Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés
Bibliographie et liens
Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du mercredi 8 mars 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant un crédit provisoire au budget du département
de la guerre pour l’exercice 1837 (Willmar, d’Huart, Raikem)
3) Fixation de l’ordre des travaux de la chambre. Impôt sur les
distilleries et/ou conseil des mines (Dumortier, Gendebien, Dumortier, Desmet, Gendebien, d’Huart, Gendebien, Desmet, Gendebien, d’Huart)
4) Projet de loi portant un crédit provisoire au budget du département
de la guerre pour l’exercice 1837 (Desmaisières, d’Huart)
5) Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour
l’exercice 1837. Discussion des articles. Gratification spécifique pour les
sous-officiers promus officiers (de Puydt, Verdussen, de Puydt, Willmar, Verdussen, Gendebien, de Bassompierre,
Verdussen), marché des lits militaires (marché Félix
Legrand), comptabilité publique et responsabilité ministérielle (Dequesne, Fallon, Milcamps)
(Moniteur
belge n°68, du 9 mars 1837 et Moniteur belge n°69, du 10 mars 1837)
(Présidence de M. Fallon, vice-président.)
(Moniteur
belge n°68, du 9 mars 1837) M. de Renesse fait
l’appel nominal à midi et demi.
M.
Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en
est adoptée.
M.
de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Vandael,
chevalier de la légion d’honneur, à Mons, demande de nouveau sa pension de
légionnaire. »
________________
« La dame veuve Nauwelaers, à Berchem, réclame le paiement de l’indemnité
qui lui revient du chef des pertes qu’elle a essuyées en 1830 et en
1831. »
________________
« Le sieur J.-B. Verhaegen, à Bruxelles,
réclame une indemnité de la perte de ses vêtements par suite de l’agression
hollandaise en 1830. »
________________
« Un grand nombre d’habitants de la
commune de Stabroeck demandent que la chambre alloue
les fonds nécessaires à la construction d’une digue intérieure. »
________________
- La dernière pétition
est renvoyée à la commission des polders ; les autres sont renvoyées à la
commission des pétitions.
________________
M. Desmanet de Biesme, venant de
perdre son beau-père, écrit à la chambre qu’il est obligé de s’absenter.
________________
Le sénat informe la
chambre qu’il a adopté le projet de loi sur les naturalisations, le projet de
loi autorisant le paiement des dépenses arriérés du département de la guerre,
pour l’année 1831 et les années antérieures ; le projet de loi relatif à
l’acquisition la bibliothèque Van Hulthem.
________________
M. le président annonce que le bureau a
désigné M. Lejeune pour remplacer M. Dubus (aîné) dans la commission des
polders.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT PROVISOIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) monte à la tribune et présente un projet de loi
tendant à accorder un crédit provisoire d’un million de francs pour faire face
aux dépenses les plus urgentes de son ministère pendant le mois de mars 1837.
Le ministre s’exprime en ces termes. - Messieurs, la discussion du budget du
département de la guerre n’a pu encore été achevée, et le crédit provisoire de
la somme de cinq millions de francs qui a été alloué par la loi du 30 décembre
1836, n°640, pour faire face aux dépenses les plus urgentes de l’année pendant
les mois de janvier et de février 1837, étant absorbé, il est indispensable qu’un
nouveau crédit soit alloué au ministère de la guerre pour assurer le service
pendant le mois de mars courant et pourvoir au paiement des fournitures de
fourrages et d’autres objets qui, aux termes des contrats, doivent s’effectuer
dans les vingt jours qui suivent le mois dans lequel les fournitures ont été
effectuées.
C’est pour satisfaire à ces exigences que j’ai
l’honneur de présenter à la chambre, en la priant de vouloir bien procéder le
plus tôt possible à l’examen et au vote, un projet de loi tendant à faire
ouvrir au ministère de la guerre un nouveau crédit de un million de francs.
« Art. 1er. Il est
ouvert au ministre de la guerre un crédit provisoire de la somme d’un million
de francs pour faire face aux dépenses les plus urgentes du mois de mars
1837. »
« Art. 2. La
présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation.
« Mandons,
etc. »
M. le ministre des finances (M. d'Huart) demande si la chambre ne peut pas procéder
immédiatement à la délibération sur cette loi.
M.
Raikem. - Le règlement est formel ; il faut que le projet soit renvoyé
aux sections ou soumis à une commission ; mais il me semble que la commission à
laquelle on le soumettrait pourrait l’examiner et faire son rapport pendant
cette séance ; et de cette manière, il n’y aurait aucun retard.
- Le renvoi du projet à
la section centrale qui a examiné le budget de la guerre, cette section
considérée comme commission, est mis aux voix et adopté.
M.
Dumortier (pour une motion d’ordre.) - M. le ministre des finances a
déjà demandé qu’un prompt rapport soit fait sur la loi concernant les
distilleries ; il faudrait avoir maintenant ce rapport, parce qu’on pourrait
délibérer sur la loi pendant que le sénat est assemblé. Si l’on apporte du
retard dans la présentation du rapport, le sénat s’ajournera pour deux ou trois
mois, et les distillateurs, pendant ce temps, avertis que les droits seront
augmentés, fabriqueront de grandes quantités d’alcool, et le trésor serait
frustré des droits à percevoir. Il est important de voter promptement la loi ;
je demande qu’on la mette à l’ordre du jour avec ou sans rapport.
M. Gendebien. - Je demande la parole
pour engager la chambre à persister dans une décision précédemment prise. Elle
a déclaré pour la dixième fois, il n’y a pas longtemps, que la loi sur les
mines serait discutée après le budget de la guerre et l’école militaire ; la
loi sur les mines est en effet très urgente. Quand nous faisions sentir les
dangers et les difficultés qu’on rencontrerait à modifier cette loi, on
prétendait que nous ne voulions pas qu’on touchât à cette loi, parce qu’étant
concessionnaires, nous étions intéressés à ce qu’on perpétuât l’état actuel des
choses ; cependant, depuis six ans nous demandons qu’on lève l’obstacle à la
concession des mines ; et je ne crois pas que la chambre puisse reculer devant
cette discussion. Il y a peu de chose à changer à celle que le sénat nous a
renvoyée. Pour moi, je voudrais sans doute que l’on changeât le principe admis
dans la loi, et d’après lequel l’administration est saisie de la décision des
affaires concernant les concessions des mines ; il serait préférable que ces
affaires, comme toutes les affaires, fussent soumises aux tribunaux ; quoi
qu’il en soit, je ferai, s’il le faut, le sacrifice de mon opinion, afin d
avoir une loi. Il faut une loi, et dans l’intérêt des anciens concessionnaires,
dans l’intérêt des demandeurs en concession et dans l’intérêt des
consommateurs. Les anciens concessionnaires sont dans un état précaire depuis
1795. Je conclus à ce que la chambre déclare itérativement que la loi sur les
mines soit mise en discussion après le budget de la guerre.
M.
le président. - M. Dumortier demande que la commission des distilleries
fasse un prompt rapport.
M. Dumortier. - Je
demande que la chambre mette à l’ordre du jour, après le budget de la guerre et
l’école militaire, la loi sur les distilleries. Depuis 40 ans on est sans loi
des mines, ce qui prouve que cette loi peut encore être retardée de huit jours
; car ceux qui ont pu attendre 40 ans peuvent attendre 8 jours de plus tandis
que la loi sur les distilleries est une loi urgente, et qui ne peut être
remise, comme je l’ai déjà exposé, sauf perte pour le trésor.
La discussion de la loi
sur les mines durera longtemps. M. Rogier a déposé sur le bureau une
proposition qui est extrêmement importante, et dont la discussion prendra
plusieurs séances : je déclare formellement que je reprendrai pour mon compte
les amendements qui remettront sur le tapis l’économie entière de la loi. La
loi sur les mines retarderait trop la loi sur les distilleries si elle la devançait,
tandis que la loi sur les distilleries ne retardera pas d’une manière
préjudiciable la loi sur les mines. La chambre ne pouvant pas attendre
indéfiniment un rapport, je persiste à demander que la loi sur les distilleries
soit mise à l’ordre du jour.
M.
Desmet. - Vous voulez un rapport ; mais le rapporteur est malade, et
trois autres membres de la commission sont absents pour cause de maladie, ou
pour motifs graves. Cependant, vous voulez un rapport, vous l’aurez demain.
M.
Gendebien. - Si les anciens concessionnaires ont attendu quarante ans,
dit-on, ils pourront bien attendre encore huit jours ; depuis six ans on
ajourne la discussion de la loi ; si nous l’ajournons maintenant de huitaine en
huitaine, il n’y a pas de raison pour que cela finisse, et pour que l’on ne
recommence pas une nouvelle série de quarante autres années. Mais il n’y pas
que les anciens actionnaires qui soient intéressés à avoir une loi sur les
mines ; je vous l’ai déjà dit, les demandeurs en concessions nouvelles et les
consommateurs sont intéressés à ce que de nouveaux travaux puissent s’ouvrir
dans les mines, à ce que l’on facilite les moyens d’exploitation.
On insiste pour que la loi sur les distilleries soit la première à
l’ordre du jour ; mais on est sans rapport. On a voté déjà, il est vrai, une
loi sans rapport, c’est la loi sur la garde civique ; aussi est-elle
inexécutable s’il faut en croire tout le monde, même ceux qui ont montré le
plus d’empressement ; cette expérience ne doit pas nous engager à procéder de
la même manière relativement à l’impôt sur les distilleries.
Maintenant, messieurs, on
propose le contre-pied de ce qui a été arrêté. Je demande s’il ne faut pas que
vous mettiez de la maturité dans l’examen de ce projet, que vous voyiez
qu’elles en seront les conséquences. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la
loi proposée doit nécessairement détruire la fraude ; j’ai dit, quand il a été
question de la loi précédente, qu’on frauderait encore : ainsi je suis disposé
à adopter les dispositions nouvelles, mais encore ne faut-il pas perdre de vue
qu’en général il est très difficile d’introduire de nouvelles dispositions dans
une loi ; il faut mûrement examiner si ces dispositions nouvelles ne sont pas
en contradiction avec celles qui sont déjà en vigueur. Je demande donc que la
chambre persiste dans la résolution qu’elle a prise dès la première séance de
la session actuelle, de discuter la loi sur les mines immédiatement, et quelque
temps plus tard, de la discuter aussitôt après les budgets ; sans cela il n’y a
pas de raison pour que cette loi ne soit pas indéfiniment ajournée.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai demandé la parole, messieurs, parce qu’il me
semblait que l’honorable M. Gendebien, tout en parlant sur l’ordre du jour,
entamait la discussion du fond de la loi sur les distilleries : il a dit, en
effet, que la question de l’augmentation du droit pouvait, pour les raisons
qu’il a déduites, détruire l’économie de la loi, et par conséquent devait être
mûrement examinée ; mais, messieurs, cette question a été mûrement examinée ;
elle l’a été depuis 1835 et cependant, le monde est d’accord qu’il y a urgence
pour discuter la loi des distilleries. Quoi qu’il en soit si je n’ai pas
renouvelé depuis quelques jours mes instances pour obtenir un prompt rapport,
c’est parce que je savais que le rapporteur est très malade, que plusieurs
autres membres de la commission sont également absents pour cause de santé, et
que son président a dû partir en dernier lieu, parce que sa femme est
dangereusement malade ; je ne puis toutefois qu’insister avec l’honorable M.
Dumortier pour que la chambre mette le plus tôt possible cet objet à l’ordre du
jour, et je dirai avec lui que si la commission ne s’est pas prononcée sur le
nouveau projet, elle le fasse, afin de faire cesser les entraves.
Quant la question de
savoir s’il faut discuter en premier lieu la loi sur les distilleries ou la loi
sur les mines, je crois qu’il faut attendre pour se prononcer à cet égard
jusqu’à ce que nous ayons terminé le budget de la guerre et la loi sur l’école
militaire, qui se rattache à ce budget. (Assentiment.)
M. Gendebien. - Ce qui résultera de
la remise de la fixation de l’ordre du jour jusqu’après le vote du budget de la
guerre, c’est qu’on renouvellera alors la discussion d’aujourd’hui : alors on
prétextera qu’on n’est pas préparé à l’examen de telle loi, parce qu’on ne
savait pas à laquelle la chambre aurait donné la priorité. Il serait tout
simple, si la commission ne croit pas être en nombre suffisant pour délibérer,
de compléter cette commission en remplaçant les absents, et de demander un
rapport d’urgence. De cette manière, il n’y aurait plus aucun motif pour
renouveler la discussion d’une question que la chambre a décidée depuis
longtemps ; car, je vous le répète, messieurs, dès la première séance de la
session, l’ordre du jour a été réglé de manière que la loi sur les mines devait
être discutée sans retard. Je demande, messieurs, que la chambre décide si elle
entend, oui ou non, maintenir sa résolution antérieure.
M. Desmet. - Je ne
sais pas, messieurs, de quel droit le ministre des finances vient vous dire que
la commission ne veut pas faire de rapport. Sur quoi fond-t-il ce soupçon très
téméraire et peu parlementaire ? Où en peut-il chercher la preuve ? Nulle part,
et nous pouvons lui en donner le défi.
M. le ministre pense que
depuis longtemps on a dû asseoir son opinion sur son second projet de loi et
l’augmentation qu’il y propose dans le tarif de l’impôt ; mais le ministre ne
sait-il donc pas que le second projet qu’il a présenté après que la commission
avait fait son rapport sur son premier projet de loi n’a pas seulement changé
le montant du droit, mais a encore touché à l’économie de la loi ? Il replace
des dispositions, comme par exemple, celle qui concerne les transactions qui
n’existaient pas dans la loi actuelle, et dans son pénultième projet de
modifications ; vraiment on dirait bien qu’on ne sait point ce qu’on présente à
la législature, comme peut-être on pourrait soupçonner qu’on n’apprécie point
les coups qu’on veut porter à l’importante industrie des distilleries.
M.
Gendebien. - Si la chambre croit qu’il est inutile de confirmer sa
première résolution, parce que cette résolution n’a pas été révoquée, je me
rallie bien volontiers à cette opinion ; mais je prie la chambre de ne pas
perdre de vue qu’une résolution a été prise, et que d’après cette résolution,
la loi des mines doit être discutée immédiatement après les budgets.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’ordre du reste tel qu’il est fixé.
M.
Gendebien. - Mais alors, pourquoi a-t-on soulevé la discussion actuelle
?
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT PROVISOIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE
M.
Desmaisières, rapporteur de la section centrale qui a examiné le budget
de la guerre, fait au nom de cette section le rapport suivant. - Messieurs, les
considérations énoncées dans le rapport de la section centrale, du 20 décembre
dernier, sur la demande du premier crédit provisoire de cinq millions de
francs, nous ont paru devoir s’appliquer au nouveau crédit provisoire demandé
par M. le ministre de la guerre dans la séance de ce jour, et notamment au
paiement des fournitures de fourrages et d’autres objets dont parle l’exposé
des motifs de M. le ministre de la guerre.
Les provisions du nouveau
crédit étant les mêmes que celles de celui accordé précédemment, en vu
l’urgence, la section centrale a l’honneur de vous proposer l’adoption du
projet de loi présenté et tendant à ce qu’il soit ouvert au ministre de la
guerre un crédit provisoire d’un million de francs, pour faire face aux
dépenses les plus urgentes du mois de mars 1837.
- La chambre décide que vu l’urgence, elle passera immédiatement à la
discussion du projet.
L’article unique est mis
aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :
« Il est ouvert au
ministre de la guerre un crédit provisoire de la somme d’un million de francs,
pour faire face aux dépenses les plus urgentes du mois de mars 1837. »
M. le ministre des finances (M. d'Huart) propose un article additionnel portant : « La
présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Cet article est mis aux
voix et adopté.
La chambre vote par appel
nominal sur l’ensemble de la loi ; elle est adoptée à l’unanimité par les 77 membres
qui prennent part au vote. Ce sont :
MM. Bekaert-Baeckelandt,
Berger, Goblet, Brabant, Lehoye, Coppieters, Corneli,
Cornet de Grez, Dechamps, de Foere, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de
Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo,
Desmaisières, Desmet, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Donny,
Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Heptia,
Jullien, Keppenne, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel,
Polfvliet, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier,
Scheyven, Simons, Smits, Trentesaux, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele, Verdussen, Vergauwen, Verrue-Lafrancq,
Willmar, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Watlet.
M. Jadot s’est abstenu.
Il est appelé à motiver son abstention.
M.
Jadot. - Je me suis abstenu, parce que je ne savais pas sur quoi on
votait ; on faisait l’appel nominal quand je suis entré dans la salle.
PROJET DE LOI
PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
Discussion des
articles
Chapitre II. - Soldes et masses de l’armée, frais divers des corps
Section III. – Masses des corps, frais divers,
indemnités
Article
2
M.
le président. - La discussion est ouverte sur l’article 2 de la section
3 du chapitre II (masse de fourrages).
M. le ministre a demandé
d’abord 4,331,810 fr. 75 c. Il a proposé ensuite une augmentation de 252,773
fr. 75 c.
La section centrale
propose une réduction de 7,590 fr.
M. le ministre de la
guerre consent-il à la réduction ?
M.
le ministre de la guerre (M. Willmar). - Elle est la conséquence du
vote que la chambre a émis hier ; par conséquence je ne puis m’y opposer.
- Le chiffre proposé par
la section centrale est mis aux voix et adopté.
M.
le président. - « Article 3. Masse d’habillement. »
M. de Puydt
a proposé, par un article 3bis, une augmentation de 70,000 fr. pour première mise
aux sous-officiers promus par droit d’ancienneté à un grade d’officier.
M. Verdussen a proposé
un sous-amendement ainsi conçu :
« Avances à faire
au taux de 4 p. c. l’an aux sous-officiers qui seraient promus au grade de
sous-lieutenant, et remboursables par des retenues annuelles de 50 francs au
moins : fr. 70,000. »
M. Verdussen. - Messieurs, dans la séance du 1er
mars, l’honorable M. de Puydt vous a présenté un amendement tendant à venir au
secours des sous-officiers qui seraient promus au grade de sous-lieutenant.
Par le sous-amendement
que j’ai l’honneur de déposer sur le bureau, j’ai admis en principe la
proposition de M. de Puydt ; mais je crois, messieurs, que cette proposition
est susceptible de quelques améliorations.
La différence
essentielle qui existe entre le projet de l’honorable membre et le mien, est
que le secours qu’il voudrait rendre irrécouvrable pour l’Etat serait changé,
d’après ma manière de voir, en une avance ; les autres dispositions que renferme
mon amendement, celles de faire porter intérêt de cette avance, et de la faire
rembourser par faibles fractions d’année en année, ne sont que des accessoires.
Le but de l’honorable M.
de Puydt est nécessairement, messieurs, de n’accorder un secours qu’à ceux des
officiers qui, peu favorisés par la fortune, ne sont pas en état de pourvoir
aux frais de premier équipement, sans avoir recours à des prêteurs de fonds, et
par conséquent, sans devoir s’endetter peut-être à un taux d’intérêt très
préjudiciable.
Cependant je remarque
que l’amendement de M. de Puydt est général et qu’il s’applique à tous les
sous-officiers qui seraient promus au grade de sous-lieutenant ; il me semble
qu’il y a là une prodigalité dont nous devons nous abstenir, en présence des
nouvelles dépenses qui surgissent chaque jour et qui viennent surcharger nos
budgets.
Il ne s’agit pas
seulement, d’après la proposition de M. de Puydt, de voter l’indispensable pour
ces officiers, mais de voter même le superflu ; car nous devons prévoir que
chacun réclamera l’allocation de 400 fr. que M. de Puydt propose, si l’on ne
met pas un frein à ces réclamations, à l’égard de ceux qui n’auraient pas un
besoin impérieux du secours.
Mon but est de
restreindre autant que possible le chiffre demandé à ce qui est nécessaire. Il
me semble, messieurs, qu’il faut non seulement changer en avance remboursable
la somme à accorder, mais encore à lui faire porter intérêt.
On dira que, même dans
mon système, le crédit nécessaire pour cet objet ne sera pas diminué, parce que
les officiers qui ont de la fortune, comme ceux qui n’en ont pas assez,
accepteront toujours la somme qui leur sera offerte ; la différence, ajoutera-t-on, c’est que les uns feront valoir
l’avance en la mettant à intérêt, et que les autres seront obligés de la
dépenser entièrement, pour acheter leur nouvel uniforme.
C’est pour répondre à cette objection qu’il
s’agit de faire porter intérêt à cette avance. Il résultera de cette mesure que
les nouveaux officiers qui ont de la fortune ne voudront pas se charger d’une
levée de fonds dont ils n’ont pas besoin, tandis que les autres accepteront
l’avance à intérêt, et pourront facilement trouver dans leur position nouvelle
de quoi faire face à ce surcroît de charges, parce qu’ils auront contracté des habitudes
d’économie dans leur position antérieure.
Vous voyez dès lors que ce n’est pas ici une
lésinerie en faveur du fisc, qui m’engage à préposer cet intérêt ; je n’y
attache pas un très grand prix ; mais il est certain que la somme de 70,000 fr
devient insuffisante, lorsqu’on l’applique à tous les sous-officiers qui
pourront être promus au grade de sous-lieutenant. Les observations qui ont été
présentées dans une séance précédente par l’honorable M. Mast de Vries sont
d’une frappante vérité. Le ministre de la guerre a insisté beaucoup pour qu’on
lui allouât la somme nécessaire pour laisser à l’armée la perspective de la
possibilité de nommer à tous les emplois vacants, bien que l’honorable
rapporteur de la section centrale ait longuement soutenu qu’il était impossible
que ces promotions se fissent.
Je trouve que par le même principe qui alors
a été sanctionné par la chambre, savoir qu’il sera possible de pouvoir nommer à
tous les emplois vacants de sous-lieutenants qui se montent à 400 environ, il
faudra nécessairement majorer la somme de 70,000 francs, puisque, même en nous
tenant au minimum de 400 francs par officier, nous devrions élever l’allocation
à 160,000 fr.
Je pense cependant que par mon amendement il
sera possible de satisfaire à toutes les nominations qui pourront être faites
dans le courant de l’année 1837, puisque l’amendement ne s’appliquera qu’aux
seuls officiers qui réclameront une avance de la part du gouvernement, pour
pourvoir aux frais de premier équipement.
Je n’ai plus qu’un mot à dire sous le rapport
de la quotité des retenues annuelles que je borne à 50 fr.
A ce taux, il sera
très facile à tout officier qui veut mettre un peu d’ordre dans ses affaires,
de réaliser l’économie annuelle de 50 fr. à rembourser au gouvernement.
L’intérêt qu’il devra au gouvernement viendra seulement à s’éteindre, et tout
au plus au bout de dix ans, il sera entièrement libéré envers l’Etat.
On m’a fait remarquer qu’il y a une lacune
dans mon amendement, qui consisterait à ne pas avoir prévu ce qui arrivera si,
avant le remboursement de la somme totale, l’officier nouvellement promu venait
à décéder.
Je ne sais, messieurs, s’il serait très utile
de formuler à cet égard une disposition dans la loi. Comme l’amendement que je
propose serait compris dans l’article général de la masse d’habillement et que
nous ne faisons ici qu’énoncer pour ainsi dire les intentions qui ont guidé la
chambre en allouant une majoration de ce chef, je crois que pour le surplus
l’objet devient règlementaire, et qu’il faut laisser au gouvernement la faculté
d’établir la quotité de l’avance à faire aux officiers, d’après l’arme à
laquelle ils appartiennent, et de lui abandonner aussi le soin de régler les
autres parties qui ne doivent pas entrer dans un article du budget.
M. de Puydt.
- Messieurs, évidemment l’amendement de M. Verdussen, tout en déclarant qu’il
avait adopté mon amendement en principe, n’a pas compris le but de cette
proposition.
Quand j’ai demandé une allocation pour
première mise aux sous-officiers qui passeraient lieutenants, j’ai voulu
améliorer la condition de ces sous-officiers ; j’ai voulu qu’en entrant dans la
carrière d’officier, ils évitassent de contrarier des dettes dès les premiers
jours : c’est là la position dans laquelle la plupart se trouvent actuellement
; c’est là un inconvénient auquel mon but a été d’apporter un remède.
L’amendement de M. Verdussen convertit la
première mise en gratification que je propose en une avance portant intérêt et
remboursable par l’officier ; mais évidemment ce n’est pas là améliorer, mais
bien empirer leur condition ; car aujourd’hui les sous-officiers qui passent
officiers reçoivent des avances des corps ; ils les remboursent, il est vrai,
mais au moins ils les remboursent sans intérêt ; de sorte que les
sous-officiers auraient tout à perdre à l’adoption du sous-amendement de M. Verdussen.
Si ce sous-amendement devait avoir la moindre
chance de réussite dans l’assemblée, je retirerais le mien et je m’opposerais à
celui de M. Verdussen, car mon intention n’est pas d’empirer la condition des
sous-officiers.
Un des motifs sur lesquels se fonde
l’honorable préopinant pour ne faire que des avances aux sous-officiers, c’est
que par là, dit-il, on aurait la faculté de n’accorder ces avances qu’à ceux de
ces sous-officiers qui sont réellement dans une position peu favorisée par la
fortune. Quant à moi, je pense, au contraire, que quand on fait des avances
pour première mise aux sous-officiers qui passent officiers, il ne faut pas
établir de distinctions, distinctions qui sont même dangereuses.
Dans mon intention une somme pour première
mise doit être allouée à tous les officiers, qu’ils aient ou qu’ils n’aient pas
les moyens de pourvoir aux frais de premier équipement : il faut qu’ils soient
tous rangés sur la même ligne.
La somme totale de 70,00 fr. est
insuffisante, si on considère que l’état incomplet du cadre des officiers
nécessite la nomination de plus de 400 sous-lieutenants. Mais si on se rappelle
les dispositions de la loi sur l’avancement, on reconnaîtra que les
sous-lieutenants ne doivent être pris qu’en partie parmi les sous-officiers. En
effet, un tiers doit être obligatoirement choisi dans les sous-officiers, et
2/3 parmi les élèves de l’école ou parmi les sous-officiers, quand les élèves
de l’école ne sont pas en nombre suffisant. Je ferai remarquer
qu’indépendamment de cette ressource, il pourrait s’en présenter une autre ; on
pourrait prendre quelques officiers dans ceux qui ont fait partie de la garde
civique ou dans ceux qui ont été autrefois employés et se sont retirés du
service, ou même dans les officiers mis en non-activité. Il n’y a pas de raison
pour croire que la totalité des officiers à nommer pour compléter les cadres
doivent provenir des sous-officiers.
Quand bien même
d’ailleurs le ministre, voulant compléter les cadres de l’infanterie, prendrait
tous les sous-lieutenants dont il a besoin dans la seule classe des
sous-officiers, et qu’il fallût accorder à tous l’indemnité de première mise,
du moment que la somme de 70.000 fr. qu’on accorde pour cet objet est ajoutée à
l’article relatif à la masse d’habillement, c’est sur la masse entière de
l’habillement que serait prise celle nécessaire pour la première mise dont il
s’agit. Car il est reconnu que tous les ans il y a plus ou moins de fonds
disponibles sur la masse d habillement. Il suffit pour s’en convaincre de jeter
les yeux sur les développements du budget. C’est cette considération qui a
porté la section centrale à ne pas majorer la somme portée dans mon amendement.
Elle comprenait bien cependant que le chiffre proposé pouvait n’être pas
suffisant. Mais le confondant dans l’article que je viens de citer, c’est sur
la masse entière de l’habillement que la première mise sera prélevée.
Si j’avais un conseil à donner à M.
Verdussen, ce serait de retirer son sous-amendement. Je crois que s’il a dit
vrai en déclarant adhérer au principe de mon amendement, il doit reconnaître
que son sous-amendement est subversif de ce principe. De deux choses l’un : il
admet ou il repousse ce principe. S’il l’admet, il doit retirer son
sous-amendement ; s’il ne le retire pas, c’est qu’il ne reconnaît pas le
principe posé, principe que la chambre a reconnu juste en renvoyant ma
proposition à la section centrale et que la section centrale a elle-même
consacré par son rapport.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je
demande la parole pour confirmer les observations présentées par l’honorable
préopinant. Nommer des sous-officiers au grade de sous-lieutenant sans leur
accorder de première mise, c’est véritablement les mettre, s’ils sont sans
fortune, dans l’obligation de contracter des dettes pour leur équipement.
L’objet de l’amendement proposé est de les soustraire à cette fâcheuse
position. Si comme cela a lieu actuellement, on continuait à faire tous les ans
des retenues sur leurs appointements pour rembourser la dette qu’ils auraient
contractée, on les mettrait dans l’impossibilité de pouvoir faire suffisamment
honneur à toutes les autres dépenses. J’appuie de tout mon pouvoir l’amendement
de M. de Puydt, qui apportera un remède complet au mal qu’on cherche à
détruire.
M. Verdussen. - J’aurai quelques mots à
répondre à l’honorable M. de Puydt.
Lorsqu’il a présenté son amendement à la séance du 1er mars, il nous a fait
entrevoir la position des sous-officiers sous une tout autre couleur. On
pourrait croire que les sous-officiers qui seraient promus au grade de
sous-lieutenant se trouveraient dans une position très désagréable, qu’ils
devraient s’endetter pour faire face aux frais de leur premier équipement. Mais
lorsqu’il existe des règlements d’après lesquels les sous-officiers qui
pourraient avoir besoin de quelques secours, les trouvent sans intérêt dans la
caisse du régiment, je ne sais pas à quoi tend l’amendement de M. de Puydt. Voyez où vous arriveriez
si vous adoptiez cet amendement : vous seriez obligés de faire un avantage aux
sous-officiers qu’on nommerait aujourd’hui et qui seraient dans une position
peut-être meilleure que ceux qui ont été promus l’année dernière.
Je trouve, je le répète, que l’amendement de
M. de Puydt n’a pas besoin d’être présenté, si les sous-officiers qu’on nommera
sont dénués des moyens de faire les frais de leur premier équipement et obligés
de recourir à des amis ou à des usuriers ; mon amendement serait un remède
suffisant. Sans cela l’objet de mon amendement et celui de M. de Puydt viennent
à tomber. Je retirerai donc mon amendement quand M. de Puydt aura retiré le
sien.
M. Gendebien.
- M. Verdussen vient de dire qu’on n’avait pas présenté d’abord sous le même
aspect qu’aujourd’hui la position des sous-officiers. Les mêmes choses ont été
dites par M. de Puydt et par moi, lorsque l’amendement a été présenté. Mais, je
vous le demande, quelle différence y a-t-il entre un officier qui emprunte de
ses amis, s’il en a (quand on n’est pas riche, on n’en a guère), et celui qui
emprunte à la caisse du régiment, s’il est obligé de rembourser ; la seule
différence, c’est qu’il ne paie pas d’intérêt ; mais il faut toujours qu’il
rembourse. Comment voulez-vous que le sous-officier, nommé sous-lieutenant, en
prenant l’engagement de rembourser les quatre ou cinq cents francs empruntés
pour s’équiper, car quatre cents francs ne suffiront pas, comment voulez-vous,
dit-je, qu’il subisse encore la retenue qui doit lui être faite en vertu des
règlements pour former sa masse pour l’avenir ; car tout officier est obligé
d’avoir une masse pour laquelle on lui fait une retenue mensuelle jusqu’à ce
qu’elle ait atteint le chiffre, je crois, de 400 francs ? C’est sur cette masse
qu’on lui fournit les objets nécessaires pour remplacer ceux usés. Vous allez
mettre ces officiers dans la nécessite de prélever sur leurs premiers
appointements une somme mensuelle pour rembourser les 400 francs empruntes,
indépendamment de la retenue qu’on leur fera pour former la masse de 400 francs
; car tous les officiers, quelle que soit leur position de fortune, sont
obligés d’avoir cette masse ; vous allez doubler la retenue des nouveaux officiers,
vous allez les mettre dans une inégalité de position. Il est essentiel
cependant qu’ils soient dans une position aussi égale que possible. Il est
impossible de supposer qu’un sous-officier nommé sous-lieutenant puisse sur
1,480 francs d’appointement, supporter une retenue de 800 fr.
Après cela, on exigerait encore qu’il payât
les intérêts de la somme qu’on lui avancerait. Ce serait, comme dit l’honorable
M. de Puydt, rendre leur position plus mauvaise qu’elle n’est aujourd’hui.
A l’occasion de ces masses et des intérêts
que M. Verdussen voulait faire payer aux officiers qui recevraient des avances,
je me rappelle avoir fait une proposition l’année dernière. J’avais demandé ce
que devenaient les fonds provenant des masses de tous les officiers ; je
demandais s’il n’y avait pas moyen de faire produire des intérêts à ces masses
au profit des officiers. Les 400 fr. de masse d’un sous-lieutenant représentent
pour lui 20 fr. par an ; c’est quelque chose 20 fr. pour un sous-lieutenant, surtout
quand cela ne lui coûte aucun sacrifice. Le général Evain avait promis de s’en
occuper.
Je rappelle de
nouveau cette observation à l’attention de M. le ministre. Je désire qu’il nous
dise s’il y aurait inconvénient à placer les masses des officiers à intérêt, si
dans l’état actuel des choses ces fonds produisent intérêt, et au profit de qui
?
Je crois en avoir dit assez pour justifier la
proposition de M. de Puydt. Il
est certain que les sous-officiers qui sont promus au grade d’officier, ne le
sont qu’après de grands sacrifices, qu’après un service pénible, et d’autant
plus pénible qu’ils sont presque tous sans fortune. La crainte de voir quelques
officiers ayant de la fortune profiter de cette gratification de 400 fr. ne
doit pas arrêter la chambre, car ils formeront toujours une très petite
exception. Aux termes de la constitution tous les citoyens sont soldats ;
beaucoup le sont malgré eux. Celui qui après plusieurs années de service
parvient au grade d’officier se trouve dans une position infiniment moins
favorable que tout autre officier qui aura eu l’avantage de passer deux ans à
l’école, et qui jouira d’un revenu égal à sa paie. Si on considère les éléments
dont se compose notre armée, il est
impossible de ne pas reconnaître la nécessité d’adopter l’amendement proposé.
M. de Bassompierre, commissaire du Roi. - Il y a effectivement une masse d’habillement
pour tous les officiers, mais elle n’est pas tout à fait aussi élevée que le
pense l’honorable M. Gendebien.
On retient à un sous-lieutenant d’infanterie 250 fr. pour sa masse ; celle d’un
lieutenant est un peu plus forte, celle d’un capitaine aussi ; celle d’un
officier supérieur est de 500 florins. Cette masse n’a pas toujours été dans
l’état prospère où elle se trouve aujourd’hui. Dans les premières années de la
révolution on a dû faire de grandes avances aux officiers. Le remboursement en
a été fait petit à petit. Maintenant le fonds des masses est en bon état. Je ne
vois pas de motif de ne pas placer ces fonds à une caisse d’épargne en conservant
ce qui peut être nécessaire pour les besoins du service. Nous sommes d’autant
plus disposés à prendre une mesure de cette nature, que déjà j’avais appelé
l’attention du ministre sur cet objet et qu’on se proposait d’y donner suite.
M. Verdussen.
- Comme il ne s’agit plus pour ceux qui partagent ma manière de voir de voter
mon amendement, mais de repousser celui de M. de Puydt, je retire ma
proposition. (Aux voix ! aux voix !)
- Le chiffre porté à 3,915,115 fr. 35 c., par
suite de l’amendement de M. de Puydt, est mis aux voix et adopté.
Article
7
« Art. 7. Masse de casernement des
hommes.
« Chiffre proposé par le gouvernement :
fr. 830,966 70 c.
« Chiffre proposé par la section
centrale : fr. 773,895 70 c. »
M. Dequesne. - L’affaire qui nous occupe en ce moment reparaît devant vous pour la
troisième fois. A deux reprises différentes, elle a été l’objet de discussions
solennelles, et l’on pourrait supposer dès lors la matière épuisée. Cependant si
l’on se reporte à la décision prise en juin dernier, il en résulte que la
chambre n’avait point encore tous ses apaisements, qu’elle avait besoin, avant
de se prononcer, de nouvelles lumières.
Depuis, la question a marché ; des
propositions d’arrangement ont été faites. Sont-elles avantageuses ? sont-elles
désavantageuses ? C’est ce que vous aurez à examiner.
Sur l’un des points principaux votre section
centrale a trouvé qu’il y avait eu amélioration, que l’intérêt du soldat avait
été mieux stipulé, mieux garanti. Sur les autres, elle a pensé que ces
arrangements changeraient peu notre position primitive. Vous aurez à prononcer
là-dessus.
Mais, quoi qu’il en soit, l’on est obligé de
reconnaître que l’affaire a atteint aujourd’hui le degré de maturité nécessaire,
et que l’on ne peut plus, sans une espèce de déni de justice, retarder une
décision que réclament, tous à la fois, l’intérêt des adjudicataires, l’intérêt
de l’ancien ministre de la guerre, l’intérêt du pouvoir exécutif lui-même.
Je conçois très bien que la chambre hésite
avant de se prononcer ; car la question est grave sous plus d’un rapport. Si,
généralement, l’on a été effrayé de ses résultats pour le trésor, il n’y a pas
moins à s’effrayer des conséquences qu’elle peut avoir sous d’autres points de
vue : par rapport, ainsi aux principes constitutionnels qui ont été soulevés,
et qui peuvent jeter plus ou moins la perturbation dans l’administration, le
crédit public et les entreprises à venir ; par rapport encore aux intérêts
pécuniaires que nous avons à débattre, et qui, dans une affaire de plusieurs
millions et par actions, pourraient donner lieu à de nombreux recours en
garantie si le contrat venait à être annulé ; par rapport enfin à la dignité de
la chambre qui, dans une question éminemment représentative, peut voir pourtant
réformer sa décision par les tribunaux, arbitres suprêmes en matière de
contrat. En cette occurrence, je pense qu’il est dans le désir comme dans le
devoir de la chambre d’entendre toutes les opinions, de provoquer toutes les
convictions, et c’est dans cette persuasion que je me décide à prendre la
parole.
Comme je le disais tout à l’heure, trois
intérêts sont en cause, celui des adjudicataires, celui du ministre, celui du
pouvoir exécutif.
Vis-à-vis du ministre nous avons à examiner
jusqu’à quel point il a pu grever l’Etat, compromettre sa responsabilité.
Vis-à-vis du pouvoir exécutif, tout en nous montrant jaloux de nos droits et
prérogatives, nous devons lui conserver les siens, maintenir ce qui lui
appartient. Vis-à-vis des tiers enfin, nous sommes en présence d’un contrat, et
avant de nous lancer dans une action judiciaire, il importe de bien peser
l’étendue de nos droits, nos chances de succès, et, tout en détendant les
intérêts du trésor, de nous montrer scrupuleux observateurs de la foi due aux
engagements. Cette dernière question surtout mérite toute notre attention. Par
les conséquences qu’elle peut avoir il faut qu’on ne la quitte pas sans l’avoir
épuisée.
Je le sais, messieurs, votre commission n’a
pas hésité à considérer comme nul le contrat qui a eu lieu ; ses principes ont
rencontré jusqu’à présent peu d’adversaires dans cette enceinte, ils ont eu
pour appui au contraire de graves autorités.
Cependant, je le déclare, pour ma part je
suis loin d’être convaincu ; je suis loin de trouver irréfragables les moyens
mis en avant. Si, dès le principe, ces moyens me paraissent en opposition avec
plusieurs articles de notre constitution, en opposition avec la marche
administrative suivie jusqu’ici, en opposition avec ce qui est admis et reconnu
dans les pays soumis au même régime que le nôtre, mes doutes n’ont pas été
aplanis par ce qui s’est passé depuis.
L’objection soulevée par l’honorable M.
Lebeau, le discours même de l’honorable M. Fallon, enfin l’ensemble de la
discussion n’ont fait que me montrer de plus en plus la faiblesse des principes
évoqués, me confirmer davantage dans l’opinion qu’ils reposaient sur une base
fausse, et comme ici toutes les opinions doivent se faire jour, je vous donne
mes raisons que j’ai fondées sur les textes principalement, parce qu’au fond il
s’agit ici d’une question d’obligation, d’une question de droit, enfin. On
pourrait y joindre des considérations politiques de l’ordre le plus élevé mais
vous êtes encore sous l’impression de la discussion générale ; et cela me
suffit.
Votre commission n’avait pas trouvé d’abord
la question aussi simple qu’elle l’a faite ensuite. Elle avait fort bien
remarqué l’état de vague et d’incertitude qui existe, sur le point de savoir
jusqu’où un ministre a capacité pour engager l’Etat.
L’on en voit la preuve dans le rapport même,
voici ce qu’on y lit
« Nous croyons utile de faire remarquer
combien il est urgent qu’une loi réglant la comptabilité générale de l’Etat
soit présentée à la législature et votée par elle. C’est par cette loi que vous
trouverez les limites dans lesquelles doivent être tenues les adjudications
publiques, faites par le gouvernement, et que vous pourrez stipuler toutes les
garanties nécessaires pour que les intérêts de l’Etat ne puissent jamais être
lésés. »
L’on peut ajouter que, comme complément, il
est une autre loi, conséquence et sanction de la première, qui n’est pas moins
urgente, moins nécessaire, la loi sur la responsabilité ministérielle. Sans ces
deux mesures indispensables pour achever notre organisation constitutionnelle,
il sera toujours fort difficile de régler et définir les droits des ministres,
les droits des chambres, les droits des tiers en matière de dépense, et nous
manquerons de boussole chaque fois qu’il s’agira de questions semblables à
celle qui nous occupe aujourd’hui.
Mais après avoir remarqué le point de la
difficulté, la commission, je ne crains pas de le dire, a fini par le tourner,
en n’abordant pas tous les textes, en se retranchant dans l’art. 115 comme
présentant à lui seul tous les éléments nécessaires de préciion
; et en effet, quel a été son point de départ ? le voici : L’article 115
dispose :
« Chaque année les chambres arrêtent la
loi des comptes et votent le budget.
« Toutes les recettes et dépenses de
l’Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. »
Or, ajoute-t-on, le droit de voter suppose le
droit d’adopter ou de rejeter, et cette liberté de vote n’existerait plus, si
les ministres pouvaient au préalable lier l’Etat, rendre ainsi l’allocation
obligatoire, et dès lors, de deux choses l’une : ou cette liberté n’est qu’un
vain mot, ou l’on est obligé de reconnaître que l’intervention des chambres est
de rigueur dans tout acte, dans tout traité qui peut engager l’Etat ; que sans
cette intervention, les ministres sont naturellement incapables, et ne peuvent
rien faire qui ne soit soumis à ratification ; qu’ils n’acquièrent le pouvoir
d’agir que par les lois des budgets ; qu’en un mot, c’est dans ces lois qu’il faut
aller rechercher la source et la mesure de la capacité ministérielle.
Certes, messieurs, voilà une théorie bien
simple, qui séduit par sa simplicité même, par l’apparence de rigueur avec
laquelle elle est déduite, par la franchise des règles qu’elle établit.
Et je suis le premier à le reconnaître, tout
y est légitime si le principe sur lequel elle repose est vrai ; si la plénitude
de vote en matière de budget est aussi entière qu’on le suppose ici. Mais
aussi, tout tombe si le principe est faux, si seulement il n’est pas vrai d’une
manière absolue, parce que cette théorie, pour être admise, exige une
indépendance complète de vote, parce qu’ensuite elle n’a pas d’autre base,
d’autre fondement.
L’honorable M. Fallon a cherché à lui donner
un nouvel appui. Il a invoqué l’art. 27, mais il me semble que cet article
n’ajoute rien en ce qui touche le fond de la question, il règle bien les
prérogatives de trois branches du pouvoir législatif ; il dit bien que chaque
branche aura le droit de présenter aux deux autres des propositions de loi ;
que les lois relatives aux recettes et aux dépenses devront être votées en
premier lieu par la chambre des représentants, c’est-à-dire avant le sénat.
Mais cet article, purement réglementaire ne dit pas quelle sera la portée des
lois de recette ou de dépense et, s’il abandonne à la chambre des représentants
l’initiative du vote, il n’enlève point par là au pouvoir exécutif,
l’initiative de la proposition, initiative qui, en théorie et en pratique
surtout, a toujours été considérée comme un de ses attributs essentiels
Ainsi, il résulte de l’ensemble de la
discussion, et de tout ce qui y a été dit, que le système de la commission que
je viens de reproduire, et sans l’affaiblir je pense, a pour fondement unique
l’art. 115 de la constitutionnel et la plénitude de vote que cet article est
censé attribuer aux chambres.
Or j’espère vous démontrer plus tard que
cette plénitude absolue de vote n’est qu’une pure hypothèse, que l’erreur
provient de ce qu’on n’a pas assez réfléchi qu’en votant le budget, l’on ne
fasse pas une loi dans toute l’étendue de l’expression ; qu’il y a là acte de
pouvoir administratif et non de pouvoir législatif, que dès lors il n’est plus
nécessaire que le vote soit libre, souverain et omnipotent ; qu’il se rencontre
souvent, au contraire, des cas où le vote est forcé, par exemple, quand une loi
ou un jugement a prononcé ; que, vis-à-vis du pouvoir exécutif lui-même, le
vote n’est pas entièrement libre, entièrement omnipotent ; qu’en un mot, il a
ses limites non de convenance, mais de constitution et de stricte observation.
Pour le moment je prends le système tel qu’il
est, avec ses conséquences avouées et reconnues par la commission elle-même,
savoir : qu’en matière de dépense les ministres sont naturellement incapables
sans l’intervention des chambres ; que la loi du budget est un véritable mandat
qui donne et circonscrit les pouvoirs ministériels que, par suite, ces pouvoirs
prennent leur source dans le sein de la législature ; et qu’enfin toute
allocation équivaut à une autorisation ou à une ratification sous le rapport,
tant du principe que du paiement de la dépense. Et je vais examiner si un
pareil système est compatible avec les nécessités du service, avec la sécurité
des tiers, avec l’existence distincte des pouvoirs, avec la responsabilité des
ministres, et enfin avec les véritables droits des chambres ; et par contre,
s’il n’est pas contraire à l’esprit des art. 70, 90, 115 et 131 de la
constitution, et s’il ne viole pas constamment les art. 29 et 63.
Et d’abord si ce système est vrai, il est
nouveau, du moins, il n’a encore reçu jusqu’ici qu’une exécution irrégulière.
Pour un marché plus qu’annuel il faut, dit-on, une autorisation spéciale ; pour
un marché moins qu’annuel il faut une allocation préalable, sans quoi l’Etat ne
se trouve pas valablement engagé. Que l’on recherche dans les cartons
ministériels, et l’on trouvera alors plus d’un contrat susceptible d’être
annulé pour absence de l’une ou de l’autre de ces conditions.
Parmi les dépenses plus qu’annales je
pourrais citer les arrangements pris avec les villes pour le couchage des
troupes, et qui tous lient l’Etat pour plusieurs années sans que l’on ait
demandé à la législature une autorisation spéciale.
Quant aux marchés faits avant allocation de
crédit, je mentionnerai tous ceux qui ont pris cours à partir du 1er janvier
dernier et qu’il fallait nécessairement conclure si l’on voulait assurer le
service, donner le temps aux entrepreneurs de se mettre en mesure.
Ainsi voilà autant de contrats faits avec l’intention
réciproque de s’obliger ; voilà autant d’irrégularités flagrantes contre
lesquelles la chambre n’a jamais protesté, les tiers ne se sont jamais mis en
garde.
Si le système n’a point encore été appliqué,
pourra-t-il l’être davantage par la suite ? Avec lui l’administration
est-elle possible ? Qu’on y réfléchisse.
Parmi les dépenses, il en est une foule qui
exigent des traités : souvent dans l’intérêt bien entendu du trésor et du
service, ces traités doivent être annuels ou de plus longue durée. Ces traités
doivent être faits en des saisons diverses. Ces traités doivent devancer
l’exercice ou empiéter sur lui. Dans tous ces cas fort nombreux, comment, avec
les principes de la commission, les ministres seraient-ils munis des pouvoirs
suffisants, si les chambres ne sont là pour leur accorder, au fur et à mesure
des besoins, soit l’autorisation, soit le crédit nécessaire ?
D’un autre côté, pour être ministre, l’on n’a
pas l’art devinatoire. Dans l’intervalle des
sessions, des dépenses non prévues peuvent devenir urgentes ; des dépenses
votées peuvent dépasser les prévisions. Si les ministres sont incapables, qui
voudrait traiter avec eux sur ce pied ? qui voudrait d’un contrat léonin où
tout serait d’un côté, rien de l’autre ? Qui voudrait enfin, après avoir fourni
son argent et sa peine, être réduit, pour toute garantie, aux chances plus ou
moins périlleuses, plus ou moins politiques du bill d’indemnité ? avant de
traiter, il faudrait forcément réunir les chambres, et en attendant laisser
mourir de faim peut-être les hommes et les chevaux.
Avec ces principes, il devient indispensable
de réformer l’article 27 de la constitution, de proclamer la permanence des
chambres, ou au moins de créer une députation conçue sur les mêmes bases que la
députation des conseils provinciaux.
Si la théorie de la commission se refuse aux
nécessités du service, elle ne se concilie pas davantage avec la sécurité que
les tiers doivent trouver, avec le degré de confiance que les ministres de
l’Etat doivent inspirer. La loi du budget, dit-on, est un véritable mandat ;
elle est la base sur laquelle les tiers, aussi bien que les ministres, doivent
se régler. Mais qui donc voudrait traiter avec le porteur d’un pouvoir aussi
restrictif et aussi peu explicite que le peu d’articles qui composent cette foi
? Quelle assurance aurait-on que le crédit n’a pas été épuisé, que l’affaire
conclue rentre bien dans la spécialité du budget ? La cour des comptes, initiée
à tous les secrets de l’administration, est souvent embarrassée pour saisir les
limites dans lesquelles les crédits se renferment, et l’on voudrait que des
ouvriers ou des entrepreneurs fussent plus savants, qu’ils ne pussent se
tromper sans encourir la peine de nullité, sans être exposés à perdre le fruit
de leur travail.
Pour arriver là, ne faut-il pas faire
violence aux choses et aux mots ? Que l’on se pénètre bien de l’idée simple,
naturelle, que la loi du budget présente à l’esprit de son but, de ses
dispositions, et l’on verra que vis-à-vis des tiers elle ne peut avoir pour
résultat de régler une capacité qui, dans l’intérêt de la société entière, doit
l’être par une loi claire, précise et surtout permanente ; que vis-à-vis des
ministres même elle ne renferme dans ses prescriptions rien d’aussi
impérieusement restrictif, rien d’aussi absolument impératif, qu’on le suppose
ici.
En effet, si l’on réduit l’art. 115 à sa
juste valeur, à son véritable sens, l’on reconnaîtra qu’il peut se transformer
en celui-ci :
« Chaque année les chambres font le
budget conjointement avec le pouvoir exécutif. » En d’autres termes
: « Elles fixent les dépenses qu’elles présument devoir être faites,
et allouent les crédits nécessaires pour y subvenir. »
Ainsi ramené à ses véritables proportions,
cet article ne repousse-t-il pas un système qui pourtant n’a pas d’autre appui
à réclamer ?
Si l’article 115 suppose une transmission de
mandat, quant à l’allocation de crédit, quant au payement, il n’en est pas de
même, quant à l’état de la dépense, quant au principe. Sous ce dernier rapport,
la loi du budget n’est évidemment qu’un règlement intérieur d’administration et
de comptabilité, qui peut profiter ni nuire aux tiers, qui ne s’adresse pas à
eux mais aux ministres seulement.
Vis-à-vis de ceux-ci même, il y avait danger
à donner à cette loi plus de portée qu’elle n’en comporte, à proclamer que dans
aucun cas, dans aucune circonstance, les ministres ne peuvent, sans se rendre
coupables, dépasser leurs crédits, sortir des prévisions du budget. Je me
bornerai à en citer un exemple.
Notre budget de la guerre n’est calculé que
sur une présence au corps de 40 ou 50,000 hommes, et bien certainement, si le
lendemain de la séparation des chambres,
Il faut le reconnaître, les prévisions du
budget sont plus ou moins éventuelles, plus ou moins bien calculées, les
dépenses peuvent devenir plus ou moins urgentes, l’on ne peut, en cas de péril en
la demeure, pousser la rigueur du principe jusqu’à condamner un ministre à
rester inactif, jusqu’à le déclarer coupable s’il agit, et encore moins doit-on
avec la commission, pour mieux sanctionner ce principe, frapper le ministre
d’incapacité, le garrotter au point qu’il ne puisse même se remuer, au moment
où tout retard deviendrait fatal.
Ainsi, de quelque côté que l’on envisage la
portée donnée par la commission aux lois du budget, l’on trouve que cette
extension est monstrueuse, qu’elle n’est pas plus dans l’essence de ces lois,
que dans leur but et leurs dispositions, et que par conséquent elle est
contraire au véritable esprit de l’art. 115.
Mais ce ne sont pas les seuls inconvénients,
il en est d’autres non moins saillants, non moins péremptoires, et qui mettent
plus à nu le vice de l’argumentation sur laquelle la commission a construit
toute sa théorie.
En définitive, en quoi se résolvent les actes
du pouvoir administratif ? Tous ces actes qui engagent plus ou moins l’Etat ;
si l’intervention des chambres est nécessaire pour leur donner la validité,
l’on place forcément l’origine du pouvoir administratif dans le sein de la
législature, l’on dépouille le pouvoir exécutif de son accessoire le plus
essentiel et le plus vital. L’on efface la distinction des pouvoirs et l’on
fait tomber la constitution dans un cercle de contradictions.
Et, en effet, d’un côté, les art. 29 et 89
auraient posé en principe : il y aura un pouvoir distinct, responsable, chargé
d’exécuter les lois. Or, pour exécuter, il faut agir, il faut des services, il
faut des dépenses, et dès lors, à moins de créer un effet sans cause, un agent
sans moyen d’actions, ces articles ajoutaient virtuellement, nécessairement :
Ce pouvoir sera chargé d’organiser les services, de faire les dépenses
nécessaires, de traiter avec les tiers, il sera à cet égard le représentant de
l’Etat. Et d’un autre côté, l’article 115, avec l’extension qu’on lui donne,
placerait le pouvoir administratif en d’autres mains, ne le ferait parvenir au
pouvoir exécutif que partiellement et par délégation, soumettrait enfin cette
délégation aux éventualités du budget, en telle sorte ainsi qu’à la fin d’un
exercice et jusqu’au moment où le vote a lieu, ce qui arrive tous les ans, il y
aurait un interrègne pendant lequel l’Etat se trouverait sans représentants,
l’autorité administrative sans moyen d’action, ses pouvoirs ayant cessé, son
mandat étant expiré, et par suite le langage de la constitution se réduirait à
celui-ci :
« Il y aura un pouvoir exécutif, mais ce
pouvoir sera naturellement incapable, naturellement sans moyen d’exécution. Ce
pouvoir sera distinct, mais il tiendra son mandat d’un autre pouvoir ; ce
pouvoir sera responsable, mais il ne pourra faire aucun acte produisant effet
sans y être préalablement autorisé. » Ne serait-ce pas là un véritable
non-sens ? et après cela n’est-il pas évident que, pour arriver aux principes
que je combats, il faut ne pas tenir compte des art. 29 et 89, il faut les
dépouiller de leurs conséquences immédiates, il faut en un mot les annihiler,
sans que l’on en eût conclu nécessairement que lorsqu’il s’agit d’engager
l’Etat, les pouvoirs des ministres remontent non à la loi du budget, mais à la
constitution même.
De même qu’en tenant compte de la nature des
choses, j’ai fait voir tout à l’heure que cette loi ne pouvait avoir ni pour
but, ni pour résultat de régler une capacité constitutionnelle aussi importante
que celle dont s’agit, une capacité qui intéresse tous les citoyens et qui par
suite doit être établie d’une manière stable, claire et précise ; que le
véritable but, la véritable destination du budget étaient purement intérieurs
et concernaient non la capacité, mais la responsabilité des ministres.
Je le sais, la commission a fait bon marché
de la responsabilité ministérielle, rouage, au reste, parfaitement inutile dans
son système. Soumis à l’autorisation préalable, comment les ministres
pourraient-ils encore compromettre l’Etat par leur propre fait ? Garanti par
l’incapacité naturelle des ministres, comment l’Etat pourrait-il leur demander
une responsabilité qui n’est plus la leur ? aussi la commission a-t-elle été
amenée à proclamer l’irresponsabilité des ministres et à détruire par là l’un
des ressorts les plus vitaux et les plus salutaires de notre régime
constitutionnel.
Mais par suite de cette manière d’envisager
les choses, il en est résulté un principe nouveau, une responsabilité nouvelle.
D’après les conclusions de la commission, ce ne sont plus les ministres qui
doivent connaître les lois, l’étendue de leurs droits, les besoins de
l’administration, les déterminations prises entre eux et les chambres, l’état
et le reliquat des crédits alloués, les sommes dont ils peuvent disposer ; ce
ne sont plus les ministres qui doivent subir les conséquences des décisions
qu’ils prennent ; ce sont les entrepreneurs, ce sont eux qui deviennent les
éditeurs responsables, les agents soumis au bill d’indemnité.
Un pareil mode de responsabilité paraît au
premier abord mettre à couvert les intérêts du trésor. Mais qu’on y prenne
garde, en enlevant aux entreprises toute sécurité, l’on finirait par tuer le
crédit public, par payer cher les risques que l’on ferait courir. Dans
l’intérêt même du trésor, mieux vaut en revenir aux véritables principes :
responsabilité de l’agent vis-à-vis de l’Etat, responsabilité de l’Etat
vis-à-vis des tiers, ainsi d’ailleurs le veut la justice, ainsi le veut la
constitution.
Considéré sous un autre point de vue, les
principes de la commission n’amènent pas des conséquences moins inadmissibles ;
des conséquences qui détruisent les véritables droits, les véritables
prérogatives des chambres ; qui font jouer à celles-ci un rôle qui n’est pas le
leur ; qui bouleversent en un mot toute l’économie de notre système
représentatif.
Et d’abord où aboutit la doctrine du mandat mise
en avant ? à faire remonter jusque dans le sein de la législature, la
responsabilité tout entière. Comme mandant les chambres administreraient en
première ligne. Comme mandataire les ministres n’administreraient plus qu’en
sous-ordre. Comme mandant, les chambres auraient donc à prendre le fait et
cause de leur mandataire, à conserver et respecter ce qui, en définitif, ne
serait que leur propre ouvrage ; et il faut bien le dire, il n’y a eu que trop
jusqu’ici tendance de la part des ministre à se retrancher derrière les
chambres, à faire peser sur elles tout le fardeau moral et matériel du
gouvernement. Ce système peut être fort commode pour eux, mais il ne remplit ni
le but ni les vues de la constitution ; il ne va surtout ni avec
l’inviolabilité qu’elle a donnée aux chambres, ni avec la responsabilité
qu’elle a imposée aux conseillers de la couronne.
S’il m’était permis de m’éloigner de mon
sujet, je vous montrerais l’honorable M. Dumortier, il y a quelques jours
encore, repoussant à grands cris et avec raison une responsabilité que l’on
déversait sur nous ; seulement j’aurais peine à concilier ce que l’honorable
membre a dit dans cette séance, avec les opinions émises par lui en d’autres
circonstances, et notamment dans l’affaire actuelle. Je lui abandonne au reste
cette tâche, que je considère comme au-dessus de mes forces.
Mais en restant dans mon sujet, les exemples
ne manqueraient pas, s’il le fallait, pour faire ressortir tous les
inconvénients inhérents à ce système, je me bornerais à un seul exemple : un
ministre forme une demande de crédit, la chambre alloue parce qu’elle est
pressée, parce que ses devoirs législatifs appellent son attention ailleurs.
D’après la théorie de la commission, tout serait couronné, il y aurait
autorisation, ratification, vis-à-vis des tiers comme vis-à-vis des ministres ;
ainsi, cette demande aurait pour base un contrat nul par vice de forme ou par
toute autre cause, le contrat deviendrait inattaquable, les tiers seraient
recevables à invoquer devant les tribunaux l’allocation de crédit comme moyen
d’exception et de ratification.
Ainsi, encore l’on reconnaîtrait plus tard
que la dépense qui a motivé le crédit était blâmable, donnait même lieu à
accusation, et la chambre devrait guider le silence, parce qu’elle se serait liée,
parce qu’elle aurait autorisé ou ratifié.
Non, messieurs, il n’en peut être ainsi, en
allouant, la chambre autorise bien le paiement de la dépense, mais quant au
principe, quant à la manière dont elle a été faite, la chambre réserve les
droit de tous, les siens, comme ceux du gouvernement, comme ceux des chambres à
venir : elle ne pourrait même faire autrement sans excès de pouvoir, ainsi que
l’a fort bien observé l’honorable M.
Lebeau.
Et remarquez, le vote du budget est annal. Si
ensuite ce vote embrasse tout à la fois le principe et le paiement de la
dépense, s’il doit être entièrement libre, entièrement indépendant, je ne vois
plus comment les chambres pourraient autoriser les emprunts et les contrats
plus qu’annuels sans empiéter sur les droits des chambres suivantes, sans
violer la constitution. Tout ne doit-il pas être égal ? l’exercice qui succède
ne doit-il pas avoir la même latitude, la même indépendance que l’exercice qui
finit ?
Aussi, l’honorable M. Dubus, en répondant à
M. Lebeau, a-t-il dû trancher la difficulté et se réfugier derrière une
prétendue nécessité qui autoriserait la transgression du pacte fondamental. Il
n’en pouvait être autrement, dés qu on exagère les droits de l’un, on exagère
les droits de l’autre. Ce qu’on gagne d’un côté on le perd de l’autre.
Ainsi, messieurs, avec la doctrine de la
commission, voilà presque tout le pacte fondamental à refaire, un grand nombre
d’articles à supprimer, les pouvoirs à remanier, les précédents à réformer,
sans quoi contradiction dans la constitution, administration impossible,
amortissement du crédit public, et certes pour qu’un principe entraîne avec lui
des conséquences aussi anormales, il faut de toute nécessité qu’il soit erroné,
et contraire à la nature des choses. C’est ce qu’il me reste à démontrer pour
renverser complètement le système de la commission.
Sur quoi repose le principe de plénitude de
vote en matière de dépense ? Quelle en est l’idée première ? Selon moi, la
voici : En votant le budget, nous faisons une loi, et dès lors législateur,
votre vote doit être entièrement libre, souverain, omnipotent. Dès lors, en
effet, tous les pouvoirs doivent céder devant son autorité. C’est ce qu’on n’a
pas dit d’une manière formelle, mais c’est ce qu’on a donné à entendre, c’est
ce qui résulte d’ailleurs de l’amendement proposé par l’honorable M. Schaetzen.
En est-il bien ainsi ? Le budget a-t-il
réellement ce caractère de souveraineté ? De sa nature n’est-il pas plus
administratif que législatif ? Les principes sont là pour décider. Que disent-ils
?
Pour qu’une disposition forme loi, il ne
suffit pas qu’elle soit votée et sanctionnée par les trois branches qui font
les lois, il faut encore, pour être reconnue comme telle et en produire tous
les effets, qu’elle en ait la nature, l’étendue et les caractères essentiels,
il faut qu’elle soit conçue d’une manière impérative, qu’elle s’adresse à tous,
qu’elle soit obligatoire pour tous, et qu’enfin elle dispose sur et pour
l’avenir. Or, que l’on ouvre un loi du budget, et l’on ne rencontrera aucun de
ces caractères, aucune de ces conditions.
Et d’abord s’agit-il, comme en matière
vraiment législative, de séparation tranchée et impérative à faire entre le
présent et l’avenir ? Non, l’ensemble d’un budget se compose de faits spéciaux,
de droits acquis, d’actes accomplis, de crédits à allouer, de paiements à
effectuer, d’après les lois, règlement, arrêtés existants, d’après les
décisions judiciaires, intervenues ou à intervenir.
Quant à ses dispositions, prétendrait-on
qu’elles sont obligatoires pour tous, qu’elles s’adressent à tous, qu’en un
mot, elles décident souverainement ? Personne, je pense, n’osera le soutenir.
Ainsi, par exemple, cette loi aura beau dire, l’Etat ne doit rien, nous
n’allouons rien, les tribunaux ne seraient pas liés par là, ils pourraient fort
bien condamner ; ce qui n’arriverait pas, si le budget était réellement une loi
souveraine.
Une fois reconnu que celui-ci n’est pas un
acte législatif, la plénitude de vote n’est plus une nécessité, la force des
choses veut au contraire que souvent il ne soit pas entièrement libre,
entièrement indépendant, que, comme acte administratif, il soit soumis à toutes
les conditions qui régissent les actes de cette nature ; comme tel ainsi, il
doit respecter ce qui a été fait par les autres pouvoirs dans le cercle de
leurs attributions, et ces limites sont, non de convenance, mais de
constitution et de stricte obligation.
Ainsi, cette loi fixe le personnel d’une
administration et le traitement qui y est attaché ; je citerai la loi sur
l’organisation judiciaire. La chambre bien certainement ne pourrait refuser les
allocations voulues par cette loi, sans quoi, elle ferait violence aux deux
autres branches du pouvoir législatif, et annulerait, dans leur concours, une
loi de l’Etat.
Une décision judiciaire condamne le
gouvernement, force est encore aux chambres d’allouer, sinon elle reformerait
indirectement cette décision, et s’arrogerait ainsi le droit de juger.
Vis-à-vis du pouvoir exécutif, le vote des chambres
n’a pas non plus une indépendance absolue. Ainsi, elles ne peuvent opposer à
leur vote toutes espèces de condition, dire quand et comment la dépense se
fera, en faveur de quelle personne, et sans quoi les chambres administreraient,
et dès lors tous les rouages de la constitution devraient être modifiés ainsi
que je l’ai fait voir, toute l’économie de notre système représentatif serait
bouleversé. Personne, au reste, ne conteste que la mission des chambres ne
doive se borner au simple contrôle, à la simple surveillance.
Ainsi, en résumé, il me semble avoir été
démontré que le système de la commission est inadmissible, qu’il repose sur un
principe faux, que ce principe amène des conséquences non moins fausses, que
ces conséquences enfin détruisent tout l’équilibre des pouvoirs, et violent
plus ou moins les art. 29, 70, 89, 90, 115 et 134 de la constitution, que la
source de l’erreur provient surtout de ce que la commission ne s’est pas assez
arrêtée sur la nature des attributions dévolues aux chambres en vertu de
l’article 115 et de ce qu’elle n’a pas tenu compte des art. 29 et 89.
D’un autre côté, si je me suis fait bien
comprendre, il devient facile maintenant de fixer les bases sur lesquelles,
selon moi, doivent se régler les droits des ministres, les droits des chambres
en matière de dépense.
En ce qui concerne les ministres d’abord, je
pense avoir établi qu’en cette matière, le pouvoir exécutif était le
représentant de l’Etat, que c’était à lui que les tiers devaient s’adresser,
que c’était avec lui qu’ils devaient traiter ; qu’en un mot il avait pouvoir et
capacité, sous sa responsabilité de lier et engager l’Etat ; que cette
capacité, il la tenait, non du budget, mais des art 29 et 89 de la
constitution, par suite du principe : Qui veut la fin veut les moyens.
S’il pouvait rester quelque doute à cet
égard, j’invoquerais ce qui a été fait, ce qui a été reconnu et admis
jusqu’ici.
Sous toutes les théories, sous toutes les
constitutions, le pouvoir administratif a toujours été considéré comme
l’apanage inséparable du pouvoir exécutif, et sans le droit de lier l’Etat, le
pouvoir dont tous les actes engagent plus ou moins n’est plus qu’un vain mot.
Dans la pratique, et sauf le cas d’emprunt,
et nous verrons pourquoi, s’est-on jamais départi de ces principes ? n’a-t-on
pas toujours agi comme si les ministres avaient pouvoir d’obliger ? Est-il venu
dans la pensée des tiers contractants de demander si leur mandat était en
règle, s’ils avaient une allocation de crédit suffisant ? D’un autre côté, les
ministres se sont-ils considérés comme ayant besoin, sinon pour mettre leur
responsabilité à couvert, d’une autorisation ou d’une ratification ? Il est
peut-être quelques exceptions ; mais, en général si des contrats ont été soumis
aux chambres, ils ne l’ont point été pour être ratifiés, mais à titre de
renseignement et pour motiver le crédit, si enfin dans les cas qui sortent de
l’administration ordinaire, comme celui de la bibliothèque Van Hulthem, les ministres, non munis d’un crédit ad hoc, ont
contracté des obligations conditionnelles et soumis à l’éventualité de
l’allocation, ils ne l’ont fait que pour couvrir leur responsabilité, et non
parce qu’ils se reconnaissaient incapables ; car une obligation conditionnelle
suppose la même capacité qu’une obligation simple ou à terme, là encore aux
yeux de tous les jurisconsultes, il n’y a pas ratification de la part des
chambres ; autre chose est de ratifier ; autre chose est d’accomplir une
condition éventuelle.
Ainsi, messieurs, tout concourt les principes
comme les précédents, à établir que les ministres ont capacité pour engager
l’Etat, que cette capacité ils la tiennent non du budget, mais de la
constitution.
Mais, dira-t-on, si le budget n’est pas
attributif, il est au moins restrictif de pouvoir, il circonscrira la capacité
ministérielle dans la limite des crédits alloués. Ce système reviendrait en
dernier résultat à celui de la commission. Il en aurait tous les inconvénients
; il soulève les mêmes objections et toutes doivent le faire également
repousser.
Pour régler une capacité émanant de la
constitution, et qui comme celle dont il s’agit intéresse la société tout
entière, il faut comme je l’ai déjà dit, une loi claire, précise, permanente,
s’adressant à tous, obligatoire pour tous.
C’est là le rôle non des lois du budget, mais
des lois de comptabilité générale et de responsabilité ministérielle. Elles
seules peuvent organiser et régulariser vis-à-vis de tous les principes posés
par les articles 29 et 89 ; restreindre ce que l’initiative ministérielle peut
avoir de trop étendue ; remplir enfin une lacune remarquée par votre
commission. Mais, messieurs, lorsque vous vous occuperez de ce sujet, quelles
que soient les dispositions que vous preniez, je ne pense pas que vous puissiez
aller, sans violer la constitution et sans rendre l’administration impossible,
jusqu’à formuler en loi le système de la constitution, jusqu’à soumettre les
ministres en matière de dépense à l’autorisation préalable, et ce à peine
nullité.
En France ainsi, où le vote des budgets et
l’initiative du vote appartiennent également à la chambre des députés, en vertu
des art. 47 et 48 de la charte, et la puissance exécutive au roi et à ses
ministres, en vertu de l’art. 1er, où d’ailleurs il existe un système financier
semblable au nôtre, sauf que le visa de la cour des comptes ne doit pas
précéder le paiement, l’on a fait en 1817 une loi de comptabilité qui, je
pense, est encore en vigueur aujourd’hui. Mais dans cette loi, l’on s’est bien
gardé de donner aux dispositions du budget un effet aussi restrictif et aussi
absolu que celui que voudrait réduire de notre constitution. Ainsi l’on a
laissé les droits de tiers saufs et entiers ; en cas d’infraction, l’on n’a pas
comminé contre eux la peine de nullité, parce qu’il leur est presque toujours
impossible de savoir si un ministre dépasse ses crédits, parce que cette peine
frapperait les innocents et laisserait en paix les contrevenants. Voici au
reste les dispositions de la loi du 25 mars 1817 :
« Art. 152. Les ministres ne peuvent,
sous leur responsabilité, dépenser au-delà du crédit. »
« Art. 153. Le ministre des finances ne
peut, sous la même responsabilité, autoriser les paiements excédants, que dans
les cas extraordinaires et urgents, et en vertu d’ordonnances du roi, qui
doivent être converties en loi à la plus prochaine session. »
Comme on voit, ces dispositions mettent en
cause, non la capacité mais la responsabilité des ministres. De plus elles
reconnaissent au roi un droit qui eût été éminemment inconstitutionnel, si les
art. 47 et 48 équivalents à nos articles 27 et 115 avaient eu une portée aussi
étendue que le suppose la commission. Car il eût déplacé une prérogative dont
les chambres n’eussent pu se dessaisir sans porter atteinte au pacte
fondamental.
Je pourrais m’arrêter ici, mais il s’agit d’une
question délicate d’attribution, et comme personne plus que moi ne respecte les
droits et prérogatives de la chambre, je tiens à démontrer que les principes
que je viens de développer ne lèsent aucun des droits qui lui ont été conférés
par la constitution, et j’aborde de suite la principale objection que ces
principes peuvent faire naître : si les ministres n’ont pas besoin
d’autorisation préalable pour lier l’Etat, s’ils peuvent ainsi forcer
l’allocation, faire violence aux chambres, à quoi servent, dira-t-on, les lois
du budget, à quoi sert l’art. 115 de la constitution ? Ici d’abord il est bon
de s’entendre.
Je suis le premier à le reconnaître ; il est
dans le vœu et dans l’esprit de la constitution que les ministres engagent le
moins possible le vote des chambres, qu’ils ne le fassent qu’en cas de
nécessité absolue, qu’ils s’en abstiennent, d’autant plus que le service est
plus nouveau, que le service sort plus des errements suivis jusqu’alors, que
sinon ils compromettent leur responsabilité. Cela résulte implicitement des
articles 111, 115 et 116 de la constitution. Ainsi la dépense fût-elle
avantageuse, si elle n’est pas urgente, si les chambres n’ont pas été
consultées au préalable, il y a irrégularité, sujet à blâme. Mais ce que je ne
puis admettre, c’est que la peine de l’irrégularité aille saisir les tiers
innocents, et laisse impunis les ministres contrevenants. Ce que je ne puis
admettre davantage, c’est que le droit de surveillance aille jusqu’à absorber
le droit d’agir, qu’en fait de dépense, de pouvoir administratif, les ministres
ne soient que de simples intermédiaires, que les chambres seules lient et
engagent l’Etat ; et réunissent ainsi deux prérogatives qui impliquent
contradiction, l’initiative et le contrôle, le droit d’agir et le droit
d’accuser : sur tous ces points je m’en réfère à ce que j’ai dit précédemment.
Après cela, de ce que l’allocation serait
obligatoire vis-à-vis des tiers, s’ensuit-il que tout soit consommé ? Que le
vote ne soit plus qu’une simple formalité ? Que les chambres se trouvent
désarmés et l’Etat sans garantie contre les abus ? Les articles 89, 90 et 134
ne sont pas supprimés par là, au contraire, ils n’ont de valeur que dans ce
système. Les ministres ne doivent pas moins compte de leur conduite, ils ne
sont pas moins responsables matériellement et surtout moralement si
l’allocation est forcée vis-à-vis des tiers ; le vote reste libre et
indépendant vis-à-vis des ministres.
Les chambres peuvent approuver ou improuver,
poursuivre ou ne pas poursuivre suivant l’occurrence des cas. Ainsi, en cas de
fraude, si les tiers étaient complices, je n’hésite pas à penser qu’ils ne
tomberaient, conjointement avec le ministre coupable, sous votre droit
d’accusation ; qu’en vertu de votre pouvoir discrétionnaire, vous ne puissiez
les traduire également devant la cour de cassation, et que s’il s’agissait par
exemple d’un contrat évidemment frauduleux et dilapidatoire,
vous n’ayez accessoirement action pour en faire prononcer la nullité. Mais la
prévention et la répression ne s’arrêtent pas là. Vous pouvez retirer votre
confiance à un ministre, le forcer à la retraite ; user ainsi d’un droit plus
efficace qu’on ne pense pour le maintenir dans le cercle de ses devoirs.
Mais, dira-t-on, ces garanties sont
insuffisantes, un ministre incapable ou infidèle peut se jouer de ces liens
plutôt moraux que matériels et vous lui mettez en main les moyens de léser
gravement les intérêts de l’Etat, sans d’autre remède qu’un recours le plus
souvent inutile. Je ne nie pas qu’il n’y ait des précautions à prendre, mais
ces précautions doivent être l’ouvrage de la loi. Cette loi est à faire et
aujourd’hui nous devons décider d’après ce qui est, et non d’après ce qui doit
être. Au reste vous aurez beau faire, les places de ministres sont et devront
toujours être des places de confiance. Imaginez tous les systèmes possibles,
prenez toutes les précautions, et vous n’éviterez pas que dans certaines
circonstances données et plus nombreuses qu’on ne pense, un ministre ne puisse
faire un mal irréparable au pays, un mal qui frapperait celui-ci non seulement
dans sa fortune, mais dans ses affections les plus chères, dans ses intérêts
les plus sacrés. Si ce n’est pas par la dépense, ce sera par les alliances
qu’il conseillera, par l’esprit qu’il donnera à son administration, par les
erreurs législatives dans lesquelles il pourra induire les chambres. Ainsi,
même, la commission a cru remédier à tout par son système. Eh bien, avec ce
système un ministre peut encore dépasser ses crédits, grever l’Etat, malgré la
volonté des chambres, pour des sommes considérables que l’Etat sera obligé de
payer, et cela parce qu’un mandant se met toujours plus ou moins à la
disposition de son mandataire. Ainsi que l’on alloue une somme de 70,000 fr.
pour acquisition de tableaux, par exemple, un ministre ne peut-il pas traiter
séparément avec plusieurs personnes pour cette somme totale ? Ces personnes ne
peuvent-elles pas être de bonne foi ? Dans ce cas les divers contrats seraient
obligatoires, les tiers auraient action d’après les principes du mandat, et
l’Etat pourrait avoir à payer 2 ou 300,000 fr. Peut-être heureusement l’esprit
et la marche du système représentatif repoussera de semblables hypothèses. Un
ministre aujourd’hui n’est plus une créature du favoritisme. Il est l’enfant de
ses œuvres, il a besoin d’avoir été éprouvé soit dans les emplois publics soit
dans les débats parlementaires, il a besoin surtout de la confiance des
chambres, et cette confiance ne lui est accordée que s’il l’a méritée.
Si quittant les considérations générales, j
examine, le texte à la main, les droits que la constitution a donnés aux
chambres sur les deniers publics, je n’y vois rien qui contrarie les principes
que j’ai précédemment développés. Les chambres, a dit l’honorable M. Liedts, et
notamment la chambre des représentants, ont un droit de souveraineté sur les
finances de l’Etat. Cette souveraineté doit rester intacte, aucun pouvoir ne
peut lui faire violence Cette objection, au fond, revient au principe qui a
servi de point de départ à la commission, bien qu’elle n’ait changé sans doute
qu’en vertu des articles 27, 111, 115, 116 ; la chambre des représentants est
instituée gardienne de la caisse de l’Etat, elle a sur elle un droit de haute
surveillance, rien n’y peut entrer, rien n’en peut sortir sans son autorisation
préalable, en un mot elle a sur ce point l’administration suprême. Mais ces
attributions doivent être renfermées dans leurs véritables bornes ; par nature,
elles sont essentiellement administratives, et l’on ne peut leur reconnaître un
caractère de souveraineté que lorsqu’il résulte formellement de la lettre ou de
l’esprit de la constitution. Or, en partant de là, je ne puis reconnaître ce
caractère de souveraineté que lorsqu’il s’agit des voies et moyens, et cela en
vertu de l’art. 111.
Là effectivement vous avez à voter en
première ligne les lois d’impôt ; là vous êtes législateurs, souverains et
omnipotents ; là votre vote doit être libre, indépendant, là vous avez faculté
absolue de refus ou d’action.
Ce n’est pas tout cette disposition doit
s’étendre à toutes les autres branches des revenus publics. L’accessoire suit
le sort du principal. Le même régime lui est applicable, et voilà pourquoi les
ventes, les emprunts, la création des bons du trésor, la perception des rendages, même à défaut de disposition expresse, sont
soumis à l’autorisation préalable. Tout cela est dans l’esprit et dans les vues
de l’art. 111.
La constitution, en effet, a voulu que les
deniers de l’Etat fussent remis en des mains sûres et ayant votre confiance.
Elle a voulu assurer l’harmonie et le concours entre les pouvoirs qu’elle
établissait, et dans ce but, elle a soumis les lois d’impôt à un régime
exceptionnel, elle ne leur a donné force que pour un an ; de cette manière, les
ministres ne peuvent battre monnaie sans votre concours ; vous n’abdiquez pas à
perpétuité, sur ce qui peut seul leur donner une existence, votre droit de
souveraineté, et vous conservez un remède extrême, remède plus ou moins
contesté jusqu’alors contre les conflits graves contre la persistance d’un
ministère qui voudrait se maintenir contrairement au vœu de la majorité.
Mais aussi, une fois le budget des voies et
moyens adopté, vous avez épuisé cette souveraineté extrême, vous n’êtes plus,
lorsqu’il s’agit de lui donner une destination, que simples administrateurs,
dont le rôle et les droits sont fixés par les articles 29 et 89 d’une part, par
les art. 90, 115, 116 et 134 de l’autre.
Et ces droits peuvent se résumer en ceux-ci ;
droit de haute surveillance, droit de haute direction sur les finances, et par
contre sur la marche, la portée et l’esprit de l’ensemble administratif ; ainsi
en vertu des art. 115 et 116 surtout, les chambres tiennent, si je puis
m’expliquer ainsi, les cordons de la bourse. Aidée de la cour des comptes,
elles veillent à ce qu’on n’abuse pas des deniers publics ; aucun paiement ne
peut être fait sans leur autorisation préalable, les ministres doivent demander
les fonds, et pour les obtenir, ils sont obligés de rendre compte de leur
conduite ; d’un autre côté, en vertu du même art. 115, les chambres doivent,
autant que faire se peut, être consultées au préalable ; s’opposer ainsi à ce
qu’on ne fasse des dépenses excessives ou inutiles, établir des jalons qui
arrêtent et qui guident les ministres dans leur gestion, et c’est ce qu’elles
accomplissent en votant à l’avance le budget. Mais, en cas de contravention,
les chambres doivent se retrancher dans les droits que la constitution leur a
accordés, à titre de sanction, et ces droits sont : le droit de contrôle en
vertu des art. 89 et 90, le droit d’accusation, en vertu de l’art. 134, le
droit de révocation indirecte, en vertu de l’art. 111, droit au reste qui
résulte de l’ensemble de ses prérogatives ; or, de tous ces droits sanctionnateurs, il n’en est aucun qui frappe la capacité
ministérielle, aucun qui autorise l’annulation des acte semblables à celui que
nous considérons en ce moment.
Après ce long examen, article par article, je
crois avoir donné une preuve suffisante de mon respect pour la constitution, de
mon respect pour la prérogative de chacun, et avoir justifié les motifs qui me
font repousser le système de la commission.
En résumé, je pense avoir établi, qu’en fait
de dépense, les ministres tiennent leur capacité, pour engager l’Etat, non du budget,
comme le prétend la commission, mais bien de la constitution, des art. 29 et 89
; qu’en outre la loi du budget ne règle pas, n’entame pas cette capacité,
qu’elle la laisse entière, qu’elle ne touche qu’à la responsabilité des
ministres, en l’étendant ou en la restreignant suivant l’occurrence des cas.
Si ces principes sont vrais, l’on est obligé
de reconnaître que le contrat dont s’agit est validé, parce qu’au fond le
ministre avait capacité pour le faire, parce que la durée du contrat quelque
longue qu’elle puisse être, ne présenterait une cause de nullité que dans le
cas où l’on pourrait en induire une circonstance de fraude, parce que, s’il y a
eu irrégularité, le ministre seul devrait être responsable.
Après cela irons-nous recourir aux tribunaux
? Je crois que le plus sage, le plus politique, le plus conforme à la dignité
de la nation est d’exécuter le contrat sauf à voir ce que nous devons décider
vis-à-vis du ministre.
Je laisse à de plus experts en administration
militaire, le soin de traiter à fond cette seconde question. Je me bornerai à
quelques réflexions sur ce qui a été dit jusqu’ici : les attaques ont porté
principalement sur la durée de l’entreprise, sur l’absence d’autorisation, sur
l’inopportunité de la dépenses, sur les bases enfin du marché, et, je l’avoue,
dans toutes ces critiques, je n’en vois aucune assez grave, assez sérieuse pour
motiver contre le général Evain une détermination de la chambre.
Le ministre, dit-on, a eu tort de faire un
marché aussi long. Mais la nature du service permettait-il d’en faire un autre
? eût-on trouvé adjudicataire pour une entreprise de quelques années seulement
? ou du moins n’eût-il pas fallu se résoudre à des obligations fort onéreuses
pour le trésor et le service ?
Mais, réplique-t-on, avant d’engager le pays
pour un si long terme, le ministre eût dû au préalable consulter la chambre, il
eût pu par exemple contracter une obligation conditionnelle et soumise à
l’allocation. Ce genre d’obligation est-il toujours possible ? n’offre-t-il pas
le plus souvent des résultats désavantageux par l’incertitude qu’il laisse
après lui ? n’a-t-il pas ensuite le grave inconvénient de déplacer le
responsabilité, d’en décharger le ministre sur qui elle doit peser et de la
reporter sur la chambre qui n’est pas toujours en position de décider en
connaissance de cause ? Au reste, la difficulté n’est pas là, il y avait
allocation, et l’on n’eût point songé à critiquer le ministre ; s’il était
resté dans les errements suivis jusqu’alors, eût-il engagé le vote des chambres,
eût-il, par exemple, traité avec les villes pour plusieurs années ?
Toute la question est donc de savoir s’il y
avait lieu de modifier le service, si ces modifications étaient opportunes, si
elles ont été bien exécutées ; or, sur les deux premiers points la commission a
répondu affirmativement à l’unanimité, elle a trouvé qu’il y avait lieu à
apporter des modifications, seulement elle a blâmé le mode d’exécution suivi,
elle l’a déclaré mauvais : c’est donc sur ce point que doit se concentrer la
discussion.
Je me garderai bien de soutenir qu’on n’eût
pas pu faire meilleur marché, car je me reconnais tout à fait incompétent sur
ce point. Mais y a-t-il dans celui qui existe faute si lourde que l’on doive en
faire supporter les conséquences au ministre.
Quel a été ici l’objet principal des attaques
? 1° De ce que le ministre n’aurait pas suffisamment stipulé les intérêts du
soldats ; 2° de ce qu’il n’aurait pas cherché à adjuger particulièrement ; 3°
de ce qu’il n’aurait pas pris au compte de l’Etat la fourniture des couchettes
; 4° de ce qu’il aurait obligé l’Etat à payer les lits non occupés.
De ces quatre griefs le premier, et le
principal, selon moi, a perdu beaucoup de son importance depuis la dernière
discussion. Des arrangements ont eu lieu depuis lors, il a été reconnu par
votre section centrale que le soldat était maintenant plus à l’abri des
exactions.
A l’égard du second reproche, j’ai ouï dire
généralement que l’adjudication partielle n’eût été avantageuse que dans le cas
seulement où les villes eussent voulu se charger de l’entreprise. Et il me
paraît assez bien établi par les pièces jointes au rapport que les villes ont
refusé de prendre ce qu’elles considéraient comme une charge.
Le troisième grief est celui qui a frappé le
plus les esprits, et c’est celui qui au premier abord est en effet le plus
saillant. Calcul fait, l’on a reconnu que l’Etat eût gagné 27,000 fr. par an,
s’il avait pris à son compte la fourniture des couchettes. Et même, à l’aide
des intérêts composés, et en capitalisant la somme, l’on est parvenu à grossir
singulièrement le déficit.
Mais tous ces calculs sont fort beaux sur le
papier. Seraient-ils aussi exacts si on venait à les réaliser ? Je pense qu’il
en est un peu ici comme des devis des architectes, qui n’effectuent pas toujours
ce qu’ils promettent. Et en effet, en présence d’une période de 20 années, des
événements qui peuvent surgir, des désavantages de l’Etat, lorsqu’il devient
fournisseur, des inconvénients qu’il y eût eu d’établir deux services, l’un
pour la couchette, l’autre pour la garniture, des faux frais qui échappent aux
prévisions, qui oserait assurer qu’il n’y aurait pas eu mécompte dans les
calculs ?
Qui oserait garantir et prendre sur lui que
si l’on eût suivi la deuxième base, l’Etat eût fait un bénéfice net et annuel
de 27,000 fr. ? surtout lorsqu’il s’agit d’un marché aussi compliqué et
s’élevant à une somme de plus de 400,000 francs par an.
J’en viens maintenant au quatrième reproche ;
sans doute il eût été plus avantageux pour l’Etat de ne pas payer les lits
inoccupés ; mais eût-on trouvé des adjudicataires disposés à entretenir des
lits sans emploi et sans rapport ? leurs prétentions n’eussent-elles pas
augmenté avec les charges qu’on leur eût imposées ? D’un autre côté, ces lits
ne seront-ils pas occupés pour la plupart du temps ; en cas même d’arrangements
avec
Au reste, je le déclare, je
n’ai pas la prétention de me prononcer sur la valeur intrinsèque du marché, de
le proclamer le meilleur possible : mais en supposant que le ministre se soit
trompé, qu’il y ait eu préjudice pour l’Etat, trouve-t-on dans l’affaire des
circonstances assez graves pour mettre ce préjudice à la charge du ministre ?
Voilà en définitive à quoi se réduit toute la question, et dans ces termes je
ne sais sur quelles bases solides l’on formulerait un acte d’accusation.
Enfin, il est une troisième question qui a
pris naissance depuis la dernière discussion ; celle de savoir si l’on doit
accepter le projet de transaction proposé par la compagnie des lits de fer ; il
est repoussé par la section centrale qui vous a donné ses raisons. Pour ma part
j’attendrai, avant de me prononcer, les lumières de la discussion.
- M. Fallon cède le fauteuil à M. Dubus aîné
pour prendre la parole.
M. Fallon. -
Messieurs, le marché des lits de fer fut conçu et adjugé par le ministre de la
guerre sans l’autorisation préalable des chambres, et sans même que leur
ratification ait été réservée.
Ce marché avait pour objet un système de
couchage bon en lui-même, celui de coucher les soldats séparément, commodément,
et proprement.
Pour atteindre ce but, le ministre avait-il
pris toutes les précautions nécessaires pour ménager les intérêts du soldat et
du trésor ? le marché n’était pas onéreux pour l’un et l’autre ? en d’autres
termes, ne pouvait-on obtenir l’amélioration sans charger le trésor pour vingt
ans d’un accroissement aussi considérable de dépenses ?
Vous connaissez, messieurs, les nombreux
griefs qui furent reprochés à cette opérations ; depuis les premiers débats les
uns ont disparu, les autres ont été atténués, mais il existe encore des
reproches fondés auxquels il n’a point été satisfait.
Une commission fut nommée solennellement par
la chambre. Elle procéda à des enquêtes, à des investigations scrupuleuses, et
elle donna, pour avis, que le marché était onéreux à l’Etat, et que la chambre
devait lui refuser son approbation.
En présence d’un jugement aussi imposant, et
de la prévention qui s’était déjà assez généralement manifestée dans la
chambre, il restait peu d’espoir de lui faire annuler le marché.
Un moyen de tourner la difficulté fut
imaginé. La compagnie se joignit au ministre pour essayer de faire diversion.
La chambre allait donner le scandale de la violation des contrats, elle allait
alarmer la bonne foi publique, elle allait compromettre le crédit de l’Etat,
les adjudications pour les services généraux n’allaient plus trouver à l’avenir
d’entrepreneurs ; la chambre allait abuser de sa position, elle allait
administrer, elle allait usurper le pouvoir exécutif. En agissant sous sa
responsabilité, le ministre avait lié l’Etat irrévocablement. Enfin, on alla
jusqu’à vouloir faire comprendre qu’en cas semblable, le pouvoir judiciaire
saurait bien mettre la chambre à la raison.
Toutes ces clameurs étaient de nature à nous
toucher fort peu, elles étaient vides de sens ; mais comme elles pouvaient
égarer l’opinion au-dehors de cette enceinte, je crus qu’il importait d’en
faire justice.
Ma tâche ne fut pas difficile, et il
paraissait que je l’avais assez passablement remplie, puisque l’on fut assez
généralement d’accord qu’il était bien dans les attributions de la chambre
d’approuver ou de désapprouver le marché, dans lequel cas de désapprobation, le
marché ne liait ni l’Etat ni personnellement le ministre. Cela est si vrai que,
dans la suite de la discussion, le gouvernement se garda bien de reproduire la
doctrine que j’avais combattue, et que, depuis lors, le ministre lui-même et,
qui plus est, la compagnie elle-même, ont reconnu, dans leurs relations et dans
leurs actes que les tribunaux n’avaient que faire de cette question ; que le
seul moyen de rendre efficace le marché, c’était d’y apporter des modifications
de nature à lui faire obtenir l’agréation de la chambre.
Dans cet état des choses il y a lieu de
s’étonner, si quelque chose devait encore étonner dans la discussion du budget de
la guerre, il y a lieu de d’étonner, dis-je, que l’on vienne de nouveau
remettre en question les attributions et les pouvoirs de la chambre sur le
marché dont il s’agit, et que l’on entreprenne de démontrer que ce marché a,
pour l’Etat, une force obligatoire qui aux tribunaux seuls, et non à la
chambre, il appartiendrait de dénier.
Ouvrez la transaction du 18 août 1836, vous y
verrez la reconnaissance formelle, tant de la part du ministère que de la
compagnie Legrand, que, sans l’assentiment des chambres, que sans apporter au
marché des modifications de nature à lui faire obtenir cet assentiment, le
marché ne peut subsister, ne peut produire aucun effet.
Lisez la lettre du directeur de cette
compagnie du 16 décembre dernier, et vous verrez que cette société est
tellement convaincue que l’assentiment seul de la chambre peut imprimer la
force obligatoire à son marché, qu’elle a dit elle-même, et en toutes lettres,
que ce n’est qu’afin d’obtenir cette ratification qu’elle fait de nouvelle
propositions.
Il est donc vraiment étonnant que l’on vienne
nous parler de nouveau des tribunaux, et que, voulant être plus éclairé, plus
précautionneux et plus exigeant que la compagnie, on vienne reproduire la
question de savoir si c’est aux tribunaux, et non à la chambre, qu’il
appartient de décider si cette ratification est bien nécessaire à la compagnie
pour faire suivre les effets du marché ; en d’autres termes, s’il entre bien
dans les intérêts de la compagnie d’attacher autant de prix à cette
ratification.
Quoi qu’il en soit, puisque la question est
de nouveau soulevée, je regarde comme un devoir de résumer ce que j’ai dit pour
la combattre.
Aux termes des articles 27 et 115 de a
constitution, le droit de voter chaque année toute dépense quelconque de l’Etat
appartient aux chambres, et à la chambre seule des représentants appartient
l’initiative de ce droit.
La conséquence toute naturelle de ces
dispositions constitutionnelles, c’est que le pouvoir exécutif qui comprend le
pouvoir d’administrer, ne peut faire aucune dépense, ni engage efficacement à
aucune dépense, qu’elle n’ait été votée par les chambres.
C’est là l’une des garanties les plus
importantes que la constitution donne au pays.
Je sais bien qu’en général cette garantie
n’est pas suffisante pour préserver l’Etat du préjudice résultant de fausses
entreprises, des spéculations irréfléchies ou hasardeuses, ou des prodigalités
des agents du pouvoir exécutif ; mais elle suffit à la thèse que je défends,
parce que tout au moins ces malversations ne peuvent jamais dépasser les sommes
qui ont été librement votées par la législature, et qu’au-delà de ces sommes
tout préjudice est impossible.
Or, supposons, comme dans le cas actuel,
qu’un ministre, dans avoir obtenu l’autorisation préalable des chambres, ait
contracté un engagement qui fait peser sur le trésor une dépense plus ou moins
élevée, plus ou moins utile, à renouveler chaque année pendant 20 ans.
Supposons maintenant qu’en vertu de la
quotité, de la capacité et de ses pouvoirs comme ministre, cet engagement lie
irrévocablement l’Etat au point que, sans égard s’il a été autorisé ou ratifié
par les chambres, les tribunaux pourraient en ordonner l’exécution à la charge
du trésor.
C’est bien là l’hypothèse applicable à la
circonstance actuelle.
Or, dans cette hypothèse, que devient le
droit que la constitution attribue aux chambres de voter au préalable la
dépense ?
Ce droit ne serait évidemment qu’une
illusion, puisque le pouvoir exécutif pourrait l’éluder chaque fois qu’il le
trouverait bon ; il suffirait pour cela que le ministre s’obligeât à l’avance
par contrat aux diverses dépenses qu’il se propose de demander au budget, bien
certain qu’il obtiendrait le moyen de les effectuer, si pas par le vote des
chambres, tout au moins par le secours du pouvoir judiciaire qui, sur la
représentation de l’engagement contracté par le ministre, condamnerait le
trésor à y satisfaire.
Je vous demande, messieurs, ce que devient le
pouvoir constitutionnel des chambres dans le vote des dépenses de l’Etat, si un
tel système était admissible ?
Que le vote seul préalable des chambres
puisse engager efficacement le trésor au paiement d’une dépense, c’et là une
vérité constitutionnelle par trop évidente pour qu’on puisse la contester.
Comment donc se fait-il que l’on prétende
cependant que par le fait d’un ministre le trésor puisse se trouver
efficacement engagé en l’absence du vote des chambres, et alors même que ce
vote serait refusé par elles ?
Il y à là quelque chose qui révolte le bon
sens. Il ne peut se faire que la constitution aurait investi les chambres d’un
droit en accordant en même temps au pouvoir exécutif le moyen d’en paralyser
l’exercice.
L’absurdité d’une semblable antinomie
n’existe pas dans les dispositions de votre charte constitutionnelle. Cette
contradiction n’a sa source que dans une définition évidemment abusive de la
responsabilité ministérielle.
Le ministre étant chargé d’un département
d’administration, il faut bien, dit-on, qu’il puisse pourvoir aux différents
services dont il est chargé, et comme il est responsable des actes de son
administration, il faut bien que, sous cette responsabilité que la constitution
fait peser sur lui, il puisse engager l’Etat dans les dépenses nécessaires au
service de son département.
Je conçois qu’un ministre doive pourvoie aux
différents services de son département, et qu’il soit responsable des actes de
son administration.
Je conçois encore que ce soit sous sa
responsabilité qu’il engage l’Etat dans l’emploi des dépenses votées par le
budget ou autorisées par une loi spéciale, mais ce qu’il m’est impossible de
concevoir, c’est qu’à cause de sa responsabilité dans la dépense des crédits
votés par la législature, il engagerait efficacement l’Etat dans des dépenses
que la législature n’aurait pas votées.
Il y a donc là quelque chose d’inintelligible
qu’il faut éclaircir, et c’est pour qu’on se comprenne enfin que je vais
nettement poser la question de savoir quels sont les effets constitutionnels de
la responsabilité ministérielle dans le fait d’un ministre, soit en ce qui
regarde les finances de l’Etat, soit en ce qui concerne la personne avec
laquelle il a traité.
La responsabilité ministérielle a-t-elle pour
effet de lier irrévocablement l’Etat à tout acte, à toute convention que
souscrit un ministre en sa qualité de ministre, sans qu’il soit besoin du
consentement ou de la ratification des chambres ?
A-t-elle au moins pour effet de rendre le
ministre personnellement responsable, et passible de dommages et intérêts
envers la personne avec qui il a traité dans le cas où, par suite de la désapprobation
des chambres, l’acte ne peut recevoir son exécution à la charge de l’Etat. La
négative me paraît incontestable dans un cas et dans l’autre.
Le congrès a établi la responsabilité
ministérielle comme conséquence de la maxime, essentielle au gouvernement
monarchique constitutionnel, que le roi ne répond judiciairement d’aucun de ses
actes, et que sa personne est hors d’atteinte de toute censure.
Mais le congrès s’est abstenu de définir
cette responsabilité, et d’en déterminer les effets.
Après avoir posé, comme maxime, dans l’art.
63 de la constitution, que la personne du roi est inviolable et que les
ministres sont responsables, il a également posé en principe, dans l’art. 90,
que c’était à la chambre des représentants qu’appartenait le droit d’accuser
les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui, seule, aurait
droit de les juger chambres réunies.
Quant à l’exercice de l’action civile, ce
même article a déclare qu’une loi déterminerait ultérieurement les cas de
responsabilité et le mode de procéder.
Enfin l’art.
Du rapprochement de ces dispositions constitutionnelles,
il résulte que, jusqu’à présent, il n’est pas possible d’apprécier légalement
les effets civils de la responsabilité ministérielle.
Ainsi, jusqu’à ce qu’une loi ait déterminé
les cas de responsabilité civile et ses effets, il faut bien se renfermer dans
les principes du droit commun.
Or, tout ainsi qu’un ministre, un mandataire
est civilement responsable des actes qu’il fait en cette qualité.
Si le mandataire a excédé les pouvoirs
dérivant de son mandat, il en est responsable envers la personne avec laquelle
il a traité, à moins que celle-ci n’ait eu une connaissance suffisante de ses
pouvoirs.
Mais aussi, quels que soient les effets de sa
responsabilité dans l’exercice de son mandat, soit envers les tiers avec qui il
traite, soit envers le mandant lui-même, jamais ce qui a été fait ou consenti
au-delà des limites du mandat, n’est obligatoire pour le mandant que dans le
seul cas où celui-ci a ratifié l’acte expressément ou tacitement.
Tel est le droit commun de tous les peuples
civilisés : ce sont là des principes essentiellement invariables.
Au moins que, dans la loi qui sera faite en
exécution de l’article 92 de la constitution, on ne modifie ces principes en ce
qui concerne la responsabilité des agents du pouvoir exécutif, il faut bien les
appliquer à la responsabilité ministérielle.
Je cherche en vain un texte de loi, ou une
raison de principe, où l’on puisse s’autoriser à dire que l’engagement que
contracte un ministre, en sa qualité de ministre, lie l’Etat par là seulement
qu’il est personne responsable.
Je conçois que s’il agit dans un cas où le
pouvoir exécutif ne pouvait agir valablement sans l’autorisation des chambres,
son engagement puisse se valider, et lier l’Etat, dans le cas prévu par le
droit commun, c’est-à-dire alors que les chambres auront ratifié son fait
expressément ou tacitement. Mais ce qui n’est pas convenable, c’est qu’en
l’absence de toute règle constitutionnelle, légale ou de droit positif sur la
matière on puisse sérieusement prétendre que par là même que l’agent d’un
pouvoir est responsable, il aurait un mandat plus étendu que le pouvoir même
dont il tient le mandat.
Dans l’application de la responsabilité
ministérielle aux actes posés par les ministres, il est une distinction qu’il
n’est pas possible de méconnaître, distinction à laquelle il faudra prendre
égard en première ligne, lorsque nous nous occuperons de la loi qui doit
déterminer les effets de cette responsabilité, tant envers l’Etat qu’envers le
particulier avec lequel le ministre a traité. Voici cette distinction ; elle
est capitale.
Si le fait qui cause préjudice à l’Etat a été
posé par le ministre dans le cercle des attributions du pouvoir exécutif,
l’Etat se trouvera lié par le fait, parce que le ministre avait pouvoir de le
poser. Dans ce cas, la responsabilité ministérielle sera le seul remède qui
restera à l’Etat, non pas pour répudier l’obligation contractée par le
ministre, puisque, dans ce cas, l’Etat se trouvera valablement obligé, mais
pour réclamer du ministre, s’il y a lieu et suivant les circonstances, les
dommages et intérêts causés à l’Etat.
Si, au contraire, dans le fait posé, le
ministre a excédé ses pouvoirs ; s’il a contracté un engagement onéreux pour
l’Etat dans un cas où, sortant du cercle des attributions du pouvoir exécutif,
l’autorisation ou la ratification des chambres étaient nécessaires, l’Etat n’a
nul besoin du remède extraordinaire de la responsabilité ministérielle pour
demeurer à couvert des conséquences de l’engagement ; dans cette circonstance,
l’engagement a été contracté par personne incapable ; l’Etat n’est pas lié.
Jusqu’à ce que, par une inconcevable
confusion de principes, une loi soit venue rendre cette distinction
inapplicable à la responsabilité ministérielle, on ne parviendra nulle part, ni
devant les tribunaux, ni surtout devant la chambre, à faire considérer la
responsabilité ministérielle comme attributive de capacité et du pouvoir, dans
la personne d’un ministre, au-delà des limites dans lesquelles le pouvoir
exécutif se trouve constitutionnellement circonscrit.
S’il pouvait en être autrement, la
responsabilité ministérielle ne serait pour l’Etat qu’une garantie illusoire,
qu’une bien funeste déception.
Introduite en faveur de l’Etat, elle
tournerait précisément contre lui, ce qui serait non seulement contraire aux
principes les plus élémentaires de justice et d’équité, mais ce qui serait en
outre une étrange absurdité.
Il n en est pas, il ne peut en être ainsi, la
responsabilité ministérielle est une charge et non un accroissement de capacité
chez le ministre. Elle ne lui donne ni plus ni moins de pouvoir que le pouvoir
exécutif n’en a lui-même en vertu de la constitution et des lois. Que cette
responsabilité pèse ou ne pèse pas sur lui, l’engagement qu’il souscrit comme
ministre est valable ou inefficace, lie ou ne lie pas l’Etat suivant qu’il se
sera renfermé dans les limites du pouvoir dont il est l’agent, ou qu’il en sera
sorti.
Qu’on cesse donc de nous répéter à tout
propos, et comme on l’a fait vainement dans d’autres circonstances, que la
responsabilité ministérielle est là, et qu’en conséquence si le marché dont il
s’agit est onéreux pour l’Etat, le seul remède est de le mettre en accusation,
et de réclamer de lui des dommages et intérêts, sans égard s’il est ou s’il
n’est pas solvable, sans égard si le trésor pourra se trouver indemnisé du
préjudice causé à l’Etat.
Lorsque le congrès a dit dans l’art. 63 que
la personne du roi est inviolable et que les ministres sont responsables, il
n’a pas ajouté que l’Etat était à son tour responsable du fait des ministres,
il n’a pas dit que ce serait sur l’Etat que rejailliraient dans tous les cas
les conséquences de cette responsabilité ; il n’a pas dit que cette
responsabilité attachée au fait du ministre aurait la magie d’en changer la
nature et le caractère, de rendre légal ce qui est illégal, et de faire en
sorte qu’un abus de pouvoir ne soit pas un abus de pouvoir.
Or, prétendre qu’en vertu de la
responsabilité ministérielle l’Etat se trouve lié à tout ce que fait un
ministre en dehors du cercle du pouvoir exécutif, ou par anticipation sur le
vote ou l’action des chambres ; prétendre surtout qu’en cas semblable, le
pouvoir judiciaire ne pourrait se dispenser de considérer l’Etat comme
responsable du fait du ministre et lui en imputer les conséquences, c’est
constituer l’Etat responsable de toutes les illégalités, de tous les abus de
pouvoir des agents du pouvoir exécutif ; c’est paralyser le vote préalable des
chambres ; c’est dépouiller les finances de l’Etat de toutes les garanties dont
la constitution a pris soin de les entourer ; c’est permettre, enfin, que les
agents du pouvoir exécutif ruinent le trésor de l’Etat sans autre garantie que
leur solvabilité personnelle.
Tels ne sont pas, messieurs, les effets de la
responsabilité ministérielle que le congrès a proclamée ; ce n’est pas pour
rendre l’Etat responsable du fait illégal d’un ministre, mats bien pour en
rendre le ministre responsable envers l’Etat et les parties lésées, qu’il en a
fait article dans la constitution.
On parte d’ailleurs fort lestement d’engagement,
de contrat, de marché et de tribunaux.
Mais pense-t-on donc qu’il suffise de se
présenter en justice avec un acte, un contrat, un marché pour obtenir
condamnation à la charge de celui au nom duquel tel acte, tel contrat, tel
marché a été passé ?
Avant de condamner, les tribunaux n’examinent
pas seulement si une obligation a été contractée, mais si elle a été légalement
et valablement contractée.
Si l’obligation a été contractée par un
mandataire ils examinent le mandat et si l’obligation a été contractée en
dehors des limites du mandat, sans qu’il soit justifié d’une ratification
expresse ou tacite, ils ne condamnent pas le mandant.
Suivant les lois de la tutelle, le tuteur
peut, en certains cas, obliger le mineur, et, dans d’autres cas, il ne le peut pas
; s’il s’agit d’une obligation contractée par le tuteur dans un cas où les lois
de la tutelle ne lui en attribuent pas le pouvoir, ils ne condamnent pas le
mineur.
Il n’en serait pas autrement, messieurs, d’un
marché passé par un ministre en sa qualité de ministre ; ils auraient soin
d’examiner si le ministre était autorisé à contracter la dépense, soit en vertu
d’une loi, soit en vertu du budget ; en d’autres termes, s’il avait pouvoir,
s’il avait capacité pour obliger l’Etat à l’exécution du marché.
N’en doutons pas, messieurs, la
responsabilité attachée à l’acte ne sera, comme elle ne doit être, qu’une
considération tout à fait secondaire. La question pour eux ne sera pas de
savoir si le marché est ou n’est pas onéreux ; si le ministre a agi ou n’a pas
agi de bonne foi. La dépense à laquelle le marché doit donner lieu à la charge
de l’Etat a-t-elle été votée ou ratifiée par les chambres, voilà tout ce qu’ils
auront à considérer ?
Si la dépense est autorisée par la loi ou par
le budget, il importera peu que le marché soit avantageux ou onéreux à l’Etat.
L’application des dépenses votées par la législature appartient au pouvoir
exécutif ; le marché peut être une fort mauvaise application des fonds votés,
mais le ministre a agi dans le cercle de ses pouvoirs, il a obligé l’Etat ; les
tribunaux ordonneront l’exécution du marché, sauf le recours de l’Etat envers
lui. C’est là le cas où s’applique la responsabilité ministérielle envers
l’Etat.
Mais si la dépense n’est autorisée ni par la
loi ni par le budget, quel que soit l’avantage ou le désavantage du marché, ce
dont les tribunaux n’ont nullement à s’occuper, ils ne manqueront pas de
remplir les devoirs que la constitution leur impose comme à tous les citoyens ;
ils verront dans le ministre une absence de pouvoirs, une incapacité radicale
pour imposer à l’Etat une dépense non votée par la législature, et ils ne
balanceront pas à repousser l’action.
La responsabilité ministérielle n’a que faire
dans ce cas ; elle est donnée à l’Etat, non pour le préserver de l’illégalité
du fait du ministre, mais uniquement pour le couvrir de tout préjudice dans le
cas où le fait peut l’atteindre, et ici le fait ne pouvant légalement
l’atteindre, le bénéfice de la responsabilité est sans application.
Cette distinction essentielle entre l’effet
d’un marché passé par le ministre pour l’emploi d’une dépense votée, et d’un
marché par lequel il anticipe sur une dépense à voter par les chambres,
explique parfaitement la différence qui existe dans l’application de la
responsabilité ministérielle dans un cas et dans l’autre ; elle réfute
suffisamment cette assertion hasardée que, dans le cas actuel, les tribunaux
pourraient bien ne pas tenir compte du refus de ratification par la chambre et
condamner l’Etat soit à exécuter le marché, soit à payer des dommages-intérêts
à l’entreprise.
Si cette distinction dans le but, l’effet et
l’application de la responsabilité ministérielle, pouvait être méconnue des
tribunaux, ce serait sans doute, une calamité fâcheuse, puisqu’elle tendrait à
substituer la volonté du pouvoir exécutif à la liberté du vote réservé
exclusivement la législature. Mais cette usurpation du pouvoir judiciaire sur
le pouvoir constitutionnel des chambres n’aurait pas de bien graves
inconvénients quant aux finances de l’Etat. Les moyens ne manqueront pas à la
chambre pour faire respecter ses pouvoirs et rendre inefficace toute usurpation
directe ou indirecte sur les attributions constitutionnelles, soit de la part
du pouvoir exécutif, soit même de la part du pouvoir judiciaire.
Comme le pouvoir judiciaire, la chambre a
aussi le droit de juger, et de juger souverainement, la compétence. Elle aurait
droit par conséquent de repousser toute demande d’allocation au budget, tout
crédit qui aurait pour objet de satisfaire à tout acte ou jugement qu’elle
croirait attentatoire à ses attributions. En disant que la responsabilité
ministérielle n’avait pas pour effet de lier irrévocablement l’Etat à tout
acte, à toute convention que souscrit un ministre en sa qualité de ministre,
sans le consentement ou la ratification des chambres, j’ai ajouté qu’elle
n’avait pas même pour effet de rendre le ministre responsable civilement des
dommages et intérêts envers, la personne avec qui il a traité, dans le cas où,
par le refus des chambres, l’acte ou la convention ne peut recevoir son
exécution.
La démonstration de cette seconde assertion
pas moins facile.
A défaut de disposition constitutionnelle ou
légale sur ce point, c’est encore au droit commun qu’il faut recourir.
Lorsque le mandataire a stipulé au-delà de
ses pouvoirs, il n’est, en cas de désaveu, responsable envers la personne avec
laquelle il a traité, que pour autant que celle-ci n’ait pas eu connaissance,
ou puisse prétexter cause d’ignorance, de l’étendue du mandat,
Or le mandat, les pouvoirs d’un ministre sont
écrits dans la constitution et dans les lois, et, par conséquent, il n’est
permis à personne de prétexter ignorance de sa capacité. L’ignorance dans ce
cas n’est donc jamais excusable ; elle est bien moins excusable dans le cas
actuel que dans tous autres, puisque nous voyons que c’est avec des personnes
très capables d’apprécier les pouvoirs d’un ministre que le ministre de la
guerre a traité.
Il y a plus, c’est qu’en supposant même, ce
que je ne puis admettre, que le fait du ministre pourrait donner lieu à une
responsabilité civile envers la compagnie avec laquelle il a traité, celle-ci
se trouverait sans moyen d’exercer contre lui une action en réparation civile.
Interrogez l’art. 90 de la constitution,
rapproché de l’art. 134, et vous verrez que jusqu’à ce qu’une loi ait désigné
les cas de responsabilité, et ait déterminé où et comment sera exercée l’action
civile de la partie lésée, nos ministres sont et restent à l’abri de toutes
poursuites du chef de cette responsabilité ; ce n’est que pour crime et délit
qu’en attendant cette loi, un pouvoir discrétionnaire est attribué à la chambre
pour les mettre en accusation.
Je me résume : en droit il n’existe aucune
loi qui attribue à un ministre le pouvoir d’imposer au trésor une obligation
quelconque en dehors des allocations consenties au budget, et surtout de lui
imposer semblable obligation pour le terme de 20 ans.
En fait, le ministre de la guerre n’était pas
autorisé à consentir valablement le marché dont il s’agit, ni par le budget ni
par les chambres ; l’Etat n’est donc pas lié par ce marché si la chambre refuse
de le ratifier ; les personnes avec lesquelles il a traité n’ont pas d’action
personnelle contre lui, puisque ce n’est pas en nom personnel, mais comme
ministre, qu’il a traité ; notre premier devoir ici, c’est de faire respecter
la constitution et les lois, c’est de défendre les droits de l’Etat et les
intérêts du trésor ; si la compagnie avec laquelle le ministre a traité est
exposée à une perte de bénéfice ou même à une perte quelconque sur le fonds de
l’association, l’équité pas plus que le strict droit ne nous impose
l’obligation de venir à son secours, parce que c’est à elle à s’imputer le
préjudice auquel elle s’est volontairement exposée, si préjudice il y a ; c’est
bien enfin le cas de lui appliquer la maxime Discas cautius mercari.
N’ayant demandé la parole que pour réfuter
une doctrine que je considère comme inconstitutionnelle et attentatoire aux
pouvoirs de la chambre, je me bornerai,
sur le fond de la discussion, à motiver le vote que je me propose de
donner si je ne suis pas mieux éclairé sur la question d’économie.
Sans l’ajournement
qui fut proposé l’année dernière, je n’aurais pas balancé de repousser le
marché.
Cette demande d’ajournement fut accompagnée
de promesses de modifications si on laissait au ministre le temps de s’entendre
avec la compagnie.
Je me laissai séduire et je votai
l’ajournement.
J’espérais non seulement que le ministre
prendrait les mesures nécessaires pour que le soldat fut bien logé, mais à meilleur
marché pour lui et à meilleur marche pour le trésor.
Des garanties suffisantes paraissent
maintenant assurées au soldat ; mais ce marche pèse encore d’une manière trop
onéreuse sur le trésor, des différents chefs signalés par la section centrale,
pour que je puisse lui donner mon assentiment ; je voterai donc conformément
aux conclusions du rapport, si les motifs de ce rapport ne sont pas réfutés.
(Moniteur
belge n°69, du 10 mars 1837) M. Milcamps.
- Il y aurait eu l’année dernière et il y a peut-être encore aujourd’hui de la
témérité à défendre la convention des lits militaires, lorsqu’on la voit si
vivement attaquée par la commission nommée en 1836 et combattue par la section
centrale du budget de la guerre de 1837, malgré les modifications qu’on propose
d’y apporter. Ce qui me rassure, c’est que la chambre ayant à se prononcer
entre des droits privés et les droits de l’Etat, écoutera avec une égale
bienveillance le pour et le contre, et ne se décidera qu’en connaissance de
cause.
Par cette convention, la compagnie Félix
Legrand s’est obligée envers l’Etat à fournir annuellement ce loyer et à
entretenir, pendant 20 ans 2 mois, 20,705 lits avec couchettes en fer,
moyennant le paiement annuel d’une somme de 432,650 francs.
Ce contrat renferme en outre une stipulation
relative aux dégradations des fournitures résultant du fait de la troupe, et au
mode de réparer le dommage causé ; il contient également une stipulation
relative au transport des lits d’une place à l’autre, aux frais de l’Etat.
Cette convention avait déjà reçu un
commencement d’exécution lorsque M. le ministre de la guerre est venu demander,
dans le budget de 1836, un crédit pour le paiement du premier loyer. Mais la
chambre, avant de se prononcer, et pour pouvoir se prononcer, a cru devoir
soumettre le marché des lits de fer à l’examen d’une commission spéciale.
Dans la séance du 2 mai 1836, cette
commission présenta son rapport et ses conclusions.
Il ne vous aura pas échappé, messieurs, que la
commission commence par reconnaître qu’une des principales causes qui puisse
assurer le bien-être du soldat est, sans contredit, un bon système de couchage
; que les différents gouvernements qui se sont succédé en Belgique n’ont pu
parvenir à un bon système, et que c’est le désir d’atteindre ce but qui a porté
M. le ministre de la guerre a conclure le marché des lits de fer.
Ainsi, dès le début de son rapport, la
commission s’empresse de rendre justice aux vues louables, aux bonnes
intentions de M. le ministre de la guerre ; mais cette bienveillance ne l’a pas
empêchée de se livrer à un examen sévère de la convention du 16 juin 1835 ;
elle ne l’a pas empêchée de vous présenter cette convention comme entachée de
nullité pour cause d’incapacité du ministre ; elle ne l’a pas empêchée de vous
la présenter comme n’étant pas susceptible de recevoir l’assentiment de la
chambre, parce qu’elle est onéreuse à l’État et préjudiciable aux soldats.
La commission faisait résulter l’incapacité
du ministre de ce que s’il a le pouvoir de faire des marchés, il n’a pas celui
d’en étendre les effets de manière à lier l’Etat pendant un grand nombre
d’années.
Ce n’est pas moi, messieurs, qui contesterai
l’importance de cette question. La constitution voulant que les dépenses de l’Etat
soient votées chaque année, il n’y aurait plus de liberté dans le vote des
chambres, s’il était permis aux ministres de contracter, sans l’assentiment des
deux branches du pouvoir législatif, des dettes pour le terme de 20 ans.
Il faut cependant convenir qu’il est de
circonstances où ce principe pris dans un sens absolu paralyserait ou
arrêterait les meilleures entreprises, et gênerait singulièrement
l’administration, et il est exact de dire qu’il n’est pas de gouvernements dans
lesquels le vote annuel des budgets est consacré par la constitution ou par la
loi, où ce principe n’ait parfois été méconnu. Il y en a des exemples en
France, en Angleterre et même dans notre pays.
Quand ces cas arrivaient, lorsque des
ministres faisaient des actes d’attribution, et ici, messieurs, on ne peut nier
que le ministre, en contractant le marché des lits de fer, ne fît un acte
d’attribution ; seulement il se peut qu’en stipulant un loyer pour un grand
nombre d’années, il ait excédé ses pouvoirs. Mais c’est là une question dont la
décision en point de droit échappe à la prérogative de la chambre. Sa
prérogative est de voter ou de rejeter les crédits demandés, elle est
omnipotente à cet égard. En France, le conseil d’Etat décide les questions des
marchés, qui s’élèvent entre les ministres et les adjudicataires ; mais en
France, actuellement, les esprits s’accordent qu’il importe de renvoyer aux
tribunaux les marchés avec les ministres, les questions d’indemnité des
citoyens dont les droits privés auraient souffert une lésion quelconque par le
fait de l’administration ; et dans notre pays, messieurs, la loi est positive ;
lorsque, dis-je, des ministres qui ordinairement sont l’expression du vœu des
chambres, sont censés investis de leur confiance, font des actes de l’espèce
de celui reproché à M. le ministre de la guerre, les chambres voient s’il y a
lieu de voter ou non les sommes nécessaires à l’exécution de ces actes. Elles
s’attachent à examiner si l’acte ne blesse pas l’Etat dans sa dignité, dans ses
droits, s’il ne lui cause pas une lésion quelconque, si des droits privés ne
sont pas compromis par les engagements des ministres. Car que deviendrait la
garantie des citoyens, si des ministres étaient maîtres de contester et de
rendre sans effets les engagements qu’ils auraient contractés au nom de l’Etat
?
Messieurs, la commission, je me plais à le
reconnaître, n’a pas perdu de vue ces considérations. Indépendamment de la
question de nullité de la convention pour incapacité du ministre, elle a
examiné la question dominante dans cette affaire, celle de savoir si le marché
des lits de fer est onéreux à l’Etat et préjudiciable aux soldats ; elle s’est
prononcée pour l’affirmative.
Le volumineux rapport déposé dans la séance
du 2 mai 1836, dans lequel elle a développé son opinion, a provoqué des
réponses de la part du ministre et de la compagnie Legrand, et a été suivi
d’une discussion dans la chambre et d’un vote dans la séance du 10 juin 1836
qui n’a eu d’autre objet que de remettre à un autre temps l’examen de la
question des lits de fer.
Je ne rencontre pas en ce moment-ci le
rapport de la commission et les réponses du ministre et de la compagnie
Legrand, et cela par une raison toute naturelle, c’est que la question telle
qu’elle s’est présentée au sein de la commission n’est plus entière. Depuis le
rapport de la commission et le vote de la chambre, on nous propose d’apporter à
la convention du 16 juin 1835 d’importantes modifications qui consistent dans
un projet de transaction par laquelle la compagnie Félix Legrand ferait cession,
au gouvernement des couchettes en fer, avec la charge de lui remettre en bon
état à l’expiration de l’entreprise, moyennant une somme de 325,000 fr., et
dans un arrêté du 12 août 1836, qui détermine un nouveau mode de constatation,
ainsi qu’un nouveau tarif des paiements pour pertes et dégradations des
fournitures.
Il importe de remarquer que ces modifications
portent sur deux points qui ont principalement fixé l’attention de la chambre,
lors de son vote, et auxquels elle paraissait attacher le plus d’importance :
L’un, qu’il eût été plus avantageux aux
intérêts de l’Etat qu’il fît pour son propre compte l’achat des couchettes et
fer ;
L’autre, que la société pouvait exercer des
exactions envers le soldat, en lui faisant payer, à des prix exagérés, les
pertes et dégradations de ses effets de literie, et réaliser par là des
bénéfices énormes et illicites aux dépens du soldat.
Je fais encore remarquer que M. Willmar,
ministre de la guerre actuel, se trouvant en présence de l’exécution de la
convention du 16 juin 1835, la question étant encore entière, a cru devoir
proposer au chapitre 2, section 3, art. 7 du budget de la guerre pour 1837, un
crédit pour le loyer des couchettes en fer, et des effets de literie fournis
par la compagnie Félix Legrand.
Cette proposition du ministre actuel devait
nécessairement, par cela seul qu’elle figurait au budget de la guerre,
provoquer un nouvel examen de la convention des lits militaires, et cette fois
les sections et la section centrale ont été appelées à émettre leur opinion.
Pour ne parler que du travail de la section
centrale à cet égard, vous en connaissez le résultat. Elle n’est pas plus
favorable à la convention, malgré les modifications qui y ont été apportées,
que ne l’avait été la commission nommée en 1836, à la convention primitive.
La section centrale pense que la convention
des lits militaires, telle qu’on propose de la modifier, est encore onéreuse à
l’Etat.
C’est à nous, messieurs, que la question se
trouve maintenant soumise ; nous avons à nous assurer d’après les rapports de
la commission et de la section centrale, d’après les réponses de M. le ministre
et de la compagnie Legrand, si la convention telle qu’elle a été contractée le
16 juin 1835, ou telle qu’on propose de la modifier, est onéreuse à l’Etat et
préjudiciable aux soldats, et si elle l’est à ce point qu’elle doive nous
porter à refuser l’allocation demandée pour son exécution.
Dans ces longs rapports, dans ces longues
réponses, chacun semble s’être fait une tâche de ne laisser aucune objection sans
y répondre, aucune erreur sans la relever, aucun argument sans le réfuter.
Il n’entre pas dans mon intention de suivre
pied à pied ces contradicteurs, de rencontrer un à un les moyens qu’ils
emploient pour ou contre la convention, de les suivre dans leurs calculs ; ce
serait, messieurs, une tâche trop pénible et que ne comporte point un discours
de tribune.
Je passerai rapidement sur les moyens qui ne
me paraissent pas avoir un rapport direct à la convention, je veux dire sur les
faits qui ne sont pas communs au ministre stipulant au nom de l’Etat, et à la
compagnie Félix Legrand stipulant pour elle.
Y aurait-il justice, par exemple, de faire
peser sur la compagnie Legrand le reproche fait au ministre de ce que
l’adjudication ayant été présentée sur deux bases au lieu de trois, on n’a pu
arriver à conclure le marche le plus avantageux à l’Etat ? Le ministre,
d’ailleurs, soutient qu’il était dans l’intérêt de l’Etat d’adjuger d’après une
base unique, et l’on doit en convenir, messieurs, les raisons ne manquent à
l’appui de l’un et de l’autre système.
Y aurait-il justice à faire peser sur la
compagnie Legrand le reproche fait au ministre de ce qu’il eût été convenable
de borner à titre d’essai l’adjudication à une ou deux places, afin de se
ménager les moyens d’améliorer un système tout nouveau ? Mais M. le ministre
conteste ce point, et prétend qu’on eût perdu l’avantage du transport des lits
d’une place à l’autre.
Y aurait-il justice, messieurs, à faire peser
sur la compagnie Legrand le reproche fait au ministre, et sur lequel la
commission et la section centrale insistent si fortement, que la convention
lèse les intérêts des villes qui avaient, avant la convention, l’entreprise du
casernement ? Je ne nie point l’existence de cette lésion pour quelques villes.
Mais il y a avantage pour beaucoup d’autres ; le ministre, d’ailleurs, répond
qu’en 1834, et déjà des propositions avaient été faites en 1832, il a entamé
avec les régences des négociations pour les engager à se charger de
l’entreprise du casernement à des conditions plus avantageuses, et à seconder
les projets du gouvernement pour améliorer le service du coucher des troupes,
et il affirme qu’il a éprouvé le refus du plus grand nombre parce qu’elles
considéraient constamment le casernement comme une charge onéreuse ; qu’au
refus des régences il était préférable de faire une adjudication générale.
Evidemment, messieurs, nous ne pouvons rendre
la compagnie Félix Legrand responsable de ces faits ni d’autres de cette nature
dont j’aurais pu aussi rapporter des exemples. La raison c’est qu’ils sont en
dehors de la convention, étrangers tout à fait à telle compagnie ; qu’ils ne
comportent que le reproche fait au ministre ou d’impéritie, ou d’imprévoyance
pour n’avoir pas conçu ou adopté le meilleur système, le système le plus
avantageux à l’Etat. Mais à tout cela la compagnie Félix Legrand peut répondre
qu’elle n’a pas été appelée à délibérer sur ces objets, qu’on ne peut lui
imputer ni faute ni fraude à cet égard.
Vous ne voudrez sans doute pas, messieurs,
assimiler la cause de l’Etat à celle d’un mineur : que la loi vienne au secours
des mineurs pour faire rescinder les actes qu’ils ont passés ou que leurs
tuteurs ont passés en leur nom et qui leur portent préjudice, quoiqu’aucune
faute ni fraude ne puisse être imputées à ceux qui ont traité avec eux, à la
bonne heure ; les mineurs sont censés n’avoir pas un jugement assez sûr pour se
conduire et diriger leurs affaires ; des tuteurs ne leur sont donnés que pour
veiller à leurs intérêts et non pour leur préjudicier. Mais ces principes ne
sont pas applicables à l’Etat et il n’existe aucune raison de les lui
appliquer.
Je le répète donc, je crois ne pouvoir
m’attacher qu’aux faits qui ont un rapport direct à la convention, aux faits
qui sont de nature à établir que la convention est ou n’est pas onéreuse. Je
les réduis à trois points :
1° En ce qui concerne l’achat des couchettes
en fer.
2° Le paiement du loyer pour les lits occupés
ou non occupés.
3° Le tarif des dégradations et pertes.
Avant d’aborder le premier point, je crois
convenable de rappeler que la commission a reconnu qu’à l’époque où M. le
ministre a conçu le projet de changer le couchage des troupes, il y avait
nécessité d’améliorer ce service ; elle ajouta qu’il n’y a aucun doute que M.
le ministre a bien mérité du pays en cherchant à améliorer le couchage du
soldat, c’est là, messieurs, un éloge bien flatteur.
Ce ministre ayant pensé qu’il était dans
l’intérêt de l’Etat de soumettre les fournitures à une entreprise générale, en
fit annoncer l’adjudication en la livrant au concours. Aucune réclamation ne
s’éleva ni à la tribune ni dans les journaux, et ainsi les amateurs n’ont pu
avoir aucun motif de ne pas soumissionner.
L’adjudication fut annoncée sur deux bases :
Première base. Fourniture des lits avec
couchette en fer.
Deuxième base. Fourniture des lits non
compris les couchettes en fer.
Des modèles pour les couchettes en fer et
pour les effets de literie étaient annoncés et sous les yeux des amateurs.
La commission a trouvé le modèle pour les
effets de literie dans une forme convenable, mais elle a critiqué celui des
couchettes en fer ; la manière dont ces couchettes ont été confectionnées ne
laisse plus, je pense, aucun sujet de plaintes.
Il faut croire, messieurs, qu’il n’était pas
facile d’apprécier l’estimation des fournitures stipulées dans le cahier de
charges, car nous voyons quatre soumissionnaires se présenter et demander des
prix extrêmement différents.
Pour la fourniture des lits, compris les
couchettes en fer (première base)
M. Destombes
demandait annuellement fr 490,827 25 c.
M. Vanhoorebeck,
fr. 443,980
M. Begasse, fr.
441,035
M. Legrand et Cie, fr. 432,650
Pour la fourniture des lits, non compris les
couchettes en fer :
M. Vanhoorebeck
demandait annuellement fr. 401,559 50 c.
M. Begasse, fr.
399,520
M. Legrand et Cie, fr. 390,230
M. Destombes, fr.
375,237.
M. le ministre se prononça pour la première
base et accepta la soumission de la compagnie Félix Legrand de fournir les
20,705 lits, compris les couchettes en fer, moyennant le paiement d’un loyer
annuel de 432,650 fr.
Mais c’est contre cette acceptation de la
société Legrand que la commission et la section centrale s’élèvent, et ici,
messieurs, pour prouver le grand préjudice qui en résulte pour l’Etat, ce ne sont
ni des propositions ni des raisonnements vagues que l’on fait valoir. On
articule des faits et on en argumente.
La compagnie Legrand demandait pour les
fournitures, compris les couchettes, fr. 432,650
M. Destombes, pour
les fournitures, non compris les couchettes, demandait annuellement fr. 375,237
Donc le gouvernement est censé payer pour les
couchettes en fer un loyer annuel de fr. 57,413.
Mais, dans l’opinion de la commission et de
la section centrale, il aurait pu acquérir les couchettes au prix de 24 fr. le
lit à une place, et de 42 fr. le lit à 2 places, et ainsi toutes les couchettes
en fer au moyen d’une somme de 512,580 fr. que l’Etat aurait pu emprunter.
Il eût pu rembourser cette somme par annuités
pendant 20 ans, avec les intérêts à 5 p. c., en payant chaque année environ
41,000 fr.
Maintenant il paie 57,413 fr., donc 16,413
fr. de plus, et au bout de 20 ans, il ne lui reste rien, tandis qu’au premier
cas au bout de 20 ans l’Etat était possesseur de 20,600 lits.
Ce raisonnement paraît sans réplique. M. le
ministre a cherché à établir qu’il était préférable de charger l’entrepreneur
de fournir les couchettes, que l’Etat est toujours un mauvais entrepreneur des
fournitures (la commission le reconnaît) ; sa conviction à cet égard se forme
sur ce qui s’est passé en France pour la fourniture des couchettes. Il nie que
l’Etat eût pu acquérir ces couchettes aux prix allégués par la commission, il
soutient qu’elles ont coûté 650,000 fr. à l’entreprise, enfin il cherché à
démontrer que si l’Etat avait fait l’avance du coût des couchettes, il n’aurait
pu se rembourser qu’en payant une annuité de 52,000 fr. donc seulement 5,000
fr. de moins qu’à la compagnie Legrand ; mais qu’est-ce que cette dépense de
5,000 fr par an en présence des risques, des frais et des difficultés de toute
espèce que le gouvernement eût rencontrés dans l’exécution d’un marché isolé
pour la fourniture des couchettes.
Cette réponse du ministre, je l’avoue,
n’était pas satisfaisante ; elle ne réfute pas l’argumentation de la section
centrale. Il demeure toujours vrai qu’à l’expiration de l’entreprise, et
quoique payant 57,413 francs annuellement pour loyer pendant 20 ans, il ne
reste rien des couchettes à l’Etat à l’expiration de ce terme.
On peut même dire que M. le ministre et la
compagnie Legrand ont reconnu toute la force de cette argumentation, puisqu’ils
nous soumettent un projet de transaction par laquelle la compagnie Legrand
ferait au gouvernement cession des couchettes avec l’obligation de les lui
remettre en bon état à l’expiration de l’entreprise, moyennant une somme de
325,000 fr.
Cette modification à la convention du 16 juin
1835 ne satisfait pas encore la section centrale, elle n’en persiste pas moins
à penser que le marché est onéreux à l’Etat. Elle ne convient pas que les
couchettes aient coûté à l’entreprise 65,090 fr. St elle ne conteste point le
chiffre de 638,000, toujours demeure-t-il vrai que M. Lhoest
de Liége avait offert de le fournir à un moindre prix : dans son opinion le
reproche fait au ministre de n’avoir pas accepté la soumission de M. Destombes subsiste en son entier.
Messieurs, je ne saurais en ce point être de
l’avis de la section centrale ; il me paraît que la cession des couchettes est
à l’avantage de l’Etat. Elles ont coûté à l’entreprise environ 650,000 francs :
si la société Legrand n’en faisait pas la cession, si elle en devenait
propriétaire, elle estime qu’elles auraient pour elle à la fin du service une
valeur de 400,000 francs ; mais il est évident que, devenant la propriété de
l’Etat a la fin de l’entreprise, elles auront alors une valeur plus
considérable vu que la remise doit lui en être faite en bon état, sans doute
dans l’état que la société sera censée les avoir reçues : à cette condition je
pense qu’elles auront une valeur de 500,000 à 600,000 francs ; donc, sous ce
rapport, la convention primitive reçoit une amélioration sensible. Messieurs,
lorsqu’une entreprise a été livrée au concours, elle est censée avoir eu lieu à
juste prix ; c’est d’après cette présomption qu’il n’y a pas lieu à la
rescision, pour cause de lésion, des ventes d’immeubles faites par autorité de
justice.
Dans le cas dont il s’agit s’il faut en
croire les assertions de M. le ministre et de la compagnie Félix Legrand, les
bénéfices de cette compagnie ne seraient pas aussi considérables qu’on le
prétend. Ils établissent que l’entreprise, outre l’intérêt à 5 p. c. du capital
employé, ne lui procure qu’un bénéfice de 2 et demi p. c., en totalité 7 et
demi p. c. ; et cependant M. Destombes convenait
qu’une entreprise de cette importance devait procurer à l’entrepreneur 10 p. c.
Je remarque que la compagnie, pour démontrer ses bénéfices, n’a cessé d’offrir
la communication de ses registres.
En argumentant du prix demandé par M. Destombes pour les fournitures, non compris les couchettes,
avec celui de la compagnie Legrand pour fournitures compris les couchettes, la
commission a très bien fait ressortir le préjudice résultant pour l’Etat de la
préférence donnée à la soumission de la compagnie Legrand ; mais il ne faut pas
perdre de vue que l’argumentation de la commission ne porte que sur une faible
fraction de l’entreprise, sur les couchettes en fer seulement, tandis que la
soumission de la compagnie Legrand embrasse non seulement les couchettes en
fer, mais encore les effets de literie ; elle a donc dû calculer son prix sur
la totalité des fournitures. Et quant aux effets de literie, la commission
reconnaît que dans sa visite aux casernes de Bruxelles elle n’a reçu aucune
plainte relative soit aux modèles adoptés, soit à la qualité ou à la confection
de ces effets ; le soldat en est généralement satisfait, et sous ce rapport,
dit la commission, il n’y aurait qu’à se louer et des dispositions prises par
M. le ministre et de l’exécution des livraisons faites par les entrepreneurs.
La compagnie Legrand fera-t-elle aussi de
grands bénéfices sur les effets de literie ? Voilà ce qui n’est point établi,
et ce que l’on aurait dû établir pour prouver que l’entreprise en général est
préjudiciable à l’Etat.
Toutefois, messieurs, rendons grâces au zèle
de la commission, c’est à elle que nous devons cette première modification à la
convention primitive.
Un deuxième reproche fait à l’adjudication,
c’est l’obligation de payer le loyer des lits occupés ou non occupés.
M. le ministre a répondu, et ce me semble
avec fondement, qu’avec la faculté de faire transporter les lits d’une place à
l’autre, et la charge pour la compagnie d’y faire suivre à ses frais les effets
de literie, il aurait le moyen de faire occuper constamment tous les lits ; du
reste, on peut ajouter que si le ministre avait stipulé un loyer pour les lits
qui seraient occupés seulement, il est probable que les entrepreneurs eussent
fait leur soumission en conséquence, et que la compagnie Legrand ainsi que les
autres amateurs l’auraient élevée à un taux excédant les prix demandés.
Mais la commission et la section centrale ont
supposé l’état de guerre. Mais c’est ce qu’on appelle en termes d’école du
futur contingent ; l’entreprise n’a pas pu y voir un avantage réel.
On a aussi supposé l’état de paix. Mais il
est difficile de penser que la paix étouffe cette jalousie secrète qui porte
tous les Etats à s’accroître au préjudice des autres. Il est difficile surtout
de le penser relativement à la Hollande. Nous devons même dans l’état de paix
craindre la guerre, et avoir constamment une forte armée défensive, tenue sur
pied, prête à marcher à la volonté de son chef.
« Les puissances du troisième ordre, dit un
publiciste, ont trop de motifs de n’être pas ambitieuses pour songer à
s’agrandir. Tout prince qui n’est pas en état de faire respecter son territoire
et sa neutralité doit craindre la guerre. Pendant la paix il négocie, et quand
ses demandes sont fondées sur un droit évident, on a quelque honte de ne pas
lui accorder une partie de ce qui lui appartient. A-t-il de grands talents, il
procure des richesses à ses sujets, il s’applique à les rendre heureux : c’est
un père de famille au milieu de ses enfants. »
Ce peu de mots me semblent résumer assez bien
notre politique.
Un troisième reproche bien grave que la
commission, mais particulièrement plusieurs orateurs dans la discussion qui a
précédé le vote de la chambre, ont fait à la convention du 16 juin 1835, c’est
relativement au mode de réparer le dommage causé par le fait de la troupe aux
couchettes en fer et aux effets de literie. Il a été démontré que le tarif
adopté était très préjudiciable aux soldats en ce qu’il en résultait que la
compagnie aurait pu exercer des exactions envers le soldat, en lui faisant
payer à des prix exagérés les pertes et les dégradations, et réaliser ainsi des
bénéfices énormes.
M. le ministre n’a pu disconvenir de la
possibilité de ces exactions, mais sa confiance dans la probité des
administrateurs lui étaient un sûr garant qu’ils ne tenteraient rien de
semblable, d’ailleurs, la société étant formée en société anonyme dont les
comptes annuels doivent être rendus publics ne lui aurait pas permis de se
livrer à de telles manœuvres, et ce qui s’est passé à cet égard depuis l’entreprise
prouve qu’on peut compter sur la probité des administrateurs ; moi aussi,
messieurs, j’ai confiance dans leur loyauté, mais il n’est pas moins vrai de
dire que la possibilité même d’abus ne pouvait nullement résulter du contrat
passé entre M. le ministre de la guerre et la compagnie Legrand.
Aussi, M. le ministre semble avoir reconnu
qu’il avait été un peu trop confiant sous ce rapport ; il est entré dans des
négociations à ce sujet avec la compagnie Legrand, et vous savez que, par un
arrêté du 12 août 1836, des modifications ont été apportées au tarif. Nous
devons encore cette modification au zèle de la commission.
Je me dispenserai, messieurs, de rappeler les
différences entre le nouveau tarif et le tarif primitif, vous n’aurez pas
manqué d’en prendre connaissance dans l’arrêté du 12 août 1836. D’ailleurs, la
section centrale les a fait ressortir dans son rapport sur le budget de la
guerre ; je ferai seulement remarquer que la section centrale reconnaît que
sous le rapport des exactions dont le soldat pouvait être l’objet, la
transaction apporte des améliorations au traité du 29 juin 1835 qui a suivi la
convention du 16 du même mois. A la vérité elle exprime un doute si ces
améliorations sont suffisantes. Et ce doute de la section centrale, messieurs,
je le tiens pour favorable à la convention.
Messieurs, après vous avoir entretenus de la
convention qui fait l’objet de cette discussion, après vous avoir démontré que
les modifications qu’on nous propose font disparaître ce que le contrat
primitif avait d’onéreux, je dois exprimer mon opinion : elle est que nous ne
devons plus faire d’objections au marché des lits de fer, et que nous devons
voter le chiffre nécessaire à son exécution. Nous avons tous reconnu le besoin
pressant d’un système de couchage qui procure au soldat le repos qui lui est si
nécessaire, qui fasse disparaître de l’armée les maladies qui la désolaient
depuis longtemps, un système enfin qui mette un terme aux souffrances du
soldat, dont la santé doit être le premier objet de la sollicitude du
gouvernement et des chambres.
- La séance est levée à 4 heures et demie.