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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 21 octobre
1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative au tarif des douanes (Brabant)
2) Fixation de l’ordre du jour. Mode d’examen du
budget de l’Etat (Verhaegen, d’Huart,
Verhaegen, Dumortier, de Theux, Dumortier, d’Huart, Gendebien, d’Huart, Raikem, Dumortier, Metz, Ernst,
Raikem, Verhaegen, Ernst, A. Rodenbach, Raikem, Verhaegen)
3) Projet
de loi portant des modifications au tarif des douanes. (Politique commerciale du
gouvernement et négociations commerciales avec la France) Second vote. Bas et
bonneteries (coton, laine ou lin) (Manilius, de Theux, (+droit d’expulsion des étrangers) Dumortier, d’Huart, Dumortier, d’Huart, A. Rodenbach, Doignon, de Theux), arrêté tarifaire d’août 1823 (Trentesaux)
(Moniteur belge n°295, du 22 octobre 1837 et Moniteur belge n°296, du 23
octobre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°295, du 22 octobre 1837)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier
dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. le ministre de la justice (M.
Ernst) transmet des renseignements
relatifs à plusieurs demandes de naturalisation.
« Le sieur F. Fabry, né
en Allemagne, et habitant la Belgique depuis plusieurs années, demande la
naturalisation. »
« Le sieur Petit
(Pierre-Laurent), lieutenant de vaisseau, commandant la canonnière n°3 de la
marine royale, né en France, demande la naturalisation.
- Ces pièces sont renvoyées à
la commission des naturalisations.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) dépose l’avis de la chambre de commerce de Namur sur
le projet de loi tendant à apporter des modifications au tarif des douanes,
avis qui lui est parvenu aujourd’hui.
Sur la proposition de M. Brabant.,
la chambre ordonne l’impression de cette pièce, qui a également été adressée à
la chambre par la chambre de commerce de Namur.
FIXATION DE L’ORDRE DU JOUR
M. Verhaegen (pour une motion d’ordre). Nos sections ont terminé
leur travail, au moins en ce qui concerne leurs dépenses. Nous pensons que
c’est le moment de renouveler une proposition faite à une précédente séance,
tendant à ce que plusieurs sections centrales s’occupent à la fois de
différents budgets. De cette manière, les nouveaux députés auront le temps
d’examiner les rapports à l’avance ; ce qui est nécessaire, car il y aura à
décider des questions très importantes. J’ai donc cru que c’était le moment de renouveler
la proposition qui a été faite. Je la reproduis par forme de motion d’ordre.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - La motion de
l’honorable préopinant a été écartée par la décision que la chambre a prise
dans une précédente séance, décision qui tend à laisser le bureau juge de la
manière dont les budgets doivent être examinés par les sections centrales
présidées soit par M. le président seul, soit par MM. les président et
vice-présidents. Cette décision doit être présente à vos souvenirs ; car elle a
été prise dans une séance récente. Il me paraît donc qu’il n’y a pas lieu de
revenir sur ce point.
Du reste, l’une des sections
centrales, d’après l’information que j’ai reçue, je dirai même à la connaissance
de tout le monde, s’occupe de l’examen du budget de la guerre. Lorsque le
budget de la guerre aura été examiné, lorsque le rapport aura été imprimé et
distribué, la chambre aura de quoi s’occuper pendant un assez grand nombre de
jours. La discussion pourra commencer ; pendant ce temps les sections centrales
pourront examiner les autres budgets. Du reste, le bureau est juge de ce qu’il
convient de faire ; si de cette manière il y a perte de temps, le bureau pourra
répartir le travail autrement. Je pense donc que la motion du préopinant ne
doit pas être adoptée.
M. Verhaegen. - J’ai l’honneur de rappeler que la question n’a pas
été décidée par la chambre ; je pense au contraire qu’elle est restée indécise
; j’en appelle au souvenir de mes collègues. Au total le procès-verbal doit en
faire mention. Quant aux raisons données pour déterminer le rejet de ma motion,
je ne les crois nullement fondées. La section centrale, dit-on, s’occupe de
l’examen du budget de la guerre. Combien de temps durera cet examen ? Nous
l’ignorons. Cela durera peut-être 15 jours ; dans l’intervalle on ne pourra
s’occuper d’autre chose, tandis que si 2 ou 3 sections centrales pouvaient
s’occuper à la fois de différents budgets, on ferait beaucoup de besogne.
D’ailleurs, je ne vois pas
quel inconvénient peut avoir la marche que je propose. Je pense même que le but
que se propose le ministère ne serait pas atteint, si cette marche n’était pas
suivie. Que veut-on ? marcher vite afin d’avoir arrêté les budgets avant la fin
de l’exercice. Or, on n’arrivera pas à ce résultat si on n’adopte pas ma
proposition.
M. Dumortier. - Je viens appuyer la proposition de l’honorable M.
Verhaegen que j’avais eu l’honneur de faire dans une précédente séance, parce
que c’est le seul moyen d’avancer rapidement dans le travail de l’examen des
budgets.
Rappelez-vous ce qui est
arrivé dans les sessions précédentes et cette année même. Au mois de mars, nous
n’avions pas encore les rapports sur tous les budgets. Je prie les nouveaux
membres de se pénétrer de cette vérité ; cependant les budgets avaient été
présentés par le ministère dans les premiers jours de novembre. Ainsi il s’est
écoulé 5 mois entre la présentation des budgets et la remise des derniers
rapports. Si nous suivons le même système nous arriverons au même résultat ;
nous nous trouverons à la fin de l’année sans avoir voté les budgets.
J’ajouterai à ces
considérations l’exemple de ce qui se passe dans notre voisinage. En France,
voici comment on procède : Les bureaux de la chambre (ce qui correspond à nos
sections) nomment les commissions chargées de l’examen des différents budgets.
Toutes ces commissions se réunissent pour délibérer sur l’ensemble de chaque
budget ; elles examinent simultanément et séparément chaque budget ; il en
résulte que le travail présente de l’unité, de l’homogénéité, et qu’il est fait
rapidement. Ce sont des conditions que nous n’avons pas obtenues, et cela
résulte du faux système dans lequel nous sommes entrés depuis plusieurs années.
Chaque section centrale ayant une opinion à part, les budgets ne présentent pas
d’homogénéité.
En outre, il résulte de là un
grave abus : c’est que jamais les recettes ne concordent avec les dépenses dans
les prévisions du budget : abus grave ; car il tend à produire des déficits qui
sont la ruine des Etats.
Pour obvier à cet
inconvénient, il faudrait que toutes les sections centrales, à l’instar de ce
qui se fait en France,, se réunissent pour délibérer ensemble sur chaque
budget. C’est ainsi que l’on aviserait à mettre un terme à l’accroissement
incessant et vraiment effrayant de nos dépenses s’élevant aujourd’hui à cent
millions, au lieu de la somme de 80 millions à laquelle elles s’élevaient
précédemment. Cet objet est d’une très haute importance.
En
second lieu, il est bien clair que si trois sections centrales sont présidées
en même temps par MM. les président et vice-présidents, nous irons trois fois
plus vite que si toutes les sections centrales sont successivement présidées par
M. le président. Je sais le dévouement et le zèle avec lesquels M. le président
se consacre aux travaux de la chambre ; mais il n’en est pas moins vrai que
nous n’y gagnons rien. M. le président se fatigue et s’épuise, et les travaux
vont moins vite, tandis que si chacun des vice-présidents présidaient une
section centrale concurremment avec M. le président, les travaux seraient
allégés, et, je le répète, le travail irait deux fois plus vite. Je ne
comprends pas d’objections à ce système.
La chambre doit se rappeler
que, dans le temps, l’honorable M. de Brouckere avait proposé de charger deux
commissions de l’examen de tous les budgets. Je me suis opposé à l’adoption de
cette proposition ; mais il est certain que la marche que nous avons suivie
depuis lors nous a fait perdre beaucoup de temps. En adoptant la proposition
qui vous est faite aujourd’hui, vous obvierez aux inconvénients signalés par M.
de Brouckere, vous mettrez plus de rapidité dans vos travaux, ce qui est
vraiment nécessaire.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - A entendre les observations qui sont faites
spécialement par l’honorable préopinant, on pourrait croire que les travaux de
la chambre aient été arrêtés par suite des retards de la section centrale. Ce
serait une erreur ; car il est à la connaissance de tout le monde que plusieurs
rapports ont été fournis depuis longtemps par la section centrale sur
différents projets de loi, et que c’est la chambre qui s’est elle-même retardée
en prolongeant ses discussions.
En second lieu, je ferai
remarquer, en ce qui concerne l’examen des budgets, que l’honorable députe de
Tournay est dans l’erreur sur ce qui s’est passé dans la dernière session. II y
a eu des budgets discutés très tard, cela est vrai, mais parce que plusieurs
questions ont été renvoyées à la section centrale, et parce que le ministre de
la guerre a présenté des propositions nouvelles à son budget. Ces circonstances
ne peuvent pas être imputées à tort à la section centrale.
Je crois que la chambre doit
s’en tenir à sa précédente décision qui est conforme au règlement. Le règlement
détermine de quelle manière les projets sont examinés en section centrale,
lorsqu’ils ont été examinés dans les sections. C’est au président de la chambre
qu’appartient la présidence de la section centrale, à moins qu’il ne juge à
propos de la déléguer à l’un de MM. les vice-présidents.
M. Dumortier. – Il est étonnant que le ministre de l’intérieur
vienne accuser la chambre des retards qui ont lieu dans la discussion des
budgets, quand son budget a été voté en deux séances et a été discuté avec la
plus grande rapidité.
Je
le répète, l’année précédente, le dernier rapport sur le budget a été déposé
sur le bureau en mars, cinq mois après la présentation des budgets. D’où cela
vient-il ? C’est que le même membre ne peut présider cinq sections centrales à
la fois ; telle est en effet la cause de tous les retards. Que l’on partage la
besogne, et elle marchera plus vite. Je ne comprends pas à quoi tient
l’insistance du ministère contre une proposition aussi simple, et qu’il devrait
appuyer s’il voulait que l’examen des budgets fût effectué comme il doit
l’être. Le ministre invoque aujourd’hui le règlement, tandis qu’il y a quelques
jours il demandait qu’on passât par-dessus à pieds joints. Mais le règlement
dit simplement que les sections centrales sont présidées par le président, ou
par un vice-président, et ne dit pas que les vice-présidents ne remplacent le
président qu’en cas d’absence de celui-ci ; si le président ne pouvait être
remplacé qu’en cas d’absence, on aurait violé dernièrement le règlement. Quoi
qu’il en soit, vous devez des égards à la chambre ; elle se plaint chaque année
qu’elle n’a pas les budgets à temps pour pouvoir les examiner convenablement ;
eh bien, on vous propose un moyen d’obtenir un prompt examen, adoptez-le.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - La question
qui vous est soumise est celle de savoir si vous voulez modifier le règlement
et adopter une proposition que vous avez formellement repoussée dans une séance
précédente. Voici ce que dit l’article 53 du règlement :
« Lorsque les deux tiers
des sections auront terminé l’examen, les rapporteurs qu’elles auront nommés en
donneront avis au président de la chambre, qui les réunit, sous sa présidence,
en section centrale, après avoir prévenu les sections qui seraient encore en
retard. »
Il ne s’agit pas, comme vous voyez,
de vice-présidents, il s’agit du président. C’est lui qui règle les travaux, et
je pense que l’on a très bien fait de rejeter la proposition que l’on
renouvelle aujourd’hui. Je crois qu’en laissant au bureau la direction des
travaux pour l’examen des objets soumis à la chambre, ces travaux marcheront le
plus rapidement possible. Le bureau est, comme on sait, composé du président,
des deux vice-présidents, et des quatre secrétaires qui tous ont la confiance
de la chambre, et que l’expérience éclaire sur les moyens de voter vite et bien
les rapports. La proposition dont il s’agit a déjà été faite par M. Dumortier
et rejetée, ainsi que je l’ai dit. Lisez le Moniteur
du 12 octobre, compte-rendu de la séance du 10 octobre, et vous y trouverez :
« M. Dumortier - Si la
chambre veut procéder avec célérité, qu’elle divise le travail de l’examen du
budget en trois parties ; vous aurez trois sections centrales, dont l’une sera
présidée par le président de la chambre, et chacune des deux autres par un des
deux vice-présidents. Vous marcherez de cette manière très rapidement, tandis
que si vous procédez comme l’année dernière, il pourra arriver que vous n’ayez
les rapports sur certains budgets qu’au mois de mars ou d’avril prochain.
« Je demande qu’on nomme
trois sections centrales dont chacune sera chargée de l’examen de deux budgets,
et qu’elles soient présidées, l’une par M. le président de la chambre, et
l’autre par chacune des vice-présidents.
« M.
le président - Je concevrais la proposition de M. Dumortier s’il était possible
d’examiner à la fois tous les budgets. Il arrivera probablement que la section
centrale sera saisie de l’examen de plusieurs budgets pour lesquels des
rapporteurs auront été nommés, tandis qu’on s’occupera des autres budgets dans
les sections.
« M. le ministre des
finances - Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, il me semble que le bureau
seul doit régler l’ordre dans lequel l’examen des budgets aura lieu. Nous
devons tous désirer que la besogne soit bien faite, et le but vers lequel nous
tendons tous est la discussion prochaine des budgets. Or, le moyen le plus
simple d’atteindre ce but est d’abandonner cet objet au bureau qui, j’en suis
persuadé, le réglera à la satisfaction générale. (Appuyé !)
« M. le président -
Ainsi, s’il n’y a pas d’opposition, les sections seront convoquées demain pour
l’examen du budget de la dette publique et des dotations ; les présidents des
sections seront invités se réunir au bureau pour régler l’ordre des autres
budgets. »
Voilà la décision qui a été
prise ; si vous voulez l’annuler, à vous permis, sans doute ; vous pouvez même
changer tout le règlement, mais voyez si ce qu’on vous propose est nécessaire ;
quant à moi je ne le pense pas, car j’ai toute confiance dans le bureau de la
chambre.
M. Gendebien. - Il y a quelque chose d’étonnant dans ce débat ;
c’est que le ministère, s’ingérant dans notre ménage, passez-moi cette
expression un peu triviale...
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Nous sommes
députés comme vous !
M. Gendebien. - Vous parlez du banc des ministres, et je prouverai
que le député est en contradiction avec le ministre.
Je dis que nous avons droit de
nous étonner de voir deux ministres se lever contre une proposition aussi
simple. Quand la fin de l’année arrive, quand on est pressé d’avoir les
budgets, et qu’on désire en éluder la discussion, on nous fait remarquer que
rien n’est plus fâcheux que des crédits provisoires, que rien n’est plus
fâcheux que de prolonger les discussions. Cette fois, dès le commencement de la
session, on se hâte de préparer la besogne, afin de pouvoir délibérer sur nos
lois de finances avant le commencement de l’exercice prochain, et ce sont les
ministres qui viennent s’opposer à ce qu’on prenne une marche plus rapide !
Sans contester aux ministres le droit de parler, soit comme ministres, soit
comme députés, au moins j’ai le droit de les mettre en contradiction avec
eux-mêmes/
Nous avons été réunis cinq
semaines plus tôt que dans les autres années : on a fait entendre à tout le
monde, pour justifier cette mesure, que c’était afin d’avoir le temps de
discuter les budgets avant la fin de l’année. Les sections se sont hâtées de nommer
leurs rapporteurs ; aussi, après les deux premiers jours de leurs convocations,
plusieurs sections avaient déjà choisi leurs organes ; et depuis avant-hier on
peut s’occuper de tous les budgets à la fois. On ne peut donc plus renouveler
l’objection qui a été faite alors par M. le président et qui vient d’être
rappelée par M. le ministre des finances, et c’était la principale objection ;
or, que disait le président ? Qu’on ne pouvait pas réunir les sections
centrales déjà nommées aussi longtemps que toutes les sections n’avaient pas
terminé leur travail, parce que celles en retard auraient pu être désorganisées
et auraient pu être dans l’impossibilité d’achever leur travail. Mais cette
objection ne peut plus avoir lieu, puisque tous les rapporteurs, pour former
toutes les sections centrales, sont nommés, et qu’on n’a plus qu’à se réunir en
sections centrales.
On prétend que nous voulons
violer ou modifier le règlement, mais il suffit de lire l’article 53 du
règlement pour voir que la proposition n’y est pas contraire.
Si cet article 53 dit que les
sections centrales sont présidées par le président, il est un autre article qui
dit que les vice-présidents peuvent le remplacer, soit par délégation, soit
parce qu’il est absent.
Il est arrivé fréquemment
qu’un vice-président a remplacé le président dans la section centrale, dans une
section centrale dont j’étais membre ; il s’agissait du budget de l’intérieur,
l’honorable M. Coppieters a présidé la section ; peut-on dire qu’il y ait eu
violation du règlement dans ce cas ?
L’expérience nous a démontré
que nous n’arriverons pas au vote du budget en temps convenables, en suivant la
route ordinaire ; il faut donc suivre une marche plus rapide ; on vous indique
un moyen de hâter les travaux, pourquoi le repousser ? Si un seul homme doit
présider toutes les sections centrales…
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Ce n’est pas
là ce que je propose !
M. Gendebien. - Vous ne pourrez les réunir que les unes après les
autres. Qu’est-il arrivé de ce système dans les années précédentes ? Lorsque
nous avons discuté le budget de l’exercice 1836, par exemple, on n’a pas pu
aborder, dans la section centrale, la question la plus importante que soulevait
le budget de la guerre, celle des lits militaires ; et cela pourquoi, messieurs
? parce qu’après neuf longues séances la section n’a pu achever son travail,
pressée qu’elle était par la chambre et par les ministres.
Qu’arrivera-t-il cette année ?
C’est que dans deux mois, si l’on procède comme l’année dernière, nous n’aurons
pas encore des rapporteurs nommés pour tous les budgets ; ajoutez à cela qu’il
leur faudra un temps moral nécessaire pour faire leurs rapports. Aussi je prie
mes honorables collègues de les faire courts autant que possible, afin de
diminuer le mal.
Pourquoi les ministres
veulent-ils repousser la proposition ? Est-ce parce qu’ils la considèrent comme
pouvant blesser la susceptibilité du président ?
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). – Oui !
M. Gendebien. - Je plaindrais bien fort MM. du bureau si leur
susceptibilité allait jusque-là ; je ne leur ferai pas, moi, l’injure de croire
qu’il en est ainsi ; mais s’il en était ainsi, si, pour satisfaire une
puérilité de cette espèce, il fallait retarder d’importants travaux, je
penserai que nous avons de bien pauvres hommes pour présider l’assemblée. Je le
répète, ce n’est pas moi qui leur fais cette injure, et je suis convaincu que
le bureau agira selon les désirs de la chambre.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Laissez-le
donc faire.
M. Gendebien. - On dit : « Laissez-le donc faire. » Mais,
messieurs, depuis que M. Dumortier a fait sa proposition, les sections
centrales ont chômé, n’ayant ni président, ni vice-président pour les présider,
à l’exception de la section centrale du budget de la guerre, qui a commencé
hier ses travaux. Maintenant, que l’on se montre susceptible ou non, puisque
l’on accuse la chambre d’avoir des prétentions exagérées, je dirai que depuis
la semaine dernière les différentes sections centrales auraient pu s’occuper de
l’examen de tous les budgets, puisque toutes les sections avaient terminé leurs
travaux. Que l’on ne se montre donc pas si susceptible et que chacun agisse
dans l’esprit du mandat qu’il a reçu ; que chacun fasse des efforts pour
arriver une bonne fois au vote des budgets avant le 31 décembre, et surtout à
une discussion générale de tous les budgets. Or cela n’est pas possible, à
moins que tous les rapports ne soient imprimés et distribués en temps utile.
Maintenant, malgré le peu
d’empressement que le bureau a mis à se conformer au désir que la chambre a
manifesté en convoquant les diverses sections centrales, j’aime à croire qu’il
fera son devoir et qu’une décision de la chambre ne sera pas nécessaire ; mais
puisque rien n’a été fait jusqu’à présent, j’applaudis à la proposition de M.
Verhaegen qui aura, je l’espère, pour effet de déterminer le bureau à suivre la
marche nécessaire pour faire marcher la discussion des budgets avec la
promptitude convenable. Dans cet espoir je consens à abandonner la proposition,
mais j’y reviendrai s’il était déçu.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Messieurs, un
point sur lequel nous sommes tous d’accord, c’est qu’il importe que les budgets
soient discutés le plus tôt possible ; et ce sont les ministres qui ont le plus
d’intérêt à ce que ce but soit atteint, car ce sont eux qui éprouvent tous les
embarras qui naissent du vote tardif des budgets. La seule différence qu’il y a
entre l’opinion de l’honorable préopinant et la mienne, c’est que pour arriver
au résultat désiré il veut, contrairement au règlement, faire régler la marche
des travaux des sections par la chambre elle-même, tandis que je demande, moi,
qu’on obtienne le même but en abandonnant au bureau le soin de déterminer cette
marche.
Je suis convaincu, messieurs,
que le bureau a pris et prendra toutes les mesures nécessaires pour amener la
prompte discussion des budgets ; cependant on dit que le bureau a apporté des
retards à convoquer les sections et à examiner la question qui a été soulevée
relativement à la répartition de leurs travaux. Mais, messieurs, la discussion
qui vient d’avoir lieu suffirait pour engager, s’il était nécessaire, le bureau
à examiner cette question, s’il ne l’a pas déjà fait.
M. le président (M. Raikem). - Messieurs, on a parlé des retards que les budgets
ont éprouvés l’année dernière dans la section centrale ; j’observerai que
l’année dernière les sections centrales ont été convoquées à mesure que les
rapporteurs ont été nommés, et qu’elles se sont constamment occupées de
l’examen des budgets : la section centrale avait non seulement une séance le
matin, avant la séance publique, mais encore parfois une séance le soir, qui se
prolongeait souvent assez tard. Ainsi, on a mis l’année dernière dans l’examen
des budgets toute la promptitude qu’il était possible d’y mettre.
Mais il est arrivé l’année
dernière ce qui était arrivé les années précédentes et ce qui arrivera
probablement encore cette année, c’est qu’en examinant les budgets en section
centrale on a demandé des renseignements aux ministres ; avant d’obtenir ces
renseignements, il a fallu plus ou moins de temps ; d’un autre côté les
rapporteurs ont eu besoin d’un certain temps pour faire leur travail ; mais il
n’a point été perdu de temps pour l’examen des budgets en section centrale ;
s’il est survenu des retards, ces retards ne provenaient en aucune façon des
sections centrales ni de la manière dont elles avaient été convoquées.
Quant
à ce qui a eu lieu, cette année, je ferai remarquer que je me suis empressé de
convoquer la section centrale aussitôt qu’il y a eu un budget d’examiné en
sections ; notamment le budget de la dette publique et des dotations a été
soumis à la section centrale immédiatement après avoir été examiné par les
sections. Seulement j’ai été obligé de faire une absence de quelques jours, ce
qui ne m’arrive presque jamais, je puis le dire, car il y a eu des années où il
n’y a eu une seule séance à laquelle je n’aie pas assisté ; si l’an dernier
j’ai été absent pendant quelque temps, c’est que j’ai fait une maladie qui m’a
retenu bien contre mon gré.
Aujourd’hui, même avant la
séance, j’ai parlé à un de messieurs les vice-présidents, et, comme je le lui
ai annoncé, je me propose de parler à l’autre pour régler le travail de la
discussion des budgets en section centrale. Je ne sais donc pas quel reproche
ou pourrait faire au bureau.
De toutes parts. - Aucun ! aucun !
(Moniteur belge n°296, du 23 octobre 1837)
M. Dumortier.
- Comme c’est moi qui ai signalé les retards que la discussion des budgets en
section centrale a éprouvés l’année dernière, je prie M. le président d’être
bien convaincu que je n’ai entendu faire aucun reproche au bureau ; au
contraire, j’ai dit que nous connaissons tous l’exactitude que M. le président
met à présider les sections centrales, exactitude qu’il pousse à tel point que
sa santé en est souvent altérée. Mais, messieurs, ce que j’ai dit, c’est que M.
le président, malgré tout son zèle, malgré tout son dévouement, ne saurait
présider trois sections centrales à la fois, et que par conséquent il faut
partager le travail. Si trois sections centrales, présidées l’une par M. le
président et les autres MM. les vice-présidents, examinent simultanément les
budgets, il est certain que la besogne ira trois fois plus vite, et M. le
président se fatiguera beaucoup moins.
M. Metz. - Il me semble, messieurs, que les observations qui
viennent d’être faites par M. le président, doivent nous convaincre tous de la
nécessité d’accueillir la proposition qui a été faite par l’honorable M. Verhaegen
; car s’il est vrai que l’année dernière les derniers rapports sur les budgets
n’ont été déposés que vers le mois de mars ou d’avril, quoique le bureau ait
mis tout le zèle possible à diriger l’examen de ces budgets, et que la section
centrale ait tenu non seulement une séance le matin, mais encore une séance le
soir, il est évident qu’un autre ordre de choses doit être introduit si nous ne
voulons pas tomber cette année dans les mêmes inconvénients. Je pense donc qu’à
moins que le bureau ne s’engage à convoquer simultanément plusieurs sections
centrales, il faut donner suite à la
proposition de M. Verhaegen.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, nous sommes tous d’accord sur le but
que nous voulons atteindre : nous désirons tous que trois sections centrales
examinent simultanément tous les budgets. Eh bien, messieurs, telle est aussi
l’intention du bureau : M. le président vient de nous annoncer qu’il a déjà
parlé dans ce sens à un des vice-présidents, et qu’il fera une semblable
proposition à l’autre vice-président. Ainsi, messieurs, il est inutile de
recourir aux moyens extraordinaires qu’on met en avant, et nous pouvons nous
confier à la sagesse et au zèle du bureau.
M. le président (M. Raikem). - Je n’ai qu’une observation à faire : c’est que
l’année dernière il a dû être fait plusieurs rapports sur le budget de la
guerre ; la section centrale chargée de l’examen de ce budget a dû être réunie
à plusieurs reprises ; beaucoup de renseignements ont dû être demandés à M. le
ministre de la guerre : cela a nécessairement occasionné des retards
considérables.
M. Verhaegen. - Ce que vient de dire M. le ministre de la justice
me satisfait entièrement. Si, comme le croit M. le ministre, le bureau a pris
l’engagement de convoquer plusieurs sections centrales, présides l’une par M.
le président, et les autres par MM. les vice-présidents, pour examiner
simultanément tous les budgets, alors ma proposition est inutile. Je prends
donc acte de l’interprétation que M. le ministre de la justice a donnée aux
paroles de M. le président.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant se trompe singulièrement
quand il me fait dire que le bureau prendra une résolution : j’ai fait
remarquer à la chambre que M. le président avait annoncé l’intention où il
était de faire présider deux sections centrales par MM. les vice-présidents. Il
s’agit donc d’une résolution prise et non d’une résolution à prendre ; par
conséquent, il n’y a rien dans mes paroles dont l’honorable M. Verhaegen puisse
prendre acte.
M. A. Rodenbach. - Nous perdons notre temps à discuter ; nous sommes
bous d’accord.
M. le président (M. Raikem). – Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’ai parlé ce
matin avant la séance à un de MM. les vice-présidents et, ce que j’avais
annoncé à celui-ci, je me propose de parler à l’autre pour régler le travail
des sections centrales. Ainsi, j’avais prévenu le désir qui vient d’être
exprimé par plusieurs membres de la chambre.
M. Verhaegen. - D’après les observations de M. le président, je
retire ma proposition.
Second vote des modifications apportées au tableau du
tarif
Bas et
bonneteries
M. le président. - La discussion continue sur l’article bas et
bonneteries.
M. Manilius. - C’est avec surprise que j’ai entendu dire hier à
la fin de la séance par M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères, qu’à toutes les clameurs de l’industrie cotonnière la chambre est
restée sourde, et que tous les malheurs dont on vous menaçait ne sont pas
arrivés.
Il m’est vraiment pénible,
messieurs, de devoir vous prouver le contraire ; mais ces paroles du ministre
auront trop d’échos pour les laisser sans réponse.
Neuf faillites de ces
industriels sont d’abord venues justifier leurs clameurs, plusieurs fabriques
sont anéanties depuis cette époque, et leurs mécaniques sont allées à
l’étranger, et si M. le ministre lui-même n’était pas venu au secours par le
moyen des fonds que nous votons annuellement pour l’encouragement de l’industrie,
ce nombre serait peut-être bien plus élevé.
Si la misère des malheureuses
familles ouvrières n’a pas été au point d’inspirer de l’inquiétude au
gouvernement, elle nous a inspiré de la pitié, et grâce à l’esprit d’ordre de
ces ouvriers sans ateliers, armés de courage, ils ont cherché paisiblement,
même en d’autres lieux et en d’autres pays, des moyens de subsistance. Mais
leur position est-elle encore la même ? non ? certainement non. Ils sont dignes
d’un meilleur sort et de plus de gratitude.
Il n’est donc pas juste de
dire que des malheurs ne sont pas arrivés et que les plaintes de l’industrie
cotonnière n’étaient que des vaines clameurs.
Je
déclare sur l’honneur que les plaintes que j’ai faites au nom de l’industrie
cotonnière étaient fondées.
Si, tout à coup, elles ont
cessé, c’est par respect à la chose jugée et la chambre, en éloignant la
prohibition, n’est pas restée sourde aux plaintes de l’industrie ; elle a
déclaré expressément que la protection douanière actuelle était insuffisante,
et elle a ajourné la discussion du tarif projeté.
C’était au ministère à tenir
compte de cette décision au lieu de venir proposer de nouvelles concessions à
l’industrie nationale en faveur de l’étranger.
Mais j’ai tout lieu de croire
que les paroles de M. le ministre n’ont pas été aussi sincères que nos plaintes
et qu’un jour nous apprendrons aussi qu’il a dû tenir ce langage pour venir au
secours d’une défense désespérée.
J’étais d’autant plus fondé à
réclamer la parole qu’étant moi-même fabricant, le fait m’était bien personnel.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je déclare que je n’ai pas entendu
identifier M. Manilius, ni aucun autre membre avec l’industrie cotonnière ; je
n’ai fait allusion à aucun député. J’ai dit qu’en 1835 l’on avait annoncé
beaucoup de malheurs pour la classe ouvrière et pour les fabricants, et que ces
malheurs ne se sont heureusement pas réalisés. Je maintiens cette assertion
comme tellement vraie, qu’en ce moment encore les fabricants sont loin de
pouvoir suffire aux commandes qui leur sont faites.
M. Dumortier. - Messieurs, dans la séance précédente les trois derniers
orateurs que vous avez entendus sont rentrés dans la discussion générale. Je
vais à mon tour faire revenir la discussion à la question qui nous occupe, à
celle des bonneteries.
Je répondrai donc aux
observations qui ont été présentées par l’honorable M. Smits en opposition avec
la proposition de la section centrale.
L’honorable député d’Anvers
commence par dire que si on établit au poids le droit sur la bonneterie, il y
aura lieu de diviser les marchandises, et que dès lors elles seront exposées à subir
des avaries. M. Smits ne doit pas ignorer que la bonneterie est toujours munie
d’enveloppes, et qu’ainsi aucune avarie n’est à craindre par la division des
marchandises en divers paquets ; il doit encore savoir que dans le système du
droit à la valeur, la marchandise devra également être déballée pour être
évaluée. L’honorable membre doit savoir que les marchandises s’envoient
ordinairement par des ballots de même espèce, et que de cette manière encore
l’inconvénient qu’il signale n’est pas plus à craindre par l’adoption de la
tarification au poids, que par celui à la valeur.
L’honorable membre, tout en
s’élevant beaucoup contre le mode de tarification au poids, n’a pu révoquer en
doute ce que j’ai en l’honneur d’annoncer, à savoir que dans le tarif prussien
le mot valeur n’existait même pas ; mais il a voulu tourner ce tarif en
ridicule, en prétendant que le tableau d’un Raphael ou d’un Rubens aurait dû
payer au poids autant que le plus mauvais croûton du plus mauvais artiste.
Il me semble que l’opinion de
l’honorable membre pourrait aussi avoir un côté faible, on peut lui demander,
par exemple, comment il serait possible à un employé des douanes de distinguer
un Raphael ou un Rubens, d’avec la production d’un barbouilleur ; et que
signifiera le droit à la valeur, jusqu’au jour où les employés ne seront pas
devenus des artistes, car il est manifeste que toujours un tableau de Raphael
et de Rubens, valût-il un demi-million, un million même, sera déclaré à telle
valeur qu’on voudra lui donner.
Loin que le tarif prussien
doive être tourné en ridicule, il me paraît, au contraire, très sage. Il est
certain que quand les droits sont établis au poids, il ne peut y avoir de
préférence pour aucune localité, ni pour aucun négociant ; toutes les localités
sont placées sur la même ligne ; tandis que dans le système de tarification à
la valeur, il y a toujours privilège pour beaucoup de localités et inégalité
pour les commerçants.
Ainsi (et ceci est un fait que
je puis affirmer et qui est à la connaissance de tous les négociants de la
Belgique), les marchandises qui entrent par le port d’Anvers paient jusqu’à 15
ou même 20 p. c. moins de droits que celles qui entrent par le port d’Ostende.
Il ne faut certes pas conclure de ce fait que les négociants d’Anvers sont en possession
de suborner tous les employés des douanes ; mais la masse des marchandises qui
entrent par le port d’Anvers est si considérable, qu’il n’est guère possible
d’une part de se livrer à des investigations continuelles et minutieuses, et de
l’autre, il serait également impossible, en cas de déclarations insuffisantes,
de préempter toutes les marchandises ainsi déclarées. Cette double circonstance
donne donc l’explication de ce fait, qui est à la connaissance de tous ceux qui
s’occupent de commerce en Belgique, à savoir, que les marchandises qui entrent
par le port d’Anvers paient 15 ou 20 p. c. moins de droits que celles qui
arrivent par le port d’Ostende, fait qui est en grande partie la cause du
délaissement où le port d’Ostende est tombé aujourd’hui.
Je remarque qu’un membre
semble révoquer en doute le fait que j’avance ; je puis l’affirmer avec
certitude, puisqu’il est arrivé à moi-même, et je suis prêt à en fournir la
preuve, si l’assemblée le désire.
Une voix. - Vous n’êtes pas tout le commerce de la Belgique.
M. Dumortier. - Je ne suis pas tout le commerce de la Belgique, il
est vrai, mais j’appartiens au commerce de la Belgique, tandis que le membre
qui m’interrompt, non seulement n’est pas tout le commerce de la Belgique, mais
n’y appartient même pas.
Je reviens à la question. Il
est donc constant que rien n’est plus vicieux que le droit à la valeur, parce
que dans ce système, il n’y a pas d’égalité pour tous les bureaux et pour les
commerçants.
Il y a plus : dans l’application
du système de la tarification au poids, il arrive, lorsqu’un bureau de douanes
qui se trouve à l’extrême frontière, et par laquelle se font de nombreux
arrivages de marchandises, ne possède dans son ressort ni grands négociants, ni
grands banquiers, il arrive, dis-je, que ce bureau est dans la nécessité de
laisser passer presque toutes les marchandises, sans pouvoir user du droit de
préemption. Dans ce cas, par exemple, se trouve le bureau d’Henri-Chapelle, qui
est éloigné des villes et qui n’a dans son territoire, ni négociants, ni
banquiers : évidemment, ce bureau ne pourra pas, la plupart du temps, user du
droit de préemption et dès lors les déclarants éluderont le droit, ainsi que
j’en ai fourni la preuve irrécusable.
Il est donc vrai de dire que
le système de tarification à la valeur est vicieux sous quelque rapport qu’on
l’envisage.
Maintenant, messieurs, il
s’élève une seconde question : l’honorable M. Smits a été forcé de reconnaître
que la prime d’assurance est aujourd’hui de 15 p. c. en France ; il en a tiré
cette conséquence que, si nous demandons un droit plus élevé, ce droit sera
éludé par la fraude. J’admets ce principe dans son entier ; examinons donc si
la proposition de la section centrale équivaut au taux de la prime d’assurance
ou si elle s’élève au taux de 20 à 30 p. c. comme il le prétend.
Or, il est facile de démontrer
que les droits que la section centrale a proposés, n’atteindront pas le taux
qu’a indiqué M. Smits, et le tableau qui nous a été distribué, loin de
combattre les assertions de la section centrale, les confirme au contraire
pleinement en plusieurs articles principaux. Examinons donc l’article bas, qui
constitue la grande majorité des importations.
A la page 2 du tableau
présenté par le gouvernement à l’article bas de coton, je vois que le ministre
propose d’une part 4 catégories de bas, devant payer 4 fr. le kilog., et
d’autre part trois catégories de bas fins, devant payer 8 fr. le kilog, D’après
les calculs auxquels le ministre s’est livré, les bas de coton communs paieraient
18 1/4 p. c. et les moyens 13 p. c. de droit. Eh bien, c’est là une grave
erreur ; elle consiste en ce que l’on a porté dans la catégorie des bas devant
payer 8 fr., deux catégories de bas numéros 14 et 15 qui devraient se trouver
dans la catégorie précédente, en vertu du poids qu’on leur donne. J’admets que
les chiffres du gouvernement sont exacts ; eh bien, il est certain que la
douzaine de bas n°14, qui pèse 64 centigrammes, et que celle n°15, qui en pèse
59, pesant au-delà de 5 hectogrammes, doivent se trouver dans la catégorie des
bas qui paient 4 fr. le kilog. conformément au projet de la section centrale.
Il y a donc de ce chef dans le tableau une erreur matérielle qui vicie tous les
calculs.
Rétablissez maintenant les
faits, transportez ces deux qualités dans la catégorie où elles doivent se
trouver, c’est-à-dire, dans la catégorie de celle à 4 francs le kilog. : vous
aurez pour résultat que le n°14, au lieu de 19 p. c. de droit, ne devra payer
que 9 3/4 et que quant à la catégorie suivante, n°15, elle ne paiera plus que 6
p. c., au lieu de 12 p. c. Maintenant additionnez ces 6 et ces 9 3/4 p. c. aux
75 p.c. du tableau du ministre, vous aurez un total de 88 3/4 p. c. qui, divisé par les six catégories, donnera
une moyenne de 16 p. c. pour les bas à 4 francs.
Ainsi, le tableau du ministre
à la main, loin de combattre le moins du monde les assertions de la section
centrale, on prouve qu’elles sont exactes et qu’il n’y a rien à changer aux
chiffres qu’elle a posés.
La bonneterie de coton ne paiera
donc que 16 p. c. de droit sur les qualités communes, et 8 p. c. sur les
qualités fines, ce qui est loin de 30 à 40 p. c., comme on l’a prétendu.
Il y a des erreurs dans le
tableau que le gouvernement vous a fait distribuer, je viens d’en démontrer
plusieurs. Si ce tableau nous avait été remis plus tôt, nous aurions à
l’examiner dans son entier, et il est probable que nous aurions découvert
d’autres erreurs. Mais c’est au dernier moment qu’on vient nous jeter un
document anonyme qui contrarie les expertises de la section centrale, qui taxe
d’erronés les calculs qu’elle présente, tandis que c’est ce document lui-même
qui est erroné ; et l’on veut que nous y ajoutions entièrement foi en regardant
comme anéanti le travail de la section centrale.
A ce sujet, je rappellerai ce
qui s’est passé à propos du même article à la session dernière. Un document fut
également lancé dans l’assemblée au moment du vote.
C’était une pétition adressée
à la chambre par un étranger domicilié à Bruxelles, le sieur Benda, qui prétendait
que les droits proposés par la section centrale seraient de 30, 40, 50 et même
70 p. c. Aussitôt le cabinet s’est levé, a demandé l’impression et l’insertion
au Moniteur, a fait grand bruit de
cette pièce, la présentant comme renversant tous les chiffres de la section
centrale. On a préféré croire un étranger, qui voulait faire prévaloir une
industrie étrangère, plutôt que votre section centrale dont le travail
consciencieux était favorable à 40 ou 50,000 ouvriers belges.
Examinons en détail le tableau
de M. Benda. Il a été imprimé au Moniteur
pour l’instruction de la chambre. Il renferme quatre catégories de
marchandises, gants, bas et autres espèces. Parmi elles il en est beaucoup sur
lesquelles il est impossible de vérifier les calculs. Par exemple, il vous dit
les bas d’hommes communs pesant huit onces, les bas d’hommes fins pesant tant ;
dans les calculs faits sur ces catégories, M. Benda peut avoir dit faux, peut
avoir dit vrai, il est impossible de le reconnaître.
A l’égard des bas blancs de
Saxe, contrairement à son intérêt, il indique le numéro 3 trois fils, le n°4
trois fils, le n°28 trois fils et le n°40 trois fils. Ici il est possible de
vérifier l’exactitude des calculs. Si nous les trouvons exacts, nous devrons
reconnaître que nous avons demandé un droit de 20, 30, 40 p. c. et plus. Si au
contraire nous trouvons qu’il y a inexactitude, imposture, nous verrons quel
cas on doit faire de cette pièce dont on a fait si grand bruit, et dont on
s’est servi pour faire triompher l’opinion antinationale sur celle de nos
50,000 ouvriers.
Par un heureux hasard, ces
quatre catégories de bas blancs indiquées avec précision par le sieur Benda, se
trouvaient déposées à la section centrale avec leur facture de Saxe et la
vérification des calculs sur ces catégories avait été faite par tous les
membres de la section centrale parmi lesquels se trouvait M. Verdussen qui
avait fait beaucoup de cas de la pétition du sieur Benda.
Ici je dois rencontrer une
observation présentée à la dernière séance, par M. Verdussen. Cet honorable
membre a dit que les paquets avaient été choisis à l’avance et que la
vérification n’avait été faite que sur treize paquets. L’honorable membre doit
s’être trompé, ou sa mémoire le servirait bien mal ; car il y avait au moins
cinquante paquets de coton blanc à la section centrale. Tous les membres qui
ont assisté à cette opération sont présents et pourront affirmer que ces
paquets étaient exactement les mêmes que ceux rapportés dans les factures de
Saxe. Je tiens en main ces factures, je les soumettrai à tous les membres qui
voudront en prendre connaissance.
Dans l’impossibilité de
vérifier toutes les pesées, vu que le temps nous pressait, chacun de nous a
pris au hasard un ou deux paquets dans
cette masse, et on les a pesés. C’est ainsi qu’il n’y a en que treize
paquets pesés. Mais aussi il a été reconnu que les pesées étaient exactes.
L’opération a été faite avec toutes les précautions qu’il était possible de
prendre en pareil cas.
Dans les articles vérifiés,
nous avions les quatre numéros dont parle le sieur Benda. J’ai la facture de
Saxe, je vais la déposer sur le bureau.
D’après le sieur Benda les bas
n° 3 trois fils devaient peser
Je ferai d’abord observer
qu’il emploie une manière de peser qui n’est pas en rapport avec le projet
présenté, et cela afin de rendre les vérifications impossibles, mais comme nous
avons reconnu que les pesées représentaient les onces de Bruxelles pour tous
les poids, nous avons pu procéder à la vérification. Or,
Quant à la valeur, ces bas n°
3 trois fils devant valoir, d’après Benda, 10 fr., coûtent en fabrique suivant
facture originale 14 fr. 50 c. la douzaine, de manière que ce droit présenté
comme devant être de 42 p. c. n’est d’après les chiffres mêmes de Benda, que de
22 1/2 p. c. sur les marchandises les plus communes. Par conséquent,
exagération de moitié.
Le n° 4 trois fils, est
indiqué par Benda comme pesant
Il y avait donc fausseté dans
cette pièce au moyen de laquelle on avait voulu frapper la chambre. Est-il donc
permis de venir ainsi tromper la législature, et faire prévaloir l’industrie
étrangère sur celle du pays, pour réduire à la misère 40 à 50 ouvriers ?
Je ne sais jusqu’à quel point
un acte aussi coupable devrait rester impuni. Si la loi d’expulsion devait
recevoir son exécution, un étranger qui cherche à induire la chambre des
représentants en erreur à l’aide de documents mensongers devrait être expulsé
plutôt qu’une foule de proscrits politiques qui viennent paisiblement se
reposer à l’abri de notre liberté et ne portent aucune préjudice à la nouvelle
patrie qu’ils adoptent.
Les calculs sur les autres
numéros ne sont pas moins faux.
Le n°28 est indiqué comme
devant peser
Le n° 40 indiqué comme pesant
6.43, ne pèse en réalité, d’après les vérifications de la section centrale, que
5.70 ; le droit qu’il indique comme étant 3 fr. 30 c., n’est en réalité, selon
les onces réduites en kil., que de 2 fr. 57 c., et d’après le poids de la
section centrale 2 fr. 24 c., en sorte que le revient du droit qu’il indique
être de 14 p. c., n’est que de 9 p. c.
Vous voyez combien tout était
faux et erroné dans ce document qu’on présentait au moment du vote comme
renverser les calculs de la section centrale.
Cela prouve combien des
travaux consciencieux faits par une commission qui est une émanation de la
chambre, dont les chambres répondent de leur opinion, qui sont exempts de
passion, méritent plus de foi qu’un document lancé à l’improviste par un
étranger.
Il y a plus : en rétablissant
l’exactitude des chiffres, le taux moyen des quatre catégories indiquées par
Benda, est encore ici de 15 3/4 p. c., ce qui prouve de nouveau l’exactitude du
travail de votre section centrale.
Je viens de prouver combien
est faux et inexact le travail de Benda, si hautement vanté par le ministère ;
j’ai prouvé aussi qu’il y avait inexactitude dans le travail du gouvernement,
et qu’en rectifiant les erreurs, soit de l’un soit de l’autre, on arrive aux
mêmes résultats que la section centrale, puisque le droit sur la bonneterie
commune se trouve être de 15 à 16 p. c., et de 8 p. c. sur la bonneterie fine.
Il est donc manifeste que les clameurs que vous avez entendues contre le
travail de la section centrale sont sans fondement, et que vous pouvez voter sa
proposition en toute sûreté de conscience.
J’ai examiné aussi les
articles de bas de laine et ceux de bas de fil.
Quant à la bonneterie en
laine, j’ai remarqué que le gouvernement avait introduit parmi les marchandises
considérées comme devant être importées en Belgique des articles manifestement
fabriqués dans le pays, et qui ne viennent pas du dehors, puisque nous les
expédions nous-mêmes à l’étranger. Ces articles se font à Leuze et à Peruwez,
avec des laines indigènes, et non à l’étranger. Nous en expédions annuellement
une quantité assez notable à l’étranger (pour la Hollande). Si nous luttons
avec l’étranger même sur le marché étranger, l’étranger ne luttera pas contre
nous sur notre propre marché.
Si donc le gouvernement nous
présente comme venant de l’étranger des marchandises fabriquées dans le pays,
il arrive nécessairement à des chiffres inexacts ; il fait des catégories, mais
avec les marchandises les plus lourdes, les plus pesantes, tandis qu’il fallait
comprendre dans les catégories les plus fines comme les qualités les plus
communes. Alors on aurait eu une base quelconque ; mais de la manière dont on a
opéré on est arrivé à un résultat qu’il était facile de prévoir
Il y a cependant dans le
travail qui nous a été distribué un aveu curieux. Je lis à la page 4 :
« II est à remarquer que les bas à 36 fr. sont les plus courants et
peuvent servir de base ; on peut donc dire 26 p. c. » J’admets que cela
puisse servir de base ; mais il y a là encore une erreur, puisqu’un peu plus
haut vous avouez même que pour les bas à 36 fr. le droit n’est que de 16 p. c.
Est-ce une erreur d’écriture, est-ce une erreur d’impression ? c’est ce que je
n’examinerai pas ; mais toujours est-il que de votre aveu le droit n’est encore
ici que de 16 pour cent.
Quand on est arrivé aux bas en
fil, ou a procédé de la même manière. Au lieu de nous présenter les bas en fil
fabriqués à l’étranger, on nous a présenté des articles fabriqués aux Estines
(district de Soignies, arrondissement de Mons), on nous les a présentés comme
venant de l’étranger. Voilà par quels procédés on a prétendu répondre au
travail de la section centrale, dont les calculs reposent sur des documents
parfaitement exacts.
Lorsqu’il s’agit de tarifier
des marchandises fabriquées en Saxe, en Angleterre et en France, il est clair
que pour établir le tarif, il faut prendre des marchandises fabriquées dans ces
pays, et non pas des produits belges qui n’ont pas leur similaire à l’étranger
; car en procédant, comme vous l’avez fait, de cette dernière manière on arrive
à un résultat complétement faux.
J’aime à croire que les
personnes qui ont fait ce tableau n’avaient pas les connaissances nécessaires
pour distinguer les objets fabriqués en Belgique d’objets fabriques à
l’étranger. Toujours est-il qu’un travail fondé sur de telles erreurs ne peut
être opposé au travail fait consciencieusement et à loisir par la section
centrale.
Je rencontrerai maintenant une
objection grave qui est de nature à exercer un grande influence sur vos
esprits. Cette objection est que si nous adoptions la proposition de la section
centrale, nous frapperions d’un droit énorme les marchandises destinées au
pauvre, et d’un droit léger les marchandises destinées à la classe aisée.
D’abord vous savez tous que lorsqu’un droit est établi au poids, il est plus
fort sur les qualités communes que sue les qualités fines ; cela n’est pas
contestable, mais cela ne peut ici, en aucune manière, porter préjudice à la
classe pauvre, puisque la Belgique fabrique de la bonneterie commune à un taux
beaucoup plus bas qu’elle ne se fabrique en aucun pays et que par conséquent
l’étranger ne peut nous expédier de telles marchandises. Dès lors la classe
pauvre est ici désintéressée.
Voici un exemple qui le
prouvera. Le droit est établi au poids sur les tissus de coton : ce droit est
de 7 ou 8 p. c. sur les mousselines ; il est plus élevé sur les percales, et
sur les calicots il va jusqu’à 40 p. c. et au-delà. Eh bien, je vous le
demande, est-il jamais entré dans la pensée de personne de prétendre que ces
droits sont en faveur de la classe aisée et au préjudice de la classe ouvrière
? Non jamais, parce que Gand fabrique des calicots à meilleur marché que
partout ailleurs ; dès lors le droit est purement nominal et ne porte aucun
préjudice à la classe ouvrière. Il en est de même dans la bonneterie de coton.
Quant à la bonneterie en laine, nous avons à redouter la bonneterie de Picardie,
à cause de la prime que la France accorde à la sortie.
Les droits sur la bonneterie
sont maintenant de 20 p. c. pour la France et de 10 p. c. pour les autres pays.
Le gouvernement propose de réduire le droit à 10 p c. par toutes les
provenances et de percevoir ce droit à la valeur. La section centrale, de son
côté, vous propose d’établir pour tous la moyenne entre les droits de 10 et de
20 p. c. actuellement existants, c’est-à-dire un droit de 25 p. c. et de
percevoir le droit au poids. Si vous admettez la proposition du gouvernement,
si vous réduisez le droit à 10 p. c. et que le droit est à la valeur, c’est comme si vous
supprimiez toute espèce de droit du côté de la France et que vous accordiez à
cette puissance la liberté illimitée de cette industrie.
En effet, un droit de 10 p. c.
à la valeur équivaut, par suite des fausses déclarations, à un droit réel de 6
p. c. C’est un fait reconnu. Si donc la bonneterie est frappée d’un droit de 10
p. c. à la valeur, cette industrie ne sera réellement avantagée que de 6 p. c.
Mais remarquez que la France accorde à la sortie de la bonneterie une prime de
6 p. c. et que cette prime étant le remboursement du droit, il en résultera que
le négociant n’aura pas d’intérêt à diminuer le prix de la marchandise, il aura
intérêt au contraire à l’augmenter. Le
négociant français viendra donc, avec la prime de 6 p. c. qu’il aura reçue en
France, payer le droit de douane en Belgique, et en définitive, il n’aura pas
payé de droit d’entrée dans notre pays.
Voilà, messieurs, comme le
gouvernement favorise l’industrie étrangère aux dépens de l’industrie indigène.
Quant à moi, je ne puis admettre un pareil système. Je voterai contre une telle
proposition qui serait la ruine, sinon de toute l’industrie, du moins de
l’industrie majeure, de l’industrie de la ville que j’ai l’honneur de
représenter, et qui réduirait à la mendicité 40 à 50,000 ouvriers.
Beaucoup de personnes se font
une idée fort inexacte de l’industrie de la bonneterie ; je tiens à rectifier
cette erreur. Sans doute je ne partage pas l’opinion de M. Smits, que cette
industrie emploierait un capital de 40 millions. Je sais que, sous le rapport
des capitaux, la bonneterie est beaucoup moins importante que la draperie ;
mais elle l’est davantage sous le rapport du nombre des ouvriers. Dans le
rapport, si remarquable, des fabricants de draps de Verviers, il est dit que
l’industrie de la draperie emploie 2,500 ouvriers, tandis que l’industrie de la
bonneterie en emploie 5,000. Il ne faut donc pas traiter légèrement une
industrie fort recommandable et qui est assurément une des premières industries
de la Belgique.
Loin de moi la pensée de
chercher à diminuer la haute considération dont doit jouir l’industrie de la
draperie ; mais j’ai voulu faire comprendre l’importance de l’industrie de la
bonneterie que l’on a révoquée en doute. Assurément une industrie qui occupe
5,000 métiers et, indépendamment de cela, 20 à 30,000 ouvriers vivant
exclusivement du tricot à la main, une industrie qui occupe 50,000 ouvriers,
qui fournit à la subsistance d’un tel nombre d’individus, ne doit pas être
dédaignée. Je ne pense pas que vous puissiez sacrifier légèrement une industrie
aussi respectable. J’espère donc que vous voudrez approuver les chiffres de la
section centrale. C’est le seul moyen de sauver cette industrie de la ruine qui
résulterait pour elle du projet du gouvernement. Voulez-vous savoir quelles ont
été les pertes qu’elles a essuyées par suite de la chute de l’empire française,
pertes qu’elle n’a jamais réparées ? J’ai en main une pièce qui établit qu’au
temps de l’empire, dans le district de Tournay, on faisait blanchir
annuellement 50.000 douzaines de paires de bas, tandis qu’aujourd’hui que la
France frappe nos produits d’une prohibition absolue, dans ce même district on
n’en fait blanchir annuellement que 3,000 douzaines.
Vous voyez donc combien cette
industrie a eu à souffrir. Le gouvernement français ayant établi des mesures
prohibitive contre la Belgique, nous nous sommes trouvés privés de notre
débouché. Le gouvernement a voulu amener le gouvernement français à un échange
réciproque de produits et le faire consentir à recevoir nos bonneteries comme
nous consentions à recevoir les siennes ; le gouvernement français s’y est
refusé, et aujourd’hui qu’il continue à prohiber les produits du district de
Tournay, c’est ce district qu’on veut immoler pour complaire à la France.
Et comme je viens de vous le
démontrer vous allez donner liberté illimitée de laisser entrer la bonneterie
française en Belgique, tandis que le gouvernement français prohibe absolument
la bonneterie belge : y a-t-il parité dans de telles choses ? Est-ce là faire
une loi nationale ? Qu’on réponde, s’il est possible.
Au reste, si l’on trouve que
les tableaux de la section centrale sont trop compliqués, je déposerai un
amendement que j’ai proposé avec mes honorables amis. Il tendra à simplifier
les catégories. J’irai même plus loin si on le désire et je consens à un droit
uniforme de 4 p. c. sur la bonneterie en coton, un droit uniforme de 5 p. c. sur
la bonneterie en laine et un droit de 3 p. c. sur la bonneterie en fil. Mais je
dois vous faire observer que le droit serait plus fort que celui que nous
discutons, car il frapperait d’un droit double les tricots à la grosse
aiguille. Le droit nous demandons ne s’élève qu’à 15 p. c.
Messieurs,
je m’opposerai autant que je le pourrai aux prohibitions ; mais c’est un devoir
indispensable, que de protéger nos industries par des droits modérés. Avant
tout il faut faire vivre nos ouvriers. Les droits, en général, doivent
représenter les bénéfices du fabricant ; si on dépassait cette mesure, le droit
devrait être rejeté. J’ai la conviction profonde que le taux moyen est celui
que nous proposons, celui de 15 p. c.
Que par suite de la règle
générale il y aura bien quelques articles frappés d’un droit plus élevé, mais
comme il y en aura qui seront frappés moins, j’ai raison de dire que le taux
moyen sera de 15 p. c. La bonneterie d’ailleurs ne se vend jamais qu’en
assortiments, en sorte que le droit moyen sera réellement celui que nous
indiquons. Ainsi on peut admettre la proposition de la section centrale, ou
l’amendement que je présenterai, qui n’en est qu’une rédaction simplifiée.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Je suis d’accord
avec l’honorable préopinant, qu’il serait tout à fait inutile de continuer la
discussion générale où l’on nous avait ramené hier, et je me dispenserai de
répéter ce qui a déjà été si souvent rappelé par nous, en ce qui touche à l’un
des motifs essentiels du projet de la loi, que la France nous a fait des
concessions réelles, concessions à la vérité contestées, mais évidentes,
néanmoins, d’après les documents officiels qui sont sous vos yeux, concessions
insuffisantes sans doute et qui devraient être suivies de plusieurs autres
importantes, mais que nous devrions certainement renoncer à obtenir si nous
repoussions aujourd’hui toute espèce de mesures favorables à la France.
Messieurs on a parlé
d’indépendance nationale dans cette discussion ; il semblerait, à entendre nos
adversaires, que nous subirions le joug de l’étranger en votant la loi que nous
discutons. Il n’en est pas ainsi, vous êtes parfaitement libres de rejeter
cette loi, nous sommes même entièrement les maîtres de poser la prohibition comme
principe absolu dans notre code des douanes ; mais la France n’est pas moins
indépendante que nous ; elle pourrait, au lieu de faire de nouvelles
concessions, aggraver les droits d’importation de son tarif, et nous fermer
complétement le débouché que nous avons vers ce pays. C’est là une indépendance
qui n’est pas plus contestable que la nôtre.
Oui, messieurs, nous sommes
libres en droit de modifier le projet de loi comme des orateurs le demandent,
mais la loyauté et les intérêts bien entendus de la Belgique nous commandent de
porter des dispositions réciproques, favorables à la France. Ainsi il ne s’agit
pas ici de dignité nationale dans le sens qu’on voudrait y attacher, il ne
s’agit que de la bonne foi nationale, s’alliant aux intérêts généraux du pays. Il
s’agit, non des intérêts particuliers de telle ou telle localité, mais des
intérêts de la masse des industriels et des consommateurs.
A propos de ces derniers je
dirai, messieurs, en abordant l’article spécial du tarif qui nous occupe, que
l’on cherche à nous faire marcher en sens inverse des véritables principes de
ceux que l’on professe sans cesse en théorie ; on veut frapper d’un droit plus
élevé la marchandise dont le prix est le plus bas, la marchandise qui est à la
portée du pauvre, ou du plus grand nombre. Il ne faut pas de démonstration pour
en être convaincu, car évidemment, dès que le poids est pris pour base du
droit, les marchandises les plus grossières, c’est-à-dire les plus lourdes et
les moins chères, seront soumises proportionnellement à un droit bien plus
élevé que les marchandises fines d’un prix plus grand.
J’entends que l’on conteste
cette vérité, eh bien ! que dans une autre séance la chambre se forme en comité
secret, afin de procéder elle-même à une vérification que je demande, et l’on
aura la preuve matérielle des faits que l’on dénie sans cesse, on verra si, par
l’application du système de la section centrale, il n’y a pas des droits qui
s’élèvent au-delà de 30 p. c. sur les qualités moyennes, tandis que des
qualités fines ne paieraient que 5 ou 6 p. c.
On s’est plaint de ce que nous
avions présenté en dernier lieu un tableau arrangé, a-t-on dit, pour
l’opportunité de la cause que nous défendons. Je m’étonnerai, moi, de
l’étonnement que l’on a voulu manifester à cet égard ; vous avez encore
présents à la mémoire, messieurs, les calculs de M. Verdussen et les chiffres
que je vous ai soumis moi-même ; tous ces résultats et le détail des moyens
employés pour y parvenir, sont dans le Moniteur.
Vous vous rappellerez qu’à la fin de la dernière session, je suis arrivé ici
avec un morceau de bas, pris au hasard dans l’un des magasins de Bruxelles ; je
les avais fait peser, et j’ai trouvé en combinant ce poids avec la valeur, des
différences de 5 à 30 p. c. que j’ai signalées à la chambre.
On a objecté, il est vrai,
contre l’opération à laquelle j’ai procédé alors que les bas servant d’éléments
à mes calculs provenaient d’une boutique de détail, et qu’ainsi ils avaient
certainement été achetés plus cher ; mais cette objection tourne directement contre
nos contradicteurs, puisque le droit étant au poids, il s’élève davantage à
mesure que la marchandise coûte moins, et revient proportionnellement plus bas
quand le prix vénal augmente.
Messieurs, s’il restait, dans
l’esprit de quelques membres de cette assemblée, des doutes sur les différences
extrêmes qui résultent du mode de tarification proposé, qu’ils fassent chercher
une vingtaine de paires de bas accompagnés de la facture authentique du prix ;
qu’ils opèrent la vérification dont j’ai parlé ; c’est le vrai moyen de
s’assurer qui a tort ou qui a raison. Nous recherchons la vérité, messieurs, si
nous nous sommes trompés, qu’on nous le démontre ; si au contraire la section
centrale s’est trompée, qu’elle le reconnaisse.
M. Dumortier. - Nous tenons notre tableau pour exact.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Qu’on en fasse
l’application devant la chambre.
M. Dumortier. - Nous ne voulons tromper personne.
M. Dubus (aîné). - Notre tableau a été fait devant M. Verdussen et
plusieurs autres membres qui peuvent l’attester.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Je ne conteste
pas votre tableau, je ne conteste que les éléments. Ce que je dis n’est pas
pour les personnes, je cite des faits, et ne m’occupe que des faits.
Messieurs, les honorables
membres qui appuient le tarif de la section centrale, voudraient porter à 15 p.
c., selon la moyenne qu’ils ont cherchée, un droit qui n’est aujourd’hui que de
10 p. c. du côté de l’Allemagne ; je soutiens qu’une pareille augmentation
n’est en rien justifiée. Les importations légales des objets d’Allemagne sont
tellement peu importantes, comparativement à la consommation de la bonneterie
en Belgique, qu’il est impossible de trouver un prétexte sérieux pour élever la
taxe existante. Cette élévation pourrait être considérée comme une mesure plus
ou moins hostile, et hostile tout à fait gratuitement. Si l’existence de la
fabrication des bas et des tricots, chez nous, tenait à la majoration proposée
du droit, la question mériterait sans doute un examen sérieux, mais le tableau
des provenances d’Allemagne répond suffisamment aux réclamations agitées sur ce
point.
Il est vrai, messieurs, qu’en
ce qui concerne la France,, le droit à l’importation étant de 20 p. c., le
tarif de la section centrale, en admettant comme bonne la moyenne de 15 p. c.,
abaisserait le droit existant de ce côté ; mais, messieurs, ce droit actuel de
20 p. c. dont les productions françaises sont frappées est tout à fait
prohibitif et inutilement contraire aux intérêts du trésor. En effet, on a dit
que la prime de fraude pour l’importation des bonneteries françaises est de 15 p.
c. Comme ministre des finances, je suis à même de connaître le taux de cette
prime, et, d’après mes informations, elle n’est pas de 15, mais de 13 p. c.
(c’est certainement un taux très élevé et qui justifie tout à fait les mesures
de surveillance exécutées par la douane) ; le droit actuel est donc éludé et ne
protège pas nos fabriques de bonneterie. Maintenant, messieurs, veuillez
remarquer que le droit moyen de 15 p. c. que veut établir la section centrale
serait beaucoup inférieur à cette prime de fraude pour les bonneteries fines
qui, suivant l’honorable M. Dumortier, sont les seules dont nos fabriques aient
à craindre la concurrence.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Vous avez dit
que nos fabricants n’avaient à craindre la concurrence étrangère que sur les
bonneteries fines.
Je dis donc qu’un droit tel
que celui qui est proposé par la section centrale serait tout à fait
inefficace, tout à fait contraire au but que l’on veut atteindre.
Les adversaires du projet,
tombant dans une contradiction manifeste, ont soutenu dans les séances
précédentes que les importateurs ne déclarant jamais que la moitié du prix de
la marchandise lorsque le droit était à la valeur, il fallait adopter le tarif
au poids ; le droit actuel du côté de la France n’est donc, selon eux, que de
10 p. c. en réalité ; ils voudraient donc, loin de concéder quelque chose à la
France, aggraver notre tarif envers elle en ce qui concerne la bonneterie,
puisqu’ils supposent que leur tarif au poids frappera inévitablement la
marchandise étrangère de 15 p. c. Ceci démontre de plus en plus
l’inadmissibilité du système qu’on nous oppose.
On vient, messieurs, de
renouveler une observation très importante relativement à la prime
d’exportation qui s’accorde en France pour les bonneteries de laine, je dis
pour les bonneteries de laine, car en ce qui concerne les bonneteries de coton,
il n’y a qu’une véritable restitution de droits : la France ne produit pas de
coton, elle le tire de l’étranger, et ce qu’on appelle la prime d’exportation
ne peut être, à l’égard des bonneteries de coton, que le remboursement pur et
simple du droit que la matière première a payé à l’entrée en France ; il suffit
de consulter le tarif des douanes pour s’en convaincre : le coton paie à
l’entrée en France 20 fr. sur 100 kilog. s’il est importé par navires
nationaux, et 35 fr. par navires étrangers ; or, on rembourse à l’exportation
25 fr. par 100 kil, de matière ouvrée.
Vous savez, messieurs, que le
déchet sur la matière première qui résulte de la manipulation est compté à
environ un cinquième. Il n’y a donc lieu de s’arrêter, quant à la somme payée à
l’exportateur de bonneterie à titre de prime, qu’en ce qui est relatif aux
articles en laine.
J’ai soutenu dans la
discussion précédente que même pour ces articles, la prime d’exportation n’en
est pas réellement une pour les fabricants, mais qu’elle tourne exclusivement
au profit des producteurs de laine ; les agriculteurs français trouvent dans
l’existence de cette prime un moyen de vendre leur laine à un prix plus élevé ;
si vous voulez, messieurs, recourir à tous les documents de France, relatifs à
la prime d’exportation, vous verrez que les agriculteurs seuls en réclament le
maintien, et nullement les fabricants.
Je dis donc, messieurs, qu’il
n’y a réellement en France, rigoureusement partant, aucune prime d’exportation
au profit des fabricants des bonneteries ; toutefois, par une sorte de transaction
et pour donner entier apaisement à nos contradicteurs, nous voulons bien tenir
entièrement compte de cette prime ; je vais même soumettre immédiatement à la
chambre une disposition pour les bonneteries, semblable à celle qui a été
adoptée en principe pour les draps. Vous savez, messieurs, qu’il a été décidé,
dans la dernière session que pour cet article il serait tenu compte du montant
de la prime d’exportation ; or, comme nous voulons demander nous-mêmes le
maintien de cette disposition, je propose, par une conséquence d’ailleurs
logique à l’égard des bonneteries en laine, que tout en fixant le droit à 10 p.
c. de la valeur, sur toutes les frontières, selon le projet, on stipule dans le
tarif, qu’à l’égard, non pas de la France seulement, mais de tous les pays qui
accordent une prime d’exportation ou qui pourraient en accorder une par la
suite, le montant de cette prime soit intégralement ajouté au droit uniforme
d’entrée. Voici messieurs, mon amendement ; à côté du droit d’entrée de 10 p.
c. à la valeur, on insérerait la disposition suivante dans la colonne des
dispositions particulières.
« Le droit ci-contre, quant
aux articles en laine, sera augmenté à l’égard des provenances de pays où il
est accordé sur les articles de l’espèce, des primes d’exportation. du montant
de ces primes.
« Le gouvernement prendra
les mesures nécessaires pour régler et assurer la perception de cette
augmentation à chaque bureau des douanes. »
Le soin d’opérer cette
augmentation doit nécessairement être laissée au gouvernement ; car, messieurs,
si vous établissiez à cet égard un chiffre dans la loi, on pourrait éluder la
disposition ; il suffirait pour cela d’augmenter la prime du montant de
l’augmentation que vous auriez établie de ce chef.
Voici la suite de mon amendement
:
« L’importateur sera tenu
de représenter au bureau d’entrée les documents officiels du pays de provenance
constatant la déclaration de la valeur sur laquelle ces primes auront été
basées, et, indépendamment des conditions et pénalités établies par la loi en
matière de douanes, l’importation pourra être interdite jusqu’à ce qu’il ait
été satisfait à cette formalité. »
Nous avons cru, messieurs,
qu’il importait d’exiger la production des documents officiels étrangers
délivrés à la sortie : sans cela on pourrait encore éluder la disposition en
déclarant à la sortie du pays étranger, une valeur plus élevée que la valeur
réelle, pour obtenir une prime plus forte, et à l’entrée en Belgique la valeur
réelle pour ne payer que le moindre droit possible.
Messieurs,
l’honorable M. Dumortier a de nouveau cité un bureau de douane où la sanction
du tarif à la valeur, c’est-à-dire la préemption, est en quelque sorte
impossible. Le bureau d’Henri-Chapelle, selon lui, ne peut pas préempter comme
dans tel autre bureau d’un port de mer, par exemple, parce qu’il ne s’y trouve
pas sur place des négociants ou d’autres personnes à même de racheter
immédiatement les marchandises préemptées.
L’honorable membre est dans
l’erreur, car je puis assurer que notamment en ce qui concerne le bureau
d’Henri-Chapelle, il m’est parvenu des plaintes nombreuses sur la trop grande
facilité avec laquelle on exerce le droit de préemption ; on a même été jusqu’à
prétendre que des marchandises déclarées à 10 p. c. au-dessus de leur valeur
ont été préemptées, et on offrait de justifier cette assertion par les
factures.
M. Dumortier s’est plaint de
ce qu’on aurait admis au même bureau des déclarations trop faibles, je tire de
tout cela la conclusion que si parfois on a péché par trop de rigueur et parfois
par trop de facilité, la perception des droits se fait, dans la réalité des
cas, conformément à l’intention du législateur.
M. Dumortier. - Je tiens beaucoup, messieurs, à ce que la chambre
ne conçoive pas l’opinion que la section centrale ait voulu en quelque manière
l’induire en erreur dans le tableau qu’elle lui a soumis ; je rappellerai donc
les faits tels qu’ils se sont passés dans la section centrale, et je prierai
les honorables membres qui en faisaient partie et ceux qui ont assisté à
l’opération, de dire si ces faits sont ou ne sont pas exacts.
Nous n’avons point, comme l’a
dit M. Verdussen, calculé sur des paquets préparés d’avance ; les marchandises
qui étaient déposées à la section centrale constituaient l’intégralité de
plusieurs factures venues directement de Saxe, ces factures je les ai en mains,
et je vais les déposer sur le bureau. Comme il était impossible que chaque
membre de la section centrale vérifie tous les paquets, chacun de nous en a
pris plusieurs au hasard, et nous avons trouvé qu’ils avaient exactement le
poids indiqué dans le tableau.
J’adjure les honorables MM.
Zoude, Smits, Desmaisières, Verdussen, Pollénus et d’autres encore, qui étaient
présents à l’opération, de dire si ce que j’avance est ou n’est pas conforme à
la vérité ?
On ne peut donc pas venir
prétendre que nous avons préparé d’avance des paquets afin d’induire la chambre
en erreur. Il est pénible, messieurs, d’avoir à répondre à de pareilles
insinuations.
L’honorable
ministre qui a parlé avant moi a prétendu que je m’étais trouvé en
contradiction avec moi-même, en disant que nous n’avons rien à craindre que la
bonneterie fine : j’ai dit, messieurs, que la Belgique n’a rien à craindre pour
la bonneterie commune, que nous fabriquons à meilleur compte que partout
ailleurs, et j’ai prouvé ce que j’avançais à cet égard, en faisant remarquer
que nous envoyons nos bonneteries communes avec avantage sur les marchés de la
Hollande ; mais j’ai dit aussi que nous avons à redouter tout ce qui n’est pas
en qualité commune, non seulement la bonneterie fine, mais aussi, et
principalement, la moyenne, puisque c’est celle-là qui est la plus courante.
Ainsi loin d’être en contradiction avec moi-même, ce que j’ai dit ne fait que
confirmer ce que j’avais précédemment avancé.
Quant à ce qu’a dit M. le
ministre, que les primes ne sont réellement pas des primes d’exportation, je
trouve dans cette assertion un moyen de combattre l’amendement ministériel que
je repousse de toutes mes forces, car cet amendement attribue au gouvernement
une faculté dont il pourra user ou ne pas user. Et si le ministre a la
conviction que la prime n’est pas une véritable prime d’exportation, mais un
remboursement, il est manifeste dès lors que la disposition n’aura pas son
application. C’est donc dans la loi que nous devons l’établir. Si plus tard, un
gouvernement voisin supprime la prime dont il s’agit, notre gouvernement pourra
venir nous proposer de supprimer à notre tour l’article que nous insérerons
actuellement dans la loi.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Messieurs,
j’ai déclaré que la prime qui se paie à l’exportation en France n’est pas,
selon moi, un cadeau que l’on fait aux fabricants français. Mais par cela seul
que cette restitution s’appelle prime en France, je propose d’augmenter
formellement le droit ordinaire d’importation en Belgique du montant de cette
prime, n’importe dans quel pays ni sur quoi elle serait basée. Je voudrais
bien, comme le désire l’honorable membre, voir poser un chiffre déterminé dans
la loi, mais on pourrait l’éluder à l’étranger en modifiant le taux de la prime
après l’adoption de notre loi, c’est pour obvier à cet inconvénient que j’ai
proposé la disposition générale dont il s’agit.
M. le président. - Amendement de M. A. Rodenbach : « En remplacement
du chiffre ministériel de 10 p. c. à l’entrée sur les bas et bonneteries, je
propose d’élever ce droit à 15 p. c. »
M. A. Rodenbach. - Messieurs,
les longs débats qui ont eu lieu sur l’article des bonneteries me dispensent
d’entrer dans des détails pour développer ma proposition. Vous avez vu,
messieurs, que dans son tableau la section centrale nous demande une moyenne de
15 p. c. ; or, 15 p. c., voilà ce que j’accorde ; par là je me rapproche de la
prime d’exportation en France, qui s’élève à 13 et parfois à 15 p. c.. Je pense
qu’on ne peut suivre un meilleur système ; d’un côté, le trésor percevra des
droits, et de l’autre la protection est suffisante. Je suis convaincu que sous
l’empire du droit, l’industrie bonnetière, qui a droit à toute notre
sollicitude, puisqu’elle occupe un si grand nombre d’ouvriers, pourra
convenablement marcher ; qu’elle pourra lutter contre la France. Et pourquoi ne
lutterait-elle pas avec avantage contre la France ; nous sommes plus avancés
que ce pays ; voyez nos chemins de fer, nos mines, etc. ; cette lutte
avantageuse pour nous cesserait-elle du moment qu’il s’agirait de nos
bonneteries ?
L’Angleterre
ne pourra venir reprocher à notre système d’être un système prohibitif, car
ouvrez son tarif qui est aussi à la valeur, et vous verrez que le droit qui
frappe l’article qui nous occupe est de 30 p. c. ; le droit que nous voulons
faire prévaloir n’est donc que la moitié de celui que les Anglais perçoivent.
La Prusse ne pourra pas non
plus trouver mauvais que nous portions le droit à 15 p. c., puisque le droit
chez elle est supérieur au taux que je propose.
Tous ces motifs se réunissent
donc pour que la chambre adopte la proposition que j’ai eu l’honneur de lui
présenter.
- L’amendement de M. Rodenbach
est appuyé.
M. Doignon. - Dans une discussion aussi importante, la chambre
doit s’entourer de tous les documents possibles. Avant de nous séparer à la dernière
session et postérieurement au premier vote, le conseil communal de Tournay a
adressé à la chambre une pétition relative à la bonneterie. Je crois utile de
communiquer à la chambre les observations que contient cette réclamation,
observations que je fais miennes d’ailleurs. Il est d’autant plus à propos de
vous donner connaissance de cette pétition qu’elle est elle-même une réponse à
certaine autre pétition qui a été présentée à la chambre vers la même époque et
qui fut insérée au Moniteur.
C’est avec raison, messieurs,
qu’on vous a dit que les propositions du gouvernement avaient jeté l’alarme
parmi nos industriels :
Voici comment s’exprime le
conseil communal de Tournay :
« Messieurs les
représentants,
« Nous venons, au moment
où le commerce de bonneterie de notre ville est agité des plus vives
inquiétudes, solliciter votre appui pour que le droit d’entrée de la bonneterie
étrangère soit établi au poids, conformément aux conclusions de votre section
centrale. A cette fin nous nous référons aux motifs et considérations que le
collège des bourgmestre et échevins a développés à M. le ministre des finances
dans sa dépêche du 23 décembre dernier, dont nous joignons ici la copie. Nous
partageons entièrement son opinion. Oui, messieurs, la bonneterie est l’industrie
la plus importante de notre ville, par les bras qu’elle occupe et par les
capitaux qu’elle met en circulation. L’on compte à Tournay deux mille cinq cent
métiers environ, lesquels procurent la subsistance à plus de six mille
individus ; la bonneterie du métier et celle au tricot alimentent une
population de plus de cinquante mille âmes, tant dans notre ville que dans
l’arrondissement communal dont elle est le chef-lieu ; les produits en coton
blanc qui autrefois entraient pour beaucoup dans notre fabrication, déclinent
tous les jours par la concurrence allemande, bien que nos fabricants s’en
occupent toujours et qu’ils puissent les faire avec avantage, ils étaient
protégés. Nul doute que leur industrie aurait doublé ses produits ; qu’elle
serait devenue très florissante, si l’élévation du droit de 20 p. c., existant
sur la bonneterie française, avait été appliquée aux provenances d’Allemagne ;
mais comme les représentations du collège des bourgmestre et échevins n’ont pu
atteindre leur but, nous appuierons, en acquit de notre devoir, les
propositions de la commission centrale, et nous réclamerons votre justice et
votre bienveillante protection pour que, dans la continuation de la discussion
de la loi des douanes, vous soyez favorables à l’établissement d’un droit
équivalent, au moins, à quinze pour cent de la valeur, et pour que ce droit sur
toute la bonneterie étrangère soit établi au poids, afin qu’il ne soit pas
illusoire.
« Nous croyons devoir
aussi vous prémunir, messieurs, contre certaine pétition qui vous a été
présentée à l’effet contraire. Elle contient des calculs inexacts, des allégués
mensongers, des faits matériellement faux : nos fabriques de bonneterie
témoignent du grand nombre de métiers qu’elles entretiennent, et nos
blanchisseries de leurs produits en col en blanc.
« L’accueil de nos instances,
jointes à celles du collège des bourgmestre et échevins, sera le salut d’une
industrie que l’ancien gouvernement a négligée, et le soutien d’une population
qui, après beaucoup d’efforts et de sacrifices, s’inquiète, à justes titres,
sur son avenir. »
A cette pièce était jointe la
réclamation du collège échevinal conçue
en ces termes :
« Monsieur le ministre,
« Si jamais il est du
devoir d’une administration communale de faire connaître les vœux et les
intérêts de ses administrés c’est dans cet instant surtout où des mesures qui
doivent avoir sur leur avenir la plus grande influence, sont à la veille d’être
prises. Nous ne pouvons pas vous le dissimuler, M. le ministre, entre les
modifications proposées au tarif des douanes, une surtout, celle de réduire à
10. p. c. les droits d’entrée sur la bonneterie française, a jeté l’inquiétude
parmi nos industriels. Ils craignent avec raison la perte de leurs capitaux et
la ruine de leurs établissements.
« Quoiqu’elle ait déjà
beaucoup souffert, la bonneterie est restée l’industrie principale de notre
ville ; et aujourd’hui encore elle fournit à 1,800 familles le travail et le
pain. Florissant sous les lois de l’empire français par la protection qu’elle
en obtenait, elle languit sous le gouvernement déchu, parce qu’il ne lui resta
plus que le marché belge, et encore eût-elle à y lutter contre les fabrications
étrangères. Car, alors que toutes nos frontières étaient ouvertes aux produits
étrangers, nos voisins repoussaient les nôtres. Faut-il donc s’étonner si nos
industriels ne trouvant aucun appui dans le gouvernement, n’ont fait que de
médiocres efforts pour s’approprier les perfectionnements étrangers ? Toute
création nouvelle exige des dépenses, de longs essais, et le fabricant ne
pouvait espérer de retirer aucun produit de ses mises, aucun fruit de ses
travaux. Aussi jusqu’à ce jour, l’Allemagne n’a-t-elle pas cessé de fournir au
marché belge tous les bas fins et à jour, et l’Angleterre ceux de qualités supérieures.
Seulement depuis que par représailles les droits d’entrée ont été portés à 20
p. c. sur les fabricats français, nous ne recevons plus de ce pays les qualités
moyennes qu’il nous procurait auparavant ; nous les fabriquons nous-mêmes.
C’est un fait, et ce fait prouve mieux que tous les raisonnements combien il
serait utile que ce droit de 20 p. c. fut généralisé. L’état actuel de la
bonneterie belge appelle, M. le ministre, toute votre attention. Si elle
obtient protection et encouragement, cette industrie pourra se développer, et
avant peu nous cesserons de payer à l’étranger ce tribut annuel de plusieurs
millions qu’il nous enlève pour les bas et tricots fins et à jour. L’intérêt de
notre pays réclame cette protection. Nous en sommes convaincus, M. le ministre,
vous la lui accorderez.
« Vous nous permettrez,
M. le ministre, de faire valoir aussi les intérêts de Tournay : quelle ville a
plus qu’elle souffert des événements politiques depuis 20 ans ? Nous ne cessons
de voir émigrer pour la France nos fabriques et notre population : St-Amand,
Valenciennes, Lille, Tourcoing et Roubaix se sont enrichis de nos dépouilles :
Roubaix n’a pris cet essor, qui l’a rendu l’une des places manufacturières les
plus importantes de l’ Europe, que parce qu’il a hérité de notre tissanderie si
florissantes sous l’empire français ; mais nous attendons, M. le ministre, d’un
gouvernement national, qui ne peut avoir d’autres intérêts que ceux de ses
sujets, nous attendons de vos lumières et de votre patriotisme des mesures protectrices
de notre industrie. Depuis 3 ans l’émigration de nos ouvriers recommence ; le
décroissement annuel de notre population prouve son malaise, et nous dit assez
qu’il est temps de travailler activement à raviver nos manufactures. Protégés
par vous, M. le ministre, nos efforts et ceux de nos concitoyens ne seront pas
vains, et notre ville reprendra bientôt sa splendeur et sa population. C’est à
cette fin que nous vous prions, M. le ministre, d’employer votre influence pour
faire porter à 20 p. c. les droits d’entrée sur la bonneterie de toutes les
provenances étrangères.
« Agréez, s’il vous
plaît, M. le ministre, l’hommage de notre respect. »
Certes on ne suspectera pas la
loyauté et la véracité des membres de notre conseil communal : ayant les faits sous
les yeux, ils sont certainement compétents pour rendre témoignage au cas
actuel.
Je persiste, comme lors du
premier vote à demander la tarification au poids du droit d’entrée sur la
bonneterie, parce que, outre les inconvénients ordinairement attachés à la
perception à la valeur, il y a toujours tant de variations dans les qualités et
les prix de cette marchandise, qu’il est moralement impossible que les employés
aient les connaissances indispensables pour les estimer, et que, dans
l’incertitude ou plutôt dans l’ignorance où ils se trouvent nécessairement, ils
s’en tiendront toujours aux déclarations telles qu’elles sont faites, plutôt
que de préempter ; ce qui serait un moyen certain d’éluder en grande partie le
paiement du droit, parce que d’ailleurs l’usage étant de vendre ces articles
par assortiments, on peut encore souvent désassortir les lots sans même en
déparier les objets, et empêcher de cette manière la préemption.
Ce n’est donc qu’en adoptant
en même temps la perception au poids qu’on peut consentir à baisser un peu le
droit de 20 p. c. existant actuellement sur les produits français ; car alors,
au moins, avec ce nouveau mode, on aura la certitude morale que ce droit
nouveau sera réellement payé.
Il a déjà été démontré à
satiété dans les discussions précédentes que le droit de 10 p. c. est
évidemment insuffisant pour nous protéger vis-à-vis de l’Allemagne, qui a sur
nous l’avantage d’obtenir de ses ouvriers paysans, une main-d’œuvre dont le
prix est de 20 à 25 p. c. moins élevé que chez nous, avantage qui tient au bon
marché de la vie, qui n’existe point et ne peut exister en Belgique.
Ou a pareillement prouvé que
la protection est aussi à peine suffisante à l’égard de la France avec le droit
actuel de 20 p. c., puisque depuis l’établissement de ce droit, la France
elle-même a déjà pris soin de le réduire à 13 ou 14 p. c., par l’effet de ses
primes d’exportation qu’elle accorde aux fabricants français.
Dans cet état de chose, nous
prions de nouveau instamment le gouvernement de nous montrer quel intérêt peut
avoir le pays à réduire, comme il le propose, en faveur de la France, une
protection qui déjà est plus que modérée, lorsque d’ailleurs il existe plus de
motifs que jamais pour la maintenir.
Il est une considération
péremptoire qui lui est échappée sans doute jusqu’ici, puisqu’il ne l’a pas
encore rencontrée. C’est un fait notoire que déjà, par suite de la concurrence
allemande qui, d’année en année, encombre de plus en plus nos magasins de ses
produits, nos fabriques de bonneterie se trouvent en ce moment dans un état de
souffrance et même de détresse dont on n’a pas vu d’exemple jusqu’à présent. La
chambre de commerce de Bruxelles, celle de Tournay et le conseil communal de
cette dernière ville vous l’attestent tous de la manière la plus positive. Si
l’on n’ajoute pas foi à des témoignages aussi respectables, joints ici à ceux
des représentants de l’arrondissement le plus populeux du Hainaut, qu’une
enquête soit alors ordonnée, que les commissaires soient désignés et qu’ils se
rendent eux-mêmes sur les lieux, ils verront aux greffes des tribunaux les
déclarations des déconfitures éclatées depuis quelques années et depuis même
notre dernière session ; ils entendront les plaintes amères de nos fabricants
qui leur révéleront leur triste situation. Ils en trouveront sut le point de
faire chômer leurs usines, si l’on ne vient à leur secours ; ils se
convaincront enfin par eux-mêmes que cette fabrication, qui existe dans le pays
depuis un temps immémorial, tombe chaque jour de plus en plus en décadence,
menacée par l’étranger de la manière la plus sérieuse.
Or, ces faits étant de la plus
grande vérité, interrogez vos consciences, pouvez-vous dire que c’est bien le
moment de proposer une réduction du droit ? Est-ce bien le moment de vous
désarmer du droit protecteur établi vis-à-vis de la France. Tandis que déjà
l’Allemagne cherche à nous écraser, voulez-vous en ouvrant maintenant votre
frontière aux produits français, achever la ruine de nos fabriques ?
Oui, messieurs, les
importations allemandes mettent en péril l’existence même de la plupart de nos
fabriques de bas. Si vous en doutez, descendez vous-mêmes dans leurs usines, et
jugez de vos propres yeux ; mais au moins jusque-là, ne les condamnez pas. Nous
sommes convaincus que le chiffre de près de sept cent mille francs de produits
allemands relevé à la douane doit être plus que doublé, et sa progression qu’on
vous a fait remarquer d’année en année, doit clairement nous montrer que
l’Allemagne finira par envahir la plus grande partie de notre marché, si on ne
la contient, si on ne lui oppose une digue.
Afin d’atténuer le préjudice
énorme que le commerce allemand porte à nos fabriques, l’on a enflé de la
manière la plus exagérée le chiffre de la fabrication pour la consommation
intérieure ; l’on a dit d’abord qu’à raison de 20 fr. par individu, le chiffre
était de 80 millions, et ensuite qu’à raison de 10 fr. par tête, il serait
encore de 40 millions ! Mais sans rappeler ici ce qui a déjà été dit contre de
pareilles assertions, nous ajouterons que la base adoptée par M. le ministre
est tout à fait fausse. Les campagnes forment la majeure partie de la
population en Belgique. Or, il est de notoriété que presque toute cette
population confectionne elle-même les chaussures dont elle a besoin, au moyen
des tricots qui se font dans le ménage. Sa consommation est donc en dehors du
commerce, et ne peut entrer dans le calcul du chiffre dont s’agit. Du reste, le
gouvernement a avancé son chiffre au
hasard, et il n’a produit, et nous lui défions de produire, aucun document à
l’appui de ses dires. On l’a déjà dit, la consommation à laquelle la
fabrication fournit, peut-être évaluée de 7 à 8 millions pour tout le pays ;
mais dans cette consommation figurent comme objet principal les bas blancs en
coton. Or, remarquez-le bien, c’est cet article que l’Allemagne menace
d’accaparer presque entièrement. Son importation, qui doit être en réalité de
1,500,000 à 2 millions de francs, absorbe la majeure partie de cet article au
détriment de nos fabriques, et si on ne l’arrête, elle est en chemin pour en
avoir le monopole en Belgique. Voilà la plaie qu’il s’agit d’adoucir par un
droit plus élevé vers l’Allemagne, et j’ai les plus grands regrets qu’on n’ait
point fait une enquête pour la constater.
J’en suis tellement convaincu
que si la loi est rejetée dans son ensemble, mon intention est de présenter une
proposition pour y remédier au moins en partie.
Grâce à son système prohibitif
et d’encouragement, la France est parvenue à perfectionner la fabrication de la
bonneterie, à tel point qu’elle ne craint plus, pour ainsi dire, de rival. A
Paris même, au faubourg Saint-Antoine, à Nîmes et dans bien d’autres endroits
de la France, les ouvrages en coton blanc qu’on y travaille sont parfaits : il
est donc aussi de toute évidence que la concurrence française est aujourd’hui
plus redoutable que jamais pour la Belgique. Comme si déjà ce n’était pas assez
de la concurrence allemande et anglaise contre laquelle on réclame avec
instance une augmentation de droit, on voudrait encore nous accabler par la
concurrence française. Non, messieurs, la législature est trop juste ; elle
aime trop son pays pour adopter la réduction proposée par le gouvernement.
Mais j’ajouterai même que personne
en Belgique ne demande la réduction du droit actuel. Ce ne sont ni les
fabricants, ni les marchands qui sollicitent cette réduction. Les magasins de
ces derniers sont alimentés principalement par les produits allemands. Au
total, je ne vois donc que l’intérêt français qui réclame cette mesure.
L’on a parlé de nouveau de nos
relations avec la France qu’il convient de ménager. Mais peut-on montrer plus
d’égard et de ménagements envers cette puissance voisine, lorsque elle-même
frappant nos produits d’une prohibition absolue, nous voulons bien néanmoins
recevoir les siens. Le droit actuel est tellement modéré que déjà les magasins
du pays se trouvent constamment garnis de marchandises françaises. Tandis que
nous aurions dû répondre aux prohibitions par des prohibitions, loin de
repousser ces articles, nous les admettons à un droit qui, dans la réalité,
n’est que de 13 à 14 p. c.
Mais d’ailleurs entre nations,
la conservation des industries existantes n’est-elle pas la première loi ? Et
il serait inouï qu’un peuple dût sacrifier jusqu’à ses moyens d’existence pour
plaire à son voisin. En fait de modération, nous pouvons dire que la Belgique
donne l’exemple à tous ses voisins. La Prusse, l’Angleterre imitant presque la
France, ont élevé leur droit à des taux exorbitants.
L’on a dit pour prétexte qu’il
était inutile de laisser exister le droit actuel à l’égard de la France, parce
qu’on le fraudait et qu’on rendait ainsi cette protection illusoire. Mais si
tous nos fabricants trouvent qu’il est de leur intérêt évident de laisser
subsister cette chose que vous dites inutile, pourquoi ne voulez-vous pas les
écouter ? Sans doute quelle que soit la fixation d’un droit d’entrée, il y a,
comme il y aura toujours, de la fraude ; mais est-ce à dire qu’il faut baisser tous
les droits existants. Si l’on fraude au cas dont s’agit, il est certain que
cette fraude n’est pas d’une bien grande importance, puisque la fabrique ne
s’en plaint aucunement. Si les magasins se remplissaient de produits français
comme on voit qu’ils sont pleins de produits allemands, nul doute que nos
fabricants n’eussent réclamé pour une augmentation ou une mesure plus efficace
; mais tous reconnaissent que le droit actuel vers la France est précisément
suffisant, et ce n’est que du côté de l’Allemagne qu’ils demandent une
augmentation.
Le gouvernement a admis comme
constant que la prime de fraude avec garantie pour les produits français est de
15 p. c. Il reconnaît donc que c’est à tort qu’il propose de réduire le droit à
10, et ainsi, de son aveu, par sa réduction la Belgique sacrifierait une partie
de la protection dont elle jouit maintenant, car la prime de fraude, qui est de
15, descendrait nécessairement au-dessous du nouveau droit et conséquemment
au-dessous de 10 p. c. Mais la prime d’assurance était de 15, la raison veut
que le commerçant préfère toujours payer quelque chose en plus, plutôt que de
recourir à la fraude, même avec garantie ; ainsi, de l’aveu encore du
gouvernement, ce droit devrait dans tous les cas demeurer fixe de 15 à 20 p. c.
Or, la section centrale se borne à demander
Mais il est encore une
considération sur laquelle on ne s’est point assez appesanti dans la
discussion. Le bas est une chaussure qui comme le soulier peut être mise au
rang des objets de première nécessité ; j’entends parler ici de la bonneterie
grosse et moyenne qui est celle dont il s’agit principalement dans le projet de
loi : on peut dire qu’en général cette chaussure est aussi nécessaire à la vie
de l’homme civilisé que le soulier, les vêtements et le pain lui-même. Or il
est dans les principes d’une bonne économie politique qu’une nation se réserve
et soutienne chez elle la fabrication et la confection des objets qui sont pour
elle un premier besoin, dût-elle même s’imposer quelques sacrifices s’il le
fallait. Un peuple qui consentirait à laisser tomber ses manufactures et ses
fabriques pour recevoir de ses voisins ses bas et ses souliers tout
confectionnés, un pareil peuple oublierait les lois de sa propre conservation
pour ne pas dire plus. Quant à des objets de cette nature, une nation doit être
indépendante et à l’abri de toute vicissitude de la part de l’étranger, et elle
serait la plus malheureuse des nations si elle se voyait forcée de se faire une
législation qui la mît dans l’impossibilité de pouvoir tenir la fabrication de
pareils articles contre la concurrence étrangère.
Or, il ne faut pas qu’on s’y
trompe, tel est l’état des choses par rapport à la bonneterie belge. Les
importations allemandes surtout, favorisées, encouragées par un droit
évidemment trop faible, ont réduit nos fabriques à l’état le plus précaire.
Encore une fois, si l’on en doute, qu’on ouvre au plus tôt une enquête sur ce
point de fait. Le pays est en effet très sérieusement exposé à perdre en très grande
partie la fabrication de ces objets de première nécessité, si l’on ne met un
frein à ces importations, et si en outre, on lève la barrière du côté de la
France par l’abaissement du droit tel que le propose le ministère. Les
marchands détaillants eux-mêmes attestent tous que leur bonneterie provient en
très grande partie des fabriques étrangères, et, cependant, depuis des années,
la fabrique belge aurait fait aussi bien que l’étranger, comme elle peut le
faire encore aujourd’hui, si le gouvernement eût veillé à rendre la lutte moins
inégale par une meilleure législation et des encouragements convenables. Il est
d’autant plus impolitique de laisser passer chez les étrangers la fabrication
d’objets indispensables à la vie, qu’une fois nos fabriques tombées ou presque
nulles, ces étrangers pourraient tôt ou tard nous faire payer bien cher cette
dépendance où nous aurons voulu nous placer nous-mêmes ; et en outre, ils nous
enlèveront, comme ils nous enlèvent déjà en grande partie, le travail qui fait
toute l’existence de notre classe ouvrière, et de plus, des immenses capitaux
perdus pour le pays sans compensation aucune.
Il est superflu de dire que
les observations qui précèdent ne sont pas applicables à la bonneterie de
fantaisie ou de luxe, qu’on peut classer parmi les articles de mode : en aucun
cas, l’entrée de ces articles ne peut compromettre les intérêts essentiels du
pays comme l’introduction successive d’objets de première nécessité.
L’on nous a aussi opposé les
réclamations des marchands de bonneterie étrangère ; mais leurs alarmes sont
exagérées et sans fondement. D’abord leurs magasins sont à présent tellement
pleins de produits allemands que d’ici à bien longtemps le nouveau droit n’aura
sur leur commerce aucune influence ; mais, à l’aide de ce droit protecteur, nos
fabriques nationales se relèveront, et se trouvant bientôt en état de combattre
la concurrence étrangère, il est résultera que peu à peu les produits étrangers
seront remplacés pour une bonne partie dans les magasins par des produits indigènes,
de sorte qu’en aucun cas ces maisons de commerce ne cesseront de subsister.
Comme il s’agit d’un objet de première nécessité, peu importe son origine, il
faudra toujours qu’il y ait des marchands ou commerçants pour en faire le
débit. La question qui s’agite maintenant n’est donc pas pour eux une question
d’existence, tandis qu’elle est réellement pour nos fabricants belges une
question de vie ou de mort. Du reste, la tarification telle qu’elle elle est
proposée au poids par la section centrale n’est aucunement prohibitive, et elle
comporte une modération telle que nos magasins pourront facilement encore se
pourvoir de bonneterie étrangère, notamment pour les qualités fines qui
resteront assujetties à un droit peut-être moindre que celui aujourd’hui perçu.
Ces magasins d’articles étrangers trouveront en outre une compensation
raisonnable dans la réduction du droit à l’égard de la bonneterie française.
Mais quand il serait même vrai
que les commerçants dussent éprouver un léger préjudice ou une gêne qui ne
serait d’ailleurs que momentanée ; je dirai que l’intérêt de notre classe
ouvrière et notre obligation de lui assurer du pain, l’intérêt de notre
agriculture qui fournit une bonne partie de la matière première, l’intérêt de
conserver tous les ans au pays plusieurs millions, et enfin l’intérêt national
qui nous fait une loi de ne point dépendre de la fabrication étrangère pour des
objets de première nécessité, je dirai, dans ce cas que tous ces grands
intérêts sont bien supérieurs à celui du simple marchand. Que diriez-vous si,
sous prétexte qu’il existe des marchands de grains étrangers, on vous proposait
de sacrifier notre propre agriculture ? Favoriser la production nationale,
telle est la première de toutes les règles, celle qui doit dominer toutes les
autres, Au surplus, le système de la section centrale ne sacrifie aucune classe
; il conciliera, autant qu’il est jamais possible, les intérêts du fabricant et
du commerçant.
Mais d’ailleurs parmi les
marchands de bonneterie exotique qui réclament contre ce système, plusieurs
sont étrangers, et à ce titre je les soutiens non recevables à juger les
intérêts des fabriques belges. Leurs intérêts s’identifiant avec ceux de
l’étranger, je crois entendre par leur organe la voix des Allemands, des
Anglais, des Français. Or, que penseriez-vous si ces réclamations étaient
réellement signées par des individus appartenant à chacune de ces nations ?
C’est cependant l’intérêt de ces étrangers qui est ici en première ligne.
L’on a aussi parlé de
l’intérêt des consommateurs. Mais premièrement ne sait-on pas que nos
producteurs, nos industriels, nos ouvriers forment eux-mêmes une partie notable
des consommateurs du pays ? Dès qu’une industrie a des facilités pour se
répandre, il n’est pas possible qu’un monopole soit à craindre ou qu’on soit
exposé à payer des prix outre mesure, et si, d’une part des droits protecteurs
sont indispensables pour faire sortir nos fabriques de leur état de langueur et
de dépérissement, la législature de son côté veillera, au besoin, à ce qu’il
n’en soit point abusé, et à étendre même alors, s’il le fallait, la concurrence
étrangère. Du reste, avec le système proposé, il restera certainement à
celle-ci assez de latitude pour maintenir les prix dans le pays à un taux
modéré. Mais fût-il vrai encore que le consommateur de la classe aisée dût
perdre un léger avantage avec les produits étrangers, ce mince intérêt ne
serait nullement à considérer vis-à-vis de ceux que nous avons retracés plus
haut.
Il n’y a point d’industrie
plus nationale dans le pays que la bonneterie. Non seulement, disent nos
fabricants, elle mérite par elle-même toute la bienveillance des chambres et du
gouvernement, eu égard au grand nombre de bras qu’elle occupe, mais il faut
aussi tenir compte des bienfaits qu’elle répand sur l’agriculture et sur
plusieurs autres branches d’industrie. Les fabricants de bonneterie ne se
bornent pas, comme quelques autres industries, à travailler une matière
première venant de l’étranger ; les matières premières qu’ils emploient sont
produites dans le pays, et ceci est vrai principalement pour les laines, qui
certes ne sortiraient pas en si grande quantité de Belgique, pour être
travaillées à l’étranger, si cette industrie était mieux protégée. Si l’on
calcule ensuite le nombre de filatures de coton et de laine, le nombre de
teinturiers, de blanchisseries, etc., qui sont alimentées par ce genre de
fabrication, si l’on songe combien de fouleurs, apprêteurs, etc., y trouvent
leur part de bénéfice, et si l’on considère enfin que les métiers à faire bas,
sont construits dans le pays avec une matière première provenant aussi du pays,
l’on sera forcé de reconnaître que l’importance de la bonneterie est immense,
et que de son sort dépend celui de bien d’autres branches d’industrie.
La France, a dit le gouvernement,
demande à être traitée sur le pied d’un droit commun à tous les Etats. Nous
pourrions faire voir que cette prétention n’est point juste par rapport à nous
; mais nous voulons bien admettre un droit uniforme pourvu qu’il soit assez
élevé, de manière à notre protéger suffisamment envers et contre tous. Au lieu
de cela, la France voudrait au contraire que nous prenions pour droit commun le
droit le plus bas, ce droit de 10 p. c. qui est, comme il a toujours été,
désastreux, ruineux pour nos fabriques belges. Deux droits différents existent
maintenant, celui de 10 p. c. vers l’Allemagne et l’Angleterre, et l’autre de
20 p. c. vers la France. S’il y avait à opter entre les deux, c’est
certainement à ce dernier qu’il faudrait s’arrêter. Toutefois, nous admettrons
celui de la section centrale pourvu qu’il se perçoive au poids.
Depuis 1815, époque de notre
séparation de la France, nous avons fait l’expérience de ce droit de 10 p. c.,
tant à l’égard de la France que de l’Allemagne, et les conséquences en ont été
si déplorables que, pour l’admettre comme droit uniforme, autant vaudrait
prononcer de suite la destruction entière de nos fabriques. Depuis 1815,
jusqu’à la loi de 1822, c’est ce même droit de 10 p ; c. qui nous régissait, et
durant toute cette époque, les produits français inondèrent tellement la
Belgique que nos fabriques souffrirent dès lors considérablement et arrivèrent
peu à peu à cette triste situation où on les voit aujourd’hui.
En 1822, ce n’est point, comme
on l’a dit, simplement par représailles et par colère que le gouvernement
hollandais fit élever à 20 p. c. ce droit jusque-là évidemment trop faible,
mais ce fut sur les réclamations les plus vives et les plus unanimes des
fabricants du pays ; encore n’obtinrent-ils qu’une demi-justice, car pour
favoriser la Hollande, qui avait intérêt à laisser entrer de son côté presque
librement les produits allemands, on continua vers l’Allemagne à laisser
subsister ce malheureux droit de 10 p. c. seulement. Les archives de nos
chambres de commerce et de nos régences et la presse de cette époque feraient
foi que c’est d’après les plaintes les plus pressantes de nos fabricants et
parce que le droit de 10 p.c. pour la France devait aussi causer leur ruine,
que le gouvernement l’a porté en 1822 à 20 au lieu de 10. Il est donc évident
que l’abaissement du droit à dix, en nous replaçant au même état qu’en 1816,
serait aujourd’hui plus que jamais une mesure des plus funestes, puisque la
condition de nos fabriques n’a fait encore qu’empirer de plus en plus depuis
cette époque, par l’effet de la concurrence allemande qui a continué jusqu’à ce
moment à ne payer que 10.
Du côté de l’Allemagne, grâce
à notre mauvaise législation et à ce droit de 10 p. c., la masse des
importations est devenue énorme : on en a élevé le dernier chiffre à 700,000
francs environ. Mais, nous l’avons dit, ce chiffre lui-même n’est point exact,
et il est bien au-dessous de la vérité. Les faits sont plus puissants que
certains chiffres. Or, il est de notoriété que tous nos magasins regorgent de
produits allemands et qu’ils en sont même fournis pour très longtemps. Il est
donc évidemment impossible à nos fabriques de se soutenir plus longtemps, si
l’on n’apporte un prompt remède à l’état actuel des choses. Les propositions de
la section centrale pourraient, je l’espère, atteindre ce but.
Le nouveau droit uniforme doit
également s’appliquer aux bonneteries d’Islande, d’Ecosse et Klopenburg. La
Hollande les avait exceptées, et placées dans une catégorie particulière à un
droit minime de 3 p. c., parce qu’elle en faisait chaque année une consommation
très considérable pour ses marins : mais cette raison s’évanouit aujourd’hui,
et notre fabrication qui a des produits similaires ou analogues, pourvoira
facilement aux besoins de notre petit nombre de marins.
Au surplus, c’est une erreur
de dire qu’en principe il faut nécessairement un droit uniforme : on peut avoir
des raisons fort justes pour établir des droits différentiels envers un pays,
sans qu’elles aient pour cela le moindre caractère d’hostilité. La législation
douanière n’est pas autre chose qu’un système de défense en faveur des
industries et du commerce nationaux. Or, il est dans la nature d’un pareil
système, de pouvoir se modifier et varier suivant les temps, les lieux et les
circonstances. En cette matière, bien moins encore qu’en toute autre, il ne
peut y avoir de règle absolue.
La
France elle-même n’a adopté le système d’un droit commun, que parce qu’il est
plus en harmonie avec son système dominant de prohibitions, attendu qu’alors
elle a soin de prendre toujours pour son droit protecteur le chiffre le plus
élevé et, par suite, le plus restrictif..
Mais en demandant le droit
commun à ses voisins, c’est précisément la règle inverse qu’elle voudrait leur
faire adopter, puisqu’alors c’est au chiffre le plus bas qu’elle voudrait qu’on
s’arrêtât ; mais notre devoir est de l’imiter, et elle doit trouver juste que
nous la prenions pour modèle. Admettons donc aussi un droit commun, mais qu’il
soit assez élevé pour nous assurer une protection suffisante envers et contre
tous.
Nous ne pouvons au surplus
avoir égard aux tableaux distribués hier, concernant la tarification au poids.
Les opérations qu’elle présente auraient dû être faites contradictoirement avec
la section centrale ; mais tout s’est fait à son insu et en son absence. La
section centrale seule a été chargée de ce travail par la chambre, c’est donc à
son travail seul qu’il convient de s’arrêter.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je regrette véritablement de devoir
encore vous présenter des observations, mais je serai très court. Je dirai en
premier lieu que la pétition de la régence de Tournay ne doit pas faire une
très grande impression sur la chambre lorsqu’on considère qu’elle demande qu’on
élève le droit à, 20 p. c. ; en effet cela revient à demander que l’on déclare
que l’importation de la bonneterie se fera en fraude et qu’il n’y aura plus
aucun droit à percevoir pour le trésor.
Un membre. - La régence de Tournay n’a réclamé qu’un droit de
15 p. c.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). – Soit !…
Au surplus, si elle n’a pas demandé
20 p. c., je suis content que mon erreur soit rectifiée.
On s’est étonné que le
gouvernement ait proposé de diminuer le droit à 10 p. c., lorsque le ministre
des finances admet qu’ il en coûte 15 pour introduire les marchandises en
fraude. C’est pour ne pas laisser d’appât à la fraude qu’on a proposé un droit
un peu inférieur à la prime qui garantit la marchandise rendue à domicile.
Il ne faut pas perdre de vue
qu’on dépense des sommes énormes pour le service de la douane et qu’il est
juste que le trésor puisse faire quelques perceptions, pour compenser les
charges qui résultent de ce service pour le pays.
J’ai encore une réponse à
faire sur le système de perception au poids. L’honorable préopinant a dit qu’il
y avait trop de variété pour que les employés pussent apprécier la valeur des
articles de bonneterie. Je n’admets pas cette assertion, car il y a beaucoup
d’employés très experts : indépendamment du receveur, il y a un visiteur, et
dans certains bureaux des contrôleurs ; ces gens, qui ont une expérience
journalière sont à même d’apprécier la valeur surtout d’une marchandise aussi
courante que la bonneterie.
On
n’insiste tant sur la perception au poids, que parce que c’est un moyen de
cacher la hauteur du droit. Si on adopte ce mode qu’en résultera-t-il ? Qu’on
aura un système complet de fraude, et qu’on ne percevra plus de droit. Car
évidemment la perception au poids n’est demandée que pour élever le droit.
Je ferai encore une
observation relativement à l’augmentation proposée par M. A. Rodenbach. Si vous
l’adoptez, il est évident que la proposition de M. le ministre des finances,
d’ajouter au droit pour les pays qui accordent urne prime à la sortie, le
montant de cette prime, ne pourrait plus subsister ; car en ajoutant la prime
au droit de 15 p. c., vous resteriez encore dans le système du droit de 20 p.
c., vous n’auriez rien fait pour diminuer la fraude.
J’ai cru devoir faire cette
observation, parce que M. le ministre des finances retirerait sa proposition,
si celle de M. A. Rodenbach était adoptée.
M. Trentesaux. – Messieurs, j’ai demandé hier la parole, quand j’ai
entendu M. le ministre de l’intérieur demander quels avantages la Belgique
avait retirés de l’arrêté du mois d’août 1823, et que je l’ai vu douter
sérieusement des avantages que cet arrêté lui avait procurés. Je dirai donc
quelques mots qui auront leur application non seulement à la bonneterie, mais à
tout ce qui fait l’objet de la loi.
Un honorable membre vous a
parlé hier d’un mémoire qui vous a été distribué, sur l’industrie drapière de
Verviers ; j’avais lu ce mémoire d’un bout à l’autre, et, comme cet honorable
membre, je l’ai trouvé bien pensé, bien écrit, parfaitement méthodique.
Il contient en outre un exposé
de faits relativement à cet arrêté du mois d’août 1823, que je vais essayer de
compléter en vous rappelant ce qui a précédé l’arrêté du mois d’août 1823 et ce
qui y a donné lieu.
Vous connaissez tous la
fameuse loi du 12 juillet 1821. Cette loi était la constitution financière du
royaume des Pays-Bas. Elle consacrait tous les principes non seulement quant
aux impositions, au système financier, mais aussi quant aux droits d’entrée et
de sortie.
Le système quant aux droits
d’entrée et de sortie était, on nous l’a dit vingt fois, la reproduction du
système des provinces unies de Hollande, en 1725, un système presque exempt de
droits. Aussi, si vous recourez à cette loi du 12 juillet 1821, vous verrez
que, dans ses principes, elle établit qu’il y aurait un droit commun de 3 p. c.
et que dans le cas où une industrie devrait avoir une protection spéciale, le
droit pourrait être porté à 6 p. c. Voilà, quant aux droits d’entrée et de
sortie, ce que stipulait la loi du 12 juillet 1821.
On savait bien que par ces
dispositions on sacrifiait l’industrie ; aussi une autre disposition
portait-elle qu’une somme au maximum de 1,300,000 florins serait portée
annuellement au budget pour venir au secours des fabriques qui devraient
souffrir par le fait de l’abaissement des droits. Vous savez qu’aujourd’hui il
n’est plus question dans notre budget d’allocation de cette nature.
On a parlé ironiquement du
million Merlin, c’était cette allocation de 1,300,000 florins pour secourir
l’industrie. On savait, je le répète, que par cette loi, on sacrifiait
l’industrie du pays, aussi par qui a-t-elle été adoptée et repoussée ? Elle a
été adoptée à l’unanimité moins une voix par les députés des provinces
septentrionales et repoussée par les députés des provinces méridionales, moins
deux. Ce n’était pas seulement à cause du système financier qu’elle consacrait,
mais à cause du système douanier qu’on votait ainsi. Celle-là était la loi de
principe ; elle ne contenait pas autre chose que des principes.
En 1822, on fit toutes les
lois d’application, et quant aux impôts et quant aux droits d’entrée, de sortie
et de transit. Les principes posés dans la loi du 12 juillet 1821 ont été
suivis dans la loi de douane ; c’est ainsi que vous avez le tarif du mois
d’août 1822.
Que s’est-il passé après la
promulgation de cette loi ? On a comparé la petite Belgique à la grande France,
et on a vu que la petite Belgique était ouverte à la grande France, et
consultant le tarif français, on a vu
que la grande France, qui était entrée très avant dans le système prohibitif,
était fermée à la petite Belgique, pour toutes les productions d’industrie
similaires.
Que se passe-t-il alors en
Belgique 7 De tout côté, ce sont des plaintes qu’on adresse au roi Guillaume :
Charleroy d’abord, si j’ai bonne mémoire, Verviers, Tournay aussi pour sa
bonneterie, ses lapis et ses porcelaines. Que fit le roi Guillaume ? Assailli
par toutes ces plaintes, il se résout à faire une large brèche au système, et à
prendre l’arrêté du mois d’août 1823. Que croyez-vous qu’on a pensé en Belgique
de cet arrêté ? De tous côtés on a applaudi.
On sait que la France est fort
susceptible ; cependant alors elle avait sa guerre contre-révolutionnaire
d’Espagne ; d’un autre côté, rien n’était plus facile que de démontrer qu’avec
le système de la loi de 1822, il était impossible à l’industrie belge de
soutenir la concurrence avec l’industrie française, et que l’arrêté du mois
d’août 1823 ne faisait que protéger l’industrie nationale. C’est donc au mois
d’août 1823 que cet arrêté est rendu.
La session suivante, le
gouvernement proposa aux états-généraux de le convertir en loi. J’avais des
doutes sur l’adoption, non pas de la part des députés belges, car nous étions
unanimes, mais de la part des députés des provinces septentrionales ; car le
projet faisait brèche à leur système qui était la reproduction du système de
1725. En 1725, la Hollande n’était plus guère que commerçante. elle n’était
plus commerçante et fabricante, comme elle l’avait été dans le siècle précédent
et du temps des de Wit, comme on peut le voir par l’ouvrage posthume de Jean de
Wit. Il serait trop long d’expliquer comment les manufactures et fabriques
avaient peu à peu diminué en Hollande, et comment dès 1725 elle n’exportait
plus qu’une faible quantité de ses produits ; tels le fromage, le beurre, etc.
Mes doutes furent bientôt
dissipés et à l’unanimité l’arrêté du roi Guillaume a été converti en loi. J’ai
entendu appeler ce tarif « Tarif belge. » N’est-il pas plus vrai de
dire que c’est un tarif hollandais ? Maintenant peut-on demander sérieusement
quels avantages la Belgique a obtenus par l’arrêté du mois d’août. Peut-on
faire une pareille question ? Apparemment toutes ces villes qui adressaient
leurs plaintes au roi Guillaume lui exposaient l’état des choses, lui faisaient
entendre qu’il était impossible que cet état durât, apparemment toutes ces
villes ne savaient ce qu’elles faisaient ! Ces députés qui avaient rejeté à la
presque unanimité la loi de 1821, et qui à l’unanimité avaient adopté l’arrêté
du mois d’août 1823, ces députés, apparemment, ne savaient ce qu’ils faisaient
!
Nous qui émettions ces votes à
Bruxelles et à La Haye, nous n’y entendions, rien, à ce qu’il paraît. (On rit). Nous ne savions ce que nous
faisions ! En vérité, messieurs, pour celui qui observe, l’étonnement est
extrême. Tout est interverti. Le tarif hollandais devient le tarif belge. Les
mesures prises par le roi Guillaume en faveur de l’industrie belge deviennent
des mesures prises ab irato, et non dans l’intérêt belge.
Enfin, on a semblé insinuer
que cet arrêté d’août 1823 aurait eu un but politique et non un but économique.
Pour moi je dis que cet arrêté a eu un but économique et nullement un but
politique. Il a été très avantageux à la Belgique. Il suffit du sens commun
pour en être convaincu, car la petite Belgique était, en vertu du tarif,
ouverte à la grande France, sans réciprocité.
Que veut-on faire aujourd’hui
? On parle de concession ; mais voyons si la France en a fait assez pour que
nous déposions toutes nos armes. C’est ici que je rentre dans la question du
statu quo soulevée hier par un honorable membre. Et véritablement c’est
peut-être dans l’état des choses le parti le meilleur à prendre, sauf toutefois
les modifications sur lesquelles on est d’accord. Je ne dirai rien en
particulier sur la bonneterie, on en dit assez à cet égard. Je me bornerai à
ceci.
- La séance est levée à 4
heures 1/2.