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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 5 mai 1837

(Moniteur belge n°126 du 6 mai 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Gallet-Masson, né en France, domicilié à Mons et habitant la Belgique depuis 20 ans, demande la naturalisation. »


« Des sauniers d’Audenaerde, Gavere et de Renaix, demandent que l’eau de mer soit imposée, et expriment le vœu que le projet de loi sur le sel soit bientôt converti en loi. »


« L’administration communale de Flostoy (Namur) demande que les élections pour la représentation nationale se fassent dans les chefs-lieux de canton de justice de paix, au lieu de se faire dans les chefs-lieux d’arrondissement. »


« Le conseil communal de la ville de Malines demande la réforme de la loi électorale. »


- La première pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice. La seconde est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur le sel. Les deux autres sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport.

Prise en considération de demandes en naturalisation

M. le président. - L’ordre du jour appelle en premier lieu le vote sur la prise en considération de plusieurs demandes en naturalisation.

M. Dumortier. - Messieurs, je demande que la chambre consacre une séance du soir au vote sur les demandes en naturalisation. La liste qui nous en est distribuée se compose de 22 noms ; en supposant que le nombre des membres présents soit de 60, il en résultera qu’il y aura près de 1,400 noms à dépouiller. Or ce dépouillement demandera au moins deux heures. Il est donc manifeste que si nous nous occupons de cet objet dans nos séances du jour, nous ne pourrons voter les lois importantes à l’ordre du jour d’ici à notre séparation.

Je demande, en conséquence, que la chambre veuille décider qu’elle votera sur les demandes de naturalisation dans une séance du soir.

M. de Brouckere. - Messieurs, je ne pense pas que la majorité de la chambre soit d’avis de fixer une séance du soir pour les naturalisations, parce que l’expérience nous a appris qu’en fixant de semblables séances pour des objets qui ne sont pas de haute importance, la chambre ne parvient pas à être en nombre ; ainsi il est parfaitement inutile de fixer une séance du soir, alors qu’il est certain que la décision n’aura pas de résultat.

L’honorable M. Dumortier pense que le dépouillement des listes prendrait deux heures ; c’est là une exagération ; il est facile de le prouver, car il suffira de tenir note du nombre de fois que chaque nom aura été effacé, et la différence entre ce nombre de fois et celui des votants formera le nombre de voix en faveur du pétitionnaire.

Au reste, messieurs, tentons une fois l’expérience. Si nous trouvons alors que l’opération dure trop longtemps, nous aviserons à d’autres mesures.

Je demande donc que l’on fixe à demain le vote sur les demandes en naturalisation.

M. Smits. - Je ferai remarquer que le dépouillement des bulletins pourrait prendre un temps assez long (non ! non !), et que nous avons à nous occuper de la discussion du projet de loi sur les polders.

M. Eloy de Burdinne. - Que l’on commence la séance à midi précis, et la discussion de la loi sur les polders ne sera pas retardée.

M. Dumortier. - En faisant ma proposition, j’avais en vue de ménager le temps de la chambre. Comme on paraît être sûr que le dépouillement des bulletins n’exigera pas beaucoup de temps, je déclare retirer ma proposition.

- La proposition de M. de Brouckere est mise aux voix et adoptée.

En conséquence, la chambre s’occupera demain des naturalisations.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l'intérieur

Rapport de la commission

M. Dubus (aîné). - Messieurs, je viens, au nom de la commission des finances, présenter à la chambre le rapport sur le projet de loi tendant à accorder une majoration supplémentaire au département de l’intérieur pour 1836.

- L’impression de ce rapport est ordonnée.

Projet de loi concernant les examens pour le grade de docteur jusqu’à la fin de la dernière session de 1838

Rapport de la commission

M. Van Hoobrouck. - Messieurs, la commission que vous avez chargée d’examiner le projet de loi tendant à proroger pour six mois la disposition transitoire de la loi sur l’enseignement supérieur, concernant l’examen du doctorat, a trouvé les motifs du projet parfaitement justes. La commission a considéré d’ailleurs que la disposition dont il s’agit était réclamée par le jury d’examen lui-même. En conséquence, votre commission vous propose à l’unanimité l’adoption du projet de loi tel qu’il a été présenté par M. le ministre de l’intérieur.

- La chambre décide qu’elle s’occupera immédiatement de la discussion de ce projet.

Discussion de l'article unique

M. le président. - Voici unique du projet de loi

« Article unique. Les examens pour le grade de docteur n’auront lieu, jusqu’à la fin de la session de l’année 1838, que sur les matières qui étaient enseignées dans les universités et qui formaient l’objet des cours dont la fréquentation était obligatoire, lors de la promulgation de la loi du 21 septembre 1835. »

- M. Fallon remplace M. Raikem au fauteuil.

M. Raikem. - Messieurs, je pense, comme la commission, qu’il n’y aucun inconvénient à adopter le projet de loi qui a été présenté par M. le ministre de l’intérieur. Je pense, en outre, qu’il serait utile de proroger le délai même pendant la deuxième session de 1838. Je désirerais donc que la disposition ne s’appliquât pas seulement à la première session de 1838, comme le projet le propose, mais encore à la deuxième session de la même année.

L’on sent aisément que cela ne pourrait que profiter aux études parce que les élèves qui possèderaient les matières qu’on enseignait avant la nouvelle loi, et qui voudraient se préparer davantage pour leur examen de docteur, auraient encore un temps plus long que celui qui est fixé par le projet.

Messieurs, je me serais mis en mesure de présenter encore d’autres observations à la chambre, pour motiver ma proposition, si je m’étais attendu à la mise de l’ordre du jour du projet de loi. Je pense cependant que ce que j’ai eu l’honneur de dire convaincra l’assemblée que ma proposition est tout à fait dans l’intérêt des études, et qu’il n’y a d’inconvénient à l’adopter.

- L’amendement de M. Raikem est mis aux voix et adopté.

L’ensemble de l’article est ensuite mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :

« Les examens pour le grade de docteur n’auront lieu, jusqu’à la fin de la deuxième session de l’année 1838, que sur les matières qui étaient enseignées dans les universités et qui formaient l’objet des cours dont la fréquentation était obligatoire, lors de la promulgation de la loi du 27 septembre 1835. »

- La chambre fixe à lundi le vote définitif de la loi.

M. Raikem remonte au fauteuil.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Discussion du tableau du tarif

Produits chimiques

M. le président. - La chambre est arrivée à l’article suivant du tarif :

« Proposition du gouvernement

« Acide hydrochlorique, à la valeur : droit d’entrée : 10 p. c. ; droit de sortie : 1. p. c.

« Acide sulfurique, à la valeur : droit d’entrée : 5 p. c. ; droit de sortie : 1 p. c.

« Acide nitrique, et autres produits chimiques non spécialement tarifés, à la valeur : droit d’entrée : 5 p. c. ; droit de sortie : 1 p. c. »

« Proposition de la section centrale

« Acide hydrochlorique : droit d’entrée : prohibé ; droit de sortie : prohibé.

« Acide sulfurique, par 100 kilog. : droit d’entrée : 45 00 ; droit de sortie : 1 p. c.

« Acide nitrique, et autres produits chimiques non spécialement tarifés, par 100 kilog. : droit d’entrée : 98 60. ; droit de sortie : 1 p. c. »

M. Hye-Hoys. - La comparaison du prix des acides minéraux de France et de Belgique nous démontre qu’il faut protéger les fabricants de notre pays, si nous ne voulons pas leur ruine ; l’acide sulfurique se vend chez nous 28 fr. les 100 kil., et l’acide nitrique, 100 francs les 100 kil,, tandis qu’à Lille et à Rouen le premier de ces produits ne coûte terme moyen que 18 fr. 50, et le second 64 fr., de sorte que, malgré les frais de transport et les droits de douane, les produits français pourraient se vendre sans rivalité sur nos marchés.

Dans cette branche d’industrie comme dans plusieurs autres, la France a offert à ses fabricants des avantages incalculables résultant d’un grand territoire et d’une nombreuse population, la sécurité d’un tarif fort élevé et le bon marché des matières premières.

Quelle différence immense ne remarquons-nous pas dans l’industrie de deux pays, dont l’un est pour lui-même le plus grand débouché qu’on puisse souhaiter, qui peut diminuer son tarif avec une apparence de bienveillance pour les autres nations, sans rien changer à sa production industrielle, ni altérer la ressource de ses richesses ; et dont l’autre, resserré dans ses limites moins étendues, ne peut se livrer en sécurité à son génie, parce que la consommation lui manque, et qu’il doit suppléer à la différence du prix des journées, et des matières premières, par un plus grand développement d’art. Telle est la position de la Belgique vis-à-vis de la France. Ce serait une raison suffisante pour accorder plus de protection à nos fabriques, et on en a conclu au contraire qu’il fallait la leur retirer.

La France frappe l’eau forte, à son entrée chez elle par terre, d’un droit de 98-50 fr. avec 10 p. c. les 100 kil. l’acide sulfurique à 45 fr. avec 10 p. c. les 100 kil. ; et elle prohibe l’acide muriatique. Elle accorde une prime d’exportation de 53 fr. les 100 kil, à l’acide nitrique, et de 3 fr. à l’acide sulfurique. Le fabricant français a un autre avantage : d’avoir chez lui, et par conséquent à meilleur marché que s’il devait recourir à l’étranger, les matières premières les plus coûteuses, telles que le soufre et le sel.

Le fabricant belge, loin d’avoir une prime d’exportation paie un pour cent à la sortie ; il acquitte jusqu’à 4 p. c., etc., au poids sur certaines matières premières qu’il est obligé de faire venir de l’étranger ; les résidus d’eau forte ou sulfate de potasse valent 50 fr. 50 c. les 100 kilog. de plus en France que chez nous, et l’alun qui ne coûte que 32 fr. les 100 kilog. en Belgique, se vend 63 fr. 50 c. en France ; et si, pour suppléer à l’exiguïté de son territoire, il se retourne vers l’étranger, il rencontre partout des terres inhospitalières : l’Amérique qui élève le droit à 35 fr. pour 100 kilog. ; la Russie à 38 fr., l’Angleterre à 140, la Prusse à 25, le Danemarck à 50, et enfin l’Autriche qui le prohibe.

Mais, pour ne revenir qu’à un seul objet, on dira peut-être que la différence énorme qui existe entre le prix des résidus d’eau forte ou sulfate de potasse et provient de l’imperfection de nos procédés de fabrication ; non, messieurs, cette différence a une tout autre cause.

Le sulfate de potasse sert en France à la fabrication de l’alun, et il ne peut en être de même en Belgique. La province de Liége, en effet, possède des terres alumineuses d’un produit si abondant, qu’elles ne laissent aucune chance de succès à l’industriel qui voudrait fabriquer de l’alun avec du sulfate de potasse ; et cela est tellement vrai que la France, pour favoriser ses fabricants de produits chimiques, a frappé les aluns belges de 65 fr. les 100 kilogrammes à l’entrée, et a réduit par là à deux seulement, et à une existence chétive, les dix-neuf fabriques que nous avions sons l’empire. Ce ne sont donc pas uniquement nos fabricants d’acides minéraux qui ont droit de se plaindre ; on ne demande que le rejet du tarif qu’on nous propose. Mais, que dirait la France si nous lui demandions la réciprocité d’abord, ce qui est de toute équité, et ensuite l’entrée libre de l’alun, qui rendrait à nos industriels l’avantage qu’ils avaient autrefois ? Il me semble qu’avant de parler pour l’étranger, on eût dû épuiser la question nationale.

Nous pensons donc que le droit proposé par le gouvernement de 5 p. cent serait un coup de mort pour nos fabricants d’acides minéraux, et qu’il convient de frapper les acides sulfurique et muriatique d’un droit de 45 fr. les 100 kilogrammes, nitrique et autres produits chimiques à 98 fr. 60 e., et conserver la prohibition sur l’acide hydrochlorique, conforme au tarif français.

M. de Brouckere. - Je veux faire observer à la chambre que dans le volume qui nous a été distribué et qui renferme les avis des chambres de commerce, il se trouve une pétition adressée à la chambre des représentants par la chambre de commerce de Bruxelles dans laquelle pétition le système du gouvernement est combattu avec des arguments auxquels il serait, je crois, difficile de répondre.

Je suppose que chacun de vous a pris connaissance de ce travail remarquable. Je m’abstiendrai donc d’en donner lecture. Mais je voudrais que MM. les ministres (si le gouvernement soutient son projet) entreprissent de répondre au travail de la chambre de commerce de Bruxelles.

M. Smits. - Je crois en effet qu’il y a lieu de modifier quelque peu l’article du tarif qui nous occupe.

Mais je ne conçois pas bien la prohibition de la section centrale sur cet article, car elle propose dans son rapport « de lever la prohibition qui frappe les produits de France, et d’élever les droits d’entrée à la hauteur de ceux imposés en France sur les produits similaires. »

Je vois le tableau et j’y trouve qu’au lieu de demander la levée de la prohibition, on maintient cette prohibition sur l’acide hydrochlorique ou muriatique, tandis qu’on ne propose pas la prohibition des acides sulfurique et nitrique.

Je m’explique d’autant moins cette espèce de contradiction que s’il y a un acide pour lequel nos fabricants peuvent soutenir la concurrence avec ceux de France, c’est l’acide hydrochlorique, puisque, d’après les renseignements que j’ai pris, les 100 kilog. d’acide muriatique se vendent en Belgique 6 fr., tandis qu’ils coûtent en France 10 fr. Ainsi il y a en faveur de notre industrie une différence de 4 fr. ; c’est-à-dire que nos fabricants produisent à 4 fr. meilleur marché que les fabricants français. Malgré cette différence, je crois que l’on peut admettre un droit de 5 ou 6 fr. par kilog. ; ce qui établirait une différence totale de 10 fr. en faveur de notre industrie.

Pour l’acide sulfurique, la section centrale a proposé un droit de 45 fr. ; mais elle n’explique pas sur quelles bases elle a établi ce droit.

L’acide sulfurique, d’après les prix courants que j’ai ici sous la main, d’après les lettres particulières qui m’ont été adressées, s’achète en France, terme moyen, sur les marchés de Lille et de Rouen, à 18 fr. 50 c. les 100 kilog. En Belgique on ne peut l’acheter que pour 25 fr. Ainsi, il y a une différence dans la fabrication de 6 fr. 40 c. Je pense donc qu’en fixant le droit à 15 fr. au lieu de 45 fr. ; cela suffirait, et au-delà, pour protéger efficacement l’industrie nationale ; il reviendrait à environ 33 p. c.

L’acide nitrique se vend en Belgique 100 fr.

En France, 65 fr. 60 c.

Donc une différence de 35 fr. 40 c.

Si donc on fixe le droit à 45 francs au lieu de 98 fr. que propose la section centrale, ce sera encore une protection plus que suffisante.

Sur les autres produits chimiques le gouvernement vous a proposé un droit de 5 p. c., et cela était en effet convenable ; car, en admettant la somme de 98 francs pour tous les produits chimiques sans distinction, on blesserait beaucoup d’industries du pays.

En effet, et pour ne citer qu’un article, nous consommons en Belgique, d’après des données que je crois exactes, environ 32 mille onces de sulfate de quinine par an, ce qui fait 1,000 kilogrammes. Le prix moyen d’une once de ce sulfate à Paris est de 7 francs, ce qui ferait pour 32,000 onces une somme de 224,000 francs, qui à raison de 5 p. c. de la valeur, taux proposé par le gouvernement, donneraient au trésor 11,200 francs, tandis qu’en adoptant la proposition de la section centrale on ne percevrait, à raison de 98 fr. par 10 kilog., que 980 fr.

Il conviendrait donc d’après moi, messieurs, d’admettre la proposition du ministère pour les produits chimiques autres que les acides muriatique, sulfurique et nitrique, et porter les droits sur ces derniers, savoir à 5 fr. par 100 kil. sur la premier, à 15 francs sur le second et à 40 fr. sur le troisième. Je proposerai un amendement dans ce sens de manière à libeller ainsi l’article :

« Acide hydrochlorique,

« Acide sulfurique,

« Acide nitrique,

« Autres produits chimiques non spécialement tarifés, etc. »

M. Zoude. - Je ne m’attendais pas à prendre la parole sur cet article. Mais je crois devoir communiquer à la chambre quelques notes qui s’y rapportent et que j’ai recueillies à l’époque où j’étais rapporteur de la section centrale.

L’acide hydrochlorique, a dit M. Smits, se vend en Belgique 6 ou 7 francs les 100 kilog., tandis qu’en France il se vend de 18 à 20 fr. Donc ce produit est prohibé quels que soient les droits.

Quant à l’acide sulfurique, il faut considérer que le gouvernement français accorde une prime de 3 p. c. à l’exportation. D’où à déduire le droit de 75 centimes perçu à l’entrée. Reste pour l’importateur un bénéfice de 2 francs 25 centimes.

Quant à l’acide nitrique, le projet du gouvernement propose un droit de 6 francs. La prime française qui est de 53 francs se trouverait réduite à 47 francs. Ainsi nos fabricants ne pourraient soutenu la concurrence.

Par ces motifs, j’appuie les propositions de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je crois qu’il conviendrait de diviser la discussion, de ne pas confondre les diverses espèces et de s’occuper d’abord de l’acide hydrochlorique.

M. Desmet. - D’après les observations que vient de faire M. Smits, il me paraît qu’il ne défend pas le projet du gouvernement. Il abandonne tout à fait la tarification à la valeur que proposait le gouvernement pour la tarification au poids.

L’honorable M. Smits, pour faire rejeter la proposition de la section centrale, vous a présenté les prix courants de France et de Belgique. Mais en France cet acide revient à meilleur marché qu’ici, car c’est un dépôt, et si on le vend aussi cher, c’est à cause de la prohibition qui protège ce produit.

Dans tous les pays cet acide est protégé soit par la prohibition, soit par des droits très élevés. En Angleterre le droit sur cet acide est de 140 fr. les 100 kilog. ; en Autriche et en France il est prohibé à l’entrée.

Je ne vois pas pourquoi en présence de ces faits la Belgique aurait la duperie d’ouvrir ses frontières à ce produit.

Vous savez comment la France a ruiné nos fabriques d’alun. Il y en avait 20 dans le pays de Liège, et aujourd’hui il n’y en a plus que deux. Je pense que la chambre n’hésitera pas à adopter la proposition de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, s’il est un article sur lequel la prohibition est inutile, c’est à coup sûr l’acide hydrochlorique, puisque le prix de revient est plus élevé en France qu’en Belgique. La chambre de commerce de Bruxelles qui a montré le plus d’intérêt dans cette question, n’a pas demandé la prohibition ; elle s’est bornée à demander un droit de 10 francs. Ce droit même est inutile si on considère que cet acide se vend à Lille 35 p. c. plus cher qu’en Belgique. Si vous ajoutez encore les frais de transport, vous trouverez là déjà une protection suffisante pour notre industrie.

Au reste, si la chambre veut adopter la tarification au poids et le droit de 5 fr. par 100 kil., personne ne pourra se plaindre.

M. de Brouckere. - Je demanderai si le droit de 5 fr. qu’on propose pour l’acide hydrochlorique, est inférieur ou équivalent au droit actuel.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Nous augmentons le droit proposé au projet ; mais actuellement il y a prohibition.

M. le président. - Voici la proposition de M. Smits :

« Acide hydrochlorique, 5 fr. par 100 kilog.

« Acide nitrique, 40 fr., par 100 kilog.

« Acide sulfurique, 15 fr., par 100 kilog.

« Produits chimiques non tarifés, 3 p. c. de la valeur. »

M. de Brouckere. - Je demande que le droit sur l’acide hydrochlorique soit porté à 10 francs les 100 kilog.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est indifférent, ainsi qu’on l’a fait voir, que le droit soit porté à 5 ou 10 francs ; l’un et l’autre sont prohibitifs ; et quand même il n’y aurait aucun droit, la prohibition existerait en fait, d’elle-même, attendu que l’étranger ne pourrais pas nous importer cet acide. Le prix en est si bas, qu’aux environs de Bruxelles il est une fabrique qui en a quelquefois en telle quantité qu’on y est obligé de le laisser couler dans le canal. L’honorable préopinant a demandé quel était le droit actuel sur l’acide hydrochlorique.

A l’égard de la France, il est prohibé, et à l’égard des autres pays il est de 3 p. c. Or, 3 p. c. sur une valeur de 6 fr., c’est 18 centimes que l’on voudrait maintenant remplacer par un droit de 10 p. c.

M. Desmet s’est étonné de ce que l’acide muriatique fût moins cher en Belgique qu’en France, alors que le sel y est, dit-il, plus cher. Je lui ferai observer que, au contraire, le sel en France est plus cher qu’ici, mais que, du reste, l’accise sur cette denrée n’étant pas payée par le fabricant d’acide, celui-ci peut se le procurer à un bas prix, puisque l’acide de sel est triple de la valeur intrinsèque de la marchandise.

M. Desmet. - Il est constant que la matière première est à meilleur compte en France qu’en Belgique. On nous oppose des prix courants d’après lesquels l’acide hydrochlorique est plus cher en France. Mais je ferai observer qu’il y a deux prix courants, un pour l’intérieur et un pour l’exportation. Pour les cristaux, par exemple, ces prix courants diffèrent de 40 p. c.

Mais, dit-on, que risquez-vous puisque vous en avez tant que vous êtes obligés de le laisser couler ? Je réponds que si cet acide est abondant chez nous, je ne conçois pas qu’on en laisse entrer de France.

M. de Brouckere. - Je ne vous dissimule pas que je connais fort peu la matière dont nous nous occupons, et que l’amendement que j’ai présenté n’est pas mon œuvre, mais celle de la chambre de commerce de Bruxelles. Voici comme elle termine le travail dont j’ai parlé :

« Nous terminons nos respectueuses réclamations en exprimant le vœu que les acides sulfurique et muriatique soient frappés d’un droit général de 10 p. c. au moins par 100 kilog. C’est là le taux auquel j’ai demandé que le droit fût fixé.

M. le ministre des finances vient de déclarer qu’il ne s’opposait pas à mon amendement, parce qu’il produirait le même effet que celui de M. Smits. Je pense dès lors que la chambre ne verra aucune difficulté à l’adopter.

M. Smits. - Je ferai remarquer que tout droit doit être un peu en raison de la valeur de la marchandise. La prohibition existe de fait ; si vous frappez cet acide de 10 fr. les 100 kilog., vous l’imposerez de 200 p. c. Il vaut mieux limiter le droit à 5 fr. comme je l’ai proposé ; ce droit est plus en rapport avec la valeur, et la prohibition existera toujours.

M. Coghen - Nous avons intérêt à ce que les pays étrangers ne fournissent pas nos frontières. On sait que c’est le transport qui fait le prix de l’acide hydrochlorique. Dans ma pensée, si on établissait le droit à 8 fr., cela suffirait pour rendre la concurrence étrangère impossible. L’honorable M. Smits se trompe quand il dit qu’un droit de 10 fr. équivaudrait à 200 p. c. de la valeur. L’honorable membre n’a pas reçu d’informations exactes à cet égard.

Je proposerais un droit de 8 fr. par 100 kil.

M. Smits. - L’honorable préopinant sait aussi bien que moi que l’acide hydrochlorique se vend de 5 à 6 fr. les 100 kil. Ainsi, un droit de 10 fr. est bien 200 p. c. de la valeur.

M. Lardinois. - Il est un fait constant, c’est que nos fabriques de produits chimiques sont dans une position différente de celles de France. En France elles ont les matières premières à meilleur compte ; et quant aux acides dont nous nous occupons en ce moment, ce sont des résidus d’autres fabriques. L’honorable préopinant dit que l’acide muriatique vaut de 5 à 6 fr. Il devrait être plus au courant des prix. J’en ai acheté dernièrement, je l’ai payé 4 florins. On dit qu’en France le prix est de 30 fr. Mais est-ce le même degré spécifique ? N’est-il pas dégagé de toute matière étrangère, du fer, par exemple, tandis que celui que vous qualifiez ne valoir que 5 fr., contient des corps étrangers, et ne peut pas être employé à telle ou telle couleur ?

Ainsi, vous ne pouvez comparer l’acide muriatique qui se vend ici à celui qui se vend en France à un prix bien plus élevé, à 30 fr.

Quant aux propositions qui ont été faites de porter le droit à 5 fr., 8 fr. ou 10 fr., je considère que ces chiffres produiront le même effet ; ils sont tous prohibitifs, et je voterai pour la proposition de la section centrale.

M. le président. - M. Coghen demande 8 fr. pour 100 kil.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ainsi que le fait remarquer M. Coghen, l’acide muriatique n’a de valeur que par le transport ; aussi a-t-il soin de vous dire que s’il propose un droit élevé, c’est parce qu’il craint que des fabriques de cet acide ne s’élèvent près de nos frontières, et ne puissent y fournir aux besoins de quelques-unes de nos manufactures ; mais le chiffre de 8 fr. par 100 kil. que propose cet honorable membre équivaut au moins à 120 p. c. de valeur, et par conséquent dépasse toute proportion raisonnable.

L’honorable M. Lardinois semble croire qu’en France l’acide hydrochlorique ou muriatique, comme on veut, est meilleur qu’ici, et que pour le même prix on obtiendra un acide plus concentré et plus pur ; c’est une erreur : le poids du litre de cet acide, en Belgique et en France, varie de 1,194 à 1,209 grammes. Ainsi la condensation est toujours à peu près la même ; et cela doit être, puisque cet acide s’obtient partout, de la même manière, du sel marin, par le moyen de l’acide sulfurique.

M. Lardinois. - Si l’acide muriatique contient seulement quelques atômes de fer, son usage peut être moins bon en teinture.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Les procédés de fabrication sont les mêmes partout. L’acide hydrochlorique français ou belge est un produit identique résultant d’éléments identiques.

M. de Brouckere. - Je me rallie à la proposition de M. Coghen, ou au chiffre de 8 fr. pour 100 kilog.

- Ce chiffre de 8 fr. pour 100 kilog. est adopté.

M. le président. - Pour l’acide sulfurique, la section centrale a proposé 45 fr. ; et l’honorable M. Smits propose 15 fr. pour 100 kilog.

M. Coghen - La proposition faite par la section centrale est évidemment un droit plus que prohibitif ; le droit présenté par M. Smits est également trop élevé. Il faut mettre ce droit au niveau de celui de l’acide nitrique. Ces acides se transportent dans des dames-jeannes, ou dans de grandes bouteilles en verre ; les douaniers ne s’avisent guère de les déboucher pour constater la nature du liquide, parce que ces deux acides, extrêmement corrosifs, sont dangereux ; les vapeurs qui s’en dégagent sont elles-mêmes dangereuses ; si l’on ne mettait pas le même droit sur ces deux acides, il arriverait souvent qu’on introduirait de l’acide nitrique sous la déclaration d’acide sulfurique. Pour éviter la fraude, établissez le même chiffre. Quant au taux de ce chiffre, qu’il soit 45 fr. ou 15 fr., il y aura toujours prohibition, eu égard à la valeur réelle de l’acide sulfurique.

M. Zoude. - Je crois que l’acide nitrique reçoit en France une prime de 3 fr. à la sortie, et qu’ainsi on doit prendre le chiffre le plus élevé.

Il est vrai, comme l’a dit M. Coghen, que les douaniers vérifient rarement la nature de l’acide : et d’après cette considération je demanderai que le droit soit porté à 50 fr. sur les deux acides nitrique et sulfurique. Mais si on voulait établir des droits distincts, il conviendrait de mettre 15 francs sur l’acide sulfurique et 50 francs sur l’acide nitrique.

M. Dumortier. - M. Smits prétend qu’avec un droit de 15 francs sur l’acide sulfurique nos fabriques pourrait soutenir la concurrence avec les fabriques françaises ; mais il oublie que la France accorde une prime de 3 p. c. à la sortie ; dès lors on arriverait au taux de 18 fr. pour anéantir le chiffre de cette prime. Vous pouvez donc admettre l’effet de 20 francs pour l’acide sulfurique, qu’on ne peut confondre avec l’acide nitrique et qu’on a toujours distingué dans les tarifs.

Le chiffre de 25 francs ne serait même pas trop élevé parce que la France pourrait élever sa prime.

Il y a quinze années on ne voyait pas de fabriques d’acides en Belgique ; c’est sous les lois prohibitives qu’elles se sont créées ; il faut assurer leur existence, en maintenant les droits qui ont permis de les élever.

- Le chiffre de 25 fr. est appuyé.

M. le président. - L’honorable M. Zoude propose 50 francs pour l’acide nitrique.

M. Dumortier. - Ce n’est pas assez.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Il me semble que l’on confond deux choses distinctes. Il ne s’agit actuellement que de l’acide sulfurique, autrement dit, huile de vitriol, qui ne paie maintenant que 2 fr. 40 c. de droit d’entrée, et pour lequel la chambre de commerce de Bruxelles ne demande qu’un impôt de 10 fr.

Je pense que dans cette circonstance nous ne pouvons être plus prohibitifs que cette chambre de commerce ; aussi j’appuierai la proposition de M. Smits.

L’acide sulfurique se vend à Lille au prix de 19 fr. ; ici il se vend 28 fr. ; la différence est de 9 fr. ; ajoutez la prime de 3 fr. ; la différence sera de 12 fr. ; ajoutons encore 3 fr. vous arriverez au chiffre de 15 fr., pour avoir une protection suffisante.

De cette manière la demande de la chambre de commerce de Bruxelles sera majorée de moitié.

M. Hye-Hoys, rapporteur. - J’ai vu plusieurs industriels ; ils m’ont demandé 50 fr. pour l’acide sulfurique et 60 fr. pour l’acide nitrique. Ils prétendent que leur industrie serait compromise si les chiffres étaient moins élevés.

Puisqu’il faut marchander, voilà à quels taux il faut porter le droit pour protéger nos fabriques d’acides.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Tel est l’avis des fabricants d’acides ; mais quel est l’avis de ceux qui en font usage ?

M. Coghen - Messieurs, tous les chiffres qui sont proposés tendent à établir un droit réellement prohibitif ; dès lors, il importe peu auquel de ces chiffres vous donniez la préférence ; mais comme il est impossible d’exiger la vérification pour constater si c’est de l’acide sulfurique ou de l’acide nitrique, je propose pour l’acide sulfurique le droit de 40 francs, qui est proposé pour l’acide nitrique.

- L’amendement de M. Coghen est appuyé.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ferai remarquer à l’honorable M. Coghen que la valeur des deux acides est si différente qu’il faut nécessairement maintenir la distinction qui existe aujourd’hui. L’honorable membre dit que cette distinction peut donner lieu à la fraude, parce que, selon lui, il serait difficile de distinguer un acide de l’autre ; cette crainte n’est pas fondée, car ces acides se transportent en grande quantité, et il suffit d’en déboucher une bouteille pour reconnaître en douane si la déclaration est exacte. Or, ce n’est pas là une grande difficulté. D’ailleurs, pourquoi la chose serait-elle plus difficile à l’avenir qu’elle ne l’a été jusqu’ici ? Je tiens en main le tableau des acides qui ont été introduits dans le pays, et je vois qu’on a très bien distingué l’acide nitrique de l’acide sulfurique. Rien ne milite donc pour établir un droit de 20 p. c. de la valeur, et mieux vaudrait déclarer franchement que nous voulons la prohibition.

En adoptant le droit de 15 fr., proposé par l’honorable M. Smits, nous allons encore beaucoup plus loin que la chambre de commerce de Bruxelles elle-même, à laquelle nous pouvons nous en rapporter à cet égard, puisqu’elle connaît parfaitement tout ce qui concerne la fabrication des acides. La proposition de l’honorable député d’Anvers tend donc à protéger complètement nos fabriques d’acides.

M. de Brouckere. - Comme le dit l’honorable M. Coghen, il serait assez indifférent que le droit sur l’acide sulfurique fût porté à 30 ou à 40 francs, puisque l’un ou l’autre de ces droits équivaudrait à une véritable prohibition ; mais la proposition de cet honorable membre a cet inconvénient qu’elle tend à lier la chambre à l’égard du chiffre concernant l’acide nitrique pour lequel un droit de 40 francs ne serait pas suffisant, comme je le prouverai, je pense, lorsque nous en serons à cet objet. Le motif que l’honorable M. Coghen a fait valoir à l’appui de son amendement tombe donc tout à fait, et je crois que la chambre fera beaucoup mieux en adoptant, soit le chiffre de 35 francs, soit même celui de 25 francs.

M. Lardinois. - Messieurs, le système que la section centrale avait adopté était pour ainsi dire un système de réciprocité : elle proposait 45 fr. pour l’acide sulfurique et 98 fr. 60 c. pour l’acide nitrique et autres ; c’est là le tarif français ; mais tout à l’heure, en ce qui concerne l’acide muriatique, la chambre n’a pas voulu adopter le système français, puisqu’elle a rejeté la prohibition ; elle a bien adopté un droit prohibitif, mais ce n’est pas la même chose. Eh bien, messieurs, puisque nous sommes entrés dans un autre système, il me semble que nous ne devons pas maintenant adopter un droit ridiculement élevé, en ce qui concerne l’acide sulfurique. Or, le droit de 40 fr. et même celui de 25 fr. est réellement exorbitant : l’honorable M. Smits a proposé le chiffre de 15 fr. ; en déduisant de ce droit le montant de la prime de sortie, il reste 12 fr. ; ajoutez à ces 12 fr. 19 fr., prix auquel l’acide sulfurique se vend à Lille, vous aurez 31 fr. ; ajoutez à cela les frais de transport et vous arriverez à 35 fr. : eh bien, messieurs, nous achetons à Bruxelles l’acide sulfurique en première qualité à 28 fr. et même à moins ; vous voyez donc, messieurs, que comme M. le ministre de l’intérieur l’a, de son côté, très bien prouvé, le droit de 15 fr. est tout à fait suffisant pour protéger efficacement la fabrication indigène. J’appuierai donc le chiffre de 15 fr. qui n’est autre chose qu’un droit prohibitif, et j’espère que la chambre maintiendra de semblables dispositions lorsque nous reviendrons, au second vote, à ce qui concerne les bonneteries et les draps.

M. Hye-Hoys, rapporteur. - Je ne pourrai, messieurs, me rallier à la proposition que vient de faire l’honorable M. Lardinois, mais je proposerai à la chambre de fixer le droit à 35 fr. pour l’acide sulfurique, à 60 fr. pour l’acide nitrique ; de faire ensuite une distinction pour les autres acides, dont un grand nombre n’ont qu’une faible valeur, et de fixer en conséquence le droit sur les acides non spécialement tarifés à 15 p. c. de la valeur. Je crois, messieurs, que cette proposition est de nature à rallier toutes les opinions.

- Cette proposition est appuyée.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ferai seulement remarquer, messieurs, que la proposition de M. le rapporteur porterait le droit à dix fois le droit actuel.

M. Coghen - Je ne puis que répéter, messieurs, que, soit que vous adoptiez le chiffre de 15, de 25 ou de 40 fr., ce sera toujours un droit prohibitif, à cause de la faible valeur de l’objet dont il s’agit, et que je n’ai proposé le droit de 40 fr. que pour empêcher la fraude. Quand M. le ministre de l’intérieur a dit que la proposition de M. le rapporteur décuplerait le droit actuel, il s’est trompé, car il est impossible d’importer aujourd’hui de l’acide sulfurique d’aucun autre pays que de la France, et pour la France il y a prohibition.

- La proposition de la section centrale, qui fixe le droit sur l’acide sulfurique à 45 fr. pour 100 kilog., est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

M. Coghen - Je retire ma proposition.

- Les chiffres de 35 et de 25 fr. sont successivement mis aux voix et écartés.

La chambre adopte ensuite le chiffre de 15 fr. proposé par M. Smits.

M. le président. - Nous passons à l’article « acide nitrique. »

La section centrale propose le chiffre de 38 fr. 60 c.

M. Hye-Hoys propose 60 fr. ;

M. Zoude, 50 ;

M. Smits, 40.

M. Dumortier. - Messieurs, vous avez entendu tout à l’heure l’honorable M. Zoude vous dire que la France accorde pour l’acide nitrique une prime d’exportation de 53 fr. pour 100 kil. ; si donc vous établissez un droit moindre de 53 fr., vous laissez encore aux produits étrangers un avantage sur les produits indigènes ; si vous adoptez le chiffre de 40 fr., cet avantage sera de 13 fr. ; si vous adoptez celui de 50 fr., l’avantage sera de 3 fr. ; si donc vous voulez protéger les fabriques d’acide nitrique indigène, vous devez nécessairement établir un droit plus élevé que 53 fr. Il s’agit de lever la prohibition existant à l’égard de la France, qui est le seul pays dont on importe des produits chimiques en Belgique, car l’Allemagne n’en importe presque pas et l’Angleterre n’en importe pas du tout ; si donc vous ne voulez pas anéantir nos fabriques, vous devez remplacer la prohibition que vous voulez abolir par un droit suffisant, La section centrale propose celui de 98-60 ; je pense qu’il n’est pas trop élevé, puisque déduction faite de la prime dont j’ai parlé tout à l’heure, il n’en reste que 45 francs. Si toutefois la chambre trouvait le chiffre de la section centrale trop élevé, je proposerais celui de 80 francs, qui ne laisserait à nos produits qu’un avantage de 27 francs sur les produits étrangers ; je pense, messieurs, que c’est bien là la moindre protection que vous puissiez accorder a notre industrie. La proposition de M. Hye-Hoys de fixer le droit à 60 francs n’est pas admissible, puisque ce droit n’équivaudrait qu’à 7 francs, et qu’avec une aussi faible protection nos fabriques ne pourraient pas se soutenir.

M. Smits. - Messieurs, la prime de sortie pour l’acide nitrique était en effet de 53 fr. ; mais, dans la dernière loi qui a été portée le 5 juillet de l’année dernière, la législature française ne s’est pas prononcée à cet égard, et elle a stipulé au contraire que le montant de cette prime sera ultérieurement fixé, de manière qu’il est impossible de préjuger à présent quel en sera le taux. Quoi qu’il en soit, je ferai remarquer à la chambre que la prime de sortie que la France accorde n’est pas une véritable prime : c’est, comme je l’ai déjà dit, une restitution du droit qui a été payé sur la matière première qui a servi à la fabrication.

Lorsqu’on impose un droit sur la matière première venant de l’étranger, la matière première indigène augmente en proportion, et par suite le fabricant est obligé de payer plus cher les objets qu’il emploie ; c’est pour ce motif que tous les fabricants français ont été unanimes à offrir de renoncer à la prime de sortie, si la législature voulait abolir le droit d’entrée sur la matière première. La prime dont il s’agit n’est donc en réalité qu’un drawback, et par conséquent cette prime ne doit pas entrer dans nos calculs.

C’est ainsi que j’ai opéré. En France l’acide nitrique se vend 64 fr. 60 c. les 100 kilog. ; en Belgique il se vend, prix marchand, 100 fr. ; il y a donc une différence de 35 fr. 40 c. Je porte le droit à 40 fr., ce qui fait sur la valeur 65 p.c. environ.

Il me semble, messieurs, que c’est là un droit raisonnable ; car en matière d’impôt, chez toutes les nations, on considère aujourd’hui le droit de 30 p.c. comme étant le droit protecteur le plus élevé.

A cette considération vient s’en joindre une autre : c’est que les acides sont un objet de première nécessité pour une foule de nos industries. Il faut dès lors ne pas éloigner les producteurs étrangers des marchés de la Belgique.

M. de Brouckere. - Messieurs, je viens appuyer le chiffre proposé par la section centrale, et voici pourquoi :

En premier lieu, il est certain que jusqu’ici la prime d’exportation accordée par la France a été de 53 francs par 100 kilog. L’honorable préopinant a bien fait observer que dans une ordonnance décrétée depuis peu en France, il n’est plus fait mention de cette prime d’exportation ; mais il eût dû ajouter que la prime n’est cependant pas supprimée, de manière qu’il dépend du gouvernement de la percevoir ou de ne pas la percevoir.

Eh bien, dans cette incertitude, nous devons agir comme si le gouvernement français la percevait.

Mais on objecte que c’est à tort que les 53 fr. portent le titre de prime d’exportation, attendu, dit-on, que ce n’est qu’un drawback, une véritable restitution sur des matières premières. Mais, messieurs, je ne sais ce que fait le nom à la chose. Le fait est qu’on accorde en France une restitution : que cette restitution s’appelle prime ou drawback, peu importe. La seule chose à examiner, c’est de savoir si le prix de la matière première est plus élevé en France qu’en Belgique. Or, c’est ce que l’honorable M. Smits n’a pas démontré.

J’ai encore une observation à faire à l’appui de l’opinion de la section centrale, c’est que le résidu d’eau forte ou le sulfate de potasse se vend en France 50 à 55 fr. les 100 kilog. plus cher qu’en Belgique. Voilà donc un nouveau bénéfice fait par les fabricants français, et que n’ont pas les fabricants belges. C’est un nouveau motif pour que le droit soit porté au taux que propose la section centrale.

M. Zoude. - Messieurs, je ferai remarquer à l’honorable M. Smits que la loi française du mois de juillet 1836 n’a pas entendu porter les droits sur les acides sulfuriques, mais seulement sur les acides de nitrate de potasse.

M. Dumortier. - Messieurs, je désire répondre à l’honorable M. Smits, qui prétend que la somme de 53 fr. qui est accordée par le gouvernement français ne constitue pas une prime, mais un simple drawback.

C’est là, messieurs, une véritable inexactitude. Les personnes qui savent quels sont les produits dont se compose l’acide nitrique, sont convaincues que le gouvernement français accorde une prime réelle.

Ce qui prouve, d’ailleurs, qu’il est nécessaire de prendre cette prime en considération, c’est la différence des prix de l’acide nitrique en France et en Belgique. En France, les 100 kilog. ne coûtent que 64 fr. 70 c. ; en Belgique, ils coûtent 100 fr. Or, si en réalité le gouvernement français accorde à la sortie une prime de 53 francs, il en résulte que les 100 kil. d’acide nitrique ne coûtent au fabricant français que 11 fr. 60, tandis qu’ils coûtent 100 francs au fabricant belge.

Les arguments de l’honorable M. Smits, quant au drawback accordé en France, sont donc inexacts et peu fraudés.

Il est par conséquent démontré que le drawback français est une véritable prime. Eh bien, examinons maintenant quel sera le résultat de cette prime, comparée avec notre prix et le prix de France. Les 100 kilog. d’acide nitrique se vendent 100 francs en Belgique ; en France, terme moyen, 64 fr. 60 : différence en plus pour la France, 35 fr. 40. Ainsi le négociant français jouira sur le négociant belge d’un avantage de 35 fr. 40 par 100 kilog. Si maintenant à ces 35 fr. 40 centimes vous ajoutez les 53 francs que le gouvernement français accorde à l’exportation, vous trouverez que le prix de revient des 100 kil. n’est en définitive que de 11 fr. 60 c. pour le fabricant français, tandis que le prix s’élève à 100 fr. pour le fabricant belge.

Il est donc clair qu’il faut de toute nécessité admettre les propositions de la section centrale, et je retire même comme dangereux l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je n’ai qu’une seule observation à présenter ; elle concerne la prétendue prime dont on vient de parler.

J’en trouve dans le tarif français l’explication simple, j’y vois que le salpêtre venant de l’Inde est imposé à 32 fr. 50 c. les 100 kilog. à son entrée en France, et les autres salpêtres sont frappés d’un droit de 65 fr. La hauteur de ces deux chiffres explique pourquoi on rembourse en France 53 fr. à l’exportateur de l’acide nitrique.

L’on prétend donc à tort que la France débourse gratuitement cette somme, elle ne le fait qu’à titre de restitution. Je conviens toutefois que ce remboursement peut engendrer des abus, mais en thèse générale il est évident qu’on ne rembourse à la sortie de France que les droits d’importation sur les matières premières.

Pourquoi, dira-t-on peut-être, n’avons-nous pas en Belgique de semblables drawbacks ? Je répondrai que cela serait insignifiant, parce que les droits de douane chez nous sont en général très modérés, parce que nos fabricants d’acide nitrique ne paient qu’un franc à l’entrée par 100 kilog. de salpêtre.

M. Verdussen. - Messieurs, quoique cette partie du tarif me soit peu familière, j’ai quelques observations à faire. Je crois que M. Smits et M. le ministre des finances se sont trompés en s’attachant, pour les primes, à cette dénomination de restitution de droits. On pourrait l’admettre si on ne restituait que ce qui a été pris en charge, si on ne payait rien au-delà de ce qui a été perçu à l’entrée sur les matières qui ont servi à la fabrication des produits exportés. Mais les produits qui jouissent de la prime, la reçoivent toujours à la sortie, eût-on dépasser du double le montant du droit perçu à l’importation. Cela devient alors une véritable prime d’exportation. Ce n’est plus une restitution, parce qu’on ne peut pas restituer au-delà de ce qu’on a perçu.

Maintenant, en admettant comme vrai ce que M. Dumortier a dit quant au prix, que l’acide nitrique coûte 190 fr. en Belgique et 64 fr ; en France, il est certain que nous ne pouvons pas soutenir la concurrence, si vous l’élevez le droit qu’à 50 fr., parce que vous avez d’abord une différence de prix de 36 fr., et ensuite la prime d’exportation qu’obtient l’expéditeur français qui est de 53 fr., ce qui fait 89 fr. ; il faut donc élever le droit au-delà de 89 fr. si vous voulez protéger votre industrie. Il y aurait alors lieu d’adopter le droit de 98 fr. que propose la section centrale. Cependant quelque chose m’arrête : M. Hye-Hoys vous a proposé de fixer le droit à 65 au vœu des intéressés qui, disait-il, s’ils n’obtenaient pas ce droit, verraient leur industrie ruinée. Il est très probable que ces fabricants connaissaient le prix de revient en France et la prime d’exportation qu’on y accordait. Voilà qui mérite attention. Je voudrais avoir des explications sur ce point avant de me prononcer pour un chiffre. Si les intéressés se contentent de ce chiffre, je ne vois pas de motif pour en voter un plus élevé.

M. Smits. - Si les primes qui existent en France étaient un encouragement accordé à l’exportation des objets fabriqués, elles s’étendraient à tous les produits fabriqués dans ce pays ; mais elles ne sont accordées que pour un très petit nombre d’articles : pour les fils et tissus de pur coton, pour les tissus de laine, pour les acides, les viandes, le souffre et le sucre. Et remarquez comment la loi s’exprime. Permettez-moi de vous rappeler encore la disposition principale sur cette matière. « On a successivement accordé, à partir de la loi du 28 avril 1816, des primes de sortie pour les fabrications dont la matière a subi de forts droits à l’entrée. Elles ont toutes pour objet de neutraliser l’inconvénient de ces droits et de remettre le manufacturier dans la possibilité de concourir avec l’étranger, à l’étranger, comme s’il s’était servi de matière franche de tout impôt. »

Il est donc évident qu’il n’y a pas ici une prime d’encouragement à la sortie, mais une véritable restitution de droits perçus.

J’ajouterai que cette prime de 53 fr., qui n’a pas encore été autrement fixée, ne pourrait entrer dans le cadre des calculs ; il faut la laisser entièrement en dehors.

M. Hye-Hoys. - La chambre comprendra que si j’ai baissé jusqu’à 65 fr., c’est parce que je voyais de toutes parts proposer des réductions de droit ; alors j’ai posé ce chiffre en disant qu’il était impossible de descendre plus bas.

M. Dumortier. - Je tiens ce que la chambre ne se trompe pas sur la principale question qui domine cette discussion, la question de savoir si la somme de 53 fr. payée en France à la sortie de l’acide nitrique est ou non une prime. Je tiens à cela, parce que depuis le commencement de cette discussion on nous répète que ce n’est qu’une restitution de droits perçus à l’entrée : un drawback c’est une véritable prime ; la chose est évidente, et j’espère vous faire partager ma conviction.

Messieurs, l’acide nitrique coûte en France 63 francs 60 centimes les cent kilogrammes à la sortie ; le gouvernement rembourse 53 fr. Or, s’il était vrai, comme le dit l’honorable M. Smits, que ces 53 fr. ne fussent qu’un drawback, c’est-à-dire le remboursement des sommes payées à l’entrée sur les matières qui ont servi à la fabrication, il en résulterait qu’on fabriquerait en France au prix de 11 fr. 40 c. les 100 kilog., tandis que notre industrie ne peut le produire qu’au prix de 100 francs. Notre industrie est un peu moins avancée, mais il ne peut pas y avoir une pareille différence. Elle ne peut pas résulter non plus du droit de 3 francs qui existe sur le salpêtre. D’ailleurs, il ne manque pas de salpêtre en France.

Vous pouvez maintenant réduire à leur juste valeur ces déclamations que les primes payées en France ne sont que des restitutions de droits. C’est ainsi qu’on agit, quand on veut amener la chambre à sacrifier l’industrie nationale au profit de l’industrie étrangère ; on l’induit en erreur en lui présentant des primes comme des restitutions : si ces primes n’étaient qu’un drawback, il faudrait qu’on pût fabriquer en France à dix fois meilleur marché qu’en Belgique, ce qui ne peut pas se supposer. C’est donc une prime réelle d’exportation qu’on accorde en France. Dans ces circonstances, pouvons-nous abandonner notre industrie avec un droit prétendu protecteur qui serait inférieur à la prime que le gouvernement français accorde à la sortie ?

M. Lardinois. - Le tarif actuel ne permet pas aux industriels belges de fabriquer l’acide nitrique. Tous les négociants qui s’en servent sont obligés de l’aller chercher en France parce qu’on y paie à la sortie une prime de 53 fr. C’est, dit-on, un drawback. Non, c’est une prime. Mais, ajoute-t-on, le salpêtre de l’Inde est imposé à 43 fr. les 100 kil. ; c’est pourquoi on rembourse 53 fr. à la sortie. On ne tient pas compte du déchet. D’après cela il faudrait que l’acide nitrique ne revînt en France qu’à 11 fr. 40 c., ce qui est impossible, car il a une valeur plus considérable que l’acide hydrochlorique et l’acide sulfurique.

Vous voyez donc que la « risturn » qu’on paie à la sortie de l’acide nitrique est une véritable prime. L’acide se vend en France 64 fr., et les 53 fr. qu’on rembourse sont une véritable prime. Si vous voulez qu’on en fabrique en Belgique, vous ne pouvez pas vous dispenser adopter l’amendement de la section centrale.

Ceci me conduit à faire une autre observation, c’est que la variation des prix d’une marchandise ne s’établit pas par les droits établis à l’entrée, mais sur les besoins de la consommation. Nous reviendrons sur ces questions au second vote.

M. Coghen - Quand j’ai proposé le chiffre de 40 francs, c’est d’après un document d’un industriel qui s’occupe ici de cette fabrication sur une grande échelle. Je crois qu’il a été induit en erreur par la loi du mois de juillet qui réduit à 15 francs le droit sur le nitrate de soude ; il aura cru que la prime à la sortie serait réduite à l’importance de ce droit. Maintenant il paraît qu’il y a doute dans les esprits. Je crois que le moyen de mettre notre industrie à l’abri d’un coup fatal, ce serait d’établir le droit à 40 francs, plus la prime payée par les pays de production ; vous éviterez ainsi la ruine d’une industrie fort importante.

M. Dubus (aîné). - L’honorable député d’Anvers a dit que la somme payée à la sortie de France, et qui est de 53 fr., n’est qu’une restitution de droits, et que par cette raison vous ne devez pas en tenir compte. Cependant, puisque c’est une somme qui est payée, il faut bien en tenir compte.

Je réduis la question à ceci : vous voulez ou vous ne voulez pas, en levant la prohibition, protéger l’industrie. Si vous voulez protéger l’industrie, tenez compte de tous les avantages que l’on trouve à aller acheter à l’étranger ; mais si vous ne tenez pas compte d’une prime de 53 fr. sur un objet de 66, alors c’est que vous ne voulez pas protéger l’industrie. Il est clair que le négociant qui trouvera le produit en France à 50 p. c. de moins qu’en Belgique en raison de la prime de 53 fr. accordée en France, préférera acheter dans le pays et payer 50 fr. de moins. Si vous voulez mettre l’industrie belge sur la même ligne que l’industrie française, vous devez tenir compte de ces 53 fr.

C’est toujours ainsi que l’on fait en France, Lorsqu’il s’est agi d’établir des droits sur les draps. On a commencé par prétendre que les draps étaient fabriqués en Belgique 20 ou 30 p. c. meilleur marche qu’en France. Et l’on a dit qu’il fallait tenir compte de cette différence et l’ajouter aux droits que l’on voulait établir pour protéger l’industrie drapière en France. Mais nous, nous levons la prohibition et nous exécutons le droit de manière que le produit étranger coûte 30 fr. de moins lorsqu’on ira le chercher en France.

Je ne sais pourquoi on insiste tant pour faire envisager comme une restitution la prime d’exportation accordée en France.

Tous les documents français portent le mot prime. En effet, ce n’est pas autre chose ; nous le voyons par la manière dont elle se paie. J’en citerai un exemple : selon l’aperçu qui nous a été présenté dans une séance précédente par un honorable député de Verviers, il a été exporté de France, en 1834, dix-huit mille kilog. de tissus de laine de toute espèce ; ces dix-huit mille kilog. Ont obtenu une restitution aux droits qui auraient été payés pour l’importation en France de huit millions de kilog. de laine étrangère ; de sorte que la prime, en supposant que les tissus de laine exportés aient été confectionnés (exclusivement) avec de la laine étrangère, excéderait du quadruple le droit payé à l’entrée.

Pour l’acide nitrique, il y a une prime, et une prime très considérable. Ici il faudrait établir que les fabricants français ne peuvent employer que des produits étrangers qui auraient payé des droits élevés à l’entrée ; mais assurément, en France, on ne manque pas de salpêtre. Néanmoins ces fabricants peuvent livrer l’acide nitrique à 66 fr. sur le marché de Lille, à 62 fr. sur le marché de Rouen. Il faut diminuer de ces sommes le montant de la prime, sans quoi il est évident que le fabricant belge ne pourra soutenir la concurrence.

Je le répète, en levant la prohibition, voulez-vous ou non protéger l’industrie ? Toute la question est là.

M. Verdussen. - Je crois que les préopinants ont démontré suffisamment et sans qu’il soit besoin d’y revenir, que la somme payée à l’exportation en France est une véritable prime.

Mais il se présente une autre question. Supposons qu’il n’y ait aucun droit : ce produit qui coûte en France 64 fr. les 100 kilog., jouit d’une prime d’exportation de 53 fr. ; restent, prix réel, 11 fr. Or, le prix de notre fabrication indigène est de 100 fr. Eh bien, est-il raisonnable de vouloir protéger à tout prix certaines fabrications et d’obliger ceux qui ont besoin de certaines matières à les payer dans le pays neuf fois plus qu’ils ne les paieraient en les achetant à l’étranger ? Je ne sais si nous devons négliger ainsi les intérêts d’une industrie et les intérêts du consommateur.

Lorsque le produit étranger coûte le dixième de votre produit, vous ne devez pas hésiter à autoriser l’emploi du produit étranger. Agir autrement, ce serait négliger les intérêts généraux, ce que nous ne devons pas faire.

M. Desmet. - A entendre l’honorable M. Verdussen, on dirait que nous ne fabriquons pas aussi bien l’acide nitrique qu’en France ; or, cela n’est pas. A cette occasion, je voudrais savoir combien la France nous a apporté de ce produit car, à cet égard, le grand livre statistique ne dit rien : cependant on vient de dire à plusieurs reprises, que nous recevons de France une grande quantité d’acide nitrique.

Peut-être nous ne fabriquons pas en Belgique à aussi bon compte qu’en France ; mais conservez le droit protecteur, et bientôt nous y viendrons ; car on ne peut disconvenir que cette fabrication a fait depuis quelque temps de grands progrès ; si donc on voulait suivre l’opinion des adversaires de la protection, on verrait bientôt arriver le moment fatal que cette branche d’industrie n’existerait plus, et que nous serions entièrement tributaires de l’étranger. C’est chose vraiment inconcevable qu’on veuille faire tant d’efforts pour saper toutes les industries nationales, et que dans cette occasion, le ministère prête la main aux partisans du haut commerce.

M. Zoude et M. Hye-Hoys déclarent se rallier à l’amendement de M. Coghen qui consiste à fixer le droit d’entrée sur l’acide nitrique à 40 fr., plus le montant de la prime d’exportation accordée dans le pays de provenance.

M. Dumortier. - J’appuie l’amendement de M. Coghen ; mais je ferai remarquer qu’il est nécessaire de mettre un chiffre dans la loi. Nous ne pouvons pas dire que l’impôt sera perçu d’après les droits établis dans un pays voisin : ce serait inconstitutionnel ; cela n’est pas admissible. Que l’on réunisse le droit d’entrée à la prime d’exportation et que l’on adopte pour le chiffre le total.

M. Smits. - Il est impossible de déterminer le montant de la prime, parce que la prime n’est pas fixée, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire. La loi porte : « une ordonnance française réglera la prime d’exportation à accorder sur les acides sulfuriques et nitriques. »

Rien n’empêche que la chambre adopte le chiffre de 40 fr., plus la prime qui sera accordée en France. C’est la même décision, en quelque sorte, que celle que vous avez prise pour les draps.

M. Dumortier. - Cette proposition n’aurait d’autre résultat que de mettre en Belgique la loi française. (Dénégation). Vous ne pouvez l’admettre, ce serait une inconstitutionnalité, si elle était adoptée, je me verrais dans la nécessité de voter contre l’amendement tout entier.

M. de Jaegher. - Et la loi des céréales !

M. Dumortier. - Voulez-vous faire la loi comme la loi des céréales ? Je le veux bien. C’est une simple loi d’application. Le gouvernement détermine d’après le maximum et le minimum des marchés de notre pays, dont il n’est que le rapporteur, une tarification que la chambre a votée. Mais ici c’est bien différent ; il s’agit de faire supporter dans le pays un droit fixé à l’étranger ; ce serait s’en remettre à l’étranger pour la fixation de la quotité de l’impôt. Je ne conçois pas qu’un homme logique puisse admettre un pareil système.

M. le président. - La section centrale propose 98 fr. 60 c.

M. Dumortier. - J’ai demandé 93 fr.

- Le chiffre de la section centrale et celui de M. Dumortier sont rejetés.

M. le président. - Voici la proposition de M. Coghen :

« Acide nitrique, 40 francs, plus une somme égale à la prime accordée à la sortie dans les pays de provenance. »

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Il reste le dernier article pour les produits chimiques non spécialement tarifés et pour lesquels la section centrale propose 15 francs à la valeur.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il n’existe pas un seul motif pour modifier la proposition du gouvernement. Il ne s’agit ici que de médicaments et autres produits qu’on ne fabrique pas chez nous ; pourquoi mettrions-nous un tel impôt sur nous-mêmes ? On importe annuellement de France pour environ 200,000 fr. de sulfate de quinine, en frappant cette substance d’un droit élevé, ce serait en rendre l’usage moins facile chez nous ; ce serait, pour ainsi dire, nuire à la santé publique. Le gouvernement propose 5 p. c. de la valeur sur les produits chimiques non spécialement tarifés, et ce droit est plus que suffisant.

M. Hye-Hoys. - On ne fabrique pas ces substances chez nous ; mais notre industrie se perfectionnant, on pourra parvenir à leur fabrication ; c’est dans cette prévision que nous demandons 15 p. c.

M. Smits. - A l’appui de ce que dit M. le ministre des finances, je ferai observer que personne en Belgique n’a demandé de majoration sur ce droit. Les personnes qui font usage de ces produits se seraient même contentées d’un droit de 3 p. c. ; ainsi 5 p. c. est un droit raisonnable sur des choses que nous ne faisons pas.

M. Desmet. - Le sulfate de quinine vient de France ; mais les autres substances ?

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Les autres produits, c’est-à-dire les acides hydrochlorique, sulfurique et nitrique, sont prohibés.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Les produits chimiques non dénommés paient 3 p. c., de quelque pays qu’ils viennent.

- Le chiffre 5 p. c. mis aux voix est adopté.

Le chiffre de 1 fr. p. c. pour la sortie est adopté.

Tissus, toiles et étoffes

Projet du gouvernement

« Tissus, toiles et étoffes.

« Tulles de coton écru, unis et brochés (à la valeur) : droit d’entrée : 6 p. c. ; droit de sortie : 1/4 p. c.

« Tulles de coton blanchis et brochés (à la valeur) : droit d’entrée : 6 p. c. ; droit de sortie : 1/4 p. c.

« Tulles de coton brodés (à la valeur) : droit d’entrée : 6 p. c. ; droit de sortie : 1/4 p. c.

« Batistes (par kilog.) : droit d’entrée : 5 00 ; droit de sortie : 0 40.

« Tissus de soie, de toute espèce, tel que satin, taffetas, velours de soie, rubans et autres (à l’exception des foulards écrus tarifés spécialement) (par kilog.) : droit d’entrée : 5 00 ; droit de sortie : 0 40.

« Fil de coton, retors à faire tulle (par kilog.) : droit d’entrée : 5 00 ; droit de sortie : 0 40. »


Projet de la section centrale

« Tissus, toiles et étoffes.

« Tulles de coton écru, unis et brochés (à la valeur) : droit d’entrée : 8 p. c. ; droit de sortie : 1/4 p. c.

« Tulles de coton blanchis et brochés (à la valeur) : droit d’entrée : 12 p. c. ; droit de sortie : 1/4 p. c.

« Tulles de coton brodés (à la valeur) : droit d’entrée : 15 p. c. ; droit de sortie : 1/4 p. c.

« Batistes (par kilog.) : droit d’entrée : 5 00 ; droit de sortie : 0 40.

« Tissus de soie, de toute espèce, tel que satin, taffetas, velours de soie, rubans et autres (à l’exception des foulards écrus tarifés spécialement) (par kilog.) : droit d’entrée : 5 00 ; droit de sortie : 0 40.

« Fil de coton, retors à faire tulle (par 100 kilog.) : droit d’entrée : 5 00 ; droit de sortie : 0 40. »

M. Devaux. - La section centrale propose, dans le dernier article, un changement assez important sur les cotons retors propres à faire le tulle ; il me semble qu’il faudrait commencer par cet article, parce que, d’après la décision que vous prendrez relativement à la matière première, on verra quelle décision il y a à prendre sur les tissus faits avec le coton retors. (Appuyé.)

M. Mast de Vries. - La question des tulles est une des plus importantes de celles qui font l’objet de vos délibérations. Elle met plusieurs intérêts en présence ; il y a d’une part les fabricants de tulles qui désireraient avoir majoration des droits sur les tissus confectionnés à l’étranger ; d’une autre part il y a les blanchisseurs et apprêteurs qui voudraient une diminution sur les tulles écrus ; et en troisième lieu il y a les nombreux négociants qui s’occupent de tulles et qui les font broder en Belgique, et qui voudraient aussi une diminution.

Messieurs, la broderie occupe peut-être quarante à cinquante mille ouvrières ; cette industrie s’est soutenue jusqu’ici ; maintenant elle va en déclinant, et les ouvrières qui gagnaient, il y a quelques années, des salaires assez élevés, ne gagnent plus que des salaires qu’il n’est plus possible de diminuer.

Ce qui nous donnait autrefois l’avantage sur l’étranger, pour les broderies, c’était l’habilité de nos ouvrières et le prix modique de la main-d’œuvre ; mais, aujourd’hui, on commence à broder le tulle en Hollande et en Allemagne et nous trouvons de la concurrence sur notre marché.

S’il n’y a pas diminution sur les tulles écrus, il nous sera difficile de conserver la position ou nous nous trouvons.

Pour vous faire sentir la nécessité de cette diminution, je citerai un pays voisin : en Hollande nos tulles sont prohibés.

Les tulles doivent d’abord payer un droit d’entrée de 10 p. c. ; ensuite ils reçoivent ici par la broderie une augmentation de valeur, qui est de deux, trois et même de 8 ou 10 fois le prix coûtant ; pour les introduire par fraude en Hollande il faut encore payer 5 à 6 p. c., je suppose seulement 4 p. c. ; mais si les tulles ont par la broderie, augmenté en valeur de 4 ou 6 fois le prix coûtant, il en résultera qu’avant de pouvoir entrer en Hollande, ils auront payé 20 p. c. Vous voyez que dans cette position il nous est impossible de tenir ; nous perdrons tout à fait notre marché.

Il en est de même quand nous voulons expédier des tulles en Amérique, où nous ne pouvons pas même les envoyer directement ; car, pour faire parvenir des tulles en Amérique, nous devons passer par la voie de l’Angleterre et payer les frais d’assurance et de réassurance, commission, fret, etc.

Il est donc très facile de prédire que, si le tarif n’est pas changé, nous verrons d’ici à quelques années périr une industrie qui mérite toute notre bienveillance, d’autant plus qu’elle s’exerce du foyer domestique et qu’elle est par conséquent une des industries les plus morales qui puissent exister.

Dira-t-on maintenant qu’il faut protéger les fabriques ? Certainement ce n’est pas moi qui voudra leur faire tort, mais voici un moyen de protéger les fabriques sans nuire à qui que ce soit ; c’est d’admettre comme la section centrale le propose, les fils retors, qui sont la matière première pour faire le tulle, sans aucun droit ; de cette manière vous donnez au fabricant un avantage de 5 ou 6 p.c. ; si vous adoptez ensuite le chiffre de 6 p. c. proposé par le gouvernement, pour les tulles, cet avantage sera de 11 p. c. Or, il me semble qu’une industrie qui ne peut pas vivre avec un semblable avantage fait plus de mal que de bien au pays.

Si vous admettez les fils retors sans droit, vous favoriserez également les blanchisseurs, qui auront d’autant plus à blanchir qu’on fabriquera plus de tulle dans le pays ; car nous ne pouvons pas faire blanchir nos tulles en Angleterre, nous ne pouvons nous servir de ce pays que pour le transit.

Remarquez, messieurs, qu’en favorisant la broderie des tulles, vous favorisez par cela seul les fabricants de cet article, car les fabriques de tulle ne subsistent qu’à l’aide de la broderie ; si donc vous détruisez cette industrie, vous anéantissez en même temps la fabrication des tulles.

Il est une considération, messieurs, qui est d’un très grand poids : s’il y avait un article qui, comme objet de luxe, dût payer un droit élevé, c’étaient sans doute les soieries ; eh bien, vous avez été obligé de diminuer le droit sur cet objet, parce que vous sentiez qu’il est impossible d’en empêcher la fraude. Et néanmoins la section centrale vient vous proposer aujourd’hui d’imposer les tulles qui sont encore beaucoup plus faciles à frauder ! Cela n’est pas admissible. Je demande donc qu’on admette les fils retors en franchise de tout droit ou du moins avec un léger droit de 5 francs pour 100 kilog., et qu’on adopte pour les tulles le chiffre du gouvernement.

M. Zoude. - (Nous donneront son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les numéros postérieurs du Moniteur.)

(Moniteur belge n°125 et 126, des 5 et 6 mai 1837) M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je commence, messieurs, par déclarer que nous nous rallions à la proposition de la section centrale en ce qui concerne les fils retors pour faire le tulle. Cette. proposition réduit considérablement le droit sur la matière première des tulles, puisqu’au lieu du droit actuel qui est de 5 francs 50 cent, par kilog., la section centrale propose un léger droit de 5 fr. pour 100 kilog., c’est-à-dire de 5 centimes par kilog. ; si après cela vous adoptez la proposition du gouvernement, de réduire le droit actuel sur les tulles de 10 p. c. à 6 p. c., il n’en résultera aucun préjudice pour les fabricants de tulle ; au contraire, ils seront plus favorisés qu’ils ne l’ont été jusqu’ici.

Il est extrêmement important, messieurs, que vous adoptiez pour les tulles, le chiffre de 6 francs proposé par le gouvernement ; je tâcherai de vous le démontrer en peu de mots : la chambre de commerce de Bruxelles et celle d’Anvers se trouvent ici en contradiction ; mais la première a perdu de vue des circonstances tout à fait capitales ; d’abord l’avis de la chambre de commerce de Bruxelles a été donné, abstraction faite de la réduction qu’il s’agit d’introduire quant aux fils retors, et il est certain que si cette chambre de commerce avait connu cette circonstance, elle n’aurait pas raisonné comme elle l’a fait, puisque loin de léser les fabricants, il est maintenant question de les favoriser par la combinaison qui, en réduisant de 4 p. c. le droit sur les tulles, supprime pour ainsi dire tout à fait le droit sur la matière première dont on les fabrique. Ensuite une autre circonstance a échappé à la chambre de commerce de Bruxelles : le tulle dont on se sert principalement pour la broderie est du tulle façonné qui se fait en Angleterre et qui reçoit une préparation telle qu’il n’y a plus qu’à compléter la broderie ; ce tulle se vend à 25 centimes le yard, tandis que le tulle ordinaire ne coûte que 5 centimes : or, un droit de 10 p. c. est un droit considérable sur du tulle à 25 centimes ; tandis qu’il n’est que du double sur le tulle à 5 centimes. Remarquez qu’il est indispensable d’employer pour la broderie du tulle façonné ; car on l’emploie en Hollande, et si on ne s’en servait pas également en Belgique, nos brocheuses ne pourraient pas soutenir la concurrence ; si le droit sur ce tulle était trop élevé, il en résulterait donc un grand préjudice pour la broderie. Voici du reste, messieurs, comment la chambre de commerce d’Anvers expose le fait dont je viens de vous entretenir :

« Le bas prix auquel revient le tulle Whips, n° 40 à 70, prix moyen, 5 centimes le yard, rendait les droits d’entrée assez insignifiants ; mais les fabricants anglais ne font plus que des dentelles d’une qualité meilleure, qui bientôt remplacera entièrement le Whips. On est parvenu à Nottingham à faire une partie du dessin au métier, en même temps que le tulle ; de sorte que le peu de broderie qui reste à ajouter pour achever le dessin ne peut supporter les frais d’expédition et de réexpédition et surtout les 10 p. c. de droits d’entrée, d’autant moins que ce tulle ainsi préparé revient beaucoup plus cher, et par conséquent rend les droits plus sensibles. On nomme ces tulles « fantaisie » et « façonné. » Ces deux sortes de tulles reviennent, prix moyen, à 25 centimes le yard ; ainsi les droits actuels à 10 p. c. font 2 1/2 c. ; cet impôt est très nuisible, attendu que nos tulles brodés s’expédient en masse et par caisse d’au moins 12,000 yards.

« Chaque métier ne peut faire qu’un seul de ces dessins. Depuis un an, un seul fabricant a employé, pour la broderie des dentelles « fantaisies » et « façonnées, » plus de trois cents dessins différents. Il a donc fallu plus de 300 métiers pour une fabrique et pour cet article seulement. Quand même on voudrait créer des fabriques de tulle en mettant des droits prohibitifs sur les tulles anglais, nous n’en aurions jamais assez pour satisfaire à nos besoins pour l’exportation. »

Vous voyez donc, messieurs, qu’il est important de maintenir le droit de 6 p. c. non seulement pour le tulle uni, mais encore pour le tulle fantaisie et façonné, et que si l’on admettait une distinction de tulle brodé, on courrait le risque de voir percevoir à l’entrée sur le tulle fantaisie et façonné peut-être le droit de 15 p. c. ; ce qui mettrait alors nos brodeuses dans l’impossibilité absolue de concourir avec celles de la Hollande.

En ce qui concerne le blanchissage du tulle, M. Mast de Vries vous a déjà fait remarquer que les blanchisseurs trouveront un avantage considérable en ce que la matière première sera introduite à un droit beaucoup plus bas, d’après le nouveau projet. Dans tous les cas, je ferai remarquer que la différence entré le tulle blanchi et le tulle écru ne devrait jamais être d’un p. c., parce qu’à la faveur d’une telle différence on peut blanchir dans ce pays. Mais il y a une observation essentielle à faire, c’est que le tulle est mieux blanchi à Nottingham qu’il ne peut l’être ici.

D’après ces motifs, je pense qu’il y a lieu d’adopter le droit de 6 p. c. proposé par le gouvernement et de voter en second lieu une réduction de droit sur l’importation du fil retors qui sert à fabriquer le tulle.

M. Hye-Hoys. - Messieurs, d’après les opinions divergentes que nous avons entendues sur la question des tulles et les nombreuses réclamations qui ont été faites sur la matière, il résulte que cette industrie est divisée par trois intérêts différents. Et pour vous démontrer, messieurs, la nécessité d’établir trois catégories ainsi qu’il a été reconnu par la section centrale, qu’il me soit permis de vous soumettre en peu de mots le résumé des prétentions de chacun de ces industries.

1° Les fabricants de tulle réclament l’entrée du fil de coton retors n°150 anglais et au-dessus à un droit de balance, lequel, dans mon opinion personnelle, ne pourrait être accordé à moins de pouvoir prouver que cela ne pourrait nuire à nos filatures de coton, et qu’il y aurait un moyen efficace d’empêcher que cela ne devînt un prétexte pour faciliter la fraude, en introduisant des filés simples du même numéro, ce qui serait peut-être difficile à reconnaître par la douane. Et alors cela pourrait devenir un commencement de ruine pour nos filatures de coton. Ils demandent en outre le maintien de 10 p. c. sur le tulle écru comme sur ceux blanchis en Angleterre.

2° Les blanchisseurs et apprêteurs, ainsi que les négociants qui font broder sur tulle écru dans le pays, ont demandé le maintien des tulles blanchis à 10 p. c., et les écrus destinés à leur industrie réduits à 5 p. c.

3° Les négociants qui font venir le tulle blanchi de l’Angleterre, et tout préparé pour la consommation, ou pour la broderie, ont demandé que le droit soit réduit à 4 p. c. sur les tulles écrus comme sur ceux blanchis à l’étranger.

La section centrale s’étant livrée à des considérations étendues, avoir pesé mûrement l’importance et les motifs de chacune de ces catégories, a cru dans l’intérêt national devoir établir les droits de la manière suivante :

1° Le fil de coton retors écru n°150 anglais et au-dessus, propre à tisser les tulles, à un droit de balance de 5 fr. les 100 kilog.

2° Les tulles unis écrus, destinés à la broderie, au blanchissement et apprêt du pays, de même que les brochés, réduit à huit pour cent de la valeur ;

3° Les tulles unis et brochés blanchis en Angleterre, à 12 p. cent ;

4° Les tulles brodés, sans distinction, à 15 p. cent.

On a observé, et avec raison, qu’il serait contraire à l’industrie nationale d’admettre les tulles blanchis en Angleterre au même taux que ceux écrus destinés à être brodés et blanchis dans le pays ; les négociants blanchisseurs et apprêteurs, qui ont fait tous les sacrifices pour fonder des établissements à l’effet d’enlever cette branche d’industrie à l’étranger, auront un avantage de 4 pour cent sur ceux qui ont fait venir le tulle blanchi et apprêté, dont la dernière manipulation se fait en Angleterre, et le fabricant de tulle jouirait d’une protection de 8 pour cent.

Pour vous faire voir, messieurs, que cette marche est conforme à nos lois, je vous citerai pour exemples :

1° Le fil de lin simple, non tors ni teint ni blanchi, qui est admis à 1 et demi p. c., et le même article tors, blanchi ou teint,qui paie 5 p. c. ;

2° Le coton tissé blanc est admis à 170 fr. les 100 kilog., tandis que l’imprimé paie 200 fr. les 100 kilog. ;

3° Le sucre brut n’est assujetti qu’à un droit insignifiant en proportion de ce que paie le sucre raffiné ;

4° Le bois de teinture, non moulu, est également reçu à un très faible droit, tandis que celui moulu est prohibé.

Mais il est très naturel qu’aussi longtemps que le tulle blanchi sera admis au même taux que l’écru, les négociants continueront à le faire venir d’Angleterre tout préparé pour la consommation, tandis qu’au contraire, en adoptant les modifications proposées par votre section centrale, c’est-à-dire en faisant une différence de 4 p. c. en faveur de nos blanchisseurs et apprêteurs, cette modification les mettrait à même de soutenir la concurrence anglaise.

M. Verdussen. - Messieurs, depuis que M. le ministre de l’intérieur nous a dit qu’il consentait à introduire dans le tarif une modification, en ce qui concerne le coton retors n°150 et au-dessus, je crois qu’il faut adopter tout le système qui vous a été présenté par le gouvernement.

Je pense, messieurs, que toute la question gît dans ceci : Le tulle blanchi et apprêté en Angleterre est-il une matière première, comme le tulle écru ? Pour moi, je soutiens que c’est une matière première.

Le blanc anglais ne saurait être remplacé par le blanc de ce pays-ci. Le blanc anglais a sur le blanc belge des avantages très marquants. D’abord il garde toujours la même nuance. Il n’en est de même du blanc belge dont les nuances sont toujours différentes ; ensuite, messieurs, la solidité manque au blanc belge, et la conséquence en est immense ; je vais vous dire en quel sens.

Aujourd’hui on fait vivre un grand nombre de brodeuses qui ne brodent que sur du tulle blanchi et apprêté en Angleterre, et elles se livrent à ce travail pendant la saison où la marchandise ne s’écoule pas, pendant l’hiver.

Or, si l’on servait du tulle blanchi en Belgique, les grands négociants ne seraient jamais disposés à faire des approvisionnements plus ou moins considérables, parce qu’après avoir séjourné durant quatre ou cinq mois dans leurs magasins, ces tulles n’auraient plus assez de valeur pour être exportés.

On a vu que, malgré les efforts immenses qu’a faits, entre autres un blanchisseur des environs d’Anvers, jamais il n’est parvenu à faire un blanc aussi parfait que l’est le blanc d’Angleterre.

Ce que je viens de dire me paraît établir que le tulle écru et le tulle blanc sont des matières premières, par rapport à nos broderies. Il faut donc nécessairement un droit égal pour ces deux espèces de tulle.

Que vous propose la section centrale ? Elle vous demande d’établir une différence de 4 p. c. entre le droit sur le tulle écru et le droit sur le tulle blanchi et apprêté en Angleterre ; remarquez que c’est 4 p. c. sur la valeur. Or, quels sont les frais de manipulation de ce blanchissage et d’apprêt en Angleterre ? 4 à 5 p. c.

Donc, pour assurer à la Belgique l’avantage de blanchir et d’apprêter le tulle chez elle, on demande une différence de 4 p. c. entre le tulle écru et le tulle blanchi et apprêté en Angleterre, tandis que la manipulation de ce blanchissage et de cet apprêt ne vaut que 4 à 5 p. c. Je vous le demande, messieurs, n’est-ce pas là un droit exagéré ?

D’après ces motifs, je persiste à croire qu’il y a lieu d’admettre la proposition du ministre tendant à établir un droit égal sur le tulle écru et sur le tulle blanchi venant d’Angleterre.

M. Hye-Hoys, rapporteur. - Messieurs, tout ce que vient de dire l’honorable M. Verdussen est inexact. D’abord, quant à son assertion que le blanc belge ne conserve pas sa nuance, elle est peu fondée, et il me serait facile de prouver le contraire.

Ensuite M. Verdussen voudrait qu’il n’y eût pas de distinction entre le tulle blanchi et le tulle écru. Cependant il est connu de tout le monde que plusieurs blanchisseurs se sont établis en Belgique, et qu’ils ont dépensé des sommes énormes pour monter leurs établissements sur une grande échelle. Chacun de vous sentira dès lors, messieurs, qu’il faut nécessairement une protection pour les blanchisseurs, et qu’il y a lieu d’admettre la légère différence de 4 p. c. que la section centrale a eu l’honneur de vous proposer.

M. Desmaisières. - Messieurs, l’honorable M. Verdussen a commencé par poser en fait ce qui est véritablement en question. Il vous a dit que le tulle blanchi était une matière première du même ordre que le tulle écru, et pour le prouver, il vous a dit qu’on n’était pas en état de blanchir le tulle en Belgique à l’égal du tulle blanchi en Angleterre.

Cependant, comment se fait-il alors que plusieurs blanchisseries se sont établies en Belgique, et comment se fait-il qu’elles ont des pratiques ; car certainement si leurs produits sont aussi inférieurs que le prétend le préopinant, à ceux des blanchisseurs anglais, certainement on ne trouverait pas à les vendre. Cependant il est à ma connaissance que plusieurs blanchisseurs de tulle et notamment un établi à Gand, ont une très grande vogue.

Le même orateur a cité un blanchisseur d’Anvers qui, malgré tous ses efforts, n’est pas parvenu à blanchir le tulle. Cela prouve seulement que ce blanchisseur n’est pas un habile homme.

Que se propose-t-on en établissant un droit sur les tulles ? On veut protéger l’industrie nationale. C’est le système de protection qu’on met en œuvre. Or, que veut-on protéger ? C’est la main-d’œuvre, le travail national. Il est bien certain que le tulle blanchi a subi plus de travail que le tulle écru. Si on veut être conséquent on doit frapper le tulle blanchi d’un droit plus élevé que le tulle écru. Plus un article a subi de travail, plus le droit doit être élevé pour qu’il y ait protection. Alors même qu’il n’existerait pas de blanchisseurs en Belgique, je dirais encore qu’il faut mettre un droit plus élevé sur le tulle blanchi que sur le tulle écru, parce qu’alors il s’en établirait. C’est ainsi qu’on a fait en France pour les toiles : on a mis sur les toiles blanches un droit double de celui établi sur les toiles écrues et par ce moyen on a attiré en France les nombreuses blanchisseries qu’il y avait en Belgique.

M. Mast de Vries. - Je répondrai que si nous avions un marché qui fût le nôtre, si nous consommions ce que nous produisons, l’observation de l’honorable préopinant serait juste. Mais nous avons besoin d’une matière première qui est le tulle, et nous devons la prendre sur les marchés où elle est la meilleure ; sans cela nous ne pouvons plus exporter. On a beau dire que les blanchisseurs belges blanchissent aussi bien que les blanchisseurs anglais, l’expérience prouve le contraire ; demandez à tous les négociants qui font broder le tulle, ils vous diront que le blanc qu’on fait dans le pays n’est pas aussi bon. Pourquoi, en effet, iraient-ils faire blanchir leurs tulles à l’étranger quand ils ont des blanchisseries à leur porte, s’ils n’avaient de bonnes raisons pour cela ?

J’ai un mot à ajouter sur les tulles façonnés. Il est impossible que la broderie continue si le tulle façonné ne peut pas entrer. On ne peut pas le faire dans le pays ; chaque dessin demande un métier coûteux, et en Angleterre, il y a déjà un millier de dessins. Si on voulait établir tous les métiers pour les faire, on ne pourrait pas espérer de rentrer dans ses frais.

M. Gendebien. - Ainsi que vient de vous le dire M. le rapporteur, trois industries sont en présence qui réclament protection. Cependant celle qu’on paraît attaquer le plus, est précisément celle qui, selon moi, mérite le plus de protection, je veux parler des blanchisseries ; si elles n’existaient pas, il faudrait en créer. Si vous ne protégez pas cette industrie, non seulement vous n’aurez plus de blanchisseries, mais vous n’aurez plus de fabriques, parce que les fabricants seraient obligés d’exporter leurs produits pour les faire blanchir. Vous attaqueriez en même temps l’industrie des brodeurs, car on rade beaucoup sur tulle écru, et on serait obligé de les exporter dans cet état si on ne pouvait plus les blanchir dans le pays.

Je ne sais si comme on l’a avancé, nos blanchisseurs ne peuvent pas faire aussi bien que les blanchisseurs anglais. Pour mon compte, je ne le crois pas. On a cité un blanchisseur de la province d’Anvers ; mais il ne faut pas juger une généralité par une individualité. Je voudrais savoir pourquoi on ne pourrait pas blanchir aussi bien en Belgique qu’en Angleterre. On a allégué un fait ; pour le prouver il faudrait une enquête, et, à défaut d’enquête, il faudrait nous donner des raisons que nous puissions apprécier et combattre. Jusqu’ici on n’en a pas donné.

Il est indispensable d’établir un droit plus fort sur les tulles blanchis que sur les tulles écrus. Tous les principes généraux peuvent être invoqués pour établir cette différence. Indépendamment des principes généraux, il y a une raison palpable, c’est qu’en établissant un droit plus fort sur les tulles blanchis et un droit moins fort sur les tulles écrus, vous protégez deux industries qui seraient menacées d’une ruine certaine, si cette différence n’était pas admise.

Plus une matière nous arrive brute, plus il y a de main-d’oeuvre ; le tulle écru, par exemple, offre plus de travail à nos ouvriers que le tulle blanchi. Il est évident qu’il est indispensable d’encourager les blanchisseurs, sans cela vous ruiner deux industries sans en protéger aucune, et au profit seulement de quelques personnes qui s’entremettent entre les industriels belges et les fabricants étrangers.

J’adopterai les propositions de la section centrale, et celle du ministre relative au fil retors destiné à la fabrication du tulle ; comme nous n’avons pas de fabrication similaire, il n’y a pas d’inconvénient à l’admettre. C’est un encouragement que vous accordez à tous les genres d’industrie relatifs au tulle.

Par la même raison que je me suis prononcé pour que le droit sur le tulle blanchi fût plus élevé que sur le tulle écru, je suis d’avis qu’un droit plus élevé frappe le tulle qui a reçu une broderie soit à la main, soit à la mécanique.

M. Zoude. - Je demande la parole pour relever une erreur du préopinant. Il prétend que le tulle façonné ne se fait pas en Belgique ; s’il veut se rendre dans l’établissement de M. Davreux, il y verra tout ce qui se fait en Angleterre.

Quant aux blanchisseurs, ils portent le défi qu’on trouve à leurs produits la moindre altération. Dans une pétition qu’ils ont adressée au gouvernement, ils demandent qu’il plaise au gouvernement de déléguer une commission pour visiter leurs établissement et confronter leurs produits avec les produits étrangers. Cette vérification, disent-ils, leur serait d’autant plus agréable, qu’elle leur fournirait l’occasion de montrer les sacrifices qu’ils ont faits pour créer cette industrie en Belgique.

M. Smits. - Je ferai remarquer que jamais il n’y a eu de droit différentiel sur le tulle. Le droit a toujours été uniforme. En 1829, il était de 6 p. c. Le roi Guillaume voulut l’augmenter afin de protéger une fabrique de Gand. Le droit a été porté alors à 10 p. c. Les plus grands opposants à cette élévation furent non seulement les brodeurs, mais les blanchisseurs. Les blanchisseries se sont élevées sous l’empire de ce droit uniforme, et si elles travaillent, c’est pour la consommation intérieure ; tous les tulles qui sortent de leurs établissements reçoivent cette destination ; mais aucun tulle blanchi dans le pays n’est destiné à l’exportation, Or, c’est l’exportation qu’il faut favoriser, car elle alimente spécialement le travail de nos 30 à 40 mille ouvrières. Pour celles-ci, le tulle blanchi est une véritable matière première. Car je ne pense pas que nos industriels soient parvenus à faire aussi bien que les Anglais pour le blanchissage. Cela ne tient pas au plus ou moins d’intelligence, mais à la nature des eaux. Le beau blanc de Nottingham s’obtient au moyen d’eaux qui descendent des hauteurs et qui ont reçu par la nature une espèce de filtration.

Le tulle blanc d’Angleterre est donc, comme je le disais, une matière première. Si on devait faire les exportations avec du tulle blanchi dans le pays, on aurait à craindre de nous voir fermer successivement tous les marchés où nos produits s’écoulent, parce que le blanc ne se maintiendrait pas pendant un temps assez long.

Messieurs, ce que je dis ici a été confirmé par une pétition qui a été adressée à la chambre et que je viens de voir, au bureau. Cette pétition est des fabricants de Bruxelles, et je me rapporte en tous points à son contenu.

Je crois donc qu’il n’y a pas de motif pour établir un droit différentiel, et que la fabrication des tulles, par suite de l’adoption de la proposition de M. le ministre de l’intérieur, sera plus protégée qu’elle ne l’est actuellement.

Quant aux blanchisseries, elles ne souffriront pas du droit de 6 p. c., puisque la blanchisserie nationale continuera de s’alimenter par les tulles destinés la consommation intérieure.

M. Desmet. - Je ne sais pourquoi l’on veut nuire à la fabrication des tulles indigènes ; cela ne vient pas assurément de la France, puisqu’il n’y a point pour cet article un droit différentiel contre elle dans notre tarif ; l’arrêté de 1823 n’a rien statué sur les tulles. D’où donc cela vient-il ?

Je ne pourrais bien le soupçonner, car je ne puis soupçonner que, de son propre mouvement, le ministère irait paralyser la protection que la fabrication des tulles a dans ce moment chez nous. Mais ne pourrais-je pas soupçonner avec la chambre de commerce de Bruxelles, que c’est d’après l’avis de la chambre de commerce d’Anvers, d’après le haut commerce, le commerce extérieur, que le ministère a agi en présentant cette modification à notre tarification actuelle ? Voici comment s’énonce la chambre de commerce de Bruxelles dans son avis du 21 avril dernier : « Nous avons sous les yeux les réclamations anversoises qui semblent avoir motivé le projet soumis à votre sanction ; au lieu de les trouver formulées par des chefs d’ateliers de broderie, nous remarquons que plusieurs des signataires sont des négociants en tulle, que trois d’entre eux sont des Anglais, dont deux n’ont jamais fait confectionner aucune broderie, et dès lors on devine les motifs qui les ont guidés.

Messieurs, vous devinez aussi les motifs qui guident les commerçants étrangers, mais pourriez-vous expliquer les motifs qui ont guidé notre ministre de l’intérieur et notre chef du bureau de commerce et d’industrie pour faire tant d’efforts pour réussir à faire passer dans cette chambre une proposition qui semble être formulée par des commerçants et industriels étrangers, et particulièrement par nos rivaux dans la fabrication et l’apprêt des tulles, et qui ferait tant de tort et anéantirait une branche nouvelle d’industrie qui est à peine née chez nous et qui a fait déjà tant de progrès, et laquelle, quoi qu’en dise l’honorable ministre de l’intérieur et les honorables préopinants, députés d’Anvers, peut très bien lutter avec les autres pays.

On vient de vous citer les fabriques de Nottingham en Angleterre, que la chambre de commerce d’Anvers a consultées, et que l’honorable M. Smits a citées ; il me semble qu’on ferait mieux de consulter les intéressés de notre pays, que de chercher des renseignements, des avis, des étrangers nos rivaux ; et je me flatte que la chambre, plus patriote, donnera plus de foi aux allégations des propres fabricants du pays qu’à celles des étrangers, qui ont intérêt à voir anéantir chez nous la fabrication des tulles.

Je dois faire à M. Smits un reproche du tort qu’il fait à cette industrie en disant qu’elle ne peut pas rivaliser avec l’étranger. Je dis que cela n’est pas exact, et il me semble que c’est très imprudent de sa part de jeter ainsi un discrédit sur nos fabriques, qui pourrait leur faire beaucoup de mal à l’étranger.

On a dit que l’on ne blanchissait pas aussi bien dans le pays qu’en Angleterre, parce que l’eau n’est pas la même, mais on blanchit avec de l’acide qui est tout aussi bon à Bruxelles qu’à Londres et ailleurs. A la vérité, l’assertion que je combats vient de certains Anglais qui sont dans la chambre de commerce et qui n’ont d’autre but que de voir notre industrie détruite au profit de la leur. Je le répète encore, afin que la chambre ne soit pas dupe des étrangers, et induite en erreur par ceux qui travaillent plus pour le commerce extérieur que pour la prospérité de l’industrie nationale.

M. le ministre de l’intérieur dit que cette branche d’industrie est arriérée et ne peut pas lutter avec l’étranger. J’ai sous la main le rapport de la situation commerciale et industrielle du Luxembourg, adressé à M. le ministre de l’intérieur par la députation provinciale de 1836 ; et puisque M. le ministre des finances a cité l’avis d’une chambre de commerce composée d’Anglais, il me sera sans doute permis de citer à la chambre belge un acte qui vient de son propre pays.

Voici ce que dit la députation provinciale du Luxembourg à la page 128 du rapport : « Les métiers de M. Davreux consomment annuellement trois mille deux cents kil. de coton filé, provenant de l’Angleterre, et il fabrique approximativement un million huit cent mille mètres de tulle d’une largeur de 7 centimètres. Son prix de revient est de 9 centimes, terme moyen, et le prix de vente de dix c. et demi. Quinze cent mille mètres environ de tulle sont vendus à l’intérieur et trois cent mille en France, quoique cette fabrique y soit très répandue, mais où elle coûte 20 pour cent plus qu’en Belgique. Quant à la qualité de ces produits, elle vous est connue, M. le ministre, car ils ont figuré l’année dernière à l’exposition nationale, et la médaille d’argent obtenue par M. Davreux a été pour lui un témoignage flatteur que ses efforts et la bonté de ses tulles avaient été appréciés par le jury d’examen et par le gouvernement.

« Tous ces faits sont de nature à démontrer que cette industrie naissante se trouve dans les circonstances les plus favorables à son développement. »

Tout le reste est dans le même sens ; je n’abuserai pas de vos moments en vous en donnant lecture. L’honorable ministre de l’intérieur a encore avancé que, pour fabriquer un tulle façonné, chaque dessin avait besoin d’un métier particulier, et qu’à cet égard nous sommes beaucoup en arrière ; il a même voulu dire que nous ne pourrions pas, pour cet espèce de tulle, l’atteindre, à cause du grand nombre de métiers qu’on aurait besoin ; je crois qu’il a même cité le nombre de métiers qui s’élevait à des milles ; je dirai avec l’honorable M. Zoude que c’est la plus grande erreur que le ministre a avancée à la chambre : messieurs, le même métier peut servir à différents dessins ; tout ce qu’il faut faire, c’est diminuer ou augmenter le nombre des bures dans le métier. Je m’étonne vraiment qu’on veuille avancer des choses aussi inexactes dans la chambre.

L’honorable ministre de l’intérieur a encore avancé des faits pour défendre sa proposition, mais je n’ai pas pu bien tous les saisir ; mais comme je pense qu’il les a tous puisés dans le mémoire du commerce d’Anvers, je vous engage, messieurs, de revoir l’avis de la chambre de commerce de Bruxelles ; vous y trouverez une réplique très satisfaisante et très concluante.

Faites d’ailleurs attention, messieurs, que beaucoup de fabricants ont établi leurs fabriques sous l’empire du tarif actuel et ont fait de grandes dépenses. Leur industrie serait tout d’un coup anéantie. Une chambre belge et patriote ne le voudra pas, j’en suis sûr.

Quant aux fils, nous devons distinguer avec soin le fil simple, le fil double, le fil retors et le fil gazeux, parce qu’il y a ici plusieurs industries en présence, celle du tissage des tulles et celle des dentelles ; car vous savez, messieurs, que depuis quelques années, par cette crise du bon marché on a inventé de faire des dentelles de fil de coton ; ne croyez pas que j’approuve cette nouveauté, au contraire, je la désapprouve fortement et c’est encore une fois un de ces progrès de bon marché qui coûtent plus cher que ce qu’on faisait auparavant.

Je crois que dans l’état actuel nous devons laisser entrer le fil numéro que l’on ne fait qu’en Angleterre ; la France a reconnu également cette nécessité. Mais il faudra faire attention à ce que l’on n’introduise pas en même temps un fil moins fin, à ce que ceci ne devienne pas un moyen de fraude.

On a toujours voulu dire que le tissu de tulle était une matière première ; mais non : ce tissu n’est pas plus une matière première que le tissu de lin.

Nous devons concilier les intérêts de trois industries, savoir : la fabrique des tulles, la blanchisserie, et la broderie.

Nous devons accepter la proposition de la section centrale qui a déjà modifié la protection existante d’un cinquième en la portant de 10 à 8.

Et vous savez que, quand on perçoit à la valeur, on ne perçoit pas 10 pour 10, mais souvent 5 ou 6 pour 10. Ceci est trop connu pour qu’on puisse en douter.

J’espère donc que la chambre voudra bien adopter la proposition de la section centrale et repousser celle faite par le ministre qui, je crois, a été trop facile à donner foi aux allégations de la chambre de commerce d’Anvers, et ne s’est pas aperçu que cette chambre avait un but plutôt étranger que national.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Le préopinant dit que nous voulons bouleverser les industries nées sous la loi actuelle ; moi, je prétends que c’est l’orateur qui veut occasionner ce bouleversement, et nullement nous. Je le prouverai en peu de mots.

Il est évident que les fabricants de tulle seront plus avantagés par l’abaissement des droits sur les fils retors pour tulle, qu’ils ne seront lésés par la diminution du montant des droits sur les tulles. Cela est évident puisque d’une part il s’agit de 5 fr. 50 c., et de l’autre de 4 fr. Voilà pour le premier point.

En ce qui concerne le second point : le blanchissage. Eh bien ! il est évident que le tarif actuel est uniforme sur les tulles écrus et sur les tulles blanchis, que, par conséquent, en maintenant les droits uniformes, nous n’apportons aucun changement à l’industrie du blanchissage des tulles. Peu importe au blanchisseur que les tulles écrus paient 10 fr. ou 6 fr. ; si on apporte la même réduction sur les tulles blanchis, cela ne change rien à leur industrie : cela est aussi clair que deux et deux font quatre.

Je dis que l’honorable M. Desmet veut apporter des bouleversements dans l’industrie ; il veut rendre l’industrie des brodeurs plus difficile qu’elle ne l’était, puisqu’il veut imposer davantage le tulle blanchi, élément essentiel de la broderie ; car si vous faites payer des droits plus élevés en Belgique, il sera moins avantageux de broder en Belgique qu’à l’étranger. Il me semble que cette démonstration est de la dernière évidence.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.