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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 9 février 1838

(Moniteur belge n°41, du 10 février 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi trois quarts.

M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne communication de la pièce suivante.

« Des marchands de bestiaux de la commune de Venray demandent qu’il soit apporté des modifications à la loi du 31 décembre 1835 sur l’entrée des bestiaux étrangers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Motion d'ordre

Pratiques de vente à l'encan

M. A. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Il y a environ six semaines que j’ai provoqué de la part du ministère un projet de loi sur les ventes à l’encan de marchandises neuves. J’ai consulté les intéressés dans ma province ; je puis dire qu’il n’y a qu’une voix sur cette question ; la plainte est générale ; le ministère doit être convaincu que c’est le vœu du pays qu’un projet de loi soit présenté.

Je désire savoir si l’on s’est occupé de cet objet important pendant les vacances. Je sais bien qu’il y a eu, il y a environ six semaines, un simulacre de réunion au département de l’intérieur, et qu’il a été question d’établir un droit d’enregistrement sur les ventes dont il s’agit.

Je désire savoir ce que le ministère a fait ultérieurement et s’il est dans l’intention de présenter un projet de loi. Je le répète, les plaintes sont générales ; or, si les plaintes sont générales, il y a obligation de présenter un projet de loi, sauf pour la chambre à accepter ou à refuser la loi. J’ai dit.

M. de Brouckere. - Je ne suis pas de l’avis de l’honorable préopinant, que le ministère est obligé de présenter un projet de loi, ni qu’on puisse l’y contraindre, puisque dans le cas où la présentation de ce projet serait le vœu du pays, chacun des membres de la chambre peut user de son droit d’initiative ; cependant je dirai avec M. Rodenbach qu’on désire partout que des mesures soient prises pour arrêter les abus résultant des ventes à l’encan ; le commerce de la capitale a adressé une pétition à la chambre, pour démontrer l’urgence les mesures à adopter relativement à l’objet dont il s’agit. Je ne dirai donc pas au ministère qu’il doit présenter un projet de loi ; mais il me semble que le ministre des finances pourrait nous dire si son intention est de nous soumettre un projet ; car dans le cas où le gouvernement ne serait pas dans l’intention de présenter un projet, je crois qu’il serait du devoir des membres de la chambre qui se sont le plus occupés de cette question de se réunir pour formuler un projet de loi. Pour moi, je déclare que je m’adjoindrai volontiers à ceux de mes collègues qui voudraient se réunir pour s’occuper de cette matière. Je désirerais cependant que l’initiative, s’il était possible, fût prise par le gouvernement. Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien donner quelques explications sur les intentions du gouvernement.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, l’objet dont il s’agit rentre plus particulièrement dans les attributions du département de l’intérieur ; cependant je puis dire que, peut-être dans la séance de ce jour, il sera présenté un projet de loi relativement aux ventes à l’encan. (Marques de satisfaction.)

M. A. Rodenbach. - Je ne demande que cela ; je n’ai plus rien à dire.

Projet de loi qui établit un impôt sur le débit en détail des boissons distillées et alcooliques

Discussion générale

Discussion de la question posée par M. le ministre des finances : « L’impôt semestriel ou trimestriel d’abonnement dont il s’agit, qui serait exigé des débitants de boissons distillées, devrait-il nécessairement être compté dans le cens des électeurs, déterminé par la loi électorale actuelle ? »

M. de Brouckere. - Messieurs, il y a quelque chose de très insolite à venir demander à la chambre de résoudre une question, afin que le ministère sache s’il persistera dans un projet qu’il a présenté, ou s’il le retirera. Je ne veux pas de ce chef faire un reproche au gouvernement : si la chambre veut adopter cette marche, soit ; mais je demanderai à M. le ministre des finances de vouloir bien nous dire quel résultat aura une déclaration quelconque de la chambre. Je suppose que la chambre déclare qu’on peut ne pas considérer comme impôt direct l’impôt dont on veut charger les détaillants de genièvre, quel effet aura cette déclaration ?...

Un membre. - On fera un article de loi.

M. de Brouckere. - Un membre me dit qu’on fera alors un article de loi ; mais alors il me semble qu’il vaudrait beaucoup mieux de présenter de prime abord un article de loi et de le mettre en discussion. Je ne sais si l’on saisit bien ma pensée. Je vais l’expliquer plus clairement.

Qu’on rédige un article de loi conçu en ces termes : « Cet impôt sera regardé comme impôt indirect. » Mais une chose certaine, c’est que la chambre ne peut pas faire une déclaration qui interprète la loi. Or, c’est ce qu’on demande que nous fassions ; on veut une déclaration donnant par avance une interprétation à une loi et que nous discuterons. Il me semble donc beaucoup mieux qu’on rédige un article de loi et qu’on le mette en discussion.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, la question que j’ai eu l’honneur de poser hier vous a été soumise pour nous faire gagner du temps. Si nous avions abordé immédiatement la discussion des divers articles du projet de loi, et qu’ensuite on eût déclaré que l’impôt dont il s’agit devait être compté dans le cens électoral, il aurait fallu retirer le projet de loi, car telle est notre intention que nous avons franchement exprimée. Dans une pareille hypothèse, nous aurions inutilement discuté pendant plusieurs jours, et nous avons cru qu’il convenait de procéder d’abord par une espèce de question de principe, et décider si la taxe à payer par les débitants de boissons distillées sera ou ne sera pas comprise dans le cens électoral. Je conviens que si l’on mettait l’article du projet de loi en discussion, en y ajoutant un seul mot, la question de principe pourrait être également considérée comme résolue par le vote de cet article.

Voici comment l’article premier est conçu :

« Indépendamment des impôts existant actuellement, il sera perçu, à partir du 1er janvier 1838, un droit de consommation… »

Eh bien, en disant : « Indépendamment des impôts indirects existant, il sera perçu un droit de consommation, etc. », on aurait suffisamment établi, avec l’addition du mot « indirects » que l’impôt dont il est question ne doit pas être compte dans le cens électoral. Cependant ma proposition me paraît avoir un avantage sur cette manière de délibérer, parce qu’il pourrait encore rester des doutes vis-à-vis des tribunaux, et arriver cette singulière anomalie que dans tel arrondissement on considérât comme électeurs les débitants de genièvre, à raison du nouvel impôt, et qu’il n’en fût pas de même dans tel autre arrondissement. Je crois donc qu’il est indispensable que la résolution de la chambre soit catégorique, et qu’il soit décidé bien positivement que la nouvelle taxe ne sera pas comprise dans le cens électoral.

M. Demonceau. - Lorsque j’ai dit hier que, malgré la déclaration que la chambre ferait, il pourrait y avoir des autorités appelées à interpréter la loi, qui l’interpréteraient comme elles l’entendraient, j’ai voulu indiquer les autorités communales, les députations provinciales et la cour de cassation, de manière qu’il me paraît que, si l’on disait simplement que l’impôt est indirect, ces autorités ne seraient pas astreintes à le considérer comme indirect.

M. Verhaegen. - Messieurs, je partage l’opinion de l’honorable M. de Brouckere. L’article 47 de la constitution porte :

« La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 fl… »

M. le président. - Je ferai une observation à l’orateur ; il ne s’agit en ce moment que de la position de la question ; il y a des orateurs inscrits pour le fond.

M. Verhaegen. - Je parle sur la position de la question. Je pense qu’on ne peut pas, par forme d’interpellation faite à la chambre, arriver au résultat qu’on se propose. Non seulement il s’agit de porter une disposition qui mettrait de côté des dispositions préexistantes, mais je pense qu’il faut réviser la loi électorale pour arriver à ce résultat. Et, en effet, la loi électorale forme un tout qui ne peut pas se diviser ; on ne peut pas faire des dispositions pour une catégorie. Si la loi électorale présente des inconvénients, il faut la réviser ; si le ministère veut atteindre le but qu’il se propose, il doit nous présenter un projet de loi révisant la loi électorale.

M. de Brouckere. - Messieurs, je crois que l’opinion de mon honorable voisin est une erreur ; la loi électorale peut être modifiée par une loi quelle qu’elle soit ; il ne faut pas pour cela que la loi de révision porte le titre de loi apportant des modifications à la loi électorale. L’objection de l’honorable préopinant n’a donc pas de valeur, à mon sens.

Je n’ai pas voulu entamer le fond de la question, c’est seulement sur la forme que j’ai parlé. Il m’a parti extrêmement irrégulier de poser une question dont la solution devait servir d’interprétation à une loi qui n’était pas même votée. Il me semblait qu’il y avait une marche plus simple à suivre, c’était de formuler dans la loi la dispostlion qu’on désirait y voir introduire. Mais il me semble qu’il y a un procédé plus simple encore, par lequel toute difficulté serait levée ; ce serait de déposer un amendement ainsi conçu :

« Cet impôt étant considéré comme impôt indirect ne sera pas compris dans le cens électoral. »

Cet article étant déposé, chacun pourra discuter si l’impôt est direct ou indirect ; et si on décide qu’il est indirect, il ne sera pas pris en considération dans la formation du cens électoral.

M. Devaux. - La discussion actuelle me paraît assez oiseuse, Si vous décidez affirmativement la question de savoir si l’impôt dont il s’agit est indirect, qu’en résultera-t-il ? Que vous devrez encore insérer dans la loi un article portant que cet impôt ne sera pas compris dans le cens électoral. Pourquoi ne commenceriez-vous pas par là ? Posez la question d’une manière positive au lieu de la poser sous forme interrogative. Mais alors il ne faut pas supposer que l’impôt n’est pas direct ou qu’il est direct. L’article doit être rédigé dans ce sens :

« Cet impôt ne sera pas compris dans le cens électoral. »

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je ne m’oppose pas à l’addition que l’honorable préopinant propose à l’article premier du projet, mais en la rédigeant ainsi : « ce droit ne sera pas compté dans le cens électoral. » Cependant il est entendu que l’on discutera d’abord ce paragraphe, parce que de son admission ou de son rejet dépend le sort de la loi.

Plusieurs membres. - Nous sommes d’accord.

M. le président. - M. Milcamps a la parole.

M. de Brouckere. - Ainsi il est entendu que la parole est donnée sur la proposition rédigée par M. Devaux.

M. Milcamps. - Messieurs, dans la séance d’hier, M. le ministre des finances a posé la question si l’impôt semestriel ou trimestriel à payer par les débitants de boissons distillées devrait nécessairement être compté pour le cens électoral.

Et il a déclaré que la solution affirmative de cette question porterait le gouvernement à retirer le projet de loi en discussion.

C’est assez nous dire l’importance qu’il attache à l’examen de cette question, et celle que nous-mêmes devons y attacher.

Aujourd’hui il ne s’agit plus de cette question de principe, mais d’un amendement déclarant que cet impôt ne sera pas compté pour le cens électoral.

D’après l’article 47 de la constitution, la chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 fl. d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 fl. Et d’après l’article premier de la loi du 3 mars 1831, pour être électeur il faut verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à cette loi.

Il résulte donc de ces lois que tout impôt qui a le caractère de contribution directe, doit, sans exception (car ces lois n’en font aucune), être compté pour le cens électoral.

« On distingue deux espèces de contributions, les contributions directes et les contributions indirectes.

« Les contributions directes sont établies directement sur les biens, sur les facultés et sur les personnes. »

- C’est ainsi que notre loi des voies et moyens indique comme contributions directes l’impôt foncier, l’impôt personnel, l’impôt sur les patentes, la redevance sur les mines.

L’impôt foncier affecte la propriété et frappe directement sur le propriétaire dans la proportion de son revenu.

L’impôt personnel affecte les meubles, les foyers, les domestiques, les chevaux, et frappe directement sur celui qui a ces choses à son usage.

La patente affecte la profession et frappe directement sur celui qui l’exerce.

La redevance proportionnelle sur les mines a la nature de la contribution foncière.

Dans mon opinion, l’abonnement qu’on propose de faire payer par les débitants de boissons distillées est une contribution directe ; il a, comme les impôts que je viens d’énumérer, le caractère de généralité et de durée des contributions directes ordinaires, il doit être perçu au profit de l’Etat, il est soumis aux mutations annuelles du budget. L’abonnement à payer par les débitants de boissons distillées a le même caractère que l’impôt sur les patentes.

On prend patente pour pouvoir exercer la profession de marchand de vin, de cabaretier, et de même on s’abonnera pour pouvoir exercer la profession de débitants de boissons distillées. Cet abonnement a le caractère d’une contribution directe, parce qu’il frappe directement la personne à raison de l’industrie qu’elle exerce. Il n’est pas un impôt de consommation, puisque l’abonné doit payer alors qu’il ne vendrait rien, qu’on ne consommerait rien chez lui. La circonstance que l’impôt n’est pas établi pour l’année, et qu’on peut prendre un abonnement pour un trimestre, ne lui enlève pas le caractère de contribution publique, puisqu’il est établi par une loi de finances, ni le caractère de contribution directe, lequel est indépendant du mode d’assiette, de recouvrement, de l’emploi de l’impôt et de son affectation à tel ou tel service public. Dira-t-on que l’impôt sur les patentes n’est pas direct, puisque l’article premier de la loi électorale, pour donner la qualité d’électeur, exige le versement au trésor d’une quotité de contributions directes, patentes comprises ; cette expression « patentes comprises, » n’indique-t-elle pas qu’on ne considérait pas l’impôt sur les patentes comme une contribution directe, et que si elle compte pour le cens électoral, c’est en vertu de la loi ?

Pour moi, messieurs, je pense que cette expression « patentes comprises, » n’a été introduite dans la loi que pour ne laisser aucun doute que l’impôt sur les patentes est un impôt direct, et faire ainsi connaître le véritable sens de l’article 47 de la constitution ; car, aux termes de cet article, si l’impôt n’était pas direct, il ne pourrait être compté pour le cens électoral.

Du reste, l’impôt sur les patentes est incontestablement un impôt direct, c’est ce qu’ont décidé plusieurs arrêts de la cour de cassation de France ; ils ont aussi décidé que les centimes additionnels auxquels les patentables sont imposés proportionnellement et additionnellement à leurs patentes, sont eux-mêmes une contribution directe, d’après le principe que l’accessoire est de même nature que le principal.

Je le déclare, messieurs, si l’impôt sur les patentes est une contribution publique et directe, la loi et la nature des choses ne peuvent refuser le même à caractère à l’abonnement à payer par les débitants de boissons distillées.

Si on ne me prouve que cet impôt est indirect, je voterai contre le projet de loi.

M. Doignon. - Messieurs, depuis quelques années c’est le vœu unanime de la chambre et du sénat de décréter quelques mesures efficaces pour réprimer l’usage immodéré des boissons distillées. Je regrette que, pour arriver à ce but, le gouvernement n’ait pas pu nous présenter qu’un projet qui d’abord doit soulever une question préalable qui touche à tout notre système électoral, question qu’il est toujours dangereux d’aborder incidemment. Il ne m’est aucunement démontré que le ministère n’aurait pu éviter la discussion d’une semblable question.

On demande à la chambre si l’abonnement dont s’agit devrait nécessairement être compté dans le cens des électeurs, déterminé par la loi électorale actuelle ?

Quoique cette question n’ait pas été posée en termes exprès dans le rapport de la section centrale, nous y voyons clairement qu’elle a été examinée et approfondie dans cette section, et qu’elle y a même reçu une solution que j’adopte entièrement. On s’est attache à vous démontrer que cet abonnement constituerait un impôt direct. Or, le cens déterminé par la loi électorale se compose précisément d’un impôt de cette espèce, et cela en conformité d’un texte formel de notre constitution.

L’article premier de cette loi déclare que, pour être électeur, il faut (3°) verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à la loi. Le rapport de la section centrale vous ayant prouvé à évidence que cet abonnement participerait de la nature de l’impôt des patentes, il devrait donc nécessairement compter dans le cens électoral. Il nous semble qu’on ne peut guère apporter de meilleures raisons que celles induites par cette section à l’appui de sa réponse affirmative.

Ce n’est point à l’écorce des mots qu’il faut s’arrêter ; mais c’est le fond même des choses qu’il faut envisager dans la question. Peu importe donc le nom que le projet de loi veuille donner à cet impôt, il faut voir ce qu’il serait réellement d’après l’ensemble des dispositions de ce projet.

S’il était permis de juger la question d’après seulement la teneur de l’article premier, l’abonnement mentionné serait un véritable impôt indirect, puisqu’il est qualifié de « droit de consommation sur les boissons distillées, » et que ce droit devant être payé par les débitants à l’acquit des consommateurs, ce n’est que par une voie indirecte qu’il est supporté par ceux-ci. Tel qu’il est présenté par cet article premier, ce droit frapperait non la profession du débitant, mais les boissons elles-mêmes ; ce serait véritablement l’impôt qui va saisir à la source, à la cave même du débitant, l’objet mis par lui en consommation.

Mais, par une inconséquence des plus étranges, les dispositions suivantes du projet détruisent complétement le caractère donne d’abord à cet impôt par l’article premier. Leur rapprochement fait voir évidemment que ce n’est plus à raison de la consommation de ces boissons, à raison de leur quantité consommée ou présumée telle, qu’on veut établir cette taxe, mais uniquement à cause et à raison de la profession même du débitant.

Il est manifeste que c’est cette profession elle-même qu’on veut frapper comme dans le cas des patentes, et à l’exemple de ce qui est statué pour celles-ci, on partage ceux qui font ce commerce en trois classes, suivant l’importance présumée plus ou moins grande de leurs bénéfices, établie d’après le rang de la localité où ils sont établis ; on crée en conséquence trois catégories de toutes les villes et communes du pays, et on leur assigne ainsi à chacune un droit différent.

Mais veuillez y faire attention, quoique les débitants soient assujettis à un droit plus ou moins élevé suivant le rang de la commune qu’ils habitent selon le projet, tous les débitants d’une même commune entre eux doivent payer la même taxe sans aucun égard à la quantité plus ou moins forte qu’ils auront débitée, de manière que les grands débits ne paieront pas plus que les petits ; il est donc certain que ce n’est point la quantité de liquide elle-même qui est prise en considération pour la taxe, mais uniquement la profession et le rang qu’occupe la commune, auquel rang on attache la présomption d’un lucre plus ou moins important.

Or, c’est justement ainsi qu’on procède en matière de patente : la patente est un impôt de quotité prélevé sur le bénéfice présumé du commerçant ; elle est d’autant plus élevée dans certaines villes qu’on suppose que celui-ci y jouira de plus d’avantages et que son gain y sera plus important.

Or, c’est précisément la même règle qu’on a suivie dans le projet ; on a présumé qu’un habitant de Bruxelles y fait de plus grands bénéfices que dans un village, et l’on a porté sa taxe à un taux plus haut.

Mais, il faut bien le remarquer encore, ce n’est que cette présomption d’un plus grand bénéfice résultant uniquement du rang de la commune qui sert de base à la taxe, et point du tout la quantité de boissons qu’il aura vendues ou qu’il sera présumé avoir vendues, puisque, quelle que puisse être cette quantité, tous les débitants de la même ville étant taxés au même droit, ceux même qui débitent habituellement une faible quantité paieront autant que les plus grands débitants.

Or, un impôt assimilé ainsi à la patente et pour sa base et pour la fixation de la taxe, n’étant autre chose qu’un prélèvement sur le bénéfice de l’industrie ou de la profession, est nécessairement une contribution directe. La taxe n’impose que cette industrie ou cette profession même, sans s’en référer aucunement à une quantité quelconque des objets de consommation, et le contribuable ne doit qu’en faire sortir le montant de sa caisse pour le porter directement lui-même au trésor public.

Or, d’après le projet de loi, c’est là aussi précisément ce qu’auraient à faire les débitants de boissons. Le fisc, sans jamais leur demander aucune déclaration des boissons qu’ils auraient débitées ou qu’ils seraient présumés devoir débités, et sans s’inquiéter aucunement de cette consommation, serait en droit de leur dire : « En votre seule qualité de débitant dans telle commune, vous aurez à prendre sur votre lucre présumé telle somme, et à me la remettre directement. »

La loi électorale, pour empêcher qu’on puisse jamais interpréter autrement tout droit qui tient nature de patente, à même ajouté, après les mots « contributions directes, » ceux-ci : « patentes comprises. » Ainsi, nul doute qu’un pareil impôt par abonnement ne soit une contribution directe, qui devrait, par conséquent, compter à l’électeur pour le cens électoral ; mais la loi électorale aurait même fort bien pu se dispenser de faire cette mention formelle de la patente ; car, sous le régime précédent, ce n’était aussi que l’impôt direct qui constituait le cens, et jamais l’on n’a douté que les patentes n’en fissent partie. La loi électorale du gouvernement provisoire était aussi conçue dans le même sens.

Voudrait-on tirer argument d’un impôt par abonnement qui existait aussi sous le gouvernement déchu ? Cet impôt, de triste mémoire, l’impôt mouture, se percevait par voie d’abonnement dans les communes qui préféraient ce mode de libération ; mais on lui avait tout à fait conservé son caractère d’impôt indirect de consommation. Calculé à raison de tant par tête dans chaque famille, y compris même les enfants, il allait frapper la quantité même de pain présumée consommée par chaque habitant. Comme tous les impôts de consommation, l’impôt mouture était donc indirect ; il n’était et ne pouvait pas être acquitté directement par les membres de chaque famille qui était ici les consommateurs, mais on se libérait envers le fisc par l’intermédiaire de la commune qui en versait elle-même tout le montant dans la caisse de l’Etat. Or, je ne sache point que jamais on eût imaginé de prétendre que cet impôt devait être compris ans les contributions directes pour compléter le cens électoral ; il en serait d’ailleurs résulté cette anomalie que dans les communes où il n’y avait point d’abonnement, les électeurs se seraient trouvés sous ce rapport, dans la condition la plus désavantageuse. En un mot, pour qu’au moyen de l’abonnement dans il s’agit, la contribution sur les boissons pût être un véritable impôt indirect de consommation, il aurait fallu déclarer qu’il serait payé certain droit fixe à raison de chaque litre ou hectolitre, comme on l’a fait pour les distilleries et les brasseries ; peut-être aurait-on pu, dans ce cas, prendre pour base de paiement du droit la déclaration du contribuable, portant, non pas seulement qu’il entend exercer la profession de débitant, mais qu’il estime à telle quantité de litres ou d’hectolitres les boissons qui se consommeront chez lui. C’est alors, ainsi que cela doit être, à raison et en proportion de cette quantité elle-même, et non à raison de la profession, que le droit eût été fixé ; il resterait à voir si ce mode eût été possible, et à cet égard, nous observerons que déjà, pour les patentes, on admet souvent pour base les déclarations, non pas des quantités d’objets vendus, mais des sommes auxquelles on évalue les débits annuels, déclarations qui peuvent être ensuite contredites ou augmentées par les répartiteurs ou experts, après avoir entendu les intéressés.

L’article 2 du projet nous fournit encore une autre preuve que l’impôt proposé n’affecte réellement que la profession ou la qualité de débitant, et nullement la consommation ou la quantité de boissons. Cet article ne s’occupe en effet que du soin de définir le plus exactement possible ce qu’on doit entendre par la profession d’un débitant de boissons : cette profession est donc ici la seule base du droit à l’égard de la patente qui est un impôt direct.

La loi de 1790, citée hier par M. le ministre, dépose également contre lui. Sans doute, un impôt sur la vente même est indirect ; mais c’est parce qu’il est lui-même assis sur la quantité des denrées vendues, comme on le voit dans la loi de 1806 pour les débitants de boissons.

Enfin, s’il pouvait y avoir doute sur la question, il faudrait encore plutôt pencher pour l’affirmative ; car ce doute seul suffirait pour les contribuables fissent valoir leurs droits comme électeurs en le soumettant aux autorités communales, provinciales, et en dernier lieu à la cour de cassation, ce qui pourrait amener les plus graves difficultés.

Mais il nous paraît hors de doute que cet impôt devrait leur compter pour le cens électoral ; et nous dirons plus, nous dirons qu’il doit nécessairement leur compter, et en telle sorte que quand même le pouvoir législatif déclarerait qu’il ne doit pas compter comme impôt direct, il compterait malgré tout, parce que la constitution le veut ainsi, et que nous n’en pouvons suspendre aucune partie.

L’article 47 porte : « La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins. »

Ainsi la constitution laisse à la loi de déterminer le cens ; mais en même temps elle établit une règle fixe par ces mots : « lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins. » Le législateur du congrès s’en rapporte donc à l’impôt direct pour régler la hauteur du cens dans les diverses provinces ; ce n’est que cet impôt direct qu’il assigne pour base, et en cela il demeurait d’ailleurs d’accord avec tous les précédents, et le gouvernement lui-même, et tous les anciens règlements. Or si c’est dans l’impôt direct qu’il faut prendre le cens, dès l’instant qu’un citoyen peut atteindre, avec toute contribution directe quelconque envers l’Etat, la somme fixée par le cens, par cela même il est de plein droit électeur ; c’est son droit acquis comme citoyen en vertu de la constitution, et aucune puissance ne peut le lui ravir aussi longtemps que notre charte existe.

Le congrès a bien déterminé le minimum et le maximum du taux auquel le législateur pourra porter le cens suivant les circonstances, les provinces et les localités ; mais, dans tous les cas ; quel que soit le taux auquel celui-ci croit devoir le fixer entre le minimum et le maximum, toujours doit-il nécessairement se composer de l’impôt direct, comme le prescrit la charte, et par conséquent celui qui réunir suffisamment des contributions de cette espèce pour remplir le cens voulu a incontestablement un droit acquis au fonctions d’électeur. Déclarer donc que cet impôt direct ne lui comptera point, ce serait lui enlever ce droit qu’il tient de la constitution, ce serait une violation des plus flagrantes de notre parte fondamental.

Ce serait une vaine subtilité de prétendre que pour l’entendre ainsi, le congrès aurait dû ajouter le mot « tout » après celui « d’impôt » en déclarant que le cens se formerait de l’impôt direct, sans aucune exception ni distinction, il s’est évidemment prononcé d’une manière assez large, et il est clair qu’il n’a pu entendre qu’on pourrait jamais en soustraire la moindre partie aux citoyens électeurs. Cette expression « tout » eût donc été surabondante.

Tout en reconnaissant qu’il est, par sa nature, un impôt direct, voudrait-on, par une fiction ou une présomption de la loi, stipuler dans le projet que cet abonnement est au contraire un impôt indirect, ou, en d’autres termes, qu’il n’est point ce qu’il est réellement ? Mais un tel détour est de toute impossibilité ; jamais une fiction de la loi ne peut être contraire à la vérité ; mais une pareille fiction ne peut être un mensonge, et c’est ce que vous consacreriez au cas actuel ; ce serait toujours une violation de la constitution qui, pour être déguisée de la manière la plus grossière, n’en serait pas moins également flagrante. L’électeur soutiendrait alors, comme il l’a fait sous le roi Guillaume, dans des cas semblables, que les lois qui violent ouvertement la constitution n’obligent pas, et la question serait soumise en définitive à la cour de cassation, qui pourrait lever ainsi le plus fâcheux conflit entre elle et le pouvoir législatif.

Un honorable collègue disait, dans la séance d’hier, qu’il serait même libre à la législature d’admettre pour le paiement du cens les taxes directes, communales et provinciales. Un pareil système ne nous paraît pas soutenable. Le congrès n’a parlé ni pu entendre parler que d’un impôt direct au profit de l’Etat. S’il pouvait en être autrement, les communes et les provinces, au moyen de leurs taxes directes, se trouveraient maîtresses d’abaisser ou d’augmenter à volonté le cens voulu dans chaque province ou chaque district. Le gouvernement, qui est seul appelé à autoriser de pareilles taxes, aurait aussi tout liberté pour régler à son gré et de sa seule autorité ce même sens électoral ; ce serait donc détruire par sa base tout le système représentatif ; il est impossible qu’une telle absurdité soit entrée dans l’esprit du congrès. Il faut donc dire qu’il a attaché à l’expression générale « impôt direct » le même sens qu’on lui avait constamment donné précédemment. Or, depuis 1816, dans toutes les lois, comme dans la pratique, il a toujours été reconnu que cet impôt direct ne pouvait être payé au trésor de l’Etat.

M. Andries. - Messieurs, je pense qu’il est difficile de décider que l’impôt tel qu’il nous est présenté par le gouvernement soit un impôt direct, car on ne peut nier qu’il ne frappe plus ou moins directement la consommation. Il n’est pas non plus, sous tous les rapports, un impôt de consommation, parce qu’il n’est pas précisément en raison directe avec la consommation. Je crois cependant qu’il tient plus par sa nature à un impôt de consommation qu’à un impôt direct, et je ne puis admettre que parce qu’il n’est pas, rigoureusement parlant, mis en raison directe avec la quantité consommée, il soit pour cela dépouillé tout à fait de son caractère d’impôt de consommation. Quelques lumières qu’on puisse jeter dans la discussion, je crois qu’il restera toujours du doute sur le véritable caractère de l’impôt. C’est plutôt un impôt mixte qui tient un peu des deux caractères, et c’est pour ces motifs et à raison de ces doutes que je ne croirai porter aucune atteinte à la loi électorale actuelle en disant que l’impôt semestriel d’abonnement dont il s’agit ne doit et ne peut pas être compté dans le cens des électeurs. L’article 47 de la constitution s’oppose formellement à ce qu’il y soit compris ; car cet article exige 20 à 100 fl. d’impôt véritablement direct et dont le caractère n’est pas contesté. Elle exclut tout autre.

J’espère que ce sera dans ce sens que la question préjudicielle sera jugée par la chambre.

Je le désire d’autant plus, parce que je suis convaincu que si le projet actuel n’est pas admis, la chambre marche à grands pas vers le retour à la loi hollandaise de déplorable mémoire, chef-d’œuvre de la fiscalité la plus odieuse qui fut jamais ; le souvenir des vexations et des ruines multipliées qu’elle amena, soulève encore d’indignation tout cœur belge ami de son pays.

La question préjudicielle étant ainsi vidée, je propose de renvoyer le projet ministériel devant la section centrale ou une commission pour l’examen des articles. Avec quelques légères corrections à la loi actuelle sur les distilleries, corrections provoquées par l’expérience, avec une augmentation de patente pour les distillateurs et la loi actuelle bien élaborée, je crois que nous aurons sur cette matière un système de législation véritablement national et aussi parfait que possible.

M. Dolez. - Le principe de la loi qui nous est soumise, me paraissant bon, je désire pouvoir lui donner mon appui. Toutefois je dois le reconnaître, je ne pourrai le faire que si la chambre reconnaît que l’abonnement des débitants de boissons distillées constitue un impôt indirect ; c’est assez dire que je crois pouvoir donner une solution affirmative au premier membre de la question. Mais ma réponse serait négative sur le second membre.

Je crois pouvoir établir d’une manière assez simple que nous avons le droit de regarder l’impôt dont il s’agit comme un impôt purement indirect.

Je ne nie pas combien il est difficile de déterminer ce qu’il faut entendre par une définition dans une matière où tout est l’œuvre de la loi positive qui peut varier à l’infini. Dans une semblable matière une définition exacte est à peu près impossible. Cependant, si on réfléchit aux différents impôts tant directs qu’indirects établis dans notre système fiscal, je crois que la définition la plus générale est celle-ci : Il faut entendre par impôts directs les impôts payés par l’habitant à raison de la jouissance des choses, et par impôts indirects, tout ce qui est payé à raison de la consommation.

Je n’ignore pas qu’entre ces deux grandes divisions se place une autre catégorie d’impôt qui n’appartient, d’une manière bien précise, ni à l’une ni à l’autre. Je vois dans la première catégorie, dans l’impôt perçu à raison de la jouissance des choses, la contribution foncière qui est payée pour la jouissance de la propriété ; la contribution des portes et fenêtres et de la valeur locative qui se paie à raison de la jouissance de la maison qu’on habite ; l’impôt sur les chevaux de luxe qui se paie encore à raison de la jouissance de ces chevaux ; l’impôt sur les domestiques qui se paie à raison des services qu’ils rendent à leurs maîtres. Je vois enfin dans la catégorie des impôts indirects, c’est-à-dire de ceux qui se paient à raison de la consommation, tous les impôts d’accises.

Mais, comme je le disais tout à l’heure, entre ces deux catégories il s’en trouve une troisième qui n’appartient ni à l’une ni à l’autre d’elles ; ce sont les droits de succession, de mutation et même l’impôt de patente. Il est impossible, en considérant la nature des choses, d’établir d’une manière certaine si l’impôt des patentes est plutôt direct qu’indirect. Pour les impôts de cette nature, c’est au législateur qu’il appartient de déterminer leur caractère. Ce que je dis ici n’est pas exempt d’antécédents. La constitution me prête un argument de la plus grande force. L’article 47 de la constitution avait posé en principe que le cens électoral se formerait d’une quotité d’impôts directs. Il y avait à réaliser ce principe par la loi électorale ; cela a été fait par l’article premier de cette loi qui est ainsi conçu :

« Pour être électeur, il faut :

« 1°… 2°… 3° Verser au trésor de l’Etat la quotité des contributions directes, patentes compris, déterminée dans le tableau annexé à la présente loi. »

Si, messieurs, la nature du droit de patente avait été bien caractérisée, si cette nature s’était manifestée d’une manière incontestable comme impôt direct, tout était dit par la première disposition du n°3 : verser au trésor de l’Etat la quotité des contributions directes déterminée par le tableau. Mais on a senti qu’il pouvait y avoir incertitude sur la nature de l’impôt des patentes, et pour écarter cette incertitude, on a dit que l’impôt de patente serait considéré comme impôt direct.

Si la législature de 1831 a pu déclarer que l’impôt de patente était un impôt direct, on ne peut pas lui contester le droit de déclarer qu’il ne l’était pas ; car si la majorité qui a adopté cet article avait voulu écarter l’impôt des patentes du cens électoral, comme l’eût-elle fait ? En rejetant la partie du paragraphe portant : « patentes comprises ; » et la patente qui, dans notre système électoral, est jugée impôt direct, eût été jugée impôt indirect. Ce que la législature de 1831 pouvait faire pour le droit de patente, nous pouvons le faire aujourd’hui. Nous avons devant nous un projet de loi établissant un impôt qui n’est pas caractérisé d’une manière certaine, direct ou indirect ; c’est à nous qu’il appartient de décider quel sera, relativement à la loi électorale, son véritable caractère.

Il est une autre considération que je crois assez puissante pour appuyer l’argumentation que j’ai l’honneur de vous soumettre, c’est que pour établir le caractère d’un impôt, sa nature, il faut rechercher la base sur laquelle il repose plutôt que la manière dont il se perçoit. Que vois-je dans l’impôt qu’on propose ? Je vois une déception directe ; mais, quant à sa base, elle est directe, en ce sens qu’il porte sur la consommation des choses. C’est la base de l’impôt qui doit déterminer sa nature bien plus que le mode de perception ; ce qui le démontre, c’est que dans les lois antérieures vous avez vu qu’on admettait le paiement de certains droits d’accises au moyen d’abonnement.

En France, une loi de 1806 admet les débitants de boissons à payer les droits d’accises au moyen d’abonnement. Cet abonnement établit une perception directe ; cependant l’impôt garde sa nature, il reste droit d’accises, impôt indirect. Je pense que la chambre peut considérer l’impôt qu’il s’agit d’établir comme impôt indirect, et qu’à ce titre elle peut décider qu’il ne comptera pas pour la formation du cens électoral.

Mais, comme je le disais en commençant, si je suis d’avis que le premier membre de la question qui vous est soumises par M. Devaux doit être résolu d’une manière affirmative, je pense que la solution du deuxième membre doit être négative ; c’est-à-dire que si la chambre admettait que l’impôt dont on se propose de frapper les débitants de boissons distillées est un impôt direct, il faudrait le comprendre dans le cens électoral ou rejeter la loi. Mon opinion est basée sur l’article 47 de la constitution. Cet article, en disant : « La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins, » a voulu que tout impôt direct fût complété dans le cens électoral.

La raison en est simple, c’est que la constitution dont la première base est légalité de tous les citoyens, ne pouvait pas admettre que tel citoyen payant 30 florins d’impôt directs fût électeur, tandis qu’à côté de lui, un autre citoyen payant également 30 florins d’impôts directes ne le serait pas, parce qu’il y aurait des impôts privilégiés. C’est ce que notre constitution n’a pas voulu.

Voyez à quelles conséquences le système contraire pourrait nous conduire. Je suppose que la législature voulût successivement écarter du cens électoral tel ou tel impôt direct, pour n’attacher le droit électoral qu’à la propriété foncière, l’impôt foncier pourrait finir par servir seul à former le cens électoral ; car si la législature avait le droit d’écarter un impôt direct du cens électoral, il en serait de même pour tous les autres ; elle pourrait écarter l’impôt de patente, l’impôt personnel et tous les autres quels qu’ils soient.

Maintenant la loi électorale a autorisé une certaine marge dans la fixation de la hauteur du cens électoral. Ce cens peut varier de 100 à 20 florins. On pourrait en tirer cette conséquence que si on n’atteint pas le maximum, on peut écarter certaines catégories d’impôts directs.

J’ai déjà répondu à cette objection que le seul sens dans lequel on peut interpréter cet article, c’est que l’on peut déterminer dans les limites posées la hauteur des impôts qu’il faut payer pour être électeur ; mais dès que le chiffre a été fixé, il doit l’être pour tous d’une manière égale, uniforme : tous les impôts directs doivent être admis à concourir à le former.

En résumé, je crois que nous devons adopter, non l’amendement formulé par M. Devaux, mais celui présenté primitivement par M. de Brouckere, c’est-à-dire que nous devons voter la loi, sauf les modifications de détail, en déclarant que l’impôt qu’elle établit est considéré comme impôt indirect. De là la conséquence nécessaire qu’il ne doit pas être compris dans le cens électoral.

Vous l’aurez pas à craindre de voir des jurisprudences différentes s’établir dans les différents collèges, parce qu’ils auront tous devant eux une loi créant un impôt indirect et une loi électorale qui ne permet de comprendre dans le cens électoral que les impôts directs.

M. Mercier. - D’après l’article 47 de la constitution, l’impôt direct forme le cens électoral ; mais on chercherait vainement dans la législation financière la définition de ce que l’on doit entendre par impôt direct. Toutes les définitions qu’on essaierait de faire à défaut d’une disposition formelle seraient arbitraires et contestables.

Primitivement les contributions foncière, personnelle et des portes et fenêtres furent seules considérées comme contributions directes. Le but de ces impôts est bien certainement de faire payer à l’Etat directement, par la masse des citoyens, une fraction de leur revenu ou de leur fortune. Cette observation générale n’est pas applicable au droit de patente, bien qu’il soit actuellement rangé parmi les contributions directes. Le patentable verse au trésor une partie de ses bénéfices, ou, comme le redevable en matière d’accise, ne fait que l’avance d’un droit dont il récupère le montant sur les consommateurs.

Il ne sera donc pas inutile de rechercher comment cet impôt se trouve compris dans la catégorie des contributions directes.

Dans son origine, le droit de patente ne faisait point partie des contributions directes ; créé d’abord par la loi du 17 mars 1791, il fut supprimé en 1793 et rétabli par la loi du 6 fructidor an IV ; c’est à la régie de l’enregistrement que fut alors confiée la recette de ce droit, et non aux collecteurs des contributions directes.

Les agences des contributions directes furent établies par la loi du 22 brumaire an VI ; non seulement elles ne furent pas chargées alors de la perception du droit de patente, mais même elles n’eurent pas encore à en régler l’assiette : ce ne fut que par arrêté des consuls du 15 fructidor an VIII que ces dernières attributions furent déférées aux agences des contributions directes ; la recette continua cependant encore à être opérée par la régie de l’enregistrement jusqu’à ce que l’arrêté du 26 brumaire an X vint changer cet ordre de choses, et les rôles de l’an X furent remis aux percepteurs des contributions foncière et personnelle pour en suivre le recouvrement. Il résulte de ces dispositions que ce n’est réellement qu’à partir de cette époque que la patente fut considérée comme contribution directe, plutôt parce que tout ce qui en régissait l’assiette et la perception fut confiée aux agents des contributions directes que par sa nature qui, en effet, diffère à beaucoup d’égards de celle des autres contributions directes.

Il n’y a donc point de règle fixe pour déterminer qu’un impôt doit être rangé parmi les contributions directes ; nous ne pouvons admettre comme telles que celles auxquelles la loi a formellement donné cette dénomination. Ainsi notre constitution, en établissant que l’impôt direct forme le cens électoral, n’a pu avoir en vue que les contributions qui, lors de sa promulgation, étaient légalement reconnues comme contributions directes et qui selon la loi du 12 juillet 1821 étaient la contribution foncière, la contribution personnelle et le droit de patente.

Mais il est hors de doute que ces trois impôts perçus au profit de l’Etat ne peuvent, sans violation de la constitution, cesser de concourir à la formation du cens électoral ; le législateur, à l’article 56 de la constitution ainsi qu’au paragraphe 3 de l’article premier de la loi électorale, par les mots « patentes comprises » a voulu être plus explicite envers ce dernier droit qui précédemment n’était pas défini dans la formation du cens électoral. Mais la loi n’ayant pas défini ce que l’on doit entendre par contributions directes, et ayant compris sous cette dénomination des impositions de différente nature, il est incontestable qu’à la création d’un nouvel impôt la législature conserve le droit de lui affecter cette dénomination qu’elle juge convenable, et partant de permettre ou de défendre qu’il concoure à la formation du cens électoral.

C’est par une sorte d’exception que le droit de patente a été rangé parmi les contributions directes : cette exception a été consacrée par la loi : il est vrai que nous pouvons en agir de même à l’égard de l’impôt projeté sur les débitants de boissons ; mais il est également de toute évidence que, si nous le pouvons, nous ne le devons pas nécessairement et que notre décision sera beaucoup plus rationnel en suivant le système contraire.

On a prétendu que le nouveau droit frappe directement le contribuable à raison de l’industrie qu’il exerce : je n’admets pas cette allégation, car l’assujetti au droit sur les débitants de boissons ne sera que l’intermédiaire entre le trésor et le consommateur ; il restera même soumis au droit de patente pour l’exercice de sa profession ; le droit de consommation est converti en abonnement pour éviter des visites domiciliaires, et une surveillance trop gênante pour les redevables.

Par ces motifs je me prononce pour l’adoption de l’amendement proposé par l’honorable M. Devaux, et qui remplace la question posée par le gouvernement.

M. Vandenbossche. - Messieurs, j’approuve entièrement le principe de la loi sur le débit des boissons distillées, soumise à nos délibérations, et aucune des considérations secondaires auxquelles elle paraît donner lieu ne m’engagerait à voter son rejet.

La considération que cet impôt pourrait être compté dans le cens des électeurs ne pourrait avoir sur mon vote la moindre influence.

Pour moi, je désirerais que quiconque a un intérêt à être bien administré, pût aussi avoir le droit de concourir à l’élection de ses représentants ou magistrats éligibles ; et comme, dans mon opinion, celui qui possède le moins a le plus d’intérêt à être bien administré, je désirerais qu’il n’y eût point de cens établi pour être électeur.

Mais ces désirs sont vains ; il faudrait à cet effet une élection à deux degrés, et l’abolition du cens constitutionnellement établi ; la constitution que nous devons tous respecter s’y oppose. Je veux toujours m’y conformer.

Quant à la question qu’a proposée M. le ministre, l’impôt que nous allons établir est, dans mon opinion, un impôt indirect, et par conséquent il ne pourra jamais être compté dans le cens des électeurs.

Nous nous proposons de faire une loi de morale, de réprimer ou diminuer au mois l’abus, que tout le monde déplore, de la consommation du genièvre, en augmentant son prix pour le buveur au cabaret.

Le but que je me propose par l’adoption de la loi n’est point d’atteindre les personnes, de faire cesser son commerce ou fermer son établissement à qui que ce soit, mais d’engager le débitant cabaretier à vendre plus cher ses boissons distillées ; ainsi la loi, dans mon opinion, frappera directement sur la boisson mais non sur le cabaretier.

M. le ministre, en proposant le projet, y avait ajouté un second but, savoir de diminuer le nombre d’établissements où ces boissons sont vendues en détail ; si ce second but pouvait être le but principal de la loi, je trouve qu’on pourrait en conclure que l’impôt est introduit pour atteindre les personnes, et par suite qu’il pourrait être considéré comme un impôt direct et, comme tel, être compté dans le cens des électeurs. Mais tel ne peut jamais être le but réel de la loi. La consommation immodérée que nous voulons arrêter n’en diminuerait point, il ne ferait que renvoyer les ivrognes d’un établissement à un autre, et où le nombre des buveurs accru ferait peut-être encore accroître le désir immodéré de boire.

Le mode de perception pourrait-il changer la nature de l’impôt ? Je ne le pense pas. L’impôt de mouture, levé par collecte, était un impôt indirect ; a-t-on jamais pensé qu’il était devenu un impôt direct, là où on le percevait par amodiation ou abonnement, et où il atteignait directement la personne imposée ? Or, je pense que, pour le cas présent, il y a analogie.

Dira-t-on que le résultat de la loi sera au moins de faire fermer quelques établissements ? Pour moi je ne pense pas que les résultats d’une loi peuvent changer son but ou sa nature.

Mais la loi telle qu’elle nous est proposée atteindra-t-elle son but ?

Je pense que non, et que pour lui donner de l’efficacité, il faudrait au moins doubler l’impôt.

Je désirerais voir augmenter au cabaret le prix du verre, de la contenance d’un décilitre, de 4 centimes au moins.

Or, j’estime qu’il n’y ait point de débitant de genièvre dans un hameau quelconque du royaume, qui ne débite point deux hectolitres de genièvre par an. Je suppose que la consommation pourra se réduire à la moitié ; il vendra sa boisson 4 centimes par décilitres de plus, et il sera couvert d’un impôt de 40 fr. par an. Et c’est à ce taux que je désirerais voir monter l’impôt pour toutes les villes et communes de troisième rang.

Les débitants des villes et communes populeuses que le projet classe dans le second rang, débitent au moins 3 hectolitres par an. Supposez encore le débit réduit de la moitié ; ils devraient être imposés à raison de 60 fr. par an.

Les débitants des grandes villes débitent au moins quatre hectolitres par an ; supposant leur débit réduit à deux hectolitres, il conviendrait de les imposer à raison de 80 francs par an.

Il est possible que la classification pourrait être mieux faite, mais je ne pense pas qu’il y aurait un seul cabaretier qui ne retrouverait point le montant de son impôt dans le surcroît du prix qu’il aurait mis dans son débit.

Personne ne se trouverait lésé, je pense ; beaucoup se trouveront avantagés, et en tout cas la loi ne pourra point susciter des plaintes légitimes.

On craint les vexations attachées à l’exercice de la surveillance prescrite par l’article 7.

Je ne pense pas que cette surveillance exigera même des visites domiciliaires. Les cabaretiers qui auront pris leur abonnement connaîtront tous les établissements clandestins où on débitera des boissons distillées, et auront un intérêt à les dénoncer.

D’ailleurs, dans ces établissements clandestins les réunions ne seront jamais nombreuses. C’est la société qui entraîne les 9/10 des buveurs au cabaret, et c’est l’occasion qui dans une égale proportion produit les ivrognes.

En sus, tout le monde sait qu’il n’y a rien de si indiscret qu’un homme ivre, et la personne qui, sans être abonnée, vendrait du genièvre, n’oserait jamais permettre qu’on s’enivre chez elle, par un usage immodéré de cette boisson.

Pour ces motifs et autres que je crois superflu d’alléguer, je voterai en tout cas pour la loi.

M. Devaux. - Messieurs, je ne m’attacherai pas à rechercher si l’impôt sur les boissons distillées est direct ou indirect ; car dans mon opinion, lors même qu’il serait direct, on peut encore adopter le projet de loi.

Je dirai seulement que nous devons éviter de décider théoriquement que tel impôt est direct ou indirect, parce qu’à cette définition se rattache plus d’une difficulté.

Si l’on recherchait ce qui se passe chez nous dans la pratique, on verrait que les définitions qu’on veut donner des impôts directs ou indirects sont loin d’être exactes. Ainsi, l’impôt foncier est direct ; cependant l’impôt de succession qui lui ressemble singulièrement n’est pas direct, et n’est pas compris dans le cens électoral.

La patente est comptée pour le cens électoral, et le port d’armes, qui est en quelque sorte la patente du chasseur, n’a jamais été comptée au nombre des impôts directs.

Le droit qu’un fonctionnaire paie pour entrer en fonction, le droit de serment ou d’enregistrement du serment, n’a jamais été compris non plus dans les contributions directes ni dans le cens ; ces difficultés, en quelque sorte théoriques, me paraissent inutiles à résoudre aujourd’hui.

Je me bornerai à ces deux points : qu’en supposant que le droit soit direct, constitutionnellement, nous avons le droit de le mettre en dehors du cens électoral ; en second lieu, que si même on ne partageait pas cet avis, il serait possible, dans le cours de la discussion, de faire à la loi telles modifications qui rendraient le droit évidemment indirect pour tout le monde.

La constitution, article 47, dit : « La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins. »

Prenant cet article dans le sens que plusieurs orateurs lui ont donné, dans le sens le plus rigoureux, je dis que tout ce qui en résulterait, c’est que tout citoyen qui paie 100 florins d’impôt direct est nécessairement électeur ; mais tout citoyen qui ne paie pas 100 florins d’impôt direct ne pourra pas se plaindre de ne pas être électeur ; il ne pourra pas invoquer la constitution pour soutenir que ses droits ont été violés. Or, quel est, d’après la loi électorale, le maximum du cens électoral ? 80 florins. Quel est le maximum de l’impôt qu’on propose ? 30 francs par an ; mettons 15 florins. Personne ne contestera que vous ayez droit d’écrire dans une loi : Le cens électoral sera de 80 florins non compris le droit d’abonnement pour débit de boissons distillées, de 95 florins, compris ce droit. Cette disposition ne serait pas inconstitutionnelle ; vous feriez seulement une certaine distinction entre certains impôts et vous mettriez un impôt dans une catégorie à part.

Il n’y aurait là aucune inconstitutionnalité. Mais auriez-vous raison de faire cette distinction, est-elle juste et convenable ? Je pense que oui.

Quelle est la base de notre système électoral ? C’est d’admettre une certaine fortune comme présomption d’aptitude électorale, et le cens électoral comme mesure de cette fortune. Or, l’impôt des débitants de boissons est-il dans ce cas, et a-t-il pour lui la présomption de fortune et d’aptitude électorale ? Ce serait tout le contraire, Cet impôt n’est pas basé sur la fortune, les petits débitants paient comme les grands. Ce n’est pas à raison de leur fortune, ce n’est pas comme plus riches que les autres industriels que vous imposez davantage les débitants de boissons distillées, c’est parce que leur industrie donne lieu à des inconvénients dont vous voulez restreindre l’étendue.

En second lieu, cet impôt suppose-t-il chez celui qui le subit, une aptitude à exercer certaines fonctions politiques ? Non ; car on l’établit précisément parce que le débit des boissons est une profession qui amène des résultats immoraux.

Loin de vouloir récompenser cette profession par des pouvoirs politiques, c’est une restriction et presque une punition que vous voulez lui imposer ; loin qu’elle soit une présomption d’aptitude électorale, elle serait plutôt une présomption d’inaptitude.

Ainsi, si, d’une part, vous avez le droit de faire la distinction, la justice et la convenance sont également hors de doute. Rien ne doit donc nous empêcher de ranger cet impôt en-dehors des bases du droit électoral, qu’il ait ou non le caractère d’une imposition indirecte.

J’ai dit, messieurs, que s’il restait quelques scrupules à cet égard, il serait facile dans le cours de la discussion de changer la loi de telle manière que l’impôt perdît le caractère d’impôt direct qu’on lui trouverait.

Par exemple, ne pourrait-on pas, ainsi que cela se fait dans d’autres pays, dire que pour établir un débit de boissons distillées, il faut payer non pas annuellement, mais en une seule fois, une somme déterminée ? Un article transitoire permettrait aux débitants actuels de se libérer de cette dette en un certain nombre d’années.

Les débitants de boissons distillées pourraient encore être soumis, comme ceux qui établissent des usines, à une autorisation ; elle pourrait, comme pour le port d’armes, n’être valable que pour un an et être soumis à un timbre spécial ou à un droit d’enregistrement, comme le serment des fonctionnaires. Tous ces droits n’ont jamais passé pour droits directs.

Nous pouvons dès aujourd’hui adopter ce principe, que dans le cens électoral ne sera pas compris l’impôt du débit de boissons, puisqu’on peut lever si facilement tous les scrupules.

Quant à moi, je serais très fâché qu’une question préjudicielle écartât la loi, car j’en crois le principe très bon et fiscalement et moralement. Fiscalement, il sera toujours plus facile d’atteindre à la même somme (800,000 fr.) en s’en prenant à 50,000 débitants, fussent-ils réduits à un nombre inférieur, que si on s’adressait à 1,000 distillateurs seulement.

En Amérique et en Angleterre, l’impôt sur les boissons est une source considérable de revenus. En Amérique, cet impôt et les ventes à l’encan figurent au premier rang des revenus publics. Pourquoi n’en pas profiter chez nous ? On pourrait même les étendre plus tard ; car, quoique la bière n’ait pas tous les inconvénients du genièvre, je ne crois pas les cabarets à bière tellement respectables, que si le besoin s’en faisait sentir, on ne trouvât pas là une matière assez imposable.

Je ne partage pas l’opinion d’un orateur qui siège à ma droite, et qui pense que nous devons commencer par déclarer que l’impôt n’est pas direct.

Je crois qu’il faut éviter dans les lois ces définitions théoriques. Remarquez, à cet égard, que nos prédécesseurs ont été circonspects ; la loi électorale n’a pas décidé que la patente était droit direct ; elle a dit patente comprise. Il faut nous tenir aux mêmes termes. Le reste est inutile.

Tout ce qui importe, c’est d’exclure l’impôt du cens ; et nous pouvons très bien le faire, les uns par tel motif, les autres par tel motif différent.

M. Gendebien. - Je vous rappellerai, messieurs, que pendant six ou sept ans j’ai successivement attaqué le droit de patente ; j’ai toujours soutenu que ce droit devait être successivement diminué et remplacé par un similaire beaucoup plus juste ; je pense avoir établi à l’évidence que l’impôt de patente est le plus arbitraire et en même temps le moins rationnel puisqu’il frappe le citoyen laborieux, qu’il le punit en quelque façon de son activité, du soin qu’il met à procurer à chacun les objets nécessaires à la vie, tandis que d’un autre côté il épargne ceux qui ne font rien. C’est ainsi que le célibataire et l’homme oisif ne paient rien à l’Etat. Je vous disais, messieurs : Diminuez l’impôt de patente qui pèse sur les industriels et sur les négociants, faites qu’il portât sur le débit de marchandises pernicieuses, telles que le genièvre, par exemple ; j’ai indiqué le débit du genièvre, la distillation du genièvre, comme susceptibles d’être soumis à une patente, et j’ai invité M. le ministre des finances à s’occuper de la question de savoir s’il n’y aurait pas moyen d’augmenter la patente des débitants de boissons qui débiteraient en même temps du genièvre. C’est bien comme droit de patente que j’ai toujours invoqué le moyen d’ajouter un supplément d’impôt à l’impôt qui se paie actuellement par les distillateurs et les débitants de boissons ; or, que le droit de patente soit un impôt direct, c’est ce qui est hors de doute.

On vous a dit, messieurs, que l’impôt direct se perçoit en raison de la jouissance de la chose, et l’impôt indirect en raison de la consommation de la chose : bien que ces définitions soient peut-être susceptibles de quelque contestation je les adopte et je dis : Quand vous imposez une patente aux débitants de genièvre, est-ce en raison de leur consommation ? Evidemment non. Est-ce même en raison de la consommation qu’il procure aux autres ? Non, car l’impôt n’est pas calculé sur la consommation qui se fera dans tel ou tel cabaret ; c’est un droit de débiter en-dessous de certaines quantités.

Ce n’est donc pas en raison de la consommation que l’impôt sera établi, c’est en raison de la jouissance ; et de la jouissance de quoi ? De la jouissance du droit de débiter du genièvre, dans des quotités moindres de cinq litres, je pense ; ainsi, messieurs, en acceptant les prémisses qui ont été établies par un préopinant, je crois qu’en raisonnant logiquement on arrive à des conséquences tout opposées à celles où en est venu cet honorable préopinant. Le droit de patente que vous percevrez sur les cabaretiers n’est donc pas un impôt de consommation, c’est un impôt de jouissance d’un droit, un impôt direct comme tout autre impôt de patente. Celui qui paie patente pour vendre du café, ne la paie pas en raison du café qu’il consomme ou qu’il livre à la consommation, mais en raison du droit qu’il acquiert de vendre du café et de recevoir protection dans l’exercice de son commerce ; il en est de même pour le sucre et pour toute espèce de profession ou d’industrie. L’impôt qu’il s’agit d’établir est donc un impôt direct, d’après la définition qui a été donnée précédemment.

Mais, messieurs, s’il pouvait rester des doutes à cet égard, il faudrait encore considérer cet impôt comme direct ; car lorsque la constitution a parlé d’impôts directs, c’est par opposition aux impôts de consommation ; or, il est impossible de révoquer en doute qu’il s’agit d’un impôt de jouissance d’un droit, d’une faculté, et non pas d’un impôt de consommation.

Dans la loi électorale du mois de mars 1831, après avoir fixé le maximum du cens à 80 florins d’impôt direct le congrès a ajouté : « patentes comprises. » On vous a dit, messieurs, que si l’on s’était cru obligé d’ajouter ces mots, c’est qu’il y avait doute sur la question de savoir si la patente est un impôt direct ; que sans cela il eût été inutile de rien dire à cet égard dans la loi. Mais, messieurs, il faut se reporter à l’époque où cette disposition a été prise, époque où, par la liberté de leurs majestés le roi Guillaume et Charles X, la patente avait été retranchée du cens électoral ; non pas parce qu’ils les considéraient comme impôt indirect, mais parce que tel était leur bon plaisir. C’est pour effacer ce grief que le congrès a dit « patentes comprises » et je crois qu’il était nécessaire de le dire ; car le congrès, en établissant le cens électoral, était censé opérer d’après les bases qui existaient. Or, immédiatement avant le congrès on ne comprenait pas la patente parmi les impôts qui, quoique directs, étaient comptés dans le cens électoral. Il fallait donc, pour rétablir sans équivoque les choses telles qu’elles avaient été avant l’arrêté du roi Guillaume et de Charles X, dire « patentes comprises. » Il n’y a donc pas d’argument à tirer de ce que le congrès, après les mots « impôts directs, » ait ajouté « patentes comprises. »

On vous a dit, messieurs, que la mouture, qui était un impôt de consommation, a été peu après convertie en une espèce de capitation, en une espèce d’abonnement ; qu’elle est devenue ainsi un impôt direct quant à la perception ; que cependant elle n’a jamais compté dans le cens électoral. Mais, messieurs, c’est qu’ici encore une fois la nature de l’impôt était bien caractérisée : c’était un impôt de consommation qui se percevait, non pas sur le meunier pour lui donner le droit de moudre, mais sur le consommateur, en raison de sa consommation ; et il est de règle que la chose subrogée conserve la nature de celle à laquelle elle a été subrogée. Subrogatum sapit naturam subrogati. Le changement de nom ou de mode de perception n’avait pu changer la nature de l’impôt, qui restait toujours nécessairement un impôt sur la consommation.

Voilà, messieurs, pour quelle raison l’impôt mouture, quoique changé quant à la perception, et même quant à sa dénomination, est resté un impôt de consommation ; c’est parce qu’il était de sa nature un impôt de consommation. Maintenant le droit de patente établi sur une certaine catégorie de débitants de boissons est-il un impôt de consommation ou un impôt direct ? Il est évident qu’il est direct comme toutes les patentes sur tous les genres de débitants ; et dès lors vous aurez beau faire tout ce que vous voudrez, à moins d’établir une fiction, tranchons le mot : un mensonge dans la loi, vous ne pouvez pas dénaturer cet impôt : un impôt direct restera toujours direct quoi que vous fassiez, parce qu’on ne change pas la nature des choses, et qu’il est même hors de la puissance du législateur de la changer.

Je ne veux pas prolonger inutilement cette discussion et je me résume : je dis que l’impôt que vous allez établir sur les débitants du genièvre, est un véritable impôt de patente, un impôt que vous exigez d’un individu pour lui conférer le droit d’exercer une profession. Appelez-le abonnement, appelez-le autorisation, avec ou sans timbre, de débiter ; donnez-lui le nom, la forme que vous voudrez, jamais vous ne changerez la nature de l’impôt : il y aura toujours là un individu auquel vous demanderez directement 10, 20 ou 30 francs, qu’il prendra de sa poche pour les payer indirectement au trésor, non pas comme abonnement de ce qu’il consomme, lui et sa famille, mais pour ce qu’il vend ; eh bien, c’est là, messieurs, ce qu’on appelle un impôt direct.

On a cherché à faire une objection ; on a dit : Mais l’impôt foncier est un impôt direct, et cependant le droit de succession, qui est de la même nature, n’entre pas dans le cens électoral. Je ne sais pas, messieurs, si cette objection est bien sérieuse ; l’impôt de succession est un droit que l’on paie une seule fois, et non par un impôt périodique. Si un particulier paie le droit de succession aujourd’hui, sera-t-il électeur demain ? Et pendant combien de temps le sera-t-il, pendant combien d’années, pendant combien de jours ? Messieurs, on a pris pour base l’impôt direct, parce qu’il présente un contrôle, parce qu’il offre le moyen de constater qu’un individu a réellement payé le représentatif de la condition voulue, parce qu’il y a pour cet impôt un rôle qu’on peut vérifier à tout instant de l’année, parce qu’il y a continuité ; mais l’impôt de succession est un impôt une fois payé, qui ne peut donner aucun droit. Du reste, l’objection ne prouve rien, car il en pourrait tout au plus résulter qu’il faudrait accorder au citoyen qui paie l’impôt de succession, le droit de voter dans l’année où il paie l’impôt, Mais est-ce bien dans ce sens qu’on a entendu fixer le cens électoral ? Evidemment non ; on a considéré le cens comme une garantie de la fortune, et par suite de la capacité de l’électeur. Or, un citoyen peut payer un droit de succession équivalant à 30 florins, par exemple, sans que pour cela il ait la fortune représentée par un cens annuel de 30 et même 20 florins ; toute la succession pour laquelle on paiera 20 ou 30 florins peut très bien ne représenter que l’équivalent d’une fortune qui donnerait lieu à une contribution annuelle de 2 ou 3 francs ; car vous le savez, messieurs, les droits de succession sont très élevés en ligne collatérale ; il pourrait donc arriver que celui qui paie un droit de succession de 20 ou 30 florins ne représentât réellement pas le tiers ou le quart d’un électeur.

Il faut, messieurs, voir les choses dans leur état de simplicité, et ne pas chercher si loin des arguments pour obscurcir des choses qui sont tout à fait claires. Ce que j’ai dit des successions s’applique également au port d’armes, et à tous les arguments de même force.

Dans tous les cas, je regretterais, messieurs, de voir que le gouvernement s’obstinât à repousser la loi parce qu’il y verrait un moyen d’augmenter le nombre des électeurs ; si l’on veut que le nombre des électeurs ne soit pas augmenté, si on a réellement peur des électeurs, qu’on fasse les choses justes que j’ai demandées, qu’on abaisse les patentes des industriels, en étendant la matière imposable ; qu’on fasse payer une patente au célibat, à l’oisiveté, et l’on trouvera le moyen de diminuer sensiblement le nombre des électeurs patentables que l’on semble redouter tant.

Je ne puis croire que le gouvernement s’arrête à une considération aussi secondaire dans une loi qu’on regarde, avec raison, comme utile au trésor, et comme essentiellement morale.

M. Verhaegen. - Messieurs, je ne répéterai pas ce qui a été dit par d’honorables collègues, dont je partage l’opinion ; je me permettrai seulement de mettre en présence quelques opinions, pour vous en faire apprécier les contradictions, quoique ces opinions tendent cependant au même but.

Je commencerai par rencontrer les observations de l’honorable M. Devaux. M. Devaux pense qu’il est inutile d’examiner la question de savoir si l’impôt est direct ou indirect, puisque, fût-il il direct, on peut déclarer qu’il ne sera pas compris dans le cens électoral. Première proposition.

L’honorable membre a dit ensuite ; y eût-il doute à cet égard, il serait possible d’arranger la loi de telle manière que l’impôt serait indirect.

Messieurs, cette seconde proposition s’était déjà présentée à mon esprit, avant qu’elle ne fût faite par notre honorable collègue : ce qui me faisait dire tantôt que la marche que nous suivions était insolite. On veut nous faire déclarer d’abord, et c’est une chose que je ne puis concevoir, on veut nous faire déclarer qu’un impôt, que nous ne connaissions pas encore, qu’il n’est pas déterminé, n’est pas un impôt direct ; on veut donc que nous décidions en aveugles ; on veut nous faire commencer par là où nous devons finir. On devrait commencer par déterminer la nature de l’impôt, car si mon honorable collègue trouve moyen, grâce à un amendement, d’établir que l’impôt sera nécessairement indirect, d’autres pourront faire le contraire. Et cependant vous allez commencer par déclarer que l’impôt est indirect, et plus tard il peut arriver que, par l’adoption de la loi ou des amendements, le contraire de ce que vous auriez d’abord proclamé en principe.

Car je ne sais plus réellement où nous marchons ; on veut proclamer un principe et ce principe sera peut-être contraire par la loi ou les amendements que vous adopterez. Voilà la marche insolite dont je parlais tout à l’heure ; c’est à cet égard que j’ai présenté une observation qui n’a pas été comprise par ceux qui l’ont combattue. Je n’ai pas dit que la loi électorale ne pouvait pas changée par une autre loi postérieure, j’aurais été en contradiction avec les principes formels sur la matière ; j’ai dit qu’il convenait, alors que l’on touchait à un point aussi important, d’en faire une discussion d’ensemble. De la manière dont nous marchons, nous pourrions décréter des principes sans savoir quelle doit en être l’application, et nous trouverions bientôt notre loi électorale arrangée de telle manière que l’on ne s’y reconnaîtrait plus. Voilà le but de l’observation que j’ai eu l’honneur de soumettre tout à l’heure.

Quoi qu’il en soit, en me résumant sur ce point, je dis que nous prenons une marche insolite et que nous ne pouvons pas commencer par décréter en principe qu’un impôt que nous ne connaissons pas encore sera un impôt direct ou un impôt indirect : ce serait juger en aveugle.

Quant à la première proposition, elle mérite de fixer toute votre attention. Je me permettrai de vous soumettre ici quelques réflexions, car il s’agit ici d’un de nos droits les plus importants, du droit d’électeur.

L’honorable M. Devaux pense que vous pouvez, sans violer la constitution, sans blesser même les convenances, décréter qu’un impôt que vous reconnaîtriez impôt direct, ne sera pas compris dans le cens électoral. Voici comment l’honorable membre raisonne :

L’article 47 de la constitution, dit-il, ne dit autre chose sinon que les députés sont élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins.

Ainsi tout ce qu’on peut demander, quand on paie 100 florins, c’est qu’on soit électeur ; on ne peut pas exiger davantage. Or, le maximum du cens prescrit par la loi électorale est de 80 florins, et le maximum de la nouvelle taxe qu’il s’agit d’établir est de 15 fl. ; voilà 95 florins ; il y a donc encore une marge de 5 fl., avant d’arriver au taux déterminé par la constitution ; personne n’a donc à se plaindre. Voilà comment raisonne l’honorable M. Devaux.

Messieurs, si nous n’avions à nous régler que d’après l’article 47 de la constitution, je dirai que, même dans ce cas, il y aurait violation de la constitution, si l’on agissait comme on prétend le faire. Mais, indépendamment de cet article 47, il y en a d’autres qui mettent obstacle à ce qu’on propose. D’abord, quelle serait la conséquence du système de l’honorable M. Devaux ? La conséquence de ce système serait d’établir qu’il y aura des électeurs à 80 fl. et des électeurs à 95 fl. ; il y aurait donc des catégories différentes d’électeurs. D’abord, est-il possible d’admettre un pareil système ? Tout le monde n’est-il pas égal devant la loi ? Si un citoyen paie des contributions directes, n’importe de quelle nature elles soient, il doit pouvoir compter sur la loi.

En matière d’impôt, il n’y a pas seulement des obligations pour le contribuable, mais il y a aussi des avantages pour lui ; les avantages marchent de front avec les obligations ; et personne ne me contestera que l’avantage le plus grand est celui qui se rattache au droit électoral. Or, il ne nous est pas permis, sans violer la constitution, d’établir des privilèges. Pour les obligations, comme pour les droits, il ne peut y avoir de privilège. En matière d’impôt, je réponds au système de l’honorable M. Devaux par l’article 112 de la constitution. Cet article 112, qi n’est d’ailleurs que la répétition du principe posé à l’article 6, dit qu’il ne peut être établi de privilège en matière d’impôt, pour les avantages que pour les charges qui pèsent sur le contribuable ; il faut que tout le monde soit frappé de la même manière. Or, alors que les charges dont les contribuables sont frappés sont les mêmes, il faut que les avantages soient les mêmes. Ainsi, quand un contribuable paie en impôt direct la somme exigée pour être électeur, il faut par cela seul qu’il soit électeur. Si vous établissez quelques-uns dans une catégorie d’électeurs, vous les établissez en privilège, et vous refusez cette faveur à d’autres ; c’est ce que défend l’article 112 de la constitution. Le ministre des finances m’a objecté le paragraphe de l’article 112 de la constitution ; eh bien, ce paragraphe ne fait que confirmer mon opinion sur le principe de l’article 112.

Le paragraphe de cet article porte qu’aucune exemption ou modération d’impôt ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi ; voilà ce qui est pour la charge ; le principe de l’article n’est pas l’avantage. Je rétorque donc contre le ministre des finances le paragraphe qu’il m’a opposé. L’article 112 est tellement positif que je ne conçois pas qu’on puisse équivoquer. D’ailleurs, comme je l’ai déjà fait observer, cet article n’est que la répétition du principe posé à l’article 6 qui porte que tous les Belges sont égaux devant la loi. Ne serait-ce pas une monstruosité que de voir, dans un pays tel que le nôtre, des individus électeurs à 80 florins et d’autres à 95 florins ? Mais ce principe est tellement absurde que je ne conçois pas comment il est possible qu’on tâche de le faire prévaloir.

L’opinion de M. Devaux a été combattue par M. Dolez, j’adopte les arguments qu’il a fait valoir contre cette opinion, mais où je ne suis plus d’accord avec M. Dolez, c’est à l’égard de l’autre proposition. M. Dolez soutient, comme moi, que l’on ne peut, sans violer la constitution, sans donner lieu à aucune injustice criante ; que l’on ne peut, dis-je, faire que ceux qui sont dans la même position, soient traités d’une manière différente.

Eh, messieurs, tout ce que l’honorable M. Dolez a dit sur la première proposition de M. Devaux combat ce qu’il a dit sur la seconde. En effet, s’il est défendu, dans notre système commun, de déclarer qu’un impôt direct ne sera pas compris dans le cens électoral, il n’est pas permis non plus à la législature de déclarer qu’un impôt direct de sa nature sera un impôt indirect ; ce serait donner à la législature un pouvoir que l’honorable M. Dolez lui a contesté dans d’autre circonstance. Déclarer dans la loi qu’un impôt direct est un impôt indirect, ce serait une véritable fraude ; ce serait, comme l’a dit l’honorable M. Gendebien, consacrer un mensonge dans la loi. L’on ne peut pas faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement.

Messieurs, quant à la question de savoir si l’impôt dont il s’agit est un impôt direct ou un impôt indirect, je me dispense de présenter les arguments saillants qu’on a fait valoir, à l’effet d’établir que l’impôt est direct ; je me permettrai seulement d’ajouter quelques considérations.

L’objection qu’on a faite que les mots : « patentes comprises » démontreraient que les patentes n’étaient pas considérées comme un impôt direct ; cette objection, dis-je, a déjà été rencontrée ; mais je confirme l’observation de l’honorable M. Mercier qui vous a cité la loi de 1821, d’après laquelle il a été déclaré que les patentes constituaient un impôt direct. Maintenant pourquoi a-t-on ajouté dans la disposition qui nous occupe les mots « patentes comprises ? » Ce n’a pas été pour déclarer que les patentes seraient considérées comme un impôt direct (on n’avait que faire de cela), mais pour déclarer que cet impôt direct ferait partie du cens électoral, contrairement à ce qui existait auparavant. Voilà l’économie de la loi citée par M. Mercier, combinée avec les observations de M. Gendebien.

Maintenant on fera chose utile en décrétant en quelque sorte une définition. Je conçois qu’on peut, en s’occupant d’une loi, abrogé une loi préexistante ; mais on ne peut pas abroger la signification d’un mot, abroger un dictionnaire. On a beau dire : tel impôt est direct ou indirect. Il faut conserver à la chose son caractère. On ne peut pas changer à un mot sa signification. Blanc restera blanc quand vous décréteriez que blanc est noir. Vous ne pouvez pas décréter un véritable mensonge. C’est de la nature des choses que résulte la définition. On n’avait pas besoin de définir les contributions directes celles qui sont directement payées par les biens, les facultés et les personnes (suivent les sous-divisions) ; cela résulte de la nature des choses ; les contributions indirectes, celles qui sont établies indirectement. On semble avoir oublié cette disposition, mais j’y reviens et je rétorque la loi citée par M. le ministre des finances. Voici cette disposition :

« Les contributions indirectes sont, suivant la définition qu’en donne la loi en forme d’instruction du 8 janvier 1790, tous les impôts assis sur la fabrication, la vente, le transport, l’introduction de plusieurs objets de commerce et de consommation, impôts dont le produit ordinaire avancé par le fabricant, le marchand ou le voiturier, est supporté et indirectement payé par le consommateur. »

Voilà les impôts indirects. Quels sont les impôts directs ? Tous les impôts autres que ceux spécifiés dans la disposition que je viens de citer. Est-il question dans l’occurrence d’un impôt de cette nature ? Le débitant de boissons pourra-t-il quelque chose sur la fabrication ou la vente des boissons distillées à raison de tant par litre ? Non, c’est un abonnement que paie le distillateur ; c’est un droit de patente que paie le débitant, droit qui n’est pas calculé sur la quotité débitée réellement, mais sur la présomption qu’on a établie ; de telle sorte que, comme l’a dit M. Milcamps, un débitant qui n’aurait rien débité n’en paierait pas moins.

Je viens répondre à l’observation de M. Devaux, que telles patentes sont comprises dans le cens électoral et telles autres ne le seront pas ; on dira : Les patentes de boulanger seront comprises et celles des marchands de vins ne le seront pas ; on ferait ainsi des catégories, des classes ; on imposerait à des citoyens des charges et on les priverait des avantages qu’elles comportent ; on constituerait des privilèges en matière d’impôts ; c’est impossible, ce serait une monstruosité à laquelle la chambre ne peut pas donner les mains.

M. Dolez. - Je ne veux répondre que quelques mots aux objections faites par un honorable préopinant. Il est d’accord avec moi et avec presque tous les orateurs sur l’utilité de la loi. Il pense que cette loi peut être admise, quelle que soit la nature qu’on reconnaisse à l’impôt qu’elle établit. Je ne puis partager la conviction de l’honorable membre, non que je répugne à étendre le nombre des électeurs, mais parce que je ne pense pas qu’il faille l’étendre par catégories et particulièrement par celle des débitants de boissons.

Je ne verrais pas dans cette extension un progrès, mais un danger électoral. C’est sous ce dernier point de vue que je ne puis pas admettre la loi, quelle que soit la décision de la chambre sur le caractère de l’impôt. Cette décision ne doit pas nous arrêter selon lui. Il a dit qu’il croyait pouvoir admettre les définitions que j’ai données, et il a reconnu comme moi, cependant, qu’elles ne pouvaient pas être absolument générales. Je le disais tout à l’heure, il est impossible de donner une définition générale de toutes choses qui n’existent pas dans la nature des choses.

On ne peut pas définir d’une manière absolument générale des choses qui sont l’œuvre de la loi positive ; les choses qui sont l’œuvre de la loi positive peuvent varier à l’infini, les choses qui peuvent varier à l’infini ne peuvent être définies d’une manière absolument exacte.

Je ne crois pas m’être trompé, j’ai dit que je considérais comme impôts directs ceux qui frappent directement la jouissance des biens, et comme impôts indirects ceux qui frappent la consommation des choses, la consommation des objets.

L’honorable M. Gendebien a dit qu’il pouvait admettre cette définition ; mais qu’en l’appliquant à la loi qui nous occupe, il en résultait qu’elle établissait un impôt direct. Je crois pouvoir démontrer que mon honorable collègue s’est trompé. Ma définition portait qu’il y avait impôt indirect quand le droit portait sur la consommation, et l’impôt direct quand il portait sur la jouissance des choses. Or, quel est l’objet qu’on veut frapper ? Est-ce la profession de débitant de boissons ? Non, c’est la consommation des boissons spiritueuses ; c’est une loi qui a pour but de venir en aide à la loi sur les distilleries.

Est-ce donc une loi frappant l’exercice de la profession de cabaretier ? Non ; on les prend comme moyen de frapper les véritables imposés, les consommateurs. Ils seront les intermédiaires entre les imposés et le fisc, et non les imposés du fisc. Voilà l’esprit de la loi.

Dans la patente, je ne trouve pas qu’il s’agisse de frapper la jouissance de la chose. Ce n’est pas l’exercice de la profession qui est frappée, mais le bénéfice présumé qu’on en retire. C’est encore indirectement au consommateur qu’on s’adresse, car le débitant doit répartir sur les objets qu’il débite le droit qu’il paie. Je ne vois là qu’un impôt frappant le consommateur, et, par conséquent, un impôt indirect.

Répondant à l’argumentation tirée de ce que l’article premier de la loi électorale avait ajoute aux mots « impositions directes » ceux « patentes comprises, » M. Gendebien a dit qu’on avait senti la nécessité d’insérer cette énonciation, non parce qu’il fallait déterminer le caractère de l’impôt des patentes, mais parce qu’antérieurement on avait décidé que la patente était un impôt indirect pour écarter les patentables de l’urne électorale. Si antérieurement on a pu, d’une manière plus ou moins spécieuse, écarter l’impôt des patentables du cens électoral, cela prouve que cet impôt est d’une nature spéciale, qu’il n’appartient en réalité ni à l’impôt direct ni à l’impôt indirect, et qu’il est du domaine du législateur qui le crée d’en déterminer le véritable caractère par rapport à notre système fiscal et par rapport à notre système de législation générale.

Si la patente, par sa nature, était un impôt direct, quand Guillaume dans notre pays, et Chartes X en France, pour dénaturer les élections, auraient déclaré cet impôt indirect et l’aurait écarté du cens électoral, le congrès, en reconnaissant que c’était un impôt direct, avait tout fait, en disant, d’une manière générale, que tous les impôts directs seraient comptés dans le cens électoral ; mais on a reconnu la nature douteuse de l’impôt ; c’est pour cela qu’on a senti le besoin d’une indication spéciale à côté du principe général qu’on avait posé.

On ne change pas la nature des choses, a dit M. Gendebien, et corroborant cette observation l’honorable M. Verhaegen ne rend pas blanc ce qui est noir. Sans doute, cela est vrai ; pour ce qui existe dans la nature des choses il est impossible de faire de semblables changements. Mais les impôts directs ou indirects n’existent pas dans la nature des choses. Toutes les espèces d’impôt sont l’œuvre de la loi positive ; rien n’existe dans la nature des choses. Nous pouvons considérer par analogie comme impôt indirect celui qu’il s’agit d’établir, bien que la législature en 1831 ait déclaré que la patente serait considérée comme impôt direct.

Je rencontre ici une objection de M. Verhaegen, qui est plus spécieuse que sérieuse. Il a dit que j’étais en contradiction, que je donnais dans les dangers que j’avais voulu éviter en combattant la deuxième partie de l’amendement de M. Devaux. Je n’admets pas cela. Je m’empare ici d’un argument produit par M. Mercier. S’il s’agissait de changer la nature d’un des impôts existants au moment de la promulgation de la constitution, je concevrais qu’on vînt nous en dénier le droit, parce qu’il est incontestable que toutes les impositions directes établies au moment de la promulgation de la constitution doivent, d’après la constitution, être comprises dans le cens électoral. C’est par ce motif que j’ai vu une atteinte à la constitution dans la deuxième partie de la proposition de l’honorable M. Devaux, et que je me suis opposé de toutes mes forces à la transfiguration d’impôts qu’il proposait.

S’il était question d’un impôt ayant la plus grande analogie avec ceux qui dans notre système de finances sont considérés comme directs, il serait peut-être impossible de le déclarer indirect : par exemple, si la constitution avait fait ce qu’a fait la loi électorale, si elle avait dit que le droit de patente sera compris dans le cens électoral à cause de l’analogie de l’impôt dont il est question avec le droit de patente, j’hésiterais sans doute à déclarer que ce droit est un impôt indirect. Mais ce droit de patente ayant été compris dans le cens électoral par une loi ordinaire, par une loi émanée d’un pouvoir égal au nôtre, nous pouvons, je pense, déclarer à notre tour que le droit de patente ne sera pas compris dans le cens électoral.

L’honorable M. Verhaegen vous a donné une définition des contributions directes ou indirectes. Il a dit qu’il fallait admettre comme impôts indirects tous ceux établis sur les biens, sur les facultés, sur les personnes. Je reproche à cette définition de ne pas être générale, et elle ne peut pas l’être. Elle n’est pas générale ; car l’impôt du droit de succession est certainement un impôt sur les biens et cependant c’est un impôt indirect.

Enfin l’honorable M. Verhaegen s’empare de la citation faite par M. le ministre des finances de la loi du 8 janvier 1790, portant :

« Les contributions indirectes sont tous les impôts assis sur la fabrication, la vente, le transport, l’introduction de plusieurs objets de commerce et de consommation, impôts dont le produit est ordinairement avancé par les fabricants, marchands ou voituriers, et supportés et indirectement payés par les consommateurs. »

L’honorable M. Verhaegen argumente de cette définition comme si l’article portait : les contributions directes sont tous les impôts payés sur, etc. Or la loi porte : tous les impôts assis : or, l’impôt dont nous nous occupons est assis sur la vente des boissons distillées ; car le consommateur, en payant au débitant, paie l’impôt, le débitant calculant le prix de manière à se rembourser de l’impôt dont il a fait l’avance.

Je crois donc que la chambre peut regarder l’impôt dont il s’agit comme indirect et décider par conséquent qu’il ne doit pas être compris dans le cens électoral.

M. de Brouckere. - J’ai hésité jusqu’ici à prendre la parole, parce que d’un côté j’étais pressé par le désir d’adopter la proposition du gouvernement, et de déclarer que l’impôt qu’ il est question d’établir, ne serait pas compté dans le cens électoral ; et que d’un autre côté, chaque fois que je m’appesantissais sur cette question, j’étais amené à reconnaître que cet impôt est véritablement un impôt direct, et que, par conséquent, il doit être compris dans le cens électoral.

Vous vous rappellerez qu’au commencement de la discussion, lorsque je me suis opposé à ce que la chambre statuât sur la question posée par M. le ministre des finances et non formulée en loi, j’avais proposé un article ainsi conçu : « Cet impôt, étant considéré comme indirect, ne sera pas compris dans le cens électoral. » On se tromperait, si on voulait voir là l’expression de mon opinion.

J’ai entendu simplement formuler l’opinion que M. le ministre des finances devait soutenir. J’ai dû donner cette explication, afin qu’on ne me reproche pas plus tard d’être en contradiction ; car je viens soutenir que l’impôt dont il est question doit être compris dans le cens électoral, si on le laisse tel qu’il est établi.

J’entre en matière.

Notre point de départ est l’article 47 de la constitution, portant :

« Art. 47. La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 fl. d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 fl. »

Ainsi donc, pour savoir si un habitant du pays est électeur oui ou non, il faut calculer toutes ses contributions directes et voir si toutes ses contributions s’élèvent à la quotité voulue par la loi suivant les localités. Je dis « toutes ses contributions directes, » car il serait singulier qu’interprétant la constitution de manière à l’éluder, on divisât les contributions directes en deux espèces : une que l’on compterait, et une que l’on ne compterait pas. Ceci répond à l’argument de l’honorable M. Devaux. Ainsi il faut compter toute espèce d’impôts directs.

L’impôt qu’il s’agit d’établir est-il direct ? Je réponds : oui. En effet, déguisez-le tant que vous voudrez, c’est toujours une véritable patente, c’est un supplément au droit de patente. Qu’est-ce qu’une patente ? C’est un impôt que l’on paie pour avoir le droit d’exercer un commerce, une profession quelconque.

Eh bien, aujourd’hui que, pour exercer l’état de débitant de boissons distillées, il paie, selon les localités, 15, 12 ou 10 fr. de patente, c’est évidemment un supplément de patente, c’est-à-dire que les débitants de genièvre et autres boissons paieront 15, 12 ou 10 fr. pour exercer leur état.

Ceci étant, je me demande : Le droit de patente est-il ou n’est-il pas un impôt direct ? Les uns répondent oui ; les autres répondent non ; les troisièmes répondent : il sera tout ce que vous voudrez, direct ou indirect. Je dis, moi, que le droit de patente est un impôt direct ; je dirai plus : il ne vous appartient pas de décider que le droit de patente est un impôt direct.

On s’est bien étayé sur l’article premier de la loi électorale, portant ;

« Art. 1er. Pour être électeur il faut (…) :

« 3° Verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patente comprise, déterminée dans le tableau annexé à la présente loi. »

On s’est étayé sur cet arrêté pour soutenir que les patentes n’étaient déclarées contributions directes que par une loi, et qu’une loi postérieure pouvait défaire ce qu’avait fait la loi électorale. On semble croire que c’est dans la loi électorale qu’il a été question pour la première fois de la nature du droit de patente. A cet égard, je prie les honorables membres de se reporter à l’article 56 de la constitution. Il porte :

« Pour pouvoir être élu et rester sénateur, (…)

« 5° Payer en Belgique au moins 1,000 florins d’impositions directes, patente comprise. »

Maintenant veuillez vous reporter aux discours qui ont précédé l’adoption de cet article, et vous verrez que tous les orateurs ont examiné la question de savoir s’il fallait comprendre dans le cens électoral l’impôt foncier seulement, ou toutes les contributions directes.

Mais pas un ne s’est avisé de demander si la patente est un impôt direct. Il y a eu unanimité sur ce point ; il n’y a pas eu d’objection dans le congrès pour prétendre que la patente n’était pas impôt direct. Il faut savoir que le projet de la partie de la constitution qui concerne le sénat, avait été l’objet d’un rapport présenté par M. Devaux ; et que dans le projet on avait fixé le cens nécessaire pour être sénateur à 1,000 florins, mais à 1,000 florins d’impôt foncier.

Le premier orateur entendu sur ce rapport est M. Ch. de Brouckere ; il s’exprime en ces termes :

« Dans le projet de la section centrale on a exigé 1,000 florins d’imposition directe, parce que la nomination du sénat étant faite par le souverain, on voulait avoir, dans la fortune des sénateurs, des garanties d’indépendance, et le cens de 1,000 florins était nécessaire si vous eussiez adopté les articles du projet. Mais puisqu’il en est autrement, nous n’avons plus besoin de ces garanties ; je demande que le cens d’éligibilité soit réduit de moitié, et que toutes les contributions y soient comprises. »

- Après un débat assez vif, M. le président parvient à mettre aux voix la proposition suivante : « Pour former le cens toutes les impositions directes, y compris la patente, seront admises. »

On procède à l’appel nominal : votants 161. Pour 85, contre 79. Ceci s’est passé dans la séance du 17 décembre.

Dans la séance du 19, voici comment s’exprimait M. Nagelmakers :

« Avant d’aller plus loin, je prierai la chambre de remarquer que, d’après la résolution prise hier de faire entrer dans le cens tous les genres de contributions directes, le nombre des éligibles est augmenté des deux tiers, et par ce seul fait se trouve abaissé des trois quarts au moins. »

M. Lehon s’explique tout aussi clairement : « … Mais ce que vous avez décidé hier rend, selon moi, tout amendement inutile ; car, dans le fait, le cens a subi une notable altération, puisqu’à l’impôt foncier vous avez permis d’ajouter toutes les contributions directes… »

Enfin M. Lebeau s’est exprimé d’une façon qui ne laisse pas de doutes : « Depuis que nous discutons, la section centrale a marché de concessions en concessions, et aujourd’hui même elle ne combat pas pour faire porter le cens au-delà de 1,000 florins ; elle le devrait peut-être. (…) Hier vous avez décidé qu’il serait formé de toutes les contributions directes ; elle ne s’y est pas opposée, et de sa part, en adoptant ce système, il y a au moins 50 p. c. de transactions. »

Vous voyez par ces citations, que tous les orateurs, sans en excepté un seul, se sont entendus pour reconnaître que le droit de patente est véritablement un impôt direct. Cette opinion a été sanctionnée par la constitution elle-même, qui dit, au paragraphe 5 de l’article 56 : « … paie en Belgique au moins 1,000 florins d’impôt direct, patente comprise. »

Messieurs, je crois, à l’aide de ce peu de mots, avoir renversé la plupart des arguments que l’on a fait valoir à l’appui de l’opinion du gouvernement. Et, en effet, tous ceux par lesquels on avait voulu nous prouver qu’il dépendant de nous de faire de la patente tel impôt que nous voudrions, sont réfutés et par l’article 56 de la constitution et par la discussion relative au sénat.

L’impôt qu’on veut créer n’est qu’un supplément au droit de patente. Si, malgré cela, on peut empêcher qu’il ne soit compté dans le cens électoral, je l’adopterai. Je suis partisan du projet de loi ; mais il m’est impossible de mentir à l’évidence, et de déclarer dans une loi que cet impôt est indirect, quand j’ai la conviction qu’il est direct.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, la proposition actuelle du gouvernement a pris sa source dans un amendement qui a été déposé l’année dernière par un député de Gand, lequel avait franchement déclaré de quelle nature était le droit dont il demandait l’établissement. Il demandait un droit de patente ; c’était écrit en toutes lettres dans sa proposition. Le gouvernement a adopté le projet et a changé le nom de l’impôt ; au lieu de l’appeler droit de patente, il l’a appelé abonnement ; et moyennant ce changement de nom, il croit avoir changé la nature de l’impôt.

Mais le nom ne fait rien à la chose ; c’est la chose qu’il faut considérer ; ce prétendu droit d’abonnement est évidemment un droit de patente à mes yeux. Je dis évidemment ; et sous le rapport sous lequel on a voulu contester l’assimilation, je trouve qu’il est encore plus impôt direct que les patentes elles-mêmes. On a voulu établir ce droit en raison de la consommation présumée et non en raison du débit présumé, ainsi que les patentes sont souvent calculées, puisque dans une même localité vous avez un grand nombre d’estimations pour la même profession. Ici tous les abonnements pour la même commune sont placés sous le même niveau, ce qui est une supposition contraire à la vérité.

Si c’est une patente, comme cela a semblé hors de doute, est-ce un impôt direct ? En d’autres termes, la patente est-elle un impôt direct ? Ici je vois que nous n’avons rien à décider, puisque la loi fondamentale a tranché la question, et que la loi électorale l’a tranchée aussi. Il faudrait supposer que le congrès a voulu violer, dans la loi électorale, la constitution qu’il venait de faire un mois auparavant pour admettre, en comprenant la patente dans le cens électoral, que la patente était un impôt direct. Pouvait-on, en effet, sans violer la constitution, comprendre le droit de patente dans le cens électoral, si la patente n’était pas un impôt direct ?

Je demande que l’on réponde. Evidemment non ; on ne le pouvait pas ; car tous ceux qui ont besoin d’une patente pour faire 20 florins sont électeurs en violation de la constitution, si la patente n’est pas un impôt direct.

Devant le rapprochement de ces deux lois, constitutionnelle et électorale, il est impossible de dire que la patente n’est pas un impôt direct.

Maintenant on a élevé un doute parce que l’on voit dans un article de la constitution et dans un article de la loi électorale, après les mots « impôts directs, » ceux-ci : « patentes comprises, » et supposant le doute, on a voulu le trancher, et décider que la patente était impôt indirect.

Quand on a fait la constitution et la loi électorale, tout le monde savait bien que la patente était impôt direct ; les contribuables avaient leurs classes avant notre révolution, et ces classes comprenaient parmi les impôts directs, non seulement l’impôt foncier et personne, mais très expressément l’impôt des patentes.

Je citerai à l’assemblée deux articles de ce qu’on appelait le « règlement pour l’administration des villes, » l’article 2 de ce règlement où il est question d’établir les conditions nécessaires pour avoir droit de voter, c’est-à-dire pour avoir droit de concourir à la nomination des électeurs ; cet article porte :

« Auront droit de voter ceux qui paient en contributions foncières et autres impôts directs une somme de … (la somme variait suivant les localités.) »

D’après ce texte, messieurs, on n’a hésité nulle part à comprendre le droit de patente dans le cens des ayants-droit de voter ; mais l’article 23 du même règlement où il est question du cens qu’il faut payer pour pouvoir être nommé électeur, cet article-là porte que pour être éligible il faut payer en contribution foncière et autres impôts directs, « non compris le droit de patente, la somme de … »

Vous voyez, messieurs, que le règlement excluait formellement le droit de patente, et c’est pour cela qu’il a été exclu dans la pratique. Il résulte de ce double texte qu’il n’y avait pas le moindre doute que le droit de patente ne fût un impôt direct, puisque pour les ayants-droit, à l’égard desquels il était parlé en termes généraux de contributions directes, le droit de patente comptait, et que quant aux électeurs on avait cru devoir stipuler formellement que le droit de patente ne serait pas compris dans la somme des contributions, qu’ils devaient payer pour être éligibles. C’était bien reconnaître de la manière la plus claire que le droit de patente était un impôt direct. Je pourrais, messieurs, multiplier ces citations, mais je crois que celles que j’ai faites sont plus que suffisantes pour démontrer que le droit de patente a toujours été considéré comme un impôt direct.

Mais, quoique le droit de patente soit un impôt direct, peut-on néanmoins, d’après la constitution, stipuler qu’il ne sera pas compté dans le cens électoral ? Pour établir la négative, on a employé plus d’un raisonnement qui ne me déterminerait pas ; on a dit, par exemple, qu’un raison déterminante pour la négative, c’est qu’il ne peut être établi de privilège en matière d’impôt ; je crois, messieurs, qu’ici ce principe ne peut recevoir d’application ; je ne suis pas touché non plus de l’argument qu’on a voulu tirer du principe que tous les Belges sont égaux devant la loi, car d’après la constitution elle-même, deux Belges, celui qui paie 19 fl. et celui qui en paie 20, ne se trouvent pas dans la même position, et cependant personne ne s’avise de dire que le principe posé par le pouvoir constituant soit violé par là. Ce sont donc là des raisons qui ne me déterminent nullement.

A mon avis, messieurs, la question de savoir si la constitution serait violée par l’adoption du principe posé par M. le ministre des finances, cette question est fort difficile à résoudre ; il me semble cependant que le texte même de la constitution ne serait pas violé, car tout ce qui résulte de la lettre de l’article 47 de la constitution, c’est que nous ne pouvons par une loi, ou par une combinaison quelconque, refuser le droit électoral à celui qui paie 100 fl. d’impôts directs, de quelque manière que se forme l’agglomération de ces 100 florins. Or, d’après la hauteur du droit proposé et d’après la loi électorale actuelle, si l’on décidait que ce droit ne comptera pas dans le cens électoral, il n’en résulterait pas qu’aucun citoyen payant 100 florins de contributions, y compris le nouveau droit, serait privé de la qualité d’électeur. Mais, messieurs, une pareille exception me paraît tout à fait contraire à l’esprit de la constitution, qui a voulu que tous les impôts directs fussent compris dans le cens électoral ; l’article 47 de la constitution a été mis en action peu de semaines après avoir été promulgué, et par le pouvoir constitutionnel lui-même, qui a révélé alors toute sa pensée ; et je crois que nous poserions un antécédent très dangereux si nous allions exclure une quotité, quelque minime qu’elle fût, de l’impôt direct du cens électoral. Admettre une semblable disposition, ce serait ouvrir la porte, selon le temps et les circonstances, à d’autres dispositions qui pourraient être conçues dans un esprit tout à fait opposé, mais qui seraient ainsi une application judaïque du texte de la constitution. C’est ainsi qu’on pourrait formuler dans une loi que l’impôt foncier lui-même ne comptera jamais dans le cens électoral, toutes les fois que, réuni aux autres impôts directs, il n’atteindra pas à 100 florins ; dans le sens de ceux dont je connais l’opinion, cette disposition serait très constitutionnelle, mais elle établirait un genre d’exception que je crois très dangereux d’introduire.

Ainsi, messieurs, tout en reconnaissant que le texte même de la constitution n’est pas ici intéressé, je me prononcerai contre la proposition qui nous est soumise, et je rejeterai l’amendement qui nous est proposé ; à plus forte raison rejetterai-je la loi elle-même ; mais j’engage le ministère à persister dans la résolution qu’il a annoncée de retirer la loi dans le cas du rejet de sa résolution ; car, en effet, créer un impôt qui augmenterait d’une manière aussi considérable le nombre d’électeurs, et qui l’augmenterait d’une classe spéciale de personnes, ce serait amener un véritable bouleversement dans notre système électoral.

Projet de loi relatif aux chemins vicinaux

Dépôt

Projet de loi sur les ventes à l'encan

Dépôt

Projet de loi relatif à une séparation de communes

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) monte à la tribune et dépose :

1° Un projet de loi concernant les chemins vicinaux ;

2° Un projet de loi sur les ventes à l’encan ;

3° Un projet de loi relatif à une séparation de communes ;

4° Un rapport sur l’enseignement supérieur ;

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de toutes ces pièces.

Projet de loi sur le droit d'importation et d'exportation du café

Dépôt

M. le ministre des finances (M. d’Huart) monte à la tribune et dépose un projet de loi concernant le droit de douane sur le café.

- A la demande de M. le ministre, ce projet est renvoyé et distribué aux sections, et elles sont invitées à s’en occuper aussitôt qu’il sera imprimé et distribué.


M. le président annonce que le bureau a procédé à la nomination des commissions suivantes :

1° Ecole militaire : MM. de Puydt, Desmaisières, Brabant, Dechamps, Mast de Vries, de Brouckere et Heptia.

2° Renouvellement des inscriptions hypothécaires : MM. Milcamps, de Behr, Demonceau, Angillis, Dubus (aîné), Pollénus et Berger.

3° Mission à Constantinople : MM. David, Verdussen, Dolez, Kervyn, Beerenbroeck et Devaux.

4° Barrières : MM. Scheyven, de Jaegher, Pirmez, Eloy de Burdinne, d’Hoffschmidt, Maertens et Liedts.

- La séance est levée à 4 heures et demie.