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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du lundi 19 décembre 1836
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à la construction d’une
route par l’Etat (de Renesse), à une demande de subsides
pour une fabrique d’église (Saint-Jacques à Liége) (de Behr),
à l’école vétérinaire de Liége (de Behr, de Theux)
2)
Proposition de loi relative à la classification des tribunaux de première
instance (Heptia)
3) Projet
de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1837
4) Projet
de loi portant un crédit provisoire au budget du département de la guerre pour
l’exercice 1837
5) Motion
d’ordre relative à la violation du territoire par la garnison de Maestricht
(convention de Zonhoven) (Dumortier, de Theux, Gendebien, de Theux, Dumortier, Desmet, F. de Mérode, Dumortier, F. de Mérode, Willmar, Gendebien, de Theux, de Brouckere, de Theux, de Brouckere, de Theux, Dumortier)
6) Motion
d’ordre relative au personnel du tribunal de première instance de Charleroy (Gendebien, Ernst, Gendebien, Ernst, Dubus,
Gendebien, A. Rodenbach, Ernst)
7) Projet
de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1837. Discussion
des articles. Droits d’accise sur les sucres (d’Huart, Lardinois, Legrelle, Dumortier, Eloy de Burdinne, Lardinois, A. Rodenbach, Gendebien, Verdussen, Eloy de Burdinne, Lardinois, Coghen, de Jaegher, Dubus, d’Huart, Gendebien,
d’Huart, Dumortier)
8)
Vérification des pouvoirs d’un membre de la chambre (Willmar)
(Moniteur
belge n°356, du 20 décembre 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure et demie.
M. Lejeune lit le procès-verbal
de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse
fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES
ADRESSEES A
« Les sieurs Cavenall
et compagnie, fabricants de sucre indigène, demandent que les sucres raffinés
étrangers soient prohibés à l’entrée en Belgique, et l’imposition d’un droit
analogue à celui de France sur les sucres bruts. »
________________
« Des cultivateurs de pâturages des communes
du canton de Herve adressent des réclamations contre l’entrée en fraude du
bétail hollandais et contre l’impôt du sel nécessaire à la préparation du
laitage envoyé à l’étranger. »
________________
« Le
sieur C. Willems, à Waereghem, adresse des
observations sur le projet de loi relatif aux sels. »
________________
« Le
sieur Serbruyn, à Desselghem,
adresse des observations sur le projet de loi portant des modifications à la
loi sur les distilleries. »
________________
« Les
fondateurs de l’école de médecine vétérinaire de Liége demandent qu’il soit
forme un jury d’examen spécial pour cette branche de l’instruction
publique. »
« Les
conseils communaux de Bilsen et de Hoesselt du district de Maestricht, rive gauche de
« La
fabrique de l’église de St-Jacques, à Liége, demande qu’il soit alloué au
budget une somme de 15,000 fr. pour réparer cette église. »
________________
- Sur la proposition
de M. de Renesse, la pétition des conseils
communaux de Bilsen et de Hoesselt
du district de Maestricht est renvoyée à la commission des pétitions avec
demande d’un prompt rapport.
Même renvoi, sur la proposition de M. de Behr, pour la pétition de la fabrique de
l’église de St-Jacques à Liége.
Même renvoi, sur la proposition du même membre
pour la pétition des fondateurs de l’école de médecine de Liége, qui demandent
qu’il soit formé un jury d’examen spécial pour cette branche de l’instruction
publique.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux) annonce à cette occasion qu’un projet de
loi tendant à combler cette lacune est prêt et sera sous peu présenté à la
chambre.
- La pétition du sieur Serbruyn
est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur le
sel.
Les autres pétitions sont renvoyées purement et
simplement à la commission des pétitions.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A
M. Heptia donne
lecture de la proposition suivante, dont les sections ont autorité la lecture :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Nous avons, de commun accord avec les
chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Article unique. La quatrième classe des
tribunaux de première instance est supprimée.
« Les tribunaux formant actuellement cette
classe sont reportés à la troisième. »
- Cette proposition sera développée après le vote
des budgets.
PROJETS DE LOI 1° FIXANT LE CONTINGENT DE
L’ARMEE ; 2° PORTANT UN CREDIT PROVISOIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE
M. le ministre de la
guerre (M. Willmar) présente un projet de loi relatif à la fixation du
contingent de l’armée, et un projet de loi de crédit provisoire de 5 millions
de francs pour assurer le service du département de la guerre, en attendant le
vote du budget de ce département.
- La chambre donne acte à M. le ministre de la
guerre de la présentation de ces projets de loi et des exposés de leurs motifs,
en ordonne l’impression et la distribution, et le renvoi à la section centrale
chargée de l’examen du budget de la guerre.
MOTION D’ORDRE
RELATIVE A
M.
Dumortier (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, nous avons vu dans les
journaux d’aujourd’hui que les soldats hollandais sont venus s’emparer de
militaires qui étaient sortis de Maestricht et que la gendarmerie avait saisis
sur notre territoire. Il paraît que pour se donner un grand air de triomphe, le
général Dibbets est sorti avec 500 hommes
d’infanterie, 150 hommes de cavalerie et 4 pièces d’artillerie, pour reprendre
sur notre territoire les officiers hollandais qui avaient été arrêtés à défaut
de passeports, à défaut de documents quelconques.
C’est une violation flagrante de nos droits.
Je demande quelles mesures le gouvernement a prises
pour prévenir le retour de pareils abus.
Quand on fait une révolution, il faut savoir la
faire respecter !
Il ne faut pas que le roi Guillaume s’imagine qu’il
est notre maître et croire qu’il peut impunément humilier
Je demande ce qu’a fait le gouvernement pour venger
le nom belge et la dignité nationale indignement outragés.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Il n’est que trop vrai qu’à la suite de
l’arrestation de quatre officiers hollandais opérée par deux gendarmes à
l’auberge dite « Tournebride, » commune de Lanaken, et à la suite du
transport de ces officiers à Reckheim, un détachement
de la garnison de Maestricht a fait une sortie pour les reprendre et s’est
présenté dans ce but à la limite de la commune de Reckheim
hors du rayon stratégique.
Ce détachement qui s’est montré en dehors du rayon
stratégique était composé d’un escadron de hussards. En ce qui concerne l’infanterie
et les pièces de canon dont l’honorable préopinant a fait mention, il semble,
d’après le dernier rapport, qu’elle ne serait pas sortie du rayon stratégique.
Quoi qu’il en soit, la violation du territoire n’en pas moins flagrante.
Le détachement ayant envoyé des parlementaires, et
la gendarmerie ne se trouvant pas en force, elle a été dans la nécessité de
laisser partir les officiers qu’elle avait arrêtés ; ils sont retournés avec
l’escadron hollandais dans la ville de Maestricht.
Une réclamation a été
adressée au général Diebbets par le chef de
l’état-major général de l’armée belge ; et la réponse a été que le général Diebbets ne reconnaissait pas le rayon stratégique
déterminé : cette prétention, messieurs, nous la considérons comme
inadmissible, comme contraire au traité du 21 mai, je dirai même à la
convention de Zonhoven. En effet, si une telle prétention pouvait être admise,
il s’ensuivrait que réciproquement les troupes belges pourraient stationner
sous les remparts de Maestricht, et ce que le traité du 21 mai, ce que la
convention de Zonhoven ont voulu prévoir, serait mis en question : ainsi, selon
que les troupes belges ou hollandaises seraient en force, telle ou telle
commune serait occupée par les troupes belges ou hollandaises.
Dans cet état de choses, nous avons donc cru que la
première démarche à faire était de s’adresser aux puissances signataires du
traité du 21 mai, à savoir
M. Gendebien. -
Ce n’est pas sur ce point que j’avais demandé la parole, mais puisque la
question est soulevée, elle mérite discussion.
M. Dumortier a dit que quand on avait le courage de
faire une révolution, il fallait savoir la faire respecter : heureusement, il
ne s’agit pas de la révolution ici, ce n’est pas elle que l’on déshonore, c’est
le gouvernement qui lui a succédé. Ce n’est donc pas pour défendre la révolution
que je prends la parole, mais pour répondre au ministre que vous venez
d’entendre.
Le ministre de l’intérieur convient de tous les
faits ; il convient que le traite de Zonhoven a été violé, que le général Dibbets ne reconnaît pas de rayon stratégique déterminé ;
et que ce général agit comme s’il n’existerait pas de traité ; et la conclusion
que le ministre tire de là, c’est que nous nous en plaindrons à
Puisque vous reconnaissez que le général Dibbetzs ne se croit pas lié par le traite de Zonhoven,
ayez le courage de ne pas vous croire plus liés que lui ; ayez le courage
d’intercepter les communications entre Maestricht et
Recourons, si vous voulez, aux puissances
étrangères garantes du traité ; mais mettons-nous d’abord dans la position de
repousser les insolentes prétentions de notre ennemi, et faisons-lui sentir que
nous ne recourons aux puissances étrangères que par déférence et nullement par
pusillanimité. Messieurs, messieurs, ce n’est pas seulement d’une violation de
traité qu’il s’agit ; jamais le territoire n’a été respecté. Savez-vous ce que
l’on faisait pour faire respecter notre territoire quand nous avions cent dix
mille hommes : pour éviter une collision, on envoyait quatre hommes avec un
officier et un brigadier pour observer la garnison de Maestricht ; et quand
l’officier avait le courage de faire son devoir et de signaler les insultes, on
avait soin de l’éloigner.
C’est de cette manière que l’on donne à croire aux
Hollandais qu’ils sont supérieurs aux Belges et qu’une nation de quatre
millions d’habitants peut être impunément insultée, puisqu’après avoir été
molestés, ses ministres viennent proclamer à la tribune qu’elle n’a d’autres ressources
que d’aller se plaindre à ses grands parents de la conférence, et c’est à la
veille de discuter le budget de la guerre et la loi sur le contingent de
l’armée qu’on ose tenir un pareil langage ? Qu’avons-nous besoin d’une armée ?
Est-ce pour l’exposer à toutes les avanies ? ne l’a-t-on déjà pas assez exposée
aux affronts les plus humiliants ?
Notre armée est belle, elle est supérieure, sans
contredit, à l’armée hollandaise, et on fait tout pour lui faire croire qu’elle
lui est inférieure ; voilà du moins ce que penseront les hommes qui ne
raisonnent pas, et il y a beaucoup d’hommes qui ne raisonnent pas.
La violation du territoire pas la seule chose que
nous devions empêcher ; constamment la fraude se fait avec la plus grande
impunité autour de Maestricht ; elle se fait à l’aide d’escortes militaires ; à
chaque instant nos douaniers sont insultés, molestés, et nous le souffrons
patiemment.
Je n’insisterai pas sur la question de dignité et
d’honneur, il y a longtemps que l’honneur est compté pour peu de chose ; mais
je dirai que le trésor public en éprouve des pertes considérables. Puisqu’on
s’est jeté dans le matérialisme pur en fait de gouvernement eh bien ayons au
moins le courage de défendre nos intérêts matériels ; repoussons les incursions
que font nos ennemis pour soutenir les fraudeurs ; évitons de laisser intimider
nos soldats et nos appuis, sinon dans l’intérêt de l’honneur, au moins dans
l’intérêt de nos fabricants, de nos trafiquants.
Mais, croyez-moi, c’est un mauvais moyen de
réprimer des actes de violence, et d’en empêcher le renouvellement pour
l’avenir que de s’adresser toujours à
Voila pour la forme ; quant au fond, on a recouru
deux fois à la conférence qui siégeait à Londres ; elle nous a donné deux fois
raison, elle nous a donné deux fois gain de cause contre les prétentions du roi
Guillaume, et cependant nous avons cédé sur tous les points, et au lieu du
traité du 21 mai qu’il s’agissait simplement d’exécuter, vous l’avez en quelque
façon abandonné pour vous contenter d’une position insolite, purement de fait
et si mal définie que Dibbets, au dire du ministre
lui-même, en méconnaît les bases aujourd’hui.
Si
Quand on n’a pas le courage de faire usage de ses
armées, il ne faut pas le montrer ; s’il y a de la honte pour tout homme qui,
après avoir tiré l’épée, n’a pas le courage de repousser un affront, lorsqu’il
est mis dans la position de le faire, il en est, à plus forte raison, de même
pour une nation. Si vous n’avez pas le courage de défendre son honneur, au
moins ne la ruiner pas par une ostentation ridicule.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Messieurs, la comparaison que l’honorable préopinant vient de faire vous a dû
paraître peu parlementaire. Il n’y a rien de contraire à la dignité de
Mais, dit-on, prenez des mesures de représailles
immédiates ! Ce n’est pas ainsi que l’on procède : on commence par réclamer
satisfaction et ce n’est que quand cette satisfaction n’est pas donnée qu’il
peut être question de représailles. C’est ainsi, messieurs, que l’on agit
ordinairement lorsqu’on veut avoir le bon droit de son côté et continuer à
jouir de l’appui qui nous a été, dans toutes les circonstances, aussi utile
qu’honorable.
M. Dumortier. -
Messieurs, je suis étonne de voir le gouvernement prétendre que ce n’est point
par des mesures immédiates qu’il faut procéder lorsque la nation se trouve
ainsi outragée dans son honneur, lorsque son territoire a été violé par son
ennemi ; je m’étonne de voir qu’un ministère, auquel je reconnais du
patriotisme, n’ait pas saisi aussitôt les armes pour faire respecter le
territoire de
Prenez-y garde, messieurs, si vous adoptez un
pareil système, qui vous dit où s’arrêteront les incursions des Hollandais, qui
vous dit que, pendant que vous vous en reposerez sur les puissances pour la
défense de votre territoire, les soldats du roi Guillaume ne viendront pas
jusqu’à Bruxelles ? puisqu’il ne reconnaît pas de rayon stratégique, je ne vois
pas ce qui pourrait l’arrêter, si vous n’avez pas le courage d’opposer la force
à la violence. C’est donc par des mesures énergiques, et non pas en allant
réclamer auprès de la conférence, qu’il faut répondre aux déclarations et aux
actes d’hostilité du général Dibbets.
Nous avons toujours dit, messieurs, et nous le
répétons encore aujourd’hui, si vous voulez que
Si le ministère entrait
dans une voie semblable, la chambre lui donnerait tout son appui, et s’il
venait demander à cet effet fût-ce deux cent mille hommes, nous nous
empresserions de les lui accorder ; mais s’il veut toujours donner à la
conférence la défense de notre territoire, de notre indépendance, de notre
honneur, alors je ne vois pas à quoi servent les 110 mille hommes auxquels on
propose de continuer à fixer le contingent de l’armée : si cette armée ne doit
être qu’une armée de parade, nous n’en avons pas besoin. Mais nos soldats
n’attendent que l’occasion de se mesurer ; faites-les marcher sur nos
frontières, ils vous prouveront que ce n’est pas en vain que vous aurez fait
appel à leur courage et que leur cœur bat encore aux mots d’honneur et de
patrie.
M. Desmet. -
Messieurs dans l’affaire de la violation de notre territoire, aux environs de
la place de Maestricht, par la troupe hollandaise, il y a quelque chose que je
ne comprends pas bien, et que le ministre qui vient de parler n’a pas encore
expliqué. C’est que les gendarmes, qui avaient fait l’arrestation des quatre
officiers hollandais qui s’étaient enhardis à faire une excursion hors de la
ligne stratégique, ont eu l’inconcevable maladresse de ne pas conduire leurs
prisonniers dans l’intérieur du pays, pour les mettre à l’abri d’un coup de
main, et les ont au contraire retenus sur la ligne ! Vraiment, la maladresse
est telle, qu’on pourrait soupçonner qu’il y avait eu un compérage entre nos
gendarmes et les Hollandais pour donner une occasion de la part de la garnison
de Maestricht de violer notre territoire et d’ essayer si notre gouvernement
aurait eu le courage de réclamer contre l’acte de violation ou s il l’aurait
laisser passer comme inaperçu !
Je veux cependant croire que mon soupçon ne soit
pas fondé, mais, je le répète, la chose est tellement étrange, que le
gouvernement ne peut pas se dispenser de faire une enquête sur la conduite des
gendarmes qui ont ainsi, par leur propre faute, laissé reprendre les
prisonniers qu’ils avaient faits.
Dans ces circonstances je ne critique point les
démarches que le gouvernement a faites près des puissances alliées pour faire
connaître la mauvaise foi que le gouvernement hollandais met derechef dans sa
conduite en observant peu les clauses de l’armistice de Zonhoven ; au
contraire, je les approuve fortement, mais, d’un autre côté j’appuie ce qu’a
dit l’honorable M. Gendebien, qu’on ne peut laisser sans troupes et même sans
une force respectable le cordon de la place de Maestricht afin de repousser la
force par la force, et pour que désormais, quand le général hollandais se
permettrai encore d’exercer des voies de fait sur notre territoire et qu’on
puisse bien recevoir ses soldats et le punir de sa hardiesse, soyez-en assurés,
messieurs, quand nous aurons quelque force sur ce point, vous ne verrez plus
reparaître les Hollandais, car leur poltronnerie est trop connue pour oser se
montrer là où ils croiraient rencontrer quelques troupes belges. D’ailleurs,
messieurs, la prudence impose l’obligation au gouvernement de tenir des troupes
aux environs des places où se trouvent des Hollandais, car les brigandages et
les actes de vandalisme de cette nation sont trop connus pour ne pas prendre
des mesures pour les prévenir, et soyez-en assurés, au moindre signe de guerre
leurs premiers actes d’hostilité seraient le renouvellement des terribles
scènes de Calloo et environs.
Et comme l’a dit encore l’honorable membre que je
viens de citer, les troupes que le gouvernement placerait au cordon de
Maestricht pourraient très utilement y servir pour garder la ligne de douanes
et arrêter la grande contrebande qui a lieu dans ces endroits.
Car, quoique, d’après le
rapport très flatteur que M. le ministre des finances nous a fait samedi
dernier sur l’excellent service que font les employés de la douane et la grande
activité qu’ils mettent à surveiller la fraude, on devrait réellement croire
que la contrebande est un peu diminuée, mais il n’en est rien, on pourrait
peut-être dire et soutenir qu’elle est augmentée. Il est possible que M. le
ministre le croie ainsi d’après les rapports qu’il reçoit de ses employés qui
se trouvent sur les diverses ligues frontières ; mais quand on s’y rend en
personne, et quand on consulte les habitants, on est bientôt convaincu du
contraire, et tous vous disent que la contrebande est très forte ; mais la
chose peut s’expliquer, surtout quand on peut donner foi à ce qu’on assure sur
la ligne, c’est qu’on n’y doute pas qu’il y a connivence entre les grands
contrebandiers et quelques employés des douanes. Je n’en dirai pas plus sur ce
point.
Mais je demande encore que le gouvernement veuille
informer sur la conduite des gendarmes qui ont laisse échapper les officiers
hollandais, et j’insiste fortement pour qu’il envoie une force respectable de
troupes sur le cordon de Maestricht, afin de faire respecter notre territoire
et prévenir les excursions de l’ennemi.
M. F. de Mérode. - On vient de vous parler,
messieurs, d’une affaire assez fâcheuse qui s’est passée aux environs de
Maestricht ; mais avant de rien décider sur la nature de cette affaire, il
faudrait savoir comment elle a réellement eu lieu. J’ai entendu dire que deux
ou trois officiers de la garnison, qui étaient sortis de la place, non pas pour
envahir notre territoire mais pour se promener, même sans armes, ont été
arrêtées par nos gendarmes à une très petite distance de la ville de
Maestricht, et que ces officiers ont été repris par les Hollandais. Je sais
bien que si le général Dibbets voulait venir jusqu’à
Bruxelles ou jusqu’à tel ou tel point intermédiaire, qu’il est inutile de
déterminer ici, ce serait là une prétention tout à fait incompréhensible, et je
n’admets pas la réponse de ce général, quand il dit qu’il n y a pas de rayon
stratégique ; mais le fait est qu’il n’y en a jamais eu de bien déterminé,
c’est du moins ce que m’ont dit des militaires distingués.
Il ne faut pas, messieurs, diminuer l’importance de
l’affaire dont il s’agit, mais il ne faut pas non plus l’aggraver, or, vous
voyez que tout se réduit à l’enlèvement de quelques officiers qui étaient
sortis de Maestricht, non pas pour envahir notre territoire à main armée, mais
pour faire une promenade, sans armes ; et qui avaient été pris par nos
gendarmes et conduits à Reickem, ce que je ne conçois
pas, car les faire passer aussi près de Maestricht, c’était s’exposer à les
voir reprendre, c’était en quelque sorte provoquer la garnison.
Si nous voulons, comme on
le demande, établit autour de Maestricht une force armée suffisante pour
empêcher que pareille chose se renouvelle, il faudra une force considérable,
car sans cela elle ne pourrait rien faire contre la garnison, qui est
parfaitement logée à l’intérieur de la place ; un escadron ou deux seraient
très mal placés là, et ils pourrait subir le sort qu’ont subis les gendarmes.
Il faudrait que le gouvernement eût beaucoup de maladresse, qu’il entendît bien
mal l’honneur national pour agir avec autant de précipitation qu’on lui conseille
de le faire, et pour compromettre ainsi quelques escadrons sans autre
perspective que la honte ; si l’on veut envoyer des troupes autour de
Maestricht, il faut y envoyer un corps d’armée qui ait au moins la même force
que la garnison, et non par l’éparpiller dans les villages environnants, mais
les placer dans une espèce de camp de manière qu’il soit assez fort pour
résister à toutes les attaques. Quand on donne des conseils au gouvernement, il
faut en donner des raisonnables et d’excusables, et non pas le pousser à des
mesures qui ne pourraient que nous attirer de nouveaux désagréments. Je crois
donc, messieurs, que nous devons jusqu’à nouvel ordre attendre le résultat des
démarches qui ont été faites par le gouvernement.
M.
Dumortier. - J’entends avec le plus grand étonnement un ministre venir
chercher à justifier les officiers hollandais qui, selon lui, ne seraient venus
sur notre territoire que pour se promener, sans avoir la moindre mauvaise
intention ; peu importe, messieurs, le motif pour lequel ils sont venus ;
j’engage l’honorable préopinant à aller se promener sur le territoire
hollandais ; il prendra des leçons sur ce qu’il faut exiger dans des cas
semblables à ceux dont il s’agit.
Quant à ce que dit l’honorable préopinant que les
conseils que nous donnons au gouvernement ne sont pas exécutables, je réponds
que ce sont les seuls exécutables, car lorsque le pays a été outragé dans son
honneur, lorsque le territoire a été envahi par une armée ennemie, c’est de l’énergie
qu’il faut employer, c’est par la force qu’il faut repousser la force si nous
voulons nous montrer dignes de l’indépendance. Ce n’est qu’en défendant notre
nationalité par nous-mêmes que nous pourrons la conserver ; en réclamant auprès
de la conférence, nous ne ferons que prouver notre incapacité, nous ferons
croire par là à l’Europe que nous ne sommes pas propres à former une nation
indépendante.
M.
F. de Mérode. - Il n’y a, messieurs, aucune comparaison entre une violation
de territoire et ce dont il est question ; je sais bien que si nous allions
nous promener en Hollande, nous pourrions fort bien, et moi tout le premier, ne
pas en revenir ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; remarquez que la
position de Maestricht est tout exceptionnelle (position très fâcheuse, et j’ai
toujours eu le plus grand regret que nous ne nous soyons pas emparés de cette
place qui est une forteresse du premier ordre), car, je le répète, d’après ce
qui m’a toujours été dit par les autorités militaires, le rayon stratégique de
cette ville n’a jamais été déterminé d’une manière quelconque l’on ne peut donc
pas considérer comme une violation de territoire le fait de quelques officiers
qui en sont sortis sans armes pour se promener.
Quant aux autres observations que j’ai faites,
l’honorable M. Dumortier n’a rien dit qui les fasse tomber, je persiste donc à
dire que ce ne sont pas quelques escadrons qui, en cas de collision, pourraient
résister à la garnison de Maestricht ; et, comme appartenant au gouvernement,
je désire vivement qu’il ne suive pas les conseils de l’honorable préopinant.
M. le ministre de la
guerre (M. Willmar). - Un des honorables préopinants a prétendu,
messieurs, que l’honneur de l’armée belge se trouvait engagé dans l’affaire qui
nous occupe en ce moment ; c’est ce que je ne puis pas admettre : s’il s’était
trouvé des troupes aux environs de Maestricht, elles auraient fait leur devoir,
et les officiers hollandais, s’ils s’étaient trouvés en leur pouvoir,
n’auraient certainement été rendus que sur les ordres du gouvernement du pays.
Ce n’est pas de la faute de l’armée, si elle ne s’est pas trouvée en mesure de
résister à la sortie d’une partie de la garnison, par suite de sa dislocation
actuelle résultant de l’application franche du traité du 21 mai, qui a fait
regarder comme inutile la conservation d’une force imposante autour de
Maestricht.
On a dit encore que
l’honneur national avait subi une forte atteinte en ce qu’on avait traité au
nom du Roi des Belges, avec un simple officier hollandais ; ce fait, messieurs,
est inexact : on n’a pas traité au nom du Roi des Belges, mais des officiers
supérieurs de l’armée belge ont traité avec des officiers supérieurs de l’armée
hollandaise relativement à une route militaire et en vertu de pleins pouvoirs
délivrés par les généraux respectifs.
Et à propos de la route militaire, dont les limites
stipulées dans la convention de Zonhoven ont religieusement observées par le
général Dibbets, il y a une sorte de contradiction de
sa part à prétendre qu’il ne reconnaît pas de rayon stratégique ; car il est de
fait que les stipulations de ladite convention, en ce qui concerne les
changements de garnison de Maestricht, ont été jusqu’ici observées par le
commandant de cette forteresse ; d’où il suit qu’il ne se croit pas en droit de
faire mouvoir arbitrairement ses troupes à une certaine distance de la
forteresse.
M. Gendebien. -
Messieurs, à entendre un honorable préopinant, le fait qui nous occupe ne
serait qu’une promenade militaire, faite sans armes, autour des murs de
Maestricht, par quelques officiers hollandais.
Mais, messieurs, ce n’est pas le fait dont nous
nous plaignons ; nous nous plaignons de ce que le gouvernement de
Au lieu de nous répondre, on suppose que nous
voulons qu’on envoie un ou deux escadrons sous les murs de Maestricht. Non,
messieurs, ce n’est pas cela que nous voulons. Nous avons dit que puisque le
général Dibbets méconnaissait le traité de Zonhoven,
le devoir du gouvernement était d’ôter à nos ennemis les avantages que leur
assure ce traité. Voilà ce que nous avons dit et ce que nous maintenons.
Lorsque j’ai parlé de l’envoi d’escadrons, j’ai
seulement voulu dire qu’il ne fallait pas laisser notre frontière dégarnie
comme elle l’est, et qu’on devait se mettre en mesure d’opposer la force à la
force ; mais qu’on poussait la prudence si loin, que pour éviter un conflit, on
ne permettait, pour les reconnaissances et la surveillance de la frontière, que
la réunion de cinq ou six hommes au plus commandés par un officier.
Dans ma pensée, il ne s’agissait donc pas de faire
marcher des escadrons sous les murs de Maestricht, pour les exposer aux
affronts qu’ont reçus les gendarmes qui ont opéré l’arrestation des officiers
hollandais ; mais il s’agissait simplement de prendre les mesures nécessaires
pour faire respecter le territoire et le traité, sauf ensuite à s’adresser aux
puissances alliées si on le croit utile, mais au moins après avoir fait une
démarche qui rendît notre position honorable vis-à-vis de nos ennemis.
On a dit, messieurs, que ce n’était pas la faute de
l’armée, si le territoire a été violé. Non, sans doute, ce n’est pas la faute
de l’armée ; ce n’est pas plus sa faute que ce ne le fut lorsqu’on l’a
condamnée à rester l’arme au bras, lors du siège de la citadelle d’Anvers.
Aussi, personne dans cette enceinte n’a prétendu imputer cette faute à l’armée
; tout le monde, au contraire, dans cette assemblée, a toujours plaint l’armée
du rôle qu’on lui faisait jouer. Si des témoignages de confiance ont été donnés
à l’armée parmi nous, ce n’est pas par le gouvernement, mais bien par les
députes qui ont constamment pris la défense de l’armée. Et personne, plus que
moi, n’a de confiance dans l’armée ; personne, plus que moi, n’est convaincu
que l’armée ne souffrirait pas d’affront ; personne, plus que moi, n’est
convaincu de la noble impatience de l’armée, lorsqu’en 1832 on lui a infligé le
triste et honteux devoir de rester spectatrice, l’arme au bras, du siège de la
citadelle d’Anvers que venaient faire des étrangers.
On a dit que ce n’était pas au nom du chef de
l’Etat que le gouvernement avait traité à Zonhoven. Messieurs, je ne reviendrai
pas sur la longue discussion qui a établi le fait d’une manière incontestable.
Il y avait, il est vrai, deux espèces de
stipulations à discuter dans les conférences de Zonhoven. Quand le gouvernement
a traite des points stratégiques de la convention du 21 mai, l’affaire s’est
passée, j’en conviens, par l’intermédiaire du chef d’état-major général ; mais,
dans ce cas même, le ministre de la guerre et son délégué le chef d’état-major
ne stipulaient pas moins au nom du gouvernement belge, et par conséquent ils
auraient dû ne pas traiter avec un simple major hollandais qui n’avait reçu mission
ni du ministre de la guerre hollandais, ni même du commandant Dibbets, son chef supérieur. Il traitait individuellement,
sans avoir remis ses pouvoirs, ni même avoir été contraint à les exhiber.
Quand il s’est agi de réclamer l’exécution des
clauses du traité autres que celles qui étaient simplement stratégiques, vous
avez traité au nom du Roi, ou plutôt vous avez essayé de traiter au nom du Roi
: vous en avez référé deux fois à la conférence qui vous a appuyés, et au lieu
de consacrer par une convention en bonne forme des droits reconnus par la
conférence, vous avez consenti à constater en fait, avec un simple major
hollandais qui ne tenait son mandat, comme dans le premier cas, que de son chef
immédiat, les stipulations arrêtées à Londres.
On vous dit : Nous avons
obtenu des stipulations favorables par le traité de Zonhoven, donc nous devons
recourir aux puissances étrangères pour le maintien de nos droits. Je dirai
d’abord que personne n’a contesté que le traité de Zonhoven ne fût favorable à
Aujourd’hui donc, en présence des prétentions du
général Dibbets qui ne reconnaît pas le traité, nous
sommes en droit de renouveler nos plaintes et d’attribuer cet état de choses au
défaut de perspicacité du gouvernement, lorsqu’il a exécuté le traité du 21
mai, pour tout ce qu’il avait de favorable à
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, nous n’avons pas dit que le
général Dibbets méconnaissait jusqu’ici en fait le
rayon stratégique ; mais nous avons dit que dans les circonstances dont
l’appréciation nous occupe, il l’avait méconnu ; et qu’a cette occasion il
revenait sur la prétention qu’il avait déjà élevée précédemment de n’être pas
restreint en droit à un rayon stratégique. Selon nous, c’est en vain que le
général Dibbets se prévaudrait de son opinion, pour
blâmer l’arrestation opérée par la gendarmerie belge sur quatre officiers
hollandais, et pour justifier la délivrance de ces mêmes officiers.
Nous pensons, messieurs, que quoi qu’il eût pu être
désirable, que l’arrestation n’eût pas eu lieu dans l’état des relations qui
existent aujourd’hui entre le commandant de Maestricht et les autorités belges,
en ce qui concerne les communications qui sont rendues de jour en jour plus
faciles ; nous pensons, dis-je, qu’il n’en est pas moins vrai que l’arrestation
a été faite légalement et avec droit ; et que l’invasion du territoire, par un
escadron de hussards, constitue une véritable infraction au traité du 21 mai.
A cette occasion, on a
demandé comment il s’était fait que les gendarmes eussent emmené les
prisonniers hollandais à Reckheim, et qu’ils ne les
eussent pas immédiatement transférés dans l’intérieur du pays.
Je ne puis, messieurs, supposer aucune espèce de
connivence de la part des gendarmes avec les officiers arrêtés ; je puis tout
au plus supposer de l’imprévoyance de leur part. En effet, ils ne pouvaient pas
s’attendre à ce que des forces considérables se présenteraient à Reckheim, pour délivrer les quatre prisonniers.
M. de Brouckere.
- Messieurs, si je n’ai pas pris la parole plus tôt, c’est qu’en expliquant ma
pensée tout entière et sur la dislocation de l’armée, et sur la manière dont le
gouvernement entend la défense du pays, j’aurais dû dire des choses que dans
mon opinion il n’aurait pas été prudent de faire connaître aujourd’hui.
Cependant, ce que vient de dire M. le ministre des
affaires étrangères (car je suppose que c’est en cette qualité que M. de Theux
a parlé) ; ce que vient de dire ce ministre m’oblige à rompre le silence que je
m’étais d’abord imposé.
Selon lui, le commandant de Maestricht reconnaît en
droit les traités conclus entre
Il s’ensuit donc que ce commandant s’attribue le
droit de se promener dans
Je dois dire deux mots sur le fait en lui-même. Je
reprends les choses d’un peu plus haut, et je me dis que le gouvernement a
peut-être quelques reproches à se faire en cette occasion.
On pourrait peut-être
prétendre qu’il a donné lieu à cette violation de territoire. En effet,
l’endroit où les officiers hollandais ont été arrêtés est une espèce de
« guinguette » qu’on appelle Tournebride. Depuis longtemps des
officiers de la garnison de Maestricht vont se promener jusque-là, sans que
jusqu’ici on les ait le moins du monde inquiétés. On les autorisait donc
tacitement du moins à fréquenter cet estaminet. Il n’est aucune des personnes
qui habitent ou ont habité le Limbourg qui ne pussent attester ce fait.
Dans ces circonstances, quatre officiers de la
garnison de Maestricht, dont un en bourgeois et les trois autres sans armes, se
rendent à cette guinguette où, les jours précédents, d’autres officiers et eux-mêmes peut-être s’étaient rendus ; on
les arrête.
Le gouvernement eût été plus sage s’il avait
signifié au gouverneur de Maestricht qu’à l’avenir les officiers de la garnison
ne pourraient plus sortir du rayon stratégique ; ou bien, s’il admet que les
officiers de la garnison de Maestricht puissent venir jusque-là sans armes,
pourquoi ses agents se sont-ils permis d’arrêter ceux qui y sont venus ? C’est
un point sur lequel je prie le gouvernement de s’expliquer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je dois dire que jusqu’à présent il ne nous avait pas été signalé que des
officiers hollandais vinssent se rafraîchir à l’auberge du Tournebride. Je sais
qu’il en était ainsi dans les premiers temps, mais je ne suis pas certain qu’il
en fût de même dans les derniers temps. S’il en était ainsi, je serais surpris
que les gendarmes se fussent avisés d’arrêter tout à coup des officiers
hollandais qui avaient l’habitude de venir en cet endroit. Quoi qu’il en soit,
je puis assurer qu’aucune instruction n’a été donnée à cet égard, et je
n’hésite pas à déclarer que si j’avais été consulté, comme chargé de
l’administration de la sûreté publique, ou je n’aurais pas voulu faire cesser
sans motif une habitude de tolérance, ou j’aurais eu soin de prévenir le
général commandant de Maestricht que ses officiers devaient à l’avenir
s’abstenir de sortir du rayon stratégique. Il n’a nullement été dans
l’intention du gouvernement de faire procéder à une arrestation de cette
nature.
Quoi qu’il en soit, le général Dibbets
aurait dû se borner à réclamer la mise en liberté de ces officiers, elle aurait
été ordonnée comme il a ordonné lui-même la mise en liberté de deux douaniers
saisis en armes aux portes de Maestricht.
Je le répète, il n’était nullement dans l’intention
du gouvernement belge d’établir des mesures de sévérité vis-à-vis
M. de Brouckere.
- Je ne conteste pas que rien n’autorisait le gouverneur de Maestricht à agir
comme il l’a fait. Là-dessus il n’y a qu’une voix de la part des députés comme
des ministres ; mais j’ai fait un reproche au gouvernement de n’avoir pas
prévenu la collision. A cela que nous répond-il ? J’assure que les gendarmes
n’ont reçu aucune instruction pour arrêter les officiers hollandais qui
viendraient à l’estaminet du Tournebride. C’est précisément là ce que je lui
reproche. Les gendarmes auraient dû avoir des instructions.
Ou le gouvernement
voulait tolérer que les officiers hollandais vinssent sans armes à cette
guinguette, et il fallait alors ordonner de les laisser en repos ; ou le
gouvernement ne voulait pas tolérer cela, et alors il aurait dû signifier au
commandant de Maestricht qu’il ne voulait plus permettre que des officiers en
bourgeois ou sans armes sortissent du rayon stratégique
Quant à ce qu’il a dit qu’il ignorait si les
officiers hollandais venaient encore à cette auberge dans ces derniers temps,
je lui répondrai que tous les renseignements qui me sont parvenus attestent que
de temps à autre des officiers de la garnison de Maestricht allaient à Tourne-bride.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Quant à la fréquentation habituelle de
l’auberge Tourne-bride par les officiers hollandais,
j’ai fait prendre des informations positives.
Quant au reproche qu’on me fait de n’avoir pas
donné d’instructions, je pense que nous ne sommes pas en défaut, n’ayant pas
été avertis de ce qui se passait.
M. Dumortier. -
Je ne veux pas qu’on termine cette discussion en déplaçant, comme on paraît
vouloir le faire, une question qui doit avoir du retentissement. Peu importe si
des officiers hollandais avaient ou non l’habitude de venir à l’auberge du Tourne-bride, la question est de savoir si quand nos
ennemis envoient un corps armé violer notre territoire, on doit ou non le
repousser. Il importe que la discussion ne finisse pas en faisant porter, dans
la circonstance dont il s’agit, le tort sur
J’aime trop mon pays pour le blâmer d’avoir arrêté
les officiers ennemis qui viennent sur notre territoire ; si je le blâme, c’est
de ne pas prendre des mesures énergiques pour faire respecter notre territoire
Il n’est pas question de Tourne-bride
ni du fait des gendarmes.
Ce dont je blâme le gouvernement, c’est d’être allé
se jeter humblement aux pieds de la conférence alors qu’il avait en main les
moyens de venger l’affront qu’on lui faisait. Dans quelque temps on vous
parlera de nouvelles négociations, si déjà on ne l’a fait, et c’est en présence
de pareils événements qu’on les ouvrira. Vous aurez à l’avance confesser votre
impuissance et votre incapacité. On vous fera de nouveau passer sous les
fourches caudines.
M. Gendebien. -
J’avais demandé la parole immédiatement après la lecture de la proposition de M. Heptia. Il vous a demandé une
augmentation de traitement pour les magistrats. Je serai toujours disposé à
accueillir une proposition de cette nature, car moi aussi je trouve que le
traitement des magistrats n’est pas assez élevé ; mais, tout en songeant aux
magistrats nous ne devons pas oublier le sort des justiciables. Je saisis donc
cette occasion pour rappeler au ministre de la justice que la chambre attend un
rapport sur la question de savoir s’il y a nécessité d’augmenter le personnel
du tribunal de Charleroy et en lui rappelant l’engagement qu’il a pris de faire
ce rapport, pour le prévenir que quand nous discuterons son budget, si ce
rapport ne nous est pas présenté, si nous ne sommes pas mis en mesure de
prononcer sur la demande des justiciables de Charleroy, je voterai contre le
budget.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai déjà dit que cette question
avait besoin d’être éclaircie et qu’elle ne pouvait l’être que par des tableaux
statistiques établissant le motif et le nombre des causes arriérées dans les
divers tribunaux. J’ai pressé autant qu’il était en moi la rentrée des
documents dont j’ai besoin, et ce n’est pas ma faute si je n’ai pas encore pu
les réunir tous.
J’ai eu connaissance que dans plusieurs sections on
avait fait des propositions pour modifier les juridictions civiles, et j’ai
désiré connaître l’opinion de la section centrale pour en tenir compte dans le
rapport que je ferai la chambre le plus tôt possible. C’est pour avoir des
renseignements plus complets que j’en ai différé la présentation.
M.
Gendebien. - Il y deux ans et demi au moins qu’une augmentation de
personnel du tribunal de Charleroy a été demandée. C’est sous le ministère de
M. Lebeau que la demande a été faite, et M. Lebeau n’a pas hésité à dire que,
d’après les renseignements qui lui étaient parvenus, le personnel du tribunal
de Charleroy était insuffisant. La chose est palpable. Ce tribunal est encore
constitué comme il l’était il y a quarante ans, et depuis cette époque, les
affaires ont décuplé en nombre et en importance. Cependant on veut qu’il reste
toujours composé de même.
C’est un fait de notoriété publique, que
l’insuffisance du personnel du tribunal de Charleroy. Il n’est pas, à la
rigueur, nécessaire de tableaux statistiques. Faut-il d’ailleurs si longtemps
pour reconnaître le nombre des causes qui ont été introduites depuis 20 ans et
de comparer ce nombre aux affaires que ce tribunal avait à juger auparavant ?
C’est l’affaire de huit jours que de réunir ces renseignements sur lesquels on
peut être facile attendu que la nécessité de l’augmentation demandée est de
notoriété publique et que personne ne peut la contester. Qu’on en finisse,
qu’on dise si l’on veut, oui ou non, que la justice soit rendue dans cet
arrondissement si important qui paie un ample contingent dans les
contributions, et ne mérite pas les mépris et les dédains du ministre de la
justice.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne relèverai pas les
dernières paroles de l’honorable préopinant. Je n’ai qu’une observation à
faire. La chambre elle-même a cru que la question n’était pas suffisamment
instruite ; elle est saisie d’une proposition tendant à augmenter le personnel
du tribunal de Charleroy et de quelques autres tribunaux, elle pouvait prendre
une résolution sans l’initiative, sans l’intervention du gouvernement ; mais
elle n’a pas voulu se prononcer sans avoir sous les yeux un tableau comparatif
des affaires et des travaux des divers corps judiciaires. Je fais tout ce qui
dépend de moi pour vous mettre à même, messieurs, de décider en pleine
connaissance de cause.
M. Gendebien. -
Je demande que vous vous hâtiez de nous mettre à même de prononcer en
connaissance de cause.
M. Dubus. - Les
observations que j’ai à faire rentrent dans celles que vient de présenter M. le
ministre de la justice.
A entendre l’honorable
préopinant, il semble qu’il n’y a que le tribunal de Charleroy dont le
personnel soit insuffisant, il y a un grand nombre d’autres tribunaux pour lesquels
on a demande une augmentation de personnel. La chambre a l’habitude, avant de
prendre une décision, d’examiner quelles en seront les conséquences. Car il
faut de la justice distributive, et ce que vous ferez pour une localité, vous
devez le faire pour toutes les autres localités dont les besoins sont les mêmes
ou sont plus grandes.
M. le ministre fera examiner, non pas la question
de l’augmentation du personnel du tribunal de Charleroy, mais la question de
toutes les localités qui réclament une augmentation de personnel pour leurs
tribunaux.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - C’est juste, C’est ainsi que je l’entends.
M. Gendebien. -
A entendre le préopinant, il semble que je réclame uniquement pour Charleroy et
que je veux exclure tous les autres tribunaux qui auraient droit à une
augmentation de personnel. Je proteste contre cette imputation.
Il faut, dit-il, de la justice distributive ! Il
faut la même chose pour tous les tribunaux qui sont dans la même position que
le tribunal de Charleroy. Mais ai-je dit le contraire ?
Ce n’est pas la première fois que le préopinant
s’oppose à mes réclamations relativement au tribunal de Charleroy. Il a déjà
fait la même observation ; et je lui ai toujours répondu, comme je lui réponds
à présent, qu’il fallait faire pour tout le monde de même que pour Charleroy,
si tout le monde a les mêmes besoins. Mais parce qu’un tribunal est en position
de réclamer et parce que sa réclamation n’est pas en état de recevoir une
solution, faut-il perpétuer la souffrance des justiciables de Charleroy ? Voilà
la question. Y a-t-il un seul membre qui hésite à augmenter le personnel du
tribunal de Charleroy, si la nécessité de cette augmentation est reconnue ?
Quand la demande d’augmentation du personnel de Tournay sera en état, s’il faut
une augmentation, on l’accordera ; de même pour tous les tribunaux, à mesure
que la nécessité sera constatée.
Je répète, à cet égard, ce que j’ai déjà dit 5 ou 6
fois. Je n’ai nullement l’intention d’exclure les autres tribunaux de
l’augmentation de personnel que je demande pour le tribunal de Charleroy.
Lorsque la demande du tribunal de Tournay sera prête, si une augmentation est
nécessaire je voterai également pour qu’elle soit accordée.
Je n’appartiens pas plus au
district de Charleroy qu’à celui de Tournay. Si j’appartenais à Charleroy je me
garderais bien d’imiter M. Dubus, et de combattre la demande d’une augmentation
de personnel nécessaire à un autre tribunal, celui de Tournay par exemple ; je
demanderai au contraire et je demande pour Tournay la même augmentation de
personnel dont ce tribunal pourrait avoir besoin, et je n’hésiterais pas à le
lui accorder alors même que l’instruction ne serait pas achevée pour statuer
sur celle de Charleroy.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour !
M. A. Rodenbach.
- Je ne combattrai pas la nécessité d’augmenter le personnel des tribunaux de
Charleroy et de Tournay, mais je demanderai à cette occasion où en est le projet
de loi relatif à la compétence des justices de paix, projet qui a une connexité
intime avec les questions d’augmentation de personnel dont il s’agit.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Le projet dont vient de parler l’honorable préopinant a
été soumis à la chambre, il y a un an et plus peut-être, et a été renvoyé à
l’examen d’une commission. Il a pour objet non seulement d’étendre les
attributions des justices de paix, mais de donner encore un moyen de
débarrasser les tribunaux de l’arriéré qui entrave leurs travaux ordinaires.
C’est pour ne pas répéter ce que dix fois aussi
j’ai dit à la chambre, que je n’ai pas cru devoir rappeler que par l’adoption
de quelques-unes des dispositions de ce projet on mettrait le tribunal de
Charleroy à même de juger les procès qui sont en retard ; car, veuillez le remarquer, le tribunal de
Charleroy peut suffire à la besogne courante. Des circonstances particulières,
qu’il est utile de rappeler, sont cause de l’arriéré.
Je prie la commission à laquelle le projet a été
renvoyé, si elle existe encore, d’examiner sinon tout le projet au moins les
dispositions transitoires que j’ai indiquées. Il serait possible que leur
adoption suffît pour donner au tribunal de Charleroy et aux autres tribunaux
qui sont dans une situation analogue, le secours dont ils ont besoin, en
autorisant la création de chambres temporaires.
Du reste, le gouvernement fait son devoir en ne
consentant pas à imposer à l’Etat de nouvelles charges avant d’avoir reconnu
qu’il n’y a pas d’autre moyen de faire donner prompte justice aux justiciables.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS
POUR L’EXERCICE 1837
Discussion des articles
Contributions directes, douanes, accises, poids et mesures, garantie
Accises
M. le président. -
La parole est à M. le ministre des finances.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - J’ai fait dresser ce matin un tableau
comparatif de l’importation et de l’exportation des sucres en 1835 et dans les
9 premiers mois de 1836. Je viens de déposer cet état sur le bureau. Les
honorables membres qui voudront y prendre des renseignements verront qu’il est
resté en consommation : en 1835, 7,663,771 kilog. sucre brut, dans les 9 premiers
mois de 1830 9,980,821 kilog.
Le transit et le reste à l’entrepôt sont également
indiqués dans ce tableau dont la chambre pouvait ordonner l’impression.
- La chambre ordonne l’impression et la
distribution du tableau déposé par M. le ministre des finances.
M.
le président. - La discussion est ouverte sur l’article suivant du
tableau joint au budget des voies et moyens :
« Sucres (26 centimes additionnels) : fr.
120,000. »
Et sur l’amendement de M. Lardinois ainsi conçu :
« Par dérogation à la loi du 24 décembre 1829
(Journal officiel, n°76), et à partir du 1er mars 1837, la décharge de l’accise
sur le sucre, en cas d’exportation, est fixée en principal à 40 fr. par cent
kilogrammes de sucres candi ou de sucres en pains ou en morceaux. »
M. Lardinois. -
De tous les impôts c’est l’impôt indirect qui est le plus prôné par les
gouvernements et les financiers. En effet, c’est la contribution plus facile à
établir et qui rapporte le plus au trésor, parce qu’elle est répartir sur un
plus grand nombre de contribuables.
Mais par la raison que cet impôt est facile et
productif, il doit être établi avec discernement et de manière qu’il ne frappe
que faiblement les denrées de première nécessité qui servent de fourniture à la
classe la plus nombreuse de la société.
Le sucre, messieurs, ne sert pas à la consommation
du peuple ; c’est, pour ainsi dire, un objet de luxe et par conséquent une
matière très imposable. C’est, du reste, chose juge dans tous les pays de l’Europe
Il est évident qu’en frappant le sucre d’un droit
d’accise élevé, le législateur a voulu procurer au trésor un bon revenu qui
serait supporté principalement par la classe aisée des consommateurs. Et si cet
impôt n’était pas détourné, il figurerait dans le tableau de nos recettes pour
3,500,000 francs au moins, en calculant le produit sur une consommation de 18
millions de kilogrammes.
Je pense que cette supputation n’est pas éloignée
de la réalité puisqu’elle est basée sur une consommation de 2 1/2 kilogrammes
de sucre brut par individu.
Ainsi cet impôt devrait procurer 3,500,000 francs
environ, et il n’est porté au budget des voies et moyens que pour 120,000
francs. En comparant ces chiffres, messieurs, peut-on s’empêcher d’un sentiment
pénible qui se révolte contre un pareil état de choses ? Je crois que vous
entendez tous, comme moi que le droit d’accise sur le sucre ne soit pas
illusoire et que vous prendrez, avec les ménagements que réclame l’industrie,
les mesures que commande l’intérêt du trésor.
Je trouve qu’en 1828 l’accise sur le sucre a
rapporté 1,115,000 fr. dans les neuf provinces de
Deux causes principales concourent à éluder le
droit d’accise établi sur le sucre : la réimportation frauduleuse et la
décharge trop forte que l’on accorde à l’exportation du sucre raffiné.
Il est notoire que dans les années 1833 et 1834 la
fraude du sucre a été considérable. Je sais que dans mon district la
contrebande y était très active ; les négociants d’Anvers et d’autres villes
dirigeaient leurs envois sur Aix-la-Chapelle, et au premier bureau prussien ils
déclaraient que ces sucres étaient destinés pour la réimportation en Belgique,
ce qui s’opérait effectivement dans les environs de Spa.
Vous savez que la loi accorde au fabricant
Je dois vous faire observer que le même système
régit
D’après ce qui précède vous voyez, messieurs, que
le problème à résoudre est de savoir si vous voulez maintenir la législation
actuelle sur les sucres, ou si vous voulez y apporter des modifications
c’est-à-dire si vous voulez continuer à accorder indirectement une prime en
faveur d’une industrie particulière pour lui faciliter l’écoulement de ses
produits, ou bien si vous êtes d’avis d’assurer au trésor public un revenu considérable
à percevoir sur la consommation du sucre.
Loin de moi l’idée de vouloir nuire aux fabriques
de sucres, mais aussi je repousse de toutes mes forces tout système qui tend à
créer et à soutenir une industrie quelconque au moyen de primes ; car alors ce
n’est plus favoriser l’industrie, c’est tout bonnement l’exciter en dilapidant
les deniers de l’Etat.
Cependant, malgré l’abus que nous voudrions éviter,
nous devons considérer que beaucoup de fabrique de sucre se sont élevées sous
l’empire de ce privilège et qu’il y aurait injustice à vouloir l’anéantir tout
à coup. C’est, animé de cette opinion, messieurs, que j’ai l’honneur de vous
proposer l’amendement suivant :
« Par dérogation à la loi du 24 décembre 1829 (Journal officiel, n. 76) et à partir du
1er mars 1827, la décharge de l’accise sur le sucre en cas d’exportation est
fixée au principal à 42 francs par cent kilogrammes de sucres candi ou de
sucres en pains ou en morceaux.
Dans votre dernière séance vous avez entendu la
lecture de deux pétitions qui vous ont été adressées par des fabricants de
sucre de betterave, ayant le même but quoique formulant des conclusions
différentes. Il est évident qu’elles sont dirigées contre la fabrication du
sucre exotique : l’une demande que la décharge de l’accise à l’exportation soit
réduite à 10 p. c. au lieu de 45 ; l’autre que le sucre brut soit frappé à
l’entrée d’un droit de 60 à 80 fr. par cent kilogrammes, en alléguant qu’en
France il est imposé à 120 fr. pour la même quantité.
Je ferai d’abord remarquer
que la grande masse de sucre brut importé en France, provient des colonies
françaises et paie seulement à l’entrée un droit de 38 fr. 30 c. par cent
kilogrammes, ce qui est bien éloigné de 120 fr. D’autre part, je répète que si
nous devons assurer au trésor un droit d’accise sur le sucre, nous sommes
obligés d’y procéder avec ménagement et accorder aux raffineurs de sucre une
transition qui ne jette pas cette industrie dans une crise certaine. Les
fabricants de sucre de betteraves, dont l’industrie ne fait que de naître,
commencent par pousser les hauts cris et demandent une protection qui doit
détruire la fabrication du sucre exotique. C’est ainsi qu’on prélude à des
faveurs et à des privilèges ; mais je pense que la législature sera assez sage
pour abandonner à leurs propres moyens toutes ces nouvelles entreprises,
fussent-elles même décorées du titre de nationales !
M.
Legrelle. - Je ne crois pas qu’à l’occasion du vote du budget, on
puisse, au moyen d’un amendement, venir changer une législation compliquée et
dont toutes les parties sont si bien coordonnées que vous ne pouvez changer
l’une sans changer l’autre, et venir jeter la perturbation dans une industrie
si intéressante.
Veuillez remarquer qu’il ne s’agit pas de charger
une industrie, mais d’anéantir une industrie du pays au profit de nos voisins.
Si vous vouliez changer la loi sur les sucres (je
crois, moi, que c’est impossible, vous discuterez ce point après le vote des
budgets), vous ne pouvez prendre une décision dans une telle question sans vous
éclairer des lumières des hommes spéciaux. Cela vous conduirait bien au-delà de
l’époque à laquelle ce budget doit être voté.
Je demande donc l’ajournement après le vote des
budgets.
M.
Dumortier. - C’est une vérité connue depuis très longtemps que les abus
vivent d’ajournements. L’honorable préopinant vient d’en donner une nouvelle
preuve. S’il est un abus bien reconnu, bien constaté, c’est celui qui nous
occupe, c’est cette prime de 4 millions de francs absorbée par 30 fabricants !
Et vous voulez perpétuer un pareil abus !
Comment, vous avez crié contre le million accordé à
l’industrie, contre le million Merlin, et vous trouvez excellente une
disposition législative qui enlève tous les ans quatre millions au trésor !
C’est par trop exorbitant ; on ne peut voir de pareilles choses ! Je m’étonne
que l’honorable membre, qui est d’Anvers, il est vrai, se lève pour demander la
continuation d’un pareil abus : mieux vaudrait défendre le million Merlin, ce
million du moins s’appliquait à toutes les industries ; mais les quatre
millions ne s’appliquent qu’à une seule industrie. Je repousse de toutes mes
forces la proposition d’ajournement. Si jamais matière fût instruite, c’est
celle dont il s’agit.
Il y a quelques années on voyait figurer l’impôt du
sucre pour deux millions ; maintenant il figure pour 120 mille francs ; cela
est par trop odieux ! Je préférerais détruire dès aujourd’hui toute espèce de
droit que de maintenir la prime.
En supprimant l’impôt sur les sucre vous seriez
utiles aux consommateurs, tandis qu’en maintenant l’impôt vous enlèverez au
trésor public trois ou quatre millions pour enrichir vingt ou trente
industries.
M. Eloy de Burdinne. - Je voterai volontiers
un ajournement, mais non aux calendes grecques. Je voudrais qu’après nos
travaux indispensables par leur urgence, on s’occupât de la législation sur les
sucres. L’honorable M. Dumortier vous a fait sentir suffisamment la nécessité
de modifier cette législation. S’il est une matière imposable, c’est le sucre.
Le sel figure dans votre budget pour le chiffre de 3 millions 700 mille fr, et
le sucre n’y figure que pour 120,000 fr., c’est-à-dire que le sucre ne rapporte
rien au trésor ; cependant en frappant le sel on frappe sur le malheureux,
tandis qu’en frappant le sucre on impose une matière qui n’est pas à son usage.
M. Lardinois. -
Il ne faut pas adopter la proposition faite par M. Legrelle ; c’est une
véritable fin de non-recevoir. On vient de vous le dire, vous avez voté
3,700,000 fr. d’impôts sur le sel, et le sucre ne rapporterait rien au trésor ;
cela est intolérable. On vous a proposé une loi sur le sel ; nous pourrions
diminuer l’impôt sur cette matière en faisant en sorte que l’impôt sur le sucre
ne soit plus illusoire. L’honorable M. Legrelle dit que ce n’est pas dans un
budget des voies et moyens qu’on peut examiner ce qui concerne l’assiette d’un
impôt, mais mon amendement ne tend qu’à modifier ce qui existe, et à diminuer
le taux d’une prime. Il y a des exemples de cette manière d’introduire des
modifications aux lois fiscales. Si vous n’admettez pas mon amendement, c’est
que vous voulez perpétuer l’abus et frustrer le trésor d’un revenu de 3 à 4
millions.
M.
A. Rodenbach. - Je m’opposerai à la proposition faite par l’honorable
député d’Anvers. Il est vrai qu’une bonne loi sur les sucres est difficile à
porter, mais l’amendement de M. Lardinois ne détruit pas ce qui existe, c’est-à-dire
la prime qu’on accorde aux raffineurs qui exportent des sucres ; on demande
seulement une diminution de 8 p. c. sur cette prime. Si vous conserviez sans
changement le chiffre de 120,000 fr. porté au budget par le ministre des
finances, vous accorderiez un drawback de 1,500,000 francs aux raffineurs ;
c’est précisément le revenu de nos chemins de fer en 1836 que vous leur
donneriez.
Si vous alliez détruire entièrement le drawback
vous fermeriez les usines ; car, sous le régime de la loi que nous attaquons,
beaucoup de raffineries se sont établies il y en a environ cent ; il ne faut
pas jeter la perturbation dans cette industrie. Procédons graduellement, cette
année, faisons une diminution, l’année prochaine nous en ferons une autre,
n’anéantissons pas nos raffineries, si l’année dernière elles ont fait de
bonnes affaires, elles sont maintenant en stagnation. Elles sont frappées par
le droit de 11 thalers que
M. Gendebien. -
Je crois que la proposition faite par M. Legrelle est intempestive, je pense
qu’il faut continuer la discussion, après avoir entendu les hommes spéciaux en
cette matière, nous verrons s’il y a lieu à ajourner.
Je n’ose exprimer mon opinion dans une matière
aussi grave sans examen approfondi. Mais je ne puis me dispenser de vous dire
que je vois un abus grave dans la prime donnée aux raffineurs ; je vois un
certain nombre d’industriels exploitant les consommateurs ; je les vois se
partageant entre eux trois ou quatre millions ; nous ne pouvons pas faire un
pareil cadeau à MM. les raffineurs. Si leur industrie ne peut se soutenir qu’à
l’aide d’une semblable prime, j’aime mieux la voir tomber aujourd’hui que
demain. D’ailleurs qu’ils se mettent en mesure de raffiner des sucres
indigènes. Je pense qu’il faut diminuer la taxe de la prime afin de les mettre
dans la nécessité de raffiner le sucre indigène de préférence au sucre étranger
; car la question n’est pas seulement de savoir si le trésor gagnera trois ou
quatre millions ; elle est encore de savoir si les raffineurs seront encouragés
à ruiner la production des sucres indigènes, pour favoriser la consommation des
sucres étrangers. Car, messieurs, il me semble que le maintien de l’état de
choses actuel, serait une véritable et très haute prime accordée aux sucres
étrangers contre nos sucres indigènes.
Je désire que l’on continue
la discussion afin que les hommes qui conçoivent des doutes puissent les
exprimer. D’ailleurs le ministre des finances a dit, en présentant son budget,
qu’il reconnaissait que l’impôt sur le sucre ne rapportait pas à beaucoup près
ce qu’on devait en attendre ; mais que des raisons graves l’avaient empêché de
présenter les moyens de faire cesser cet état de choses ; je prie le ministre
de vouloir bien s’expliquer maintenant et de nous exposer quelles sont ces
raisons.
Terminons la séance en nous éclairant sur la
matière, et si nous reconnaissons après qu’il y a lieu à ajournement, nous
n’auront pas perdu notre temps puisque nous nous serons éclairés mutuellement,
et que nous aurons provoqué l’attention de tous les intéressés.
M.
Verdussen. - Tous les orateurs, et ceux qui croient que ce serait jeter
la perturbation dans une industrie que de modifier la loi, et ceux qui ne
partagent pas cette opinion, conviennent de l’importance de la question. Cette
question est en effet beaucoup plus grave que celle que nous avons ajournée
dans notre dernière séance et qui était relative aux tabacs. Dans cette
précédente séance nous avons dit qu’il ne fallait pas instantanément apporter
des changements sur des produits intérieurs, et sur un commerce étrange. Le
commerce à l’étranger est encore le point qui doit nous occuper dans la
question des sucres : il faut savoir si nous n’allons pas céder à
Sur la présentation de M. David, relative aux tabacs,
la section centrale a ajourné son rapport jusqu’à ce qu’on ait rassemblé tons
les documents nécessaires ; je ferai la même proposition ; il faut au moins
procéder avec autant de circonspection à l’égard des sucres qu’à l’égard des
tabacs. Je ne recule pas devant la discussion ; mais je voudrais qu’elle fût
raisonnée, mûre, qu’elle fût juste, en un mot.
M. Eloy de Burdinne. - Je suis assez
d’avis de ne pas accorder d’ajournement pour la question des sucres ; il faut la
traiter le plus promptement possible. Cependant je ne voudrais pas qu’elle fût
décidée aujourd’hui, parce que plusieurs membres ne sont pas préparés. On nous
dit qu’il ne faut pas improviser une loi ; que la proposition de M. David ayant
été ajournée, on doit également ajourner celle de M. Lardinois ; mais il n’y a
pas parité ; il ne s’agit pas de faire une loi nouvelle sur les sucres, il
suffit seulement d’améliorer celle qui existe.
Un raffineur de sucre, en raffinant très
superficiellement 100 kilog. de sucre, il en restera 65 kilog. pour livrer au
commerce ; et comme il obtiendra la remise totale des droits pour l’exportation
de 50 kilog., il s’ensuit qu’il pourra en livrer 45 kilog. à la consommation
intérieure qui n’auront payé aucun droit, tandis qu’ils n’ont éprouvé qu’une
perte de 5 p. c. La proposition de l’honorable M. Lardinois me paraît donc
devoir être plus mûrement méditée ; plusieurs membres de cette assemblée ne
l’ont examinée que d’une manière superficielle, étant occupés dans plusieurs commissions
et dans la section centrale. Je demande en conséquence que la chambre remette
sa décision à cet égard au moins jusqu’à demain ou après-demain.
M.
Lardinois. - Je ne disconviens pas que la question que j’ai soulevée ne
soit très importante puisque les raffineurs de sucre enlèvent annuellement au
trésor 3 à 4 millions de fr. ; mais je ne suis pas d accord avec
l’honorable député d’Anvers quand il dit qu’il ne doit pas y avoir deux poids
et deux mesures et que la même marche qui a été adoptée pour la proposition de
M. David doit être suivie pour la mienne ; je ferai remarquer à l’honorable
membre que la proposition de M. David est relative au droit de douane ; qu’il
s’agit là de faire payer un droit d’entrée à une marchandise étrangère, tandis
que dans mon proposition il n’est question que d’un droit d’accise que vous
pouvez modifier sans le moindre inconvénient par rapport à la loi générale sur
les sucres. Rien ne s’oppose donc à ce que vous votiez immédiatement ma proposition.
M. Coghen - Je ne
crois pas, messieurs, que nous soyons assez préparés pour pouvoir aborder avec
fruit un sujet aussi important que celui de la loi sur les sucres que
l’honorable M. Lardinois veut amender ; la question est d’une importance très
grave ; d’abord le trésor public éprouve un déficit considérable par l’absence
du revenu d’une matière qui est généralement reconnue pouvoir être imposée et
qui doit l’être, puisque c’est un objet de luxe ; ensuite la navigation a le
plus grand besoin de recouvrer du moins une partie de son activité, laquelle ne
pourra lui être rendue entièrement que lorsque l’ouverture de toutes les
sections du chemin de fer aura établi le commerce du transit ; vous avez, je
crois, une centaine d’usines qui marchent assez bien mais dont la prospérité
n’est pas durable, car
Je demanderai donc que la
question soit renvoyée à une commission spéciale pour être mûrement examinée ;
car, dans ma pensée, l’amendement proposé par M. Lardinois n’atteindrait pas le
but que l’honorable membre se propose. Il veut, en effet, que la loi sur le
sucres soit réellement productive pour le trésor et réellement productive de
l’industrie indigène ; or, le premier amendement qu’il a présenté et qui
consiste à fixer à 11 fr. 20 c. le chiffre de la réduction que la loi accorde,
serait illusoire, le second serait encore plus, l’expérience prouverait
qu’après ces modifications-là, la loi ne produirait rien du tout.
M.
de Jaegher. - L’honorable M. Verdussen a trouvé une identité entre la
proposition de M. David et celle de M. Lardinois ; loin d’y trouver une
identité, je trouve, au contraire que ces deux propositions sont diamétralement
opposées l’une à l’autre. En effet, la première tend à établir un droit qui, à
mes yeux, serait une prime offerte à la fraude, et la second tend à supprimer
un autre droit que je regarde aussi comme un encouragement à la fraude.
Si la chambre n’est pas, en ce moment, suffisamment
éclairée pour décider la question qui nous occupe, il n’en est pas moins vrai
que les producteurs de sucre indigène se trouvent dans une position
préjudiciable vis-à-vis les raffineurs de sucre étranger : il faudrait que, lorsqu’ils
présentent leurs produits aux raffineries, ils pussent être admis à des
conditions au moins aussi avantageuses que les sucres étrangers, mais il en est
autrement ; les raffineurs leur répondent : « Nous ne pouvons pas admettre
vos produits au même taux que les sucres étrangers, parce que sur les premiers
nous ne jouirons pas de la restitution de droits, qui nous est accordée pour
les autres, et que par conséquent nous commencerions par perdre 22 p.c. sur vos
sucres. » C’est là, messieurs, un des motifs qui me feront voter pour
l’amendement de Lardinois, que je serais même tenté d’étendre encore.
M. Dubus. - Il me semble, messieurs, que les honorables
orateurs que vous venez d’entendre en dernier lieu ont perdu de vue que dans
les observations qu’il vous a faites l’honorable député de Mons ne se
prononçait ni pour ni contre l’ajournement, mais qu’il faisait seulement
ressortir la convenance qu’il y aurait à méditer les raisons données par M.
Lardinois de décider si vous pouvez adopter sa proposition sans examen
ultérieur, ou s’il convient de la soumettre à cet examen.
Je crois que la grande majorité de l’assemblée est
d’accord sur ce point : qu’il y a véritablement abus, et qu’il est urgent de
prendre des mesures pour réprimer, ou, du moins, pour diminuer cet abus ; mais
je pense aussi que si vous nous interrogiez chacun en particulier sur la
question de savoir jusqu’où il faut aller, vous rencontreriez à peu près autant
d’opinions que d’individus. Ainsi, messieurs, nous nous prononçons contre
l’ajournement alors que, si nous devions voter immédiatement, nous ne pourrions
pas nous trouver d’accord.
Il me semble donc qu’il serait convenable
d’entendre des explications et notamment celles que M. le ministre doit nous
donner, avant de nous prononcer sur l’ajournement de la proposition de M.
Lardinois. Si réellement cette proposition ne tend à autre chose qu’à réduire
la restitution ou décharge qu’on fait en cas d’exportation de 48 à 42 fr. du
principal par
Il faudrait examiner, il
faudrait, avoir des chiffres ; je voudrais, pour moi personnellement, avoir des
explications sur un point ; je voudrais
savoir s’il est vrai que ce qui donne lieu aux plus grands abus, c’est
l’exportation d’une espèce de sucre qu’on appelle lumps, et qui est assimilée
dans le tarif prussien au sucre brut ? S’il est vrai que ces lumps jouissent de
la même restitution que les sucres les plus raffinés, quoique cependant ils
soient à peine raffinés ; s’il est vrai encore que l’exportation des lumps est
précisément ce qui donne lieu à une fraude qui consiste à les réimporter comme
sucre bruts ; dans ce cas vous sentez, messieurs, que l’amendement de M.
Lardinois ne laissera la plus grande partie des abus dont on se plaint.
Je me trouverai donc, si je ne suis éclairé par la
discussion, dans l’impossibilité de me prononcer ; il me faut des explications,
des chiffres avant que je puisse voter en connaissance de cause sur un
amendement quelconque de la nature de celui dont il s’agit. J’appuie donc la
motion de l’honorable député de Mons, tendant à attendre les explications des
différents membres de l’assemble et M. le ministre des finances en particulier,
avant de nous prononcer sur la question de l’ajournement.
(Moniteur belge n°357, du 21 décembre 1836) M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, tout le monde
convient qu’il a un vice dans la législation actuelle sur les sucres. Je
rappellerai que c’est moi qui ai le premier signalé ce vice il y a deux ans ;
mais on n’est pas d’accord sur les moyens d y remédier ; il me semble que nous
devrions adopter la proposition de l’honorable M. Gendebien et continuer la
discussion au moins pendant la séance actuelle afin de nous éclairer. Pour mon
compte je dois avouer à la chambre que je ne pourrais pas dans le moment même
lui présenter une solution de la question, qui donnerait tous les apaisements
nécessaires ; il est possible que quelques membres de l’assemblée présentent
des observations qui éclairent la difficulté, et qu’après les avoir entendus,
nous soyons à même de prendre une décision en connaissance de cause. Si vous
jugez convenable, messieurs, de continuer la discussion, je vous donnerai
volontiers, dans la séance d’aujourd’hui même, les éclaircissements que je suis
à même de fournir.
M.
Gendebien. - Messieurs, voici en deux mots ma proposition. Je demande
que, sans rien préjuger sur la question préalable posée par l’honorable M.
Legrelle, on continue la discussion de l’amendement de M. Lardinois et de
toutes les questions qui s’y rattachent. Si, à la fin de la discussion, on se
trouve asse éclairés, on pourra alors adopté l’amendement de M. Lardinois, ou
en proposer un autre. Quant à moi, je déclare que mon intention n’est pas
d’adopter l’amendement de M. Lardinois, parce que je ne le regarde pas comme suffisant
ni efficace contre la fraude.
M. Fallon,
vice-président, remplace M. Raikem au fauteuil.
M. le président. -
Je vais consulter la chambre sur la question de savoir si la discussion
continuera sur le fond.
- Cette question est mise aux voix et résolue
affirmativement.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Messieurs, il est incontestable que si la
décharge des droits à l’exportation était équivalente à la prise en charge à
l’importation, le droit de consommation établi par la loi serait perçu au
profit du trésor, et par suite, il y aurait une protection de 37 fr. 2 c. par
100 kil. de sucre brut en faveur de nos sucreries de betteraves.
Mais cette industrie qui n’est que naissance, qui
s’est établie sous l’empire de la législation actuelle, a-t-elle besoin du
protection telle que celle-là, protection qui tournerait nécessairement au
préjudice du consommateur et au détriment du commerce et de la navigation, en
ôtant à ces deux branches de la fortune publique, dès que les sucreries
indigènes produiraient suffisamment pour la consommation intérieure, les
avantages qu’elles trouvent dans le mouvement du sucre exotique.
Les importations et les exportations des sucres
sont très considérables. D’après le tableau que je viens de déposer sur le
bureau, on voit qu’il s’opère un mouvement de plus de 30 millions de kil. de
sucres par an ; 20 à 25 millions de kil. de sucres étrangers sont introduits
annuellement en Belgique : or, pour aller chercher cette quantité considérable
de sucre, on exporte nécessairement de nos produits dans le pays où le sucre se
trouve.
Lorsque le sucre est raffiné, lorsqu’il a reçu la
préparation nécessaire, pour être réexporté, nouveau mouvement de 10 à 12
millions de kil., nouveau produit pour la navigation ; et quand ce sucre est
vendu dans des ports étrangers, les navires qui l’y ont transporté, ramènent
nécessairement en Belgique les marchandises achetées dans ces ports.
Il s’opère donc un mouvement commercial très
important, et qui va au moins de 60 à 80 millions de kilog. par an (30 à 35
millions de kilog. de sucre, et 30 à 35 millions de kilog. d’autres
marchandises.)
Dans cet état de choses, serait-il juste, serait-il
convenable d’établir une protection, telle que celle que je viens d’indiquer, à
savoir 37 francs 2 centimes pour 100 kil. en faveur de nos sucreries de
betteraves, industrie nouvelle qui, en s’établissant sous l’empire de la
législation actuelle, a prévu sans doute qu’à ces conditions elle pouvait se
développer ? Ne serait-ce pas assez faire que de placer sur la même ligne les
raffineries de sucres exotiques et les sucreries indigènes et quel serait le
moyen d’y parvenir ? Ce moyen serait, ou bien de supprimer toute espèce de
droit sur le sucre étranger ; ou bien d’imposer le sucre indigène d’un droit de
consommation équivalant à celui que l’on imposerait pour le sucre exotique,
soit du droit actuel de 37 francs 2 centimes par 100 kil.
Ce dernier moyen, consistant à soumettre à l’impôt
la production du sucre, serait actuellement d’une application difficile, et,
d’ailleurs, de nature à arrêter l’essor des sucreries de betteraves ; l’autre
moyen, qui tendrait à supprimer tout espèce de droit, serait à la fois nuisible
aux raffineries de sucres étrangers, et désastreux pour les
sucreries indigènes ; et ceci, messieurs, est facile à démontrer.
Supposons la prise en charge (ainsi qu’on l’a déjà
supposé dans cette séance, et comme, au reste, la chose est en réalité),
supposons la prise en charge sur 100 kil. de sucre brut à l’importation ; 55
kil. de sucre raffiné annulent à l’exportation cette prise en charge. Admettons
que le déchet du sucre brut, transformé en sucre raffiné, ne sont réellement
que de 15 p. c. ; il en résulte que 30
kil. de sucre sont restés dans le pays sans payer aucun droit au trésor.
Mais, messieurs, pour la législation actuelle soit
avantageuse aux raffineries de sucres étrangers, il faut nécessairement, bien
que ces
Mais que devient le supplément de droit payé au
raffineur de sucre exotique, ainsi que je viens de le dire ? Il est appliqué
par eux, selon toute probabilité, à diminuer le prix du sucre sur les marchés
étrangers, à mettre ces industriels à même de soutenir la concurrence dans les
pays où le raffineurs hollandais, qui sont régis par la même législation que
les nôtre, expédient leurs produits.
Ainsi, messieurs, si l’on mettait le raffineur du
sucre étranger en position de ne réclamer, à titre de restitution de droits,
aucun prix supplémentaire du consommateur belge, il est présumable qu’il ne
pourrait plus lutter que très difficilement à l’étranger contre la vente du
sucre raffiné en Hollande ; de plus, nos sucreries indigènes devant concourir
en Belgique pour la vente de leurs produits à des prix moins élevés, jouiraient
évidemment de moins d’avantages qu’aujourd’hui.
Ce simple exposé indique suffisamment que la
question est très grave et très délicate ; pour vous en persuader davantage, il
suffit de tirer les conséquences qui découleraient nécessairement de l’adoption
de l’amendement de M. Lardinois.
A mon avis, trois conséquences immédiates résulteraient
de l’adoption de cet amendement.
En premier lieu, amélioration des produits en
faveur du trésor : résultat sans doute très important, et qu’en ma qualité de
ministre des finances je dois appeler de tous mes vœux. Je dis qu’il y aurait
d’abord amélioration des produits en faveur du trésor ; et ici, je dois aller
au-devant d’une objection de l’honorable M. Coghen, qui a laissé entrevoir
tantôt que dans son opinion l’amendement n’est pas propre à assurer au trésor
le paiement de l’impôt sur le sucre, parce que, sans doute, la haute décharge
serait encore trop forte.
Evidemment, si le déchet, si la remise du droit à
la sortie était diminuée de 30 p. c., comme le propose M. Lardinois, le
raffineur du sucre étranger, pour pouvoir livrer toute la marchandise
nécessaire à la consommation sans qu’il rentre aucun droit au trésor de
Belgique, devrait y importer et en exporter ultérieurement une quantité plus
que double de celle qu’il y importe et en exporte aujourd’hui.
Je dis donc, messieurs, sans qu’il soit
mathématiquement vrai que le trésor percevrait, au moyen de la proposition de
M. Lardinois, l’intégralité du droit sur la consommation du sucre en Belgique,
qu’il est incontestable au moins que le produit augmenterait d’une manière très
notable ; il ne serait pas possible que les raffineurs de sucres étrangers
allassent chercher une masse aussi considérable de sucre, pour en réexporter
ultérieurement à peu près les 3/4.
La seconde conséquence de l’amendement de M.
Lardinois est une protection en faveur des sucreries de betteraves, équivalente
à l’augmentation de produits qu’obtiendrait le trésor, ainsi que je viens de le
dire. Cet effet vous paraîtrait sans doute satisfaisant, mais il ne faut pas
l’isoler de la troisième conséquence du même amendement, laquelle serait la
réduction notable des avantages dont jouissent les raffineurs de sucre
exotique, avantages qui produisent depuis plusieurs années un grand aliment au
commerce et à la navigation.
C’est principalement entre ces deux derniers effets
de la proposition de M. Lardinois que gît la difficulté ; car il importe, pour
les concilier, d’établir une équation dont, je l’avoue, je ne possède pas les
éléments assez positifs : Quel degré de protection est nécessaire au
développement de nos sucreries de betteraves, et jusqu’où peut aller cette
protection sans arrêter le commerce et la navigation qu’alimente le mouvement
du sucre exotique ?
Pour répondre à ces questions, il est indispensable
d’établir des prix de revient, de pondérer des choses dissemblables, et par
suite d’une appréciation excessivement difficile. Peut-être que d’honorable
députés qui ont étudié la matière, pourront nous donner à cet égard des
éclaircissements qui me paraissent manquer jusqu’à présent, pour se prononcer
avec assurance dans cette grave question. J’écouterai avec un vif intérêt les
indications qui seront énoncées à cet égard.
Je pense, messieurs, qu’en tout cas l’amendement de
M. Lardinois ne suffirait pas pour remédier à tous les vices de la législation
existante : tel qu’il est conçu, il serait inefficace pour extirper la fraude
qui se commet actuellement, indépendamment de la trop forte décharge des droits
accordée à l’exportation : il faudrait une disposition bien claire qui
déterminât que le sucre qui n’a subi qu’une légère manipulation, ainsi que cela
arrive le plus souvent aujourd’hui (car parfois des sucres qui obtiennent la
haute décharge n’ont pas eu 5 p. c. de déchet), ne jouirait pas de la décharge
du haut droit à la sortie ; l’administration des douanes devrait être investie
du pouvoir de refuser la décharge du droit sur toute espèce de sucre qui ne
remplirait pas certaines conditions de raffinage.
Il faudrait au moins que
l’administration pût déterminer la décharge partielle des droits que des sucres
raffinés à moitié, ou à tel degré de perfection, pourraient recevoir. Voilà,
messieurs, une dernière considération importante que je livre à vos
méditations.
M. le président. -
Voici un amendement que M. Dumortier vient de me faire passer :
« La prime de réexportation sur le sucre sera
acquise sur le pied de l’accise de 100 kilog. de sucre brut introduit en
Belgique, lors de la réexportation de 75 kilog. de sucre raffiné en pain ou
candi, et pour les sucres dit lumps qui n’ont reçu qu’un raffinage, lors de
l’exportation de 90 kilog. »
M. Dumortier. -
Messieurs, mon amendement est basé d’abord sur la nécessité d’assurer la
rentrée des droits du trésor, 2° de faire cesser la fraude scandaleuse qui se
fait par certains ports au moyen de l’exportation de sucres lumps, 3° d’assurer
à une industrie naissante une protection qu’elle n’aurait pas sans la
disposition que je propose.
Le ministre des finances a parlé de l’existence des
raffineries et de la nécessité d’examiner jusqu’à quel point on pouvait
apporter des modifications aux lois sous l’empire desquelles elles s’étaient
établies. Il craint que les modifications qu’on y introduirait ne portent la
perturbation dans cette industrie et la navigation. Ma réponse est bien facile
: l’an dernier l’impôt sur les sucres a rapporté un million et demi au trésor
public. Si nous lui faisons rapporter cette année la même somme, il n’en
résultera aucune perturbation puisque les choses resteront dans le même état.
Voilà ma réponse, je la crois péremptoire. Je ne veux pas faire supprimer toute
espèce de prime cette année, afin que la secousse ne soit pas brusque. Ce n’est
pas que j’approuve les primes sur ce sucre ; au contraire, je les désapprouve
formellement, et mon désir est qu’avant deux ou trois ans on les supprime tout
à fait. Nous avons, nous tous hommes de la révolution, réclame contre le
million Merlin. Aujourd’hui ce n’est plus un million qu’il s’agit de donner à
toute l’industrie du pays, mais 4 millions à l’industrie du sucre seulement.
Soyons donc conséquents avec nous-mêmes. Si nous avons été vrais en blâmant le
million Merlin, nous serons conséquents en réprimant l’abus dont je me plains.
Messieurs, vous savez de quelle manière le trésor
est frustré du droit que la loi lui attribue. Le sucres étrangers paient à
l’entrée en Belgique un droit d’accise de 36 fr. par cent kilog., principal et
additionnels. Lors de la réexportation
de 55 kilog. de sucre raffiné, on rembourse les 37 fr. payés pour l’importation
de 100 kilog. de sucre brut ; d’où il résulte une différence de 45 kilog. par
cent entre le sucre importé et le celui exporté.
Maintenant, il est à considérer que cette
proposition, qui a pu être juste quand on a fait la loi, est devenue un
privilège, une prime en faveur des raffineurs, par suite des progrès qu’a faits
cette industrie. C’est ainsi qu’aujourd’hui les sucres de bonne qualité
représentant lors de l’exportation, environ de 80 à 90 p. c. du sucre brut ;
c’est-à-dire qu’avec 100 kilog. de sucre brut, au moyen des nouveaux procédés,
on est parvenu à tirer 80 à 90 kilog. de sucre raffiné.
Si donc vous remboursiez le droit payé pour 100
kilog. de sucre brut, toutes les fois qu’on exporte 90 kilog. de sucre raffiné,
vous rembourseriez ce qui a été payé ; et ce que vous déduisez de ce chiffre
est une prime que vous donnez au raffineur. Voilà pour les sucres ordinaires.
Mais il est une espèce de sucres qu’on appelle lumps, qui n’éprouvent presque
pas de déchet par le raffinage, car ils n’ont subi qu’une seule opération qui ne
produit qu’un déchet de 3, 4 à 5 p. c. ; d’où il résulte que le négociant qui
exporte ces sucres presque dans l’état où ils étaient quand ils sont entrés se
trouve recevoir presque le double de ce qu’il a payé.
Comme ces sucres n’ont subi qu’un seul raffinage,
ils conservent la couleur du sucre brut. Ces lumps sont en pain ; le négociant
fraudeur les déclare en exportation ; on obtient la restitution du droit,
c’est-à-dire que celui qui a importé 100 kil. de sucre brut obtient le
remboursement du droit en exportant 55 kil. de lumps qui sont de véritables
sucres bruts, car il n’y a au plus que 5 p. c. de déchet. Jusqu’ici, ce n’est
qu’un abus provenant de la loi ; mais maintenant voici venir la fraude, et
c’est principalement dans le port d’Anvers qu’elle se fait. Avant d’exporter
des lumps pour lesquels on a obtenu le remboursement du droit, on pile les
pains à bord, ensuite on fait un petit voyage de quelques jours en mer et on
les réintroduit en déclarant que c’est du sucre brut ; et on gagne ainsi le droit.
Voilà ce qui se passe ; c’est une chose infâme, odieuse de voir des négociants
se livrer à un pareil trafic, voler ainsi le trésor public, car c’est là un vol
manifeste. Voilà par quels indignes moyens le trésor s’est trouvé privé d’une
partie de ses revenus.
Je désire que mes paroles arrivent jusqu’aux
oreilles des députés d’Anvers qui ont demandé l’ajournement.
Lorsque nous sommes informés que des abus existent,
notre devoir est de les réprimer. C’est pour parer aux abus que je viens de
signaler que je demande qu’il soit nécessaire de réexporter 90 kil. de lumps
pour avoir la décharge de 100 kil. de sucre brut. En adoptant cette
disposition, vous ne verrez plus enlever au trésor public la majeure partie de
son revenu.
C’est un fait reconnu que l’impôt sur le sucre
devrait rapporter au trésor 3 ou 4 millions. En France on estime que chaque
individu consomme annuellement
Ce n’est pas trop évaluer le produit du sucre que
de le porter à 4 millions.
Dans les deux premières années de la révolution, le
droit était porté à 2 millions environ.
Il y a deux ans, il était évalué à 1,600 mille fr.
; l’an dernier, il n’a produit que 120,000 fr., et cette année, on évalue la
recette à 120,000 fr.
Aujourd’hui, dit-on, l’industrie des raffineurs de
sucre est prospère. Je le conçois ; avec une prime de quatre millions ! Si on
donnait une pareille prime à une industrie quelconque, fût-ce une fabrique
d’allumettes, elle serait bientôt dans un état prospère. Mais nous ne sommes
pas des gens à donner des primes de 4 millions à une industrie. Car si on
donnait une somme semblable à une industrie il faudrait également la donner aux
autres. On ne peut pas accorder un privilège à Gand et à Anvers.
On a dit qu’il y avait cent raffineries dans le
pays ; quatre millions font 40 mille fr. pour chacune. Il faudrait être bien
dégoûté pour ne pas faire de bonnes affaires en sucre quand on trouve une
pareille somme sous son oreiller. Mais quel est le but de cette prime ? Le
voici : c’est de faire payer à
Je ne veux pas que mon pays paie un droit sur le
sucre, afin de favoriser les Suédois et les Allemands.
Voilà, en ses termes les plus simples, la loi des
sucres. Je ne cris pas qu’elle ait besoin de longs commentaires.
Je crois que l’amendement que j’ai proposé met un
terme à tous les abus. Je considère celui de M. Lardinois comme un vain
palliatif.
J’aurais encore d’autres considérations à soumettre
à la chambre ; mais comme l’assemblée me paraît disposée à lever la séance, je
les remettrai à demain.
VERIFICATION DES
POUVOIRS D’UN MEMBRE DE
(Moniteur
belge n°356, du 20 décembre 1836) M. le président.
- M. le ministre de l'intérieur vient d’adresser à la chambre les pièces
relatives à l’élection comme représentant de M. le général Willmar, ministre de
la guerre, nommé par les électeurs de Bruxelles en remplacement de M. Rouppe,
démissionnaire. Je vais tirer au sort la commission chargée de la vérification
de ses pouvoirs.
- Cette commission se compose de MM. Raymaeckers,
Dequesne, de Roo, Polfvliet, Milcamps, de Nef et Lardinois.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.