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Note d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 6 décembre 1836
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi relatif à la prorogation de la loi sur les concessions de péages
3) Projet
de loi relatif aux primes à accorder pour construction de navires. Encouragement
à la marine marchande et politique commerciale du gouvernement (droits
différentiels) (Pirmez, Eloy de
Burdinne, A. Rodenbach, Lardinois,
Desmet, Coghen, Smits,
de Foere)
(Moniteur belge n°343, du 7
décembre 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel
nominal à 1 heure et demie.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le conseil communal de Nieuport adresse des observations contre
le projet de loi relatif au sel. »
_______________
« Le sieur Brycx (Désiré-François-Guillaume),
né à Dunkerque, et habitant
_______________
- La pétition du conseil communal de Nieuport est renvoyée à la section
centrale chargée de l’examen du projet de loi sur le sel. La pétition du sieur Brycx est renvoyée à M. le ministre de la justice.
_______________
Il est fait hommage à la chambre, par M, Charles Soudan de Niederwerth, d’un exemplaire de la deuxième édition du code
administratif des établissements de bienfaisance, revue, corrigée, annotée et
considérablement augmentée.
PROJET
DE LOI RELATIF A
M. de Puydt,
au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux concessions
de péages, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et
fixe la discussion du projet de loi après le vote des projets qui sont à
l’ordre du jour.
PROJET DE LOI
RELATIF AUX PRIMES A ACCORDER POUR CONSTRUCTION DE NAVIRES
Discussion générale
M. le président. - La discussion
continue sur l’ensemble du projet. La parole est à M. Pirmez.
M. Pirmez. - Il est une chose qui mérite
d’être considérée, et qui sans doute aura déjà fait impression sur l’esprit de
plusieurs d’entre vous : c’est qu’il est impossible que les mesures
d’encouragement et de protection se produisent jamais sans être entourées d’un
cortège de contradictions. C’est ainsi qu’hier l’honorable M. Rogier, dans
l’exposé extrêmement lucide qu’il a fait de ses idées, vous a démontré qu’à
l’instant même les partisans de ces mesures étaient pris en flagrant délit de
contradiction. En effet, à l’instant même où vous votiez la prohibition de la
sortie des os ou des mesures restrictives de la sortie des os, les partisans de
ces mesures soutenaient qu’il fallait donner des primes pour la construction
des navires, et cela dans l’intention de faciliter la sortie de nos produits. On
pourrait citer mille exemples de contradiction aussi manifeste ; et, dans
toutes les mesures de prohibition et de protection, proposées à la chambre, je
défie de citer un cas où ces contradictions n’auraient pas lieu.
Il serait curieux de faire la nomenclature de toutes les mesures
proposées et de toutes les contradictions qui s’y rattachent. Mais, puisque le
rapporteur de la commission du projet actuel est un des plus chauds partisans
de ce projet, et qu’en même temps cet honorable membre est un des plus chauds
adversaires de l’exportation des lins, et qu’il voudrait que l’on prohibât la
sortie des lins, je crois que pour citer un exemple entre mille, il n’est pas
hors de propos de citer celui-là. Lorsqu’on demande de prohiber l’exportation
du produit que nous exportons en plus grande quantité, et qu’en même temps on
demande que l’on facilite les moyens d’exportation, en encourageant les
constructions navales, n’y a-t-il pas contradiction palpable ?
La contradiction est évidemment une preuve que l’on est dans l’erreur.
Il est vrai qu’on cherche toujours à nier l’évidence de ces contradictions, en
donnant aux mesures prohibitives que l’on réclame un effet dans l’avenir
contraire à celui qu’elles ont dans le présent.
Ainsi, pour la prohibition des os, on soutient que cette prohibition
nous permettra, dans l’avenir, d’exporter beaucoup de sucre raffiné. De même,
on dit que, par suite de la prohibition de la sortie des lins, on pourra
exporter beaucoup de toiles. C’est ainsi que l’on tâche de nier l’évidence de
la contradiction permanente où l’on se trouve, en se référant aux mesures que
nous promet l’avenir. Mais ce qu’il faut bien remarquer, c’est que si nous ne
sommes pas d’accord sur ce que nous promet l’avenir, nous sommes parfaitement
d’accord sur ce que nous faisons aujourd’hui. La contradiction du moment est
flagrante, et vous ne pouvez échapper à cette contradiction que par des
prophéties.
On a dit que la navigation faisait la richesse des nations.
Certainement, s’il en est ainsi, elle fait aussi la richesse des individus ;
car les nations sont composées d’individus, et certainement les nations ne
peuvent devenir riches, sans qu’un grand nombre d’individus ne deviennent
riches. Ainsi ceux qui soutiennent que la navigation procure des richesses à
une nation, soutiennent qu’elle en procure à un grand nombre d’individus. Mais
on se demande comment il est possible qu’une opération qui doit enrichir la
nation et par conséquent un grand nombre d’individus ne soit pas tentée par
beaucoup de personnes. Comment cette opération n’est-elle tentée par personne ?
Dira-t-on que les capitaux manquent ? Mais on ne peut soutenir cette opinion
lorsqu’on voit les petites opérations être l’objet de la formation de sociétés
anonymes où pleuvent des millions.
On ne peut douter en présence de tels faits que si une opération devait
enrichir la nation et un grand nombre d’individus, il ne se formât bientôt une
société pour l’entreprendre. Comment expliquerez-vous, en présence de la fièvre
de sociétés anonymes qui se forment à toute occasion, qu’il ne s’en forme
aucune pour des constructions navales ? Un grand nombre de représentants
préconisent cette opération et blâment d’autres entreprises comme hasardeuses.
Et cependant personne ne se jette dans cette opération. Il faut donc que dans
la réalité la navigation ne soit pas toujours une opération lucrative qu’elle
soit comme toutes les autres opérations, qu’elle enrichisse lorsqu’elle est
faite sensément et appauvrisse lorsqu’elle est entreprise sans but ni raison.
Je suis loin d’approuver ce que les auteurs du projet et ceux qui le
soutiennent ont dit des droits différentiels. Je déclare dès à présent que je
partage l’opinion de la chambre de commerce d’Anvers qui me paraît très
raisonnable. Mais les adhérents au projet qui ont parlé des droits
différentiels nous ont dit pourquoi la navigation n’est pas une bonne chose.
Ils nous ont fait voir tous les motifs pour lesquels la navigation n’est pas
facile. Ils nous disent que nous ne pouvons pas parcourir toutes les mers, que
nous ne sommes pas reçus dans beaucoup de ports, qui nous ferment leur entrée.
N’est-il donc pas absurde alors de parler d’encourager les constructions
navales ?
Les nations qui ont eu un grand commerce ne l’ont pas eu parce qu’elles
avaient beaucoup de navires. Mais elles ont eu beaucoup de navires parce
qu’elles avaient un grand commerce.
Si vous pouviez parcourir tontes les mers, si vous aviez des colonies
comme quelques nations, alors les vaisseaux ne vous manqueraient pas. Avant
notre séparation d’avec
Dire que l’on fera un grand commerce extérieur parce que l’on aura
beaucoup de navires, c’est comme si l’on disait que l’on fera un grand commerce
intérieur parce que l’on aura construit beaucoup de chariots, ou qu’il suffit
d’avoir un grand nombre de chariots pour faire un grand commerce intérieur. (On rit beaucoup.) Messieurs, j’ai fait
cette comparaison pour rendre ma pensée plus sensible ; elle n’est sans doute
pas parfaitement exacte…
M. Pirson. - Elle est très bonne !
M. Pirmez. - Il n’y a pas de comparaison
qui ne cloche par quelque endroit : quoi qu’il en soit, elle est infiniment
moins mauvaise que celle qui a été faite par ceux qui ont comparé un vaisseau à
une route ; un vaisseau, par son usage, a plus d’analogie avec un chariot
qu’avec une route ; c’est la mer qui est une route et la plus belle de toutes
les routes... On me dit que les vaisseaux sont des moyens de transport ; mais
cela ne suffit pas pour les comparer à des routes ; d’après ce qu’on me dit, on
pourrait aussi comparer une roue, une voile, une route, puisque ce sont des
moyens de transport. Mais laissons cela, et revenons à la question.
J’ai soutenu dans une autre occasion que la construction d’une route
n’était pas toujours un bien pour la nation ; qu’une route nouvelle n’était un
bien qu’autant qu’elle produisait réellement davantage qu’elle ne coûtait ; de
même, pour savoir si la construction des vaisseaux sera un bien, il faut
examiner ce qu’ils produiront.
Messieurs, dans la séance d’hier, on a beaucoup posé d’axiomes, et de
règles d’économie politique, entre autres les honorables députés de Tournay. Je
n’entreprendrai pas de réfuter les discours de ces honorables membres ; je n’ai
pas eu le temps d’approfondir ces matières ; je dirai seulement que leurs maximes
ne sont pas les miennes.
J’ajouterai toutefois, un mot sur
une idée qui s’est reproduite souvent dans cette enceinte à l’occasion de
discussions analogues à celle qui nous occupe, et que l’on n’a pas manqué de
reproduire en faveur de la construction des navires ; c’est, assure-t-on, pour
empêcher notre argent d’aller à l’étranger que la loi est importante,
l’exportation du numéraire étant toujours un grand mal. Cette idée, messieurs,
a toujours été fatale dans tous les pays qui en ont été préoccupés ; et elle
nous a été funeste à nous-mêmes.
Quoique la génération qui nous suit ne l’admette pas, il n’est pas moins
utile de la combattre, et de montrer qu’elle est une des plus pernicieuses
erreurs en économie politique.
Parmi vous il y a beaucoup de personnes qui se rappellent le système
continental et la chute de l’empire ; eh bien, demandez à ces personnes si
maintenant il n’y a pas plus de richesses dans notre pays qu’alors ; si nous
n’avons pas beaucoup plus de numéraire et de métaux précieux qu’à cette époque.
D’où viennent ces métaux précieux ? Evidemment ils viennent des pays
étrangers. Comment en ont-ils été apportés ? Evidemment encore ils nous ont été
apportés par les vaisseaux étrangers. Certainement si les vaisseaux étrangers
ne vous avaient pas apporté ces métaux dont on fait tant de cas, et beaucoup
plus de cas qu’ils ne méritent, vous ne les auriez pas. Et ce qui n’est pas
moins évident, c’est que si les vaisseaux étrangers ne vous les avaient pas
apportés, vous n’auriez pas pu les obtenir par les vôtres. On peut voir par là
combien est fondée la crainte de l’exportation de nos métaux.
Cette crainte de la perte de notre numéraire qu’a-t-elle produit dans
ces derniers temps ? Elle a produit premièrement l’augmentation du prix de la viande,
qui, certes, est un mal pour la nation.
M. A. Rodenbach.
- Non, la viande n’est pas augmentée !
M. Pirmez. - Les faits sont là pour vous
répondre.
Bientôt la même crainte va produire l’augmentation du prix du poisson
étranger ; on se plaint déjà de l’augmentation du prix du poisson sec ; demain
on se plaindra de l’augmentation du prix du poisson frais, parce qu’on ne
voudra pas qu’il nous en vienne de Hollande ; or, l’élévation du prix des aliments
est assurément un malheur pour les peuples.
Messieurs, on a parlé des doctrinaires et des dupes : pour moi, les
dupes sont ceux qui veulent faire payer aux peuples la nourriture plus cher, et
cela au profit de quelques personnes seulement.
Par ces considérations, je vote contre le projet de loi.
M. Eloy de Burdinne. - Je me
propose de parler contre le projet ; si quelqu’un veut parler en faveur, je
céderai mon tour.
M. le président. - Il n’y a personne
d’inscrit.
M. Eloy de Burdinne. -
Messieurs, mon intention est de motiver mon vote qui probablement sera négatif.
En adoptant le projet de loi qui nous est soumis, ma première pensée est de
concevoir des craintes sur notre avenir : encourager la construction des
navires n’est-ce pas ouvrir la porte à une multitude de réclamations ? Et
d’abord les constructeurs de bateaux sur l’Escaut, sur
Dans l’avis donné par la chambre de commerce d’Anvers, on trouve des
raisons pour et contre le projet de loi. Je m’abstiendrai de me prononcer sur
les moyens que cette chambre propose pour favoriser la navigation, je ne suis
pas une spécialité en cette matière, mais j’appellerai votre attention sur ce
qu’elle dit en certain endroit sur les primes. Je lis :
« Que le système de primes, de privilèges et de prohibition, qui en
est une suite nécessaire, est un système peu équitable, puisqu’il fait peser
sur toute la nation une charge qui ne profite qu’à quelques-uns de ses membres
: qu’il a pour résultat nécessaire et immédiat de donner un droit réel aux
autres industries pour réclamer aussi des faveurs et des protections…. »
Je laisse à d’autres le soin de traiter la question sous le même point
de vue sous lequel l’envisage la chambre de commerce d’Anvers ; cette question
a été discutée dans la séance d’hier. Il me paraît que nos hommes spéciaux ne
sont pas du même avis. Toutefois voyons s’il n’y a pas moyen d’encourager la
marine belge sans ouvrir la porte à mille réclamations, et sans donner des
primes pour toutes les constructions que l’on considère comme étant d’intérêt
général. Je vais émettre mes idées à cet égard ; vous les adopterez si elles
vous paraissent justes et utiles ; vous les améliorerez si elles ne sont que
défectueuses ; vous les rejetterez si elles vous semblent erronées.
Ne pourrait-on pas donner des primes aux navigateurs qui
transporteraient pendant une année plusieurs de nos produits soit agricoles,
soit industriels, à l’étranger ?
Par exemple, A aura transporté, en 1837, un
million de tonneaux, maximum des exportations qui auront eu lieu ; eh bien,
vous lui donnerez une prime de 10,000 fr. (ce n’est là, messieurs, qu’une
supposition ; je n’entends pas préciser de chiffre). B aura transporté 800,000
tonneaux, et, étant par conséquent au second rang des exportateurs, il
obtiendra la seconde prime, de 8,000 fr., par exemple. C aura transporté
600,000 tonneaux, il sera au troisième rang et obtiendra une prime de 6,000 fr.
D aura transporté 400,000 tonneaux : il sera au quatrième rang et recevra une
prime de 4,000 fr. E aura transporté 200,000 tonneaux ; il sera au cinquième
rang et recevra une prime de 2,000 fr.
Ce n’est là, messieurs, qu’une idée que je ne vous présente pas comme
devant être adoptée telle que je vous la soumets, mais que je livre à vos
méditations ; car on ne peut pas improviser des mesures protectrices du
commerce : ces sortes de mesures doivent être mûries longuement pour être
efficaces. Ce que je vous ai soumis n’est donc qu’une idée, qui a besoin d’être
examinée et méditée par des hommes spéciaux dans la matière, et je leur laisse
le soin d’en tirer tel parti qu’ils jugeront convenable. Mais il me semble au
moins qu’un semblable système serait moins dangereux que le projet qui vous est
soumis ; au moins il n’ouvrirait pas la porte à des demandes sans nombre de
primes pour constructions de navires, qui, je le crains, surgiront de toutes
parts si vous adoptez le projet qui vous est présenté.
Vous avez dû remarquer comme moi, messieurs, que depuis deux ans nous
marchons de plus en plus dans la voie des augmentations de dépenses. Je vous
avoue que je ne sais trop où cela nous mènera. En vérité, dans ce moment nos
ressources sont abondantes : les douanes, l’enregistrement, en un mot, toutes
les impositions donnent des produits très satisfaisants : mais pouvez-vous
assurer que cet état de choses durera toujours ? Un jour viendra peut-être où,
après avoir porté votre budget des dépenses à un chiffre trop élevé, vos ressources
venant à diminuer, vous vous trouverez dans une position excessivement
fâcheuse.
J’ai souvent entendu dire par nos économistes que
M. A. Rodenbach. - Je ne me
proposais pas, messieurs, de prendre la parole, mais je désire répondre
quelques mots à l’honorable M. Pirmez et à d’autres honorables membres qui ont
parlé dans la séance d’hier. Il semblerait, d’après certains orateurs, que le
système de protection modérée suivi par le gouvernement serait un système
ruineux pour
On parle d’ouvrir les barrières douanières ; eh bien, que nos voisins
les ouvrent ; que
Un honorable membre a soutenu hier que
Adam Smith a proclamé le principe de la liberté
du commerce, mais les Anglais l’ont-ils appliqué ? Non, messieurs ; ils ont
bien ouvert leurs frontières à certains articles qu’ils sont sûrs de pouvoir
fabriquer à meilleur compte que toutes les autres nations, mais pour tous les
autres produits ils ont maintenu le système prohibitif.
L’honorable M. Pirmez a parlé de la loi sur le bétail, et il a reproché
à ceux qui ont appuyé cette loi d’avoir fait renchérir la viande ; mais je le
répète, messieurs, la viande n’a pas renchéri depuis que la loi dont il s’agit
a été portée.
On a dit encore que nous voudrions bien prohiber également le poisson
étranger, et faire renchérir ainsi un comestible qui est déjà excessivement
cher ; eh bien, messieurs, je ne demande pas de prohibition, mais si une
prohibition est nécessaire, c’est peut-être plus pour le poisson étranger que
pour tout autre produit.
Suivons, messieurs, l’exemple de nos voisins, et ne soyons pas leurs
dupes en appliquant en matière de douanes des principes libéraux qu’ils ne
veulent pas appliquer à leur tour. Ne nous imaginons pas d’ailleurs que nous
avons infiniment plus de science économique que les autres nations,
rapportons-nous-en un peu à leur expérience ; ne nous flattons pas d’être plus
avancés en économie politique que les Hollandais, les Français, les Anglais,
qui n’admettent point chez eux le poisson étranger. Huskisson
lui-même recommande de suivre à l’égard de cette denrée un système fortement
protecteur des produits indigènes, un système prohibitif même.
Or, messieurs, s’il est juste et utile de protéger toutes les
industries, si toutes les nations reconnaissent cette justice et cette utilité,
pourquoi ferions-nous une exception aux dépens de la construction des navires ?
pourquoi ne protégerions-nous pas cette industrie
comme les autres en accordant des primes en sa faveur ? Le charbon est imposé
de 30 à 40 p. c. ; le fer, en faveur duquel ce serait peut-être le moment de
baisser le tarif, puisque le besoin de cette matière se fait fortement sentir,
à cause de la construction des chemins de fer ; le fer, dis-je, est frappé d’un
droit de 40 p. c., ce sont là des droits trop élevés, et j’espère que le
ministre nous proposera une loi pour les modifier, car je ne veux pas outrer le
système prohibitif, mais je ne veux pas non plus qu’on tombe dans l’excès
contraire en supprimant toute espèce de protection.
Il faut un système sagement protecteur aussi longtemps que nos voisins
ne renonceront pas de leur côté à la protection qu’ils accordent à leur
industrie.
M. Lardinois. - Messieurs, après
avoir examiné le projet présenté par le gouvernement, relatif aux primes pour
construction navale, et après avoir médite sur le rapport qui en est la suite,
je me suis dit que je donnerai mon assentiment à cette mesure législative, bien
que je ne fasse pas illusion sur les résultats qu’elle doit produire.
J’éprouve le besoin, messieurs, de faire connaître les motifs de mon
vote. Les arguments que l’on a fait valoir en faveur de ce projet de loi, et
les doctrines que quelques orateurs ont débitées dans cette circonstance, me semblent
si étranges que je serais fâché qu’on pût conclure de mon vote que je les
partage ou que je m’y associe.
Depuis longtemps j’ai fait connaître mes opinions en matière d’économie
politique, et je persiste à penser que
Mes prévisions peuvent se justifier par ce qui se passe autour de nous.
Depuis le congrès, les questions financières, commerciales et industrielles
semblaient devoir être décidées sur des bases larges et libérales ; mais c’est
le contraire qui est arrivé, témoin les lois sur les céréales, les toiles, les
bestiaux, etc., etc. Je crois que la faute doit en être imputée en partie à
ceux qui veulent marcher trop vite et qui ont des principes tellement
exclusifs, qu’en les proclamant ils alarment les industries existantes, et
excitent les réactions. C’est également ainsi que le principe d’association, si
utile et si capable d’enfanter de grandes choses, est aujourd’hui compromis par
l’abus qu’on en fait.
Il est cependant bon de rappeler que, dans
cette enceinte, les défenseurs des principes libéraux en matière de douanes ont
déclaré en maintes occasions que leur intention n’était pas de porter atteinte
aux intérêts créés sous l’empire des lois actuelles et qui touchent au
commerce, à l’industrie et à l’agriculture. C’est aussi mon opinion : Nous
devons respecter les droits acquis et ne modifier nos lois fiscales qu’avec la
plus grande réserve.
Nous savons que le système des primes est un privilège que l’on accorde
en faveur de telle ou telle industrie et au préjudice des contribuables. Je ne
pense pas que ni en France ni en Angleterre l’on accorde des primes pour
exciter à la production d’une marchandise qui doit être réalisée et employée
dans le pays, mais bien sur les produits qui sont destinés à être vendus sur
les marchés étrangers ; alors ce n’est plus qu’une restitution de droits que
l’on fait à l’industrie. En recourant à la législature française, vous
trouverez que les marchandises qui peuvent être exportées avec jouissance de
primes sont le sucre raffiné, la mélasse, les savons, le soufre raffiné, les
tissus et fils de coton, les tissus et fils de laines, les meubles, les acides,
les chapeaux de paille, les peaux, le plomb battu et le cuivre. Ces primes ne
profitent par à
Avant la révolution, des primes existaient pour les constructions
navales ; cette industrie est maintenant périclitante,
et elle demande assistance. Je voterai pour le projet de loi, mais dans le sens
du gouvernement, c’est-à-dire que je n’entends pas établir un principe, mais
bien accorder un secours momentané, la loi ne devant être que temporaire. Plus
tard nous pourrons apprécier ses effets, et je désire que mes appréhensions ne
se réalisent pas ; mais on vous dit hier, ce n’est pas le tout de construire
des navires, il faut encore avoir des marchandises pour les remplir et surtout
des débouchés pour les écouter.
M. Desmet. - J’ai été très étonné dans
la séance d’hier quand le dernier orateur qui a parle a voulu mettre en doute
que nous avions une vocation maritime, et que nous avions des goûts trop
casaniers pour nous risquer de nous mettre en mer ; cet honorable membre avait
l’air de croire, il me semble, que jamais nous n’aurions pu espérer d’avoir de
bons marins et jamais aucune marine ; je suis fâché de le devoir dire, mais je
ne serai pas le seul entre nous qui répondrai à l’honorable député du district
de Chimay, que notre histoire est contre ses assertions, et que depuis que les
Belges sont sortis des forêts de
Ne sait-on pas qu’Ostende et les autres ports de notre pays ont fourni
une quantité de bons capitaines de navires ? Je suis fâché de ne pas pouvoir
vous donner dans ce moment la nomenclature des marins d’Ostende qui, dans ce
moment même, commandent des navires de commerce, et celle de ceux qui aussi
servent et commandent dans la marine française et d’autres peuples. Je ne puis
assez vous le dire, messieurs, j’ai été on ne peut plus étonné
de l’opinion que cet honorable membre à émise au sujet de la vocation et de
l’intelligence de notre nation pour la navigation : on pourrait avoir un motif
d’en douter si l’histoire et l’expérience, comme je viens de le dire, ne
prouvaient pas tout à fait le contraire.
Qu’on se reporte à l’époque où nous étions nation indépendante, et où,
comme aujourd’hui, nous nous gouvernions nous-mêmes ; n’avions-nous pas une
nombreuse et forte marine marchande ? Qu’on jette un coup d’œil sur nos ports
dans le seizième siècle, de combien de voies nationales n’étaient-ils pas
remplis ! et ne sait-on pas que nos navires se
trouvaient dans toutes les mers et faisaient les plus longs cours ?
Messieurs, j’ai dû relever cette partie du discours de l’honorable
membre auquel je réponds, parce que je ne voulais pas laisser sans réfutation
ce qu’il avait avancé d’inexact sur l’aptitude et la vocation des Belges pour
la marine, comme je repousse aussi de toutes mes forces les allégations de la
chambre de commerce d’Anvers, citées par l’honorable membre, que « c’est
un fait universellement reconnu que si notre marine marchande ne doit être
alimentée que par des navires construits à neuf dans nos chantiers, nous ne
pourrons jamais avoir qu’une masse excessivement chère, laquelle ne pourra se
soutenir qu’à l’aide de privilèges exorbitants. »
Ce dire très gratuit de cette chambre de commerce doit d’autant plus
nous étonner que c’est celui d’une chambre qui appartient à une ville qui
laisse des souvenirs bien fameux sur notre marine nationale, et qui pourrait
prouver combien elle a été nombreuse et apte à lutter contre celle des autres
nations ; comme il est aussi étrange que cette chambre ne connaît point ou du
moins ne veut point avouer que nous avons chez nous tout ce qui est nécessaire
pour construire des navires aussi économiquement que les autres peuples, et que
nous avons tous les éléments pour avoir une bonne marine marchande et
d’excellents marins ; comme nous en avons quantité dans ce moment même.
Mais que dire de l’avis de cette chambre anversoise ! Nous voyons que
très souvent ses avis ne sont pas conformes à ceux des autres chambres de
commerce du pays : on devrait vraiment croire qu’en ce moment la ville d’Anvers
n’a pas le même intérêt que le reste du pays, chose incompréhensible et que
tout le monde doit trouver extraordinaire, si ce n’est qu’on pourrait expliquer
cette énigme de la manière que l’a fait M. Doignon dans le discours qu’il a
prononcé hier.
Messieurs, pour ce qui concerne à présent la question qui nous occupe,
celle qui doit être l’objet du projet de loi, je crois qu’il n’y a pas beaucoup
à dire, car c’est bien peu de chose qu’on exige du budget pour stimuler la
construction des navires chez nous et faire revivre notre marine marchande, et
je crois que peu d’entre nous voudront contester l’utilité de favoriser cette
construction. Mais une autre discussion s’est engagée à ce sujet, et il m’a
paru que, dans la séance d’hier, quelques orateurs ont voulu soutenir qu’il
n’est pas dans l’intérêt du commerce d’un pays d’avoir un droit différentiel en
faveur de la navigation nationale, qu’il n’était pas démontré que cette
industrie avait besoin d’une protection particulière, et que ni
Mais je me permettrai de dire à ces honorables membres qu’ils sont
absolument dans l’erreur : l’Allemagne accorde sa protection particulière à sa
propre navigation ; je n’ai pas en main les documents pour le prouver, mais je
ne devrais pas faire de longues recherches pour me les procurer et vous en
administrer la preuve.
« Art. 1er. Les traites de navigation et de commerce existants
entre
« Art. 3. Aucunes denrées, productions ou marchandises étrangères
ne pourront être importées en France, dans les colonies ou possessions de
France que directement par des bâtiments français, ou appartenant aux habitants
du pays des crû, produit ou manufacture, ou dans des ports ordinaires de vente
et premier exportation, les officiers et trois quarts des équipages étant du
pays dont le bâtiment porte le pavillon ; le tout sous peine de confiscation
des bâtiments et cargaison, de
« Art. 4. Les bâtiments étrangers ne pourront transporter d’un port
français à un autre port français aucunes denrées, productions ou marchandise,
des crû, produit ou manufacture de France, colonies ou possessions de France,
sous les peines portées par l’art. 3. »
Et pour ce qui concerne le fameux acte britannique, l’honorable M.
Dumortier vous a déjà fait connaître combien il était fort, et que ce n’était
point une protection qui se bornait à un simple droit différentiel, mais qu’en
général il contenait différentes mesures prohibitives. J’entrerai encore dans
quelques détails sur ce règlement qui a si bien répondu aux effets que l’auteur
en attendait : car je pense que personne ne peut mettre en doute que l’acte de
navigation dont Cromwell dota l’Angleterre en 1660, ne soit la principale cause
de cette grande prospérité des Anglais et de leur nombreuse et forte marine,
aussi bien militaire que marchande, et que, de même on ne pourrait disputer que
l’auteur du plan de ce fameux règlement ne se montra par lui un des plus grands
politiques du monde.
On voit, par cet acte de navigation, qu’il lisait, en quelque façon,
dans l’avenir, démêlant dès lors les événements les plus reculés de l’Europe.
Il fixa par là, pour toujours, en faveur de sa nation, la balance du
pouvoir maritime. L’Angleterre ne pouvait figurer en Europe que par un grand
commerce ; c’est ce que Cromwell avait senti, mais aussi il avait su apprécier
qu’une nation ne pouvait réellement avoir un commerce national sans qu’elle eût
une marine à elle, sans qu’elle pût transporter ses propres denrées et
marchandises, et faire l’échange par ses propres navires.
Cromwell, en défendant d’exporter aucune denrée ni marchandise dans
toutes les colonies appartenant ou qui appartiendraient à la nation anglaise,
en Asie, Afrique ou Amérique, que dans ses vaisseaux construits, et en exigeant
que le maître et les trois quarts de l’équipage au moins fussent Anglais,
formait par là une marine qui appartiendrait à l’avenir à la nation, parce
qu’elle serait entièrement indépendante de celle des autres nations.
Lorsqu’une nation, dans sa navigation, emploie des vaisseaux étrangers,
elle ne peut point compter sur sa marine, parce que les nations qui lui
fournissent des navires, n’ont qu’à les retirer pour anéantir tout d’un coup
son pouvoir maritime.
« En obligeant le maître et les trois quarts de l’équipage à être
nationaux, » Cromwell donnait une puissance réelle à la marine anglaise.
Par là, le corps des matelots appartenait dorénavant directement à la nation.
L’article qui ordonnait qu’aucune marchandise du cru de l’Asie, de
l’Afrique ou de l’Amérique, ne pourrait être apportée dans aucun pays et terre
de l’obéissance de sa majesté britannique, que dans des vaisseaux construits en
Angleterre, était un grand coup d’Etat de politique maritime, pour avoir
promptement un grand nombre de vaisseaux nationaux.
L’Angleterre ne pouvait plus se passer des denrées de ces nouveaux
mondes auxquelles elle s’était accoutumée. Lui défendre d’en user qu’à cette
condition, c’était lui ordonner de construire un grand nombre de vaisseaux pour
se les procurer.
L’article qui déclarait que le poisson de toute espèce, même les
huîtres, qui n’auraient pas été pêchés par les vaisseaux anglais et seraient
apportés en Angleterre, paieraient la douane double, était un moyen sûr pour
que cette pêche à l’avenir ne se fît que par des vaisseaux nationaux, et que
par conséquent, il s’en construisît beaucoup.
Jusque-là cet acte ne contenait que des règlements simplement
économiques de marine ; mais, par ceux qui suivent, Cromwell ne pensait pas
moins qu’à couper les nerfs de la marine de tous les peuples de l’Europe.
Telle est la disposition de l’acte de navigation qui ordonnait que les
marchandises et denrées d’Europe ne pourraient être apportées en Angleterre par
d’autres vaisseaux que ceux qui sortiraient des ports des pays où se fabriquent
les marchandises et croissent les denrées : or, comme la plupart des pays qui
négociaient alors avec l’Angleterre n’avaient ni marine ni finances, ni les
moyens locaux pour construire le nombre de vaisseaux nécessaire pour le
transport de toutes leurs denrées, il arrivait par cette prohibition que
l’Angleterre s’arrogeait à elle seule le droit d’élever la plus puissante
marine de l’Europe.
« Il est défendu, dit le même acte, à tous vaisseaux qui ne seront pas
anglais de charger quoi que ce soit dans aucun port d’Irlande et d’Angleterre,
pour le porter en aucun endroit des Etats de sa majesté, le commerce de port en
port n’étant permis qu’aux seuls vaisseaux anglais. »
Il est bon d’observer à ce sujet que, tandis que l’Angleterre défendait
aux autres nations le cabotage dans ses ports, elle faisait en même temps tout
celui des autres Etats dans leurs propres ports. L’on vit bientôt en Europe
l’effet de ce fameux acte.
Depuis peu de temps la marine des différentes nations qui avaient
jusque-là disputé l’empire de la mer à l’Angleterre se trouva anéantie, et nous
savons combien elle est encore au-dessous d’elle.
Que si quelqu’un pouvait douter que cet acte ne
fût la source de cette formidable marine anglaise, il n’a qu’à comparer l’état
de navigation de ce royaume avec celui qui le suivait.
Un auteur qui a de la réputation en Angleterre, le chevalier Child,
reconnaît que sous le règne de Charles Ier, il n’y avait pas trois vaisseaux
marchands de trois cents tonneaux ; aujourd’hui il n’y a presque point de
marchand à Londres qui n’en a plus de trois de cette espèce.
Peu de temps après cet acte, les Anglais naviguèrent pour toutes les
nations. Ils devinrent les voituriers naturels de la mer. Toute la marine du
monde eut pour centre l’Angleterre.
Si alors les autres nations avaient bien compris leurs intérêts, ils
auraient pu arrêter l’élan de la marine anglaise et tenir en échec toute la
politique de Cromwell, en balançant par un semblable acte de navigation tous
les avantages que l’Angleterre pouvait retirer du sien. Faisons donc de même, messieurs,
et ne tardons pas imiter ce bon exemple ; complétons de suite le code de
protection pour notre marine marchande, et n’en doutez pas, en peu de temps
nous verrons renaître ces beaux jours où notre navigation faisait la renommée
du monde entier et où tout notre commerce se faisait par nos propres navires.
Je voterai pour le projet de la section centrale, et si on veut augmenter
encore la prime, je l’appuierai.
M. Coghen - Je comptais, messieurs,
traiter la question des primes pour constructions navales d’une manière
approfondie, d’une manière à entraîner vos suffrages en faveur d’une protection
qu’il est indispensable d’accorder à notre navigation ; mais les discours qui
ont été prononcés par les honorables MM. de Roo et Doignon me dispensent
d’entrer dans de longs débats à cet égard, car ce serait abuser des moments de
la chambre que de s’étendre encore beaucoup sur un sujet qui a été développé
par ces honorables membres d’une manière si remarquable.
Ce que je vois, messieurs, ce sont nos chantiers déserts, ce sont les
constructions, commencées en 1829 et 1830, abandonnées ; ce sont les
constructeurs qui, à cette époque, vivaient d’une manière honorable, gagnaient
de fortes journées, obligés de se contenter aujourd’hui d’un salaire misérable,
et vivre dans un état voisin de la misère, eux et leurs familles ; ce sont nos
bois qui, au lieu d’être employés à nous construire une marine marchande, sont
emportés chez d’autres nations qui, après les avoir transformés en vaisseaux, viennent
alors au moyen de ces vaisseaux exploiter le pays.
Je vois pour le commerce maritime seul un effrayant découragement au
milieu d’une prospérité générale qui étonne les autres peuples.
Je voterai donc pour le projet ; toutefois je ne me dissimule pas qu’il
est inefficace, insuffisant, et que, si vous n’admettez pas d’autres
dispositions pour accorder à notre marine la protection que toutes les autres
nations accordent à la leur, vous ne ferez jamais rien, et vous serez
constamment exploites par les nations voisines.
Les 10 p. c. qu’on accorde actuellement, est une protection tout à fait
dérisoire ; le seul objet qui reçoive une protection efficace, c’est
l’importation du sel ; aussi ne voyons-nous aucun navire étranger nous apporter
des cargaisons de sel, et ce commerce est fait exclusivement par des navires
nationaux.
Je suis étonné qu’on ose mettre en doute les avantages qui doivent
résulter de la construction de navires nationaux. D’abord, nous employons les
bois de nos forêts ; nos ouvriers sont occupés ; on emploie le chanvre pour les
cordages ; nous employons également tous les produits du pays qui servent à
l’approvisionnement des navires.
Quand un navire étranger arrive, que fait-il ? ce
n’est pas par lui, comme le pense un honorable membre, que sont amenés les
richesses et les capitaux qui affluent en Belgique ; la plupart des navires
étrangers nous apportent de riches cargaisons étrangères et nous enlèvent nos
capitaux ; ils prennent à peine des vivres à bord, et ne font presque aucune
dépense dans le pays.
Si les capitaux affluent en Belgique, nous le
devons, messieurs, au perfectionnement de notre industrie, à l’exploitation de
nos produits ; si les capitaux abondent chez nous, c’est que nous sommes
parvenus à rendre les pays étrangers de plus en plus tributaires de notre
industrie.
Messieurs, nous avons pour nous l’exemple de
Messieurs, je voterai pour le projet de loi. Toutefois, le résultat ne
répondra pas à votre attente. Ce n’est pas, en effet, par quelques milliers de
francs de primes que vous parviendrez à encourager puissamment la construction
des navires nationaux ; il faut, ou établir un tarif de droits différentiels,
comme en France, ou créer un acte de navigation, comme en Angleterre.
M. Smits. - Messieurs, ainsi que
l’honorable préopinant, je voterai pour la loi qui est proposée, en faisant
remarquer à ceux qui la combattent qu’elle doit être considérée plutôt comme
provenant de l’initiative de la chambre que de l’initiative du gouvernement. Et
en effet, vous vous rappellerez que c’est par suite d’un vote de cette
assemblée sur le budget de l’intérieur, qu’une somme de 60,000 fr. réclamée
pour l’organisation du sauvetage a été subsidiairement affectée à des primes
pour les constructions navales, de sorte que le gouvernement n’a eu à s’occuper
que de régler le mode de la distribution de ces primes et à vous proposer les
conditions nécessaires pour en garantir le bon emploi.
Si je fais cette remarque, c’est, messieurs, pour vous faire sentir
qu’il y a décision prise, que le système des primes a été adopté par la
chambre, et qu’on ne saurait convenablement écarter aujourd’hui ce que l’on a
accueilli hier.
Quant à moi, je donnerai mon adhésion au projet ; mais si je suis
persuadé qu’il doit en résulter quelques avantages pour le pays, alors surtout
que les encouragements ne sont que temporaires, et qu’ils ne sont destinés qu’à
donner l’élan à une industrie utile, je ne saurais cependant consentir à
accorder les autres protections réclamées par le rapporteur de la section
centrale. Ces protections cependant seraient plus favorables à Anvers qu’à
Bruges et à Ostende, où les capitaux et l’esprit des armements maritimes au
long cours n’existent pas encore au même degré ; mais comme elles seraient en
opposition avec les intérêts généraux du pays, que nous avons avant tout la
mission de défendre, je vous demanderai la permission de vous exposer
brièvement les motifs de mon opposition.
Personne sans doute ne contestera les avantages d’un commerce direct
entretenu par une navigation nationale ; mais, messieurs, ces avantages ne sont
réels qu’alors que cette navigation puisse nous apporter les matières
nécessaires à nos fabriques et à nos consommateurs au plus bas taux que
possible et que, de même, elle puisse exporter nos produits fabriqués, ceux de
notre agriculture et de nos mines, au fret le plus favorable ; sans cette
condition indispensable, un commerce direct ne saurait exister qu’au détriment
de toutes les autres branches de la richesse publique.
Or, messieurs, qu’arriverait-il si, comme on vous le propose, on
majorait outre mesure les droits différentiels ? Evidemment la perte de la
condition indispensable dont je viens de parler, c’est à dire l’utile
concurrence d’une navigation étrangère capable d’arrêter un monopole onéreux.
Aujourd’hui déjà, le pavillon étranger a quelquefois de la peine à
lutter pour la consommation intérieure par suite de la faveur des 10 p. c.
accordés à la marine nationale, et certes il ne le pourrait plus si on étendait
le cercle de ses privilèges.
On me répondra, je le sais, que la navigation étrangère pourra toujours
concourir pour le transit, et que conséquemment le pays profitera doublement
puisque d’un côté il jouira de cette concurrence, et que de l’autre côté il
favorisera beaucoup de branches industrielles que la construction des navires
nationaux alimente.
Mais, messieurs, la raison et la pratique repoussent également cette
argumentation. Car on ne saurait méconnaître que le transit seul ne peut
attirer la navigation, attendu que le marché du transit qui, pour
Si donc l’élévation des droits différentiels pouvait prévaloir, il est
incontestable que la navigation étrangère s’arrêterait aussitôt, et que, dès
lors, il y aurait un monopole en faveur de la marine nationale, qui deviendrait
bientôt funeste aux intérêts généraux ; car on ne saurait nier que les
armateurs, dégagés de toute concurrence, fixeraient le prix du fret au gré de
leurs intérêts de manière que la consommation et l’industrie devraient payer
plus cher et leurs matières premières et les transporter pour l’exportation des
produits nationaux.
Rendons ce raisonnement saillant par un exemple : Supposons qu’un
industriel aurait pu affréter un navire étranger pour prendre charge à New-York
de 500 tonneaux de cotons bruts, à raison de 100 francs par tonneau, et qu’à
défaut il soit obligé de payer 120 francs un navire national. De ce chef donc
il y aura une différence de 6,000 francs que la matière première doit
évidemment supporter. Ainsi toutes les faveurs que le tarif de la douane aurait
voulu faire à la matière brute pour favoriser l’industrie nationale, ne seront
pas seulement paralysées, mais on se verra forcément conduit à accorder des
primes d’exportation, puisque les produits fabriqués qu’on aura confectionnés
au moyen de la matière première qu’on voudra exporter, ne pourront pas soutenir
la concurrence sur les marchés étrangers, attendu qu’à leur tour ils devront
supporter encore une fois la même différence que celle que nous avons signalée
plus haut, et qui constituera l’industrie nationale en déficit total de 12,000
francs pour 300 tonneaux.
Cependant Anvers avait, à cette époque, le monopole de la mer et du
commerce du monde, et son marché était conséquemment celui de l’Europe entière,
tandis que celui de
Une des grandes erreurs que commettent quelques personnes, c’est de
confondre toutes les positions et de s’appuyer sur des exemples pris en dehors
des considérations spéciales qui doivent présider au système commercial et
maritime de
Chez les Français et les Anglais donc la marine marchande privilégiée
est une question politique ; mais une question de prospérité commerciale, non.
Qu’on interroge le commerçant et l’industriel anglais et français (je ne
parle pas des armateurs), et qu’on leur demande s’ils sont favorisés par les
droits différentiels. Tous, nous en sommes persuadés, répondront négativement ;
tous diront que leur intérêt, celui de la masse, est de recevoir leurs matières
au plus bas fret possible et de pouvoir exporter leurs produits fabriqués au
taux le plus bas, afin de pouvoir mieux soutenir la concurrence sur les marchés
étrangers.
Et veuillez remarquer que malgré ces hauts droits différentiels, la
marine française tend toujours à décroître, et que pour parer à l’état de
malaise où elle se trouve, les armateurs n’ont pas trouvé d’autre expédient que
de réclamer encore des privilèges nouveaux. Voici la réponse que M. Duchâtel,
ministre du commerce, leur a faite ; je vous prie, messieurs, d’y fixer votre
attention, d’autant plus que, pour le fond, elle est conforme aux principes que
je soutiens. (L’orateur donne lecture de
cette lettre.)
Pour pouvoir s’appuyer sur le système français ou anglais, il faut donc
commencer par démontrer que
Si je suis bien informé, les villes anséatiques n’accordent ni 10 p. c., ni rien, et c’est là cependant la nation qui a le plus
de similitude de position avec
Personne ne contestera, nous le pensons du moins, que
Jusqu’ici, messieurs, je n’ai examiné que la question de commerce dans
ses grandes généralités ; examinons maintenant la question politique ou, pour
mieux dire, de politique commerciale : celle relative aux rapports
internationaux.
Et d’abord nous ferons remarquer que, dès que la législation des
Pays-Bas eut accordé au pavillon national une réduction de 10 p. c. sur les
droits d’entrée des marchandises, l’Angleterre se hâta de frapper nos
importations de 20 p. c., surcharge qu’elle
augmenterait indubitablement encore si la Belgique augmentait ses droits
différentiels.
L’Amérique, on peut en être persuadé, suivra le même exemple ; et que
fera alors la navigation nationale privilégiée ? Pourra-t-elle aller en
Amérique chercher les matières premières nécessaires à nos fabriques ?
Pourra-t-elle introduire nos fabricats nationaux ? Evidemment non. Qui les
introduira alors ? Les Américains, mais avec cette différence que leur fret
sera calculé en raison de la défaveur qui les frappe, et alors, il arrivera que
nos produits, trop fortement chargés, ne pourront soutenir la concurrence avec
les produits similaires d’autres nations.
Mais, dit-on, on abolira les droits différentiels en faveur des nations qui nous auront accordé une
réciprocité sous ce rapport. On abolira les droits ! Mais que ferez-vous alors
des armateurs qui auront construit à grands frais des navires sous la
condition, je dirai sous l’espérance de l’existence et de la continuation de
ces privilèges ? N’y aura-t-il pas en leur faveur des droits acquis ? Ne les
invoquera-t-on pas ? Pourrez-vous écarter leurs plaintes, leurs réclamations ?
Soyons, messieurs, ce que nous devons être, ce que nous pouvons être, ce
que, dans les temps les plus prospères, nous avons toujours été : pays de
production, de transit et d’entrepôt ; pays d’échange entre les nations
diverses ; pays de profits acquis sur les autres au moyen du prix de notre
territoire et du libre accès de nos ports de mer ; mais si on veut renoncer à
cette belle position en accordant des faveurs exagérées à une marine nationale
qui exclurait la navigation étrangère, qu’alors on renonce au chemin de fer, à
la loi de transit au projet des entrepôts libres et à toutes ces grandes
combinaisons qui, dans quelques années auront porté
Et ici qu’il me soit permis de placer encore une réflexion.
Lorsque le roi Guillaume prit la résolution de favoriser le pavillon
national par une remise de droits de 10 p. c.,
savez-vous, messieurs, qui se plaignit le plus amèrement ? c’était
Eh bien ! ce désir n’est-il pas significatif pour nous, aujourd’hui que
Sans doute nous n’obtiendrons jamais de cette puissance que nous
importions sur son sol les produits de l’Asie, de l’Amérique et de l’Afrique ;
c’est une faveur que son acte de navigation réserve à son propre pavillon, et
qu’elle n’a jamais accordé à personne ; mais, messieurs, ferions-nous par
exemple, un mauvais marché si, en traitant avec l’Angleterre sous condition de
l’abolition de nos droits différentiels, nous obtenions en compensation une
diminution sensible sur les droits de douane qui grèvent nos principaux
articles de production, et si en outre elle nous donnait le droit 1° d’importer
par pavillon belge en Angleterre les produits de notre sol et de nos fabriques,
sur le même pied que les navires anglais ; 2° de jouir de la même faveur pour
les produits européens chargés dans un port de
Je ne sais, messieurs ; mais en présence des
considérations que je viens d’esquisser, il peut être permis de croire qu’une
pareille convention qui, dans tous les cas, réserverait à la Belgique la faveur
exclusive du commerce de la pêche et du sel, présenterait au moins quelques
avantages en ce qu’elle pourrait nous ouvrir quelques nouveaux débouchés, et
qu’elle favoriserait incontestablement la navigation du cabotage, si
intéressante sous tous les rapports.
Toutefois, je ne prétends rien décider, j’ai seulement voulu poser des
questions, non pas pour les voir résoudre de suite, elles sont trop graves,
mais uniquement pour y appeler l’attention et les lumières du gouvernement et
des chambres.
Avec l’Amérique du nord, avec cette nation si puissante, qui
présenterait à nos industries des débouchés si variés et si étendus, les
traités ne présenteraient pas tant d’obstacles, car cette nation ne demande
qu’à recevoir nos produits avec notre pavillon comme s’ils étaient importants
par le sien propre, pourvu que de notre côté nous ne prélevions pas sur ses
navires un droit de 10 p. c. L’Amérique, il est vrai, s’est réservée l’exclusif
de la pêche, mais, je l’ai déjà fait pressentir, nous pourrions-nous réserver
aussi le commerce de ce dernier article, comme aussi celui du sel qui procure
toujours un emploi utile à nos navires.
Quoi qu’il en soit des traités à faire et qu’il faudrait étendre à
Je voterai pour la loi avec les modifications qui me paraîtront utiles,
mais dans l’état actuel des choses, je ne saurais donner mon assentiment à rien
de ce qui pourrait tendre à majorer les droits différentiels à l’intérieur et à
nous susciter des embarras au dehors.
(Moniteur belge n°344, du 8
décembre 1836) M. de Foere. - Messieurs,
je ne me proposais d’entrer dans la question qui nous occupe que pour exposer à
la chambre, d’une manière claire et nette, la position commerciale du pays,
relativement aux autres nations maritimes. Mon intention n’était pas de
combattre individuellement les discours qui ont été prononcés contre les
principes déposés dans le rapport de votre commission. Mais puisque les
honorables MM. Pirmez et Desmet ont bien voulu s’adresser particulièrement au
rapporteur de la commission, j’aurai l’honneur de faire une réponse extrêmement
courte à chacune de leurs objections principales. J’aborderai ensuite le fond
même de la question.
M. Pirmez a une manière de discuter à lui ; c’est celle, en premier
lieu, de changer la position des questions ; en second lieu, de créer à son
esprit des objections que personne n’a soulevées ; en troisième lieu de passer
à côté de celles qui ont été réellement faites contre son système.
Cet honorable membre vous dit : « Les nations les plus commerçantes ne
sont pas parvenues à leur grand commerce parce qu’elles avaient beaucoup de
navires ; mais elles avaient beaucoup de navires, parce qu’elles avaient un
grand commerce. »
Je ferai d’abord observer que personne n’a fait cette objection. Je
dirai ensuite que l’un et l’autre intérêts, celui du
commerce et de la marine, ont marché constamment ensemble, par la simple raison
qu’ils sont inséparables l’un de l’autre. Si M. Pirmez veut contredire ce fait
historique, il doit aussi se créer une histoire à son usage.
En partant de là, l’honorable membre trouve qu’il est absurde de dire :
« Nous aurons beaucoup de transports intérieurs lorsque nous aurons
beaucoup de chariots, car il suffirait alors, ajoute mon honorable
contradicteur, de construire beaucoup de chariots, pour avoir de nombreux
transports intérieurs.
Ce raisonnement, messieurs, est basé sur le même vice que j’ai déjà
signalé. Votre commission n’a pas dit : Créez beaucoup de navires, et vous
aurez beaucoup d’exportations ; mais elle a dit, et cela est bien
différent : Si vous voulez des exportations, créez des moyens de
transport.
Certes, il est impossible que vous exportiez à l’extérieur, sans que
vous ayez des navires, ou des moyens de transport,
Le même membre ne cesse de répéter dans toutes les discussions sur nos
intérêts matériels que l’objection de l’exportation du numéraire à l’étranger
est constamment faite dans cette chambre. Je lui dirai d’abord que c’est une
pure invention. Du moins, je n’ai pas entendu élever cette objection. Mais ce
qui a été dit, et ce que M. Pirmez passe constamment sous silence, se réduit à
ceci : En employant la navigation étrangère et non la vôtre, vous
n’employez ni vos capitaux, ni vos ouvriers, ni vos matières premières ; vous
abandonnez ces avantages aux étrangers.
Voilà, je le répète, ce que nous disons et ce que nous voulons ; mais M.
Pirmez n’en tient aucun compte. Il aime mieux se créer des objections
auxquelles personne n’a songé. Nous comprenons, aussi bien que l’honorable
membre, qu’un ballot de café a pour nous la même valeur que la somme en
espèces, qui est l’équivalent du prix de ce ballot ; et si nous recevons des
marchandises, il doit nous être indiffèrent de recevoir l’argent, ou les marchandises
qui ont la même valeur, et lorsqu’il s’agit de marchandises que nous ne pouvons
pas produire. Mais lorsque nous pouvons les produire, nous demandons que la
production soit opérée, au moyen de nos capitaux, de nos ouvriers et de nos
matières premières, sans vouloir, au reste, forcer, en aucune manière, la
production lorsqu’elle n’appartient pas à notre climat, ou lorsqu’elle serait
très dispendieuse. Ce sont ces denrées coloniales, ces marchandises étrangères
qui sont pour nous les moyens commerciaux ; c’est là la balance commerciale qui
consiste dans ces échanges, et non pas la balance numéraire, que nous avons
souvent repoussée nous-même.
Selon M. Pirmez, je serais tombé en contradiction, parce que j’ai voulu
la prohibition des lins, et que maintenant je voudrais créer de grands moyens
d’exportation pour la sortie de nos produits.
Je ferai observer en premier lieu que M. Pirmez fausse encore la
position de la question ; jamais je n’ai voulu de prohibition pour les lins. En
second lieu, je dirai qu’il n’existerait pas même de contradiction de ma part,
alors que je voudrais voir créer pour le pays de nombreux moyens d’exportation
; et que d’un autre côté je désirerais, dans des années de détresse, voir
employer nos matières premières par les bras de nos propres ouvriers, afin de
donner à nos lins une plus grande valeur, et du travail à nos ouvriers.
Telle est, messieurs, la courte réponse que j’avais à faire à M. Pirmez.
M. Smits, de son côté, a vu dans le rapport de la commission que la
plupart de nos observations étaient basées sur les avantages du commerce direct
que le pays pourrait s’assurer. M. Smits admet la justesse de ces observations,
mais pour combattre le but auquel nous voulons arriver. « Le commerce
direct, dit cet honorable membre, nous serait nuisible, s’il ne pouvait nous
importer des matières premières à des prix inférieurs à ceux de toute autre
navigation. »
C’est là raisonner sur une simple supposition. Mais alors même qu’il
serait vrai que, dans quelques cas, la navigation étrangère pût nous importer
des matières premières à des prix inférieurs, il n’en résulterait aucun
désavantage. Cette navigation lutterait en prix avec la nôtre, et nos
industriels achèteraient au commerce et à la marine étrangers des matières
premières à un prix inférieur. Nous n’écartons pas la concurrence. Tout ce que
nous voulons, c’est que
Vous voyez donc, messieurs, que le raisonnement de M. Smits n’attaque en
aucune manière le système de protection que nous sollicitons pour notre
navigation nationale.
« Le commerce étranger, dit encore M. Smits, doit aussi pouvoir se
replier sur la consommation intérieure ; le transit ne lui suffit pas. »
C’est là, messieurs, raisonner contradictoirement. M. Smits a déjà admis
les avantage du commerce direct pour le pays et pour son propre besoin de
consommation ; et si, d’un autre côté, l’honorable membre croit que le commerce
étranger doit pouvoir, aux mêmes conditions que le nôtre, se replier sur la
consommation intérieure, il restreint considérablement les avantages qu’il a
admis d’abord, à savoir ceux du commerce direct que nous pourrions faire par
nous-mêmes. Or, nous ne pourrons faire ce commerce sans former une marine
marchande, et nous ne pourrons la former sans protection suffisante.
« La consommation intérieure, dit M. Smits, deviendrait plus chère
en raison des frets qui seraient plus élevés, et de la majoration des droits
différentiels que les consommateurs du pays auraient à payer. »
M. Smits aurait bien fait de lire la réponse que déjà nous avons faite à
ce sujet. Nous avons déjà dit que si, dans l’état actuel de notre marine, et
dès le commencement, il fallait imposer des droits élevés sur tous les articles
d’importation et de consommation intérieure, les frets deviendraient
considérables, et la marchandise augmenterait de prix, et certes, les
consommateurs paieraient la différence de ces frets et de ces prix. Mais nous
obvions à cet inconvénient en ne majorant d’abord les droits que sur quelques
articles, et en n’introduisant qu’un droit léger et progressif qui s’élèvera au
fur et à mesure que notre marine marchande prendra de l’extension.
C’est, dit-on, dans l’intérêt de leur marine militaire que
Quant à la lettre de M. Duchatel dont
l’honorable M. Smits vous a donné lecture, je ferai observer que le ministre
français convient dans cette lettre même qu’il faut faire justice à tous les
intérêts et par conséquent à la marine marchande. Il convient qu’il faut une
protection maritime suffisante ; que seulement cette protection ne doit pas être
outrée.
Tel est l’esprit et l’analyse de cette lettre.
L’Angleterre elle-même a éprouvé l’impossibilité de lutter dans les
ports de
Ensuite, il est inexact de dire que
Voici ce que disait M. Huskinson en 1827 et en
plein parlement :
« J’espère que jamais je ne prendrai aucune part dans le conseil du
gouvernement anglais, lorsqu’il érigera en principe qu’il y a une règle
d’indépendance et de souveraineté pour les puissants, et une autre pour les
faibles ; lorsque, abusant de sa supériorité navale, l’Angleterre s’arrogera
pour elle-même, soit en temps de guerre, soit en temps de paix, des droits
maritimes qu’elle refuserait de reconnaître aux autres Etats, ou lorsque, dans
des circonstances quelconques, soit que l’Angleterre soit neutre ou
belligérante, elle imposera à d’autres Etats des obligations dont elle
prétendrait être exempte dans les mêmes circonstances. Agir comme s’il existait
un principe de loi international pour nous-mêmes, et un principe différent pour
d’autres Etats, serait non seulement une monstrueuse injustice, mais ce serait,
à mon avis, le seul moyen qui pût jeter notre puissance navale dans le plus
grand embarras. Une semblable prétention provoquerait une coalition du monde
tout entier pour l’abattre, et il n’y a qu’une semblable coalition, agissant
par une cause aussi juste, qui puisse inspirer quelque crainte à
l’Angleterre. »
Ces paroles font honneur au gouvernement anglais ; aussi elles furent
applaudies par le parlement.
L’Angleterre reconnaît à tous les Etats le droit de faire pour eux-mêmes
ce qu’elle a cru et ce qu’elle croit encore devoir faire dans l’intérêt de son
commerce, de son industrie et de sa navigation.
Messieurs, après avoir répondu aux deux orateurs que vous avez entendus,
l’un contre les primes de construction et contre la majoration des droits
différentiels que nous avons proposés, l’autre contre ce dernier intérêt,
j’entrerai dans le fond de la question, et je répondrai d’une manière générale
à toutes les autres objections qui ont été faites dans la discussion d’hier et
d’aujourd’hui.
Depuis que le pays jouit de l’inappréciable bonheur de gérer ses propres
affaires, c’est la première fois que la question des droits différentiels
maritimes, si importante en elle-même et si fertile dans ses conséquences, est
régulièrement discutée dans cette chambre. Les intérêts extérieurs du pays
ayant été pendant longtemps traités par des gouvernements étrangers, il n’est
pas surprenant que dans la discussion d’hier et d’aujourd’hui il se soit
présenté tant d’anomalies et tant de confusion. Je m’attacherai donc
particulièrement à définir nettement la position maritime de
Il existe aujourd’hui quatre espèces de systèmes commerciaux maritimes.
Le premier admet des privilèges ou une protection limitée en faveur du pavillon
national, et reçoit les navires étrangers sur le pied des nations les plus
favorisées. Le deuxième se réserve des monopoles, et, en dehors de cette
exclusion, elle admet aussi le pavillon étranger à des charges égales. Le
troisième traite avec l’étranger sur un pied de réciprocité générale ou
partielle, sans exception aucune de pavillon et de cargaison, et déclare
nationaux les navires étrangers. Le quatrième verse dans les exceptions prises
dans les trois systèmes précédents, ou dans l’absence de traités de réciprocité
ou dans des traités spéciaux et exclusifs contractés entre deux ou plusieurs
nations.
J’appelle l’attention de la chambre sur deux points principaux qui
dominent les traités de réciprocité tout entiers, et qui, s’ils ne sont pas
pris en considération, rendent ces traites complètement illusoires et
excessivement nuisibles pour une des parties contractantes. La première, c’est
l’importance maritime d’une nation relativement à une autre.
S’il était des membres dans cette chambre qui fussent disposés à
contredire ce premier point concernant les traités de réciprocité, et sur
lequel j’appelle l’attention particulière de la représentation nationale, je
les prierais de consulter à cet égard l’opinion du ministère actuel
d’Angleterre, qui persiste dans les principes établis par M. Huskinson. Ce ministre, dans les deux célèbres discours
prononcés sur les droits différentiels au parlement en 1826 et
L’autre point, messieurs, mérite encore plus votre attention. Quelques
nations se montrent très empressées à entrer avec nous dans des traités de
réciprocité ; mais, en dehors ou à côté de ces traités, elles ont, en premier
lieu, un tarif de douanes qui rend ces traités presque entièrement illusoires
pour l’une des parties contractantes. L’importation en pays étranger lui
devient presque impossible.
En second lieu, à l’aide de ces traités mêmes, ces nations viennent
nuire considérablement à votre propre industrie et à votre propre commerce,
sans que, sous le rapport de leur tarif de douanes, elles vous offrent aucune
réciprocité, et alors même qu’elles maintiennent envers vous, sous le même
rapport, leur système prohibitif, ou des droits équivalents à une prohibition.
Un exemple, pris entre cent autres, vous le prouvera à l’évidence.
L’Angleterre ne veut recevoir chez elle aucun produit de faïence belge ;
elle a déjà écrasé, au moyen de ses importations, plusieurs fabriques de
faïence du pays. Si vous entriez avec elle dans un traité de réciprocité en
supprimant vos 10 p. c. de droits différentiels, et en diminuant les droits de
douane, comme le ministère vous l’a inconsidérément proposé, il ne resterait
plus, dans peu d’années, aucune fabrique de faïence sur pied en Belgique. Les
capitaux, les ouvriers, les matières premières, les bâtiments employés par
cette fabrication, se trouveraient annulés pour en doter l’Angleterre. Il est
vrai qu’Anvers recevrait dans son port plus de navires étrangers chargés
de faïence, et c’est pour cette unique
raison qu’en dépit du bien-être de toute la Belgique, une fraction de cette
ville pousse à la liberté commerciale pleine et entière.
Je pourrais, comme je vous l’ai dit, produire cent autres exemples de
cette nature.
Si vous prenez, messieurs, en sérieuse considération ces deux points
qui, sous le rapport des moyens de réciprocité parfaite établissent une
différence si énorme et qui dominent d’une manière générale les traités de
réciprocité, vous laisserez dormir tranquillement les doctrines romantiques sur
la liberté commerciale et sur la réciprocité maritime à contracter avec
certaines nations, sans troubler, en aucune manière, leur profond sommeil et
leurs belles rêveries.
Si votre conviction à cet égard n’était pas encore assez avancée, elle
sera, je l’espère du moins, fondée irrévocablement par les conditions
comparatives de réciprocité maritime que l’Angleterre nous propose.
Tout en nous offrant une réciprocité « parfaite, » elle
commence par se réserver quatre espèces de monopole ou d’exclusion absolue.
L’Angleterre se réserve : 1° le monopole de la pêche ; 2° celui de son
immense cabotage ; 3° la navigation chargée des provenances de l’Asie, de
l’Afrique et de l’Amérique, qu’elle admet seulement en transit et non à la
consommation intérieure, et 4° le commerce maritime avec ses immenses et
nombreuses colonies.
Voici maintenant ce qu’il reste à
Or, chacun de ces avantages est à peu près illusoire pour le pavillon
belge, tandis que tons les avantages restent du côté de l’Angleterre. Nous
pourrons d’abord importer dans ses ports des produits européens chargés dans un
port belge. En premier lieu, le tarif de douanes anglais nous empêche
d’importer en Angleterre la plupart de nos propres produits, tandis que
l’Angleterre, eu égard à notre tarif, peut importer chez nous presque tous les
produits étrangers. En second lieu, il nous manque 2,000 navires pour importer
chez nous les besoins de sa notre propre consommation. Comment, dans l’état
actuel de notre marine, nous charger d’importer, par navires, les produits
européens en Angleterre, alors que son tarif de douanes ne nous en empêcherait
pas pour tous les produits manufacturés, et alors que l’immense marine
marchande de l’Angleterre fréquente tous les ports européens, se met en
possession d’exporter de chez elle toutes les marchandises et d’importer
presque toutes les denrées qu’elle consomme et trouve ainsi toujours de l’emploi
pour ses navires, sans être obligée, du moins rarement, de prendre du lest ? En
troisième lieu, les nations qui nous environnent ont leurs ports de mer ; elles
ne soumettront pas leurs marchandises à de doubles ou triples frais de
transport pour les envoyer d’abord dans les ports de Belgique et de là en
Angleterre. En tout cas, le peu de transport qui resterait de ce premier chef à
la navigation belge, ne vaut pas la peine d’être pris en considération. En
dernier lieu, l’Angleterre ne reçoit d’autres produits belges que ceux dont
elle éprouve un besoin indispensable. Ce sont principalement nos lins. Elle les
recevra à tout prix, avec ou sans traité de réciprocité, comme elle les reçoit
maintenant, tandis que nous admettons des marchandises anglaises de toutes
espèces, même celles qui tuent quelques-unes de nos industries ; et elle
parvient à nous les faire prendre au moyen de notre faible tarif de douanes, et
au moyen de notre droit différentiel de 10 p. c. plus illusoire encore.
Le second avantage réciproque que
Par le troisième avantage, l’Angleterre nous accorde d’importer chez
elle, par nos navires, toutes productions sans distinction, mais seulement en
transit ; tandis qu’elle se réserve à elle seule, comme je vous l’ai déjà dit,
l’importation à la consommation de toutes les productions de l’Asie, de
l’Afrique et de l’Amérique, et de ses propres colonies. L’Angleterre pourrait
donc importer chez nous toutes les denrées coloniales, telles que cafés,
sucres, thés et autres, tandis que nous ne pourrons pas les importer chez elle,
sinon en transit. L’Angleterre, d’ailleurs, ne fait point ici de concession.
D’après ses propres aveux, elle n’admet ces productions en transit par navires
étrangers que dans les intérêts de son commerce, de sa navigation et de son
industrie, et pour faire de l’Angleterre le centre du commerce du monde entier.
Il faut donc élever aussi nos droits différentiels envers
Les Etats-Unis de l’Amérique du Nord admettent deux classes de navires,
appelés les uns « étrangers, » les autres « nationaux. »
Ils considèrent comme étrangers les navires des pays avec lesquels ils n’ont pas
contracté de traité de réciprocité navale. Les autres sont assimilés aux
navires nationaux. Les navires étrangers paient : 1° un droit d’ancrage d’un
dollar par tonneau ; 2° le droit intégral de pilotage, et 3° un droit
additionnel de 10 p. c. sur les droits d’entrée de la cargaison. Les nationaux
et ceux qui leur sont assimilés par des traités de réciprocité, ne paient qu’un
tiers du droit de pilotage.
Les droits différentiels des autres nations maritimes sont aussi
beaucoup plus élevés que les nôtres.
Il serait peut-être plus facile de faire des traités de réciprocité avec
les Etats-Unis et avec la Prusse ; mais si notre système commercial n’est pas
le même envers toutes les nations et que nous admettions des exceptions
favorables, nous tombons dans un grave inconvénient. Alors, les autres nations
maritimes exigeront impérieusement d’être traitées sur le pied des nations les
plus favorisées. M. Huskinson a encore fort bien dit
qu’il est impossible de faire baisser les droits à l’égard des uns et non à
l’égard des autres. Aussi notre marine ne pourrait se former. Elle serait
écrasée dès son début par l’immense supériorité de la marine américaine.
Je ne vois, messieurs, d’autre moyen de sortir de nos embarras et de
protéger efficacement notre marine marchande que par la majoration de nos
droits différentiels, en les portant ainsi au niveau des droits des autres
nations maritimes. Ce ne sont pas là des représailles proprement dites ; nous
ne nous mettrons, par ce moyen que sur un pied de parfaire réciprocité navale.
J’ai dit.
- La séance est levée à quatre heures et demie.