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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du jeudi 6 avril 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif aux droit de sortie sur les os (Verdussen, Gendebien)
3) Proposition de loi relative à la construction d’un canal de Zelzaete
à la mer du Nord (Lejeune)
4) Projet de loi portant organisation du conseil des mines. Discussion
générale notamment exploitation directe des mines (de houille) par l’Etat
(proposition Rogier) (Lehoye, Rogier,
Gendebien, Nothomb, Pirson, de Brouckere, Dechamps, Devaux, Pirmez, de Brouckere, Rogier, Pirmez, Dubus,
de Brouckere, Gendebien,
(+houillère de Kerkraede, neutralité de l’Etat dans
la fixation des salaires) Nothomb, Devaux)
(Moniteur belge n°97, du 7 avril 1837 et
Moniteur belge n°98, du 8 avril 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°97, du 7 avril 1837) M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et
demi.
M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi
et demi.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance
précédente ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M. Verdussen donne lecture de la lettre de M.
Desmanet de Biesme, par laquelle cet honorable membre s’excuse de ne pouvoir
partager les travaux de ses collègues.
M.
Zoude dépose sur le bureau le rapport de la commission d’industrie sur
l’amendement apporté par le sénat à la loi concernant la sortie des os.
M. Verdussen. - Je crois que nous devrions
mettre ce projet à l’ordre du jour après les lois que nous discutons ; il ne
peut occuper longtemps la chambre.
M. Gendebien. - On peut le mettre en
délibération après la loi sur les mines ; c’est l’affaire d’un quart d’heure.
- La proposition
est adoptée.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A LA
CONSTRUCTION D’UN CANAL DE ZELZAETE A LA MER DU NORD
M.
le président. - Les sections ayant autorisé la lecture de la proposition
déposée par M. Lejeune, cet honorable membre a la parole.
M. Lejeune donne lecture du projet de loi suivant
:
« Léopold Ier.
« A tous
présents et à venir, salut.
« Nous avons,
etc.
« Art. 1er. Il
sera exécuté, aux frais du trésor public, un canal de Zelzaete à la mer du
Nord, pour l’écoulement des eaux des Flandres. »
« Art. 2. Le
gouvernement est autorisé à émettre, dans le cours de 1837, des bons du trésor,
pour la somme de 550.000 fr. nécessaire aux premiers travaux du canal. »
« Art. 3. Les
propriétés privées contribueront aux frais de construction dans la proportion
établie par l’art. 30 de la loi du 16 septembre 1807, n°2797. »
« Art. 4.
L’administration et l’entretien du canal seront une charge provinciale.
« Les
propriétés intéressées dont les eaux s’écouleront par ce canal pourront être
chargées de payer, de ce chef, aux provinces, une rétribution annuelle. »
« Art. 5. Un
règlement d’administration générale, arrêté par le gouvernement, après avoir
entendu les parties intéressées, déterminera le mode d’exécution des articles 3
et 4. »
« Mandons et
ordonnons, etc. »
Messieurs, ajoute
l’honorable membre, dans la dernière session législative, vous avez délibéré
sur un projet de loi ayant pour objet de creuser un canal pour l’écoulement des
eaux des Flandres. La chambre a accueilli ce projet à une très grande majorité.
Un amendement ayant
été adopté par la majorité de l’autre chambre, le gouvernement a retiré la loi.
Après ces épreuves,
et surtout après la discussion longue et solennelle qui les a précédées, ce
serait abuser de vos moments que d’entrer dans de longs développements, pour
motiver la prise en considération du projet de loi que j’ai l’honneur de vous
proposer aujourd’hui.
Il est un fait
incontestable, messieurs, c’est que l’Escaut seul ne suffit pas pour faire
écouler les eaux que
Ce motif seul,
messieurs, devrait suffire pour chercher un nouveau débouché, afin de conserver
au pays, et d’améliorer les grandes voies de navigation intérieure, et de
prévenir si tant que possible, le préjudice que cause nécessairement une
affluence d’eau trop considérable en proportion du débouché actuel.
Un autre but
essentiel auquel le canal à construire doit nous faire atteindre, en remplaçant
les débouchés du pouvoir des Hollandais, qui en disposent en maîtres, c’est
celui d’assurer l’écoulement des eaux pluviales d’une étendue considérable du
territoire ; c’est de nous soustraire, sous ce rapport, à la dépendance de
Je crois pouvoir me
dispenser, messieurs, d’entrer dans de plus les développements pour appuyer le
principe du projet, suffisamment discuté et admis l’année dernière.
L’objection principale,
soulevée dans toute cette discussion, consiste à dire que s’il est juste
d’établir les moyens de faire écouler les eaux d’une partie du territoire, s’il
est juste de pourvoir à la conservation de nos voies de navigation intérieure
et de remplacer les débouchés tombés, par suite des événements politiques, au
pouvoir de l’ennemi, il ne serait pas juste de faire profiter, sans indemnité,
de ces événements, les propriétés privées, et de les rendre meilleures au
dépens du trésor. Dans cette chambre et dans le sénat, on a invoqué
l’application du titre VII de la loi du 16 septembre 1807.
Quoique je ne
connaisse aucun exemple de l’application de cette loi, je reconnais hautement
que le principe en est juste, et pour ma part, je ne recule pas devant son
application, quelles qu’en soient les conséquences.
D’après l’art. 3 du
projet que j’ai l’honneur de vous soumettre, les propriétés privées qui, par
suite de la construction du canal ont acquis une notable augmentation de
valeur, contribueront aux frais de construction, jusqu’à concurrence de la
moitié des avantages qu’elles auront acquis. C’est le principe établi par
l’art. 30 la loi du 16 septembre 1807, que j’introduis ainsi dans le projet.
Pour ce qui
concerne l’exécution de cet article, la confection du cadastre la rend très
facile.
Par une autre
disposition nouvelle, messieurs, je propose de débarrasser entièrement l’Etat
des soins et des frais d’administration et d’entretien du canal.
L’administration et
l’entretien d’un canal d’évacuation exigent une surveillance très active ; les
mesures à prendre réclament, dans une foule de circonstances, une grande
promptitude ; sous ces rapports, ainsi que sous le rapport de l’économie, ces
soins ne peuvent être mieux confiés, selon moi qu’à l’autorité provinciale. La tâche
du gouvernement se bornerait à cette haute surveillance, à cette influence
bienfaisante qu’il doit exercer sur tout ce qui concerne l’intérêt général du
pays.
Quant aux frais
d’administration et d’entretien, les provinces pourraient les couvrir au moyen
d’un rôle d’imposition sur toutes le propriétés dont les eaux s’écoulent par le
canal.
Dans la séance du
20 février dernier, une interpellation au sujet du canal projeté de Zelzaete
fut adressée à M. le ministre des travaux publics :
Voici, d’après le Moniteur, la réponse de M. le ministre :
« Si le temps
le permet, je présenterai à la chambre deux projets ; l’un relatif à la
canalisation de l’Escaut et de
Il résulte de ces
paroles que M. le ministre a l’intention bien arrêtée de présenter un projet de
loi, mais que la question doit faire auparavant l’objet d’un nouvel examen de
sa part, afin de fixer son opinion sur les mesures à vous proposer.
En vous soumettant,
dans cet état de choses, mes vues sur une question de haut intérêt pour le
pays, je puis espérer que, de son côté, M. le ministre des travaux publics
comprendra spécialement dans les investigations qu’il a pris l’engagement de
faire, les dispositions que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, et
que je crois de nature à concilier tous les intérêts et toutes les opinions.
J’appelle ainsi
toutes les lumières possibles sur les dispositions que je présente, et lorsque
vous jugerez à propos, messieurs, de les mettre en discussion, le gouvernement
pourra s’y rallier et les appuyer s’il les approuve, ou les combattre avec
connaissance de cause, et y substituer d’autres qu’il croirait meilleures.
Ce sont ces
considérations, messieurs, qui m’ont déterminé à vous présenter le projet de
loi dont je viens de donner lecture.
- La proposition est
prise en considération et est renvoyée devant les sections.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DU CONSEIL DES MINES
Discussion générale
M. Lehoye. - Je suis prêt à parler ; mais je ferai observer qu’hier
on a entendu des orateurs contre la proposition faite par M. Rogier, et qu’il
serait convenable d’en entendre pour ; comme je me propose de la combattre je
suis disposé à céder mon tour de parler.
M. Pirson. - Il n’y a pas de défenseur
de la proposition.
M.
le président. - Nous sommes dans la discussion générale de la loi sur
les mines, et dans cette discussion générale se trouve compris l’examen de la
proposition faite par M. Rogier.
M. Rogier. - Nous sommes dans la
discussion générale de la loi sur les mines, ainsi que le dit M. le président ;
mais il est de fait que cette discussion portera sur la proposition que j’ai eu
l’honneur de faire et de développer ; et je crois que si, par hasard, il y a
des orateurs qui veulent la défendre, il est temps qu’ils prennent la parole.
Je parlerai aussi, mais il conviendrait que le gouvernement eût fait connaître
son opinion avant de soutenir la mienne.
M. Gendebien. - Il serait convenable de savoir
si le ministre adhère à la proposition ; s’il doit la combattre, il parlera
dans le même sens que les orateurs que nous avons déjà entendus ; puis
viendront les défenseurs de la proposition, et par des répliques on ne
terminera pas la discussion.
M. le ministre des travaux
publics (M. Nothomb). - Le gouvernement adhère aux conclusions de la
section centrale, c’est-à-dire qu’il propose de rester dans la loi du 21 avril
1810, et qu’il demande le vote de la loi qui vous est soumise, parce qu’elle
est un moyen indispensable au pouvoir pour l’exécution de la législation de
1810 ; en d’autres termes, le ministre combattra la proposition faite par M.
Rogier, en cherchant à assigner un caractère à cette proposition ; car elle est
susceptible de différentes interprétations, de différentes hypothèses. Et parce
que la proposition est susceptible de différentes interprétations, il m’eût été
agréable d’entendre celui qui l’a faites, au moins pour qu’il nous dise dans
quel sens on doit la discuter. Néanmoins, je consens à rester dans le vague, et
à la combattre en la considérant sous différentes faces.
M.
Pirson. - Cependant il faut éviter une discussion inutile.
M. de Brouckere.
- Messieurs, les orateurs qui ont pris la parole jusqu’ici se sont toujours
appliqués à combattre la proposition de M. Rogier comme si elle était composée
en ces termes : « Je demande qu’il soit décidé que le gouvernement se
réserve de disposer, pour le compte du domaine, des mines de houille non encore
concédées. » Et les orateurs ont combattu cette proposition, c’est-à-dire
qu’ils se sont appliqués à prouver à la chambre qu’elle ne doit pas vouloir que
le gouvernement dispose, pour le compte du domaine, des mines de houille non
concédées ; mais telle n’est pas la proposition faite par M. Rogier ; il
demande qu’une commission soit nommée par la chambre ou par le gouvernement
pour examiner la proposition.
Vous devez voir, en
conséquence, que si l’on continue la discussion sur le pied où elle a eu lieu
jusqu’à présent, nous perdrons beaucoup de temps ; il me semble que la
discussion devrait porter sur ce point : est-il convenable qu’une commission
soit nommée pour examiner la proposition faite par M. Rogier ? Pour moi, si je
prends la parole, je m’appliquerai à prouver que la chambre ne peut nommer une
semblable commission ; et que si elle en nommait une, elle ferait chose
contraire à l’intérêt général. C’est sous ce point de vue que la proposition
doit être considérée, sous peine de prendre beaucoup de temps.
M. Dechamps. - L’honorable orateur veut prouver
à la chambre qu’elle ne doit pas nommer une commission pour procéder à l’examen
de la proposition faite par M. Rogier, parce que cela serait contraire à
l’intérêt général ; mais pour le savoir il faut bien recherché ce qu’il y a
dans cette proposition, et examiner quel serait le résultat de l’exploitation
des mines par l’Etat. Ainsi, pour rejeter la commission, il faut bien entamer
la question du fond ou prouver que l’Etat ne peut exploiter les mines.
M. Devaux. - Hier on a entamé la
discussion de la proposition faite par M. Rogier, quoique la loi sur les mines
ne fût pas à l’ordre du jour, et on a dû entendre des orateurs qui étaient
prêts à parler ; il en est résulté qu’on a entendu des orateurs soutenant la
même thèse. Aujourd’hui, on doit procéder autrement : pour mon compte, je
prendrai la parole quand je connaîtrai l’opinion du gouvernement, et je
soutiendrai la proposition de M. Rogier.
Cet honorable membre ne demande pas qu’on décide, selon une expression employée
par quelques membres, hic et nunc, si le gouvernement exploitera les mines de
houille ; il demande que l’on examine si sa proposition ne renferme pas des
vues utiles.
Il ne faut pas trop
en restreindre la discussion, parce qu’il ne faut pas dire qu’elle ne mérite
aucune attention ; je crois au contraire qu’on peut prouver qu’elle renferme,
au fond, des choses importantes, et qu’elle peut être admise.
Laissons dont la
discussion suivre son cours. Et puisque M. le ministre des travaux publics se
disposait à parler, je désire qu’il s’explique, car le gouvernement doit jeter
des lumières sur de semblables questions.
M.
Pirmez. - Je ne sais pas,
messieurs, où nous mènerait la discussion de la proposition de M.
Rogier, car l’honorable membre n’a réellement pas fait de proposition : c’est
une idée, une idée vague qu’il a mise en avant : il a demandé que la chambre
examinât s’il convient que le gouvernement exploite les mines, ou plutôt s’il
ne conviendrait pas de nommer une commission pour examiner cette question. Nous
sommes en présence d’une loi qui est le résultat d’une discussion de six
années, et au moyen de laquelle nous pourrions
extraire de la houille ; si vous trouvez cette loi mauvaise, proposez-en une
meilleure qui atteigne le même but ! Mais vous ne proposez rien ; vous mettez
une idée en avant et vous demandez que la chambre nomme une commission pour
examiner cette idée. Il m’est venu aussi une tentation de vous présenter des
idées sur la loi de 1810, et par exemple celle-ci, qui n’est pas de moi, mais
qui m’a été suggérée : voyant les difficultés que présente la loi, de mettre
d’accord l’intérêt général et l’intérêt des propriétaires de la surface, on
m’avait engagé à présenter à la chambre un projet d’après lequel le
gouvernement aurait tracé certains cadres dans lesquels les propriétaires de
terrains renfermant des mines non encore concédées seraient forcés de
s’associer pour l’exploitation de ces mines, et d’après lequel les
propriétaires de la surface perdraient leurs droits dans le cas où ils ne
rempliraient pas les conditions exigées pour l’exploitation. Il m’eût été facile
de faire comme l’honorable M. Rogier, de dire à la chambre : « Voilà une
idée ; renvoyez-la à une commission et que la commission nous fasse un
projet. » Je n’ai pas fait cela ; j’ai voulu rédiger moi-même un projet ;
mais lorsque j’en suis arrivé aux détails, je n’ai pu en venir à bout, et je
pense que si l’honorable M. Rogier devait rédiger un projet dans le sens de
l’idée qu’il nous a soumise, il ne réussirait pas mieux. Je pense donc,
messieurs, qu’en suivant la marche dans laquelle voudrait nous entraîner
l’honorable membre, nous ne parviendrions à aucun résultat, et que ce que nous
avons de mieux à faire, c’est de discuter la loi qui nous est soumise et à la
rédaction de laquelle ont concouru les hommes les plus distingués.
Si on trouve la loi
mauvaise, qu’on nous propose un autre moyen de tirer de la houille, mais qu’on
ne nous entraîne pas dans des débats interminables, en nous faisant des
propositions qui ne peuvent amener aucun résultat.
M. de Brouckere. - Il me paraît certain,
messieurs, que la proposition de l’honorable M. Rogier a quelque chose de si
extraordinaire, de si insolite, de si contraire à nos antécédents, qu’il est
impossible que la discussion à laquelle elle donne lieu ne s’égare pas.
Remarquez, en effet, que l’honorable M. Rogier ne présente pas à la chambre un
projet de loi, une proposition positive ; il jette dans la chambre, je ne dirai
pas une idée vague, mais au moins une idée sur laquelle il ne semble pas avoir
lui-même une opinion bien arrêtée ; il ne dit pas à la chambre : « Je
demande que la gouvernement ait à l’avenir le droit de disposer des mines à son
profit. » Il jette une question à la chambre, et il dit : « Ne
trouveriez-vous pas convenable de laisser examiner par une commission… »
Qu’arrive-t-il de là ?
C’est qu’on
n’examine pas la proposition, mais le fond de la question que l’honorable M.
Rogier voudrait seulement faire renvoyer à une commission. Si nous admettons
une semblable manière de discuter, rien n’empêchera que chacun de nous vienne
lancer dans la chambre des propositions du même genre : ainsi un membre viendra
dire : « L’entreprise des messageries est très lucrative ; eh bien, je
demande qu’on nomme une commission pour examiner sil ne conviendrait pas que le
gouvernement exploitât les diligences. » Un autre dira ; « Le
transport par eau est très avantageux ; je demande qu’une commission soit
chargée d’examiner s’il ne serait pas bien que le gouvernement se chargeât de
ce transport. » Eh bien, messieurs, chaque fois qu’on discutera de
semblables propositions, on discutera en même temps le fond de la question et
on perdra un temps considérable : toutefois des discussions de ce genre
n’auraient peut-être pas l’inconvénient que présente la proposition de
l’honorable M. Rogier, celui d’arrêter le vote d’une loi urgente ; si vous
adoptez cette proposition, il sera impossible à la chambre de se prononcer sur
le fond de la question, et la loi des mines sera remise à un temps indéfini,
puisque s’il peut être décidé plus tard que le gouvernement pourra garder les
mines pour lui, vous n’irez point d’une manière très inconséquente nommer
aujourd’hui une commission qui pourrait accorder des concessions de mines.
Je crois donc qu’il faut sortir de la voie irrégulière et réellement
vicieuse dans laquelle nous sommes entrés, et qu’il y a un moyen de le faire ;
ce moyen, je le propose : je demande que la proposition de l’honorable M.
Rogier soit renvoyée à la commission d’industrie sans préjudice au vote de la
loi sur les mines, et que la chambre entame immédiatement la discussion de
cette loi, qui a déjà une fois été votée par elle. La commission d’industrie
pourra alors en temps et lieu nous faire un rapport sur la proposition de M. Rogier.
M.
Rogier. - Messieurs, je suis véritablement étonné qu’une question qui
est très sérieuse et dont nous tâcherons de démontrer toute l’importance soit
discutée ici sous forme de plaisanterie et excite les sarcasmes plus ou moins
spirituels de quelques honorables collègues. Cette proposition, je l’ai faite
en conscience, et après un mûr examen, je m’en suis occupé très sérieusement ;
et j’espère, lorsque la chambre me fera l’honneur de m’écouter, démontrer qu’il
y a au fond de la question que je lui soumets autre chose que des plaisanteries.
Je suis donc très surpris de la guerre de chicanes par laquelle on commence à
attaquer ma proposition que je considère, ainsi que quelques autres hommes,
comme très grave.
J’ai dit dans les
développements de ma proposition, que je ne tenais nullement à la forme sous
laquelle je l’avais présentée et que si on voulait que j’y donnasse une forme
plus directe j’étais prêt à le faire ; je ferai cependant observer que c’eût
été m’écarter de la marche ordinairement suivie en matière d’enquête ? C’est précisément
quand il y a doute sur une question que l’on cherche à éclairer ; ainsi, par
exemple, quand l’honorable M. Pirmez qui, à ce qu’il semble, n’aime pas
beaucoup les idées, a accepté les fonctions de rapporteur de la commission des
sucres, il n’avait pas été présenté de projet de loi sur la matière qui faisait
l’objet du travail de cette commission ; une idée avait été soumise à la
chambre par l’honorable M. Dumortier, une autre idée par un autre membre et
toutes ces idées ont été renvoyées à la commission d’industrie pour qu’elle fît
une enquête.
Je ne m’opposerai pas, quant à moi, à ce que l’honorable M. Pirmez mette
en avant ses tentatives d’idées, si, au fond de ces tentatives d’idées, il peut
y avoir quelque chose d’utile ; je me ferai un devoir de les examiner, avec
l’attention qu’elles pourraient mériter.
Du reste, je le
répète, si l’on trouve aujourd’hui que ma proposition ait quelque chose
d’insolite (ce que je ne pense pas, moi), je n’entends pas du tout me
soustraire aux conséquences d’une rédaction plus directe ; je n’ai pas
l’habitude, messieurs, de tourner ma pensée, j’aime à l’énoncer franchement.
Je le déclare du
reste, le fond de ma pensée, c’est le principe de l’exploitation des mines par
l’Etat, et c’est là principalement ce qui peut faire l’objet de la discussion ;
je n’ai donc aucune répugnance à rendre ma proposition très précise, mais je
n’en vois pas l’utilité : c’est une question d’enquête, et ma proposition est
conçue dans ce sens.
M. Pirmez. - Je dois, messieurs,
répondre à l’honorable préopinant que je n’ai nullement voulu plaisanter : s’il
m’est échappé quelques expressions qu’il a regardées comme une plaisanterie,
c’est que je n’ai pas l’habitude d’improviser.
Quant à la comparaison qu’a faite l’honorable membre entre ce qu’il
propose et ce qui s’est passé pour la loi sur les sucres, je dirai que les cas
ne sont pas les mêmes.
Pour la loi des
sucres, la chambre a dit : Cette loi est mauvaise, élaborez-en une autre, et
présentez-nous votre projet, à la prochaine réunion de la chambre. Ainsi donc,
il n’y a pas de similitude entre les deux cas ; la commission des sucres doit
présenter un projet, en remplacement de celui du gouvernement ; M. Rogier, lui,
ne présente pas de projet : il vous dit : N’adoptez pas cette loi, mais je ne
vous propose pas un autre projet.
M. Dubus (aîné). - Je suis embarrassé pour me
rendre raison de ce qu’on discute en ce moment. La proposition de M. Rogier n’est
pas d’hier ; elle a été présentée, je crois, au commencement du mois de janvier
; elle a été examinée par les sections qui en ont autorisé la lecture ; elle a
été développée par son auteur ; ses développements ont été insérés au Moniteur ; la chambre a déjà pris la
proposition en considération. Si, au moment où il s’agissait de la prise en
considération, on était venu opposer la fin de non-recevoir qu’on veut, me
semble-t-il, opposer maintenant à la proposition, je concevrais qu’on vînt
mettre obstacle à la discussion. Mais la chambre, je le répète, a pris la
proposition en considération, et elle a décidé qu’on la discuterait en même
temps que la loi sur les mines ; nous n’avons donc plus qu’à exécuter cette
décision ; et je crois qu’en faisant cela nous gagnerons du temps, au lieu que
nous en perdrions, si nous agissions autrement.
Il serait, au
reste, souverainement injuste d’ajourner en ce moment la discussion de la
proposition alors qu’on l’a attaquée, et qu’elle n’a pas été défendue. Le
premier orateur que vous avez entendu s’est attaché exclusivement à la
proposition de M. Rogier. Il l’a
examinée sous toutes ses faces, ou au moins sous tous les points de vue sous
lesquels il lui a plu de l’examiner. D’autres orateurs l’ont également
attaquée.
Pourrait-on
maintenant, après avoir entendu l’attaque, ne pas écouter la défense ? Je
demande donc que la discussion soit continuée, en exécution d’une résolution de
la chambre.
Quant à moi, je ne
suis pas fâché que la discussion de la proposition de M. Rogier ait été jointe
à celle de la loi sur les mines, car il est telles autres questions qui se
rattachent à cette proposition et qui me paraissent devoir être prises en
considération.
J’indiquerai une de ces questions : c’est celle de savoir à qui
appartiennent les mines.
Je déclare quant à
moi que la solution de cette question pourrait être d’un grand poids sur le
vote à émettre sur la proposition de l’honorable M. Rogier.
Si, comme on le
prétend, les mines sont une propriété de l’Etat, je crois, messieurs, que nous
devons alors nommer une commission pour examiner de quelle manière on disposera
de cette propriété de l’Etat, de façon qu’elle produise quelque chose à l’Etat.
Car si les mines sont une propriété de l’Etat, je pense que l’Etat ne doit pas
plus donner cette propriété qu’il ne donne les autres domaines de l’Etat :
ceux-ci ne sont pas l’objet de donations, de concessions ; ils sont l’objet
d’une vente au plus offrant, au dernier enchérisseur lorsque l’Etat ne juge pas
à propos de les exploiter par lui-même.
Je voudrais donc
qu’on discutât aussi cette question de la propriété des mines. Car si l’opinion
de certaines personnes qui n’est pas la mienne venait à prévaloir, j’appuierais
alors de toutes mes forces la nomination d’une commission qui serait chargée
d’examiner la proposition de M. Rogier.
M. de Brouckere. - On objecte que
si la proposition de M. Rogier est entachée d’un vice de forme, il aurait fallu
en faire l’observation avant la prise en considération de la proposition. Je
ferai remarquer que je n’aurais pas fait ma motion, si les orateurs s’étaient
bornés à examiner la proposition de M. Rogier ; mais il n’en a pas été ainsi ;
l’on n’a pas même touché à la question, on s’est exclusivement attaché au fond,
et personne n’a examiné s’il convenait ou non de nommer une commission.
Si la discussion
continuait sur ce pied-là, elle deviendrait très longue ; et ce que vient de
dire l’honorable M. Dubus en est une nouvelle preuve ; car si la chambre, à
l’occasion de la proposition de M. Rogier, va examiner la question de savoir à
qui appartiennent les mines, question qui est peut-être la plus controversée
qui puisse être présentée, nous aurons pour cette seule question plusieurs
jours de discussion.
C’est donc là ce
qui m’avait engagé à demander que la chambre discutât et votât la loi sur les
mines, sauf à renvoyer la proposition de M. Rogier à la commission d’industrie
: mais puisque des membres de cette chambre préfèrent discuter dès à présent
toutes les questions se rattachant à la matière, je déclare retirer ma motion.
M. Gendebien. - Puisqu’on a retiré la motion
d’ordre, je pourrais m’abstenir de prendre la parole ; cependant on me
permettra de dire aussi quelques mots sur la manière de traiter la question qui
nous occupe.
Je ne comprends pas
trop comment on pourrait résoudre la question de savoir si l’espèce de
proposition, ou plutôt l’idée mise en avant par l’honorable M. Rogier, doit ou
ne doit pas être renvoyée à une commission, sans aborder le fond de la question
; je ne sais pas comment on pourrait soutenir que la proposition ne peut ou ne
doit pas être renvoyée à la commission, sans prouver que cette proposition est
insolite, ou est inconstitutionnelle. Il faut donc bien, me semble-t-il, aborder
le fond de la question.
Maintenant,
messieurs, si, en discutant le fond, on prétend soulever la question indiquée
par l’honorable M. Dubus, à savoir à qui appartient la propriété des mines, je
ne m’y oppose en aucune façon, mais pour économiser, s’il est possible, un
temps long et précieux, j’ai l’honneur de prévenir la chambre que la question a
été longuement débattue par l’assemblée constituante, qu’elle a été discutée
avec grande maturité dans les sections réunies des finances, de la justice, de
l’intérieur, de l’agriculture, du commerce, et en un mot dans tous les comités
réunis de l’assemblée constituante, et qu’elle a subi l’épreuve d’une
discussion longue et solennelle au sein de cette assemblée.
Eh bien, en
définitive, les hommes de l’assemblée constituante à la capacité desquels
chacun rend et rendra toujours justice, ces hommes qui ont osé trancher tant
d’autres questions importantes et délicates, n’ont pas été assez hardis pour
résoudre toutes celles qui se rattachent à l’objet qui nous occupe. Ils n’ont
pas résolu la question de propriété. Ils se sont prudemment et modestement
bornés à proclamer : Les mines et minières, tant métalliques que
non-métalliques, sont à la disposition de la nation, en ce sens seulement que
ces substances ne pourront être exploitées qu’en vertu d’une concession et sous
la surveillance du gouvernement.
En 1810, le conseil
d’Etat de France se composait aussi d’hommes très distingués, le corps
législatif réunissait aussi dans sa commission de l’intérieur, des membres également
très capables, surtout dans la matière spéciale doit il s’agit. Eh bien, il a
été élaboré 9 ou 10 projets de loi, une discussion approfondie a eu lieu à 8 ou
10 reprises différentes, non seulement au sein de la commission de l’intérieur,
mais encore dans le conseil d’Etat et la commission des mines, et la commission
de l’intérieur réunie au conseil d’Etat en séance solennelle présidée par
l’archichancelier.
Qu’en est-il résulté ? c’est qu’on n’a pas osé se prononcer sur la grave
question que M. Dubus a soulevée, et qu’on doit nécessairement résoudre pour
arriver à la solution de la question posée par M. Rogier.
Aujourd’hui, on
voudrait l’aborder et la résoudre incidemment comme une idée purement
spéculative ; et cela au moment où la loi sur les mines se présente pour la
dixième fois à la chambre, et sans que personne n’y ait songé, depuis sept ans
qu’on a, malgré mes avis, eu la prétention de corriger la législation des
mines.
Je crois devoir
prévenir la chambre que si elle se lance dans cette carrière, il n y a pas de
raison pour que la discussion finisse d’ici à longtemps.
Je le répète, je ni
m’oppose nullement à ce qu’elle soit discutée. Je ne suis pas partisan des fins
de non-recevoir ; je ne m’en prévaux pas même contre une erreur, parce que de
la discussion d’une erreur peut jaillir la vérité. Mais ce que je demande,
c’est que quel que soit le résultat de la discussion, on n’ajourne pas encore
une fois le vote de la loi sur les mines.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb).
- Messieurs, j’avais besoin de l’incident qui vient d’être soulevé ; je suis
forcé de m’engager dans des généralités, et il me fallait une excuse.
Lorsque par suite
du renvoi du sénat nous nous sommes trouvés saisis pour la seconde fois du
projet de loi sur les mines, nous supposions que la discussion serait courte et
facile ; nous aimions à croire qu’elle ne porterait que sur les amendements
nouveaux, et que nous étions restés tout d accord sur le caractère de la loi.
Nous avions considéré le projet de loi comme un mode d’exécution de la loi du
2l avril 1810 ; nous voilà rejetés bien loin de nos premiers débats ; il ne
s’agit plus de pourvoir à l’exécution de la loi du 21 avril 1810 ; il s’agit de
savoir si cette loi est juste en principe, il s’agit de justifier le système
dont cette loi n’est que l’expression. Si vous condamnez ce système, le projet
de loi considéré comme mode d’exécution sera par cela même écarté ; le système
n’étant plus le même, les moyens ne pourront plus être les mêmes. Telle est la
position où nous placent la proposition faite par un honorable membre de cette
chambre, et les réclamations renfermées dans plusieurs pétitions.
L’honorable M.
Rogier vous demande « s’il ne serait pas de l’intérêt général que le
gouvernement se réservât de disposer, pour le compte du domaine, des mines de
houille non encore concédées ; » il vous propose de faire de cette
question l’objet d’une enquête préalable ; des propriétaires fonciers se sont
en même temps adressés à vous pour vous demander s’il ne serait pas juste de
considérer les mines comme les accessoires de la propriété superficiaire
: deux opinions extrêmes ; car, d’une part on dénie tout droit au propriétaire
du sol en revendiquant les mines au profit de l’Etat, de l’autre on dénie tout
droit à l’Etat en revendiquant les mines au profit du propriétaire foncier.
Dans l’un et l’autre cas on méconnaît les droits de l’industrie, ou plutôt on
suppose que l’industrie n’a pas le droit de s’interposer entre l’Etat et le
propriétaire foncier. La discussion s’est donc agrandie, et le gouvernement
doit, pour un moment au moins, l’accepter dans toute sa généralité. Je ne me
dissimule pas les difficultés et les dangers d’une discussion de ce genre ; en
présence d’une aussi vaste question, on se surprend à hésiter ; on ne sait même
comment la faire rentrer dans les limites d’un débat législatif.
Du reste, messieurs
nous pouvons, sans que notre intelligence fasse acte d’hostilité, nous arrêter
encore un moment à une question qui a occupé l’assemblée constituante au milieu
d’une réorganisation politique, le conseil d’Etat au milieu des triomphes de
l’empire, une question que Mirabeau et Napoléon n’ont pas jugée indigne de leur
génie.
Faut-il, messieurs,
rester fidèles a notre première pensée, et nous borner, sauf quelques légères
modifications, à pourvoir à l’exécution de la loi du 21 avril 1810 ; ou bien,
faut-il sortir du système de cette loi, soit pour adopter la proposition de
l’honorable M. Rogier, soit pour faire droit à certaines réclamations des
propriétaires fonciers ?
Je suis autorisé à
répondre, au nom du gouvernement, qu’il faut noter dans la loi de 1810, et nous
borner à pourvoir à son exécution en adoptant le projet de loi qui nous est
renvoyé par le sénat.
Il n’y a rien de
neuf, messieurs, dans la proposition qui vous a été faite et dans les
réclamations qui vous sont adressées ; ce qu’on vous demande a existé ; ce
qu’on vous demande existe encore dans certains pays, ce qu’on vous demande a
été détruit ou sera détruit par la force des choses. La véritable innovation,
c’est la loi du 21 avril 1810 ; c’est à la fois une innovation et un progrès ;
je donne à cette loi ce dernier titre, parce que c’est une transaction entre
tous les vieux systèmes. Et toute loi, messieurs, qui porte le caractère d’une
transaction, est en général respectable ; une transaction n’est presque jamais
le résultat d’une pure théorie, ni un premier essai en législation ; c’est la
combinaison de plusieurs systèmes, c’est un arrangement final entre plusieurs
prétentions que le temps avait mis en présence.
La loi de
L’intérêt de l’Etat
veut que les mines soient exploitées et qu’elles le soient convenablement.
L’intérêt du
propriétaire foncier veut qu’il lui soit tenu compte de son titre de
propriétaire, et même du hasard qui fait que sa propriété recèle des richesses
souterraines qu’il n’oserait rechercher lui-même.
L’intérêt de
l’exploitant veut qu’il puisse exploiter avec sécurité et se créer, par ses
travaux et ses sacrifices, une propriété distincte hors des atteintes et de
l’Etat et du propriétaire de la superficie.
La loi de
A l’Etat, elle a
accordé un droit d’intervention en interdisant toute exploitation sans
concession du gouvernement et en lui attribuant la surveillance de
l’exploitation même.
Au propriétaire de
la superficie, elle a accordé une redevance que vous avez, il est vrai, jugée
insuffisante, et que vous augmentez indépendamment du droit de préférence ;
mais ces modifications n’ôtent pas à la loi organique le caractère de
transaction.
A l’exploitant,
elle a fait la plus large part et, il faut l’avouer, avec raison : l’Etat, en
accordant la concession et en favorisant l’exploitation, ne risque rien ; le
propriétaire de la superficie, en laissant exploiter, ne risque rien, celui qui
risque tout, c’est l’exploitant. C’est à lui qu’il faut beaucoup de capitaux et
beaucoup de courage. La loi lui a dit : Osez ; ce que vous découvrirez
constituera une propriété distincte de la propriété superficiaire
et cette propriété souterraine, je vous la garantis comme toute autre propriété
immobilière. Cette garantie est une des dispositions fondamentales de la loi de
1810, et elle était indispensable : sans égard aux principes et aux traditions
du droit romain, il fallait créer une propriété souterraine indépendante de la
propriété superficiaire, propriété nouvelle, bien
certaine, bien définie, cette distinction dont on trouve néanmoins le germe
dans notre ancien droit coutumier, dans les chartes du Hainaut, était certes en
droit civil une grande innovation.
La loi de 1810
n’est donc pas exclusive, elle a reconnu jusqu’à un certain point tous les
droits, tous les intérêts.
Elle n’a pas été
exclusive au préjudice de l’Etat puisqu’elle le fait intervenir avant
l’exploitation par l’acte de concession, durant l’exploitation par le droit de
surveillance. Elle s’est écartée du principe du laisser faire, principe invoqué
contre l’Etat à propos des mines par quelques économistes, et notamment par
J.-B. Say, dans ses premiers ouvrages, selon ces écrivains les gouvernements ne
devraient pas intervenir dans l’exploitation de la propriété souterraine plus
que dans l’exploitation de la propriété superficiaire
; il faudrait abandonner l’une et l’autre exploitation à la volonté des
particuliers, dans ce système de liberté absolue, il n’y aurait plus ni acte de
concession du gouvernement, ni police spéciale exercée en son nom.
La loi n’a pas été
exclusive au préjudice du propriétaire de la superficie, puisqu’elle lui
attribue un droit sans l’associer à aucun risque.
Enfin la loi n’a
pas été exclusive au préjudice de l’exploitant, puisqu’elle crée en sa faveur
une propriété distincte, puisque l’Etat n’intervient que pour l’empêcher de
compromettre, par des travaux mal entendus, son exploitation et les ouvriers
qu’il emploie.
Sortez de ce système
de transaction, et vous tomberez dans un système exclusif ; vous satisferez
pleinement un seul intérêt, en soulevant contre vous les autres intérêts que
vous aurez méconnus.
Si donc on me
demande quel est le principe de la loi de 1810, je répondrai que c est un
principe de transaction, cette loi a cru qu’il y a quelque chose de vrai dans
chacun des trois intérêts qui, pris isolément, peuvent conduire à autant de
principes absolus ; elle les a réunis ; elle leur a imposé une sorte de
pacification.
Quand je dis,
messieurs, qu’un principe qui ramènerait tout soit à l’Etat, soit au
propriétaire de la superficie, serait exclusif, je n’entends pas condamner ce
qui s’est fait dans d’autres temps, à d’autres époques et dans d’autres
situations. Supposez un sol vierge, des couches épaisses et touchant presque à
la surface du sol, dans cette situation le législateur ne pourrait séparer la
propriété souterraine de la propriété superficiaire,
le propriétaire de la superficie exploitera lui-même, puisqu’il le peut facilement
sans grands capitaux, sans grands dangers, sans grands ouvrages d’art ; je dis
qu’il exploitera lui-même, il le pourra et le voudra. Mais supposez des mines
cachées dans les profondeurs de la terre, séparées de la surface par d’énormes
masses de roc, d’eau et de sable ; vainement vous ferez un appel au
propriétaire du sol, vainement en France cet appel a été fait aux propriétaires
par les édits de Henri IV et de Louis XIV, édits qui, pour les encourager, leur
faisaient remise de tous les droits régaliens : la nature a ici séparé les deux
propriétés, et pourquoi refuseriez-vous de reconnaître par vos lois ce que la
nature a fait ?
Je ne juge donc
point les législations d’une manière absolue ; elles sont bonnes quand elles
sont vraies, c’est-à-dire quand elles conviennent aux situations. Je suis
disposé à croire que le droit liégeois qui réservait tout au propriétaire de la
superficie, a été juste à une époque, je veux dire immédiatement après la
découverte de la houille ; le sol était vierge, et les couches s’offraient
presque à fleur de terre dans certaines localités ; mais dès que les couches
supérieures ont été épuisées ou bien là où les couches étaient profondément
enfouies dans la terre, le propriétaire de la superficie a avoué son
impuissance, et le droit liégeois primitif s’est modifié lui-même par
l’introduction du droit de conquête et du droit d’areine.
Il faut donc
étudier les législations historiquement, il faut les mettre en rapport avec les
temps et les situations. Le droit primitif liégeois dans toute sa rigueur même,
pouvait être juste et vrai au XVème siècle ; il serait injuste et impraticable
aujourd’hui, où toute exploitation exige de grands moyens.
L’ancien droit du
Hainaut est celui qui se rapprocherait le plus de la vérité, et par conséquent
de la justice dans un pays où le sol ne serait plus vierge, où les couches se
trouveraient à de grandes profondeurs, où le propriétaire foncier serait réduit
à l’impuissance d’exploiter par lui-même ou par la nature des choses,
l’existence de la mine perdue dans la terre ne pourrait influer en rien sur le
prix de la propriété superficiaire, je n’hésite point
à dire que dans ce pays l’ancien droit du Hainaut se rapprocherait le plus de
la justice et de la vérité.
L’impuissance du
propriétaire de la superficie ne résulte pas seulement de l’épuisement des
veines supérieures, ou de l’absence des veines rapprochées de la surface du
sol, elle résulte d’un fait que les législateurs modernes ont cherché à amener,
le morcellement de la propriété. La propriété souterraine ne comporte pas un
partage à l’infini et une exploitation très divisée, les usines ne pourraient
être exploitées que par les très grands propriétaires fonciers dont le nombre
diminue tous les jours, ou par les propriétaires associés ayant des capitaux.
La propriété souterraine exige l’accumulation ; la propriété superficiaire tend au morcellement.
Mais, pour qu’on ne
prenne pas le change sur mes intentions, je me hâte de répéter que le retour au
droit du Hainaut, comme le retour au droit liégeois, nous ramènerait à un
système exclusif.
Le système,
messieurs, qui ferait exploiter par l’Etat ou au profit de l’Etat seul, serait
aussi un système exclusif.
Ce système, c’est
l’exagération du premier des intérêts que j’ai indiqués, de l’intérêt de l’Etat
; dans ce système, il ne suffit plus que le gouvernement intervienne pour
accorder la concession, et pour surveiller l’exploitation ; il s’approprie la
mine et l’exploite ou la fait exploiter à son profit. Il commence par
s’approprier la mine, c’est-à-dire qu’il dénie tout droit au propriétaire de la
superficie ; il exploite lui-même, c’est-à-dire qu’il récuse la coopération de
l’industrie privée, soit qu’il regarde cette coopération comme inutile, soit qu’il
s’en défie.
Je ne veux pas,
messieurs, m’arrêter aux graves questions que soulèvent cette expropriation
absolue des propriétaires de la superficie, et cette exclusion de l’industrie
privée ; il me suffira de l’attacher au côté positif de la proposition, et de
déclarer que cette proposition ne serait praticable que dans un pays vierge,
renfermant des couches riches et très accessibles. Partout ailleurs l’Etat
n’exploitera point, par la même raison qui empêche le propriétaire de la
superficie d’exploiter : il n’osera. Si l’on me cite un pays où l’Etat
exploite, il faut que la citation soit complète pour que je l’accepte comme un
exemple ; pour être complète, il faut qu’on m’indique les moyens et les
ressources, la profondeur et l’épaisseur des couches.
Si l’on me cite le
gouvernement prussien qui exploite des houillères dans
Remarquez que le
gouvernement a profité, en commençant la régie en l’an V, de tous les ouvrages
déjà existants et établis aux frais de l’ancienne abbaye de Rolduc,
propriétaire de cette houillère ; le domaine trouvait une exploitation
commencée, qui lui était livrée sans charge quelconque. Dans les cinq millions
et demi de dépenses faites depuis 40 ans, il n’est tenu aucun compte du premier
capital d’établissement employé par l’ancien propriétaire, premier exploitant.
J’ajouterai
néanmoins que les bures et les machines peuvent être évaluées à 600,000 fr.
M.
Rogier. - C’est donc un bénéfice.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb).
- En cas de vente, sans doute il serait tenu compte de ces bures et de ces machines
; on ne donnerait pas la houille pour rien. Il n’en reste pas moins vrai qu’au
bout de quarante ans de continuation d’exploitation, à peine on est parvenu à
amortir tous les frais nouveaux d’établissement ; et cependant la position
était belle ; on a reçu pour rien une exploitation toute montée.
Mais, dira-t-on,
l’on a mal exploité sous le gouvernement français, sous le gouvernement
hollandais et jusque dans ces derniers mois. On exploite bien maintenant,
pourquoi ne pas continuer, et exploiter même d’autres houillères ? On exploite
mieux, grâce à un homme, M. Gonot, ingénieur du
sixième district, et maintenant ingénieur en chef de la première division
(Hainaut). Tout le système repose quant à
M.
Rogier. - On trouvera d’autres hommes.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb).
- Je l’espère, mais il ne faut pas trop compter sur des dévouements de ce
genre. Lorsque récemment cet ingénieur a été nommé ingénieur en chef du
Hainaut, mon collègue le ministre des finances n’a pas été sans inquiétude, et
il m’a fait part de ses craintes. Il est beaucoup plus facile de surveiller une
exploitation particulière que d’exploiter et de faire exploiter au nom et au
profit de l’Etat.
On a aussi cité
comme précédent le chemin de fer.
Mais il n’y a
aucune analogie entre l’exploitation d’une houillère et l’exploitation du
chemin de fer.
Nous savons
aujourd’hui ce que coûtent l’entretien et l’exploitation du chemin de fer dans
l’hypothèse du transport d’un certain nombre de voyageurs par an.
Si cette hypothèse
ne se réalise pas, les dépenses d’entretien et d’exploitation en seront pas
cela même moindres, il y aura une sorte de compensation.
Un déficit est
possible, mais il ne peut jamais être très considérable.
L’exploitation du
chemin de fer, bornée au transport de voyageurs, seule expérience que nous ayons
faite jusqu’à présent, n’offre aucune chance aléatoire.
Je n’en dirai pas
davantage. Je me réserve de vous faire connaître les chances que présente
l’exploitation des houillères ; vous serez vous-mêmes en état de faire le
parallèle entre les deux genres d’exploitation.
La proposition de
M. Rogier peut être entendue ou modifiée dans plusieurs sens ; en voici le
texte :
« Jusqu’à quel
point serait-il de l’intérêt général que le gouvernement se réservât de
disposer pour le compte du domaine des mines de houille non encore
concédées ? »
Ces termes ne sont
pas assez explicites.
Le gouvernement se
réservera les mines de houille non concédées.
C’est un premier
point à examiner.
Ce principe posé,
exploitera-t-il lui-même ?
Ou bien fera-t-il
exploiter à son profit au moyen d’un bail temporaire ou d’un forfait indéfini ?
Enfin se
bornera-t-il à accorder la concession par adjudication publique ?
Dans chacune de ces
hypothèses nous sommes hors de la loi de 1810.
On pourrait rester dans
cette loi, et se demander si le gouvernement ne pourrait pas se réserver
certaines concessions en petit nombre, en continuant de suivre, quant aux
autres, la loi de 1810, et en s’appliquant cette loi à lui-même comme
exploitant.
La proposition de
M. Rogier nous laisse donc par ses termes beaucoup de latitude ; elle nous en
laisse moins par les développements qu’elle a reçus dans la séance du 28
janvier, développements auxquels son auteur nous renvoie et que par conséquent
il accepte pour la discussion présente ; c’est donc là qu’il faut chercher sa
pensée. Depuis ces développements, c’est le premier sens qu’il faudrait donner
à la proposition, c’est-à-dire que le gouvernement serait appelé à exploiter
lui-même ; c’est donc de ce premier point de vue que je considérerais
principalement la proposition. J’ajouterai néanmoins que je crois les
différentes modifications inadmissibles également ; une seule proposition
pourrait être susceptible d’un examen ultérieur, c’est celle qui nous
laisserait dans le système de la loi de 1810, en accordant au gouvernement le
droit de se faire, moyennant certaines formalités, des concessions à lui-même,
concessions en très petit nombre et à l’égard desquelles il serait dans la
position de tout exploitant.
Je vais sortir des considérations
générales et poser un certain nombre de faits avant d’attaquer directement la
proposition de M. Rogier. Ces
faits étant nombreux et d’un ordre différent, J’ai cru devoir les rattacher à
une série de questions. J’adopte ce plan pour qu’il vous soit possible de me
suivre sans confusion et sans trop de fatigue.
Voici ces questions
:
1° Y a-t-il dans le
pays beaucoup de houillères vierges présentant une exploitation utile, facile
et lucrative ?
2° Quelle est la
profondeur à laquelle les exploitations se font et doivent se faire d’après les
règles de l’art pour exploiter d’une manière facile et durable ?
3° Quels sont les
ouvrages principaux, bures, machines, etc., nécessaires d’après les principes
de l’art pour former un siège d’exploitation ?
4° Quels sont les
capitaux nécessaires en général pour les ouvrages antérieurs à l’exploitation
productive, et quel est le terme requis pour le opérations préliminaires ?
5° Quels sont les
accidents, leur fréquence et leur suite ?
6° Enfin, quels
sont les bénéfices présumés des exploitants ? Sont-ils aussi considérables
qu’on le suppose, et s’ils l’étaient, ne faudrait-il pas tenir compte des
chances aléatoires ?
Je coordonnerai les
faits que j’ai à vous faire connaître à ces questions.
1° Y a-t-il dans le pays beaucoup de houillères
vierges présentant une exploitation facile, utile et lucrative ?
Les tableaux qui
vous ont été communiqués et qui n’ont point été faits pour cette discussion
pourraient vous induire en erreur.
La récapitulation
générale offre pour les provinces houillères les résultats suivants :
61 demandes en
concession de mines de houille.
75 demandes en
extension de concession de mines de houille.
88 demande en
maintenue de mines de houille.
Les dossiers de ces
affaires sont à Bruxelles ou dans les archives des provinces.
Au nombre des
affaires dont les dossiers sont à La Haye, il y a :
82 demandes en
concession de mines de houille.
42 demandes en
extension de mines de houille.
3 demandes en
maintenue de mines de houille.
On pourrait inférer
de ces chiffres que les houillères vierges sont en très grand nombre.
Ce serait une
erreur.
D’abord, il y a des
exploitations très anciennes à régulariser.
C’est même la
nécessité de cette régularisation qui rend la nouvelle loi urgente plus que les
véritables demandes en concession.
En second lieu, on
a compris dans le total les demandes en concurrence.
J’aurais désiré
refaire les tableaux d’après ces distinctions.
Le temps m’a manqué
; cette rectification serait même très difficile : il faudrait rectifier les
termes mêmes des demandes, et pour cela lire les dossiers, car il y a des
demandeurs, anciens exploitants, ayant des droits acquis, et qui ont mal formé
leurs demandes. Ils ont annoncé comme demande en concession ce qui n’est qu’une
demande en régularisation ou en maintenue.
J’ai réuni au
ministère pendant plusieurs jours les trois ingénieurs en chef et l’ingénieur
du premier district, pour les consulter sur différentes questions qui se
rattachent au régime et à la législation des mines : je croyais moi-même que le
pays offrait une grande quantité de houillères intactes et facilement
exploitables ; n’ayant pu rectifier les tableaux d’après les distinctions que
cette discussion rend nécessaires, ils m’ont remis la note suivante :
« Il ne reste à
concéder, dans le premier district (arrondissement de Mons), que des terrains
houillers tellement difficiles à aborder que toutes les tentatives faites
jusqu’à ce jour pour y parvenir ont été sans succès.
« C’est ainsi que
200,000 francs ont été dépensés en pure perte, par M. Degorges-Legrand
à Baudour, sans pouvoir franchir le mort terrain (terrain stérile et abreuvé
d’eau qui recouvre le terrain houiller et qui dans cette localité a plus de
« Des sondages
exécutes sur plusieurs autres points ont également constaté les difficultés à
surmonter pour arriver jusqu’au terrain houiller dans cet arrondissement.
(Points des sondages, Nimy, Ghlin,
etc.)
« Dans le deuxième
district des mines (arrondissement de Charleroy) une partie des terrains non
concédés est subordonnée aux mêmes difficultés que celles qui viennent d’être
signalées, et dans les puits abordables, les couches sont très irrégulières et
de peu de valeur.
« Sans les motifs
qui viennent d’être indiqués, tout le terrain houiller de la province de
Hainaut serait maintenant en exploitation.
« Dans la province
de Namur (troisième district), il ne reste aucune partie vierge du terrain
houiller et il est d’ailleurs presque entièrement concédé.
« Dans les
provinces de Liége et de Limbourg (troisième division des mines), il y a
concession ou droits acquis sur plus de trois quarts de l’étendue du terrain
houiller. Pour le reste qui ne représente pas le vingtième de l’importance des
terrains en exploitation, on peut reproduire avec plus de raison les considérations
de difficultés énumérées pour les parties non concédées de l’arrondissement de
Charleroy. »
Il résulte de cette
note que si le gouvernement veut à toute force faire l’exploitant il serait
peut-être plus avantageux de l’autoriser à acquérir des exploitations
abandonnées par suite d’accidents, compromises ou périclitantes
par le défaut de capitaux ; vous savez d’ailleurs que les sociétés se sont
formées pour la plupart à la suite d’opérations de ce genre et non à l’aide de
demandes en concession. Il faudrait allouer au gouvernement quelques millions
pour acheter des houillères et en continuer l’exploitation ; nous resterions
alors dans la loi de 1810.
Cette proposition
laisserait celle loi intacte ; il ne s’agirait plus que d’un article de plus au
budget des dépenses.
Nous arrivons à la
deuxième question :
2° Quelle est la profondeur à laquelle les
exploitations se font et doivent se faire pour que l’on exploite d’une manière
facile et durable ?
Cette profondeur
varie suivant les localités ; cependant l’expérience prouve que, dans les
grands charbonnages, l’exploitation ne peut être commencée qu’à deux cents
mètres au moins de profondeur, et qu’elle s’opère généralement aujourd’hui à
des profondeurs plus considérables, qui atteignent et dépassent même
Première division.
Grand-Hornu (M. Degorges-Legrand),
Hornu et Wasmes,
Belle-et-Bonne
(Jemmapes),
Produits
(Jemmapes),
Cache-Après (Cuesmes),
Agrappe (Frameries ),
Longterne-Trichères (Dour),
Ste-Croix-Ste-Claire,
Charbonnages d’Hondeng, jusqu’à
Deuxième division.
Tamine. On ne commencera
à exploiter qu’à
Moignelée. Même système
adopté.
Hasard (Tamine),
Troisième division.
Val St-Lambert,
Manhaye (Seraing),
Espérance
(Seraing),
Horlon (St-Nicolas),
Bois d’Avroy, près de Liége,
Ste-Marguerite,
reconnaissance à
Plomberie (Liége),
noyée à
Bellevue (Liége),
Lahaye (Liége),
Vous voyez,
messieurs, à quelle profondeur il faut aller chercher la houille dans les
entrailles de la terre.
Il me manque un
renseignement : j’aurais désiré connaître l’épaisseur des couches : cependant
voici un fait que j’ai pu connaître moi-même : à Hornu,
dans la bure n°6, profonde de
Il a fallu passer
le niveau, c’est-à-dire contenir les eaux par un immense cuvelage.
On se tromperait si
l’on croyait qu’arrivé à la couche on l’exploite à peu près comme on tire de
l’eau d’un puits ; la taille exige un travail des plus difficiles et des plus
dispendieux.
Si j’avais donc à
réunir des renseignements statistiques sur les exploitations, j’aurais soin d’y
comprendre un tableau indiquant l’épaisseur des couches.
Je passe à la
troisième question :
3° Quels sont les ouvrage principaux, bures,
machines, etc., nécessaires pour former un siège d’exploitation ?
Beaucoup de ces
faits, messieurs, vous sont connus ; mais j’ai besoin de les répéter pour
faciliter la démonstration qui me reste à faire, quand j’aborderai d’une
manière directe la proposition de M. Roger.
L’établissement d’un
siège d’exploitation important exige, outre l’acquisition d’un terrain assez
vaste et la construction à la surface de magasins, bureaux, réservoirs, voies
de communication, etc., le percement simultané :
D’un puits
d’extraction ;
D’un puits d’épuisement
;
D’un puits pour les
échelles ;
D’un puits pour
l’airage.
De ce puits partent
à différents niveaux des galeries dans la pierre qui atteignent quelquefois
jusqu’à
L’exploitation
exige aussi la construction d’une machine à vapeur pour l’extraction des
déblais et du combustible ; presque toujours le secours d’une et de deux
machines d’épuisement des eaux, et parfois celui d’une machine spéciale pour
l’airage.
La force des
machines d’extraction et d’airage varie de 15 à 40 chevaux ; celle des machines
d’épuisement de 80 à 400 chevaux.
Une seule
concession de
On ne s’éloigne
guère sous terre à plus de
L’extraction par
une bure est d’ailleurs bornée, on n’extrait guère que 100-150 tonneaux par
jour ; pour augmenter l’extraction quotidienne, il faut donc augmenter le
nombre de bures.
Je sais qu’il y a
des exploitations où des puits font double emploi, c’est-à-dire où le puits aux
échelles sert de puits d’airage ; il y en a d’autres où il n’y a pas de puits
aux échelles, et ceci est contraire aux règlements. Non seulement la descente
et la montée par la bure d’extraction causent de fréquents accidents, mais il
est affreux de penser qu’en cas d’inondation, de détonation, il n’y a d’autre
moyen de salut pour les malheureux ouvriers que le panier ou le tonneau de la
bure d’extraction, qui ne peut recevoir qu’un très petit nombre d’individus. La
bure aux échelles est une véritable bure de sauvetage.
Il est
incontestable que le gouvernement se faisant exploitant devra avoir les sièges
d’exploitation les plus complets. Je vous prie, messieurs, de prendre note de
ce fait.
Passons à la
quatrième question :
4° Quels sont les capitaux nécessaires en général
pour les ouvrages antérieurs à l’exploitation productive, et quel est le temps
requis pour les opérations préliminaires ?
On ne peut répondre
à cette question d’une manière absolue ; les faits varient selon les localités.
Je veux être modéré, car je puis l’être. Dans des circonstances heureuses pour
exécuter les travaux préparatoires à la mise à fruit d’une mine par un seul
siège d’exploitation, il faut moyennement une dépense de 400,000 à 600,000 fr.
et 2 à 4 ans d’activité soutenue.
Je suis modéré, car
il n’y a pas de grand établissement qui n’ait exigé de sommes plus fortes ; il
y a beaucoup d’établissements en apparence florissants à qui des sommes presque
aussi fortes restent à amortir. Je possède à cet égard des renseignements dont
je ne puis user en public. L’administration ne doit pas trahir les secrets des
exploitants. Je m’arrêterai à quelques faits de notoriété publique.
L’histoire de Hornu est populaire ; il a fallu 6 années du travail le
plus opiniâtre et l’emploi de 4 millions. M. Degorges-Legrand,
qui a montré dans cette circonstance la plus admirable persévérance, était
ruiné s’il n’avait enfin atteint la veine dont il pressentait l’existence.
Je pourrais vous
citer une machine d’épuisement qui, avec le puits, les ouvrages et bâtiments
accessoires a coûté 400,000 fr.
Il y a des
cuvelages qui ont coûté cette somme, c’est ainsi qu’on appelle la tonne à
l’aide de laquelle on contient les eaux.
A Quaregnon deux
sociétés tentent en ce moment de traverser par un cuvelage une nappe d’eau de
plus de cent mètres. L’une a dépensé 300,000, l’autre 400,000 fr. sans réussir.
Mais considérons
ces faits, qui sont assez ordinaires, comme des exceptions et tenons-nous au
chiffre de 400 à 600 mille francs.
Je citerai
néanmoins une exploitation étrangère, et qui en ce moment est l’objet de bien
des jalousies. Je veux parler du fameux établissement d’Anzin. J’emprunte à un
ouvrage français la notice suivante :
« En
Indiquons les faits
qui se rattachent à la cinquième question :
5° Quels sont les accidents, leur fréquence et
leurs suites ?
Les accidents qui
exercent une influence fâcheuse sur le sort des exploitations, sont les
dérangements ou irrégularités des couches, les inondations, les coups de feu,
les éboulements, etc, etc.
J’ai devant moi le
tableau des accidents arrivés dans le premier district, arrondissement de Mons,
de 1818 à 1836 . Dans cet espace de temps, 423 ouvriers ont péri. Je ne
parlerai pas des accidents dus plus ou moins à l’imprudence : je citerai les
accidents inhérents à la nature de ce genre d’exploitation.
1818. Vers la fin
de l’année, un coup de feu à la grande veine sur Wasmes, 38 ouvriers tués,
bouleversement des travaux.
1819. Commencement.
A la même houillère, second coup de feu, 50 ouvriers tués ou brûlés,
bouleversement des travaux, interruption pendant six semaines pour éteindre le
feu, plus le temps nécessaire aux réparations.
1819. Bellevue sur
Elonges, coup de feu, 6 ouvriers tués.
1820. Même
houillère, coup de feu, 8 ouvriers tués.
1821. (12 décembre)
Escouffiaux, coup de feu, 7 ouvriers tués.
1821 . (15
décembre) Même houillère, 25 ouvriers tués.
1823. Louvriére (St-Vaast), 6 ouvriers
asphyxiés.
1824. Grande veine
de Wasmes, coup de feu, 15 ouvriers tués ou
blessés.
1824. Grand
Bouillon sur Pâturages, coup de feu, 9 blessés.
1825. Grande veine
sur Elonges, id., 9 ouvriers tués ou blessés.
1828 Bonnes-Dames
sur Quaregnon, inondation ; 4 ouvriers noyés.
1828. Sidia sur Cuesmes, éboulement, 4
ouvriers écrasés.
1828.
Grand-Bouillon sur Hornu, coup d’eau, 6 ouvriers
noyés.
1830. Capette sur
Quaregnon, rupture du cuvelage. 5 ouvriers tués.
1831. Grande veine
sur Elonges, coup de feu, 36 ouvriers tués.
1834. Grand et
Petit-Tas à Warquignies, 6 ouvriers tués par un coup
de feu.
1836. Année très
meurtrière, Agrappe sur Frameries, coup d’eau, 29
ouvriers tués.
1836. Grand-Buisson
sur Hornu, coup de feu, 25 ouvriers victimes de
l’accident, dont 22 tués,
En résumé, sur un
espace de 18 ans, 423 ouvriers ont péri victimes de tous les accidents survenus
dans les houillères du premier district des mines (arrondissement de Mons).
En outre d’autres
accidents qui n’ont causé, la mort d’aucun ouvrier, ont encore eu lieu dans le
premier district, et ont interrompu les travaux pendant un temps plus ou moins
long. Tels sont ceux arrivés dans le charbonnage du Grand-Hornu
en 1833, interruption des travaux pendant 2 mois et demi, dépense 64,000 fr. et
dans le charbonnage d’Hornu et Wasmes en 1836,
interruption des travaux pendant plus de 3 mois.
J’ai aussi en ma
possession le tableau des accidents du sixième district, rive droite de
Ce tableau offre un
nouveau point de vue, le nombre des victimes est mis en rapport avec le nombre
moyen des ouvriers.
Le nombre moyen des
ouvriers par an est porté à 2,496.
Le nombre total des
accidents depuis 1816 à 1835, c’est-à-dire pendant 19 ans a été de 176. Celui
des ouvriers qui en ont été les victimes a été de 406 ou à peu près le sixième
du nombre moyen des individus employés dans les mines. Si on divise ces deux
totaux par 19, nombre des années, on obtient 9 pour la moyenne des accidents et
21 pour celle des ouvriers tués on blessés : c’est-à-dire que le nombre moyen
des ouvriers étant de 2,496, la 118ème partie de ce nombre ou un ouvrier sur
118 périt chaque année dans les mines du sixième district.
On ne dira pas que
les exploitants sacrifient leurs ouvriers, ils sont eux-mêmes victimes, chaque
accident du genre de ceux que j’ai énumérés leur impose d’énormes sacrifices ;
il est de l’intérêt de l’exploitant qu’il n’y ait pas d’accidents.
Il ne faut pas
croire non plus que la mortalité soit plus grande en Belgique qu’en France, par
exemple : d’après un tableau, fourni en 1833 pour le département de
Messieurs, quel est
le gouvernement qui osera se faire exploitant avec de pareilles chances ? Quel
est le ministre qui acceptera cette double responsabilité, responsabilité de
vies d’hommes, responsabilité d’argent ? Ce sont de ces choses que l’industrie
privée peut seule oser. Et si un ministre l’osait, trouverait-il des agents ?
Les membres actuels du corps des mines, j’ai ai reçu l’assurance par eux-mêmes,
vous refuseraient leur coopération.
Nous sommes arrivés
à la sixième et dernière question :
6° Quel est le bénéfice présumé des exploitations ?
Est-il aussi considérable qu’on le suppose ; et s’il l’était, ne faudrait-il
pas avoir égard aux chances aléatoires ?
Il est difficile
d’indiquer d’une manière un peu précise le bénéfice moyen des exploitations de
houille. On peut cependant affirmer qu’il est bien éloigné d’être aussi
considérable qu’on le suppose, ou plutôt qu’on tend à le faire croire pour
favoriser des spéculations particulières ou les prétentions des propriétaires
de la surface. Il est constaté par exemple, que toutes les exploitations de la
province de Liége ont été en perte depuis 1830 jusqu’en 1834 inclusivement,
(plusieurs d’entre elles sont à découvert de 500,000 à 1,000,000 de fr.) ; que
celles de la province de Namur, beaucoup moins exposées à ressentir les effets
des commotions politiques et commerciales ont eu beaucoup de peine à se
soutenir pendant ces quatre années ; que celles de Charleroy ont subi, pendant
cette période, la même crise que celles de Liège ; qu’en général, celles du
levant de Mons n’ont pas cesse de faite des bénéfices, mais que la plupart de
celles du couchant de la même ville, sont depuis longtemps et continuent à être
en perte.
Les houillères
sont, depuis 1835, dans une situation beaucoup plus prospère, mais dont la
durée est fort incertaine, car, indépendamment des chances défavorables de la
nature de celles qui viennent d’être rappelées et qui leur sont communes avec
la plupart des établissements industriels, elles sont sujettes à toutes celles
inhérentes à leur nature même, que j’ai signalées en traitant la sixième
question. Cependant, je ne pense pas que l’on puisse porter à plus de 10 pour
cent des capitaux engagés les bénéfices moyens de celles de nos houillères qui
ne sont point momentanément en perte.
Je ne veux pas dire
qu’aucune exploitation, qu’aucune société ne fasse un bénéfice excédant de 10
pour cent ; c’est un terme moyen que je pose.
Ces différents
faits posés, il nous sera facile de découvrir quels seraient les inconvénients
de l’exploitation par le gouvernement.
Il faut d’abord
nous demander si le gouvernement contractera envers le pays l’obligation
d’entreprendre l’exploitation de tout ce qui reste à exploiter.
A la rigueur, c’est
affirmativement qu’il faut répondre ; le gouvernement se substitue à
l’industrie privée, c’est à lui d’oser tout ce qu’oserait l’industrie privée ;
s’il fait moins, il reste au-dessous de sa tâche et avoue son infériorité.
Ainsi, le
gouvernement en s’appropriant les mines à exploiter ne peut le faire que pour
les exploiter promptement et convenablement.
C’est l’engagement
qu’il prend envers les consommateurs.
On peut ajouter que
si les mines devenant la propriété de l’Etat restaient inexploitées, le but
serait manqué. Que veut-on ? Influer sur le prix des houilles, diminuer le prix
du produit en augmentant le nombre des produits. Pour exercer cette influence,
il faut produire ; il faut ouvrir le sol sur tous les points où l’on soupçonne
l’existence de couches. Si vous vous bornez à écrire dans une loi : la houille
qu’on présume se trouver à 200, à 250, à 300, à
Mais ne poussons
pas les conséquences trop loin ; je ne veux pas être accusé d’exagération.
Supposons que le public se prête à une transaction : parmi les houillères à
exploiter, le gouvernement en choisira dix qu’il croira bonnes, si toutefois on
peut dire à l’avance si une houillère e à exploiter est bonne. C’est avec ces
dix exploitations, qu’il faudra supposer assez heureusement situées, qu’il fera
la loi à tous les autres exploitants.
Nous avons vu que,
terme moyen, une grande exploitation exige pour un seul établissement, un capital
de 600,000 fr.
Admettons que cette
somme soit même un maximum. Je dis que cette somme de 600,000 fr, considérée
comme maximum, il faut l’allouer au gouvernement ; il doit exploiter d’une
manière classique une des établissements complets, sans double emploi et sans
parcimonie ; il le faut d’abord pour mettre à couvert la responsabilité de ses
agents, à commencer par le ministre ; il le faut en second lieu, parce que
continuant à surveiller les exploitations particulières devenues ses rivales,
il doit donner l’exemple et présenter des établissements modèles.
J’ai réduit, dans
un système de transaction que je propose au consommateur, l’entreprise du
gouvernement à dix exploitations.
L’entreprise étant
ainsi restreinte, il faudra encore six millions pour capital de premier
établissement.
La houillère de Kerkraede figure au budget pour un produit de 170,000
francs ; j’ai déjà eu occasion de dire que cette houillère est une des plus
riches du pays ; il y a d’ailleurs plusieurs sièges d’exploitations. Nous ne
pouvons donc compter pour chacune de nos dix nouvelles exploitations sur un
produit égal à celui de la houillère de Kerkraede ;
évaluons le bénéfice de chacune à 100,000 francs.
Nous obtiendrons
donc un million de bénéfice, en fournissant six millions de capital
d’établissement.
L’entreprise est
donc excellente, me dira-t-on, puisque nous gagnons 10 p.c. de notre argent ;
et d’ailleurs ces six millions, nous ne les allouons qu’une fois pour toucher
indéfiniment chaque année un million.
Raisonner de la sorte, c’est ne tenir aucun compte des
chances aléatoires de l’entreprise ; c’est supposer d’abord qu’on réussira
partout dans le premier endroit choisi pour le creusement des bures ; c’est
supposer, en second lieu, qu’ayant réussi partout dans le creusement des puits,
qu’ayant atteint de prime abord, en quelque sorte, des couches fécondes, on
sera à l’abri de tout accident. Etes-vous certain de ne pas être arrêté tout à
coup par un dérangement de couche ? N’avez-vous à redouter ni éboulement, ni
incendie, ni inondation, accidents qui non seulement exigent de grandes
dépenses, mais qui, en suspendant l’exploitation, privent de tout bénéfice
quelquefois pendant plusieurs années.
Le gouvernement
a-t-il été, en fait de travaux publics, tellement heureux jusqu’à présent qu’il
puisse encore avoir fait un pacte avec le sort ? Je ne vous parlerai pas d’un
seul accident qui pour la deuxième fois fait le désespoir de l’administration :
la rupture de la digue de Burght. Voilà quatre ans
qu’on s’efforce de la former. Cette entreprise, par sa nature et par les vices
du sol, a quelque chose d’aléatoire. L’on perd donc de vue ces chances
aléatoires et l’on est sans indulgence pour le gouvernement. Récemment encore,
ne m’avez-vous pas dit : la faute en est aux ingénieurs ; dans quelques jours,
quand il s’agira de voter des fonds, cette accusation sera répétée ; vainement
je la combattrai ; vainement, mes deux honorables prédécesseurs se
joindront à moi pour la combattre.
De même, quand je
viendrai vous dire : dans tel endroit où le gouvernement a essayé d’établir un
siège d’exploitation, il n’est pas parvenu à atteindre les couches, il n’a pu
retenir les eaux à l’aide d’un cuvelage ; au point où il croyait trouver la
veine, elle lui a fait faute par un dérangement qu’il était impossible de
deviner ; quand je vous annoncerai cet accident en demandant un nouveau capital
d’établissement, l’on me répondra : il fallait mieux choisir la place destinée
au percement des bures, la faute en est à vos ingénieurs des mines.
Quand je vous annoncerai
que le feu a pris à l’une de nos exploitations, que l’eau en a envahi une
autre, qu’un éboulement a bouleversé les travaux dans une troisième, l’on me
dira chaque fois : la faute en est à vos ingénieurs.
Quand, en vous
demandant de l’argent pour réparer les travaux et pour les reprendre sur
d’autres points, je vous demanderai des pensions pour les veuves et les
orphelins, à la vue de tant de victimes, les reproches deviendront des
malédictions.
Je passe à d’autres
considérations également graves.
Le gouvernement, en
se chargeant d’exploiter les houillères à concéder, attirerait à lui deux
grandes questions, les deux plus grandes questions peut-être de notre ordre
social : la question du salaire de l’ouvrier, la question du prix de
consommation. Il faut bien le reconnaître, il y a dans notre société une lutte
entre le petit nombre qui fait travailler et le grand nombre qui travaille,
lutte dans laquelle le gouvernement doit être neutre, lutte à laquelle il ne
pourrait se mêler que pour la terminer. Or je le défie d’y mettre un terme.
Exploitez les houillères, l’ouvrier vous dira : vous ne me payez pas assez ; le
consommateur vous dira : je vous paie trop.
Ces inconvénients
n’existent pas dans les gouvernements absolus, exploitant avec une sorte de monopole.
Ils peuvent fixer presqu’arbitrairement le prix de la production et le prix du
produit. La dépense étant connue, ils se demandent ce qu’ils veulent gagner, et
le total est le prix imposé aux consommateurs.
Les hausses et les
baisses ne sont point connues, on fixe les prix pour l’année entière et à
l’avance ; je tiens en main un bulletin imprimé en langue allemande, indiquant
les prix des houilles de Saarbruck pour 1831. Ce
bulletin est daté de Bonne, 15 décembre 1835, il n’y a pas eu de variations depuis.
Le gouvernement prussien accorde même des prix de faveur aux industries qu’il
veut encourager. De pareils procédés sont-ils possibles sous un gouvernement
libre, exploitant sans avoir le monopole ?
Le chemin de fer
qu’on a si souvent cité, m’offre à mon tour un exemple. C’est certainement le
moyen le plus expéditif et le moins coûteux de transport, et cependant il
existe des réclamations ; on se plaint que le gouvernement exige trop.
La houillère de Kerkraede m’offre un autre exemple, encore plus complet ;
jusqu’à présent, on n’est pas parvenu à faire travailler les ouvriers comme
dans les exploitations particulières c’est-à-dire à la tâche. Ils travaillent,
assurés d’un salaire fixe, et fournissant par jour ce qu’ils veulent.
Pour fixer le prix
de la houille, on cherche à se rapprocher de la moyenne du prix des quatre
houillères les plus voisines. Ces quatre houillères sont les suivantes :
Wandre, à Wandre
(grosse houille, en quintal métrique : 2 fr., et menue houille, même mesure : 1
fr. 14 c.)
Cheratte, à Cheratte (grosse houille, en quintal métrique : 2 fr. 15
c., et menue houille, même mesure : 1 fr.)
Minerai, à Thimister (grosse houille, en quintal métrique : 2 fr. 66
c., et menue houille, même mesure : 1 fr. 10 c.)
Jeanson, à Battice (grosse houille, en quintal métrique : 2 fr. 66 c.,
et menue houille, même mesure : 1 fr.)
Le prix de la
grosse houille, à la houillère domaniale, est de 2 fr. 10 c. le quintal
métrique, et celui de la menue houille de 50 c. la cuve pesant 60 kilog ;, et par conséquent, de 83 c. le quintal métrique.
La houille de Kerkraede est considérée comme de première qualité, et
cependant on trouve trop élevés les prix aussi équitablement établis.
Je crois donc
devoir répéter : n’attirez pas à vous la question du salaire de l’ouvrier et
celle du prix de consommation ; ne vous commettez pas dans cette lutte.
Parmi les
modifications dont la proposition de M. Rogier serait susceptible, j’en ai
indiqué une qui consisterait à accorder les concessions par adjudication
publique. Certes, si la situation était autre, si nous étions au lendemain de
la découverte de ce combustible, cette mise en adjudication pourrait offrir des
chances de bénéfices. Mais le sol n’est plus vierge, vous n’en avez plus le
monopole. Les concessionnaires par adjudication devront entrer en concurrence
avec des exploitations nombreuses que vous ne pouvez déposséder, dont vous ne
pouvez même aggraver les, conditions. D’ailleurs, dans ce système, il faut
résoudre une première question. Ce système emporte-t-il expropriation du
propriétaire de la superficie ? Dans le cas de la négative, que donnerez-vous à
celui-ci ? Quelle part lui attribuerez-vous dans le montant de l’adjudication ?
Nous ne voulons pas
de monopole. C’est un point sur lequel nous sommes tous d’accord. Partant de
là, je vous dirai qu’il ne faut pas aggraver outre mesure la condition des
nouveaux concessionnaires. La condition des exploitants actuels que vous ne
pouvez changer deviendrait trop favorable, aucune concurrence ne serait
possible et cependant c’est la concurrence que vous voulez. Vous avez pensé que
la loi de 1810 dont nous voulons néanmoins la mise en exécution avait été
injuste envers le propriétaire de la superficie, vous lui avez accordé une
redevance plus forte et dans certain cas le droit de préférence. J’ignore si
l’on tentera de lui accorder davantage.
Si des amendements
étaient proposés dans ce sens, le gouvernement les combattrait.
Je dois même dire
dès à présent que le droit de préférence est sans sanction. Il faudrait que le
propriétaire qui a revendiqué le droit de préférence fût tenu d’exploiter
réellement dans un délai fixé. Il nous manque une loi générale sur les
déchéances en matière de concession.
Cette loi, je
l’espère, pourra vous être présentée dans la session prochaine ; elle devra
renfermer une disposition relative à l’exercice du droit de préférence. C’est
sous cette réserve que le gouvernement accepte le projet de loi.
Selon moi,
messieurs, la mission du gouvernement n’est pas d’exploiter ; il doit en
général se borner à surveiller les exploitations.
Je terminerai en
touchant à une question qui inquiète beaucoup d’esprits et qui se rattache au
moins indirectement à cette discussion.
On se demande si la
quantité de houilles que renferme le sein de la terre, est susceptible d’épuisement.
Je crois,
messieurs, que la question est mal posée.
Il faut se demander
si la quantité de houille d’une exploitation facile ou lucrative est
susceptible d’épuisement.
Et ainsi posée, la
question est digne des plus sérieuses réflexions.
Comparons la
production de
Il y a en France
157 mines de houilles en activité, et 54 non exploitées ; elles occupent 15,913
ouvriers, et fournissent annuellement 1,991,965 tonneaux métriques, un peu
moins de 2 millions. (Annales des mines.)
La province du
Hainaut seule produit davantage.
D’après les
tableaux qui vous ont été remis par M. le ministre de l’intérieur, le Hainaut a
produit 1,827,759 tonneaux pour les 9 premiers mois de 1836 et 619,027 pour les
trois autres mois, 2,446,786 fr. en tout.
On peut estimer que
le reste de
En moyenne on
pourrait ainsi, eu égard à un certain nombre d’années, évaluer les produits :
Premier district
des mines, 1,400.000 tonneaux.
Deuxième district,
600,000 tonneaux.
Troisième district,
150,000 tonneaux.
Quatrième district,
150,000 tonneaux.
Cinquième district,
450,000 tonneaux.
Sixième district,
308,000 tonneaux.
Septième district,
100,000 tonneaux.
Total, 3,000,000
tonneaux.
L’Angleterre
fournit environ 21 millions de tonneaux de houille, donc 7 fois autant que
Notre production
est donc inférieure à celle de l’Angleterre et supérieure à celle de
L’exploitation la
plus profonde que l’on m’ait indiquée à
Le prix de la
houille augmentera, et cette augmentation influera sur tout ce qui est produit
à l’aide de ce combustible. Ce sont là des éventualités perdues pour ainsi dire
dans le lointain des âges. Est-il réservé à l’homme de découvrir des moteurs
plus puissants que ceux que nous employons ? Lui est-il réservé de découvrir un
moyen de suppléer aux combustibles actuellement connus qui viendraient à lui
manquer ?
Usufruitiers du globe, il ne nous est pas permis de nous considérer
isolément et de mépriser les plaintes des générations à venir, à quelque
distance que ces plaintes nous attendent et nous menacent. Nous devons nous
féliciter de l’ignorance de nos pères ; s’ils avaient su exploiter comme nous,
en ne reportant la découverte de la houillie qu’au
XIVème siècle, le sol serait probablement épuisé à 4 ou
Que conclure,
messieurs, de ces conjectures qui paraîtront bizarres à ceux qui ne se
préoccupent que du présent, laissant à la providence et au génie de l’homme le
soin de l’avenir ? Faut-il restreindre les exploitations actuelles,
suspendre les concessions futures ? Telle n’est pas ma pensée ; l’épuisement
fût-il certain et peu éloigné, les générations présentes auraient encore le
droit de jouir, mais sagement, mais prudemment ; elles n’auront encouru aucun
reproche, si dans le dépôt général, elles ne se sont point attribué une part
plus forte que celle qu’exigeaient leurs véritables besoins.
En présence de ces
appréhensions que soulève l’avenir, je ne donnerai au gouvernement que le
conseil d’exploiter lui-même, ni celui de défendre d’exploiter ; je répéterai :
surveillez les exploitations, forcez l’exploitant à ne pas négliger la couche
peu lucrative à côté de la couche très abondante, cherchez à prévenir les
accidents qui ont amené l’abandon de tant d’exploitations commencées ;
surveillez, mais n’exploitez point.
(Moniteur belge n°98, du 8 avril 1837) M. Devaux. - Je rends grâce à l’orateur qui vient
de se rasseoir d’avoir posé la question sur un terrain plus sérieux qu’elle ne
l’avait été au commencement de la séance.
Moi aussi, je vois dans
la proposition de mon honorable ami une idée et une idée fort sérieuse. Je la
trouve grave dans son principe et dans ses conséquences. Je désire qu’elle soit
examinée sérieusement. Dans d’autres pays, elle a été jugée dans des termes
déjà fort honorables pour son auteur.
Je crois qu’il a
fallu, pur faire cette proposition, un certain courage, qualité qui manque
rarement à mon honorable ami ; car c’était, dans le pays, affronter à la fois
la routine et l’intérêt, c’est-à-dire deux grandes et redoutables puissances,
en face desquelles il n’est pas donné à tout le monde de se poser.
Une chose m’étonne
: ce n’est pas que la proposition ait rencontré des objectons, c’est qu’elle
n’en ait pas rencontré davantage ; c’est que les intérêts privés ne soient pas
venus réclamer contre son adoption par des pétitions.
Je n’aurais pas été
étonné que tout en accordant à cette proposition l’importance qu’elle mérite,
elle eût été accueillie avec une certaine défaveur.
Je crois que si, à
l’époque de la discussion du projet de loi relatif au système des chemins de
fer, un député n’ayant pas d’autre caractère que celui de député, était venu,
contrairement au ministère, proposer la construction des chemins de fer par le
gouvernement, il aurait été reçu avec peu de faveur ; il aurait risqué d’être à
peu près seul pour soutenir sa proposition, et tout au moins aurait été
éconduit par une solennelle majorité.
Il est très
difficile de soutenir de telles propositions sans l’appui du gouvernement.
Toutefois, sans son appui, la discussion peut porter ses fruits, sinon
aujourd’hui, du moins dans l’avenir. Si le temps doit agit sur cette question
comme sur la question des chemins de fer, mon honorable ami ne doit pas
désespérer qu’en cette matière encore on ne finisse par lui rendre justice.
Avant d’entrer dans
la discussion de la proposition en elle-même, je dirai un mot sur le vague qui
lui a été reproché. Je trouve que ce vague était nécessaire. D’abord la
question était si nouvelle qu’elle est restée inaperçue dans deux ou trois discussions
de la loi des mines. L’honorable membre qui l’a soulevée n’a pas voulue qu’elle
fût posée dans des termes tels qu’elle dût être tranchée au moment même ; car
s’il avait voulu faire une proposition formelle, elle aurait pu avoir une
solution deux jours après sa présentation.
Il fallait
d’ailleurs, puisqu’on demandait une commission d’enquête, lui laisser quelque
latitude, poser la question en termes très généraux, afin que la commission pût
l’examiner sous toutes ses faces et rechercher les diverses manières d’en tirer
profit.
Celui qui l’a faite
a dit à la chambre : « Voici une question qui a été inaperçue jusqu’ici ;
je la dénonce comme très grave, et je demande que vous l’examiniez. Je ne vous
demande pas que vous en donniez telle ou telle solution déterminée, mais je
demande que vous l’examiniez, afin d’arriver à une solution utile. L’auteur,
dans ses développements, n’a pas caché quelle était la solution qui lui
paraissait préférable à lui-même ; mais l’enquête qu’il demande peut mener,
sous ce rapport, à des résultats divers qu’il n’entend pas préjuger. »
C’est dans ce sens
que je viens appuyer la proposition ; je viens soutenir qu’elle mérite d’être
mûrement examinée et qu’il y a moyen d’en tirer plus d’un parti favorable, de
l’utiliser de diverses manières et d’après des systèmes très différents.
Vous voudrez bien
vous rappeler, messieurs, dans les cours des développements auxquels je vais me
livrer, que si je parle de tel parti à prendre à l’égard des houillères non
concédées, de tel mode d’intervention du gouvernement, je n’entends pas que ce
mode soit préférable à tous les autres, mais je le cite simplement pour
démontrer qu’il y a plus d’un moyen de tirer parti de la proposition.
La question que la
commission aurait à examiner serait réellement, à mon avis, la suivante :
« Y a-t-il des
moyens praticables de donner à l’Etat, à l’égard de nouvelles exploitations
charbonnières, des pouvoirs pour en tirer parti, et ayant ce double résultat de
profiter au trésor et de diminuer dans l’avenir les chances d’augmentation du
prix de la houille par suite de causes factices, telles que le monopole ou la
facilité de coalition des exploitants ? »
Posée dans ces
termes, je dirai que la question n’implique en aucune façon la nécessité pour
l’Etat de tout exploiter par lui-même et de ne rien concéder.
L’intention de
l’auteur de la proposition n’a jamais été de lier l’Etat au point qu’il ne
pourrait faire un choix pour lui-même, et abandonner aux concessionnaires ce
que lui n’exploiterait pas.
Je vais examiner,
en les prenant dans toute leur force, les objections les plus plausibles qui
ont été faites jusqu’à présent, et, tout en les examinant, je tâcherai
d’arriver à mon but qui est de prouver qu’il y a des moyens praticables
d’obtenir un résultat utile. Je tâcherai surtout de faire voir que ces
objections ne sont pas telles qu’elles doivent faire rejeter un examen
approfondi de la question, seule chose demandée.
Le ministre des
travaux publics, en vous parlant de la question de propriété, question dont je
ne m’occuperai pas, et dont je n’ai pas besoin de m’occuper, vous a dit que
faire exploiter les mines par l’Etat, c’était une expropriation complète.
Le législateur de
1810 me paraît avoir quelque peu joué sur les mots, s’il a dit que l’Etat
n’aura pas la propriété des mines, mais qu’il en aura la disposition. Mais
prenons cette législation telle qu’elle est ; puisque les mines sont tout au
moins à la disposition de l’Etat, pour adopter le fond de la proposition de M.
Rogier, il ne faut rien changer à la législation. L’Etat peut concéder à
lui-même comme il peut concéder à d’autres ; ainsi, l’adoption de
l’exploitation par le gouvernement n’est pas plus une expropriation complète à
l’égard du propriétaire de la surface que la loi de 1810 elle-même.
La première
objection à l’intervention du gouvernement, c’est naturellement ce lieu commun,
que le gouvernement, en toute chose, est un mauvais exploitant.
Pourquoi l’Etat
est-il nécessairement si mauvais exploitant ? Par deux raisons, dit-on : c’est
qu’il a trop à faire et qu’il est trop peu intéressé.
L’Etat a trop à
faire : singulière objection ! Quand une maison de commerce étend ses affaires,
trouve-t-on que ce soit trop d’occupation pour elle ? Quand nos établissements
financiers trouvent l’occasion d’étendre utilement leurs relations, est-il
jamais tombé dans l’esprit de leurs administrateurs de dire qu’ils avaient trop
d’affaires ?
Alors, ajoute-t-on,
il faut augmenter le personnel de l’administration. Mais si le résultat de
cette augmentation doit être un avantage, un bénéfice pour l’Etat, qu’importe
cette augmentation ?
L’Etat n’est pas
assez intéressé. Messieurs, sur cette question, l’action de l’intérêt privé, il
faut s’entendre. Sans doute, l’intérêt privé joue un grand rôle dans
l’industrie ; sans doute que l’intérêt privé donne une grande activité à la
surveillance et à la production, et qu’il est difficile de le remplacer ; il ne
faut rien exagérer cependant, et ne pas croire qu’en fait d’industrie ce soit
la seule chose à considérer.
Dans les pays où
l’industrie est le plus prospère, on voit aujourd’hui fleurir les sociétés ;
or, les sociétés, c’est nécessairement un affaiblissement de l’intérêt privé.
Lorsque trois ou
quatre personnes se réunissent pour une entreprise, le stimulant de l’intérêt
est déjà moindre que pour une entreprise individuelle ; augmentez le nombre des
associés, et le stimulant diminue encre ; créez une société anonyme avec un
très grand nombre d’actionnaires, et vous aurez beaucoup diminué l’énergie
primitive de l’intérêt privé. Or, il y a cela de particulier que les mines de
houille en général sont exploitées par des sociétés. Et quel rôle y joue cette
action de l’intérêt privé ? Les actionnaires ne conduisent pas eux-mêmes les travaux
de l’exploitation ; ils ont un ou plusieurs agents auxquels ils donnent un
tantième dans les bénéfices.
Nous avons deux
établissements financiers qui ont créé beaucoup de sociétés pour l’exploitation
des mines de houille ; eh bien, ce ne sont pas les chefs de ces sociétés
financières qui gèrent eux-mêmes les exploitations ; ce ne sont pas non plus
les actionnaires ; les véritables directeurs des entreprises sont sur les lieux
; on leur donne un intérêt dans les bénéfices. Qui empêche que l’Etat ne suive
le même mode ? Qui empêche que l’Etat, au lieu de donner des traitements fixes
à ses administrateurs, ne leur donne des tantièmes ? Ce ne sera pas une
innovation bien considérable ; c’est déjà même le mode de traitement que l’Etat
applique aujourd’hui à ses receveurs.
Mais, dit-on, le
gouvernement choisira mal ; il faut que les intéressés, les actionnaires
nomment eux-mêmes. Examinons la valeur de cette assertion.
Dans la plupart des
sociétés nouvelles qui existent chez nous, ce ne sont pas les actionnaires qui
ont nommés leurs administrateurs ; ils sont nommés par les fondateurs. Dans les
deux banques qui existent à Bruxelles qui est-ce qui nomme les directeurs ?
C’est le gouvernement. En France, les administrateurs de la banque sont nommés
par le gouvernement…
M. Meeus. - Le gouverneur seul est, en France,
nommé par le gouvernement.
M.
Devaux. - Soit, le gouverneur d’une banque n’en est pas le personnage
le moins important. (On rit.)
Cependant, nous ne
voyons pas qu’en France, non plus que chez nous, le gouvernement fasse de si
mauvais choix.
Nous avons deux
anciens ministres des finances qui sont à la tête de grandes banques ;
croyez-vous que, comme ministres, ils avaient moins d’intelligence pour faire
un choix qu’ils n’en ont comme chefs de banques ? Croyez-vous qu’ils n’auraient
pas tout aussi bien jugé du mérite de leurs agents comme fonctionnaires
d’établissements particuliers ? C’est le gouvernement qui a choisi les
ingénieurs des mines, sont-ils incapables ? Nous voyons que les sociétés
cherchent à les attirer à elles, ou qu’elles demandent au gouvernement de les
leur prêter.
Mais, dit-on,
autour du gouvernement s’agite toujours l’intrigue ; les intérêts des
établissements seraient oubliés et l’intrigue l’emporterait : les places
seraient données aux protégés.
Je le demande,
messieurs, serait-il plus facile au ministère qu’à une société de se laisser
aller à l’intrigue ? Où la surveillance est-elle plus sévère ? dans le
gouvernement ou dans les sociétés particulières ? Croyez-vous que dans les
sociétés toutes les opérations soient percées à jour comme le sont ici
journellement les opérations du gouvernement ? Croyez-vous que tout le monde
soit appelé à vérifier les comptes des sociétés particulières, qu’il y ait une
armée de journaux toujours sous les armes pour combattre les sociétés comme il
y en a une pour combattre le gouvernement ? Croyez-vous qu’à chaque instant les
administrateurs des sociétés puissent être appelés à répondre à des interpellations
de toute espèce, à faire des rapports et des communications de tous genres ;
qu’ils puissent être démissionnés à chaque moment ? Croyez-vous que dans les
sociétés particulières il y ait beaucoup d’exemples d’une administration
contrôlée, persécutée, comme l’a été celle du service de santé, d’un marché
scruté comme l’a été celui des lits militaires ? Croyez-vous que de semblables
discussions s’élèvent dans les assemblées générales des sociétés particulières
? Non, sans doute.
Il y a dans les formes
de notre gouvernement, vingt fois plus de garantie contre l’intrigue dont on
parle, que dans l’administration des sociétés particulières.
L’honorable
ministre des travaux publics a dit : « Mais voyez les difficultés qui
naîtraient du système de M. Rogier : il y a dans telle mine autant d’hommes
tués, autant de valeurs perdues ; voyez quels reproches, quelles malédictions
de semblables malheurs attireraient sur le ministère, si le gouvernement
exploitait les mines ! » Cela prouve l’existence de la surveillance dont
j’ai parlé tout à l’heure ; cela prouve encore que le système de mon honorable
ami n’a point été calculé pour la plus grande aisance personnelle des ministres
; mais je crois que ce n’est pas un motif pour le rejeter. Le ministère, si
l’intérêt du pays le réclamait, se résignerait volontiers, je pense, à ces
inconvénients personnels.
M. le ministre des
travaux publics a énuméré toutes les difficultés de l’exploitation des mines.
Il en a mesuré la profondeur ; il a mesuré les veines ; il a énuméré toutes les
opérations nécessaires pour l’extraction des houilles. Je lui sais gré de tous
ces détails, mais je lui demanderai ce qu’ils prouvent ; je lui demanderai si
les sociétés particulières ne rencontrent pas toutes ces difficultés, si elles
ne doivent pas faire toutes ces opérations ?
Je me suis arrêté
jusqu’ici sur le système de l’exploitation par le gouvernement lui-même, et
cependant ce n’est pas là le seul résultat que l’enquête demandée peut
atteindre ; car j’appelle votre attention sur ce point, que la proposition de
mon honorable ami ne dit en aucune façon que le gouvernement doive exploiter
lui-même ; c’est là l’opinion que l’honorable M. Rogier a développée dans les
motifs qu’il a fait valoir à l’appui de sa proposition, mais ce n’est nullement
le sens exclusif de sa proposition elle-même. Je crois qu’on pourrait en tirer
parti de plusieurs manières, et qu’il n’y aurait, à cet égard, que l’embarras
du choix.
Ainsi, on a déjà
dit, un adversaire de la proposition de M. Rogier a même publié, qu’on pourrait
adjuger les houillères ; et telle est l’opinion de plusieurs membres de la
chambre qui se sont opposés à l’exploitation par le gouvernement ; voilà donc
un des résultats que la commission pourrait tirer de la proposition. Il en est
bien d’autres ; ainsi on pourrait louer les houillères : il n’y a pas longtemps
que cela s’est fait, et je crois même que cela se fait encore dans la province
du Hainaut. Cette espèce de location porte, je crois, le nom de reprise à
forfait ; des personnes bien au fait m’ont assuré que les mines, ainsi louées,
prospèrent et soutiennent très bien la concurrence avec les autres houillères.
On pourrait encore
soumettre les concessions à un impôt, soit en nature, soit en argent, et c’est
encore une opinion qui a quelques partisans ; quant à moi je vous dirai que les
derniers moyens que je viens d’indiquer ne sont point ceux que je préfère. Il
en est d’autres encore ; par exemple, on pourrait soumettre les concessions à
une condition de rachat : il existe des pays où l’on ne concède certaines
communications, soit des routes en fer, soit des canaux, qu’avec la condition
que le gouvernement pourra les racheter s’il le juge à propos dans tel terme et
moyennant tel prix dont la base est fixée d’avance ; je crois même qu’ici le
gouvernement a l’intention d’introduire cette clause dans les concessions qu’il
fera à l’avenir, et je ne sais même s’il n’en a pas fait usage. Pour appliquer
une pareille clause aux concessions de houille, il faudrait peut-être quelques
changements dans la rédaction ; mais ce serait encore là un moyen d’empêcher
que ce combustible atteigne un prix trop élevé, et de faire profiter l’Etat des
bénéfices que les particuliers retirent de biens qu’il leur a gratuitement
concédés.
Je vais signaler un
autre moyen encore d’atteindre au moins partiellement à ce double but ; à
défaut de l’exploitation des houillères par l’Etat, l’Etat pourrait se rendre
actionnaire dans les sociétés concessionnaires dans telle proportion qu’il le
jugerait convenable, sauf à fournir des capitaux dans la proportion des actions
qu’il prendrait et sous la condition encore qu’il nommerait une partie des
directeurs : ainsi, quand une concession serait demandée, après avoir pris
connaissance des noms des concessionnaires, de la manière dont ils se sont
assurés si le terrain est propre à être exploité ; après s’être assuré par ses
propres ingénieurs que l’exploitation présente des avantages, l’Etat pourrait
dire : « Oui, je vous accorde la concession mais à condition que je serai
actionnaire pour 1/3, 1/2, 3/4 ; que je fournirai 1/2, 1/3, 1/4 des capitaux,
et que je nommerai tel nombre déterminé des administrateurs. » De cette
manière, messieurs, l’Etat ne serait plus exploitant, il serait actionnaire,
mais il aurait pour auxiliaire l’intérêt privé des autres actionnaires qui
nommeraient ici la moitié, là les deux tiers, des administrateurs ; ainsi,
messieurs, l’Etat exercerait son influence sur le prix des combustibles, non
pas en restant le maître, mais en s’entendant avec les autres actionnaires, en
un mot, en fixant le prix d’une manière contradictoire. Cette idée, messieurs,
n’est pas très nouvelle ; elle est appliquée dans un pays qui passe pour la
terre classique de l’association, de l’esprit d’entreprise, qui passe même pour
la terre classique du pouvoir faible, aux Etats-Unis, et pour une industrie
bien autrement compliquée et délicate dans ses opérations que l’exploitation
des mines de charbon. Il existe aux Etats-Unis (et ceci répond à ce que disait
tout à l’heure M. le ministre des travaux publics, qu’un pareil système
d’exploitation n’avait existé jusqu’ici que dans des gouvernements absolus) ;
il existe, dis-je, aux Etats-Unis des exploitations dirigées par l’Etat, de
quelle industrie ? De la banque, messieurs, de l’industrie d’argent. Aux
Etats-Unis, on a reconnu qu’il est avantageux que l’Etat exerce certaine
surveillance sur les banques et qu’il participe à leurs bénéfices. Je ne parte
pas en ce moment des Etats de l’union américaine qui ont érigé des banques du
gouvernement ; il est bon de remarquer cependant que là où certainement il n’y
a pas de grands préjugés en faveur du pouvoir, on ne le trouve cependant pas si
mauvais exploitant, car il y a dans ce pays des Etats où les banques sont
entièrement la propriété du gouvernement ; ce sont
Par ce système, les
Etats interviennent dans la nomination des directeurs ; ainsi, ils surveillent
ces institutions et profitent des bénéfices, c’est-à-dire qu’ils atteignent
précisément le double but que nous avons en vue pour les houillères.
Et remarquez,
messieurs, que dans ce système toutes les objections qu’on a faites
disparaissent ; ainsi, par exemple, on ne peut plus dire que l’Etat sera un
mauvais exploitant, car ce n’est pas l’Etat qui exploite ; c’est une société
dont l’Etat fait partie comme les particuliers ; on ne peut dire que l’Etat ne
sera pas assez intéressé à tirer le meilleur parti de l’exploitation, car son
intérêt ne sera pas seul en action, il sera aidé et surveillé par l’intérêt
privé.
On a parlé tout à
l’heure des inconvénients qu’il pourrait y avoir à ce que l’Etat fixe le prix
de ses charbons. On craint qu’il ne soit trop favorable aux consommateurs, et
qu’il n’abaisse trop le prix. C’est peut-être la première fois qu’on
redouterait d’un gouvernement qu’il ne fût trop peu fiscal. L’Etat aujourd’hui
ne peut-il pas exercer une grande influence sur les prix de la plupart des
produits industriels, de la houille entre autres, par le tarif des droits
d’entrée ? Voit-on qu’il abuse de ce droit ? Est-il
bien porté à sacrifier les producteurs aux consommateurs, comme on le craint
pour la houille ? Il me semble qu’à en juger par le passé, il y aura un peu
plus de vraisemblance dans une crainte tout à fait opposée, et que jusqu’ici
les intérêts des producteurs se sont fort bien tirés de la lutte.
Mais, dans le
système mixte dont je parlais tout à l’heure, ce n’est pas l’Etat qui fixe le
prix, ce sont les sociétés ; l’Etat n’y exerce que sa part d’influence par un
certain nombre d administrateurs qu’il nomme ; les prix sont fixés après avoir
entendu tous les intérêts, et la présence des agents du gouvernement est au
moins une espèce de garantie contre les envies du monopole ou les manœuvres de
coalition.
On craignait,
messieurs, que, si l’Etat exploite par lui-même, il ne lui fallût trop de
capitaux, trop d’argent. Eh bien, que si l’Etat se rend actionnaire, vous
réduisez à l’instant de moitié, de deux tiers, le capital nécessaire. Faut-il
être cependant bien en peine de ces capitaux ? l’Etat trouve-t-il beaucoup de
difficulté à en emprunter ? Non, sans doute. Mais, dit-on, ce n’est pas
l’emprunt qui est difficile à réaliser, ce sont les charges qui résultent de
l’emprunt qui sont à craindre ; charges certaines, tandis que les bénéfices
sont incertains.
Les bénéfices,
dit-on, sont incertains. Mais croyez-vous, messieurs, que l’Etat, lorsqu’un
concession serait demandée, voyant les noms des concessionnaires et les
garanties de capacité et d’expérience qu’ils offrent ; croyez-vous, dis-je, que
l’Etat, après avoir consulté ses agents, ne puisse pas choisir quelques houillères
dans lesquelles il ne court aucun risque de s’associer ? Est-il possible de
croire qu’il n’y ait aucun bénéfice à réaliser dans l’industrie des houillères
? Ne connaissons-nous pas tous l’avenir de prospérité qui est réservée à cette
industrie ? Ne savons-nous pas tous l’extension du prix et de la consommation
du charbon ?
On a parlé tout à l’heure des accidents auxquels
les exploitations charbonnières étaient exposées. Or, ces chances, qui serait
mieux en position de le supporter que l’Etat, qui n’interviendrait pas dans une
seule, mais dans un certain nombre ? Ses diverses exploitations formeraient
entre elles une société d’assurance mutuelle, une société de mutualité, si l’on
veut, puisque j’entends prononcer le mot.
Je sais, messieurs,
que dans les pays houillers il existe une espèce de proverbe : que les premiers
exploitants se ruinent toujours. Quand j’ai demandé à des extracteurs si cela
était encore vrai aujourd’hui, la plupart m’ont répondu de bonne foi qu’il n’en
était rien.
Et en effet, messieurs,
les choses sont bien changées depuis quelques années. D’abord, l’augmentation
du prix du combustible est considérable ; il y a plus de facilité à réunir les
capitaux ; enfin, les moyens d’extraction de toute espèce ont été
successivement perfectionnés.
M. le ministre des
travaux publics a dit, je crois, en citant la houillère d’Anzin, qu’on y avait
enterré des millions avant d’en retirer aucun profit. En bien, si je m’en
rapporte à un journal que j’ai lu dernièrement, le taux des actions de la houillère
d’Auzin, qui était primitivement de 6,000 fr., serait
aujourd’hui de 10,000 fr. S’il en est réellement ainsi, je crois que le
gouvernement en France n’aurait pas perdu grand-chose à faire par lui-même
l’exploitation d’Anzin, même au prix de quelques millions.
Les demandes en
concession, messieurs, ne sont-elles pas une preuve suffisante qu’il y a des
bénéfices à retirer de l’exploitation des houillères ? Il y a, si je ne me
trompe, 100 à 200 demandes de ce genre sur lesquelles il faut statuer, sans compter
celles que vous aurez encore ; or, peut-être croire que si l’industrie
charbonnière offrait peu ou point de chances de profit, cent sociétés se
présenteraient pour demander à grands cris l’autorisation de se ruiner ? Et
remarquez, messieurs, que la plupart de ces demandeurs en concession sont
d’anciens exploitants, et que la requête de la plupart d’entre eux est
antérieure et à l’augmentation du prix de la houille et à la facilité qui
existe aujourd’hui de réunir des capitaux.
Mais, dit-on, les
charges sont certaines ; je le veux bien ; il n’est guère possible de faire des
bénéfices sans qu’il faille s’imposer quelques charges. Ces charges, quant à
moi, ne m’effraient pas. Du reste, ne pourrait-on pas les réduire ? Je crois
qu’il y aurait un grand choix de moyens financiers, pour parvenir à ce but.
Trouvez-vous, par exemple, que l’emprunt direct, ordinaire, est trop onéreux ?
Eh bien, vous avez une autre ressource. Lorsqu’en France on a creusé des canaux
et qu’on n’a pas voulu contracter un emprunt direct pour faire face à la
dépense, on a créé, je crois, des actions en jouissance, actions qui ont droit
à un certain dividende. On peut ne garantir à l’emprunt aucun intérêt fixe,
mais lui attribuer le dividende éventuel jusqu’à concurrence de tel taux déterminé.
On peut garantir une partie de l’intérêt fixe, 3 p. c. par exemple, et y
ajouter une partie du dividende éventuel. Si j’avais les habitudes financières
de quelques membres de cette assemblée, je trouverais, j’en suis sûr, non pas
une, mais au moins vingt manières différentes de marier ces combinaisons.
Mais, dans le
système mixte que je citais tout à l’heure, cela est inutile. Le gouvernement,
intervenant avec d’autres actionnaires, pourrait agir en toute sécurité. Je
crois qu’avec 10, 12 ou 20 millions employés dans un laps de plusieurs années,
l’Etat pourrait intervenir utilement, fût-ce dans 50 ou 100 houillères ; il
interviendrait suivant les chances de bénéfices et aussi suivant sa position
financière.
On a dit dans la
séance d’hier que les produits venant de cette source feraient défaut dans des
moments de guerre : messieurs, il en est
ainsi de tous les impôts indirects. Mais je crois moi que ce serait se créer
une ressource pour les moments difficiles. Viennent ces moments, et lorsque
vous voudrez vous défaire de vos actions, il est très probable que vous
pourriez vous en défaire avec bénéfice ou tout au moins vous pourrez emprunter
sur vos actions à des conditions plus favorables que vous ne feriez un emprunt
ordinaire.
Il y a, messieurs,
entre le système que nous combattons et le nôtre, cette grande différence :
c’est que si vous commencez par adopter la loi sans préliminaires, si vous
concédez purement et simplement, et si plus tard vous reconnaissez que vous
avez été dans l’erreur, vous ne pourrez plus la réparer ; dans notre système,
au contraire, si vous reconnaissez que vous vous êtes trompés, vous vous
arrêtez quand vous voulez ; vous vendez vos propres exploitations, et vous les
vendrez probablement avec bénéfice.
Messieurs, si l’on
venait vous demander de voter ici un impôt, non pas un impôt d’un an, mais un
impôt permanent ; si on vous demandait de le voter sans en bien examiner la
nécessité, adopteriez-vous cet impôt ? Refuseriez-vous d’examiner préalablement
la question de nécessité ? Eh bien, messieurs, ce qu’on propose est uniquement
cela ; car mon honorable ami se borne à demander qu’on examine s’il n’y a pas
moyen d’épargner au pays, non pas un impôt d’un an, mais un impôt permanent :
c’est bien la portée de la proposition de M. Rogier. En effet, s’il y a là, comme l’enquête pourra
l’établir, des bénéfices à faire, évidemment ces bénéfices remplaceront
l’impôt, c’est-à-dire, que si vos dépenses doivent augmenter par la suite, ces
bénéfices tiendront lieu de l’augmentation d’impôts ; que si au contraire vos
dépenses restent au même niveau, les bénéfices dont il s’agit viendront à la
décharge de l’impôt ordinaire.
Messieurs, l’impôt
a toujours été la grande difficulté des gouvernements ; tout le monde a reconnu
jusqu’ici que l’impôt était un mal en soi, un mal nécessaire. Or on vient vous
offrir maintenant un équivalent de l’impôt : loin d’être un mal, cet équivalent
serait un bien en soi qui, s’il était accepté, serait utile à tout le monde ;
un impôt, enfin, pour ainsi dire sans contribuables.
Je crois,
messieurs, que rejeter légèrement un pareil moyen, ce serait agir avec bien peu
de souci pour l’avenir ; ce ne serait pas là, à mon avis, un acte digne d’une
législature.
J’avoue, messieurs,
que quand je vois dans les budgets des Etats d’Amérique figurer, en recette,
des sommes de plusieurs millions de francs, provenant des péages des routes
exécutées par le gouvernement ; puis d’autre sommes provenant des bénéfices des
banques, où les gouvernements des Etat interviennent, je me dis que sans doute
ce pays se trouve aussi bien de ce mode de faire des ressources au gouvernement
que si ces millions étaient le produit de l’impôt.
Il me reste peu de
mots à ajouter.
On a craint l’envahissement
de toutes les industries par le gouvernement ; on a dit que si le gouvernement
se met à extraire de la houille, il finira par cultiver des champs de pommes de
terre. C’est là une exagération. Je suis persuadé que l’orateur à qui elle est échappée
conviendrait lui-même que ses craintes ne sont pas très vives.
Je crois que
personne ne craint que le gouvernement cultive un champ de pommes de terre.
Lors de la discussion de la loi du chemin de fer, nous avons entendu des
objections de ce genre, on vous a dit aussi que le gouvernement allait tuer des
associations.
Je ne crois pas que
le gouvernement ait tué les associations en établissant le chemin de fer ; au
contraire ; c’est depuis lors qu’elles sont venues au monde, et l’influence
morale de progrès qu’a exercée sur les esprits l’établissement du chemin de fer
a été, à mon avis, pour beaucoup dans l’esprit nouveau qui anime en ce moment
l’industrie de
Je ne crains pas
non plus que le ministre de l’intérieur mette sur sa porte un jour :
« Fournisseur breveté de la cour. » Je vois dans presque tous les
pays le gouvernement réserver au domaine les mines de sel et de métaux
précieux.
Je ne crois pas que
les ministres de Prusse, de France et d’Autriche soient déshonorés par ces
opérations de leur gouvernement, pas plus que le ministre des travaux publics
en Belgique n’est déshonoré de la part qu’il prend à l’exploitation du chemin
de fer.
Je dis que dans
presque tous les pays le gouvernement s’est réservé les mines de sel et de
métaux précieux. Pourquoi dans quelque pays a-t-on fait une exception pour le
charbon ? c’est que la valeur du charbon est une chose toute nouvelle ; c’est
qu’il y a peu de temps une mine de charbon n’avait de valeur que celle
représentant le travail et les capitaux qu’on y employait.
Aujourd’hui, il
n’en est plus de même. Si vous donnez aujourd’hui une concession, le lendemain,
elle sera une valeur négociable à la bourse. C’est une richesse que vous avez
en caisse et que vous mettez dans les mains d’un particulier. Soyez bien sûrs
que plus d’un de vos concessionnaires, le lendemain du jour où il aura obtenu
sa charte de concession, la vendra avec de beaux bénéfices. Voilà la différence
qui existe entre les mines de charbon d’aujourd’hui et les mines de charbons
d’autrefois ; voilà pourquoi si on commençait aujourd’hui à exploiter les
charbons aux frais des gouvernements, les gouvernements feraient à l’égard des
mines de charbon ce qu’ils ont fait à l’égard des mines de sel et de métaux.
Je termine par la
fin de non-recevoir qu’on a élevée contre la proposition de mon honorable ami.
On vous a dit :
« Nous avons besoin de charbon, nous en avons un besoin urgent ; l’examen
de cette proposition peut entraîner plusieurs mois de retard, il faut passer
outre ; à tout prix, il faut des concessionnaires quelles qu’elles
soient. » C’est ce que je ne puis admettre. S’il existe encore une grande
quantité de charbon à exploiter, la question en est d’autant plus importante à
examiner ; s’il en reste peu, la loi ne presse pas tant, car son résultat sera
faible.
Mais pourquoi la
demande-t-on avec tant d’instance ? Pour diminuer, dit-on, le prix de la
houille. Mais cette diminution, quand l’obtiendrez-vous ? quand la loi
agira-t-elle ? quand les exploitations nouvelles seront-elles à fruit ? dans
dix-huit mois, deux ans ! Et combien de temps cette baisse durera-t-elle ?
Le but de la
proposition, c’est de régulariser le prix de la houille à tout jamais,
d’obtenir une garantie permanente contre les augmentations factices.
Je ne conçois pas qu’on
puisse envisager la question seulement dans le résultat passager qu’elle
offrira deux ans ;
C’était vers la fin
de 1831 ; l’Etat avait besoin d’argent, on proposa un emprunt forcé de dix
millions de florins. Cet emprunt résolu, la question était de savoir quand il
serait remboursé. Je fis tous mes efforts pour que ce ne fût qu’en 1835 ou au
moins en 1834. Avant deux ans, me disait-on, nos affaires devaient être
établies sur le pied de la stabilité et de la prospérité, ou elle ne le
seraient jamais. Je fis voir que les difficultés dans lesquelles nous nous
trouvions pourraient se prolonger, que dans tous les cas chaque année
améliorerait notre position financière. Il fut impossible de faire comprendre
une chose qui paraît aujourd’hui si simple.
On adopta que les
bons de l’emprunt seraient remboursés, ou ce qui revenait au même, reçus comme
numéraire, dans les caisses de l’Etat dès le deuxième semestre de 1832.
Qu’en est-il
résulté ? Il a fallu emprunter avant 1833 pour remplacer ces 10 millions de
francs ; l’emprunt a dû se faire, quand nos fonds étaient cotés à 75 : si on
avait remboursé une année plus tard, ils étaient à 95 ; on eût gagné 20 pour
cent à emprunter un an plus tard ; on a ainsi perdu par imprévoyance 4 à 5
millions de francs.
Je crois que les
obligations de l’emprunt forcé n’en ont pas valu un denier de plus ; ils ont
été remboursés un an plus tôt, mais le pays a payé l’escompte un peu plus cher
: 4 à 5 millions, et une année d’intérêt du capital nominal tout entier.
Voilà le danger de
se laisser préoccuper par les idées du moment au point de faire complètement abstraction
de l’avenir.
Si mon honorable
ami, en entrant au ministère, s’était empressé, sans souci de l’avenir, de
concéder le chemin de fer, comme on le demandait, vous l’auriez eu peut-être
quelques mois plus tôt ; mais aussi le public à tout jamais aurait payé 4 et
cinq fois plus.
Je croirais donc,
messieurs, faire acte d’imprévoyance et de légèreté, si je rejetais sans plus
ample examen une proposition qui ne tend qu’à demander un examen approfondi
d’une question aussi importante, et qui peut avoir des résultats si favorables
pour l’Etat et pour l’industrie.
- La séance est
levée à 4 heures 3/4.