
consommation : du reste, quelque soit le moyen que vous employiez pour arrêter
cette consommation, si la mesure que vous adopterez est efficace, vous amènerez
inévitablement une moins grande production, et par suite, vous causerez du
malaise chez les distillateurs.
J’arrive à une objection plus grave, car elle a le
mérite d’être spécieuse : je veux parler de la proposition de l’honorable M.
Devaux.
La constitution, dit-on, nous autorise à porter
jusqu’à 100 florins le cens électoral : prenant cet article dans son sens le
plus absolu, tout citoyen qui paie 100 florins d’impôt direct a certainement le
droit d’être électeur ; mais aussi tout citoyen qui ne paie pas ce cens, n’a
pas le droit de se plaindre de ne pas l’être ; donc si vous dites que l’impôt
proposé ne sera pas compté pour régler le cens électoral, personne n’aura le
droit de se plaindre, puisque l’impôt n’arriverait qu’à 15 fl. au plus, et que
la loi électorale porte la somme la plus élevée à 80 fl.
La question ainsi posée est tout autre, et je vous
avoue que j’ai quelque doute ; toutefois, examinons-la. Le cens déterminé par
la loi électorale, dit l’article 47 de la constitution, ne peut excéder cent
florins d’impôt direct, ni être au-dessous de vingt florins.
Cette disposition, prise à la lettre et entendue
judaïquement, pourrait peut-être autoriser l’interprétation que lui donne M.
Devaux ; mais ce n’est point en se tenant au texte d’une loi, surtout d’une loi
de cette espèce, que l’on parvient à en saisir le véritable sens ; il faut
nécessairement combiner les articles 47 et 56 de la constitution, et voir
surtout la loi portée à la suite de l’adoption de l’article 47 par le même
corps constituant. Voyons donc l’article premier, n°3, de la loi électorale.
Que trouvons-nous ? Que tout citoyen qui, outre les qualités voulues, paie au
trésor de l’Etat la quotité de contributions déterminée par la loi, est
électeur de droit.
La constitution autorise bien l’élévation du cens
jusqu’à 100 florins, mais elle ne permet pas, selon moi, de faire une loi par
laquelle il serait déclaré que tel impôt direct ne sera pas compté à tel
électeur, parce que, suivant la localité qu’il habitera, pareil impôt ajouté à
la somme qu’il doit nécessairement payer pour arriver à la somme établie par la
loi électorale n’élèvera pas son cens au-delà de 100 florins. Vous ne pouvez en
un mot faire des catégories d’électeurs.
C’est le cens qui, de l’aveu même de l’honorable M.
Devaux, fait supposer la capacité, n’importe la profession de l’électeur ; je
ne crois donc pas qu’il vous soit permis de dire dans la loi que l’impôt que
vous considérez comme direct puisse être décompté à l’électeur pour fixer le
montant du cens, et en cela je suis d’accord avec notre honorable collègue M.
Dolez, et avec tous ceux qui, comme nous, ont développé cette opinion ; mais
supposez que cela soit possible, est-il convenable et juste d’en agir ainsi ?
Oui, dit M. Devaux, parce que la profession dont il s’agit donne lieu à des
résultats immoraux ; encore une fois, je repousse ce motif, car il ne m’est pas
possible d’admettre que tel soit en général le résultat de la profession de
débitant ; cette profession est tout aussi respectable, selon moi, que celle de
fabricant, car l’un produit la matière et l’autre la livre à la consommation ;
sans doute il peut se trouver chez les débitants (qui sont d’ailleurs plus
nombreux) des gens qui ne tiennent pas leur maison d’une manière satisfaisante
ou qui ne se conduisent pas toujours de manière à mériter l’estime générale,
mais il peut se trouver de telles gens dans toutes les conditions. Ce motif
écarté, que vous reste-t-il à faire ? Repousser l’amendement de l’honorable M.
Devaux, car l’admettre, c’est poser selon moi, et M. Dubus vous a tenu le même
langage, un antécédent fâcheux. Dire aujourd’hui que tel impôt que vous n’osez
qualifier, parce qu’il est impossible de lui donner une qualification autre que
celle qu’il a, par sa nature, ne sera pas compté à l’électeur qui le paiera
pour établir le cens électoral, c’est autoriser à dire demain qu’il en sera de
même pour tel autre impôt qu’il vous plaira d’établir ou de désigner ; il en
résultera que pour chaque loi que vous ferez, vous pourrez dire : L’impôt ne
comptera pas pour le cens électoral. Ce n’est pas ainsi que nous devons
interpréter et établir la législation en matière électorale ; une loi de cette
espèce, mise en vigueur, ne peut être modifiée par chaque loi d’impôt portée à
la suite ; d’ailleurs il vous est interdit de déclarer, selon votre caprice :
Tel individu ne sera pas électeur quoiqu’il paie le cens voulu, lorsque, du
reste, il réunit les autres qualités voulues pour être électeur.
L’honorable M. Mercier, qui vient de prendre de
nouveau la parole, loin de combattre le système de la section centrale sur la
qualification à donner à l’impôt, est venu au contraire le confirmer, car il a
reconnu que la patente était un impôt direct ; je sais qu’il a voulu établir
une différence entre l’impôt proposé et la patente ; mais déjà il a été fait
justice de cette singulière distinction, et en effet commuent voudrait-on
établir une différence entre le débitant qui fait sa déclaration pour exercer
sa profession pendant un an, d’après son débit présumé, et le débitant qui sera
astreint à payer, quoi qu’il arrive, telle somme pour pouvoir exercer la même
profession pendant un semestre, s’il y a avantage dans la comparaison. C’est
ainsi que l’a très bien prouvé M. Dubus en faveur de ce dernier.
L’honorable M. Duvivier pense que l’abonnement
proposé, étant une somme prise sur l’impôt indirect, doit être un véritable
impôt de consommation, et à l’appui de son opinion il vient de citer la loi
française sur les droits réunis, déjà citée par l’honorable M. Dolez ; mais
l’honorable membre devrait d’abord réfléchir que déjà le détaillant est frappé
d’une patente calculée d’après la qu’il pourrait être supposé devoir, si
toutefois le système de l’honorable membre était admissible ; il n’ignore pas
non plus que la loi française de 1806 atteignait vraiment la matière ; c’était
à titre de rachat de l’exercice que les cabaretiers, et les cabaretiers seuls,
étaient admis à l’abonnement, et cet abonnement était réglé d’après leurs
débits ; ici, au contraire, c’est le débitant qui est frappé, c’est donc un
véritable droit de patente. Quant à l’honorable M. Angillis, je lui répondrai
que si les lois organiques des impôts ont établi en 1822 l’impôt sur les
distilleries parmi les impôts indirects, elles ont aussi rangé dans la classe
des impôts directs l’impôt des patentes ; c’est une véritable patente que l’on
veut sous la qualification d’abonnement. Si donc vous adoptez le principe de la
loi, les sommes qui seront payées de ce chef par les contribuables doivent
nécessairement être comptées dans le cens électoral.
M. le président. - Nous avons à délibérer sur cette proposition : « Cet
impôt ne sera pas compris dans le cens électoral. »
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Je me raille à cette proposition.
M. Gendebien. - Si la chambre décidait que l’impôt est indirect,
il n’y aurait pas la moindre difficulté ; mais si elle décidait qu’il est
direct, on ne peut admettre l’amendement.
La question est là ; il faut l’aborder franchement ;
il ne faut pas biaiser.
M. Devaux. - C’est de la
théorie !
M. Gendebien.
- Il s’agit de savoir si vous avez le droit d’interpréter la constitution, de
la changer.
M. Dolez. - Je me joins à M.
Gendebien. J’avoue qu’il me sera impossible de voter sur l’amendement de M.
Devaux, si l’on n’a pas auparavant caractérisé l’impôt.
M. Devaux. - Chacun peut approuver ou improuver l’amendement
d’après les motifs qu’il a de considérer l’impôt sous un aspect ou sous un autre.
Vous n’avez pas besoin d’une décision de la chambre pour penser que cet impôt
est direct ou indirect.
Si vous pensez que c’est un impôt direct, et si, pour
ce motif, vous ne voulez pas adopter l’amendement, eh bien, rejetez-le ; il
n’est pas besoin pour cela d’une décision de la chambre sur la question de
savoir si l’impôt est direct ou indirect ; dans une chambre nombreuse, une
proposition est toujours adoptée ou rejetée par beaucoup de motifs différents,
et l’on ne commence pas par prendre une résolution sur chacun de ces motifs ;
on met la proposition aux voix et chacun vote pour ou contre, suivant la
manière dont il l’envisage. En effet, messieurs, que faut-il écrire dans une
loi ? Des prescriptions, c’est-à-dire que, dans le cas actuel, il s’agit
d’écrire dans la loi si l’impôt qu’il est question d’établir comptera ou ne
comptera pas dans le cens électoral ; on ne va pas écrire dans la loi que
l’impôt est direct ou qu’il est indirect : la loi n’a pas de ces définitions ;
tout ce qu’il importe de savoir, c’est si l’impôt sera ou non compris dans le
cens électoral.
M. Gendebien. - Messieurs, je vais soumettre à l’honorable
préopinant un dilemme auquel je le prie de répondre : ou le droit qu’il veut
établir est direct ou il est indirect ; s’il est direct, vous ne pouvez pas
dire dans la loi qu’il ne sera pas compté dans le cens électoral, sans violer
la constitution et la loi électorale ; s’il est indirect, il est inutile de
dire dans la loi qu’il ne comptera pas, et vous ne pouvez le dire sans
commettre la plus grande faute que le législateur puisse faire, c’est de dire
dans la loi une chose inutile, un non-sens. Je défie l’honorable M. Devaux de
sortir de ce dilemme.
M. Devaux. - La réponse au dilemme
posé par l’honorable membre est extrêmement simple ; d’abord l’impôt peut être
direct sans qu’il doive pour cela être nécessairement compté dans le cens
électoral ; je sais que cela n’est pas conforme à l’opinion de l’honorable M.
Gendebien, mais il est beaucoup d’autres honorables membres qui sont de cet
avis ; ensuite si l’impôt est indirect, par cela seul que l’on a soutenu dans
cette enceinte qu’il est direct il est indispensable que la loi dise le
contraire si l’on ne veut pas qu’elle ne puisse pas donner lieu à
interprétation par les tribunaux.
M. Verhaegen. - L’honorable M. Devaux n’a pas répondu au dilemme
posé par M. Gendebien ; M Gendebien a dit : ou l’impôt est direct ou il est
indirect ; s’il est indirect, vous ne devez rien dire, car ce serait inutile ;
s’il est direct, vous ne pouvez l’exclure du cens électoral sans violer la
constitution. Maintenant, messieurs, chaque fois qu’il se présente une question
constitutionnelle, il faut la dessiner, car il ne faut pas que ceux qui lisent
la loi puissent la suspecter d’être inconstitutionnelle ; il faut agir
franchement et non pas prendre un biais, comme on veut le faire.
Je ne pense pas que la chambre donnera la main à une
semblable manière de procéder. L’honorable M. Devaux présente une question
complexe dans laquelle il y a une question constitutionnelle qu’il faut mettre
à découvert ; il faut qu’on ait le courage de dire s’il y a oui ou non
violation de la constitution. J’ai dit, messieurs, que la question est complexe,
or on a le droit de demander la division de toute question semblable.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je dois,
messieurs, contester ce qu’avance l’honorable préopinant, en me fondant sur les
précédents de la chambre elle-même ; dans d’autres circonstances, on a posé la
question de savoir si telle chose était constitutionnelle, et deux fois la
chambre s refusé de se prononcer sur de semblables questions, par la raison que
la chambre n’a pas à prendre de résolution quant aux motifs de
constitutionnalité ou autres qu’il peut y avoir pour l’adoption ou le rejet
d’une proposition, que la chambre n’a à voter que sur des mesures et non pas
sur les raisons qui militent pour ou contre ces mesures. Voilà, messieurs, la
marche qui a toujours été suivie par la chambre, et je crois que cette marche
est tout à fait rationnelle.
M. Angillis.
- Messieurs, je voterai pour l’amendement, parce que je pense que l’impôt est
indirect ; si dans mon âme et conscience, je le regardais comme direct, je
croirais violer la constitution en votant pour la proposition. Je tenais à
faire cette déclaration, et vous prie, messieurs, de croire que je vote en
faveur de l’amendement, c’est uniquement parce que je regarde l’impôt comme
indirect.
M. le président.
- Il y a difficulté sur le point de savoir si l’on votera sur la proposition de
M. Devaux ; on a même prétendu qu’elle est complexe ; mais telle qu’elle est
formulée, je ne vois pas moyen de la diviser. S’il n’y a pas d’opposition, je
consulterai la chambre sur la question de savoir si la proposition de M. Devaux
sera mise aux voix.
- La chambre décide qu’elle votera sur la proposition
de M. Devaux.
Sur la demande de plus de cinq membres, la proposition
de M. Devaux est mise aux voix par appel nominal.
En voici le résultat :
68 membres prennent part au vote.
1 s’abstient.
44 adoptent.
24 rejettent.
En conséquence, la proposition de M. Devaux est
adoptée, et l’impôt sur les débitants de boissons distillées ne sera pas compté
dans le cens électoral.
Ont
voté l’adoption : MM. Andries, Angillis, Beerenbroeck, Coppieters, de
Florisone, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de
Mérode, W. de Mérode, de Nef, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmanet de
Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Dubois, B. Dubois,
Duvivier, Ernst, Heptia, Lebeau, Maertens, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb,
Pollénus, Peeters, Raymaeckers, A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons,
Thienpont, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Verdussen, Wallaert, Willmar,
Zoude.
Ont voté le rejet : MM. Coghen, David, de Behr, de
Brouckere, Dechamps, Demonceau, de Perceval, Desmaisières, d’Hoffschmidt,
Doignon, Dubus (aîné), Gendebien ; Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Lecreps,
Manilius, Metz, Milcamps, Pirmez, Troye, Verhaegen, de Puydt et Raikem.
M. Dolez, qui s’est abstenu,
est invité à motiver son abstention ; il s’exprime en ces termes. - Messieurs,
si l’impôt est indirect, la disposition est inutile, et par conséquent
dangereuse, à mes yeux, parce qu’il est toujours dangereux d’insérer dans une
loi une disposition inutile ; si, au contraire, l’impôt est direct, la
disposition est inconstitutionnelle. Il m’a donc été impossible de voter sur la
question telle qu’elle était posée.
M. Gendebien
demande que son vote négatif soit inséré au procès-verbal, parce qu’il considère
la disposition comme inconstitutionnelle.
M. Verhaegen
fait la même demande.
M. le président.
- Les votes de MM Gendebien et Verhaegen seront insérés au procès-verbal ainsi
que ceux des autres membres qui le demanderaient.
Discussion des
articles
Article premier
M. le président.
- Nous allons passer à la discussion des articles de la loi.
« Art. 1er. Indépendamment des impôts existant
actuellement, il sera perçu, à partir du 1er janvier 1838, un droit de
consommation sur les boissons distillées à l’intérieur ou à l’étranger, et
autres boissons alcooliques qui seront vendues en détail ; ce droit sera
acquitté par voie d’abonnement et d’avance, sur leur déclaration, par les
débitants en détail desdites boissons, aux bureaux qui seront indiqués à cette
fin par le gouvernement. »
M. de Langhe. - Messieurs, j’ai demandé, avant la discussion du
projet qui nous occupe, qu’on fît connaître les observations qui ont été faites
dans les sections ; j’ai demandé en même temps l’impression des procès-verbaux
et le renvoi à la commission pour faire un rapport ; je fais encore la même demande
; toutefois, pour ne pas retarder la discussion, on pourrait donner lecture des
procès-verbaux.
M. Demonceau, rapporteur,
lit le sommaire des procès-verbaux des sections.
M. Andries. - Je ne me rappelle plus les observations qui ont
été faites dans la troisième section à laquelle j’avais l’honneur d’appartenir
; mais ce que je me rappelle, c’est qu’elles étaient plus ou moins nombreuses ;
il y en avait au moins une trentaine ; notre secrétaire, M. Metz, en a tenu
exactement note ; le rapport a été copié et a été remis entre les mains de M.
Dumortier, notre rapporteur ; et cependant ces observations ne sont pas
reproduites dans le rapport de la section centrale.
Ces observations roulaient principalement sur le mode
d’exécution ; comme la section centrale n’a pas touché les questions de détail
je crois que la chambre n’est pas en état de délibérer, et qu’il y a lieu de
renvoyer le projet à la section centrale, avec prière de présenter un travail
mûri sur les articles.
M. Lebeau. - Messieurs, je ne
sais si le moyen d’abréger la discussion ne serait pas de renvoyer le projet à
la section centrale, car enfin la section centrale, s’étant arrêtée devant une
fin de non-recevoir, n’a pas cru devoir faire l’examen de la loi en elle-même.
J’entends dire que la section centrale s’est occupée des détails de la loi ; si
elle s’en est occupée, c’est d’une manière extrêmement sommaire, extrêmement
générale ; et on le conçoit, puisqu’elle a été dominée par la conviction que le
droit à imposer ferait nécessairement partie du cens électoral, et que dès lors
elle le repoussait. -
Comme il est possible qu’on fasse droit à la motion de
M. Andries et qu’on l’adopte, je désire saisir cette occasion pour soumettre à
la chambre et à l’examen préalable de la section centrale un amendement. Le
voici :
« Nul ne peut vendre des boissons spiritueuses,
en quantité moindre de 5 litres à la fois, sans une autorisation expresse et
préalable de la députation permanente du conseil provincial ; cette
autorisation pourra être révoquée par ce collège, conformément aux principes
posés dans les articles 6 et 7 de l’arrêté royal du 31 janvier 1824. »
Je demande la permission de présenter quelques
observations à l’appui de ma proposition.
Messieurs, si nous faisions une loi purement fiscale ;
si le but principal de la loi était de grossir les revenus de l’Etat, je crois
que l’on pourrait considérer comme un hors-d’œuvre, comme se rattachant d’une
manière trop indirecte à la loi actuelle, l’amendement que j’ai l’honneur de
proposer.
Mais, dans l’opinion même du gouvernement, l’intérêt
fiscal n’est pas l’intérêt principal de la loi, c’est surtout un intérêt de
moralité, d’un intérêt d’ordre public qui a provoqué la loi actuelle, cela est
incontestable ; eh bien, sous ce point de vue qui est pour moi le point de vue
capital, je déclare que, dans mon opinion, la loi est inefficace, ou tout au
moins insuffisante ; je pense que faire payer une somme annuelle de 20 ou 30
fr. à un cabaretier dans une commune plus ou moins populeuse est un moyen très
insuffisant d’atteindre la consommation du genièvre et d’en diminuer les
dangers. Je crois qu’il faut aller plus loin, et c’est ce que je me propose.
Il est vraiment étrange que lorsqu’on voit soumises à
la formalité de l’autorisation préalable une foule d’industries, une foule de
métiers beaucoup plus inoffensifs que celui des débitants de boissons
spiritueuses, on ait laissé carte blanche à l’exercice de cette profession, on
ne l’ait entourée d’aucune des mesures de précaution dont on a entravé la
plupart des industries qui s’exercent dans le pays.
L’arrêté royal du 31 janvier 1824 qui s’exécute
aujourd’hui dans tout le royaume, sans contestation aucune, sans réclamation, soit
devant les chambres, soit ailleurs, soumet plus de 150 industries à des
autorisations préalables, dans le but de s’assurer que l’exercice de ces
industries ne peut compromettre ni la sécurité, ni la salubrité publiques.
Dans l’arrêté que je viens de citer, les professions
industrielles, les métiers, quant à l’autorisation préalable qui doit être
accordée pour leur exercice, sont divisés en trois catégories.
La première catégorie comprend les professions
industrielles qui ne peuvent être exercées sans l’autorisation du gouvernement.
La seconde indique toutes les professions dont l’exercice est soumis à une
autorisation préalable de la part de la députation permanente du conseil
provincial ; enfin, dans la troisième catégorie figurent les professions
industrielles, très nombreuses, qui peuvent être exercées sans l’autorisation
préalable des conseils communaux.
Je vous citerai un certain nombre de ces professions.
Ainsi, l’on ne peut ériger les établissements suivants ni y apporter des
changements sans l’autorisation du Roi : fabrique de poudre à tirer, magasin de
poudre, établissement des machines à vapeur, hauts-fourneaux, etc., etc.
L’autorisation préalable de la députation permanente
est exigée pour la création ou le changement des établissements suivants :
fabrique de vinaigre, distilleries d’eau-de-vie, brasseries… Suit une longue
nomenclature d’autres professions industrielles.
Arrive enfin l’énumération des diverses professions
industrielles dont l’exercice est soumis à l’autorisation des conseils
communaux ; en voici quelques-unes : fours à cuire, blanchisseries…
On a été tellement frappé de ne pas avoir vu figurer
la profession de cabaretier dans l’énumération des diverses professions
soumises à une autorisation préalable, que, si mes renseignements sont exacts,
il y a un conseil provincial ou tout au moins une députation permanente qui a
exprimé le vœu de voir la profession de cabaretier rentrer dans l’une des
catégories énumérées à l’arrêté de 1824.
Comment ! Alors que l’intérêt public ne permet pas
d’établir même une forge de maréchal-ferrant dans un village sans
l’autorisation du conseil communal, il serait permis d’établir, sans aucune
mesure de précaution, des débits de genièvre, en tel nombre que l’on veut, et
de créer ainsi d’abondantes distilleries d’un poison qui attaque à la fois la
santé, l’intelligence, la moralité du peuple ! Mais, dit-on, ou a voulu surtout
éviter, dans l’arrêté de 1824, les inconvénients, des dangers purement
matériels ; on a voulu garantir la tranquillité et la santé publiques, menacées
par le voisinage de certaines usines. Je demanderai si les débits de genièvre,
établis partout sans autorisation et sans surveillance, n’ont pas les plus
funestes effets, non seulement pour la santé, mais aussi pour la tranquillité
publique. Comment ! Il ne sera pas permis, je le répète, d’établir une forge de
maréchal-ferrant sans autorisation, et il sera permis d’établir auprès de
chaque fabrique ou usine, à côté de chaque manufacture qui s’élève, 4 à 5
cabarets qui provoqueront incessamment les ouvriers à l’oisiveté, à la
débauche, à l’ivresse ! Je crois que c’est là une anomalie, une grande lacune
dans notre système de police, et je pense que la mesure proposée par M. le
ministre des finances, en supposant qu’elle soit admise avec toutes ses
conséquences, ne peut combler cette lacune.
Je ne fais que proposer une mesure analogue à ce qui
existe dans d’autres pays, qui connaissent aussi et respectent la liberté
industrielle, ce qui se fait en Angleterre, où l’on n’exerce la profession de
débitant de boissons distillées qu’ensuite de certaines mesures préventives.
Remarquez que je propose de soumettre la demande de
cette autorisation à une autorité qui n’est pas suspecte : à la députation du
conseil provincial déjà chargée, par l’arrêté de 1824, de donner l’autorisation
d’exercer une foule de professions industrielles. Je crois que l’administration
communale n’est pas assez indépendante, dans le plus grand nombre des
localités, pour que ce droit d’autorisation puisse lui être confié sans danger.
Il n’en serait pas de même peut-être dans les grandes villes ; si l’on
proposait un amendement pour ces localités, je pourrais m’y rallier. Mais je
crois que dans les communes rurales il y aurait du danger à laisser au conseil
communal le droit d’accorder ou de refuser de semblables autorisations.
D’après mon amendement, l’autorisation pourrait être
révoquée, et cette faculté seule tiendrait lieu de l’action des règlements de
police, presque toujours insuffisante pour assurer l’ordre dans ces
établissements. Si on savait que la députation, après l’inexécution des
conditions de l’autorisation, et par exemple, après une ou deux contraventions
judiciaires, pourrait retirer l’autorisation, la police des cabarets se
trouverait assumée et se ferait de la manière la plus sévère. Pour cela il
suffirait que l’on sût que, d’après les renseignements donnés par l’autorité
locale, ou que la députation se procurerait de toute autre manière, elle pût
retirer l’autorisation. Je ne sais si je m’abuse, mais je crois que la mesure
proposée est la seule sanction vraiment efficace des règlements locaux sur la
police des cabarets, sur l’observation des heures de retraite, la seule
répression possible des désordres, des excès qui y éclatent si souvent ; qu’en
un mot, c’est le seul, l’unique moyen vraiment énergique à employer contre
l’abus du débit des boissons distillées.
Si la députation permanente ou toute autre autorité
administrative était investie du droit de retirer l’autorisation aux débitants
de boissons distillées, ne craignez pas pour cela l’abus de l’arbitraire. Ce
danger n’est guère à redouter dans un gouvernement aussi contrôlé que le nôtre.
Le droit que je demande pour la députation provinciale, fût-il accordé au
gouvernement lui-même, il n’y aurait à craindre encore qu’on en abusât. Je
citerai un exemple frappant de la réserve apportée dans l’exercice d’un droit
analogue : les gouverneurs de province ont, d’après la législation actuelle, le
droit exclusif de refuser ou d’accorder des ports d’armes. Je crois qu’il est
bien peu d’exemples de refus de ports d’armes, et si, à cet égard, l’on se
plaint d’une chose, c’est plutôt de la trop grande facilité avec laquelle on en
accorde même à des chasseurs, réputés quelque peu braconniers. Voilà ce qui
arrive dans un gouvernement contrôlé, percé à jour comme le nôtre.
Si vous remarquez que c’est la députation
permanente, corps électif, responsable devant le conseil provincial, qui serait
chargée d’exercer ce droit ; si vous remarquez avec quelle modération et quelle
impartialité ces collèges ont exercé les attributions analogues qui leur sont
données par l’arrêté du 31 janvier 1824, vous reconnaîtrez que ce droit peut
leur être remis sans inconvénient, sans aucun danger.
Je serai fort aise que la section centrale puisse
examiner mon amendement ; il ne se rattacherait qu’indirectement à la loi, si
on la considérait comme une pure loi fiscale ; mais si on l’envisage sous le
rapport de l’ordre et de la morale publics, il est impossible de méconnaître
que cet amendement serait le véritable complément, la véritable sanction de la
loi.
M. Demonceau. - Si la chambre croit que la section centrale peut
donner des explications sur la loi, j’accepte le mandat que la chambre voudra bien
me donner. Nous nous occuperions immédiatement de ce travail, et si mes
collègues voulaient prendre le même engagement que moi, nous pourrions
présenter un rapport mardi. Nous examinerions la proposition de l’honorable M.
Lebeau et toute la loi, et nous tâcherions de présenter un rapport qui pût
satisfaire la majorité.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Dans une séance précédente, l’honorable
rapporteur de la section centrale a reconnu, au sujet d’une motion tout à fait
semblable, qu’il était inutile de renvoyer le projet à la section centrale, qui
a fait connaître son opinion d’une manière très positive sur l’ensemble des
articles de la loi.
J’avais aussi reconnu moi-même que ce renvoi était
inutile par une autre raison, celle que les dispositions proposées sont
extrêmement claires et qu’il est très facile de juger de la portée de chaque
article à la simple lecture ; d’où j’avais conclu que le renvoi à la section
centrale ne pouvait avoir d’autre résultat que le grave inconvénient de
retarder indéfiniment la discussion.
Quoi qu’il en soit, et puisque maintenant on vient
nous présenter un amendement qui modifie sensiblement le but primitif de la
loi, qui était de nous créer une ressource pour balancer les recettes avec les
dépenses, et que d’un autre côté on assure que le renvoi à la section centrale
n’occasionnera de retard que jusqu’à mardi, je ne crois plus, dans cette
position, pouvoir m’opposer avec succès à ce renvoi, bien que je n’y aperçoive
que la perte d’un jour sans compensation.
M. A. Rodenbach.
- Je pense également que le renvoi à la section centrale serait une perte de
temps ; car le projet qui nous est soumis n’est pas ardu, il est très clair.
D’ailleurs, si quelques membres veulent présenter des amendements, il leur est
libre de le faire. On connaît l’opinion des sections. Depuis deux jours que
l’on discute, on s’est occupé du fonds du projet de loi. La suite de la
discussion, et les amendements qui seront présentés, suffiront pour apporter au
projet toutes les améliorations qu’il peut être susceptible de recevoir.
Quant à l’amendement de l’honorable M. Lebeau, qu’il
faille le méditer et en faire l’objet d’un examen préalable, je ne le conteste
pas ; car la question est très grave. Mais il me semble qu’il faudrait en faire
une proposition de loi, une loi à part ; car si j’ai bien entendu, ce serait en
quelque sorte la législation anglaise sur les débitants de boissons distillées
que M. Lebeau voudrait introduire chez nous. Je dis donc que cette proposition
doit former une loi spéciale. Ce n’est pas là une fin de non-recevoir ; car
lorsque cette proposition, après avoir été examinée, sera mise en discussion,
il est probable que je voterai pour son adoption, disposé que je suis à adopter
toutes les mesures propres à empêcher l’ivrognerie.
En Angleterre, il y a des mesures bien autrement
sévères contre l’ivrognerie. Il y a des peines corporelles contre les gens
ivres que la police trouve dans les rues ; ils sont incarcérés et condamnés
tandis qu’ici ils peuvent librement circuler dans le pays.
Revenant à la proposition de renvoi de toute la
loi à la section centrale, je la combats, parce que l’assemblée est déjà
éclairée par les procès-verbaux des sections et par la discussion qui vient
d’avoir lieu. La section centrale s’est occupée spécialement de la question de
principe, parce que M. le ministre des finances avait annoncé que si l’impôt
était déclaré impôt direct, il retirerait le projet de loi. 3 ou 4 jours se
sont écoulés, et il a fallu présenter un rapport ; sans cela nous nous serions
occupés davantage des détails de la loi. Toutefois, je crois que nous pouvons
continuer la discussion, qui fournira tontes les lumières nécessaires aux
honorables membres qui ne se croient pas suffisamment éclairés.
M. Pollénus.
- La déclaration de l’honorable préopinant me semble prouver à l’évidence la
nécessité du renvoi à la section centrale ; en effet. M. A. Rodenbach dit que
la section centrale s’est occupée exclusivement de la question de principe.
M. A. Rodenbach.
- Permettez. J’ai dit : « spécialement. »
M. Pollénus.
- Enfin, il résulte de ce qu’a dit l’honorable membre, que les détails de la
loi n’ont pas été examinés par la section centrale ; or, cet examen préalable
est nécessaire. Il faut donc prononcer le renvoi de la loi à la section
centrale.
L’honorable M. Lebeau présente un amendement qui est
un autre système que celui du gouvernement.
Voudrez-vous, en présence de la déclaration d’un
membre de la section centrale, qui vous a dit que les observations des sections
n’ont pas été examinées par la section centrale et qu’elle s’est bornée à la
question de principe, engager une discussion qui ne peut nous conduire à rien ?
Mais, dit-on, les observations pourront se produire dans la discussion, au
moyen d’amendements. Admettre cela, ce serait méconnaître l’inutilité d’une
section centrale. Vous savez que les amendements improvisés, et qui n’ont pas
été mûri par une section centrale, ne sont pas en général accueillis par la
chambre. Laissons donc la section centrale méditer les observations des
sections et la proposition de l’honorable M. Lebeau qui me paraît mériter son
attention.
J’ai examiné le projet de loi ; il m’a paru soulever
différentes questions. Il serait à désirer que la section centrale les examinât
; elle serait alors en mesure de présenter des conclusions qui mériteraient
l’attention de l’assemblée.
Vous savez que les amendements improvisés ne font
qu’égarer la discussion.
M. Verdussen. - Je viens appuyer le renvoi à la section centrale,
parce que je n’ai trouvé dans son rapport qu’une critique assez sévère de
l’ensemble de la loi. Si l’on suivait l’opinion de la section centrale, il
faudrait rejeter les articles du projet. Mais que propose la section centrale,
à la place de ces articles ? Rien. Comment la discussion pourrait-elle avoir
lieu, sur un rapport tel que celui qui a été présenté, alors que la loi
contient 8 articles assez longs, et dont plusieurs contiennent des dispositions
différentes ? S’il n’y a pas un examen préalable, il surgira dans la discussion
des amendements improvisés qu’il sera nécessaire de renvoyer à la section
centrale ; ce qui arrêtera la discussion. Je crois donc qu’il vaudrait mieux
prononcer dès à présent ce renvoi. La section centrale présenterait des
observations plus spécialement sur chaque article, et la discussion pourrait
alors avoir lieu avec fruit.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Le motif principal que l’honorable
préopinant donne pour demander le renvoi à la section centrale, c’est qu’il
pourrait surgir, dans la discussion, des amendements qu’il ne serait pas facile
de comprendre sans un nouveau rapport. Mais, après un second examen de la
section centrale, de tels amendements pourront encore être présentés ; ainsi
une pareille crainte nous empêcherait d’aborder jamais la discussion de toute
espèce de loi. Les articles du projet qui nous occupe en ce moment sont très
simples et très faciles à comprendre. La chambre pourrait donc en continuer
l’examen, et si, contre mon attente, il survenait quelque difficulté dans le
cours de la discussion, le renvoi à la section centrale pourrait alors être
utilement prononcé.
Je crois devoir appuyer la proposition de l’honorable
M. A. Rodenbach, tendant à faire de l’amendement de M. Lebeau un projet de loi
spécial qui serait renvoyé à l’examen des sections. Ce projet ainsi isolé ne
sera pas incompatible avec la loi en discussion, bien que la proposition de
l’honorable M. Lebeau soit tous simplement une disposition de police. En effet,
si elle était adoptée, c’est-à-dire si on attribuait aux députations
permanentes, provinciales, le pouvoir d’accorder ou de refuser l’autorisation
d’exercer la profession de débitant de boissons distillées, ceux qui
obtiendraient cette autorisation exerceraient leur débit aux conditions de mon
projet. Je crois donc que la proposition de M. A. Rodenbach est tout à fait
juste et raisonnable. L’amendement proposé et le projet de loi sont d’une
nature différente. L’un concerne la police ; l’autre, quoique pouvant renfermer
dans son but quelqu’analogie avec celui du premier, n’en est pas moins une
disposition fiscale, et tellement, que nous avons compté sur le produit de
cette disposition pour 1838, afin de balancer nos recettes avec nos dépenses.
M. A. Rodenbach. - Il y a des lois de police qui autorisent à
interdire pendant quelque temps aux cabaretiers l’exercice de leur profession,
lorsqu’ils ont été condamnés plusieurs fois pour contraventions. Ces lois
existaient déjà sous le gouvernement autrichien. Ainsi, ce ne sont pas des lois
financières ; ce sont des lois de police qui n’ont aucun rapport avec la loi
sur les boissons distillées dont nous nous occupons. Mais je pense que de
nouvelles mesures de police pourraient être très bonnes, parce que ce n’est pas
seulement une loi fiscale, c’est aussi une loi morale que nous voulons.
La loi rapportera 900,000 fr., c’est fort bien. Mais
nous voulons quelque chose de plus. Nous voulons. La diminution de la
prodigieuse consommation de genièvre qui se fait dans le pays. Cette
consommation est effrayante, et l’on ne peut la contester ; elle est prouvée
par les nombreuses condamnations que prononcent les tribunaux pour des crimes
et délits qui sont le résultat de l’ivrognerie. C’est à changer ce déplorable
état de choses, et à diminuer la consommation sans nuire à l’industrie, que
devront tendre nos efforts. Je pense que dans cette loi nous réussirons en
partie. Mais il nous faudra, dans une loi spéciale, aviser à d’autres moyens.
M. Lebeau. - Je crois que M.
le ministre des finances se trompe, lorsqu’il croit que le but principal de la
loi est un but fiscal. Je dis que la loi n’est pas principalement fiscale ; car
une loi fiscale, loin de chercher à restreindre le débit des boissons
distillées, devrait tendre à l’augmenter pour grossir les revenus de l’Etat, en
augmentant les produits de l’impôt sur les distilleries. Sous ce rapport, le
but de la loi n’étant pas fiscal, n’exclut pas mon amendement. D’ailleurs, mon
amendement se rattache encore à la loi en ce qu’il offre un moyen d’aider à la
découverte de débits clandestins de boissons distillées. C’est un moyen de
contrôle sans vexation aucune. Je crois donc que mon amendement ne doit pas
être détaché de la loi, puisque sous le rapport de la sanction de la loi, comme
loi fiscale, il aurait encore un bon résultat.
Quant à la crainte d’investir les députations
permanentes d’un pouvoir trop étendu, dont elles pourraient abuser envers les
débitants de boissons distillées, je ferai remarquer que le droit que je
demande pour les députations permanentes leur est accordé dans une foule de cas
analogues par l’arrêté de 1824, qu’on ne leur reproche pas d’en avoir abusé, et
que d’ailleurs l’on peut en référer au pouvoir central, lorsque l’autorisation
demandée est refusée.
Je crois donc qu’il ne convient pas de séparer ma
proposition de la loi qui nous occupe. Si vous en faites un projet de loi
séparé, c’est à peu près comme si vous l’ajourniez indéfiniment. Il y a une
certaine opportunité, qu’il faut saisir pour introduire des améliorations dans
une législation quelconque, Je crois que cette opportunité existe. Je trouve
qu’on n’a opposé à ma proposition que des raisons secondaires qui ne doivent
pas arrêter la chambre. J’en demande donc le renvoi à la section centrale.
M. Rogier. - L’amendement de mon honorable ami M. Lebeau
pourrait être renvoyé à la section centrale, sans que la discussion fût
interrompue ; car cet amendement pourrait figurer dans la loi comme article
additionnel. Il n’est pas nécessaire qu’il vienne à la suite de l’article
premier. Je demande donc que, sans interrompre la discussion de la loi, la
chambre renvoie l’amendement à la section centrale, qui voudra bien l’examiner
et faire son apport dans la séance de mardi. Jusque-là on continuera la
discussion de la loi, et mardi viendra la discussion de l’amendement de M.
Lebeau. De cette façon les travaux de la chambre ne seront pas interrompus.
M. Demonceau. - Je crois que si l’amendement de l’honorable M.
Lebeau est adopté par la chambre, toute la loi s’en ressentira. Dans ce cas il
conviendra peut-être de supprimer l’article premier ; l’amendement de M. Lebeau
pourrait le remplacer. Il vaut donc mieux, ce me semble, ne pas continuer la
discussion et renvoyer toute la loi, avec l’amendement, à l’examen de la
section centrale.
M. A. Rodenbach. - Je suis fâché de ne pouvoir partager l’opinion de
l’honorable rapporteur. Je pense qu’il serait très difficile de faire pour
mardi un rapport sur la loi tout entière et sur l’amendement de M. Lebeau. Mais
je ferai une autre proposition : ce serait de renvoyer la loi seulement à la
section centrale et la proposition de M. Lebeau aux sections. Là tout le monde
pourrait émettre une opinion ; on ferait de cette proposition une loi à part et
on pourrait faire, mardi, un rapport sur la loi. Mais j’insiste pour le renvoi
aux sections de la proposition de M. Lebeau.
Cette proposition est trop importante pour que la
chambre puisse faire autrement.
M. Desmanet de Biesme. - Je pense que ce qui vaudrait le mieux, ce serait
de ne pas avoir de séance lundi ; la section centrale s’occuperait alors du
projet sur les boissons distillées, et les sections pourraient être convoquées
pour procéder à l’examen préparatoire du projet relatif aux ventes à l’encan.
Quand il y a séance lorsque l’on convoque les sections, c’est de bonne heure,
et les membres n’y viennent pas exactement. Il est utile même pour les travaux
de la chambre qu’il y ait interruption dans les séances.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Pour mettre fin au débat actuel, je me
réunis à la proposition qui vient d’être faite ; de cette manière nous
aborderions mardi la discussion avec un nouveau rapport sous les yeux.
Toutefois il doit être entendu que la section centrale examinera la question de
savoir si l’amendement de M. Lebeau doit convenablement faire partie de la loi
sur les boissons distillées, ou être l’objet d’une loi spéciale.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - J’appuierai aussi
la proposition de M. Desmanet, et surtout la portée de cette proposition qui
concerne les ventes à l’encan. Ces ventes ont été l’objet de vives réclamations
de la part d’un grand nombre de villes du pays ; il y a urgence. Il convient
donc que lundi, dans les sections, on procède à l’examen préparatoire du
projet, afin qu’on puisse le discuter prochainement.
M. A. Rodenbach.
- Je retire ma proposition.
- La chambre consultée renvoie le projet sur les
boissons distillées et l’amendement de M. Lebeau à la section centrale, pour
qu’elle en fasse rapport mardi.
La chambre décide en outre que lundi il n’y aura pas
de séance publique, et que les sections seront convoquées pour examiner le
projet relatif aux ventes à l’encan.
PROJET DE LOI RELATIF
A LA POLICE DU ROULAGE SUR LES ROUTES VICINALES
M. le président.
- Ce projet ne contient que l’article suivant :
« Les lois et règlements qui ont pour objet la
police du roulage, le mode de perception, ainsi que le cahier des charges de la
perception des droits de barrières, sur les routes de l’Etat et sur les routes provinciales,
pourront être rendus applicables, par le gouvernement, aux chaussées vicinales
pour lesquelles les communes ont été autorisées ou seront autorisées, dans la
suite, à percevoir des péages. »
M. Rogier. - Le projet de loi rend applicables aux chemins
vicinaux les lois et règlements qui concernent la police du roulage, la
perception et le droit de barrière, etc. Mais je crois qu’il y a une
observation à faire sur la dernière partie de l’article, laquelle ne rend applicables
les lois et règlements de la police du roulage qu’aux routes vicinales sur
lesquelles l’établissement d’un péage aurait été autorisé. Or, il y a plusieurs
routes vicinales pavées, empierrées, sur lesquelles ne se perçoivent pas de
péages et sur lesquelles cependant la police du roulage serait utilement
applicable. C’est surtout sur ces petits pavés vicinaux qu’il importe que le
gros roulage n’ait pas lieu dans le mauvais temps. Qu’il y ait péage ou non, la
police n’en doit pas être différente.
Je demande que l’on retranche les derniers mots
de l’article et qu’on la termine ainsi : « aux chaussées vicinales
pavées ou empierrées. »
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je me
rallie volontiers à l’amendement présenté, parce qu’en effet il peut être utile
que les routes sur lesquelles on n’a jamais perçu de péages, soient soumises à
la police du roulage. Il n’y a pas d’objection à faire à l’amendement.
M. Pollénus. - Mais a-t-on bien examiné s’il est possible de
rendre applicable la police du roulage à tous les chemins vicinaux pavés ou
empierrés ?
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères
(M. de Theux). - Il n’y a aucune
espèce de difficulté à adapter la proposition. C’est une faculté concédée au
gouvernement. Il nous a été souvent signalé que les routes vicinales d’une si
grande importance pour les communes, sont sujettes à de fortes détériorations
par suite du manque de police. Il est évident que, dans l’intérêt de la
conservation de ces routes pavées et empierrées, on doit pouvoir y appliquer
les règlements suivant les circonstances.
M. Verhaegen.
- Je demande une explication au ministre de l’intérieur. Je veux savoir si l’on
rend applicables aux concessionnaires de péages l’article en délibération. Il
est des communes qui ont fait des concessions ; il en résulte des droits acquis
; peut-on appliquer au passé les lois et les règlements du roulage ?
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - La loi du 28 mars 1833 a prévu ce cas, les
droits des concessionnaires demeureront intacts.
- L’amendement de M. Rogier est adopté.
M. le président.
- L’article de la loi sera rédigé ainsi qu’il suit, en conséquence de
l’adoption de l’amendement :
« Les lois et règlements qui ont pour objet la
police du roulage, le mode de perception, ainsi que le cahier des charges de la
perception des droits de barrières, sur les routes de l’Etat et sur les routes
provinciales, pourront être rendus applicables, par le gouvernement, aux
chaussées vicinales pavées ou empierrées. »
- Cet article est adopté.
Le vote définitif sur la loi est renvoyé à la séance
de mardi prochain.
MOTION D’ORDRE
RELATIVE AU RENCHERISSEMENT DES HOUILLES
M.
David. - Je demanderai, messieurs qu’on fasse
imprimer le rapport de M. Zoude sur les houilles ; je ne sais pas pourquoi il
ne serait imprimé qu’au Moniteur ; il
me semble qu’il mérite aussi bien que d’autres rapports d’être imprimé
séparément. Il serait désagréable qu’au jour de la discussion chacun de nous
doive porter son numéro du Moniteur
où ce rapport se trouve.
- La chambre décide que le rapport sera imprimé et
distribué.
La séance est levée à 4 heures 1/2.