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Note d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du lundi 8 mai 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à une
invention utile au chemin de fer (de Puydt), aux droits
sur les gants (de Brouckere), à l’impôt sur le sel
(Thienpont), aux droits sur les pipes (Gendebien, Desmet)
2) Rapport sur des demandes en naturalisation
3) Projet de loi relatif au chemin de fer de Gand vers Courtray à la
frontière française, avec embranchement à Tournay (Nothomb,
Dubus, A. Rodenbach, Nothomb)
4) Projet de loi relatif aux examens au grade de docteur en droit
5) Projet de loi accordant un crédit au budget du département des
travaux publics de l’exercice 1837, pour réparations des digues aux polders.
Convention militaire belgo-hollandais des 19 janvier-25 avril 1837, indemnités
aux victimes de la révolution (Gendebien, Nothomb, F. de Mérode, de Brouckere, de Puydt, Smits, Jullien, Gendebien,
F. de Mérode, Gendebien)
(Moniteur belge n°129, du 9 mai
1837 et Moniteur belge n°130, du 10 mai 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°129, du 9 mai
1837)
M. de Renesse
fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn
lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
présente l’analyse des pièces adressées la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Beaujean, capitaine en
retraite, demande être placé dans l’armée de réserve. »
________________
« Le sieur Gigot Seghers, fabricant de gants à Etterbeck,
demande que les gants français soient frappés d’un droit de 15 p. c. à
l’entrée. »
________________
« Le conseil communal de
Tournay demande que le droit d’entrée sur la bonneterie étrangère soit établi
au poids, conformément aux conclusions de la section centrale. »
________________
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi de douane.
________________
« Le sieur Antonin Pieux de Rigel, ingénieur venu d’Autriche à Bruxelles pour offrir
une invention nouvelle concernant les chemins de fer, se plaint de n’avoir pas
obtenu l’accomplissement des promesses qui lui avaient été faites par le
gouvernement. »
________________
« Des habitants de Dison
(Verviers) demande que la chambre décide que les indemnités dues par les
villes, du chef des pillages, soient mises à la charge de l’Etat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion de la loi sur les indemnités.
________________
« Des sauniers de diverses
localités adressent des observations en faveur de la loi sur les sels. »
- Renvoyé à la section centrale chargée de
l’examen de la loi sur le sel.
« Le sieur J.-B. Nihoul demande qu’on mette un droit plus élevé sur les
pipes étrangères. »
________________
M. de Puydt. - Parmi les pétitions
mentionnées il en est une d’un ingénieur mécanicien étranger, qui est venu
offrir à
________________
M. de Brouckere. - On vient de
vous annoncer une pétition adressée à la chambre par un fabricant de gants, qui
demeure dans les environs de Bruxelles, et qui, à l’occasion de la loi des
douanes, demande un droit d’entrée de 15 p. c. sur les gants venant de France.
J’ignore l’accueil qui sera fait à cette requête ; mais il me semble qu’elle
mérite d’être l’objet d’un examen. Ce fabricant emploie un grand nombre
d’ouvriers, et il prétend qu’il devra les congédier, si on n’élève pas les
droits. Je demanderai que sa pétition soit renvoyée à la commission
d’industrie, afin qu’elle fasse un prompt rapport, pour savoir si l’on ne doit
pas faire une proposition législative spéciale, relativement à la ganterie.
- Cette proposition est
adoptée.
________________
M. Thienpont. - Dans la séance de
vendredi dernier, une pétition vous a été présentée par les sauniers
d’Audenaerde. Comme elle contient, sur le sel, des opinions contraires à celles
que d’autres pétitionnaires ont émises et qui ont été insérées au Moniteur, je
demande qu’elle soit également insérée au Moniteur.
- La proposition est adoptée.
M. le président. - On pourra déposer sur
le bureau la pétition sur les pipes quand ou discutera la loi des douanes.
M. Gendebien.
- Je demanderai que cette pétition soit imprimée au Moniteur : on sait quel est
le résultat du dépôt sur le bureau ; je ne puis consentir qu’on se borne à
l’adopter.
M. Desmet.
- On fera bien de renvoyer cette pétition à la section centrale qui examine
l’article relatif à la poterie. Les fabriques de pipes sont fort importantes.
- Le renvoi à la section centrale est
ordonné.
Les autres pétitions sont renvoyées à la
commission des pétitions.
RAPPORTS
SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Fallon
dépose sur le bureau des rapports sur des demandes en naturalisation.
M. Milcamps
dépose aussi sur le bureau des rapports sur demandes en naturalisation.
PROJET
DE LOI RELATIF AU CHEMIN DE FER DE GAND VERS COURTRAY A
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, en vous
présentant, le 1er mars, le compte-rendu des travaux, de l’entretien et de
l’exploitation du chemin de fer, je vous disais : « Un premier complément
que nous devons dès à présent considérer comme indispensable, est la section de
Gand vers Lille par Courtray, avec embranchement sur Tournay ; prochainement
vous serez appelés à donner cette première extension à la loi du 1er mai
1834. »
Cet engagement, je viens le remplir
aujourd’hui.
Les débats qui ont précédé la loi du 1er
mai 1834 sont déjà loin de nous : avant
le vote de cette loi, avant l’expérience qui en a été faite, on pouvait douter
s’il fallait faire intervenir le gouvernement dans l’établissement des chemins
de fer. Arrivés jusques à Gand, est-il de notre intérêt de continuer la
nouvelle communication vers
La proposition qui vous est soumise n’est
donc pas destinée à renouveler la discussion de principe qui a occupé la
législature en 1834.
Il y a plus : si quelque partie du chemin
de fer décrété par la loi du 1er mai offrait des chances de perte, il faudrait,
pour les compenser par un bénéfice certain sur d’autres parties, assurer à
l’Etat l’exploitation du prolongement du chemin de Gand vers
Le gouvernement vous propose non seulement
de continuer le chemin de Gand vers Lille, mais de faire un embranchement de
Tournay à la frontière.
Ces deux propositions se lient intimement
: par cet embranchement, les provinces du Hainaut et des Flandres se trouveront
rattachées l’une à l’autre, en même temps qu’elles le seront à la partie la
plus importante du département du Nord.
La longueur de la section de Gand jusqu’à
la frontière de France par Courtray est d’environ
C’est un peu plus que le développement des
trois sections de Malines à Bruxelles, Anvers et Termonde, qui, réunies,
offrent une longueur de
Ce rapprochement prouve qu’en plusieurs
points la construction et l’exploitation des trois sections déjà livrées à la
circulation peuvent offrir des éléments de comparaison ; toutefois, il ne faut
perdre de vue que ces trois sections, dont le coût, d’après le compte-rendu du
1er, n’est encore que de six millions environ, n’ont ni matériel complet, ni
stations définitives, et qu’elles manque d’une seconde voie.
Le projet a été étudié à deux reprises par
des ingénieurs différents.
La direction adoptée par les uns et les
autres, tant pour la section principale que pour l’embranchement, est en
général la même.
Il a paru aux uns et aux autres qu’il
fallait suivre, à partir de Gand jusqu’à Courtray, le bassin de
D’après le plan de MM. Simons et de Ridder, la construction de la route proprement dite, des
stations définitives et des dépendances, est évaluée à 6,620,000.
D’après le plan de MM. Vifquain, de Moor et Noël, la même dépense est évaluée à 7,209,537 fr.
Dans ces évaluations ne sont pas comprises
les dépenses imprévues, ni l’intérêt des capitaux durant l’exécution.
Vous trouverez ci-joints les deux mémoires
; vous porterez surtout votre attention sur les questions d’utilité générale et
de probabilité de bénéfice ; questions qui me semblent devoir déterminer votre
vote, indépendamment de certains détails d’exécution, à l’égard desquels vous
jugerez sans doute convenable de laisser toute latitude au gouvernement.
Dans leur mémoire, MM. Simons et de Ridder ont également calculé quelles seront les dépenses et
les recettes annuelles, tant pour le transport des voyageurs que pour celui des
marchandises ; vous serez convaincus que des considérations financières
suffiraient pour déterminer l’Etat à se réserver l’exploitation de ce chemin.
(Voir ce mémoire à la suite de la séance.)
Lorsque l’exécution du chemin de fer de
Paris vers Bruxelles était incertaine encore, le gouvernement avait déjà résolu
de faire aboutir la communication nouvelle à la frontière sur deux points,
en usant de l’autorisation que lui donne la loi du 1er mai 1834, pour
diriger un embranchement de Bruxelles par le Hainaut sur Valenciennes, et en
vous demandant l’autorisation de prolonger le chemin de Gand vers Lille : il
espère que vous le mettrez à même de ne pas se laisser devancer.
« Projet de loi.
« Léopold, Roi des Belges.
« A tous présents et à venir, salut.
« Sur la proposition de notre
ministre des travaux publics,
« Nous avons arrête et arrêtons :
« Notre ministre des travaux publics
présentera aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :
« Léopold, etc.
« Vu la loi du 1er mai 1834 décrétant
l’établissement d’un système de chemins de fer, ayant pour point central
Malines, et se dirigeant à l’est, vers la frontière de Prusse, par Louvain,
Liège et Verviers ; au nord, sur Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par Termonde,
Gand et Bruges ; et au midi, sur Bruxelles et vers les frontières de France,
par le Hainaut :
« Voulant donner une première
extension à la loi du 1e mai 1834 par la continuation du chemin de fer de Gand
vers Lille ;
« Nous avons, de commun accord avec
les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Il sera établi, aux frais
de l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France par Courtray, avec
un embranchement sur Tournay.
« Art. 2. Il sera pourvu à cette
dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du
gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834.
« Mandons et ordonnons, etc.
« Donné à Bruxelles, Le 7 mai 1837.
« Par le Roi :
« Le ministre des travaux publics,
« Nothomb. »
- Sur la demande de M. Dubus, le projet sera renvoyé à une
commission spéciale qui sera nommée par le bureau.
M.
A. Rodenbach. - Le projet de loi que vient de nous présenter le ministre
des travaux publics a pour but de construire, aux frais du gouvernement, un
chemin de fer de Gand à Courtray, avec embranchement sur Tournay. Je m’étonne
que dans ce projet Il ne soit nullement question de l’embranchement de Courtray
à Roulers, qui serait cependant d’une très haute importance, car la plus grande
partie de
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) répond que le gouvernement n’a pas cru devoir
comprendre dans le projet un embranchement de Courtray à Roulers ; mais il
déclare que le gouvernement est prêt à faire une concession particulière à ceux
qui se proposeraient de construire cet embranchement s’ils présentaient des
conditions acceptables.
PROJET
DE LOI RELATIF AUX EXAMENS AU GRADE DE DOCTEUR EN DROIT
Second
vote et vote sur l’ensemble du projet
La chambre passe au second vote sur le
projet de loi concernant les examens au grade de docteur en droit.
Ce projet est adopte comme il est sorti de
la première délibération de la chambre, à l’unanimité des 62 membres présents.
Il est ainsi conçu :
« Article unique. Les examens pour le
grade de docteur n’auront lieu, jusqu’à la fin de la deuxième session de
l’année 1838, que sur les matières qui étaient enseignées dans les universités
et qui formaient l’objet des cours dont la fréquentation était obligatoire,
lors de la promulgation de la loi du 27 septembre 1835. »
PROJET
DE LOI ACCORDANT UN CREDIT AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS DE
L’EXERCICE 1837, POUR REPARATION AUX POLDERS
Discussion
générale
M. Gendebien.
- Messieurs, avant d’émettre mon opinion sur la convention du 25 avril 1837, je
me permettrai d’adresser une interpellation au ministère. Je demande si le
ministère a agréé, ratifié ce traité ; je me réserve de développer mes
observations lorsqu’il aura répondu.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je suppose que la
demande de l’honorable M. Gendebien se réduit à ceci : « Le ministère
a-t-il ratifié la convention du 25 avril ? les ratifications sont-elles
échangées ; de sorte que, par l’échange de ces ratifications, l’acte dont il
s’agit soit devenu définitif entre
M. Gendebien.
- Il me semble que j’ai adressé au ministère une question extrêmement simple ;
je voudrais qu’il me répondît avec la même simplicité.
Le gouvernement a-t-il, oui ou non, agréé
la convention du 25 avril ? Voilà ce que je demande.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il ne peut le
faire que quand les fonds seront votés.
M. Gendebien.
- Ce n’est pas là ce que je demande : quand la chambre aura vote les fonds,
elle aura, en ce qui la concerne, ratifié la convention ; mais, avant de voter
ces fonds, il est indispensable que nous sachions si le gouvernement lui-même
accepte le traité ; car il pourrait se faire qu’après que nous aurions voté les
fonds, le gouvernement n’acceptât pas la convention, et nous aurions alors
perdu notre temps à discuter le projet qui nous occupe.
Veuillez remarquer, messieurs, que
lorsqu’il s’est agi des négociations qui ont amené la convention du 5 août
1836, le gouvernement n’a pas hésité à écarter cette note : de ce qu’il
n’écarte pas de même la convention du 25 avril, on peut, j’en conviens,
conclure qu’il accepte ; mais je désire avoir une certitude à cet égard. Il est
facile au ministère de dire s’il accepte aujourd’hui, comme il a repoussé
alors.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Le gouvernement
accepte la convention conditionnellement, c’est-à-dire pour autant que, par le
vote du crédit demandé, la chambre le mette à même de l’exécuter. Il ne faut
pas faire résulter une contradiction du refus fait des propositions renfermées
dans la note du 5 août 1836 ; notre position était tout autre alors
qu’aujourd’hui ; la marée du 25 février dernier est venue nous apprendra tous les
dangers de notre situation ; ce sont ces dangers qui ont engagé le ministère à
revenir aux premières négociations ; il a obtenu des modifications telles qu’il
a cru pouvoir autoriser son commissionnaire à signer la convention qu’il ne
peut accepter que conditionnellement.
M. Gendebien.
- Le ministère a bien de la peine à rester dans la simplicité avec laquelle
j’ai posé la question. Il en est aujourd’hui comme alors qu’il s’est agi des 18
articles, dont personne n’a voulu se constituer le parrain, si ce n’est deux
membres du congrès qui ont bien voulu les prendre sous leur protection ; il en
est résulté que la responsabilité en est restée tout entière au congrès. La
nation a fait justice des deux parrains : ils n’ont plus été renvoyés à la
chambre. Ici aussi le ministère semble s’en référer à nous pour la convention
du 25 avril ; il ne l’accepte pas, mais il nous propose de l’accepter ; le
ministère a raison, car si tout mauvais cas est niable, cette convention est
d’une telle nature qu’il est prudent d’en décliner la responsabilité.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je déclare que le
ministère accepte sa convention, sauf les droits des chambres.
M. Gendebien.
- Enfin, le ministère accepte donc ! Eh bien, messieurs, remarquez son
inconséquence : il a refusé nettement la convention du 5 août 1836, et voici ce
que porte à cet égard le premier rapport qui vous a été soumis le 6 février
dernier par un des ministres : « Le commissaire belge dut nécessairement
en référer au gouvernement pour les conditions mises par
Eh bien, messieurs, voyons si les
propositions du 25 avril sont pins acceptables que celles du 5 août ? Loin de
là, messieurs, toutes les conditions sont aggravées, et toutes celles qui ont
déterminé le ministère, quand il n’a pas hésité à repousser la convention du 5
août, se trouvent reproduites dans la convention du 25 avril ; il y a donc les
mêmes raisons pour repousser la dernière que la première. Mais il y a plus,
messieurs, comme l’a déjà dit un de nos honorables collègues, et tant il est
vrai que notre diplomatie fait des pas immenses, comme on n’a cessé de le dire
et de s’en vanter depuis le commencement d’avril 1831, toutes les stipulations
honteuses ont été aggravées.
C’est ainsi que la convention du 25 avril
met en interdit, non pas
Qu’a-t-on dit, messieurs, pour justifier
l’acceptation des secondes propositions ? On a dit (et le ministre l’a répété
samedi) qu’il est bien vrai que la proposition du 5 août a été repoussée parce
qu’elle exigeait la démolition du fort Lacroix, mais que, d’après la convention
du 25 avril, le fort Lacroix ne doit plus disparaître préalablement ; qu’il ne
doit plus être démoli qu’à mesure que les travaux d’endiguement avanceront. On
ne fait pas attention, messieurs, qu’aux termes des articles 2 et 3 de la
convention du 25 avril, le fort Lacroix doit être désarmé et évacué par les
troupes belges, et que la démolition doit commencer endéans les dix jours qui
suivront la mise en œuvre de la construction de la digue des écluses
d’évacuation : quelle différence y a-t-il, messieurs, entre le désarmement et
l’évacuation immédiate du fort Lacroix et la démolition instantanée de ce fort
?
L’article 5 du nouveau traité porte :
« La démolition du fort sera faite
aux frais du gouvernement belge ; un officier du génie néerlandais sera chargé
de la surveiller. » Veuillez remarquer, messieurs, que la note du 5 août
demandait la démolition du fort Lacroix, mais qu’elle ne stipulait pas
l’inspection d’un officier hollandais. Maintenant c’est sous la direction d’un
officier hollandais que le fort sera détruit, c’est un officier ennemi qui
viendra en armes, la cocarde en tête, présider à la destruction d’un de nos
moyens de défense !
Jugez, messieurs, d’après cette simple
observation, combien nos conditions sont devenues meilleures, sont devenues
plus honorables ! Dans la première convention, repoussée comme contraire à
notre dignité, le gouvernement hollandais s’en rapporte à notre loyauté ; dans
la seconde, qu’on accepte, le roi Guillaume se défie de notre loyauté, la met
en doute : cependant on accepte cette convention, et l’injure et l’insulte
directes qu’elle contient.
Ce n’est pas tout. Cet officier se
concertera avec l’ingénieur belge du corps des ponts et chaussées, chargé des
travaux d’endiguement ; il pourra, à cet effet, résider au fort Lacroix. Ainsi,
voilà un officier hollandais qui pourra résider sur notre territoire. Ceci
n’était pas non plus stipulé dans la convention du mois d’août dernier.
Maintenant, messieurs, on met l’officier
hollandais en rapport avec un officier civil belge, car on ne parle pas d’officier
du génie militaire. On ne veut pas égalité de position entre les deux officiers
; on ne veut pas que la cocarde belge soit en présence de la cocarde orange.
Alors qu’il s’agit d’un fait militaire, il semble qu’il soit tout naturel que
l’affaire se traite par l’intermédiaire de deux officiers portant les mêmes
insignes, les mêmes épaulettes. Mais ici encore la suprématie du roi Guillaume
est caractérisée dans son commissaire par les insignes d’officier militaire :
en un mot, les dispositions sont prises de telle façon, qu’elles semblent être
une convention entre le ministère du waterstaat et le
ministre de la guerre du royaume des Pays-Bas pour la démolition d’un fort
appartenant au roi Guillaume. C’est absolument une seule et même chose.
Je ne trouve certes là aucune raison pour
ne pas persister dans la résolution qui a fait repousser la première convention
; mais le ministère trouve précisément dans cette circonstance un motif pour
dévier de la première résolution et pour accepter un traité plus honteux ; car
c’est parce que le fort ne sera démoli qu’au fur et à mesure de l’endiguement
qu’il a trouvé la proposition plus acceptable.
D’après l’article 18 de la convention du
25 avril, le commandant du génie des forts de Lillo et de Liefkenshoek sera autorisé
à visiter en tout temps les travaux ; il lui sera délivré un sauf-conduit à cet
effet.
Aux termes de l’article 24, le commandant
de Lillo et de Liefkenshoek pourra, en tout temps, visiter les polders de Lillo
et de Liefkenshoek et toutes les digues.
Le traité du mois d’août ne contenait pas
une semblable stipulation ; le fort rasé, nous faisions nos travaux sous
l’inspection de l’autorité belge, et l’autorité hollandaise, soit civile, soit
militaire, n’avait mot à dire.
Ainsi l’on octroie à l’autorité
hollandaise l’autorisation de venir inspecter nos travaux et explorer nos
polders ; et l’on considère cette stipulation comme honorable pour
Et ici, messieurs, l’on stipule qu’un
officier hollandais viendra inspecter nos travaux, des travaux exécutés sur
notre territoire, et il n’y aurait plus aucune honte à subir une semblable
stipulation !
Mais, messieurs, de deux choses l’une : ou
les écrivains qui se sont plaints si amèrement des visites annuelles de
Wellington étaient bien extravagants, ou bien ils sont devenus aujourd’hui bien
raisonnables, beaucoup moins chatouilleux sur le point d’honneur, et beaucoup
plus inconséquent s’ils ne trouvent pas mauvais qu’un simple capitaine
hollandais vienne présider à la direction de nos travaux et inspecter le pays
quand bon lui semblera.
Je passe à l’art. 20 de la convention ; il
porte :
« Les fortifications qui existeraient
sur les digues de l’Escaut à une distance moindre de
Mais, messieurs, n’est-ce pas là inféoder
le pays au bon plaisir du roi Guillaume ? Quoi ! Nous ne pourrons plus élever
de fortifications, ni en aval du fort Lillo, jusqu’à la limite du Brabant
hollandais, ni en amont du même fort à une distance de
Vous voyez donc, messieurs,
qu’indépendamment de la question d’honneur et de dignité qui seule a suffi au
ministère pour ne pas hésiter à repousser la convention du mois d’août, nous
avons ici un intérêt puissant de défense ; c’est en quelque façon notre droit
naturel de défense qu’on nous enlève.
Et cependant, messieurs, on n’hésite pas à
accepter la nouvelle convention. Je dis : on n’hésite pas, puisque le
ministère, mis en demeure par moi, a fini par déclarer qu’il accepte cette
honteuse convention.
Je passe à l’art. 21.
« Il ne pourra être fait de travaux
de fortification dans les polders desséchés de Sainte-Anne-Ketenisse
et Doel. Dans les cas où l’inspection des lieux
ferait reconnaître que des ouvrages de cette nature sont exécutés ou commencés,
la grande inondation serait tendue de nouveau, sans avertissement
préalable. »
Ainsi, messieurs, quand nous aurons fait
les nouvelles digues, nous ne pourrons faire, pour les conserver, aucune espèce
de travaux de fortification dans les polders dont il s’agit. Il y a plus :
d’après l’art. 22 de la convention, nous ne pourrons faire de digue intérieure
dans ces polders sans le consentement du gouvernement hollandais et toujours,
messieurs, sous peine d’une inondation générale sans avertissement préalable !
L’on peut dire, en un mot, que sur la rive droite et la rive gauche de l’Escaut
c’est le roi Guillaume qui règne. Ce seront les ordres du roi Guillaume à La
Haye qui seront reçus et exécutés en Belgique, et non ceux du Roi Léopold, qui
est cependant à Bruxelles. (Mouvement.)
Et l’on ose, pour vous arracher un vote, invoquer la dignité nationale ! L’on
appelle cela agir dans l’intérêt de la nation belge, et par conséquent dans les
vrais intérêts de l’honneur national !
« Art. 23. Aucune troupe armée ne
pourra circuler à travers les polders asséchés. »
Ainsi, tandis que le commissaire
hollandais stipule qu’aucun homme armé ne pourra se présenter dans les polders
asséchés, d’un autre côté le commissure belge consent (art. 25) le passage de
militaires hollandais en armes, sur le territoire de
Messieurs, si ce traité ne blesse pas
l’honneur, ou si vous voulez, les susceptibilités de
Je repousserai donc et la convention du 25
avril et les conditions odieuses qui ont été acceptées pour et au nom de
Est-ce à dire que je ne veuille rien faire
pour les malheureux habitants de polders inondés ? Non, messieurs : dans la
dernière séance on a reconnu que mes amis et moi avons souvent élevé la voix en
faveur de ces habitants. Répondant à une de mes observations, l’honorable M.
Rogier nous a dit que c’était des discours que nous avions jusqu’ici prononcés
en faveur des inondés, mais que c’était maintenant un acte que l’on nous
demandait : eh bien, cet acte, je l’apporte, le voici :
Je demande qu’avant de procéder à la
discussion des articles, les questions suivantes soient soumises à la
délibération de la chambre :
« Les représentants de la nation
acceptent-ils les conditions imposées par la convention du 25 avril 1837, pour
l’endiguement d’une partie du fort de Lillo et le resserrement de l’inondation qui
entoure Liefkenshoek ? »
Si, comme je l’espère, la chambre repousse
ces conditions honteuses, je propose une deuxième question :
« La nation acquerra-t-elle au profit
du domaine les propriétés inondées ? »
En cas de négative. je propose qu’il soit
provisoirement, et jusqu’à ce que les choses soient rétablies dans leur état
primitif, porté au budget une somme suffisante pour payer annuellement aux
victimes des inondations l’intérêt calculé à raison de 3 1/2 pour cent du
capital des évaluations cadastrales.
Si, contre mon attente, la chambre accepte
la convention du 25 avril, dans ce cas il sera toujours nécessaire de compléter
la mesure en indemnisant ceux dont les propriétés resteront sous l’eau. Je
propose, pour combler cette lacune, la disposition suivante :
« Les victimes dont les propriétés ne
seront pas comprises dans les endiguements, seront indemnisées de l’une des
deux manières ci- dessus proposées. »
Dans l’un et l’autre cas, c’est-à-dire,
soit qu’il y ait endiguement ou non, soit que le domaine achète ou pas, je
demande que les arriérés soient payés soit à raison de trois pour cent de la
valeur réelle, soit à raison de trois et demi pour cent des évaluations
cadastrales, pour chaque année de privation de jouissance.
Vous voyez, messieurs, que si d’un côté je
m’élève avec énergie coutre l’adoption de stipulations que je considère comme
honteuses pour mon pays, d’un autre côté je veux indemniser les victimes des
inondations d’une manière plus efficace et plus complète que ne le proposent le
gouvernement et tous ceux qui ont parlé avant moi : car on n’a pas pensé
jusqu’ici aux
Tout en me réservant de développer
ultérieurement ma proposition, quand le moment en sera venu, je ferai remarquer
que cette proposition nous place, vis-à-vis du roi Guillaume, dans une positon
honorable qu’une nation comme
Nous n’avons que trop cédé précédemment ;
ceci est une conséquence de la faiblesse que nous avons montrée dans d’autres
circonstances. Je vous ai dit souvent que vous alliez poser un précédent qui se
ferait sentir à chaque pas quand on voudrait faire des négociations nouvelles.
Au traité de Zonhoven on a reculé après
avoir posé les questions, après avoir posé le sine qua non. Appuyés par
Un autre orateur, tout en adoptant le
projet présenté, a reconnu que les conditions en étaient très dures ; que si
elles n’affectaient pas l’honneur national, elles le blessaient au moins.
Il a ajouté, il est vrai, que si l’honneur
national imposait des devoirs dans nos relations avec les étrangers, il nous
imposait aussi des devoirs d’humanité envers nos compatriotes. Eh bien, je
satisfais à la fois à l’un et à l’autre devoir. Je satisfais au premier en
repoussant avec dignité les exigences du roi Guillaume, et je satisfais au
second en indemnisant nos malheureux compatriotes, et j’y satisfais plus complètement
que ne le veut l’orateur lui-même auquel je fais allusion.
Vous allez dépenser au-delà de 2 millions,
non compris la dépense de la construction d’un nouveau fort ; et quand vous
aurez dépense cette somme, quelle garantie aurez-vous que, même avant que le
travail ne soit achevé, on n’ouvre pas de nouveau les digues, ou qu’on
n’entrave pas les dernières opérations pour leur construction ? Car, à en juger
par tous les précédents, par la marche de la dernière négociation, par les
preuves de mauvais vouloir, enfin par les exigences de Guillaume, il faut
s’attendre à tout. Nous sommes en guerre avec
Il n’y a pas deux mois que tout le monde
était en émoi dans cette enceinte ; l’on cherchait à inspirer la chambre une
terreur salutaire, afin d’en obtenir les moyens de repousser une agression que
l’on considérait comme imminente. Et c’est dans de telles circonstances que
l’on veut faire un endiguement qui diminuerait beaucoup, au dire du ministre
des travaux publics, les moyens de défense du fort ! Et qu’arrivera-t-il si
l’on opère l’endiguement ? Et qu’au premier moment, les Hollandais feront de nouvelles
ouvertures, et que les eaux feront encore irruption sous prétexte que la
défense du fort l’exige, ainsi que l’a avancé si imprudemment le ministère.
Ainsi vous allez dépenser deux millions en
pure perte, puisque le lendemain de l’achèvement du travail ou même avant, tout
peut être encore inondé. Les ministres viennent nous parler de la confiance
presque aveugle que nous devons avoir dans le roi Guillaume. Il ne nous fera
pas de mal, disent-ils ; il ne peut faire le mal pour le plaisir de le faire.
Mais pourquoi Guillaume nous laisse-t-il
dans la position où il nous a mis depuis six ans, si ce n’est pour nous faire
du mal ? Il pouvait consentir depuis six ans à nous laisser faire ce qui aurait
réparé le mal ; mais, par le désir de faire le mal ou de l’aggraver, il ne l’a
pas voulu. Pourquoi ces mauvais désirs ne lui reviendraient-ils pas ?
Quand il a été question des dix-huit
articles, quand nous réclamions que l’on se tînt en garde contre les attaques
de Guillaume, on a répondu par la confiance que l’on avait en Guillaume ;
cependant il nous a attaqués à l’improviste et avec déloyauté ; et l’incurie et
l’imprévoyance des ministres s’est montrée à nu au mois d’août 1831 : eh bien,
le roi Guillaume a plus d’intérêt à recommencer maintenant les hostilités qu’à
nous attaquer comme il l’a fait en 1831.
En 1831, vous savez que
Mais aujourd’hui il y a presque nécessité
pour lui de tenter la fortune, de faire de nouvelles attaques. Il ne peut plus
contenir l’indignation de
Si vous voulez indemniser complètement les
victimes des polders, adoptez ma proposition ; c’est le seul moyen d’assurer
leur sort contre tous les événements de la guerre et les caprices d’un maître
irrité. Si vous faites une digue, le lendemain on pourra encore pour six ans
peut-être remettre sous les eaux les malheureux qui sont submergés depuis six
ans, et qui le seraient encore pendant deux ans au moins si on entreprend
l’endiguement.
M. F. de
Mérode. - On désire l’assèchement !
M.
Gendebien. - Moi aussi, plus que
vous peut-être. Mais quand vous aurez dépensé deux ou trois millions pour faire
cette digne, si notre ennemi la détruit, trouverez-vous les chambres bien
disposées à renouveler cet énorme sacrifice ? Certes non ; on vous dira que je
vous dis aujourd’hui : quelle sécurité avez-vous pour l’avenir ? quelle
garantie vous donne-t-on que le travail ne sera pas le lendemain rompu ? Sans
cette garantie peut-on dépenser trois millions après en avoir dépensé déjà
autant ?
D’ailleurs les malheureux
inondés ne seront-ils pas exposés à attendre sept ou huit ans ? En cas de
nouvelle rupture, la chambre sera-t-elle disposée à les indemniser comme je le
propose ? Le pays ne reculera-t-il pas devant ces dépenses sans cesse
renaissantes ? Notre position est provisoire vis-à-vis du roi Guillaume ; eh
bien, prenons une disposition analogue, prenons une mesure provisoire pour les
polders. Voilà le seul moyen de procéder d’une manière rationnelle, logique, à
l’égard des habitants des polders et en raison de notre situation politique.
Messieurs, je crois en avoir dit assez
pour justifier ma proposition. On m’a demandé, dans la séance de samedi
dernier, un acte favorable aux habitants des polders, j’ai produit mon acte ;
si quelqu’un fait une proposition plus favorable, je déclare d’avance qu’à
moins qu’elle ne soit déraisonnable, je l’accepterais. Mais jamais je ne
consentirai aux stipulations du traité du 25 avril 1837.
(Moniteur
belge n°130, du 10 mai 1837) M. F. de Mérode.
- Il est assez singulier que le gouvernement éprouve toujours de l’opposition
de la part des mêmes personnes, quelles que soient les questions soumises à la
chambre. S’agit-il d’une question purement agricole et dans l’intérêt de telle
ou telle localité, il suffit que le ministre propose un projet à cet égard,
pour que ces personnes se jettent à la traverse. Quant à moi j’ai considéré
comme un bonheur que l’on fût arrivé à un arrangement quelconque avec le
gouvernement hollandais.
Vous savez depuis fort longtemps, et le
préopinant le sait comme nous tous, que c’est la chose la plus difficile pour
nous que de traiter avec le gouvernement hollandais, et que c’est aussi chose
fort difficile pour d’autres nations qui ne sont pas comme nous en hostilité
avec lui.
Le gouvernement hollandais nous accorde un
avantage considérable en nous permettant de restreindre l’inondation.
Le gouvernement hollandais nous accorde
cet avantage ; il ne l’accorde pas pour rien. Il demande certaines conditions
qui sont désagréables, j’en conviens, et qui peuvent paraître onéreuses
quoiqu’elles ne le soient pas beaucoup au fond ; car elles paraissent plus
onéreuses qu’elles ne le sont.
Vous avez entendu un membre de la chambre,
opposé au projet, dire que le fort Lacroix ne signifiait rien, était sans
aucune importance appréciable.
De quoi s’agit-il donc ? De permettre aux
Hollandais, lorsqu’il y aura une digue construite à
On a reproché aux ministres de ne pas
avoir accepté une convention contraire à notre dignité nationale.
M. Gendebien.
- Je ne leur en ai pas fait un reproche.
M. F. de
Mérode. - Soit. Mais vous avez opposé la non-acceptation d’une autre
époque à l’acceptation de cette époque-ci.
Dans les questions qui intéressent le bien
partiel et général du pays, au lieu de discuter ces questions en elles-mêmes,
on peut discuter sur ce qu’ont dit précédemment, bien ou mal à propos, des
ministres bien ou mal informés. Or, comme l’a dit M. le ministre des travaux
publics, avant la haute marée qui a rompu la digue de Borgerweert,
on ne savait pas combien cette digue était importante, non seulement pour les
terrains qui ont été inondés en dernier lieu, mais encore pour les villages
circonvoisins. Alors je conçois que les ministres, surchargés d’occupations, ne
pouvant pas circuler dans le pays, ne pouvant aller sur les lieux, aient jugé
qu’il valait mieux ne pas accepter cette convention. Si alors ils ont été dans
l’erreur, ce n’est pas une raison pour leur opposer une décision qui ne me
paraît pas avoir été suffisamment motivée.
Je ne crois pas que les ministres aient la
prétention de faire toujours pour le mieux, d’apprécier toujours les choses de
la manière la plus avantageuse. Ensuite les ministres ont été plus ou moins
induits en erreur sur l’utilité du fort Lacroix pour la défense du pays ; ils
avaient cru ce fort nécessaire à la défense du pays ; ils ont jugé qu’il n’en
était pas ainsi, après un plus mûr examen, auquel ils se sont livrés par suite
de la tempête du 24 février. On discute ainsi sur des mots au lieu d’examiner
les questions de bonne foi et de chercher à s’éclairer sur les questions
d’humanité qui nous sont soumises. On propose d’acquérir les terrains inondés
et de donner des indemnités ; niais comment fera-t-on pour préserver de
l’inondation les terrains qui avoisinent ceux inondés et qui ont déjà 4 lieues
de circuit ? Comment garantira-t-on les habitants de ces localités du danger
dont ils sont menacés dans leur existence et dans leurs propriétés
Indépendamment de cela vous savez ce qui a
été dit sur la navigation de l’Escaut. On a beaucoup répété que c’était aux exigences
de
Au surplus, c’est à prendre ou à laisser.
Voulez-vous vous laisser aller à une susceptibilité aussi grande en empêchant
un travail d’une aussi haute importance ? Vous êtes libres. Chacun établit sa
vanité comme il l’entend. Quant à moi, la mienne consiste à agir avec loyauté,
non seulement vis-à-vis de mes compatriotes, mais encore avec les étrangers.
Toutes les fois que
On parle avec grande facilité d’accorder
des millions d’indemnité aux victimes des inondations ; c’est une manière tout
comme une autre de faire de la popularité. Donner des millions, rien de mieux ;
mais quand il s’agit de les recueillir, oh ! alors c’est tout autre chose.
Alors l’impôt du sel doit être supprimé ; un autre impôt doit être réduit ;
alors on vous parle des misères et de la souffrance du peuple, de la cabane du
pauvre, de tout ce qu’il vous plaira. Autre genre extrêmement facile de faire
encore de la popularité. Ainsi on dit d’une part : Diminuez les charges
publiques, ne fatiguez pas le peuple ; d’autre part on dit : Indemnisez tous
ceux qui ont souffert pour la révolution ; mieux que cela : remboursez-leur la totalité de ce qu’ils ont perdu. Ce
sont là de belles paroles ; mais je voudrais savoir où vous trouverez, sans
augmenter les contributions, les millions nécessaires pour les mettre à
exécution ? Quant à moi, je n’ai pas ce talent-là ; je ne sais pas la manière
de donner sans prendre ; si la main droite donne, il faut que la main gauche
recueille. Moi qui ne parle pas tant du peuple, je suis attaché à ses intérêts.
Je l’ai prouvé dans cette circonstance ; j’ai fait tous mes efforts pour tirer
d’embarras les populations souffrant des inondations ; j’ai excité le zèle de
ceux qui pouvaient concourir à les tirer d’embarras. Nous sommes au moment de
réussir, non d’une manière certaine, car il est possible que les hostilités
empêchent de faire les travaux projetés ; mais, enfin nous aurons fait ce qu’il
est possible de faire ; nous aurons agi de la manière la plus rationnelle ; nous
aurons fait cesser un état de choses infiniment périlleux ; enfin, nous aurons
accompli un acte d’humanité, de justice et de raison.
J’espère que la chambre adoptera la
proposition du ministre des travaux publics.
M. de
Brouckere. - Lorsque M. le ministre des travaux publics, après avoir
présenté à la chambre son rapport du 6 février dernier, est venu, à l’occasion
du budget, demander que l’on allouât des fonds pour les travaux à faire sur la
rive droite de l’Escaut, je me suis levé le premier pour m’opposer à
l’allocation de ces fonds, et pour demander a la chambre qu’elle nommât une
commission à l’effet d’examiner mûrement le rapport du ministre. Le premier
aussi je fis remarquer que, dans la convention entre le commissaire belge et le
commissaire hollandais, il se trouvait des conditions qui me paraissaient dures
et difficiles à accorder, et que la chambre ne devait pas se prononcer à cet
égard légèrement et sans réflexion.
Depuis ce temps, membre de la commission
que la chambre a chargée de s’occuper de cet objet, j’y ai beaucoup réfléchi ;
j’en ai fait le sujet d’études et de méditations particulières ; la chambre,
après cela, voudra bien croire que l’opinion que je viens émettre est une
opinion consciencieuse, et mûrement pesée.
Je commencerai par rappeler que les fonds
demandés par le ministère, et montant à 2.979,900 fr,, ont trois objets
distincts : d’abord le réendiguement du polder de Borgerweert, pour lequel le gouvernement demande 859,000
fr. ; en second lieu, le rétrécissement de l’inondation de Liefkenshoek, pour
lequel il réclame 50.000 fr. Il paraît que sur ces deux objets il n’y a pas
contestation ; du moins aucun des orateurs qui ont pris la parole jusqu’ici ne
s’est-il opposé à l’allocation des fonds pétitionnés.
Le seul objet en question est donc
l’allocation de deux millions. destinée, d’après le projet du ministre, à la
construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo, à
Messieurs, la première chose à remarquer,
c’est qu’il n’est pas question ici d’un traité qui vous serait imposé, de
conditions auxquelles on exigerait que vous vous soumissiez, mais qu’il est
tout simplement question d’un contrat bilatéral passé entre le gouvernement
belge et le gouvernement hollandais, d’un contrat bilatéral conclu à la demande
du gouvernement belge lui-même, d’un contrat bilatéral dans lequel le
gouvernement belge a le premier et le principal intérêt.
En effet, de quoi s’agit-il ? Depuis cinq
à six ans des polders d’une étendue considérable ont été inondés, par suite des
événements de la guerre. D’autres polders environnants, et beaucoup plus grands
encore que ceux qui sont inondés, sont menacés du même malheur.
Le gouvernement belge, suivant d’ailleurs
en cela l’impulsion qui lui a été donné différentes fois par la chambre
elle-même, le gouvernement belge ne pouvait faire aucuns grands travaux sans
être d’accord avec le gouvernement hollandais ; puisque ce gouvernement occupe
un fort sur notre territoire, le gouvernement belge a dû faire des ouvertures
au gouvernement hollandais, afin de savoir jusqu’à quel point il ne
s’opposerait pas aux travaux qu’il désirait entreprendre, et à quelles
conditions il permettrait que ces travaux se fissent.
Des commissaires ont été nommés de part et
d’autre, différentes conventions ont été proposées jusqu’à ce qu’enfin est
intervenue celle du 25 avril dont nous nous occupons en ce moment. Par suite de
cette convention, nous serons autorisés à faire une digue autour du fort de
Lillo, à la distance de
Je vous prie de faire attention à cette
circonstance que plusieurs de ces polders sont plus bas que le polder inondé,
de sorte que si l’inondation s’étendait sur ces polders, il serait extrêmement
difficile de les assécher, et l’assèchement ne pourrait avoir lieu que dans un
temps assez long. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de porter remède à un
malheur qui existe, mais de prévenir un malheur infiniment plus grand et que
vous n’avez aucun moyen d’empêcher, si vous ne faites pas la digue que l’on
vous propose. Je dis que vous n’avez aucun autre moyen de prévenir ce malheur,
et je vais le prouver.
On vous dit : Achetez le polder de Lillo.
Voilà les propriétaires de ce polder indemnisés ; après cela, entretenez les
digues qui existent aujourd’hui, et vous n’aurez plus rien à craindre
D’abord je vous prierai de remarquer que
l’acquisition du polder de Lillo monterait à une somme de 6 à 7 millions de
francs. En portant à cette somme la valeur du polder de Lillo, je ne m’expose
pas à être taxé d’exagération. Ensuite l’entretien de la digue qui existe
aujourd’hui, de la digue de Lillo, exigerait une réparation instantanée qui
coûterait 2,800,000 francs. Je parle, le rapport des ingénieurs à la main.
Voilà donc déjà une somme de près de 10 millions ; nous devrions de plus
continuer à entretenir cette digue qui est d’une fort grande étendue. Après
tout cela, si vous voulez vous en rapporter à la commission des ingénieurs
nommés par le gouvernement pour examiner cette digue, et certes ils méritent
toute créance, vous n’aurez encore aucune garantie positive qu’une marée aussi
élevée que celle du 24 février dernier ne vienne pas renverser la digue de
Lillo et inonder les polders voisins.
Voilà donc ce qui a engagé le gouvernement
à faire des ouvertures au gouvernement hollandais : c’est le désir de réparer
un grand malteur qui existe depuis sept ans, le désir d’empêcher des malheurs
plus grands encore, le désir de ne pas entraîner le pays dans une dépense
d’environ 10,000,000, dépense qui ne garantirait pas les riverains qui
environnent le polder de Lillo contre l’inondation.
Les ouvertures faites au gouvernement
hollandais n’ont pas été rejetées. On les a accueillies ; mais il faut le
reconnaître, ou ne les a accueillies qu’en nous imposant des conditions dures,
des conditions auxquelles aucun de nous ne voudrait se soumettre s’il y avait
un autre moyen de réparer et de prévenir les malheurs dont j’ai parlé.
Mais je dois m’empresser de reconnaître
qu’après m’être rendu sur les lieux, après m’y être fait donner toutes les
explications dont je croyais avoir besoin, je suis resté convaincu que les
conditions mentionnées au traité du 25 avril n’ont nullement pour but de nous
humilier, mais ont, toutes et chacune d’elles, été dictées dans l’intérêt de la
défense du fort de Lillo. En effet, prenez ces conditions une à une, et vous
verrez qu’elles ont toutes pour objet d’empêcher que la condition du fort Lillo
ne devienne moins favorable par suite des travaux que nous allons entreprendre.
Aujourd’hui, l’abord de ce fort n’est pas
possible, à une très grande distance, et cet abord deviendra extrêmement
facile, quand nous aurons fait une digue à la distance de
Le fort Lillo perdant quelque chose de sa
condition avantageuse, on a voulu assurer la défense de cette place, par de
nouveaux moyens. C’est par cette seule considération qu’on a stipulé dans le
traité du 25 avril les conditions que nous y trouvons.
J’ai reconnu de plus par les explications
qui m’ont été données que la défense du pays n’était nullement affaiblie, par
suite des conditions du traité du 25 avril. Si d’un côté on détruit le fort
Lacroix, de l’autre le gouvernement fera un nouveau fort à une petite distance
de celui-là et qui sera mieux placé.
Quant au fort Lacroix en lui-même, je ne
sais si je dois répéter avec plusieurs honorables orateurs qui ont parlé avant
moi, et notamment avec l’honorable M. de Puydt, dont la position spéciale donne
un grand poids à ses paroles, que le fort Lacroix est un fort sans importance,
qui existait depuis longtemps, qui avait été abandonné et qu’on a relevé en
1831, parce qu’on pouvait le faire avec peu de dépense. D’après l’aveu des
officiers du génie, car c’est à eux que je m’en réfère ici, n’ayant pas de
connaissances dans cette matière, d’après l’aveu de ces officiers, c’est un
fort insignifiant ; on ne l’aurait pas relevé, si avec très peu de dépense on
n’avait pu le mettre dans l’état où il est aujourd’hui.
Ainsi, si d’un côté les conditions
renfermées dans le traité du 25 avril ont quelque chose de pénible pour nous,
nous avons de l’autre l’assurance que ces conditions n’ont été stipulées qu’en
échange des avantages que le gouvernement hollandais accordait au gouvernement
belge.
Nous avons en outre la certitude que le
gouvernement belge, en se soumettant à ces conditions, n’empire pas sa position
en ce qui concerne la défense du pays.
Mais les conditions sont-elles de nature à
blesser nos susceptibilités nationales ? J’avoue, messieurs, que cette question
est excessivement grave : il en est parmi ces conditions qui ont véritablement
quelque chose de très pénible ; il est impossible de se le dissimuler ; c’est à
la chambre de juger si elle veut les accepter en retour des avantages que j’ai
signalés, avantages qui, à mes yeux, sont immenses et que nous ne pouvons
acquérir par aucune autre voie. La chambre est entièrement libre de son vote ;
il n’entre dans l’intention du gouvernement, ni de qui que ce soit, de nous
imposer ces conditions, ni de chercher à nous faire prendre le change sur ce
qu’elles renferment de pénible : c’est à chacun de vous, messieurs, comme je
l’ai dit, d’examiner dans votre sagesse, dans votre conscience, si le bien-être
que nous retirerons de la convention du 25 avril est assez grand pour que nous
nous soumettions aux conditions qu’elle contient.
Différentes objections ont été faites,
messieurs, par les orateurs qui ont parlé avant moi ; je crois devoir répondre
à quelques-unes d’entre elles.
Le premier orateur qui s’est élevé contre
le projet du gouvernement, l’honorable M. de Puydt, avoue la nécessité de faire
des travaux dans le polder de Lillo ; mais il préfère à la convention du 25
avril, qui nous autorise à faire une digue à
Un autre honorable orateur qui a parlé le
deuxième contre le projet du gouvernement refuse d’approuver ce projet, parce
que, selon lui, la commission qui l’a examiné voudrait faire sanctionner un
système d’indemnité entière, et qu’il craint que ce système ne s’étende
jusqu’aux hôtels incendiés à Bruxelles. Je dois déclarer en ce qui me concerne
que les hôtels incendiés à Bruxelles ne sont pas seulement venus à ma pensée à
l’occasion du polder de Lillo, et je crois que tous mes honorables collègues,
membres de la commission, pourront en dire autant. Il n’est, en second lieu,
pas exact de dire que la commission ait voulu faire sanctionner un système
quelconque en fait d’indemnités ; je lis à la vérité dans le rapport un
paragraphe qui est ainsi conçu :
« Une autre considération puissante a
frappé votre commission : c’est que les indemnités à payer aux propriétaires
des terrains inondés diminueront nécessairement en raison des propriétés qu’on
sera parvenu à remettre en leur possession. »
Cette phrase a été insérée par l’honorable
rapporteur sans qu’il y ait attaché (j’ose le dire pour lui) l’importance que
voudrait y donner l’honorable orateur auquel je réponds ; il n’est entré ni
dans l’intension du rapporteur, ni dans celle de la commission, de faire
sanctionner dès à présent un système quelconque ; mais il est certain que si
l’on paie plus tard l’indemnité, ceux des propriétaires à qui l’on rendrait
aujourd’hui leurs propriété, auraient moins à prétendre. Le passage du rapport
que je viens de lire n’y a été placé que dans un sens tout à fait hypothétique.
La seconde raison pour laquelle
l’honorable orateur ne veut pas du projet du gouvernement, c’est que le fort
Lacroix protège la digue d’Oordam, et qu’il est de
l’intérêt des habitants du polder que nous n’autorisions pas la démolition de
ce fort. D’abord, en ce qui concerne l’intérêt des habitants des polders,
l’honorable orateur me permettra de croire que ces habitants le connaissent
mieux que lui ; or, que l’on consulte les pétitions, et l’on verra que tous les
intéressés, sans exception, demande la construction de la digue à
Bien que l’honorable préopinant ait dit à
plusieurs reprises que le fort Lacroix n’a aucune importance pour la défense du
pays, il ajoute cependant que ce fort doit être important puisque le gouvernement
hollandais met tant d’insistance à en obtenir la destruction : vous conviendrez
messieurs, qu’il est assez singulier d’aller consulter notre ennemi sur le
point de savoir si un fort à nous appartenant est ou n’est pas important : ce
n’est pas à l’opinion des Hollandais que j’ai recours pour éclairer une
question de cette nature, mais à l’opinion des hommes de l’art de mon pays, à
l’opinion des officiers de génie qui sont chargés spécialement d’organiser la
défense du royaume ; eh bien, messieurs, si nous consultons tous les officiers
du génie et M. le ministre de la guerre lui-même, ils nous répondent tous que
le fort Lacroix est insignifiant.
Voici un argument qui a été rejeté à
plusieurs reprises et encore aujourd’hui par l’honorable orateur qui a parlé le
premier : « Vous allez faire, nous dit-on, une digue qui coûtera deux
millions ; mais cette digue vous la placez de telle manière qu’il dépendra du
gouvernement hollandais de la détruire quand bon lui semblera, de vous empêcher
même de l’achever. Il est impossible de nier que le gouvernement hollandais,
s’il voulait agir avec méchanceté et mauvaise foi, pourrait vous empêcher
d’achever la digue et pourrait la détruire quand elle sera faite ; mais je vous
ferai observer que si le gouvernement hollandais voulait agir avec méchanceté
et mauvaise foi, il pourrait aujourd’hui aussi détruire une partie de la digue
actuelle et répandre l’inondation dans les polders environnants, de manière que
la position dans laquelle nous nous trouvons maintenant n’est pas plus
avantageuse sous ce rapport que celle dans laquelle nous nous trouverons après
avoir fait la digue de Lillo.
Enfin, messieurs, le même orateur ne veut
point du projet du gouvernement parce qu’il dit que, dans la convention du 25
avril, il ne se trouve que des stipulations favorables à
Enfin, messieurs, j’ai à répondre à un
dernier argument. On prétend qu’en adoptant la convention, nous renonçons au
droit de souveraineté sur une partie de notre territoire. En effet, une partie
de notre territoire est malheureusement occupée par nos ennemis. Le fort Lillo
et le fort Liefkenshoek sont effectivement sur le territoire belge, et sur
cette partie du territoires et à certaine distance de là, il est très vrai que nous
n’exerçons pas le droit de souveraineté.
Aussi longtemps que ces forts n’auront pas
été évacués, et les forts eux-mêmes et un rayon autour sont au pouvoir de nos
ennemis ; c’est un malheur, mais un malheur auquel il ne dépend pas de nous de
nous soustraire.
Au reste, la convention du 25 avril, si
tant est que la chambre l’approuve, ne sera pas une convention perpétuelle,
comme on l’a prétendu ; c’est une convention qui n’existera qu’autant et aussi
longtemps que les forts Lillo et Liefkenshoek seront occupés par nos ennemis.
Messieurs, je me résumerai en peu de mots.
La convention du 25 avril renferme pour nous d’immenses avantages, elle
renferme aussi des conditions pénibles. C’est à la chambre à peser ces
avantages et ces conditions, et à voir si, pour recueillir les uns, elle veut
se soumettre aux autres.
Du reste, la défense du pays n’aura rien
perdu par l’acceptation du traité du 25 avril. Nous en avons pour garantie
l’assurance qui nous a été donnée par M. le ministre de la guerre et par les
officiers du génie.
Quant à mon opinion sur l’acceptation ou
le refus de ce traité, je vous avoue, messieurs, que depuis que je me suis
rendu sur les lieux, depuis que j’ai vu de près les malheurs qui sont la suite
des premières inondations, depuis que j’ai été témoin des craintes des
infortunes habitants qui environnent le polder de Lillo, je vous avoue, dis-je,
que je suis devenu un peu moins difficile sur les conditions auxquelles nous
devrions nous soumettre pour obtenir l’avantage de faire la digue à
Ceux qui, comme moi,
visiteront les lieux, pourront voir les habitants d’un territoire assez vaste,
dépouillés de leurs habitations, privés de tout moyen d’existence, relégués
dans de misérables huttes qui ne leur offrent pas un abri contre les intempéries
des saisons. Ils verront, comme moi, ces malheureux habitants attendant avec
impatience le moment où la chambre voudra prendre une résolution qui les tire
de la cruelle position où ils se trouvent. Ils verront de plus les habitants
d’un territoire beaucoup plus étendu, assiégés de craintes et d’inquiétudes
continuelles, n’étant jamais sûrs, en se couchant le soir, que le matin ils ne
trouveront pas leurs habitations entourées d’eau et leurs propriétés submergées
; en un mot, s’ils ne seront pas, comme leurs voisins, réduits à la dernière
misère.
Je vous avoue, messieurs, que le spectacle
de tant de maux a fait sur moi une vive impression ; quelque pénible qu’il me
soit de souscrire aux conditions renfermées dans le traité du 25 avril, je
donnerai mon assentiment à ce traité, si l’on ne me prouve pas qu’il existe un
moyen quelconque, pour arrêter et pour prévenir tous ces malheurs dont je ne
veux pas avoir plus tard à me reprocher la plus faible part. J’ai dit.
M. de Puydt.
- Messieurs, on a singulièrement abusé d’un mot que j’ai lâché dans la dernière
séance, sur le sens duquel chacun a pu gloser à son aise en l’isolant du
raisonnement dont il faisait partie, de sorte que je me trouve obligé d’entrer
dans de nouveaux développements pour faire comprendre ma pensée.
Avant tout, je dois une réplique à
l’honorable préopinant qui a parlé avant moi. Il a critiqué mon opposition au
projet du gouvernement, et s’est fondé, pour combattre mes opinions, sur ce que
la proposition d’une digue à
Eh bien, je ne veux pas contester ce fait,
je déclare que je l’admets, et que, par conséquent, les conditions de la
convention s’appliquent à la digue de
L’honorable ministre des travaux publics,
dans la séance d’avant-hier, a posé la question dans des termes, selon lui,
fort clairs. Il vous a dit : « Ce qu’on vous propose n’est pas obligatoire
; vous pouvez faire ou ne pas faire, accepter ou ne pas accepter ; si vous
rejeter ce que l’on demande, vous restez dans le statu quo, et vous savez à
quelle condition ; mais il vous est libre d’y rester. » M. de Mérode
ajoute à cela : « C’est à prendre ou à laisser. »
Voilà précisément, messieurs, ce que je
nie. Je soutiens, moi, que si l’on rejette la convention, nous ne rentrons pas
du tout dans le statu quo sans avoir compromis notre considération ;
c’est-à-dire que la question n’est pas intacte, comme elle l’était avant la
convention. Nous avons perdu de grands avantages moraux, rien que par le
consentement du gouvernement à des conditions que je considère comme
humiliantes pour le pays. La question n’est certainement plus la même.
Il est fort commode pour la responsabilité
des ministres de poser les faits de cette manière, mais c’est un système que
nous devons repousser c’est à ceux qui ont compromis les avantages de notre
position à en répondre.
Je remarque, messieurs, que la discussion
s’écarte du véritable point de la question. On s’est attaché principalement à
faire ressortir la question de nécessité, la question de justice envers les
propriétaires des polders inondés. C’est une chose que personne ne conteste. Il
est certainement de l’honneur, de la justice du pays de faire cesser ces
désastres ; mais ce résultat doit-il être obtenu au prix de la dignité nationale
? Voilà précisément la question telle que je l’ai posée avant-hier et dont j’ai
soutenu la négative.
On a cherché à établir que la démolition
du fort Lacroix était une concession qui compensait celle qui nous était faite
par le gouvernement hollandais. C’est là le point principal du débat selon moi,
et ce qu’il s’agit de prouver, et ce que je m’attache à combattre ; car si je
parviens à établir que le gouvernement hollandais ne nous a fait aucune
concession, il doit être démontré dès lors que nous n’avons aucune concession à
lui faire de notre côté.
En thèse générale
En considérant ce point de la question
sous le rapport militaire, l’observation que j’ai faite devient plus frappante.
Un honorable préopinant a invité M. le ministre de la guerre à donner à la
chambre des explications sur la question de défense. M. le ministre de la
guerre a répondu que j’avais rendu sa tâche très facile en reconnaissant
l’insignifiance du fort Lacroix. Mais, messieurs, ce n’était la répondre qu’à
un seul côté de la question ; il fallait aussi entrer dans des détails sur la
question militaire, relativement au fort Lillo.
Or, je demanderai à tous ceux qui peuvent
avoir des connaissances spéciales dans la matière, tant dans cette chambre que
hors de cette chambre, s’il est concevable que des officiers hollandais
consentent volontairement à affaiblir les moyens de défense d’un poste qu’ils
occupent, et cela pour obliger un ennemi. Les officiers qui y consentiraient, à
quelque prix que ce fût, trahiraient leur pays, et s’exposeraient aux peines
les plus graves. Eh bien, les Hollandais mettent en général trop de sollicitude
à conserver ce qu’ils possèdent pour qu’ils puissent jamais songer à affaiblir
leurs moyens de défense contre nous ; sous tous les rapports donc, la
présomption de concessions faites par eux n’est pas admissible. Matériellement
parlant, il est facile de démontrer que ces concessions n’existent pas.
Par la construction de la digue proposée,
il y a certainement diminution relative d’une inondation démesurée et superflue
pour la défense absolue du fort. Mais il faut reconnaître que, sous le rapport
de cette défense absolue, il y a encore beaucoup plus d’inondation qu’il n’en
faut contre l’approche de l’assaillant et contre ses attaques. Une digue placée
à
Quand j’ai dit que le fort Lacroix était
un point insignifiant pour l’attaque ainsi que pour la défense, j’ai énoncé une
chose vraie dans un sens, et je ne sais pourquoi on a cru devoir tirer un si
grand parti de cette déclaration. Le fort Lacroix ne peut directement rien
contre le fort Lillo, pas plus dans l’état actuel des choses que quand la digue
sera construite ; il n’augmente pas nos moyens d’attaque contre le fort Lillo,
son utilité est d’une autre nature. Si, dans cette situation d’insignifiance du
fort Lacroix, il était vrai que la démolition de ce fort fût une compensation
que les Hollandais veulent avoir pour une certaine concession qu’ils nous
auraient faite, il faudrait convenir que cette concession est également
insignifiante quant au fort Lillo, mais qu’elle est un prétexte pour
restreindre nos moyens généraux de défense. On fait semblant d’avoir cédé du
côté de Lillo, pour exiger beaucoup sur d’autres points.
Ainsi, si vous tirez parti du sens relatif
de mon argument en le répétant sans cesse, vous devez, pour être juste, ne pas
lui donner un sens absolu, Mais ce sont là des jeux de mots sur lesquels je
crois qu’il en a été assez dit.
Je crois avoir suffisamment prouvé que,
tout en ne nous donnant rien, les Hollandais n’en exigeait pas moins que nous
démolissions un fort existant, que nous reculions de
On ne pourrait pas non plus relever les
fortifications du fort Frédéric-Henry. C’est un point cependant qui ne les
offensait en rien, puisque les fortifications n’existent plus. Pourquoi
veulent-ils vous interdire, dès aujourd’hui, de relever ces fortifications ?
Parce qu’il peut arriver des circonstances où nous aurions besoin de le faire.
Vous voyez que dans leur prévoyance les Hollandais vont plus loin que la
justice. Ils vont plus loin que la justice, du moment qu’ils veulent plus qu’une
compensation de ce qu’ils sont censés accorder.
On ne fait pas attention à cette
stipulation du traite relative au Fredéric-Henry,
parce que ce fort n’existe pas ; il n’est pas moins vrai que c’est une
interdiction qu’elle prononce.
C’est uniquement à ce point que j’ai voulu
ramener la discussion, parce que c’est là la véritable question. C’est ce qui
rend les conditions de
C’est une chose fort
déplorable que cette facilité qu’on montre à faire des concessions à
Je voterai la somme demandée pour réparer
les désastres de Borgerweert, et, pour le reste,
j’attendrai que le gouvernement, à moins que la chambre n’adopte son projet,
nous propose un moyen qui ne nous impose pas des conditions que nous ne pouvons
pas accepter.
M.
Smits. - Messieurs,
l’honorable préopinant, en voulant ramener la question sur son véritable
terrain, me paraît l’en avoir totalement éloignée. Il en a fait une question de
susceptibilité nationale et de stratégie, tandis qu’il ne s’agit réellement que
d’une question d’humanité et de justice. C’est à cette question qu’il faut
borner la discussion, c’est sur ce terrain qu’il faut la replacer.
Pour sauver les victimes de l’inondation
et prévenir des malheurs plus grands que ceux déjà occasionnés par la rupture
de la digne de l’Escaut, trois moyens ont été proposés : le premier de ces
moyens c’est la conservation du statu quo actuel, c’est-à-dire le maintien de
l’inondation sur deux mille hectares, le raffermissement et le surhaussement de
la digue qui part du fort Lacroix, s’étend au village de Stabroeck
et aboutit au fort Frédéric-Henry.
La construction de cette digue a déjà
coûté 1,700 mille fr. ; son sur-exhaussement exigerait une dépense de 2,800.000
fr., et son entretien une dépense annuelle de 300 mille fr. Si vous rejetez les
autres moyens proposés, force vous sera de faire ces frais et de voter les
allocations nécessaires.
Et ici il faut que je vous fasse
remarquer, messieurs, que quand vous aurez dépensé cette somme considérable,
vous n’aurez positivement rien fait, car cette digue, il est impossible de lui
donner la force nécessaire, attendu que l’agrandissement des talus est
impraticable et qu’on ne peut pas lui donner de largeur suffisante, la digue se
trouvant entourée de fossés, de manière que la moindre tempête pourra la
renverser et la submerger. Si ce malheur arrivait, et il doit infailliblement
arriver, les polders de Santvliet, Beerendrecht, Stabroek, Oorderen,
Wilmarsdonck, Eeckeren et
d’Anvers, renfermant sept à huit villages, deviendront la proie des flots, et
aucune force humaine ne pourrait parer à ces désastres.
Le deuxième moyen qui vous a été proposé,
c’est la construction d’une digue à
Ce moyen n’est donc pas acceptable,
d’autant moins qu’il exigerait également une dépense de 2 millions, plus 500
mille francs pour l’affermissement d’une partie de la digue d’Oordam qui serait conservée, et en outre 100 mille francs
d’entretien annuel.
D’un autre côté, par la digue à
Mais, dit-on, pas la construction de cette
dernière digue, on sera obligé de démolir le fort Lacroix, et la dignité
nationale sera compromise ! Messieurs, pour ceux qui ont été sur les lieux,
pour ceux qui connaissent la situation du fort Lacroix. Il est constant que ce
fort n’intéresse en rien la défense du pays ; c’est une bicoque que le moindre
bateau canonnier bien armé viendrait raser en s’embossant convenablement. Il
est d’ailleurs susceptible d’être attaqué de trois côtés ; par le polder
inondé, par le fort Lillo et par L’Escaut.
Mais, a dit encore un honorable orateur,
le fort Lacroix protège la digue d’Oordam, et ce seul
motif exige qu’on le conserve. Cet honorable membre ne connaît pas les
localités ; s’il les connaissait, il conviendrait avec nous que ce fort ne
protège rien, absolument rien, d’autant plus que la grande digue actuelle peut
même être attaquée par l’intérieur du polder et du côté de la frontière de
terre. Cette considération-là ne doit donc pas nous arrêter.
Je suis aussi susceptible que qui que ce
soit sur l’honneur national ; et si j’avais rencontré dans les conditions qui
nous sont proposées quelque chose d’aussi dur qu’on le prétend, je les aurais
repoussées. Mais il faut se faire une question, il faut se demander quelle est la quantité d’ouvriers et quelle
est la masse de matériaux qu’il faudra apporter pour les travaux de réparations
et de construction de la digue nouvelle. Or, messieurs, il faudra de 1,500 à
2,000 ouvriers, et 5 à 600 bateaux. Ces ouvriers et ces bateaux devront
continuellement passer à côté du fort et le tenir en éveil.
Pour ceux qui connaissent ce que c’est que
les travaux de la digue, ces conditions sont tout à fait naturelles.
Je n’abuterai plus qu’une réflexion : j’ai
ramené la discussion sur le terrain de l’intérêt financier, de l’intérêt
matériel, parce que, dans l’état des choses, la législature devra opter entre l’un
des trois systèmes en présence et voter des sommes, soit pour le maintien de la
digue actuelle, soit pour la construction d’une digue à
Je l’ai déjà dit, par le statu quo vous
avez à faire une dépense de 2,800,000 fr. et une dépense annuelle de 300,000,
fr. pour entretien.
Pour la construction d’une digue à
Plus 500,000 fr. pour la
partie à conserver de la digue d’Oordam ;
Et pour entretien annuel, 100,000 fr.
Pour la construction d’une digue à
Et pour entretien annuel celui de 60,000
fr.
Ainsi, entre le premier et le dernier
système, une différence : 1° de 800,000 fr. pour frais de construction ; 2° de
60,000 fr. sur les frais d’entretien.
Il n’y a donc pas à hésiter ; je donnerai
mon vote à la proposition du gouvernement, appuyée par votre commission
spéciale.
M. Jullien.
- Messieurs, la proposition qui vous est soumise, contient deux objets bien
distincts : le premier concerne le réendiguement du
polder de Borgerweert ; le second concerne le
rétrécissement de l’inondation de Liefkenshoek et la construction d’une digue
intérieure dans le polder de Lillo, à
Quant au premier de ces objets, il paraît
que tout le monde est d’accord : tout le monde a compris la nécessité
d’accorder au gouvernement les fonds demandés pour le réendiguement
du fort Borgerweert ; tout le monde a compris en
outre qu’il faut que les travaux soient exécutés très promptement dans
l’intérêt du pays.
J’ai seulement quelques observations à
faire sur les conditions de l’adjudication des travaux ; mais, pour ne pas
allonger la discussion générale, je ne les présenterai qu’à la discussion des
articles.
En ce qui concerne la manière dont a été
faite l’adjudication, je dois dire qu’il y a eu loyauté et franchise de la part
du gouvernement vis-à-vis des adjudicataires, et que si tous les marchés du
gouvernement avaient été passés de la même manière, nous n’aurions pas été
affligés par des débats scandaleux, au sujet du défaut de concurrence, ou au
sujet de différends entre les concurrents en raison de la manière dont les
marchés avaient été faits.
Je viens au second objet : le
rétrécissement de l’inondation de Liefkenshoek et la construction d’une digue
intérieure dans le polder de Lillo, à
On a fait de ceci une question d’honneur national,
c’est donc cette question qu’il faut examiner en première ligne ; car, pour
moi, je sais que l’honneur national ne doit pas être plus indifférent à une
petite nation qu’à une grande. Une petite nation ne peut pas plus exister sans
honneur qu’une grande nation ; toute la différence c’est qu’une petite nation
ne doit pas être aussi susceptible, aussi pointilleuse, par la raison bien
simple qu’elle n’a pas les mêmes moyens pour se faire respecter. Elle ne peut,
par exemple, envoyer une flotte au bout du monde pour obtenir réparation ou
tirer vengeance d’un outrage fait à ses nationaux. Mais, hors ce cas, il faut
qu’un petite nation se fasse respecter, et elle doit plutôt succomber avec
dignité que souffrir lâchement une humiliation. Toute la question est donc de
savoir si, dans la convention du 25 avril, l’honneur national, la dignité
nationale sont humiliés, compromis. S’il en est ainsi, nous ne devons pas
accepter la convention ; et, dans ce cas, j’accepte franchement, non seulement
les principes, mais encore toutes les conséquences développées par d’honorables
orateurs. Mais si je ne trouve pas que notre dignité nationale soit compromise,
je me rangerai alors du côté de la justice, de l’humanité et du véritable
intérêt du pays.
On a opposé aux ministres que, lors de la
dernière convention ils ont parlé de dignité nationale, de défense militaire du
pays. On leur a demandé si depuis ce temps les choses étaient changées, et ils
ont répondu par la tempête et la grande marée du 24 février. Mais si cette grande
marée a emporté la digue de Borgerweert, elle n’a pas
au moins emporté la dignité nationale. (On
rit.) Au reste, messieurs, que les ministres aient parlé à cette époque de
dignité nationale ou qu’ils n’en aient pas parlé, qu’ils aient ou non changé d’opinion,
je m’en inquiète peu ; j’examine seulement pour mon compte si je vois dans la
convention du 25 avril une atteinte portée à notre dignité nationale.
A cet égard je prie la chambre de
remarquer que les Hollandais ne sont pas venus à nous pour obtenir une faveur,
que c’est nous, au contraire, qui avons été la leur demander. Lorsqu’on demande
une faveur à un ami, on la paie souvent fort cher, surtout de gouvernement à
gouvernement ; mais, en conscience, lorsqu’on demande une faveur à un ennemi,
on ne doit pas s’attendre à de douces conditions. Nous pouvions donc être
assurés d’avance que
Voyons donc quelles sont ces conditions :
1° La démolition du fort Lacroix.
S’il était vrai que le fort Lacroix fût
nécessaire à la défense du pays, cela pourrait faire difficulté ; mais
lorsqu’un homme de l’art, un homme spécial nous dit que le fort Lacroix est
insignifiant, et qu’un autre fort, que vous appellerez, si vous voulez, le fort
Lacroix, placé soit à
On a trouvé une humiliation dans l’art. 5
de la convention. Cet article porte :
« Art. 5. La démolition du fort sera
faite aux frais du gouvernement belge. Un officier du génie néerlandais sera
chargé de la surveiller : il se concertera avec l’ingénieur des ponts et
chaussées attaché aux travaux de l’endiguement pour l’exécution des art. 2, 3
et 4 ; il pourra à cet effet résider au fort Lacroix. »
Comment donc, messieurs, serions-nous humiliés
par cette condition ?
Dès l’instant que vous demandez au
gouvernement hollandais qu’il vous permette de travailler dans vos polders pour
les endiguer et les assécher, sous le canon de son fort, il est naturel qu’il
ne vous accorde cette permission qu’à la condition qu’il surveillera les
travaux. Il en est toujours ainsi lorsqu’il s’agit de démolitions demandées par
une nation et acceptées par une autre. Il en a été ainsi lors de la démolition
des fortifications de Dunkerque, et dans beaucoup d’autres circonstances
analogues.
On ne veut pas qu’un officier hollandais
(pays avec lequel nous avons traité) surveille les travaux de la démolition du
fort Lacroix. En vérité, je ne conçois pas cette susceptibilité. Mais, dit-on,
il demeurera dans le fort Lacroix ; mais, messieurs, s’il lui convient de se
loger dans le fort qui doit être rasé, vous conviendrez que ce logement qui ne
sera pas très attrayant ne sera pas de longue durée, car une fois le fort rasé,
il faudra bien que l’officier s’en aille.
Mais, dit-on, le commandant du fort de
Lillo pourra se promener sur notre digue et examiner les travaux : faites
attention qu’il lui faut pour cela un sauf-conduit, et que, s’il n’obtient pas
ce sauf-conduit, il ne pourra faire ces promenades. Mais, quand même cette faculté
lui serait accordée d’une manière absolue et illimitée, je ne trouverais rien
d’extraordinaire. Comment voulez-vous autrement que le commandant du fort de
Lillo puisse prendre des précautions contre tous les Belges qui pourront
s’approcher du fort à l’occasion des travaux, et pour se préserver d’une
surprise ou d’un coup de main ? Songez donc que deux ou trois mille hommes
seront employés aux travaux du réendiguement du
polder ; par conséquent, il y aura là deux ou trois mille ouvriers belges et 2
ou 300 bateaux. Je vous demande dans quelle position serait le commandant du
fort de Lillo, qui n’a que deux ou trois cents hommes, si l’on n’avait pas
stipulé tous les moyens de surveillance contre le danger dont il aurait été
menacé.
Ainsi, par exemple, les bateliers qui
traverseront continuellement les passes devront avoir une lanterne : mais c’est
là une mesure militaire. Quand on a été militaire, on ne doit pas être étonné
de ces exigences de la part d’un gouvernement qui n’est pas notre ami et qui n’est
pas payé pour l’être. Il fallait donc que ces précautions fussent prises.
Dans les autres conditions, je ne vois non
plus rien qui ne soit une conséquence de l’exécution des travaux qu’on nous
permet.
Je répondrai à quelques observations présentées
par l’honorable M. Gendebien et par l’honorable M. de Puydt.
Je suis le premier à rendre justice aux
susceptibilités du premier. Tout en considérant qu’on ne pouvait pas accepter la
convention du 25 avril, il est un de ceux qui dans différentes occasions ont
appelé l’attention de la chambre sur la position des habitants des polders ; et
il vient de présenter un projet d’indemnité ; mais il manque à ce projet une
garantie contre les dangers du statu quo.
Si des digues, dans les environs du fort
Lacroix, venaient à être percées, des milliers d’hectares, depuis Santvliet jusqu’à Anvers, pourraient être submergés.
Si ces dangers qu’on signale, et sur
lesquels j’appelle l’attention de MM. les députés de
On craint que les Hollandais ne brisent la
digue que vous allez faire. Mais cette crainte est de tous les jours. Les
Hollandais, de leur côté, peuvent avoir la même crainte. Partout où il y a des
digues, dans
L’honorable M. de Puydt a prétendu que les
Hollandais ne nous faisaient aucune espèce de concession, et que par conséquent
il n’y avait pas lieu à leur en faire. A cet égard les Hollandais pourraient
dire : Laissez les choses en l’état où elles sont ; ce n’est pas nous qui
demandons une faveur. Vous voulez assécher vos terres ; vous voulez que des
familles sans asiles, depuis six ans, rentrent dans leurs habitations ; vous
voulez que des individus sans vêtements et sans toit, aient le vivre et le
couvert ; eh bien, il faut en passer par les conditions que nous vous imposons
pour notre sécurité.
Vous voyez donc que c’est nous qui
demandons des faveurs aux Hollandais et que les Hollandais étaient en droit
d’exiger de nous quelque chose. Car on nous concède tout au moins la permission
de travailler à notre polder de Lillo, sous le canon hollandais ; et cette
concession est quelque chose.
L’honorable M. de Puydt a
fini par soumettre à la chambre quelques observations stratégiques qui demandent
des explications. En adoptant la convention du 25 avril, il en résulterait,
selon lui, que
Je bornerai là mes réflexions je verrai si
la discussion m’eu suggère d’autres.
M. Gendebien.
- M. le comte de Mérode, qui ne perd jamais l’occasion d’inculper les
intentions des membres de cette assemblée qui ne sont pas de son avis, a dit :
Il suffit que le gouvernement présente un projet quelconque pour que
l’opposition et les mêmes hommes s’empressent toujours de le combattre.
Cette injure gratuite s’adresse à la
chambre plus qu’à moi ; car il me semble, messieurs, que s’il y a une chambre
où il n’existe pas d’opposition systématique, c’est la chambre belge ; et que
s’il y a dans cette chambre un membre qui n’ait jamais fait, ni menacé de
faire, de l’opposition systématique, c’est bien moi ; tandis que mes
contradicteurs ont menacé de faire de l’opposition systématique si tel membre
de la chambre arrivait au pouvoir : ce dont, soit dit en passant, je n’ai nul
souci.
Je n’ai jamais fait d’opposition
systématique ; c’est trop au-dessous de moi. Je discute, j’expose mes raisons,
mes doutes ; je vote tantôt pour, souvent contre, et toujours selon ma
conscience. Comme je n’ai pas l’ambition d’arriver au pouvoir, on doit croire
que je dis la vérité quand je dis que je ne mérite pas le reproche qu’adresse
M. de Mérode à des collègues qui pensent et se conduisent mieux que lui dans
cette assemblée et ailleurs.
J’ai dit mes motifs d’opposition à la
convention du 25 avril, voyons les raisons de M. de Mérode pour l’adopter. Pour
justifier le ministère d’avoir accepté le traité du 25 avril après avoir refusé
celui du mois d’août, M. de Mérode a dit qu’en août on prétendait que le fort
Lacroix était utile, était nécessaire à la défense du pays, tandis que depuis
on a acquis la certitude qu’il était inutile. Voilà, il faut en convenir, de
pitoyables raisons. Cela prouve beaucoup de légèreté et bien peu de sagacité
dans les déterminations de nos ministres. Car, s’il est vrai qu’il est
complètement inutile, pourquoi les ministres l’ont-ils conservé au mois d’août
1836, au pris du sacrifice des inondés de Lillo ? Il est complètement inutile,
dites-vous ? Mais pourquoi a-t-on construit le fort Lacroix ? pourquoi a-t-on
dépensé tant d’argent pour l’élever ? S’il s’agissait de le construire, on ne
manquerait pas de mille bonnes raisons d’Etat pour démontrer la nécessité de
l’édifier ; on veut le détruire, et on le trouve sans utilité, ridicule même !
C’est un point qu’on ne peut contester sans encourir le reproche d’opposition
systématique.
Le fort Lacroix n’est sans doute pas la
clef de l’Escaut, ni un ouvrage indispensable à la défense du fleuve ; mais on
ne contestera pas que ce fort soit un poste utile, comme poste avancé ; il met
nos avant-gardes à l’abri d’un coup de main, en les logeant convenablement. Ce
fort empêche que les militaires ne soient dans la nécessité de faire chaque
jour le voyage d’Anvers, ou tout au moins le voyage du fort Philippe, 12 ou 24
fois par jour. Ce fort met les grands-gardes à l’abri
de l’intempérie des saisons ; et l’on sait combien le climat des bords de
l’Escaut est meurtrier pour nos soldats, combien il est nécessaire de les
garantir contre les variations de l’atmosphère. Ce fort est encore nécessaire à
la digue d’Oordam, car il l’enfile à toute volée, il
ne la protège pas dans toute son étendue, cependant il l’enfile de manière à
repousser les embarcations qui voudraient la détruire dans une grande partie de
sa longueur.
Le fort Lacroix est encore nécessaire pour
garantir les digues de l’Escaut qu’il enfile aussi à toute volée ; il est utile
pour surveiller l’inondation et les embarcations, dont il rend au moins les
manœuvres plus difficiles ; il est utile pour protéger le pays d’un coup de
main, et pour arrêter la marche des Hollandais qui, sans lui, arrivent au fort
Philippe, et ils peuvent, en évitant ce fort, arriver sous les murs d’Anvers,
avant même qu’on aurait eu le temps d’apprendre leur mouvement.
Je laisse aux hommes qui connaissent la
stratégie à soutenir cette thèse ou à la combattre ; mais, à moins de déverser
le ridicule sur les officiers, sur les généraux français et belges qui ont fait
construire le fort Lacroix, je ne puis accorder qu’il soit complètement
inutile. A part la question d’honneur national, qui pour moi est beaucoup, je
dis que le fort Lacroix a son importance ; et il faudra d’autres raisons que
celles qui ont été alléguées jusqu’ici pour me convaincre du contraire.
Le comte de Mérode m’a adressé un autre
reproche ; c’est de rechercher de la popularité aux dépens du trésor : mais si,
comme le suppose M. de Mérode, la popularité s’acquiert en raison des largesses
qu’on fait aux dépens du trésor, je demanderai lequel de nous deux met le
trésor à contribution pour la plus grande somme, et lequel court le plus
activement après la popularité ? Je propose d’indemniser les propriétaires des
polders à raison de 3 et demi p. c. du capital évalué par les opérations
cadastrales, en attendant qu’on puisse faire, avec plus de sécurité, et à moins
de frais, les travaux qu’on veut exécuter aujourd’hui. Je demande qu’on paie
provisoirement l’intérêt, et M. de Mérode veut, tout en compromettant la
dignité du pays, dépenser le capital en s’exposant volontairement à dépenser
deux ou trois fois ce capital si le roi Guillaume juge à propos de rompre les
digues ainsi qu’il l’a déjà fait. C’est-à-dire que je demande de porter tous
les ans au budget une somme que je ne connais pas au juste, mais qui doit être
à peu près de 200,000 fr. pour
Cela m’amène plus tôt que je ne voulais à
une autre question : M. le comte de Mérode a dit, avec d’autres orateurs, que
ce ne sont pas seulement les habitants du polder de Lillo qui ont à se
plaindre, mais que l’inquiétude des habitants des polders voisins est encore
plus grande. Or, vous dit-on, messieurs, vous ne ferez cesser ces craintes
qu’en faisant exhausser les digues, travail qui doit coûter 2,800,000 fr. Eh
bien, messieurs, je dis que ce sera le contraire : je dis que les habitants des
polders voisins de Lillo seront exposés à de plus grands dangers
qu’aujourd’hui, si vous faites la digue à
Je ne sais pas même, messieurs, si vous
pourriez entretenir les anciennes digues, car vous ne pourrez y toucher,
d’après la convention du 15 avril, qu’avec l’autorisation du roi Guillaume. Je
demanderai donc aux orateurs qui s’apitoient, sincèrement sans doute, sur le
sort des habitants des polders voisins de Lillo, qu’ils représentent comme à la
veille de se trouver engloutis, craignant toujours de se trouver entoures d’eau
lorsqu’ils s’éveilleront le matin ; je demanderai à ces orateurs quelles
garanties de plus auront les malheureux habitants, quand on aura fait la digue
à
Le fort Lacroix pouvait empêcher les
Hollandais de percer les digues en amont et en aval de ce fort ; il pouvait
garantir les digues de l’Escaut, les digues d’Oordam,
d’Ettenhove, contre un coup de main ; et bien, cette
garantie, vous consentez à l’abandonner à un ennemi dont la déloyauté vous est
si bien connue, et l’on ne stipule aucune garantie contre sa déloyauté.
Je le répète, messieurs, ce que je veux,
c’est que dès aujourd’hui les habitants des polders soient indemnisés, qu’ils cessent
de souffrir. Si vous leur donnez la valeur représentative de leur fonds, vous
les en ferez jouir immédiatement, tandis que s’ils sont condamnés à attendre
l’établissement de la digue, ils attendront longtemps encore ; car, sans parler
des entraves que le génie, le mauvais génie hollandais, apportera à la
construction de cette digue, il faudra au moins un temps moral assez long pour
l’achever ; il faudra ensuite assécher ; eh bien, messieurs, ce n’est pas
encore dans deux ans que les malheureux habitants des polders pourront jouir de
leurs terres. En attendant, que feront-ils ? Vous ne proposez rien à cet égard
: vous ne leur offrez que l’espérance, une espérance qui peut être déçue avant
d’être réalisée, qui peut être détruite le lendemain de sa réalisation
Un honorable orateur qui siège derrière
moi a dit qu’il n’est pas question d’un traité qui nous serait imposé, mais
d’un contrat bilatéral entre le gouvernement belge et le gouvernement
hollandais : mais qu’est-ce que cela fait à la chose ? Si le traité nous était
imposé, ce serait une honte de plus ; mais qu’on l’appelle synallagmatique,
bilatéral ou de toute autre dénomination, cela change-t-il quoi que ce soit à
la nature des stipulations qu’il renferme ? Il est bilatéral, dites-vous, et
toutes ses conditions sont contre nous ! Cependant il est de l’essence d’un
contrat bilatéral de présenter des chances égales pour les deux parties ; il
est bilatéral et il ne nous accorde rien, et nous impose les conditions les
plus humiliantes et les plus dures. Il va jusqu’à exiger que nous soyons
préalablement privés d’un de nos moyens de défense. Il est de l’essence d’un
contrat bilatéral de renfermer des garanties réciproques, et nous n’avons pas
même, comme je le disais tout à l’heure, des garanties contre le percement de
nos digues ! Encore une fois, bilatéral ou non, ce sont les clauses que
j’examine.
Messieurs, je vois autre chose encore dans
ce contrat bilatéral, c’est qu’il préjuge la question de savoir si le
gouvernement hollandais ne devra pas un jour nous indemniser des pertes que
nous aurons subies par les inondations. Si ma mémoire est bonne (et je
vérifierai le fait), les Hollandais, toutes les fois qu’ils ont inondé les
mêmes polders, ont après la guerre indemnisé les propriétaires. C’est ainsi au
moins qu’après la guerre de 1784, surnommée la guerre de la marmite, ils ont
payé l’indemnité pour les dégâts causés par cette inondation ; et aujourd’hui,
messieurs, nous passons condamnation ; nous faisons des stipulations, où nous
prenons tout à notre charge et sans aucune réserve. Voilà comme on soigne les
intérêts de
Si le gouvernement hollandais voyait chez
nous un peu plus d’énergie, il se garderait bien de nous menacer de
l’inondation. Si le gouvernement avait le courage de déclarer qu’il ne traitera
pas avec
Si au moins une stipulation qui nous
réservât le droit d’être indemnisés par
On est entré, messieurs, dans plusieurs
calculs ; on vous a présenté de nombreux chiffres pour vous prouver qu’il y
aurait une économie de 540,000 fr., je crois, à faire le travail propose plutôt
que de rester dans le statu quo ; moi, j’en reviens toujours à demander,
messieurs, quelles garanties avez-vous que quand vous aurez établi les travaux
dont il s’agit, quand vous aurez dépensé les sommes demandées, vous ne serez
pas condamnés le lendemain à renouveler la même dépense ? Je ne réfuterai pas
dans tous leurs détails les chiffres posés. Il me suffit d’avoir détruit la
base, qui manque à défaut de garantie.
Veuillez, je vous en prie, raisonner une
bonne fois dans cette hypothèse et tenir compte de ce futur contingent. Il ne
s’agira pas d’une économie de quelques centaines de mille francs, mas d’une
économie de cent pour cent à renouveler périodiquement, jusqu’à ce qu’il plaise
au roi Guillaume d’être aussi loyal que nous, jusqu’a ce qu’il plaise au peuple
hollandais de forcer Guillaume à faire la paix.
L’honorable M. Jullien vous a dit que si
l’honneur national était blessé par la convention, il se hâterait de la
repousser. Mais il trouve que l’honneur national est intact. Le fort Lacroix,
vous dit-il, est inutile ; il n’y a donc pas de déshonneur à le démolir. Mais
il me semble, messieurs, qu’on ne doit pas raisonner ainsi. Le fort Lacroix
existe, on l’a construit parce qu’on l’a reconnu utile ; c’est sans doute aussi
pour la même raison que les Hollandais en demandent la démolition. De deux
choses l’une : ou le fort Lacroix a quelqu’importance pour les Hollandais, ou
il n’en a point ; s’il a de l’importance, alors il est utile à
On vous a dit qu’il n’y a pas de
déshonneur à admettre un officier hollandais à présider à la démolition du fort
Lacroix. Il est naturel, ajoute-t-on, qu’un officier étranger vienne s’assurer
de l’exécution d’une stipulation du traité. Alors je demanderai pourquoi au
mois d’août dernier les Hollandais n’ont pas fait cette stipulation qui semble
aujourd’hui si naturelle ; pourquoi le ministère belge a repoussé avec
indignation au mois d’août la proposition de démolir le fort Lacroix, alors
même que les Hollandais ne stipulaient pas le droit de venir présider à sa
démolition.
On a objecté que cet officier hollandais
pourrait résider au fort Lacroix. Que répond à cela l’honorable préopinant
auquel je fais allusion ? Que quand le fort Lacroix sera démoli, l’officier
étranger n’y résidera plus. Je demande pardon à mon honorable ami, mais cela me
paraît une des vérités familières à M. de Lapalisse. Je sais très bien que dès
que le fort sera démoli, l’officier ne fera pas sottise d’y rester exposé à
l’intempérie des saisons ; il s’en ira sans doute ; mais il n’en aura pas moins
foulé le sol belge ; nos officiers n’en auront pas moins été soumis à la
surveillance d’un fonctionnaire étranger ; mais le ministère n’en aura pas
moins consenti aujourd’hui à un acte qu’il avait repoussé il y a quelques mois
comme déshonorant pour le pays, comme contraire à la dignité nationale.
Et cette marque de défiance qu’on nous
témoigne en exigeant la présence d’un officier hollandais, ne la comptez-vous
pour rien ? Depuis quand une nation pourra-t-elle, sans honte, laisser mettre
en doute sa loyauté ? Alors que
On a dit, messieurs, qu’il fallait bien
qu’un officier hollandais pût surveiller les travailleurs ; mais est-ce à dire
pour cela qu’il faille lui donner l’autorisation de parcourir les polders en
tout temps. Or, d’après les stipulations du traité, vous l’y autorisez en tout
temps. Comprenez-vous maintenant toute la portée de mon observation ?
Il ne s’agit donc pas d’une précaution
qu’on prend pour s’assurer que les hommes qu’on réunira pour les travaux ne s’y
réunissent pas en armes pour faire une attaque à l’improviste sur le fort ;
c’est un droit qu’on accorde au commandant du fort, même après que les travaux
seront achevés ; en un mot, en tout temps et indéfiniment.
Jugez maintenant, messieurs, par les
nombreuses et minutieuses précautions stipulées par le roi Guillaume, de la
gêne qui en résultera pour les travailleurs, et des chances auxquelles les
entrepreneurs seront exposés. Croyez-vous, messieurs, que les entrepreneurs ne
tiendront pas compte des embarras que le commandant hollandais peut leur
susciter à chaque instant, soit pour la sûreté du fort, soit à prétexte de
sécurité, mais en réalité pour faire acheter aux entrepreneurs le bon vouloir
des autorités hollandaises. Eh bien, vous les paierez toutes ces éventualités,
et le plus chèrement possible, car les entrepreneurs portent toujours leurs
évaluations, surtout sur ces sortes d’accidents, au plus haut possible. Si, au
contraire, vous adoptez la mesure provisoire que je propose, vous pourrez
procéder, à la paix ou dans un temps plus opportun, avec beaucoup plus
d’économie ; vous aurez plus de facilité sous tous les rapports. Vous pourrez
prendre des terres partout. Vous n’exposerez pas les bateliers à voir leurs
bâtiments coulés bas sans avertissement préalable, parce qu’une chandelle se
serait éteinte dans une lanterne ; la circulation serait libre, et vous ne
seriez pas exposés au caprice d’un ennemi déloyal.
Et quelle garantie avez-vous maintenant,
quand le travail sera fait de moitié ou aux trois quarts, qu’il pourra
s’achever ?
Rien n’est stipulé à cet égard. Eh bien,
s’il arrivait que des embarras fussent suscités (et que sait-on ?,
l’entrepreneur sera peut-être intéressé à les susciter, à les faire surgir pour
se faire payer d’un travail qu’il aura à peine entamé), vous seriez condamnés à
payer cet entrepreneur, et les travaux resteraient inachevés. Rien ne nous
garantit contre cette onéreuse éventualité, et personne ne peut nier qu’elle
soit dans l’ordre des choses possibles.
Et cependant on nous accuse, nous qui
exposons franchement nos inquiétudes, et des dangers réels, et qui voulons y
porter remède, on nous accuse de faire de l’opposition systématique et de viser
à la popularité aux dépens du budget, tandis que notre proposition tend à
procurer une grande économie au trésor public.
Que voulez-vous, messieurs ? Le
gouvernement a conçu un projet, il faut bon gré mal gré que la chambre
l’accepte. Voilà l’ordre des idées qui préside dans presque tous les
gouvernements ; c’est aussi l’idée fixe des hommes qui nous gouvernent. Il n’y
a de l’esprit et de raison que dans le gouvernement et chez les ministres. Les
chambres en sont toujours dépourvues, Tout député qui s’avise de ne pas être de
l’avis des gouvernants est un brouillon, un homme qui cherche tontes les
occasions possibles pour entraver le gouvernement. Ici au moins l’accusation
serait calomnieuse, puisqu’en combattant le projet du gouvernement, je propose
une mesure qui doit le remplacer, et qui peut le remplacer sans autre
inconvénient que de froisser quelques amours-propres.
Mon honorable ami, M. Jullien, a dit
encore que le projet que j’ai présenté est généreux, mais qu’il ne présente
aucune garantie contre les dangers du statu quo ; car, dit -il, l’indemnité
qu’on accordera aux propriétaires des terrains inondés ne garantit en aucune
façon les polders voisins. Je demanderai à mon tour : Quelle garantie avez-vous
dans le traité, même après l’exécution d’une digue à
La meilleure garantie, messieurs, que nous
puissions avoir contre les intentions hostiles de
Pendant la nuit du 27 octobre 1830, alors
que le général Chassé bombardait la ville d’Anvers, je proposai au gouvernement
provisoire de publier une proclamation par laquelle il prendrait, au nom de
Cette proposition ayant transpiré dans le
public, dès le lendemain, à midi, cinq chefs offrirent au gouvernement
provisoire d’exécuter le projet avec trois cents volontaires, ne demandant que
les munitions nécessaires.
Qu’on le sache donc bien, messieurs,
Voila une garantie contre le percement des
digues, des anciennes comme des nouvelles, par eau et par terre.
En un mot comme en cent, mon seul désir,
je le répète, c’est que les habitants des polders soient indemnisés le plus
tôt, le plus complètement et le plus efficacement possible, pour le présent et
surtout pour l’avenir. Je n’entre pas dans les distinctions prudentes ou
cauteleuses qu’on a articulées et qu’on a cherché à éluder. Je n’ai pas
d’appréhension ni d’arrière-pensée sur les conséquences de l’indemnité. Je dis
que quiconque a souffert des conséquences d’une guerre nationale doit être
indemnisé complètement. Je répéterai ce que j’ai dit au mois de novembre 1830 :
« Si la moitié de la nation eût été ruinée par la révolution, l’autre moitié
eût dû partager avec elle, pour que toutes choses fussent égales. »
Nous sommes d’accord qu’il faut
indemniser.
Toute la question est de savoir comment on
y arrivera le plus promptement et le plus efficacement. Est-ce en faisant une
digue, ou en donnant une indemnité pendant le statu quo et en attendant que la
paix permette de faire les travaux avec sécurité et économie ? Il me semble
que, dans cette alternative, le parti à prendre ne peut pas être douteux, et
pour ceux qui en font une question du sensiblerie, et pour ceux qui en font une
question de justice et d’humanité, de politique et d’honneur.
S’il en est ainsi, si nous sommes tous
d’accord sur ce premier point, je crois qu’on doit indemniser dès demain, dès
aujourd’hui. Commençons par là. Quelque parti que vous preniez, que vous
fissiez la digue ou que vous l’ajourniez, c’est un devoir pour vous de
dédommager dés à présent les victimes de l’inondation, avant que la digue soit
faite, car ils attendront deux ans au moins avant d’entrer en jouissance de la
partie qui sera asséchée ; dès lors que vous reconnaissez la nécessite de faire
cesser leurs souffrances, pourquoi, au lieu de les indemniser pour deux ans à
l’avenir et pour le passé, ne pas leur donner une indemnité provisoire pour un
temps indéfini, tout en la réglant pour le passé ?
Il faut être juste,
dit-on ; moi aussi je veux être juste, c’est pour cela que je pense qu’il faut
indemniser les souffrances passées et futures, et ne pas se contenter de
promettre un soulagement bien éventuel pour les souffrances à venir.
Agissez prudemment. Si vous voulez vous
soustraire à de nouveaux affronts, à de nouveaux et incalculables sacrifices, ne
consentez pas à la construction de la digue proposée, et abordez franchement
mes propositions.
M. F. de
Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
J’ai été inculpé pour avoir parlé d’une
opposition systématique, Si une opposition semblable ne pouvait pas exister, on
n’en aurait jamais créé le nom : on ne crée pas un nom pour une chose qui
n’existe pas.
J’ai attribué à certains membres une
propension à faire une opposition systématique contre tous ou à peu près tous
les projets du gouvernement, car l’honorable préopinant n’a pas fait
d’opposition contre la loi des mines, il l’a au contraire appuyée assez
fortement.
Si ce mot d’opposition systématique ne
pouvait pas être prononcé, on ne devrait pas jeter à la tête des hommes dont on
ne partage pas les opinions, qu’ils proposent des choses ignominieuses,
déshonorantes pour le pays. Si on trouve que nous sommes des hommes sans
honneur, sans aucune espèce de courage, si on trouve que nous ne méritons
aucune espèce d’égards, qu’on peut traiter toutes nos propositions d’odieuses,
d’ignominieuses, nous aurons peut-être aussi la liberté de dire notre façon de
penser sur les motifs pour lesquels on traite ainsi nos propositions.
Voilà ce que je voulais dire pour répondre
à l’inculpation très mal fondée de l’honorable préopinant.
Puisque j’ai la parole,
je dirai un mot encore sur le fond de la question. On parle d’honneur national,
parce qu’on vous propose la destruction d’un fort. Supposons que vous cédiez,
feriez-vous un acte déshonorant ? Je ne le pense pas. Si on nous proposait non
pas de démolir, mais de céder le fort tout entier pour éviter aux habitants
d’une partie de
M. Gendebien.
- Le préopinant m’a interrompu en citant la loi des mines, et il vient d’en parler
encore. Je pense, s’il a attaché un sens à ses paroles, qu’il veut dire par là
que j’ai voté pour la loi, parce que j’étais intéressé à son adoption. Voilà
comment on se trompe quand on juge les autres d’après soi-même, d’après ses
passions. Cette loi ne me touche en aucune façon, car les concessions que j’ai,
je les ai reçues de mon père, et elles sont anciennes ; je n’ai donc rien à
attendre de cette loi.
La proposition relative aux propriétaires
de la surface, qui a provoqué la discussion la plus longue, loin de nous nuire,
nous mettait, au contraire, dans une position plus favorable pour soutenir la
concurrence, étant d’anciens concessionnaires puisqu’elle impose aux nouveaux
une charge qui ne peut nous atteindre. Quant à la proposition de M. Rogier,
elle nous était encore favorable. Car si elle avait été adoptée, il en
résultait de deux choses l’une : ou le gouvernement aurait vendu les
concessions, et dans ce cas les nouveaux concessionnaires avaient sur les
anciens le désavantage d’un capital considérable à amortir. St au contraire le
gouvernement avait pris le parti d’exploiter lui-même, il n’eût pas été un
concurrent bien dangereux,, et il eût pris la place de concurrents qui auraient
été beaucoup plus à craindre.
Le préopinant, revenant sur le fond, de la
question, vous a dit que de grandes nations se trouvaient quelquefois dans la
nécessité de céder une portion de leur territoire, et qu’elles ne faisaient en
cela rien de déshonorant. Mais précisément la question est là : y a-t-il
nécessité ? C’était ce qu’il fallait démontrer. Il fallait répondre à mes
arguments et non reproduire une proposition que j’avais combattue ; tout le
reste ne mérite pas une réponse.
M. le président.
- La parole est à M. le ministre des travaux publics. (A demain ! à demain !)
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.