Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24
novembre 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative au prix du charbon (de Puydt)
2) Proposition de loi relative au personnel du
tribunal de première instance de Diekirch (Metz, Ernst, Gendebien, Ernst)
3) Projet de loi portant organisation de l’école
militaire. Discussion des articles. Cours relative au service de la marine et
concurrence avec l’école de marine d’Ostende (Willmar, Dumortier, Brabant, Willmar, A. Rodenbach, de Puydt, Dumortier, Donny, Dumortier, Willmar, Gendebien, Rogier), programmes des cours, enseignement organisé aux
frais de l’Etat et concurrence avec les universités (Verhaegen,
Willmar, de Theux, Dechamps, Dumortier, de Brouckere, Verhaegen, Gendebien, de Brouckere, Dechamps, Gendebien, Dubus (aîné), de Brouckere, Verhaegen, Dumortier, Gendebien, Metz), obligation pour
les élèves de prendre un engagement (Brabant),
organisation du cours de langue flamande (de Langhe),
obligation pour les élèves de prendre un engagement (F. de
Mérode, Dumortier, Willmar,
Brabant), programme des cours et concurrence avec les
universités (Devaux, Willmar, Dubus (aîné), Willmar), obligation
pour les élèves de prendre un engagement (Mast de Vries, Gendebien, A. Rodenbach, Dumortier, Brabant, Gendebien, Devaux, Willmar)
(Moniteur belge
n°329, du 25 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus
procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune
lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les bourgmestres et échevins des communes de Schimmert,
Houthem et Ulestraten, demandent des modifications à la loi du 31 décembe 1835,
relative à l’entrée et au transit du bétail. »
________________
« Le sieur Ockers, curé à Huhtel, Limbourg,
demande la naturalisation. »
- Renvoyé à M. le ministre de la justice.
« Des industriels de la commune de Eessen réclament
contre le prix élevé de la houille et demandent la libre entrée des charbons
étrangers. »
M. de Puydt. - La pétition qui a pour objet la diminution du
prix des houilles n’est pas la première qui nous est adressée et ne sera pas la
dernière ; je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire
le plus promptement son rapport sur ce mémoire. La question est extrêmement
importante. Il me paraît que le parti le plus convenable à prendre serait de
faire une enquête sur les causes de l’augmentation de la houille. Je me
proposerai de faire une proposition formelle à cet égard.
- La proposition de M. de Puydt est adoptée.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU PERSONNEL DU
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE DIEKIRCH
M. Metz
est appelé à la tribune pour exposer les développements de la proposition qu’il
a déposée. - Messieurs, dit-il, j’ai eu l’honneur de donner lecture, à la
séance d’avant-hier, de ma proposition tendant à porter le nombre des juges du
tribunal de Diekirch à quatre au lieu de trois. Les motifs de ma proposition
son très simples. La loi organique des tribunaux avait fixé à trois le nombre
des juges qui devaient composer le tribunal de Diekirch ; et la même loi dit
expressément que ce nombre sera augmenté selon les besoins du service. Le
moment d’augmenter ce tribunal est précisément arrivé, parce que le nombre
d’affaires en souffrance est tel qu’il faut se hâter de porter remède au mal
qui s’y montre. Ce nombre s’élève à mille environ. Le district de Diekirch est
très étendu ; il a plus de 20 lieues, et il comprend des contrées impraticables
dans les mauvais temps.
Je demanderai le renvoi de ma proposition à la section
centrale chargée de l’examen des propositions semblables relativement au
tribunal de Charleroy et à d’autres tribunaux.
M. le ministre de la justice (M.
Ernst). - Je suppose que la prise en
considération ne souffrira pas de difficulté. Au reste, une proposition qui
repose sur des faits demande naturellement une instruction et toute discussion
actuelle serait prématurée. Mais, pour faciliter cette instruction, pour en
hâter la fin, j’ai cru répondre au désir de la chambre, en préparant un rapport
sur la question qui est soumise. Je suis prêt à le déposer sur le bureau. Je
proposerai en même temps le renvoi à la section centrale qui est chargée de
l’examen des propositions semblables pour Charleroy et autres villes.
- La proposition de M. Metz
est prise en considération ; et elle est renvoyée à la section centrale chargée
des autres demandes d’augmentation des tribunaux.
Le rapport de M. le ministre de la justice est
également renvoyé à la même section centrale.
M. Gendebien.
- Je demanderai que le rapport du ministre soit imprimé aujourd’hui dans le Moniteur. Cette impression ne souffre
aucune difficulté, puisque la proposition a semblé assez importante au
ministre, pour qu’il prépare un rapport à l’avance,
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La chambre a ordonné l’impression séparée des
pièces relatives aux tribunaux de Charleroy et autres ; je crois qu’il serait
convenable d’avoir aussi une impression séparée pour le rapport que je
présente. De cette façon on aura toutes les pièces sous les yeux.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION DE L’ECOLE
MILITAIRE
Discussion des articles
M. le président.
- La chambre a adopté hier l’amendement de M. Dumortier, et a renvoyé à
l’article 2 les adjonctions et les amendements qui s’y rapportent. Il faut
mettre aux voix l’article premier, puisqu’il a été amendé.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il me semble que l’article premier est voté avec
l’addition des mots : « dans une des places de guerre du royaume. »
M. Dumortier.
- On pourrait mettre successivement aux voix les énumérations et les ajouter à
l’article. J’avais proposé de simplifier l’article et d’ajourner les
énumérations, parce qu’elles avaient été l’objet d’observations de la part de
quelques membres.
M. le ministre de la guerre (M.
Willmar). - L’honorable M.
Brabant a fait des observations sur les cours donnés à l’école militaire, sans
formuler de proposition. Il a fait une objection contre l’adjonction de la
marine aux autres branches pour lesquelles l’école militaire devrait fournir
des sujets. Il a dit qu’il ne comprenait pas le rapport qu’il y avait entre la
marine et les autres armes spécifiées à l’article premier.
En l’absence du ministre de la marine qui a proposé cette
adjonction, je répondrai que les officiers de marine doivent être aussi
instruits dans les sciences exactes que les officiers du génie et de
l’artillerie, et qu’ils ont également besoin d’être habitués à la vie
militaire.
M. Brabant. - Le seul retranchement que je demanderai dans
l’énumération de l’article premier, tel qu’il a été formulé dans le projet du
ministre de la guerre, est le retranchement du service de la marine. Il est
vrai que les officiers de marine doivent avoir des connaissances mathématiques.
Mais les connaissances mathématiques nécessaires à un officier de marine, à
l’exception de quelques notions de mécanique qui ne doivent pas avoir de grande
étendue, se trouvent dans le programme d’admission à l’école militaire. L’école
polytechnique ne fournit qu’à deux services de la marine, les ingénieurs
chargés des constructions de la marine et l’artillerie de marine. Il suffit que
l’école nous fournisse des ingénieurs pour les constructions nautiques et des
officiers d’artillerie de marine. Mais je regarde l’adjonction du service de la
marine à l’école militaire comme superflue.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Le véritable motif pour lequel on doit admettre à
l’école militaire les jeunes gens qui se destinent à la profession de la
marine, c’est que le nombre des aspirants est trop petit pour les réunir dans
une école spéciale. Les frais généraux de l’école militaire resteront les
mêmes, et les officiers qui se destinent à la marine pourront y faire une
partie de leur instruction et la compléter, si on ajoute à l’école militaire
les cours nécessaires pour leur donner les connaissances spéciales relatives à
leur profession.
M. Brabant. - Tous ceux qui savent quelles sont les habitudes
des gens de mer, reconnaissent que c’est un métier auquel il faut se former dès
la plus grande jeunesse. Or, il est impossible, avec les conditions d’âge
proposées dans le projet du ministre, que nous puissiez espérer d’y avoir des
gens propres à la navigation ; car, en prenant les jeunes gens à l’âge de 20
ans, et en les y gardant deux ou trois ans, ils sortiront à 25 ans. A cet âge,
le corps n’est plus assez souple pour se plier aux exercices du vaisseau.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - On prend les jeunes gens à 16 ans, et il n’est pas
nécessaire qu’ils restent quatre ans à l’école militaire pour acquérir une
instruction scientifique, suffisante pour le service de la marine.
M. A. Rodenbach. - Cette discussion me suggère l’idée qu’on veut
supprimer l’école nautique d’Ostende. Comme on vient de le dire, il faut
commencer dès sa tendre jeunesse pour apprendre à être un officier de marine.
Je demande si on a l’intention de supprimer les écoles
de navigation d’Anvers et d’Ostende. Comme on n’en parle pas, il y a lieu de le
croire.
M. le ministre de la guerre (M.
Willmar). - L’école
militaire sera destinée à revoir des aspirants de marine, des jeunes gens qui,
comme aspirants (ce qui répond au grade de sous-officier), ont déjà acquis la
pratique et les habitudes auxquelles il faut se former dès la grande jeunesse,
et viendront se perfectionner dans les connaissances spéciales nécessaires pour
devenir de bons officiers.
M. de Puydt, rapporteur. - Je dois rectifier une erreur que
vient de commettre M. Brabant. Il vous a dit que l’école polytechnique ne
fournissait des élèves que pour deux services de la marine, les constructions
et l’artillerie de marine. Si nous prenons l’arrêté d’organisation de l’école
polytechnique, nous trouvons qu’elle est destinée à fournir des élèves pour
l’artillerie de terre et de mer, le génie civil, militaire et de marine, la marine
royale et les ingénieurs hydrographes. La marine royale comprend bien
certainement les officiers de marine. Ce qui n’a pas paru un inconvénient en
France, ne peut pas en être un chez nous.
M. Dumortier. - Quant aux officiers de marine proprement dits, il
est mieux de ne rien statuer. Une fois que l’école militaire sera établie,
peut-être trouverons-nous des motifs pour y adjoindre cette branche
d’enseignement. Mais maintenant il existe une école de marine qui, au moyen de quelques
légers subsides, pourrait prendre l’extension nécessaire pour former
d’excellents marins, non seulement pour la marine militaire, mais encore pour
la marine marchande. Il y aurait donc lieu d’examiner quel système serait le
meilleur, et d’ajourner la décision, et de se borner quant à présent à
l’adjonction des quatre autres armes. Pour ce qui concerne la marine, la
question n’est pas suffisamment instruite. Il faut avant tout savoir si on
adoptera le système de constructions de navires aux frais de l’Etat. Si ce
système est écarté, il sera inutile de créer une école de marine, puisque nous
n’aurons pas de marine.
M. Donny. - Un honorable préopinant a demandé à M. le ministre
si l’on avait l’intention de supprimer l’école de navigation d’Ostende. Il a
paru à cet honorable membre que tel devait être le dessein du gouvernement,
parce que sans cela il y aurait un double emploi entre cette école de
navigation et les cours maritimes qu’on se propose de donner à l’école
militaire. M. le ministre n’a pas bien saisi cette observation, car il n’y a
pas fait de réponse catégorique. Je le prie de répondre à cette question.
Quant à moi, je ne vois pas d’analogie complète entre
l’école de navigation d’Ostende et les cours de l’école militaire. Il s’agit
d’un côté de la navigation militaire, il s’agit des manœuvres de l’artillerie
maritime et de la stratégie des flottes, tandis qu’à l’école d’Ostende on
apprend à diriger un bâtiment de commerce, à quel effet il ne faut guère
d’autres connaissances scientifiques que celles qui sont nécessaires pour
déterminer la longitude et la latitude.
L’on peut fort bien conserver d’un côté l’école
d’Ostende, et cependant établir à l’école militaire des cours pour les sciences
spéciales que doivent posséder les officiers de marine.
M. Dumortier. - Je trouve dans les observations de l’honorable
préopinant des raisons de plus pour persister dans mon opinion. Il vous a dit
que les cours de marine avaient pour but d’enseigner la manœuvre du vaisseau ;
vous ne pouvez pas établir ces cours dans une école militaire dont le siège
doit être dans une place forte. Autant vaudrait créer une école militaire à
Nivelles.
Je persiste à demander qu’on ajourne ce qui concerne
la marine et qu’on se borne à adopter ce qui concerne les armes de la
cavalerie, de l’infanterie, de l’artillerie, du génie et du corps d’état-major.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je répondrai à M. Donny que lui-même ne m’a pas
compris. Je n’ai pas eu l’intention de dire que de l’adjonction à l’école
militaire, d’une division de la marine, pourrait résulter la destruction de
l’école de navigation d’Ostende.
M. Gendebien. - J’avais demandé la parole pour faire l’observation
que vient de faire M. le ministre de la guerre.
Il n’y a pas d’analogie entre l’école de navigation
d’Ostende et l’école militaire recevant des jeunes gens possédant déjà des
notions de navigation. M. Donny vient lui-même de vous le dire ; dès lors
personne n’a à s’inquiéter ; et il est inutile d’interpeller M. le ministre de
la guerre pour savoir s’il a l’intention de détruire l’école de navigation
d’Ostende ; puisqu’il n’y a pas d’analogie entre les deux établissements, il
n’y a pas lieu de craindre que l’un détruise l’autre.
Maintenant je demande quel inconvénient il y a à
donner l’instruction aux jeunes gens qui se destinent à la carrière de la
marine. Si des jeunes gens qui se destinent à la marine marchande considèrent
leur instruction comme insuffisante même pour cette carrière, pourquoi le
gouvernement ne leur donnerait-il pas des moyens faciles et économiques de
compléter leur instruction pour la marine marchande et pour la marine
militaire, s’il doit y en avoir une ? Si vous n’admettez pas l’amendement du
ministre et que vous décidiez ensuite qu’il y aura une marine, il faudra donc
faire une dépense nouvelle pour cette école spéciale.
Pour moi, je trouve que ce n’est qu’une querelle de
mots et pas autre chose. Je voterai pour l’article tel qu’il a été proposé.
M. Rogier.
- J’appuie l’adjonction à l’article premier des mots : « et pour la
marine. » Je ne vois pas le moindre inconvénient à maintenir ces mots dans
l’article premier.
Certainement il y a un commencement de marine
militaire, et l’extension de cette marine paraît rentrer dans les vues du
gouvernement. Et vous admettrez, sans doute, que les officiers de marine
militaire ont aussi besoin d’enseignement disciplinaire que les officiers de
l’artillerie et du génie.
On a parlé de l’école de navigation d’Ostende ; je ne
sais pas ce qui se passe à Ostende, mais il existe à Anvers une école de
navigation ; c’est une école élémentaire à laquelle des officiers de marine ne voudraient
pas aller. Il faut cependant un moyen d’instruction. Tant qu’on n’aura pas
établi une école spéciale de marine, je demande que les officiers de marine
trouvent l’instruction dans une école du gouvernement.
- L’article premier est adopté dans les termes
suivants :
« Art. 1er. Il est établi dans une des places
fortes du royaume une école militaire. L’école militaire a pour objet de former
des officiers pour les armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et
du génie, pour le corps d’état-major et pour la marine.
Article 2
La chambre passe l’article 2, ainsi conçu :
« Art. 2 (nouveau). L’enseignement donné à l’école
comprendra :
« Les mathématiques (complément des mathématiques
élémentaires, haute algèbre ; analyse appliquée à la géométrie ; calcul
différentiel et intégral ; calcul des probabilités).
« La mécanique analytique (statique, dynamique,
hydrostatique, hydrodynamique).
« La géométrie descriptive et ses applications.
« La physique.
« La chimie et les manipulations.
« L’astronomie, la géodésie et la topographie.
« L’architecture.
« Les belles-lettres (grammaire, composition
française).
« La mécanique appliquée.
« La chimie et la physique appliquées aux arts
militaires.
« Les constructions militaires (poussée des
terres, poussée des voûtes, résistance des matériaux, tracés de route,
convenances des bâtiments militaires).
« La fortification passagère.
« La fortification permanente.
« L’art et l’histoire militaire.
« L’administration militaire.
« La balistique.
« La nomenclature raisonnée du matériel de
l’artillerie.
« Le tracé raisonné des bouches-à-feu et des
voitures.
« Les différentes parties du service de l’artillerie.
« Les travaux d’application (levés, projets, devis,
mémoires).
« Les exercices et manœuvres d’infanterie, de
cavalerie et d’artillerie, ainsi que les travaux pratiques de l’artillerie et
du génie.
« Les exercices gymnastiques (équitation, escrime,
natation).
« La navigation.
« Les applications du service de la marine (pour la
section des aspirants de marine.)
« Il peut être donné en outre des cours sur :
« La minéralogie et la géologie.
« L’histoire, la géographie et
la statistique.
« La législation militaire.
« L’hygiène.
« L’hippiatrique.
« La langue flamande.
« Les langues étrangères. »
M. Verhaegen.
- Hier encore, avant la fin de la séance, la capitale, qui est près de
succomber sous le poids des charges qu’ont attirées sur elle les événements de
la révolution, pouvait espérer de conserver un établissement qui, pendant la
révolution, avait été créé dans son sein, et de jouir d’une partie des
avantages attachés à ses succès.
Ce n’était qu’illusion ; d’après le dernier vote de la
chambre, Bruxelles, non seulement n’aura pas la préférence sur les autres villes
du royaume, mais elle ne pourra pas même concourir avec celles-ci dans le choix
qui est laissé au gouvernement ; elle seule, parce qu’elle a le malheur de
constituer la capitale, et par suite le théâtre de toutes les catastrophes
politiques, est exclue de ce que tout le monde est convenu d’appeler une faveur
; il faut se résigner ; la majorité, quelque faible qu’elle soit, fait la loi.
Comme habitant de Bruxelles, les convenances nous
obligeaient à vous exprimer nos doléances ; comme député de la nation, notre
tâche nous impose de vous faire apprécier les diverses dispositions du projet
sous le rapport de l’intérêt général, et, certes, on ne nous suspectera plus de
partialité alors que, pour nous, tout intérêt de localité a disparu ; d’autres
peuvent espérer encore…
C’est de l’article 2 du projet de loi proposé par M.
le ministre de la guerre, que dépend l’existence d’une bonne école militaire.
L’amendement de notre honorable collègue M. Devaux, le sous-amendement des
honorables députés de Liége et du Limbourg, la compromettent gravement.
Ce qu’il y a de remarquable dans la discussion qui
s’est soulevée, c’est de voir des députés libéraux combattre le système de
l’article 2, dans le but d’accorder aux universités de l’Etat un privilège
exclusif nécessaire, d’après eux, à leur prospérité, tandis que d’autres
députés dont les opinions ne sympathisent nullement avec les nôtres, combattent
l’article 2 afin d’attacher l’existence
de l’école militaire au sort des deux universités de l’Etat, et de parvenir
ainsi à les renverser toutes trois du même coup.
Une indiscrétion a fait connaître depuis longtemps la
marche convenue, et on doute si peu du succès qu’on ne cesse de dire à tout le
monde que plus tard il n’y aura plus en Belgique que la seule université de
Louvain.
Ainsi, messieurs, on cherche à s’opposer à la
centralisation de l’enseignement des sciences positives à l’école militaire
pour arriver à n’avoir plus qu’une seule université, destinée à fournir
indistinctement des curés et des médecins à nos villes et à nos villages, des
avocats et des juges à nos tribunaux, des officiers du génie et de l’artillerie
à l’armée, enfin des ingénieurs civils et des chefs de manufactures à
l’industrie : monopole effrayant, ou, si on veut, liberté, ainsi entendue, qui
envahit et qui tue.
L’article 2 du projet du gouvernement doit être
maintenu dans toutes ses parties, parce que les universités sont impuissantes
pour fournir à l’école militaire des sujets capables d’en suivre les cours
spéciaux. Cette impuissance, messieurs, ne tient point au manque de talents des
professeurs des universités de l’Etat ; elle résulte de ce que ces
établissements se sont perdus dans l’opinion publique, par la manière dont les
diplômes ont été délivrés avant la création du jury d’examen ; et quant à ce
jury, réclamé pour faire cesser ces abus, il ne parviendra pas à sauver les
universités de l’Etat aussi longtemps qu’il sera composé comme il l’est
aujourd’hui.
Sous le gouvernement hollandais, le ministère a voulu
faire prévaloir son système gouvernemental dans la création du collège
philosophique. L’opinion publique a fait justice de cette œuvre, et le collège
est tombé pour ainsi dire à son érection.
L’honorable ministre de la guerre, en proposant
aujourd’hui l’établissement d’une école militaire sur une large échelle et sur
des bases solides, se trouve placé entre deux systèmes qu’il repousse à la fois
et avec raison. L’un a pour objet de donner vie aux universités de l’Etat, en
leur accordant un privilège et en écartant toute concurrence ; l’autre, en
prenant ostensiblement la défense des universités de l’Etat, n’a pour but que
leur ruine et la concentration à l’université catholique de toutes les sciences
positives. L’opinion publique fera justice de l’un et de l’autre de ces
systèmes qu’on veut lui imposer, comme elle a fait justice dans le temps du
système du gouvernement hollandais. La violence ne peut rien en fait
d’instruction ; les succès d’une université ou d’un établissement particulier
servent seuls de guide aux parents dans le choix qu’ils ont à faire, lorsqu’ils
n’écoutent que l’intérêt de leurs enfants, abstraction de tout esprit de parti.
M. le ministre de l’intérieur a beau réorganiser les
universités de l’Etat et annexer à la faculté des sciences des écoles du génie
civil, des manufactures et des mines ; ces écoles repoussées par l’opinion
publique n’auront jamais qu’une existence débile et passagère. La preuve, c’est
que Gand n’a pas d’élèves à son école des ponts et chaussées, et que Liége est
parvenu à en réunir cinq à son école des mines, en y comprenant trois
conducteurs en fonctions.
Des parents, après avoir visité l’école du génie de
Gand, se sont décidés à envoyer leurs enfants à l’école centrale de commerce de
Paris. Un de nos ingénieurs des ponts et chaussées, juge bien compétent à cet
égard, a préféré placer son fils, qu’il destine aux ponts et chaussées, dans
une école préparatoire particulière à Bruxelles.
Quant au passé, des jeunes gens qui avaient fait à
Gand toutes les études de docteur en sciences sont encore, en ce moment,
conducteurs des ponts et chaussées, faute de pouvoir se présenter à l’examen de
sous-ingénieur, non point sous le rapport de la pratique, mais sous celui de la
partie théorique, de la géométrie descriptive et des mathématiques
transcendantes appliquées à la mécanique et à l’hydraulique. Ces faits
expliquent assez pourquoi le public refuse sa confiance aux facultés des
sciences des universités de l’Etat.
On croit, messieurs, ranimer la confiance et assurer
l’existence des écoles du génie civil, des manufactures et des mines, en les
mettant à l’abri de la concurrence de l’école militaire ; mais en supposant que
l’article 2 du projet ministériel soit modifié dans ce sens, l’esprit du temps
et les besoins du pays ne font-ils pas surgir de toutes parts cette concurrence
si redoutée par les universités de l’Etat ? Déjà l’université catholique
prépare son école du génie civil, des manufactures et des mines ; l’université
libre de Bruxelles pourra en faire autant ; la députation provinciale du
Hainaut, sans confiance dans l’école des mines de Liége, ne vient-elle de créer
et de mettre en activité avec une promptitude remarquable une école des mines à
Mons ? Verviers et Tournay ont des écoles industrielles ; l’école de commerce
et d’industrie de Bruxelles, réorganisée sur une large base, n’est-elle pas une
nouvelle concurrence pour l’école du génie civil et des manufactures de
l’université de Gand ?
Allons plus loin, messieurs, et supposons que,
contrairement la liberté de l’enseignement, il soit possible d’empêcher toutes
ces concurrences qu’on semble redouter si fort : à part l’injustice d’accorder
à un établissement un privilège contraire à la constitution, même au détriment
d’un établissement similaire, ce privilège conduirait à des inconvénients très
préjudiciables au bien du service et qui pourraient même le paralyser
complétement : en effet, l’Etat ne serait-il pas obligé alors de prendre les
jeunes gens formés dans son établissement privilégié, qu’ils aient ou non une
instruction suffisante ? On conçoit que si déjà nous avons à rougir devant
l’étranger de voir tomber successivement les ponts construits sur différents
points de la Belgique, de voir écrouler des digues et d’autres objets d’art, on
verrait de bien plus grands inconvénients encore dès que le corps des ponts et
chaussées et le génie militaire se trouveraient réduits à ne plus se recruter
que des ingénieurs formés par des jeunes professeurs qui n’ont acquis aucune
expérience dans les constructions.
Pour remédier à ces inconvénients, on propose d’établir
des pédagogies militaires près des universités de l’Etat ; c’est là l’objet de
l’amendement de l’honorable M. Devaux : ici les difficultés surgissent de
toutes parts : d’un côté, ceux à qui le sort des universités est confié
reconnaissent qu’ils n’ont, parmi eux, pas un seul homme en état de réaliser
cette mesure de salut ; d’un autre côté, les professeurs, comme les élèves,
repoussent le casernement ; les derniers prétendent que c’est attenter à leur
liberté, les premiers disent que c’est leur ôter toute indépendance. Et il
serait vraiment curieux d’entendre ces messieurs développer leurs principes à
cet égard. Quoi qu’il en soit, cette indépendance ne convient pas à un
établissement tel que l’école militaire dont l’ordre, l’exactitude et la
discipline sont les bases indispensables.
Faire une distinction entre le civil et le militaire
dans une seule et même faculté, accorder aux uns ce que l’on refuserait aux
autres, constituerait une injustice et donnerait lieu à des embarras et à des
conflits sans nombre. Le civil aurait-il la prépondérant sur le militaire, ou
devrait-il se rendre à ses exigences ? Les règlements de M. le ministre de la
guerre seront-ils approuvés par M. le ministre de l’intérieur ? Les mesures que
proposerait ce dernier rentreraient-ils dans les vues du premier ? Déjà nous
avons pu remarquer par le vote d’hier que si ostensiblement ces deux membres du
cabinet sont d’accord, en réalité ils diffèrent d’opinion. Sans cette
divergence le projet de loi tel qu’il était présenté par M. le ministre de la
guerre aurait infailliblement reçu l’assentiment de la chambre. J’en appelle à
l’expérience de tous les jours.
J’ai à répondre à quelques observations de l’honorable
M. Devaux. J’avais fait une comparaison entre les examens passés par les élèves
des facultés des sciences des universités de l’Etat et les examens des élèves
de l’école militaire. On m’a fait observer que ma comparaison n’est pas
concluante, parce que les termes de comparaison manquent : les examens de
l’école militaire, m’a-t-on dit, destines seulement, à faire passer les élèves
d’une classe à une autre, sont bien différents de ceux passés par les élèves
des facultés des sciences, examens qui donnent un titre.
Lorsque j’ai parlé des examens de l’école militaire,
j’ai voulu parler, non des examens passés par les élèves pour passer d’une
classe dans une autre, mais des examens passés par eux à la fin de leurs études
préparatoires à l’école militaire.
Ainsi, loin que les points de comparaison manquent,
ils sont identiques. Et même les points de comparaison qui se rencontrent dans
l’espèce, pourraient nous fournir des arguments de plus pour fortifier ce que
nous avons dit.
Nous tenons pour certain que l’enseignement de l’école
militaire pendant deux ans comprend beaucoup plus que l’enseignement, pendant
le même temps, des universités de l’Etat. L’on dit que les facultés spéciales
n’existaient pas en 1835, époque à laquelle nous avons été chercher nos points
de comparaison ; mais l’honorable M. Devaux s’est trompé en fait ; je n’ai pas
pris mes points de comparaison en 1835, je les ai pris en 1837 ; alors les
facultés spéciales étaient déjà organisées.
C’est justement à cette époque, rapprochée de
l’établissement des écoles spéciales que l’on trouve zéro dans les facultés de
Liége et de Gand. Remontez un peu plus haut, et vous allez trouver le
contraire. Si vous allez à la session de 1836, vous trouverez quelques
résultats ; ils ne seront pas bien beaux. A Gand, sur 8, il y a eu deux de
reçus.
Liége ne présentait pas mieux. Quelle conséquence ai-je
tirée des faits que j’invoquais ? C’est que les universités sont impuissantes.
Le gouvernement devait donc
prendre des élèves autre part, et les prendre dans son propre enseignement.
On s’est plaint de ce que nous avions appelé l’école
militaire une université militaire ; mais ce nom me semble naturel. Les
universités ont leurs écoles préparatoires et leurs écoles d’application pour
leurs diverses facultés ; l’école militaire a de même son école préparatoire et
son école d’application pour ses spécialités.
Il faut donner de la force à l’enseignement militaire,
pour donner de la force à notre armée. Si nous sommes tous d’accord sur ce
point, donnons les moyens d’y arriver, à moins que ce ne soit un subterfuge
pour refuser au pays ce qui lui est nécessaire. Nous qui n’avons pas recours
aux subterfuges, nous appuyons la proposition du gouvernement ; nous aurions pu
appuyer la proposition de M. Devaux si, au lieu de fractionner l’enseignement
militaire, il l’eût centralisé.
M. le ministre de la guerre (M.
Willmar). - Je demande la
parole pour interrompre un instant la discussion qui nous occupe, et pour
répondre à cette insinuation contre la probité de l’armée. II y a quelque chose
d’inconvenant, de fâcheux, à répéter des accusations qui ne se trouvent que
dans certains journaux. Notre armée possède environ 4,000 officiers ; il peut
certainement se trouver dans ce nombre des malhonnêtes gens. Mais que l’on
vienne me signaler et prouver des actes positifs de malversation, et je vous garantis,
messieurs, que les membres de l’armée qui s’en seront rendus coupables ne
resteront pas impunis. Qu’au lieu de se borner à parler de dilapidations, de
concussions, on dénonce des faits, et on verra comment ils resteront tolérés.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux).
- Je ne comprends pas dans quel but on cherche à attaquer les facultés des
sciences organisées dans les universités de l’Etat à propos de l’école
militaire. Dans cette discussion, il ne faut pas chercher à déprimer les
universités de l’Etat ni chercher à déprimer l’école militaire. Il n’y a aucune
espèce de conflit entre le ministre de la guerre et le ministre de l’intérieur.
Le ministre de la guerre a parfaitement compris qu’il eût porté atteinte aux
universités de l’Etat en appuyant le projet qui adjoignait les ponts et
chaussées et les mines à l’école militaire. Aussi n’a-t-il point appuyé ce
projet.
De mon côté, messieurs, loin de vouloir porter
atteinte à l’école militaire, je pense au contraire qu’il faut la maintenir
dans son état actuel, et le motif en est bien simple : les résultats de
l’organisation actuelle sont connus ; ils sont avantageux. A côté de ces
résultats certains, de ces résultats immédiats, on nous propose des résultats
incertains, des résultats éloignés. Nous sommes donc entièrement d’accord.
Mais, messieurs, je dois entrer dans quelques détails
sur les reproches qu’on a faits à l’organisation de la faculté de sciences de
Gand. On a parlé d’anciens élèves sortis de la faculté des sciences de Gand qui
n’ont pas pu passer au-delà du grade de conducteur des ponts et chaussées.
Cette objection, si elle est vraie, n’a aucun trait à l’organisation actuelle ;
chacun sait que c’est par la loi de septembre 1835 que la nouvelle organisation
a été décrétée, que ce n’est qu’en 1836 que l’organisation de l’école des ponts
et chaussées a été introduite.
Ceci me conduit tout naturellement à répondre à une
autre observation de l’honorable orateur, suivant lequel l’école spéciale des
ponts et chaussées de Gand ne renferme point d’élèves ; d’où il a tiré la
conclusion que cette école ne jouit pas de la confiance du public. C’est là,
messieurs, une erreur capitale : l’école des ponts et chaussées de Gand est
divisée en deux parties, une école préparatoire dont les études doivent durer
deux ans, et une école spéciale dont les études doivent également durer deux
ans. Eh bien, messieurs, l’école préparatoire en est seulement à sa seconde
année d’existence, et ce n’est qu’au mois d’octobre de l’année prochaine que
les élèves pourront entrer dans l’école spéciale des ponts et chaussées ; il
est donc tout simple qu’il n’y ait point encore d’élèves dans cette partie de
la faculté.
Au surplus, messieurs, c’est
bien en vain qu’on chercherait à déprécier cette faculté ; le mérite des
professeurs qui la composent est suffisamment connu, et ce sera par leurs
œuvres qu’on pourra les juger à l’avenir. Je puis en dire autant, messieurs, de
l’école des mines de Liége. L’honorable orateur a parlé du nombre des élèves
que cette école renferme : je ne pourrais pas en ce moment dire positivement
quel est le nombre des élèves de l’école des mines de Liége, mais ce dont je
suis bien certain, d’après les renseignements irrécusables que j’ai obtenus,
c’est que l’enseignement qui se donne dans cette école est excellent et qu’il
atteindra parfaitement le but que le législateur s’est proposé en
l’établissant.
(Moniteur belge
n°330, du 26 novembre 1837) M. Dechamps. - Messieurs, je vous avoue que, pour
ma part, il me répugne d’entrer dans la controverse irritante que l’honorable
préopinant s’est permis de soulever ; je n’aime pas, messieurs, ces sortes
d’insinuations ; je n’aime pas à me poser sur le terrain des partis ; mais
puisque l’honorable préopinant s’est permis des insinuations malveillantes, il
me sera aussi permis de lui répondre.
D’abord, messieurs, chacun sait, en fait de liberté
d’enseignement, quels sont ceux qui veulent cette liberté et quels sont ceux
qui ne la veulent pas. Chacun sait que plusieurs honorables membres de la
chambre, quand il s’agit de la liberté d’enseignement, tombent dans les
contradictions les plus étonnantes : quand il s’agit de la liberté de la
presse, arche sainte à laquelle personne de nous n’a jamais voulu toucher, les
honorables préopinants poussent les idées libérales jusqu’aux dernières limites
: ils entendent par la liberté de la presse, non seulement la libre concurrence
des particuliers, mais encore la neutralité du gouvernement. Je rappellerai à
cet égard que, quand il s’est agi de créer le Moniteur, qui est le journal de la chambre, plusieurs honorables
membres ont regardé cette création comme tellement contraire à la liberté de la
presse, que plusieurs ont refusé de le recevoir afin de protester contre ce
simulacre de presse gouvernementale.
Lorsqu’il s’est agi de la liberté des théâtres, les
honorables membres, qui sont contraires à la liberté de l’enseignement, ont été
jusqu’à dénier à l’autorité municipale un simple droit de simple surveillance
sur des théâtres qui sont presque tous des établissements communaux.
Vous voyez, messieurs, qu’il est impossible de pousser
les idées libérales plus loin ; eh bien, messieurs, les mêmes membres qui,
lorsqu’il s’agit de la liberté de la presse, de la liberté des théâtres,
donnent aux idées libérales une semblable extension, ces mêmes membres viennent
demander la centralisation gouvernementale la plus large, lorsqu’il s’agit de
la liberté d’enseignement, qui est sœur de la liberté de la presse. Je laisse
aux honorables préopinants le soin de concilier des opinions aussi
contradictoires.
L’article de la constitution sur la liberté de la
presse est ainsi conçu :
« La presse est libre ; la censure ne pourra jamais
être établie. »
Eh bien, messieurs, si maintenant je montais à la
tribune et si je vous disais : « Oui, la liberté de la presse existe ; la
censure ne pourra jamais être établie ; mais, comme le gouvernement est libre
au même degré que les particuliers, je propose, an nom de la centralisation, au
nom du progrès des lumières, de donner un million au gouvernement pour établir
une presse centralisante, une presse gouvernementale ; » je serais curieux de
voir l’accueil qui serait fait à une semblable proposition.
Cependant, messieurs, elle ne serait pas
inconstitutionnelle, elle serait identiquement la même que celle qu’on voudrait
voir sanctionner quant à l’enseignement.
Oui, messieurs, je veux le moins possible de
l’influence gouvernementale en fait d’enseignement, comme vous en voulez le
moins possible en fait de presse ; je ne veux pas d’établissements
d’instruction du gouvernement que là où les institutions privées ne peuvent
suffire ; c’est là le principe qui a été émis dans les développements des
motifs de la section centrale, que personne n’a contredits.
Mais quand ces établissements fondés aux frais du
trésor sont reconnus nécessaires, alors je les veux bien organisés parce que je
veux une bonne instruction. Si je veux la liberté, c’est parce que je suis
convaincu que la liberté fera plus que le gouvernement dans cette sphère.
Mais, messieurs, il ne s’agit pas ici d’un
établissement d’instruction gouvernementale, en concurrence avec des
institutions privées, mais il s’agit d’une école spéciale pour l’un des
services publics. Cela change la question du tout au tout. Nous allons même ici
plus loin que les honorables préopinants, puisque nous accordons au
gouvernement le droit de conférer un titre de candidature aux élèves de cette
école spéciale.
Messieurs, l’honorable
préopinant a beaucoup parlé de l’université de Louvain ; si nous avions
demandé, nous, qu’on établît l’école militaire auprès de l’université de
Louvain, ii faut convenir que l’honorable membre aurait peut-être eu quelque
raison de nous adresser quelques récriminations qu’il s’est permises ; il
aurait pu alors nous soupçonner de vouloir, en créant une école militaire,
procurer, aux professeurs de l’université de Louvain, un traitement sur le
trésor de l’Etat.
L’honorable préopinant concevra que l’insistance qu’il
a mise à fixer l’établissement de l’école militaire à Bruxelles, aurait pu
donner lieu de notre part aux mêmes soupçons, aux mêmes reproches, et nous ne
l’avons pas fait. On aurait bien fait d’imiter notre réserve.
Vous n’ignorez pas, messieurs, que des journaux avec
lesquels nous ne sympathisons pas (pour me servir de l’expression de
l’honorable préopinant), nous ont révélé aussi une espèce de secret, une espèce
de comédie, qui pourrait peut-être légitimer une accusation qui n’est cependant
pas partie de nos rangs. Quoi qu’il en soit, messieurs, si j’étais fondateur
d’une université libre, je ne viendrais pas moi-même en prédire ici la ruine ;
je compterais sur l’opinion publique, sur la confiance des familles ; en un
mot, je compterais plus sur la liberté.
(Moniteur belge
n°329, du 25 novembre 1837) M. Dumortier. - Messieurs, après avoir pendant
quatre jours exposé nos opinions d’une manière claire et péremptoire, d’une
manière qui ne peut laisser aucune espèce de doute sur ce que nous voulons, il
est vraiment pénible de voir un de nos honorables contradicteurs venir
aujourd’hui prétendre que nous aurions été mus par des vues dissimulées et par
des arrière-pensées ; ne pouvant combattre nos discours, ce sont nos opinions
que l’on calomnie ; on accuse les bancs où nous siégeons de vouloir le
renversement des établissements d’instruction publique. N’est-ce pas là,
messieurs, une preuve de la faiblesse du système de nos adversaires, que d’être
réduits à calomnier nos intentions à défaut d’arguments pour nous combattre ?
Oui, dit l’honorable membre, une indiscrétion est
venue révéler quelle est la pensée des membres qui nous combattent ; ils
veulent renverser d’un seul coup les trois universités, saper l’instruction
dans sa base, afin d’en profiter seuls. Messieurs, j’ai un devoir à remplir
dans cette circonstance, c’est de protester de toutes mes forces contre une
semblable accusation, non seulement en mon nom mais en même temps au nom de
toutes les personnes qui partagent mes opinions. Lorsqu’il s’est agi de
l’organisation de l’instruction, alors que la Belgique était encore dans un
état de souffrance, avons-nous reculé devant aucun sacrifice, devant aucune
difficulté, pour doter le pays d’un enseignement universitaire aussi fortement
organisé que dans aucun pays de l’Europe ? Il est donc absurde et odieux de
venir aujourd’hui suspecter nos opinions, de venir prétendre que nous cherchons
à renverser ce que nous avons créé nous-mêmes il y a deux ans de nos propres
mains.
Le but évident de tout ceci est clair et manifeste,
dit l’honorable membre ; on veut établir à l’université catholique une école de
commerce, et c’est pour cela, dit-il, que nous voulons renverser le système du
gouvernement. Eh bien, je le demande à l’honorable membre, qu’a de commun une
école militaire avec une école de commerce ? Qu’a de commun l’école militaire
avec ces institutions civiles qui sont exclusivement destinées à la vie sociale
du citoyen ? Vous allez, dites-vous, établir une école semblable auprès de l’université
que vous dirigez. Eh bien, si vous en créez une, loin de la combattre, je
l’appuierai de toutes mes forces, et vous me trouverez toujours disposé à la
soutenir même de tous mes moyens pécuniaires s’il est nécessaire.
Vous voyez donc, messieurs, quelle est la différence
entre la manière de voir de nos adversaires et la nôtre : nos adversaires
combattent ici la liberté d’enseignement, calomnient nos intentions, tandis que
nous vous demandons cette liberté, et que nous sommes prêts à protéger les établissements
d’instruction, non seulement par des lois, mais par des secours pécuniaires,
s’il est nécessaire.
Mais dit l’honorable préopinant, les trois universités
sont en jeu, l’on veut renverser les trois universités d’un seul coup. Je
demanderai de mon côté à l’honorable préopinant où il a trouvé qu’il est
question de renverser les trois universités. Si telle est sa crainte, il est
évident que les observations qu’il a présentées sur le vote d’hier se
rapportent à l’université dont il est l’inspecteur, et qu’il regarde ce vote
comme dangereux pour cette université. Je lui demanderai dès lors en quoi notre
vote d’hier a pu porter atteinte à l’université de Bruxelles.
Dites-nous, qu’a de commun votre université avec
l’école militaire ? Ah ! si nous voulions lutter avec vous d’intentions, et
vous prêter des opinions pour les combattre, nous vous dirions aussi qu’une
indiscrétion commise ce matin nous dévoile le motif de vos furibondes
déclamations. Oui, messieurs, s’il en faut croire un journal de ce matin, le motif
pour lequel on voulait établir l’école militaire à Bruxelles, c’était pour y
placer les professeurs de l’université qui se dit libre, et faire payer ainsi
indirectement par l’Etat les traitements de ces professeurs. Si telle est votre
pensée, je serai en droit de vous dire : Agissez avec sincérité, imitez notre
franchise. Si vous avez besoin d’un subside, demandez-le, nous verrons si nous
devons vous l’accorder ; mais alors il restera à voir aussi si nous devons en
allouer à un autre établissement libre.
Je vous le demande, messieurs, si l’on n’avait pas une
pareille pensée, pourquoi viendrait-on insister si fortement sur le danger
qu’éprouve l’université de Bruxelles par le vote d’hier ? Si l’on n’avait pas
cette pensée, pourquoi viendrait-on proposer d’établir à l’école militaire des
cours tout à fait étrangers à l’art militaire, la géologie par exemple ? Eh
bien, si le journal auquel j’ai fait allusion a raison, l’adjonction de ces
cours avait pour motif de faire obtenir d’une manière indirecte des traitements
aux professeurs de l’université libre de Bruxelles. Or, je déclare de nouveau
que cette intervention occulte de l’Etat, je la repousserai toujours. Si vous
voulez une intervention directe, je ne serai peut-être pas éloigné d’y donner
mon assentiment ; mais si vous cherchez une intervention dissimulée, si vous
voulez faire payer indirectement par l’Etat les traitements de vos professeurs,
ce sera pour moi un motif de m’opposer dix fois davantage à cette intervention.
Messieurs, l’honorable préopinant, en attaquant une
université rivale, n’a pas dissimulé son opinion et celle des siens.
Nous voulons la centralisation de l’instruction
publique. La centralisation de l’instruction ! C’est donc le retour du monopole
qu’il vous faut, du monopole qui a détruit le gouvernement hollandais.
La centralisation de l’instruction !... et c’est
l’honorable membre qui est à la tête d’un établissement de liberté, qui veut
centraliser l’instruction ! Ignore-t-il donc que c’est là la suppression de sa
propre université qu’il demande ? Ce que nous demandons, nous, ce que nous
voulons, c’est la liberté, la liberté pour laquelle la révolution a été faite,
et sans laquelle le pays ne saurait résister ; la liberté qui est palpitante
dans le cœur de tous les Belges. Oui, nous voulons la liberté, et non pas
seulement pour nos institutions, mais encore pour les vôtres ; si l’on portait
atteinte à vos institutions, nous nous ferions un devoir de les défendre. Voilà
comment nous saurions répondre aux calomnieuses accusations que vous lancez
contre nous.
Mais,
dit l’honorable préopinant, je voudrais que des bancs de nos adversaires
surgissent des paroles d’assurance que nos universités seront suffisamment
protégées. Eh bien, messieurs, je rappellerai à la chambre ce que j’ai déjà signalé
dans une occasion précédente. Je le demanderai donc à l’honorable préopinant,
lorsqu’à la suite de la révolution, l’instruction supérieure fut complétement
désorganisée, de quels bancs sont partis les arrêtés qui ont désorganisé les
universités de l’Etat ? Qui est-ce qui, à cette époque, a porté la hache dans
l’enseignement supérieur du pays, et qui a mutilé nos universités ? Sont-ce les
bancs où mes amis et moi nous siégeons ? Ou plutôt ceux où siège l’honorable
préopinant ?
Oui, messieurs, c’est de ces bancs accusateurs que
sont parties en 1830 les mesures qui ont dévasté les universités qui faisaient
la gloire de la Belgique ? Au contraire, ce sont mes amis et moi qui avons
demandé qu’on leur donnât une nouvelle et forte organisation. Il ne sied donc
pas à l’honorable préopinant de venir calomnier nos intentions, et de nous
prêter des pensées qui ne sont parties que des bancs sur lesquels il siège.
M. de Brouckere. - Je demande la parole pour défendre mon banc contre les attaques du
préopinant. (On rit.)
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne prends la parole en ce moment que
pour un fait personnel ; car je me réserve de répondre à mes honorables collègues,
MM. Dechamps et Dumortier, quand mon tour sera venir.
Le fait personnel est celui-ci : on m’a dit que dans
tout mon discours ne dominait que l’idée de faire accorder à l’université libre
de Bruxelles un secours indirect ; que je m’étais plaint du vote d’hier, parce
qu’il enlevait à cette université l’avantage qu’elle espérait obtenir.
Il n’en est rien, messieurs ! Quand je prononce des
discours qui peuvent être l’objet d’attaques, j’ai soin de les écrire, car
souvent dans l’improvisation on se laisse emporter plus loin qu’on ne doit.
Or, qu’ai-je dit dans mon discours ? J’ai dit qu’il
était à regretter que lorsque la capitale fait tant de sacrifices, lorsqu’elle
est sur le point de succomber sous le poids de ses charges, par suite des
événements divers de la révolution, elle fût mise dans un état d’exclusion.
Voilà ce que j’ai dit, et je n’ai nullement parlé de l’université de Bruxelles.
Des deux universités libres, celle de Bruxelles sera la dernière à demander des
subsides, et je déclare qu’elle n’en a pas besoin.
M. Gendebien.
- Messieurs, je ne sais si, en parlant des destructeurs de 1830 qui ont porté
la hache sur les universités existantes avant la révolution ; je ne sais si M.
Dumortier a entendu parler du gouvernement provisoire qui s’est occupé des
universités. Si telle a été l’intention de M. Dumortier, je lui dirai quelle a
été à cet égard la pensée du gouvernement provisoire.
La pensée du gouvernement provisoire était de réduire
les trois universités à deux, et même, s’il était possible, à une seule, non
pour détruire l’enseignement, mais pour l’améliorer, pour établir un centre de
sciences, pour avoir un centre d’élèves, en un mot pour mettre les élèves en
rapport avec les dépenses que ferait le gouvernement, et avec ce qui doit
constituer le zèle des professeurs qui n’en ont le plus souvent, du moins,
qu’en raison du nombre d’élèves qu’ils sont chargés d’instruire, comme le
disait M. Devaux il y a deux ou trois jours. Ce n’était d’ailleurs qu’un
provisoire commandé par la fuite de plusieurs professeurs et par la nécessité
où nous avons été d’en destituer quelques-uns pour satisfaire aux exigences des
circonstances.
Voilà, messieurs, pour le gouvernement provisoire.
Quant à mon banc, je ne sais si je dois le défendre. Je n’ai de solidarité avec
personne ; je marcherai toujours libre et franchement dans la même ligne, sans
m’occuper de ce que se fait à droite, à gauche, devant ou derrière moi.
Toutefois, puisqu’on me provoque, j’entrerai en
matière.
Je ne parlerai pas d’arrière-pensées, je ne procéderai
pas par insinuation ; je citerai des faits, j’en tirerai des conséquences.
Or, voici ce que j’ai lu dans le rapport qui a été
fait par M. Dechamps, lorsqu’il a été question de l’organisation des
universités, et je prie chacun de vous de vérifier le texte :
« Depuis Charlemagne, disait M. Dechamps, nous
sommes (le parti de M. Dechamps) en possession de l’instruction publique ;
chaque cure était une institution primaire gratuite ; chaque couvent, une école
secondaire gratuite, et chaque évêché ou archevêché, une école supérieure,
transcendante, toujours gratuite. »
Eh bien, messieurs, quelle était la conséquence de la
déclaration de ce fait ? C’était de proposer l’organisation des écoles
primaires et secondaires pour toutes les opinions ? Croyez-vous qu’on voulût
organiser l’instruction nationale sur le même pied ; qu’on demandât qu’on
établît, en concurrence de ces institutions, datant de si loin, des écoles
primaires et secondaires ? Non, messieurs. Croyez-vous qu’on eût le désir
d’organiser définitivement même les universités ? Encore une fois, non : on ne
voulait qu’un jury d’examen, parce que c’était la seule chose qui manquât à
cette antique organisation de l’instruction du parti qui se croit le plus fort
en Belgique.
Voilà, messieurs, le texte du rapport de M. Dechamps ;
je n’ai pas besoin de tirer des conséquences, de faire des insinuations, ni de
supposer des arrière-pensées. Non, messieurs ; voici le complément de la pensée
du parti : d’un côté, on s’est vanté que depuis Charlemagne on a toujours été
en possession de l’instruction publique, et de l’autre, on s’est refusé
jusqu’ici à l’organisation de l’instruction primaire et moyenne nationale. Je
n’insinue rien. Je cite les faits.
Enfin, on disait encore dans ce rapport (ceci est très
significatif) que le gouvernement était essentiellement athée ; que le
gouvernement ne pouvait, par conséquent, s’immiscer dans l’instruction ; que si
la constitution semblait avoir posé une dérogation à ce principe, c’était pour
le cas seulement où il ne serait pas suffisamment pourvu à l’instruction par
les particuliers ou les associations.
Eh bien, messieurs, l’on vous dira un jour que
puisqu’il est suffisamment pourvu à l’instruction supérieure par l’association
qui a créé l’université de Louvain et celle de Bruxelles, il est inutile de
dépenser des sommes considérables pour ce qu’on appelle hypocritement
l’instruction supérieure nationale, et qu’on appellera alors gouvernementale ou
athée ; et l’on refusera alors d’allouer au budget les sommes nécessaires à cet
enseignement national.
Et ne croyez pas, messieurs, que ce soit là une
insinuation. Un de nos honorables collègues, à la franchise et à la loyauté
duquel je rends ici hommage, vous a dit en toutes lettres qu’il ne voulait deux
universités que parce qu’il n’en voulait pas du tout ; et ce qui a été dit
publiquement par cet honorable membre, dont je ne puis assez louer la loyauté,
a été répété plus d’une fois et pas plus d’un membre du même parti, en dehors
de cette enceinte.
Quelle conséquence tirer de cet aveu sincère et loyal
d’un homme que j’estime, quoiqu’il appartienne au même parti que M. Dechamps ; c’est que ce parti ne voulait
pas des universités de l’Etat. Si le parti n’en a détruit qu’une, c’est qu’il
voulait s’établir sur les ruines de l’université de Louvain ; là se trouvaient
de beaux établissements bien dotés ; là on espérait de réunir toutes les
anciennes bourses, et rassembler tous les moyens propres à faire prospérer
l’université envahissante, au détriment de celles de l’Etat, et plus tard de
l’université de Bruxelles.
Quant à l’université libre de Bruxelles, on a besoin
qu’elle existe, jusqu’à ce que les autres soient détruites, mais le jour où les
deux universités de l’Etat seront tombés, le parti n’aura plus besoin de
s’appuyer de l’université libérale pour prouver qu’il est suffisamment pourvu à
l’instruction par des associations alors aussi l’université de Louvain sera
assez richement dotée pour donner l’instruction gratuitement ; et l’université
de Bruxelles disparaîtra, comme les universités du gouvernement, pour faire
place au plus ignoble monopole.
Encore une fois, ce ne sont pas des insinuations, ce
sont des faits, des conséquences rigoureuses que j’en tire et que ne peut contester.
Et puisqu’on m’a provoqué, l’on m’entendra jusqu’au bout.
Si vous êtes amis de l’instruction libre, comme vous
vous en vantez sans cesse, dirai-je à mes adversaires, eh bien, souffrez la
concurrence pour les écoles primaires et secondaires ; abordez franchement la
loi qui doit organiser ces deux branches de l’enseignement ; dotez chaque
commune de l’instruction nécessaire, et ne faites pas un monopole de cette
instruction.
Quand on a demandé
des traitements pour les vicaires, ai-je hésité à dire quel était le sens de
l’article 117 de la constitution ? Ai-je hésite à soutenir que les vicaires
devaient être payés par l’Etat ? J’ai dit cependant aussi que j’entrevoyais
dans ce traitement un moyen pour le parti d’avoir un instituteur primaire dans
chaque commune, et que dès lors il ne voudrait plus établir aux frais de l’Etat
une instruction primaire nationale ; ai-je reculé devant les conséquences de
mon vote constitutionnel ? Non, messieurs, parce que je me suis senti la force
de combattre tous les genres de monopoles.
Quant à l’instruction secondaire, il suffit de
parcourir les villes de la Belgique, pour voir les établissements qui se
forment sous le patronage du parti et à l’ombre d’une protection puissante, et
les efforts qu’on fait pour détruire les établissements municipaux et
particuliers.
En un mot, je suis de l’avis de mon honorable ami
Seron ; je le dis à regret, mais c’est aujourd’hui un devoir : on veut faire de
la Belgique une vaste capucinière. (On
rit.) Mais on oublie que depuis 40 ans, il s’est écoulé plusieurs siècles,
et à l’heure où le peuple sera convaincu de cette intention, il saura recourir
au seul remède ; il ressaisira ses droits dont on aura abusé.
M. de Brouckere. - Quand j’ai entendu les honorables (erratum inséré au Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1837 :
) MM. Dumortier et Devaux demander la parole pour répondre à l’orateur qui
avait parlé avant eux, je me figurais que s’il se glissait dans leurs discours
quelques personnalités, elles concerneraient uniquement celui auquel ces
messieurs répondaient. Point du tout. Non seulement ils ont attaqué ceux qui
professent telle opinion, mais ils ont été jusqu’à s’en prendre à des bancs ;
on a mis les bancs en cause. Si on s’était borné à attaquer des partis ou des
opinions, j’aurais pu me taire. Mais je dois m’asseoir sur un banc, et le mien
est un de ceux qui ont été l’objet de l’accusation de ces messieurs. Je vais
donc leur répondre en ce qui concerne l’objet de ces accusations. On prétend
que ceux qui s’assoient sur mon banc, quand il s’agit de liberté de la presse
ou de la liberté des théâtres, nous défendons ces libertés de tous nos moyens,
mais que du moment où l’enseignement est en jeu, nous devenons inconséquents,
nous changeons de langage, nous ne voulons plus de liberté.
Je voudrais bien que ceux qui formulent de semblables
accusations se donnassent la peine de les justifier. Quant à moi, pour ce qui
me concerne je leur en donne le défi. Oui, j’ai défendu la liberté de la presse
toutes les fois qu’elle s’est trouvée en jeu ; quant à la liberté des théâtres
j’étais malade au moment de la discussion ; mais si j’avais été ici, je le dis
avec franchise, j’aurais défendu la liberté des théâtres. Mais quand donc me
suis-je montrer contraire à la liberté de l’enseignement ? Quand ai-je essayé
d’y porter atteinte ? Je déclare que je respecte la liberté d’enseignement, et
que si on voulait y porter atteinte, je m’y opposerais de tout mon pouvoir.
Cependant, me dit-on, vous ne voulez pas de presse
gouvernementale ; comment pouvez-vous admettre l’enseignement dirigé par le
gouvernement ? C’est parce que je veux la constitution tout entière. Et je ne
sais pas si tout le monde est du même avis que moi.
L’article 18 porte : « La presse est libre ; la
censure ne pourra jamais être rétablie ; etc. »
Est-ce que, comme corrélatif, il y a une autre
disposition qui dit : Il y a une presse salariée par le gouvernement ?
Cependant, quoiqu’on ait dit que nous nous étions opposés à la création du Moniteur, je déclare que je serais très
fâché s’il n’existait pas : l’honorable membre aura de la peine à me prouver
que je me suis montré l’ennemi du Moniteur ; il faudrait être singulièrement
susceptible !
Ainsi, la presse est libre dans le sens le plus
absolu, et nulle part il n’est dit qu’il y aura une presse gouvernementale.
Venons maintenant à l’enseignement.
« L’enseignement est libre, dit l’article 117 de
la constitution ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des
délits n’est réglée que par la loi. »
Mais s’arrête-t-on là ? Lisez le paragraphe suivant,
que semblent ignorer certaines personnes, et que je vais lire pour qu’elles ne
le perdent pas de vue :
« L’instruction publique donnée aux frais de
l’Etat est également réglée par la loi. »
Ainsi donc la constitution veut qu’il y ait une
instruction publique donnée aux frais de l’Etat.
Maintenant, savez-vous la
différence qu’il y a entre nous et nos adversaires ? C’est que nous voulons que
cet enseignement soit bon et fort, et qu’il puisse lutter avec l’enseignement
libre, car nous aimons cette concurrence, cette émulation. Quant aux personnes
auxquels je réponds, elles n’en veulent pas ; ce n’est pas une supposition que
je fais, j’ai tenu note des paroles prononcées par l’un de ces orateurs ; il a
dit : « Je veux que l’influence du gouvernement dans l’instruction
publique, se fasse sentir le moins possible ; » or, le moins possible,
c’est pas du tout !
C’est-à-dire que tandis que nous, nous voulons
l’enseignement libre, dans toute la force du terme, mais conformément à la
constitution, avec une instruction publique aux frais de l’Etat, bien
organisée, qui puisse lutter avec les établissements particuliers, certains de
nos honorables contradicteurs cherchent à ruiner l’instruction publique aux
frais de l’Etat, et à l’amener aussi bas que possible pour arriver à rien du
tout.
Je laisse à la chambre et au pays à juger qui veut la
constitution de nous ou de nos adversaires.
(Moniteur belge
n°330, du 26 novembre 1837) M. Dechamps. - Je suis fâché de devoir rentrer dans
cette discussion. Mais veuillez remarquer que, messieurs, que je ne fais que me
défendre, car l’attaque n’est pas venue de notre côté.
M. Gendebien.
- Je ne parlerai pas de côtés. Vous avez attaqué nos bancs, c’est pour cela que
j’ai pris la parole.
M. Dechamps.
- Je ferai observer à M. Gendebien que je parlerai comme je voudrai.
M. Gendebien.
- Ne parlez pas de parti.
M. Dechamps.
- Je répondrai à l’honorable membre que le mot côté est une expression admise
dans les usages parlementaires ; je n’ai eu aucune intention malveillante.
Je répondrai avec toute la franchise qu’il a
l’habitude de mettre lui-même dans ses paroles, aux arguments qu’il a tirés de
mon rapport qu’il a cité. D’abord quand j’ai parlé de l’état de l’enseignement
du temps de Charlemagne, j’ai voulu seulement démontrer qu’avant 89, que sous
le régime même du pouvoir absolu, le gouvernement n’avait jamais cru devoir
s’arroger le droit de diriger l’enseignement, et avait laissé cette faculté à
l’action individuelle. Je voulais conclure que, sous le régime de la liberté,
le gouvernement avait beaucoup moins le droit de s’emparer de cette direction.
Messieurs, je le dirai franchement, s’il avait dépendu
de moi d’organiser l’enseignement universitaire, comme je le désirais, je
n’aurais pas voulu qu’il y eût d’université de l’Etat ; j’aurais voulu qu’il
n’y eût que des universités indépendantes du pouvoir sous le rapport de la
science, comme cela existe en Angleterre et aux Etats-Unis ; je les aurais fait
rétribuer par le gouvernement, parce que son devoir est d’aider pécuniairement
tous les établissements utiles. Ce système est aussi libéral que celui de M.
Gendebien.
Je pense que, puisqu’il y
avait deux universités organisées d’après les idées qui divisent la nation, il
eût été beaucoup plus libéral que le gouvernement n’en fondît pas pour son
compte, qu’il se bornât à les aider comme il doit aider tout établissement qui
peut contribuer au bonheur public. Mais M. Gendebien s’est constamment placé à
côté de la question. J’ai dit que je ne pouvais concevoir que celui qui
soutient qu’à l’égard de la liberté de la presse et des théâtres, le
gouvernement doit observer une neutralité complète, admette ensuite, quand il
s’agit de la liberté d’enseignement, que le gouvernement établisse une vaste
centralisation. Je ne comprends pas qu’un membre qui refuse au gouvernement la
nomination d’un garde champêtre, dans la crainte de lui donner trop
d’influence, consente à lui confier l’instruction publique, lui concédant ainsi
une influence telle qu’il pourrait façonner, suivant son bon plaisir, les
générations naissantes, et faire de l’avenir du pays tout ce qu’il voudrait,
puisqu’il l’aurait entre ses mains. Je comprendrais que l’opinion d’une vaste
instruction gouvernementale fût émise par ceux qu’on nomme des doctrinaires, et
qui ne font pas mystère de leur propension vers la centralisation gouvernementale.
Mais il y a contradiction flagrante à vouloir une liberté très large en toutes
choses, excepté dans l’enseignement.
Je ne veux pas perpétuer cette discussion que je
regrette profondément d’avoir vu soulever ; je n’y rentrerai plus.
(Moniteur belge
n°329, du 25 novembre 1837) M. Gendebien. - Je ferai remarquer que lorsqu’il
s’agit du jury d’examen, j’ai déclaré que je préférerai qu’il n’y eût pas
d’université de l’Etat que d’en avoir deux ; je crois avoir été aussi libéral
que le préopinant, en proposant de laisser tout à la concurrence. J’étais
convaincu que si on créait deux universités, il n’y aurait pas de concurrence
et nos adversaires ne veulent pas de concurrence ; mais n’osant pas le dire,
ils ont voulu établir un simulacre de concurrence dont je voulais éviter
l’essai apparent, pour économiser quelques millions.
Quant à ce membre qu’on désigne comme s’étant opposé à
la censure des représentations théâtrales et à la nomination d’un garde
champêtre par le gouvernement alors qu’il veut la centralisation de
l’enseignement dans les mains du gouvernement, ce ne peut pas être M.
Verhaegen, car il ne faisait pas partie de la chambre lorsqu’on a discuté ces
divers points. Serait-ce un de ceux qui ont répondu à M. Dechamps ? Qu’il
s’explique. Pour ce qui me concerne, je me borne à dire qu’il a tort ; si c’est
au banc qu’il s’est adressé, que le banc réponde. Je ne suis pas solidaire du
banc.
En matière d’instruction, je
crois m’être montré aussi libéral que qui que ce soit. Je voudrais qu’on dît à
quelle époque j’ai voulu centraliser l’enseignement dans les mains du
gouvernement ; quand et comment j’ai nié la libre concurrence et contesté une
des libertés consacrées par la constitution.
Du reste je crois avoir prouvé dans cette discussion
même, et hier encore, qu’en matière d’instruction personne n’est plus libéral
que moi ; car j’ai dit que je rejetterais les projets du gouvernement et de la
section centrale, parce que je ne les trouve pas assez étendus, assez complets
; parce qu’ils ne donnent pas une instruction primaire pour le soldat et le
sous-officier, et parce qu’ils ne s’appliquent pas aux sommités militaires.
J’aurais bien d’autres choses encore à répondre. Mais
je crois que la chambre a besoin de se calmer. J’en resterai là pour lui éviter
une plus grande perte de temps.
Plusieurs membres.
- La clôture !
M. Dubus (aîné). - Je suis assis sur un des bancs auxquels s’est adressée l’interpellation
du député de Bruxelles, M. Verhaegen qui a provoqué cette malheureuse
discussion. En conséquence, j’ai le droit d’ajouter quelques observations à
celles faites par mes honorables amis. (Parlez
! parlez !)
Je ne m’attendais véritablement pas, d’après le
discours que M. Verhaegen avait prononcé dans la discussion générale, qu’il
considérerait l’université de Bruxelles comme se trouvant ici en cause, comme
ayant reçu un coup par le vote d’hier ; car il a dit formellement que c’était
un coup pour les trois universités. Je m’y attendais d’autant moins que j’avais
remarqué dans le discours dont je viens de parler, qu’après avoir dit que
l’intérêt des universités de l’Etat, mis en avant par les adversaires du projet
de loi, ne servait que de prétexte, l’honorable membre ajoutait : « Quant à
l’université de Bruxelles dont je me glorifie d’être l’un des fondateurs, je
déclare qu’elle ne craint pas la concurrence de l’école militaire. »
Ce n’était donc, à entendre l’honorable membre, qu’une
question de rivalité entre l’école militaire d’une part et les universités soit
libres, soit de l’Etat d’autre part ; et aujourd’hui, parce que la chambre a
décidé que l’école militaire serait dans une place de guerre, d’où il résulte
qu’elle ne sera pas à Bruxelles, il trouve que c’est un coup porté à
l’université libre. Il y a là une contradiction manifeste ; ou il y avait
jactance dans le premier discours, ce que je ne veux pas croire, ou il ne peut
dire maintenant que nous avons porté un coup à l’université libre de Bruxelles.
Il faut être d’accord avec soi-même ; il faut surtout s’en faire une loi
lorsqu’on se permet des insinuations pareilles à celles que j’ai entendues
sortir de la bouche d’un député de Bruxelles.
Puisque cet honorable membre ne craint pas pour l’université
libre, ainsi qu’il l’a dit dans son premier discours, la concurrence de l’école
militaire, alors que cette école est à Bruxelles, il ne doit pas la craindre
davantage alors que cette école est dans une place de guerre ; à moins
peut-être qu’il ne la considère comme devant être à Bruxelles un appui pour
l’université libre ; s’il en est ainsi, il faut convenir que jusqu’ici cet
honorable membre avait parfaitement déguisé sa pensée ; mais je crois plutôt
qu’il ne l’entend pas ainsi.
A cette occasion on est entré dans les récriminations
sur les antécédents de différents membres de cette assemblée, sur les votes
précédemment émis par plusieurs de ses membres, notamment lorsqu’il s’est agi
de la loi sur l’enseignement et sur le rapport même qui a été l’expression de
l’opinion de la majorité de la section centrale en 1835.
A entendre certain honorable membre, on ne voulait
qu’une chose en 1835, un jury d’examen ; que c’est par cela que nous avons
mutilé le projet de loi sur l’instruction, et fait voter précipitamment une loi
sur l’enseignement supérieur seulement. A cet égard je recueille mes souvenirs
; je me demande qui a voulu les jurys d’examen, et je trouve que c’est
l’université libre qui les a demandés en premier lieu. C’est, si je ne me
trompe, une pétition partant de ce côté qui a occupé la chambre de cette grave
question au moment où la session allait être close. Ce sont les honorables
membres qui ont fait remarquer l’urgence d’établir les jurys d’examen, qui nous
reprochent aujourd’hui d’avoir demandé, d’avoir insisté pour obtenir de suite
cette grande garantie de la force des études et de la liberté de l’enseignement
: d’un autre côté, on nous reproche d’en vouloir le monopole. Ainsi, c’est nous
qui voulions les jurys d’examen ; c’est nous qui voulions en doter promptement
le pays, et, d’autre part, nous ne voulions faire de l’instruction qu’un
monopole ! Il me suffit de faire ce rapprochement pour faire voir que ces deux
reproches se détruisent mutuellement.
Je ne veux de monopole, ni en matière d’instruction,
ni en matière de presse ; je ne conçois pas comment, à l’instant où l’on nous
reproche de vouloir une concurrence illimitée en matière d’enseignement comme
en matière de presse, sans intervention, ou avec la moindre intervention
possible du gouvernement, on nous suppose en temps des prétentions au monopole.
Celui qui veut la concurrence la plus illimitée possible, en matière
d’enseignement comme en matière de presse, ne veut pas plus le monopole de
l’enseignement que de la presse. Je ne pense pas que personne puisse contester
cette assertion.
Mais si nos adversaires nous disaient : « Nous
nous défions de la majorité de la nation ; c’est par ce motif que nous voulons
l’intervention du gouvernement en matière d’enseignement ; » alors je comprendrais
un pareil raisonnement, je verrais leur but en même temps que leur motif ; mais
alors c’est vous qui voulez le monopole et non ceux qui disent : « Nous
voulons la concurrence la plus illimitée. »
Maintenant voyons si la constitution nous impose, comme
l’a prétendue un orateur, l’obligation de faire intervenir l’Etat en matière
d’instruction plutôt qu’en matière de presse.
Il n’y a pas, dit-on, dans la constitution à l’article
presse : « Il y aura une presse salariée par le gouvernement. » Cela est
vrai ; mais je défie de trouver dans la constitution un article, portant : « Il
y aura un enseignement salarié par le gouvernement. » Ainsi sous ce rapport il
y a parité.
On a voulu tirer du texte de la constitution, qui
donne seulement une garantie contre l’intervention possible du gouvernement
dans l’instruction publique, la preuve de l’obligation d’y faire intervenir le
gouvernement. Voici le texte que l’on a invoqué : « L’instruction publique
donnée aux frais de l’Etat est également réglée par la loi. » Mais,
messieurs, c’est là seulement une garantie ; c’est-à-dire que si l’on veut
faire intervenir l’Etat dans l’instruction publique, il faudra que la loi règle
cette intervention. Il y a loin de là à dire, comme un honorable député de
Bruxelles, que la constitution a rendu, par cet article, obligatoire
l’intervention du gouvernement dans l’instruction publique.
La constitution
exige que l’intervention du gouvernement dans l’instruction soit réglée par une
loi. Pourquoi ? Pour que si les circonstances faisaient sentir l’utilité ou la
nécessité de cette intervention, la législature, après avoir reconnu cette
utilité ou cette nécessité, réglât les conditions et les limites de cette
intervention.
Voilà tout ce qui résulte de l’article de la
constitution. Mes paroles sont là pour prouver que je l’ai toujours entendu
ainsi, notamment lors même que j’émettais l’opinion qu’il devait y avoir des
universités de l’Etat. Je me bornerai à ces observations.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. de Brouckere. - Je ne demande pas la parole pour un fait personnel, mais pour
répondre à l’honorable M. Dubus. Au reste, j’y renonce volontiers si l’on veut
fermer la discussion.
Plusieurs membres.
- La clôture !
M. Verhaegen. - Vous me laisserez dire deux mots sans doute pour
répondre à une accusation dont j’ai été l’objet. On a dit que je n’étais pas
d’accord avec moi-même, que dans mon premier discours il y avait de la jactance
ou bien contradiction dans le second. Je vais relire, messieurs, ce que j’ai
dit tantôt. (Quand on craint d’éveiller des susceptibilités, quoiqu’on ait
l’habitude d’improviser, on écrit et c’est ce que j’ai fait.) J’ai déjà répondu
tout à l’heure à M. Dumortier sur une accusation semblable, je ferai de même à
l’égard de mon honorable collègue M. Dubus. Il a prétendu que j’aurais dit que
l’université libre serait renversée par le monopole. Non, messieurs, je n’ai
pas dit cela. L’université libre existera après toutes les autres ; ce sera la
seule concurrence qu’aura l’université catholique. Dans la phrase que
m’attribue l’honorable M. Dubus, je n’ai pas parlé de l’université libre. Voici
la phrase de mon discours :
« Ce qu’il y a de remarquable dans la discussion
qui s’est soulevée, c’est de voir des députés libéraux combattre le système de
l’article, dans le but d’accorder aux universités de l’Etat un privilège
exclusif nécessaire, d’après eux, à leur prospérité, tandis que d’autres
députés dont les opinions ne sympathisent nullement avec les nôtres, combattent
l’article 2 afin d’attacher l’existence de l’école militaire au sort des deux
universités de l’Etat. »
Plusieurs membres.
- C’est évident.
M. Dumortier.
- Je demande la parole pour un fait personnel.
Comme je tiens à honneur de ne rien attribuer à
personne qu’il n’ait prononcé, je vais citer les paroles de M. Verhaegen comme
je les ai recueillies.
M. Verhaegen. - Mes paroles sont écrites.
M. Dumortier.
- « Une indiscrétion a été commise ; on veut renverser d’un seul coup les trois
universités. »
M. F. de Mérode. - C’est inexact.
M. Verhaegen. - Mais je n’ai pas improvisé ; ma phrase est là dans
ces feuillets.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - La citation est erronée !
M. Gendebien.
- Et moi aussi je dois protester contre les inexactitudes de M. Dubus, contre les
dires erronés qu’il m’a prêtés.
M. Metz. -
Messieurs, je crains de vous paraître trop froid après la discussion brûlante
que nous venons d’entendre. C’est véritablement sur un volcan que nous nous
trouvons. Les opinions ont été touchées au vif ; et vous voyez que chacun s’est
levé pour défendre ses sentiments. Quelques sacrifices que mon amour-propre
doive faire, je me hâte de vous faire descendre de ce terrain, où la guerre
qu’on se livre est une guerre à mort.
Revenons donc à la question qui nous occupe et que
nous avons véritablement oubliée, la question d’opinion ayant tout envahi. Vous
avez voté l’école militaire en principe, il s’agit maintenant de mettre ce
principe en pratique. Tel est le but de l’article 2.
Les objections principales qui ont été élevées contre
l’école militaire se traduisent ainsi : l’école militaire est opposée à la
liberté de l’enseignement ; elle est hostile à la constitution ; elle est un
monopole que l’on veut poser en principe.
Messieurs, la liberté de l’enseignement, qu’il me soit
permis de vous le dire, je n’en suis réellement pas partisan ; et je me hâte
d’ajouter que ce n’est pas par les mêmes motifs que M. Dechamps. Je suis
partisan de la liberté de la presse, mais il n’y a pas la moindre assimilation
à faire entre ces deux principes.
M. A. Rodenbach. - Vous avez juré la constitution ! (Bruit.)
M. Metz. - La
liberté de la presse, c’est la garantie d’un bon gouvernement ; c’est la
sentinelle qui veille aux portes du Louvre.
Par elle vous n’avez rien à craindre ; si elle se
livre à quelques écarts, supportez-les en faveur du bien qu’elle fait. On prend
du poison en médecine. C’est pourtant, mû par les mêmes sentiments, que je me
serais opposé à la liberté de l’enseignement si j’avais été appelé à donner mon
avis sur ce point. La liberté de l’enseignement prend l’enfant au berceau ; la
liberté de la presse ne parle qu’à des hommes, et les hommes savent en faire
justice ; mais l’enfant auquel vous inoculez des opinions comme on inocule la
vaccine, a besoin de protection ; cette protection est dans l’action du
gouvernement.
Voyez ce que fait la liberté de l’enseignement et ce
qu’elle ne fait pas. Quand nous examinons l’enseignement dans l’état où il se
trouve aujourd’hui, abandonné par le gouvernement, nous voyons qu’il languit et
périt partout. C’est le cas de regretter que le gouvernement n’ait pas cru
devoir en faire l’objet d’une loi.
La liberté de l’enseignement nous a dotés de
l’université libre et de l’université catholique, et je regarde ces deux
universités comme un fléau pour le pays. Ce n’est plus aux accents de la
science que ces établissements s’ouvrent : vous avez inscrit sur le frontispice
de chacun son principe. L’université formée aux frais de l’Etat réunissait
toutes les opinions ; aujourd’hui vous avez deux partis dans l’Etat ; quand
l’un grandira, l’autre fera tous ses efforts pour réparer ses pertes. Qu’est-il
advenu de la création des universités libres ?
Il est telle personne qui serait honnie si elle
envoyait son fils à l’université catholique ; il est telle autre personne qui
rougirait, qui serait honteuse d’envoyer son fils à l’université libre.
M. F. de Mérode. - Cela n’a pas rapport à la question.
M. Metz. -
J’explique les raisons pour lesquelles je crois que l’école militaire n’est pas
contraire à la liberté de l’enseignement.
Je le répète, quoiqu’un fondateur de l’université
libre soit à mes côtés, je déclare que cette université et l’université
catholique mises en présence l’une de l’autre sont un fléau.
J’ai dit que l’école militaire n’est pas contraire à
la liberté de l’enseignement ; je dis actuellement qu’elle n’est pas contraire
à la constitution.
Si la liberté de l’enseignement n’est pas contraire à
la constitution, nous ne faisons qu’user de notre droit en établissant une
école militaire. L’école militaire est dans la constitution, puisqu’il y a dans
la constitution ce principe que l’instruction donnée aux frais de l’Etat sera
réglée par une loi. Vous avez déjà réglé par une loi que les officiers seraient
pris dans le sein de l’école militaire, ainsi vous avez déjà créé l’école
militaire en principe ; et il ne s’agit plus que de mettre ce principe en
pratique.
Je ne veux pas m’étendre davantage sur une question si
simple, résolue par la constitution et par la loi.
Est-ce donc un monopole que nous voulons créer, comme
on l’a prétendu ? Singulier monopole ! Non, messieurs, nous voulons simplement
que le gouvernement fasse usage d’un droit qui lui est donné
constitutionnellement ; nous laissons aux universités la médecine, le droit,
les mines, les ponts et chaussées ; nous ne demandons qu’à créer des officiers
; peut-on croire au monopole quand nous avons tout abandonné aux autres !
Nous entendons établir une institution qui réponde aux
besoins de l’armée, et pas davantage.
Quelles sont les objections faites contre l’école
militaire ? On reconnaît l’utilité de cette école ; mais comment peut-elle être
utile ? C’est par l’adjonction de cours généraux aux cours spéciaux, pour
lesquels ils servent de préparation. Je le déclare, messieurs, si l’on enlève à
l’école militaire les cours généraux, je voterai contre le projet de loi, en
réservant au gouvernement le soin d’apporter une autre loi dans un temps plus
opportun. Les cours généraux sont essentiels à l’école militaire ; ils en sont
la vie. Et sans m’appuyer des faits cités par M. Verhaegen, relatifs à la
difficulté de recruter l’école militaire dans les universités, je dirai qu’il
faut aller chercher les exemples dans le sein de ces nations qui, comme le
disait M. Devaux, ont un drapeau plus assuré que le nôtre.
Voyez en France, où l’esprit militaire est dans toute
sa splendeur, voyez si on n’y joint pas les cours généraux aux cours
d’application. Je sais bien que l’école polytechnique est à Paris, et que
l’école d’application est à Metz ; mais ce n’en est pas moins le même système.
Je voudrais que, pour nous, les cours généraux et les cours d’application fussent
réunis, parce que ce serait un perfectionnement.
Je ne m’étonne pas que M. Devaux n’ait pas donné son
assentiment au projet du ministre, puisqu’il avait trois projets tout prêts ;
cependant j’aime à croire qu’il n’a pas attendu jusqu’à ce moment pour
comprendre que ces trois projets sont inexécutables. Mais je m’étonne
d’entendre M. Gendebien, dont je partage ordinairement les opinions, déclarer
qu’il votera contre l’école militaire, parce qu’elle n’est pas assez bonne.
Est-ce qu’on peut faire tout en un jour ? Ne sait-il
donc pas que quand on commence un édifice, on achève d’abord le faîte, pour
travailler ensuite en dedans. Il aurait dû voter contre les universités parce
qu’on ne demandait pas en même temps des écoles primaires !
Une voix. - Il a voté
contre !
M. Metz. - Il faut
commencer l’instruction par les hautes classes parce que ce sont elles qui
dirigent. Le moyen de parvenir à l’instruction des masses, c’est de leur donner
du travail ; l’instruction ne va pas se loger là où la misère a envahi tout le
logis : donnez du travail et de l’aisance au peuple, et vous lui donnerez de
l’instruction.
Maintenant, messieurs, pourquoi ne laisserait-on pas
réunis en une même école militaire les cours spéciaux et les cours généraux ? Vraiment
je l’ignore ; car de toutes les raisons qui ont été alléguées contre cette
réunion, je n’en ai pas vu une seule qui fût plausible.
La concurrence que l’honorable M. Devaux redoute pour
les universités, cette concurrence, comme je l’ai dit tout à l’heure, ne
viendra pas de l’école militaire ; il existe deux autres universités rivales de
celles de l’Etat (et il faut regretter, messieurs, de voir la science rivale
d’elle-même ; c’est là une espèce de parricide que nous ne saurions assez
déplorer) ; c’est de l’université libre et de l’université catholique que vient
la concurrence pour les universités de l’Etat : ce sont ces établissements qui
semblent tout envahir et qui nous forceront peut-être à peupler nos universités
comme Potemkine peuplait les villages qu’il montrait à son souverain.
La concurrence de l’école militaire n’est pas à
craindre pour les universités, car elle est destinée à des individus auxquels
les universités ne sont pas accessibles ; comme l’honorable M. Devaux vous l’a
dit hier, les élèves des universités doivent dépenser 3 à 4 mille francs,
tandis qu’à l’école militaire on est admis pour 800 fr. par an ; les
universités n’ont donc rien à craindre de l’école militaire, mais celle-ci
offre un avantage, qui est conforme aux principes d’égalité invoqués hier par
l’honorable Gendebien, de mettre les études à la portée d’un nombre immense de
personnes qui n’ont pas les moyens pécuniaires de suivre les cours des
universités.
Je ne veux, messieurs, de
l’adjonction à une université, ni des cours généraux, ni des cours spéciaux,
parce que je crois que l’école militaire, pour donner une instruction solide à
ses élèves doit marcher au son du tambour : on a plaisanté hier sur le mot ;
mais, dans toute école militaire bien organisée, l’instruction marche au son du
tambour, elle marche à pas précipités, tandis que dans les universités elle
languit, non pas qu’elle y descende moins puissante de la chaire du professeur,
mais parce qu’elle y est écoutée avec négligence, parce que les élèves,
lorsqu’ils devraient être aux cours, sont souvent partout ailleurs. Dans
l’école militaire, au contraire, les élèves sont constamment tenus à leurs
devoirs : dès 5 heures du matin, le son du tambour les appelle au travail qui
les suit partout pas à pas, à chaque heure de la journée et même pendant la
nuit. Je vous le demande, messieurs, les élèves d’une université pourront-ils
jamais montrer une assiduité semblable à celle qu’on exige des élèves de
l’école militaire. Voilà, messieurs, ce que nous apprend l’expérience ; voilà
ce que nous avons vu à l’école polytechnique, dont les élèves font la gloire de
l’armée française, dont la fréquentation est le premier titre d’admission aux
fonctions partout où l’on sait apprécier le mérite.
C’est pour ces motifs, messieurs, que je crois devoir
persister à appuyer de toutes mes forces le projet du gouvernement.
M. Brabant.
- Je crois, messieurs, que la discussion qui s’est engagée sur la liberté
d’enseignement et sur les universités est très déplacée : il est incontestable
que la constitution autorise l’Etat à donner une instruction à ses frais, et
que cette instruction doit être réglée par la loi. C’est ce qui est aujourd’hui
proposé par le gouvernement relativement à l’école militaire. L’article 2 du projet
qui a été présenté en dernier lieu par M. le ministre de la guerre, cet article
dont il s’agit en ce moment, désigne les objets sur lesquels portera
l’enseignement donné à l’école militaire ; ces matières d’enseignement se
divisent en deux catégories : les matières générales qui peuvent préparer les
élèves à toute espèce de service exigeant une forte instruction, et les
matières spéciales à l’art militaire et à l’art de la navigation.
Il n’y a aucune différence d’opinion quand la partie
spéciale ; vous avez décidé, messieurs, qu’il y aurait une école militaire, et
personne n’a contesté que cette école dût comprendre l’enseignement de tout ce
qui se rapporte à la partie pratique de l’art militaire ; il n’y a dissentiment
que quant aux matières qui sont communes à plusieurs services publics ; ceux
qui ne veulent pas que l’école militaire comprenne l’enseignement général
croient que les universités pourront suffire pour donner à l’école spéciale le
nombre d’élèves dont elle aura besoin pour alimenter les différentes armes. Eh
bien, messieurs, je ne partage pas cette opinion, je ne crois pas que les
universités puissent fournir des élèves propres à l’école militaire, car
l’enseignement universitaire ne peut pas donner cette habitude de la discipline
qui est essentielle à ceux qui se destinent à devenir officiers. L’enseignement
donné aux universités n’a pas cette continuité et cette spécialité qui est
nécessaire pour faire de bons militaires.
Dans une école militaire, les professeurs doivent
l’exemple des vertus particulières aux militaires, comme ils doivent
l’enseignement ; le professeur doit être soumis à la discipline militaire comme
l’élève lui-même. Eh bien, croyez-vous, messieurs, que le professeur de
l’université qui appartiendra comme professeur civil au ministre de
l’intérieur, qui appartiendra comme professeur de l’école militaire au ministre
de la guerre, croyez-vous que ce professeur saura concilier son caractère de
liberté avec une obéissance entière ? C’est parfaitement impossible ; il faut
des hommes qui soient tout d’une pièce.
Un membre. - Vous voulez
l’obéissance passive !
M. Brabant.
- Non, je ne veux pas l’obéissance passive : l’obéissance passive est incompatible
avec l’élévation d’esprit qu’on acquiert par l’étude des hautes sciences ;
l’obéissance d’un militaire doit toujours être subordonnée au devoir ; quand on
lui commande du bon il doit obéir, quand on lui commande du mauvais, quand on
lui commande quelque chose de contraire à sa conscience, il doit refuser
d’obéir ; ceux qui ont de la science sauront toujours discerner ce qui est bon
de ce qui est mauvais.
Les sciences, messieurs, ont une très grande étendue,
les mathématiques surtout. Le professeur qui veut former des savants, ne les
forme habituellement que pour l’enseignement lui-même. Quant à moi, lorsque
j’étais à l’université, je n’ai jamais vu à la faculté des sciences que des
jeunes gens qui se destinaient à l’enseignement. L’enseignement doit être plus
restreint pour certaines parties lorsqu’il s’agit seulement de préparer les
élèves pour les études spéciales militaires ; beaucoup de choses dans les
sciences sont étrangères à l’art militaire : dès lors on sacrifiera
l’enseignement des élèves civils à l’enseignement des élèves militaires, ou
bien on donnera aux élèves qui se destinent à la carrière des armes tout
l’enseignement qu’on donne aux élèves civils, et alors on leur apprendra une
foule de choses qui leur sont complétement inutiles.
Messieurs, je crois que cette question ne se serait
pas élevée, si la proposition faite par la section centrale, de créer une
véritable école polytechnique, n’avait inspiré des craintes à plusieurs
honorables membres qui ne veulent pas que les universités aillent se fondre
dans l’école militaire. Eh bien, messieurs, il y a un moyen bien simple de
prévenir cette fusion : vous avez institué une école militaire, cette école
vous ne la voulez que pour fournir des officiers à l’armée : eh bien, exigez
que ceux qui entreront à l’école militaire se destinent réellement à la
carrière des armes, faites-les contracter un engagement ; s’ils ont échappé à
la milice ou s’ils n’ont pas encore l’âge requis, rangez-les immédiatement sous
la loi de la milice, comme s’ils étaient tombés au sort. Je vais déposer un
amendement dans ce sens.
A mon avis, messieurs, fractionner l’école militaire,
comme on l’a proposé, ou la réduire aux étroites proportions d’un enseignement
spécial, c’est l’anéantir complétement.
L’honorable M. Verhaegen a proposé un amendement à la
pensée duquel je m’associerai bien volontiers ; cet amendement, outre qu’il
entre largement dans le système de la liberté d’enseignement, permettra de
faire l’expérience de ce que peut produire les universités pour les armes
spéciales dont les besoins seront toujours assez restreints. Si l’expérience
nous apprend que les universités peuvent fournir des élèves assez forts pour
alimenter l’école d’application, alors l’inutilité d’une école préparatoire
étant reconnue, je crois qu’on pourra très facilement et unaniment la
supprimer. Toutefois, messieurs, je crains bien que cette époque ne se présente
jamais.
Messieurs, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le
dire, nous avons un établissement que l’expérience de trois années a fait
reconnaître comme excellent.
Nous avons des besoins
nombreux dans notre armée, auxquels nous avons la certitude que cet
établissement fournira. Je n’entends pas détruire ; ce serait détruire
l’établissement que de le fractionner, que de nous fier à une possibilité que
je regarde moi comme chimérique.
Voici l’amendement que j’ai rédigé de concert avec
l’honorable M. Mast de Vries :
« A l’entrée à l’école, les élèves contractent
l’engagement de servir pendant 6 ans ; s’ils font partie de la milice, ils entrent
en déduction du contingent pour la classe à laquelle ils appartiennent. »
- L’amendement est appuyé.
M. de Langhe.
- Messieurs, je demande la permission de présenter un amendement, non pas sur
le principe de l’article, mais sur un de ses détails. Je demande que le cours
de langue flamande qui se trouve relégué dans la nomenclature des branches
facultatives soit rangé dans la première catégorie, dans celle des cours
obligatoires.
Messieurs, j’ai peu de mots à
dire pour appuyer mon amendement. La langue flamande est parlée par les deux
tiers au moins de la nation. Je sais bien que dans les provinces flamandes les
personnes qui ont reçu une instruction plus ou moins étendue parlent le
français ; mais la grande masse ne le comprend même pas. Je crois donc
nécessaire que les officiers qui sortiront de l’école militaire sachent le
flamand, pour pouvoir parler à leurs subordonnés dont la plus grande partie ne
parle et ne comprend que le flamand. En outre les officiers du génie dans les
travaux qu’ils feront exécuter auront à employer des ouvriers flamands ; il est
donc nécessaire que ces officiers parlent le flamand.
- L’amendement de M. de Langhe est appuyé.
M. F. de Mérode. - Messieurs, j’appuie l’observation de M. de Langhe relative à la
nécessité de l’étude de la langue flamande dans l’école militaire, parce que la
moitié des soldats belges ne comprend que cette langue, et que les officiers
doivent la connaître assez pour communiquer sans interprète avec leurs
subordonnés. II n’est pas nécessaire qu’ils la possèdent aussi parfaitement que
le français ; mais il faut du moins qu’ils la comprennent et la parlent
suffisamment. Quant à l’amendement de M. Brabant, je demanderai qu’il soit
modifié en ce sens que l’engagement ne soit obligatoire qu’après un an passé à
l’école militaire.
C’est une dure épreuve, dirai-je ensuite, pour une
école de cette nature, que l’épreuve qu’elle doit subir en passant au creuset
d’une assemblée délibérante où l’armée a bien peu d’organes. Le commerce,
l’industrie, l’agriculture, les intérêts locaux ont ici des représentants
multiplies et capables. Combien d’officiers avons-nous sur nos bancs ?
« Il en est jusqu’à trois que l’on pourrait
citer. » (On rit.)
Et que faut-il conclure d’une
observation vraie sans qu’elle s’adresse comme un reproche à la chambre qui
m’écoute ? C’est qu’il faut, dans la discussion du projet qui vous est soumis,
résister aux idées, aux combinaisons, aux inspirations particulières et
diverses qui frappent nos esprits, Une seule intelligence douée de facultés
heureuses à l’égard de l’objet qu’elle a cultivé avec toute l’attention dont
elle est capable, peut organiser une excellente école d’officiers.
En se refusant à suivre l’expérience des hommes spéciaux
et au fait de la matière ; en s’abandonnant aux notions que chacun dans cette
enceinte croirait posséder, notions incomplètes nécessairement malgré tous les
débats contradictoire, la chambre pourrait ruiner les plus belles espérances ;
tandis qu’en suivant une voie connue, les précédents garantissent le succès de
l’avenir ; or, ces précédents ne sont pas conformes à tous ces amendements et
systèmes qu’on nous propose d’adopter : amendements et systèmes qui renversent
plus ou moins le projet soutenu par M. le ministre de la guerre, ou pour
m’exprimer plus justement, tendent à empêcher la continuation de ce qui existe
et à nous relancer dans des essais.
M. Dumortier. - Messieurs,
l’amendement que viennent de déposer MM. Mast de Vries et Brabant me paraît de
nature à modifier beaucoup l’opposition que j’étais dans l’intention de faire
au projet du gouvernement, l’opposition que j’aurais dû faire à ce projet était
uniquement motivée sur cette considération : que je ne voulais pas que l’école
militaire nuisît à nos universités. Comme l’Etat accorde à l’école militaire
des privilèges considérables, il allait sans dire qu’on n’aurait pu admettre la
création d’une école préparatoire, si l’on n’avait eu une garantie que l’école
militaire n’absorberait pas les facultés des sciences de nos universités ; mais
avec l’amendement de M. Brabant, la question se simplifie, et ne devient plus
qu’une question d’argent.
Je désire savoir si le gouvernement se rallie à cet
amendement.
M. le ministre de la guerre (M.
Willmar). - Messieurs,
l’amendement de M. Brabant convertit en quelque sorte en obligation un fait que
je pose comme réel, c’est-à-dire que l’école militaire est le commencement de
la carrière militaire.
Je n’ai donc pas de motif pour m’opposer à cet
amendement. Toutefois, je dois faire remarquer que je regarde le
sous-amendement de M. de Mérode comme nécessaire. Il est besoin de six mois ou
d’une année d’étude pour connaître si un jeune homme qui entre à 16 ans à
l’école militaire, a réellement des dispositions naturelles, pour qu’il puisse
suivre les cours avec fruit. Je pense aussi que l’amendement est dans l’intérêt
de l’institution elle-même ; car si les jeunes gens devaient, dès leur entrée à
l’école, prendre un engagement, cette obligation pourrait détourner un nombre,
plus ou moins grand, d’entrer à l’établissement. Si donc on adopte le
sous-amendement de M. de Mérode, je n’ai plus aucune objection à faire contre
l’amendement de M. Brabant.
M. Brabant. - Messieurs, mon amendement a
d’abord pour but de lever les scrupules de quelques-uns de nos honorables
collègues, qui ne voulaient pas que les facultés des sciences des universités
fussent absorbées par l’école militaire.
Un second motif que je n’avais pas indiqué, c’est que
pour participer aux avantages de l’état militaire, je crois qu’il est juste
qu’on acquière toutes les choses, qu’on commence par être soldat, qu’on se
soumette enfin à la loi commune.
Un troisième motif, c’était d’éloigner de l’école un
grand nombre de jeunes gens qui s’y présenteraient, parce qu’un hasard les
secondera, qui gênait la marche des études dans l’école et qu’on est
quelquefois dans la nécessité de renvoyer au bout de six mois.
Je ne m’opposerai cependant pas à l’espèce d’épreuve
préparatoire que M. de Mérode veut introduire par son amendement.
M. Devaux. - Messieurs, je n’ai pas encore pris la parole,
parce que pendant deux heures et demie on a discuté d’une manière rétrospective en quelque sorte ; je ne sais
pas même sur quoi l’on discute. Il y a quatre objets en discussion, l’article
2, l’amendement de M. Brabant, l’amendement que j’ai déposé, et enfin la
question de savoir si l’école militaire renfermera des cours généraux, et en
cas d’affirmative, si ces cours seront obligatoires. Cette complication rend la
discussion difficile, et je ne sais pas si l’on ne ferait pas bien de
s’entendre sur ce qu’on discute en ce moment.
Quant à moi, j’aurais plusieurs observations à faire,
mais je ne sais comment les placer dans la discussion ; car je ne sais sur quel
point elle porte. Qu’on précise d’abord la discussion, je demanderai alors la
parole.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il ne me semble pas que la discussion présente
tant d’incertitude qu’on le pense : l’article 2 est fort clair, il établit
l’ensemble des cours qui seraient donnés à l’école militaire.
M. Devaux.
- Je demande si mon amendement est en discussion oui ou non.
M. Dubus (aîné). - Il est manifeste que l’énumération implique
l’adoption des cours généraux et spéciaux ; l’amendement de M. Devaux étant
relatif à ces cours, il doit être mis d’abord en discussion. Ce n’est que par
voie de conséquence qu’on peut se prononcer sur l’amendement du ministre de la
guerre ; décidez s’il y aura des cours généraux et à quelles conditions. Ce
n’est qu’après que vous pourrez adopter le texte de l’article 2 nouveau.
M. Devaux.
- La première question à résoudre est celle de savoir s’il y aura des cours
généraux. Qu’on la décide ; mon amendement viendra après.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’amendement de M. Brabant devrait, selon moi,
obtenir la priorité, car il est bien clair, d’après tout ce qui s’est passé
dans le cours de la discussion, qu’il est de nature à donner apaisement à bien
des opinions. En effet, si on peut avoir la certitude que l’école militaire ne
servira que pour le service militaire, personne ne devra plus craindre de
l’organiser fortement et d’une manière complète, comme le gouvernement le
propose ; or, l’amendement de M. Brabant présente cette garantie, et je ne doute
pas que si M. Devaux consentait à ce que la chambre se prononçât d’abord sur
cet amendement, on arriverait facilement à une conclusion sur le tout, tandis
que si la discussion s’engage d’abord sur les matières de l’enseignement, sur
la question de savoir s’il y aura une école préparatoire jointe à l’école
d’application, beaucoup de membres devront s’abstenir, parce qu’ils ne voudront
de cours préparatoires à l’école militaire que dans le cas seulement où
l’amendement de M. Brabant serait adopté.
Je demande donc la priorité en faveur de la
proposition de cet honorable membre.
M. le président. - Avec le sous-amendement de M. de Mérode, la
proposition de MM. Brabant et Mast de Vries serait ainsi conçue :
« En entrant dans la deuxième année d’étude, les
élèves contractent l’engagement de servir pendant 6 ans ; s’ils appartiennent à
la milice, ils viendront en déduction du contingent de leur commune. »
M. Mast de Vries. - Les six années commencent au moment de l’engagement.
M. Gendebien. - On veut exclure de l’école militaire les citoyens
qui désirent y entrer, sans se destiner irrévocablement à l’état militaire ;
cependant si je trouve qu’un de mes fils que je destine aux mines, aura à
l’école militaire une meilleure instruction que dans les universités, si j’y
trouve plus de garantie de bonne conduite, de mœurs et d’application, pourquoi
voulez-vous me priver de cet avantage, de ce libre arbitre ? Si j’y trouve
aussi plus d’économie ; s’il est vrai, comme le disait M. Devaux, que la
dépense ne soit que le tiers de ce qu’elle est dans une université, pourquoi
contraindre les pères de famille qui habitent Bruxelles ou les environs, à
envoyer leurs enfants à Liége ou à Gand ? Ceci est contraire à la liberté de
l’enseignement.
La liberté de l’enseignement ne consiste pas seulement
dans la faculté de le donner, mais encore de le puiser où on veut. On ne peut
pas m’empêcher d’envoyer mon fils à l’école militaire de France, si j’y suis
autorisé par le gouvernement français, et l’on ne veut pas que je puisse
l’envoyer à l’école militaire de Belgique. C’est absurde, c’est contraire au
principe de liberté d’enseignement, dont on fait si grand bruit en d’autres
occasions.
Il faut laisser aux pères de famille pleine liberté
pour le choix les moyens d’instruction pour leurs enfants.
M. A. Rodenbach. - Si vous n’adoptez pas l’amendement de M. Brabant,
vous verrez une foule de personnes et des personnes très riches envoyer leurs
enfants à l’école militaire, parce qu’ils trouveront ainsi le moyen de leur
donner une bonne instruction pour 7 ou 800 fr. Les personnes qui ont de la
fortune doivent payer pour donner de l’instruction à leurs enfants ; je ne veux
pas que cette instruction leur soit donnée aux frais du peuple ; c’est ce qui
arriverait si on permettait l’entrée de l’école militaire à ceux qui ne se
destinent pas à cette carrière. Comme je ne veux pas donner les mains à une pareille
spéculation, je voterai pour l’amendement de M. Brabant.
M. Dumortier.
- Quel est le but de l’école militaire ? De former des officiers pour l’armée.
M. Gendebien est dans l’erreur, quand il dit qu’on ne
peut pas l’empêcher d’envoyer son fils à l’école militaire de France. L’article
2 du décret organique porte que les élèves de l’école militaire sont soldats.
Si l’honorable membre y envoyait son fils, il devrait contracter un engagement
; son fils serait soldat ; nous proposons à l’égard de notre école militaire
une disposition semblable.
Quant à la liberté
d’enseignement il faut remarquer que les établissements de liberté sont ceux où
on peut aller sans avoir passé dans une institution spéciale. S’il était
possible de détourner les fonds destinés à former des officiers pour donner
l’instruction à ceux qui ne veulent pas suivie la carrière militaire, vous
nuiriez à nos universités. Si quelqu’un veut donner soi-même 1’instruction à
son fils, qu’il la donne ; mais ne sacrifions pas nos facultés des sciences au
profit d’une université militaire, où on n’enseignera qu’une seule partie des
science à fond, la géométrie descriptive, mais où les hautes mathématiques ne
seront jamais approfondies, non plus que les sciences naturelles, la chimie et
la physique qui ne le seront que dans les universités.
Vous voyez que nous ne pouvons pas sacrifier les
universités à l’école militaire.
M. Brabant. - M. Gendebien voudra croire que je n’ai pas voulu
porter atteinte à la liberté d’enseignement. Je voudrais que tout le monde pût
profiler des moyens d’instruction créés par la loi et payés par la nation. Mais
l’école militaire est dans un cas particulier, l’élève qui en sort est sûr
d’obtenir une place d’officier. C’est ainsi que la loi sur l’avancement a
établi que pour parvenir au grade d’officier, il faut qu’on soit militaire. Je
ne veux pas laisser l’alternative de prendre le bon et d’abandonner la charge.
M. Gendebien.
- Je demande la parole pour faire une simple réflexion. Quelle vocation peut
avoir un enfant de 16 ans ? Pourquoi ne voulez-vous pas, quand il arrive à
l’âge de 18 ou de 20 ans, le laisser maître de suivre ou de ne pas suivre la
carrière militaire ? Vous en ferez donc un officier malgré lui ; vous aurez
beau le soumettre à une discipline bien rigoureuse, vous n’y parviendrez pas.
Qu’on y façonne le milicien qui ne s’en soucie pas, je le conçois, la loi, la
constitution lui imposent le devoir de s’y soumettre ; mais faire un officier
malgré lui, c’est impossible. On vous a cité le règlement de l’école militaire
de France, où les jeunes gens sont soldats.
Mais jamais en France on n’a forcé un élève de l’école
militaire à être officier malgré lui, il a la liberté de quitter l’école quand
cela lui convient. D’ailleurs, il suffit qu’on soit officier pour pouvoir
donner sa démission. Ainsi, je suppose que vous adoptiez l’amendement de MM.
Brabant et Mast de Vries, un jeune homme prendra un engagement de 6 années ;
mais si, quand il est devenu officier, il donne sa démission, comment
l’empêcherez-vous de quitter le service ? Refuserez-vous sa démission, ce qui
ne se fait jamais en temps de paix et très rarement en temps de guerre. Dès
lors ce sera la chose du monde la plus facile d’éluder votre loi. Le
législateur ne doit jamais porter de disposition facile à éluder et sans aucune
sanction.
Si un père de famille veut faire donner à son fils
l’éducation de l’école militaire, sans le destiner à l’état militaire, je
persiste à soutenir que c’est porter atteinte à la liberté de l’enseignement ;
c’est restreindre son choix, c’est le priver de la jouissance d’un
établissement à la dépense duquel il concourt par ses contributions.
On a parlé de spéculation scandaleuse aux dépens des
deniers de la nation ; on ne veut pas, dit-on, de pareilles spéculations. Mais
s’il y a là spéculation, c’est au profit du gouvernement et du pays qu’elle est
fort bonne.
Les dépenses de l’état-major,
les frais généraux de l’établissement seront les mêmes qu’il y ait 10 élèves de
plus ou de moins ; et ces 10 élèves qui ne se destineraient pas à la carrière
militaire verseraient annuellement 8,000 fr., sans augmentation de dépenses ;
ce serait donc 8,000 fr. de gagnés pour le trésor, moins le prix de la
nourriture qui entre pour peu de chose dans les frais de l’établissement.
Comme l’a fait remarquer l’honorable M. Verhaegen,
pour évaluer la dépense de l’école, il faut avoir égard au nombre des élèves ;
il faut déduire des dépenses de l’école le prix de la pension. Or, si vous avez
100 élèves au lieu de 50, la dépense à porter au budget sera la même, et la
rétribution des élèves produisant une somme double, il en résultera une
économie de 50 p. c.
Vous voyez donc que toutes ces objections sont
frivoles.
M. Devaux.
- Je ne fais pas opposition à l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries,
mais je crois qu’il doit être examiné ; il a été présenté tout à l’heure, et on
pourrait l’adopter sans en connaître la portée. Je fais d’autant moins opposition
à cet amendement que je crois qu’il peut se concilier avec le mien ; mais je ne
crois pas qu’il ait la portée que suppose M. Brabant.
Vous faites prendre un
engagement à un élève entré à l’école militaire depuis un an. Cet élève est
nommé sous-lieutenant, et donne, je suppose, sa démission. Alors de deux
choses, ou il se retirera sans autre charge ; ou il deviendra soldat ;
c’est-à-dire qu’il aura un remplaçant ; c’est-à-dire enfin qu’il payera mille
francs au lieu de 800 francs par an. Voilà dans l’opinion de M. Brabant toute
la portée de son amendement, auquel d’ailleurs je ne vois pas grand
inconvénient.
Mais je ne vois pas la possibilité de concilier
l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries avec celui de M. Verhaegen. Vous
faites prendre un engagement aux élèves de l’école militaire ; et à côté de
cela il y aurait les facultés des universités de l’Etat ou des établissements
libres où vous ne ferez pas prendre d’engagement. Comment concilier ces deux
dispositions. Evidemment il y aurait inégalité en faveur des écoles
préparatoires.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je crois que l’honorable préopinant donne à
l’amendement de l’honorable M. Verhaegen une importance qu’il ne possède pas
réellement. J’ai combattu cet amendement et je m’opposerai de tous mes moyens à
son adoption. Je ne pense pas qu’il doive faire ajourner le vote sur
l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries, qui me paraît de nature à lever
beaucoup de difficultés, à faire cesser beaucoup de préventions.
- La séance est levée à 4 heures et 1/2.