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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du jeudi 25 février 1836
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative aux droits d’entrée sur les
bois étrangers (Quirini)
2) Projet
de loi portant organisation des communes. Discussion des articles. Attributions
du collège des bourgmestres et échevins, notamment surveillance des
établissements de bienfaisance (de Terbecq, Lebeau, Fallon, Dubus,
de Terbecq, Dumortier, Dubus, Fallon, Dumortier,
Dubus, de Theux), obligation
d’établir un bureau de bienfaisance, des comités de charité et/ou des caisses
d’épargne pour ouvriers (Liedts, de
Theux, Dumortier, Liedts, Dumortier, Gendebien, Lebeau, Gendebien, d’Huart, Gendebien, Liedts), tenue de l’état-civil (Dubus,
de Theux, d’Huart, de Muelenaere, Dubus, Jullien, Legrelle, Bosquet, Legrelle, Pollénus, Gendebien, Dubus), maintien de l’ordre en cas d’émeutes, d’atteinte à
la paix publique et d’événements imprévus (Dubus),
recours à la force armée et à la garde civique (Verdussen,
Dumortier, Gendebien, de Theux, Pollénus, Legrelle, Fallon, Dumortier, Gendebien), mesures
contre les insensés (Lebeau, Dumortier,
de Theux), police des spectacles (notamment mesure
préventive, bonnes mœurs, respect de la religion) (de Theux,
Vandenbossche, Nothomb, Seron)
(Moniteur
belge n°57, du 26 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Schaetzen fait
l’appel nominal à une heure.
Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Des propriétaires de bois sapin et marchands
de bois indigènes de l’arrondissement de Louvain demandent la prohibition des
bois de construction étrangers. »
________________
« Le sieur Dubosch,
directeur des grandes wateringues du Capitalen-Dam,
adresse un mémoire relatif au canal de Zelzaete, et sur les moyens d’en rendre
l’exécution utile à
________________
« Plusieurs curés et vicaires de Namur
demandent que leur traitement soit à charge de l’Etat. »
________________
M. Quirini. - Je
demanderai que la pétition relative aux bois de construction étrangers soit
renvoyée à la commission d’industrie. »
- Cette proposition est adoptée.
________________
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission
chargée d’en faire le rapport.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion des articles
Titre II. - Des
attributions communales (projet de loi relatif aux attributions des
administrations communales)
Chapitre II. - Des
attributions du collège des bourgmestre et échevins
Article 17
M. le président. -
Nous en sommes à l’art. 17, ainsi conçu :
« Art. 17. Le collège des bourgmestre et
échevins a la surveillance des hospices, bureaux de bienfaisance et
monts-de-piété.
« A cet effet il visite lesdits établissements
chaque fois qu’il le juge convenable, veille à ce qu’ils ne s’écartent pas de
la volonté des donateurs et testateurs, et fait rapport au conseil des
améliorations à y introduire et des abus qu’il y a découverts. »
M. le président. -
Voici l’amendement de M. de Terbecq :
« Le bourgmestre est de droit président des
administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance ; il y a voix
prépondérante. »
- L’honorable membre expose ainsi les motifs de sa
proposition.
M. de Terbecq. - Messieurs, l’art. 17
donne au collège des bourgmestre et échevins la surveillance des hospices et
bureaux de bienfaisance.
Je pense, messieurs, que ce serait ici la place d’ajouter
que le bourgmestre est de droit président de ces établissements.
Et en effet ne doit-on pas reconnaître l’avantage
qui doit en résulter pour ces établissements, lorsque le bourgmestre, en
donnant une partie de son temps à leurs intérêts, peut en connaître mieux les
ressources, veiller plus facilement à leur bonne administration, et apprécier
avec plus de connaissance les sommes qu’il convient d’affecter annuellement
pour cette destination sur le budget municipal ? car
n’arrive-t il pas dans un grand nombre de localités que les revenus de ces
établissements et principalement des bureaux de bienfaisance sont insuffisants,
et le bourgmestre n’est-il pas l’homme le plus à même de concilier les besoins
de ces mêmes établissements avec les ressources de la commune ?
Il me paraît,
messieurs, que dans nombre d’occasions il doit en résulter des avantages très
grands, surtout dans les petites communes.
Ce n’est pas, au reste, une innovation que je viens
vous proposer, c’est la proclamation d’une disposition préexistante. Vous
savez, messieurs, qu’aux termes de l’art. 2 du décret du 7 floréal an XIII, les
maires sont chefs et présidents nés des administrations des hospices et des
bureaux de bienfaisance ; si vous ne proclamiez pas cette disposition dans la
loi en discussion, on pourrait peut-être argumenter de ce silence pour en
induire l’abrogation de celle du 7 floréal an XIII.
J’ai en conséquence l’honneur de vous proposer
d’ajouter au deuxième paragraphe de l’art. 17 l’amendement suivant :
« Le bourgmestre est de droit président des
administrations des hospices et bureaux de bienfaisance ; il y a voix
délibérative. »
Messieurs, dans la section centrale, en discutant
cet article ainsi que le 70ème de la première partie, j’ai insisté sur la
nécessité de consacrer ce principe dans la loi communale ; et de la manière que
l’art. 70 précité a été adopté en séance du 18 de ce mois, par suite des
soutènements heureux des honorables membres, MM. Legrelle et Smits, je forme
l’espoir que mon amendement sera bien accueilli.
M. Lebeau. - Je
crois qu’on pourrait ajourner cette proposition jusqu’à ce que nous en soyons
aux attributions du bourgmestre.
M.
Fallon. - Je ne prends pas la parole pour combattre l’amendement de M.
de Terbecq, mais pour faire observer à la chambre qu’il faudrait mettre cet
amendement en harmonie avec le système même qui a été proposé par le ministre
de l’intérieur. Il s’agit ici d’une administration collective, dans laquelle
chaque membre a des attributions ; je demanderai que la présidence soit
attribuée à tous les membres du collège ; ce qui est déjà en exécution dans
plusieurs localités.
A Namur, nous avons un hospice pour les orphelins,
un hospice pour les vieillards, et un mont-de-piété ; eh bien, le collège du
bourgmestre et des échevins a arrangé les choses de manière que la présidence
de ces établissements y soit exercée par chacun de ses membres ; le bourgmestre
et les échevins partagent ainsi la besogne.
Je proposerai la rédaction suivante :
« Le collège du bourgmestre et des échevins a
de droit la présidence des hospices, bureaux de bienfaisance et monts-de-piété.
« Cette présidence est exercée par un de ses
membres délégués à cet effet, et qui y a voix prépondérante.
« Le collège a en outre la surveillance de des
établissements… »
Le reste comme au projet de loi.
- L’amendement est appuyé par plus de cinq membres.
M. Dubus. -
Messieurs, je viens m’opposer à l’un et à l’autre des amendements. Je ferai
remarquer à la chambre que la question est en quelque sorte jugée par le vote
de l’art. 10 du projet de loi. Par le paragraphe 2 de cet article, vous avez
décidé que le conseil communal nomme les membres des administrations des
hospices et des bureaux de bienfaisance, et maintenant on vous propose de
décider qu’un membre de ces administrations ne sera pas nommé par le conseil ;
ce serait de cette manière modifier l’art. 10 que vous avez voté.
On nous a allégué que l’on ne faisait que demander
la continuation de ce qui existe ; je crois que ce qui existe n’est pas
conforme à ce que l’on réclame. Dans l’état actuel de la législation, il est
manifeste que la présidence des bureaux de bienfaisance n’appartient pas au
bourgmestre ni aux échevins ; tout au contraire, le droit de surveillance de
ces administrations et le droit de visite sont attribués au conseil des
bourgmestre et échevins, ce qui n’aurait pas lieu s’il en avait la présidence.
Il y a effectivement une disposition du
gouvernement impérial qui a donné cette attribution aux maires, mais ce n’est
pas conformément à la loi ; c’est en violation de la loi, car la loi du 16
vendémiaire an V contient une disposition tout à fait exclusive de cette
prérogative de la présidence ; cette loi dit que les administrations municipales
auront la surveillance des hospices civils établis dans les communes, qu’elles
nommeront une commission de cinq citoyens qui éliront président.
Ainsi, vous voyez que c’était d’après la loi même
que la municipalité nommait une commission de cinq membres qui choisissait son
président dans son sein ; et, quand la loi ne l’aurait pas dit, de ce que la
commission était nommée par l’administration communale, il résulte que le maire
ne pouvait en être président.
La loi du 6 messidor an VII est encore conçue dans
le même sens.
Ainsi, d’après l’une comme d’après l’autre loi, les
cinq membres des commissions des hospices étaient nommés par les municipalités
; et il n’y avait pas de président né, de président de droit de ces
commissions.
L’auteur de la proposition a cité un arrêté du
gouvernement français qui aurait modifié cette disposition ; je n’ai pas trouvé
cet arrête, mais j’ai pu me convaincre que l’on invoquait une loi antérieure à
la réorganisation des hospices, une loi de 1790, loi abrogée par les lois de
l’an X et de l’an VII, surtout par la loi de l’an VII, qui porte que les
commissions nomment elles-mêmes leurs présidents.
Quoi qu’il en soit, toutes ces lois sont tombées
devant les règlements des villes.
En effet, que porte l’art 68 du règlement des
villes ? Il porte que « le conseil communal nomme les membres des
administrations publiques des établissements de charité et de l’administration
des pauvres de la ville, pour autant qu’il n’a pas décidé autrement par les
actes de fondation. Cette nomination aura lieu sur une liste double faite par
les bourgmestre et échevins… »
Le règlement des villes établit de la manière la
plus générale que la nomination des membres de ces administrations vient du
conseil ; donc la qualité de bourgmestre ne donne pas celle de membre de ces
administrations.
Mais il y a une autre disposition du règlement des
villes, qui me paraît prouver encore que dans le système de ces règlements le
bourgmestre n’avait plus la présidence. C’est l’art. 93, dans lequel on trouve
que les bourgmestre et échevins ont, en conformité des lois et des règlements,
la surveillance des administrations publiques des pauvres, de charité,
d’orphelins et de toute autre administration publique, ainsi que ce que
reçoivent les caisses municipales, ou celle de l’Etat, pour ces établissements.
Ils font visiter ces établissements par des
commissaires tous les trimestres ; ces commissaires font des rapports et
proposent des améliorations…
Ainsi vous voyez que, dans cet article 93, on
organise la surveillance qu’exercent les bourgmestre et échevins dans ces
administrations ; mais si le bourgmestre et les échevins étaient de droit
présidents de ces administrations, à quoi bon nommer des commissaires, à moins
que l’on ne dise que c’est pour surveiller le bourgmestre et les échevins
eux-mêmes ? Toutes ces dispositions ne pourraient pas aller ensemble, et
je crois aussi que l’on n’a pas interprété les règlements des villes dans ce
sens-là : ce sont les bureaux de bienfaisance et les bureaux des hospices qui
nomment eux-mêmes leur président.
On propose de maintenir la surveillance et le
contrôle par le bourgmestre et par les échevins. Alors l’amendement est inutile
; il ne présenterait aucun avantage ; le seul but raisonnable que l’on peut
avoir, c’est que ces administrations importantes aux communes soient
surveillées. Eh bien, vous organisez précisément le mode de surveillance ; s’il
y a abus, vous pourvoyez aux moyens de réprimer les abus, et cela par l’article
même que l’on veut amender.
Je vous prie de remarquer que les administrations
des hospices et des bureaux de bienfaisance dans les villes, et notamment dans
les villes un peu considérables, exigent des hommes qui se dévouent tout
entiers à ces administrations, qui s’acquittent de leurs fonctions avec esprit
de suite ; le présidents nés ou les présidents de droit, étant eux-mêmes
chargés d’autres fonctions administratives, ne viendraient que de loin en loin,
et la plupart du temps laisseraient leurs collègues privés de leur coopération.
Il y a des bourgmestres à qui ces fonctions ne conviennent aucunement ; ce sont
des fonctions spéciales qui exigent des hommes spéciaux.
Je voudrais savoir comment l’auteur de l’amendement
entend sa disposition ; quel serait, dans sa manière de voir, l’effet de cette
disposition, et quelle modification elle apporterait dans la législation
existante.
Dans la législation
existante, il y cinq membres ; le bourgmestre ferait le sixième, alors il y
aura nombre pair de membres ; comment se videra le partage ? Mais si le
bourgmestre ne fait pas le sixième membre, comme le plus souvent il ne pourra
pas assister aux séances de l’administration, il n’y aura que quatre membres,
et la loi en veut cinq.
Et remarquez, messieurs, que ce travail est tel
dans ces administrations, et notamment dans les villes où il y a plusieurs
hospices, que ces cinq membres sont obligés de se partager la surveillance ;
chaque membre est délégué spécialement pour chaque hospice et est obligé de
s’occuper tous les jours, et c’est ce que le bourgmestre ne pourrait faire.
Mais, soit qu’il y ait 5 ou
6 membres, je vous ferai remarquer qu’il y a toujours un grave inconvénient à
adjoindre une espèce de président de droit qui assiste aux délibérations quand
il le juge à propos, et qui le plus souvent s’en abstient. L’introduction ou
l’intrusion du bourgmestre dans ces administrations amènerait dans beaucoup de
cas l’exclusion d’un homme qui était tout à fait propre à ces fonctions. Je
connais une ville où le président de l’administration des hospices devra céder
le fauteuil au bourgmestre ; il faudra même qu’il sorte de l’administration,
pour céder la place au bourgmestre, parce qu’il est son proche parent.
Je suis donc convaincu, messieurs, que l’amendement
proposé ne présente aucun avantage, qu’au contraire il présente des inconvénients,
et qu’il est en contradiction avec la loi. J’en demande le rejet.
M. de Terbecq. - Je ferai observer que
le décret du 7 vendémiaire an VIl n’a pas été abrogé.
Je persiste dans mon amendement, et je crois que
c’est ici sa place. On objecte qu’il rendra pair le nombre des membres des
administrations des hospices, mais en cas de partage le président a voix
prépondérante ; c’est ainsi que cela s’est pratiqué. (Aux voix ! aux voix !)
M. Dumortier, rapporteur.
- Je demande la parole. (La clôture ! la
clôture !)
Je demande la parole contre la clôture.
Je ne crois pas qu’il soit possible de clore la
discussion sur l’article, sans avoir entendu des orateurs pour ou contre ; on
n’a pas rencontré toutes les objections qu’on veut faire. L’amendement n’est
pas en harmonie avec la loi ; il faut examiner la loi ; il faut examiner la
question. Je demande que l’on continue la discussion.
M.
Dubus. - J’aurais d’autres observations à ajouter à celles que j’ai
déjà produites ; je crois que l’honorable auteur de l’amendement est dans
l’erreur s’il croit que le décret de vendémiaire an XIII subsiste encore, et
qu’il est encore mis à exécution.
Je ferai observer qu’à l’époque de l’an XIII, il y
avait une autre manière de nommer les membres des administrations des hospices
que celle que l’on suit aujourd’hui ; les membres des hospices étaient alors
nommés par les préfets, tandis que maintenant ils sont nommés par le conseil
communal.
M. de Terbecq. - Je tiens le Bulletin des lois à la main, et je vois
que la disposition que j’ai citée doit être exécutée.
- La chambre consultée ferme la discussion.
M.
Fallon retire son amendement.
- L’amendement de M. de Terbecq est mis aux voix et
adopté.
L’article 17 est adopté dans son ensemble, avec cet
amendement.
M.
Dumortier, rapporteur. - Je demande si, par suite de l’amendement qui
vient d’être adopté, le bourgmestre nommé par le Roi et qui présidera le bureau
de bienfaisance, pourra y siéger avec ses parents ?
M. le président. -
Cette question pourra être traitée au second vote.
M. Dubus. - Ce qu’on
peut faire au second vote, on peut le faire au premier. Je demande que l’on
complète la loi, que l’on dise de combien de membres se composera
l’administration des hospices, si ce sera de 5 ou de 6 membres. Je ne suis pas
de la majorité qui a adopté l’amendement. Je voudrai savoir comment cette
majorité a entendu l’amendement.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - On a demande s’il y aurait
incompatibilité entre les fonctions de bourgmestre et celles de membre de
l’administration des hospices. Cette question se présentera à l’article des
incompatibilités. Quant aux inconvénients que l’amendement adopté pourrait
présenter, c’est au second vote qu’on pourra s’en occuper. On pourra également
présenter alors les amendements qui seraient la conséquence de l’amendement
adopté. Il est donc inutile d’insister davantage.
Article 18
M. le président. -
La chambre passe à la discussion de l’art. 18 ainsi conçu :
« Art. 18. Les bourgmestre et échevins
veillent à ce que dans chaque commune il soit établi un bureau de
bienfaisance. »
« Dans toutes les communes dont la population
agglomérée excède 2,000 habitants, ils veillent à ce qu’il soit établi, par les
soins des bureaux de bienfaisance, des comités de charité pour distribuer à
domicile les secours aux indigents.
« Dans les villes manufacturières, les
bourgmestre et échevins veillent à ce qu’il soit établi une caisse d’épargne.
Chaque année, dans la séance prescrite à l’art. 67, le collège des bourgmestre
et échevins rend compte de la situation de cette caisse. »
M.
Liedts. - C’est sur le dernier paragraphe de l’article que je demande
la parole.
Je vois que l’on borne l’établissement des caisses
d’épargne aux villes manufacturières. Tout le monde est convaincu que cette
institution est un grand bienfait et qu’elle est de nature à propager les idées
d’ordre, d’économie et de prévoyance. Je demande donc pourquoi on voudrait la
restreindre aux villes manufacturières, et pourquoi on ne l’étendrait pas à
tous les chefs-lieux d’arrondissement.
Il y a plus de motifs encore pour établir des
caisses d’épargne dans les chefs-lieux des districts agricoles que dans les
villes manufacturières ; car, dans les villes, la classe ouvrière trouve un
travail permanent pendant toute l’année. Dans les districts agricoles, au
contraire, l’ouvrier n’a du travail que pendant quelques mois de l’année ; il
lui faut donc se priver de quelque chose afin de se créer des moyens
d’existence pour la saison rigoureuse. Je crois donc qu’il serait très
avantageux qu’il fût établi une caisse d’épargne dans chaque chef-lieu
d’arrondissement.
Je ne pense pas que l’on
puisse être retenu par les frais d’établissement ; car aujourd’hui qu’il y a
plusieurs banques, je suis persuadé qu’en s’adressant à l’une ou l’autre
banque, on obtiendrait l’établissement sans frais de caisses d’épargne.
Je demanderai donc au gouvernement s’il voit
quelque inconvénient à dire dans le dernier paragraphe de l’article :
« dans les chefs-lieux d’arrondissement, » au lieu de : « dans
les villes manufacturières. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je pense qu’il faut se borner quant à présent à la disposition du projet, et
que la proposition de l’honorable membre est prématurée. Du reste, l’extension
à donner à l’établissement des caisses d’épargne fera l’objet de l’attention du
gouvernement et des chambres ; mais je ne pense pas que l’on puisse dès à
présent l’adopter sur des bases aussi larges que le propose l’honorable
préopinant.
M. Dumortier, rapporteur.
- Je partage entièrement l’avis de M. le ministre de l'intérieur. Je ferai
remarquer à l’honorable député d’Audenaerde que nous n’empêchons pas les chefs-lieux
de district d’établir des caisses d’épargne ; mais nous ne leur en faisons pas
une obligation. En effet, dans plusieurs chefs-lieux de district, dans celui de
Furnes par exemple, et dans la plupart des chefs-lieux de district du
Luxembourg, ce serait impossible dans l’exécution. Il faut laisser cela à des
localités plus importantes. Soyez sûrs que les administrations communales se
hâteront d’établir des caisses d’épargne quand ce sera possible.
Je suis convaincu que la disposition du projet aura
une grande extension dans le pays. Mais la proposition de l’honorable M. Liedts
ne peut pas être adoptée. Il serait impossible, dans un grand nombre de villes,
qu’elle fût exécutée.
M.
Liedts. - Le seul motif pour lequel on voudrait faire rejeter ma
proposition, c’est que, dit-on, elle serait inexécutable ; et on tire cette
conclusion de ce que, dans plusieurs chefs-lieux d’arrondissement, il n’y
aurait pas assez de dépôts pour couvrir les frais d’établissement. Mais
veuillez remarquer que les dépôts ne viendront pas seulement du chef-lieu, mais
de toutes les communes du district. De cette manière, il y aura toujours assez
de dépôts pour l’établissement d’une caisse d’épargne.
D’ailleurs, je ne crois pas que l’on puisse être
effrayé par les frais d’établissement. Des caisses d’épargne seraient établies
presque sans frais par l’une ou l’autre banque. Je crois que le gouverneur de
la banque de Belgique a présenté au gouvernement un projet pour en établi dans
toutes les villes et villages.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Cela n’a pas eu de suite.
M. Liedts. - Il y a
des personnes dans l’esprit desquelles l’établissement des caisses d’épargne
rencontre encore des obstacles. Il ne faut pas cependant confondre cette
institution avec les monts-de-piété. Les caisses d’épargne et de prévoyance
sont un bienfait immense pour la classe ouvrière. Nous devons donc faire tous
nos efforts pour répandre ce bienfait le plus possible.
M. Dumortier, rapporteur.
- Je rends hommage aux intentions qui ont dicté l’amendement de l’honorable
membre. Je suis convaincu comme lui que les caisses d’épargne présentent
d’immenses avantages. Mais la question n’est pas là. Il s’agit de savoir si
nous pouvons obliger les administrations communales à établir des caisses
d’épargne là où nous ne savons pas s’il sera possible d’en établir.
Je conçois que la banque consente à établir des
caisses d’épargne là où elle a des agents. Mais où elle n’a pas d’agents, cet
établissement ne peut avoir lieu sans des dépenses considérables ; il faudra un
agent, un secrétaire, enfin une administration tout entière. En deuxième lieu,
ce que la banque voulait il y a quelque temps, le voudra-t-elle encore
aujourd’hui ? Pouvons-nous imposer aux administrations communales une
obligation subordonnée à la volonté d’une administration en dehors de nos lois
?
L’honorable M. Liedts dit
que l’on peut compter sur des fonds de tout l’arrondissement A cet égard, il
faut recourir aux faits. A Tournay où est la première caisse d’épargne (qui ait
été établie en Belgique), comment s’y prit-on ? Quels sont les frais
d’établissement ? D’abord il faut un secrétaire remplissant les fonctions de
trésorier, pour recevoir les fonds à chaque instant. Ensuite considérez que dès
qu’une somme, si minime qu’elle soit, est déposée à la caisse d’épargne, elle
porte intérêt en faveur du déposant jusqu’au moment où on la retire, tandis
qu’elle n’est pas placée de suite et ne produit pas intérêt ; de telle sorte
qu’il y a nécessairement déficit.
Qui supportera ce déficit ? la
ville où sera établie la caisse d’épargne. Mais si on peut attendre d’elle un
tel sacrifice, lorsque la caisse d’épargne est établie dans l’intérêt de la
ville, c’est impossible lorsqu’elle est établie dans l’intérêt de
l’arrondissement.
A Tournay le roi Guillaume donna une somme
considérable en rentes pour l’établissement de la caisse d’épargne. L’hospice
fit un dépôt de fonds considérable ; malgré cela on eut beaucoup de peine à
assurer l’intérêt aux prêteurs.
Je pense donc qu’il serait impossible d’établir de
caisses d’épargne ailleurs que dans les villes manufacturières. Ainsi, tout en
applaudissant aux motifs qui ont dicté l’amendement de M. Liedts, je crois que
la chambre doit adopter la disposition du projet.
M.
Gendebien. - Je ne partage pas l’opinion de l’honorable préopinant. Je
crois qu’il faut généraliser autant que possible l’établissement des caisses
d’épargne. Je ne comprends pas l’objection faite à l’amendement de M. Liedts ;
elle se comprendrait si l’article imposait aux collèges des villes désignées
l’obligation d’établir des caisses d’épargne. Mais le sens de la loi n’impose
pas impérieusement l’établissement des caisses d’épargne.
« Ils veillent à ce qu’il soit établi une
caisse d’épargne, » c’est-à-dire à ce qu’il soit établi une caisse
d’épargne, pour autant qu’elle sera utile. (Dénégations.)
La loi ne dit pas autre chose ; c’est à peu près comme si vous recommandiez aux
bourgmestre et échevins l’établissement des caisses d’épargne. Mais si vous
voulez imposer cette obligation aux bourgmestres de toutes les villes
désignées, il faut vous servir d’un autre langage, car les termes du projet ne
contiennent pas d’obligation formelle en termes impératifs.
Maintenant je crois qu’on pourrait modifier
l’amendement de M. Liedts, de manière à atteindre le but qu’il se propose, sans
imposer l’obligation à tous les chefs-lieux de district d’établir des caisses
d’épargne ; il y a tel chef-lieu où je conviens que cela est impossible ou au
moins inutile. Mais en revanche il y a telles communes qui ne sont pas décorées
du titre de villes et où cet établissement serait d’une grande utilité. Il y a
dans les Flandres des communes populeuses comptant un grand nombre d’ouvriers,
où ce serait assurément très utile. Nous avons dans le Hainaut des communes de
8 à 10,000 âmes, peuplées presque exclusivement d’ouvriers et d’industriels,
vivant de leur industrie, et pouvant faire des épargnes journalières et par
suite verser, chaque semaine, une somme à la caisse d’épargne. Nous avons
des communes près de Charleroy, et une infinité d’autres, où l’établissement
d’une caisse d’épargne serait incontestablement utile ; et je vous garantis
qu’il suffirait de donner aux autorités communales la faculté et quelques
facilités pour établir ces caisses d’épargne pour qu’elles le fassent.
Je propose donc, au lieu de l’amendement de M. Liedts,
de dire dans l’article : « Dans les communes manufacturières, les
bourgmestres et échevins, etc. »
M. Lebeau. - Nous
sommes tous d’accord sur le but. Il est certain que nous devons tous vouloir la
propagation des caisses d’épargne. Mais nous différons sur les moyens. Je
pense, moi, que l’amendement de M. Liedts, appuyé par l’honorable préopinant,
n’atteint pas le but. Plus vous constituerez de caisses d’épargne, isolées,
séparées entre elles, moins les conditions de placement seront avantageuses. Ce
n’est que par un grand mouvement de capitaux que l’on peut parvenir à donner un
intérêt assez important aux sommes déposées.
Il faudrait qu’il y eût une seule caisse d’épargne
centrale, subsidiée par le gouvernement. Je pense même que c’est ainsi que l’on
a conçu dernièrement en France l’organisation des caisses d’épargne : une seule
caisse d’épargne, avec des succursales dans les différentes localités.
C’est ainsi que nous avons, dans tous les
chefs-lieux de district, des caisses d’épargne ; car, chez tous les agents de
la société générale, si je ne me trompe, il y a une caisse d’épargne. Il y en a
une au moins dans chaque chef-lieu d’arrondissement ; et tous les jours les
hospices, les bureaux de bienfaisance, les domestiques, les ouvriers peuvent y
faire des versements. Les fonds déposés portent, je crois, un intérêt de 4 p.
c.
Si, au contraire, vous
voulez établir des caisses d’épargne isolées dans chaque chef- lieu de
district, il sera très difficile de les organiser, parce que vous ne pourrez
forcer les communes à faire des fonds. Ensuite, il pourrait, je crois, en
résulter de grands dangers ; ces caisses pourraient être un piège tendu à la
classe ouvrière ; car, malgré les bonnes intentions des administrations
communales, elles pourraient faire faillite.
Je crois que, pour assurer les bienfaits qui
peuvent résulter de l’établissement des caisses d’épargne, il faudra qu’un jour
ou l’autre la législation intervienne ; il faudra que le gouvernement fasse un
sacrifice annuel, sacrifice qui sera bien compensé par l’amélioration de la
moralité du peuple. Pour moi je crois qu’il sera bien d’adopter une disposition
législative dans ce sens.
D’après l’honorable préopinant, il ne résulterait
de la disposition en discussion aucune obligation pour l’administration
communale. Mais chaque fois que la loi dit que l’on « veillera, »
elle ordonne ; sans cela elle ne ferait que conseiller. Or je ne crois pas que
l’on donne des conseils par la loi. S’il se donne des conseils, c’est par
l’administration supérieure à l’administration inférieure. Mais le législateur
ne conseille pas, il ordonne ; c’est en ce sens que je comprends l’expression
« ils veillent ; » et par analogie avec les autres dispositions des
lois, c’est le sens qui se présente.
M. Gendebien. -
Je ne sais pas pourquoi l’honorable préopinant a pris la peine de chercher à me
réfuter.
M. Lebeau. - Parce
que c’est mon opinion.
M. Gendebien. -
Mais je ne crois pas que vous m’ayez réfuté, car nous sommes d’accord ; vous
avez réfuté peut-être l’amendement de M. Liedts ; mais je ne le soutiens pas,
puisque j’ai proposé un sous-amendement : vous ne m’avez donc pas réfuté, ni
même compris.
M. Lebeau. - Soit !
M.
Gendebien. - Nous sommes tous d’accord qu’il faut aviser aux moyens de
propager l’établissement des caisses d’épargne
On vient dire, pour me réfuter, que les caisses
d’épargne isolées n’offrent que des inconvénients. Mais qui demande des caisses
d’épargne isolées ?
Les termes de la loi sont suffisamment impératifs,
vous dit-on ; ils imposent l’obligation d’en établir.
Je ne suis pas de cet avis, messieurs ; nous
prescrivons aux bourgmestre et échevins de surveiller les caisses d’épargne,
quand il y en a ; nous leur imposons, si vous voulez, le soin d’aviser aux
moyens d’en établir, et non pas l’obligation. La preuve, messieurs, c’est que
la loi ne dit pas comment ils doivent en établir. Vous ne donnez d’ailleurs
aucune sanction à la loi, preuve évidente qu’il ne s’agit pas de prescrire
l’établissement de caisses d’épargne, mais que vous les recommandez aux soins
des administrations communales.
Les bourgmestre et échevins pourront, en vertu de
la disposition dont nous nous occupons, établir une succursale de caisse
d’épargne. C’est ainsi qu’en Ecosse il n’y a pas une commune qui n’ait une
succursale de caisse d’épargne.
Ne faites pas aux administrations communales une
obligation d’établir une caisse d’épargne ; indiquez seulement ce qu’elles ont
à faire, quand il y a une caisse d’épargne. Laisser à la loi spéciale sur
l’établissement des caisses d’épargne le soin de prescrire les règles de leur
constitution et le mode de les gérer, ainsi que les moyens de les doter et
administrer.
En substituant le mot : « communes » au
mot : « villes, » je ne vois pas de difficulté à adopter l’article proposé
par le gouvernement et par la section centrale ; il ne peut s’élever une
objection contre mon amendement, puisqu’en généralisant l’article proposé, il
le laisse intacte.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je pense que le désaccord qu’il y a entre les
deux honorables préopinants vient de ce qu’ils n’entendent pas de la même
manière le dernier paragraphe de l’article en discussion. Pour moi, je
l’entends de la même manière que M.
Lebeau. Je crois même qu’on ne peut pas l’entendre différemment.
Il y a prescription d’établir des caisses d’épargne
dans les villes manufacturières. Je pense avec l’honorable M. Lebeau que la loi
ne se borne pas à donner un simple conseil. Si on avait le temps de compulser
le texte de différentes lois, on verrait que chaque fois que le législateur se
sert du mot « veille, » il entend par là ordonner ; ainsi quand on
dit : Telle autorité veille à la répression des délits, etc., il n’est pas
entendu qu’il soit facultatif à cette autorité de réprimer ou de ne pas
réprimer les délits, elle doit sous sa responsabilité constater les délits lorsqu’ils
existent.
Maintenant l’on me dira peut-être : Il n’y a pas de
délai fatal fixé pour l’établissement de caisses d’épargne, il n’y a donc pas
de sanction dans la loi ; mais je répondrai que la sanction est dans l’article
14 que nous avons voté. La députation du conseil provincial qui verrait dans
l’article 18 une prescription aussi formelle que celle que l’on propose d y
introduire, non suivie d’exception dans une ville manufacturière, enverrait,
après l’inutilité reconnue de deux avertissements successifs, un commissaire
sur les lieux qui ferait exécuter la loi.
En comprenant l’article
comme l’entend l’honorable M. Gendebien, je conçois qu’il ait proposé la
disposition qu’il défend. Il considère, lui, d’après la rédaction proposée, les
caisses d’épargne simplement placées, dans les villes manufacturières, sous la
surveillance de l’autorité communale. Si l’on pouvait ainsi envisager les
termes de la loi, je ne verrais aucun inconvénient à adopter cette proposition.
Mais si l’on maintient la rédaction telle qu’elle est proposée, il y a
évidemment un ordre pour l’autorité communale de créer des caisses d’épargne ;
et l’amendement de M. Gendebien tendant à étendre la mesure aux communes
manufacturières, il pourrait y avoir du danger à ordonner l’établissement d’une
caisse d’épargne dans ces localités ; car, ainsi que l’ont fort bien fait
observer MM. Lebeau et Dumortier, comme l’établissement d’une caisse d’épargne
est toujours onéreuse, ce serait une trop forte charge pour certaines communes.
Il pourrait d’ailleurs arriver aussi des abus de confiance, et l’on pourrait
bien contribuer à faire des dupes par les faillites d’administrations de
caisses d’épargne qui seraient créées forcément par les autorités communales.
Déjà l’on a fait pressentir que si l’institution
des caisses d’épargne était régularisée par la loi, il faudrait qui le
gouvernement consentît à faire un sacrifice annuel pour soutenir ces utiles
établissements. Cela indique assez que l’on ne les érige pas si facilement que
quelques-uns de nous paraissent disposés à le croire.
Je me résume. Si l’on veut l’article comme
impératif, il faut l’adopter comme la section centrale l’a proposé ; s’il doit
n’être que facultatif, il n’y a pas d’inconvénient à admettre la proposition de
l’honorable M. Gendebien, mais en modifiant la rédaction de manière à rendre
l’établissement des caisses d’épargne incontestablement facultatif.
M. Gendebien. -
Vraiment, il faut en revenir aux premiers éléments pour me faire comprendre. Si
vous voulez des caisses d’épargne dans toutes les villes manufacturières,
dites-le donc alors. Dites : Des caisses d’épargne seront établies dans les
villes manufacturières sous la surveillance des bourgmestre et échevins ; alors
vous aurez un langage impératif et par conséquent législatif. Mais quand vous
dites : « veille à ce qu’il soit établi, » qu’est-ce que cela
signifie ?
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Si vous disiez : Des caisses d’épargne seront
établies, etc.., ces caisses d’épargne devraient l’être aux frais et au nom de
la commune ; tandis qu’en disant : Le collège veille à ce qu’il soit établi,
ces établissements peuvent être les succursales de la caisse centrale de la
société générale ou de toute autre société.
M.
Gendebien. - Vous voulez une disposition obligatoire, dites-vous ? Mais
où est la sanction ? L’on enverra un commissaire sur les lieux, avez-vous dit ?
Mais le bourgmestre dira à ce commissaire qu’il a fait tous ses efforts pour
établir une caisse d’épargne et qu’il n’a pu y parvenir. Si donc vous voulez
une disposition impérative, il faut que cela résulte de la loi
D’un côté il manque une définition de ce qu’on doit
entendre par ville manufacturière ; de l’autre côté il manque la force
exécutoire.
Je ne tiens pas à toute cette discussion. J’ai
voulu seulement démontrer que mes premières observations étaient fondées.
- La discussion est close.
M. Liedts déclare
retirer son amendement.
M. Gendebien
déclare retirer également son amendement.
Article 18 (nouveau)
« Art. 18 (se rapportant à l’art. 32). Le
bourgmestre, ou un échevin désigné à cet effet par lui, remplit les fonctions
d’officier de l’état-civil, et est particulièrement chargé de faire observer
exactement tout ce qui concerne les actes et la tenue des registres de
l’état-civil.
« Il peut avoir à cet effet sous ses ordres,
et suivant les besoins du service, un ou plusieurs employés salariés par la
commune, qu’il nomme et congédie sans en référer au conseil, qui doit toujours
déterminer le nombre et le salaire desdits employés. »
M.
Dubus. - Cet article a déjà été adopté par la chambre, mais j’ai à faire
des observations résultant du système que la chambre a adopté, le système
d’homogénéité.
Il s’agit ici d’une attribution de l’autorité
communale conférée par la constitution, et qui, par l’art. 18 nouveau,
appartient au bourgmestre. On ne peut pas dire qu’il y ait homogénéité ici dans
le collège, puisque le bourgmestre serait chargé de l’état-civil, et qu’il
pourrait se débarrasser des fatigues de cette attribution en jetant le fardeau
sur un échevin que lui ne pourrait pas refuser. Voilà une différence
remarquable entre les fonctions du bourgmestre et celles des échevins.
Je ferai en outre observer que cette disposition
n’est pas en harmonie avec l’art. 109 de la constitution :
« La rédaction des actes de l’état-civil et la
tenue des registres de l’état-civil sont uniquement dans les attributions de
l’autorité communale. »
Le bourgmestre fait partie de l’autorité communale,
mais il ne la conserve pas tout entière. Si l’on pouvait avoir des doutes sur
le sens de ces mots : l’autorité communale, je pourrais citer le rapport de la
section centrale dans lequel il est question de la rédaction de cet article.
L’article
Ainsi une attribution qui a été donnée à tout le
conseil communal, vous la déférez au bourgmestre seul. Je ne crois pas que ce
soit possible. Il me semble qu’il conviendrait de faire désigner par le conseil
l’échevin chargé de l’état-civil. J’en fais même la proposition. Tous les
membres du collège seraient absolument sur la même ligne.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’honorable membre pense que ma proposition n’est pas constitutionnelle.
Cependant cette opinion n’a pas été partagée par la majorité de la chambre qui
l’a déjà adoptée. Du reste, je ne regarde pas la proposition comme un privilège
en faveur du bourgmestre. C’est une
véritable charge que la rédaction des registres de l’état-civil, et dont le bourgmestre,
d’après ma disposition, ne pourrait se débarrasser que sous sa responsabilité.
Du reste, si l’on préfère laisser au conseil la
faculté de désigner l’officier chargé de l’état-civil, je n’ai aucune raison
pour m’y opposer.
M. Dubus. -
Voici l’amendement que je propose :
« Un membre du collège désigné par le conseil
remplit les fonctions d’officier de l’état-civil, etc. » Le reste comme au
projet.
Et ensuite j’ajoute :
« Le conseil désigne également le membre du
collège qui doit remplacer l’officier de l’état-civil en cas d’absence ou
d’empêchement. »
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me semble que l’amendement
de M. Dubus ne remplit pas le but que nous devons nous proposer. Il faut
charger quelqu’un d’une manière impérative de tenir les registres de
l’état-civil. C’est une fonction qui entraîne une grave responsabilité, qui
expose celui qui la remplit à des peines d’emprisonnement et à des peines
pécuniaires très fortes. Il faut bien désigner pour la remplir quelqu’un qui ne
puisse pas se soustraire à cette besogne.
Je pense que l’honorable membre aurait mieux rendu
sa pensée en ajoutant seulement à la rédaction du ministre de l’intérieur les
mots : « désigné par le conseil, » et disant :
« Le bourgmestre ou un échevin désigné par le
conseil, etc. »
Par la rédaction que propose M. Dubus, le membre du
collège désigné par le conseil serait obligé de remplir les fonctions
d’officier de l’état-civil ; si vous voulez qu’il soit obligé de le faire, il
faut le stipuler dans l’amendement. Or, l’amendement ne prévoir que le cas
d’absence ou d’empêchement, et non le refus de se charger de cette besogne.
Le bourgmestre ne sera pas jaloux de conserver la responsabilité
des fonctions d’officier de l’état-civil ; il ne demandera pas mieux que de
voir déléguer à cet effet un membre du collège. C’est au reste ce qui se fait
dans la pratique ; car, dans les communes populeuses, là où l’état-civil a un
grand nombre d’actes à faire, un des membres du collège échevinal est chargé de
cette besogne. Il est délégué par le bourgmestre.
Je pense qu’il faut désigner le bourgmestre, sauf à
laisser au conseil la faculté de désigner un autre membre du collège de
régence. De cette manière vous imposez l’obligation au bourgmestre sans lui
laisser la faculté de transporter sa responsabilité à qui bon lui semble.
Il me semble que l’amendement rédigé comme je le
propose sera plus conforme à la législation existante.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois
qu’il faudra apporter quelques changements à la deuxième partie de l’amendement
proposé par M. Dubus.
Si je l’ai bien compris, il propose de dire qu’en
cas d’empêchement ou d’absence, le conseil désignera celui qui devra remplacer
l’échevin chargé de la tenue des registres de l’état-civil. Il y aurait danger
à adopter cette mesure, car vous savez que la rédaction des actes de
l’état-civil ne peut éprouver aucune espèce de retard. Il serait possible que
non seulement l’échevin chargé de la tenue des actes de l’état-civil, mais
aussi celui qui doit le remplacer, fussent absents ou empêchés de se rendre à
l’état-civil pour faire l’office de leur charge.
Il serait plus prudent de dire qu’en cas d’absence
ou d’empêchement, le membre du collège chargé de la tenue des registres de
l’état-civil sera remplacé par le bourgmestre ou par l’échevin le premier dans
l’ordre de nomination ; c’est-à-dire qu’on désigne tous les membres du collège
pour remplacer celui qui est empêché ou absent. De cette manière, il y a
certitude qu’il y aura toujours quelqu’un pour recevoir les déclarations qu’on
viendra faire.
Il est important, comme chacun sait, que la
rédaction des actes de l’état-civil n’éprouve jamais le moindre retard.
M. Dubus. - M.
le ministre des finances a pensé que mon amendement n’était pas assez
impératif. Cependant j’avais conservé les termes de la proposition de M. le
ministre de l'intérieur. Voici comment est rédigé sa proposition :
« Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet
effet par lui, remplit les fonctions, etc. »
M. le ministre des finances
croit qu’il résulte de là une obligation. Eh bien, messieurs, quand je dis :
« Un membre du collège désigné par le conseil remplit les fonctions,
etc., » il résulte la même obligation de remplir ces fonctions. Comme
c’est la même expression, elle emporte la même chose. S’il croit que l’article
n’est pas assez impératif dans mon amendement, il ne l’est pas davantage dans
le sien. S’il croit que dans mon amendement le membre désigné pourrait refuser,
celui qu’il indique dans le sien pourrait également refuser.
Il y a un moyen de rendre l’expression plus
énergique, s’il croit que de celle employée, il ne résulte pas obligation,
c’est de dire, au lieu de « remplir, » « sera tenu de
remplir. » Il n’y aura plus alors aucune espèce de doute.
Je rappellerai que la disposition finale que je
propose est conçue en termes impératifs, car je dis : « Le conseil désigne
également le membre du collège qui devra remplacer, etc. »
Quant à l’observation de M. le ministre des
affaires étrangères qu’il pourrait arriver que le titulaire et le remplaçant
fussent tout à la fois absents ou empêchés, et qu’il serait convenable de
pourvoir à leur remplacement d’une manière qui n’oblige pas à recourir au
conseil, parce qu’en cas d’urgence, il faut que quelqu’un soit là disposé à
recevoir les déclarations, j’en reconnais la force et je me rallie à la
modification de mon amendement dans ce sens.
On n’a qu’à dire que, dans ce cas, les fonctions
appartiennent au bourgmestre et aux échevins les premiers en rang, et à défaut
d’échevins, aux conseillers les premiers en rang.
M.
Jullien. - Il y a un moyen très simple de faire disparaître la
difficulté signalée par plusieurs honorables membres, relativement à
l’obligation imposée à l’officier de l’état-civil désigné, soit comme
titulaire, soit comme remplaçant, en cas d’absence ou d’empêchement du
titulaire. C’est de poser le même principe que dans la constitution, et de dire
:
« Le collège des bourgmestre et échevins est
chargé de la tenue des actes de l’état-civil. »
Dès l’instant que vous acceptez la qualité de
membre du collège, vous prenez toutes les obligations qui en cette qualité
pourront vous être imposées.
Après avoir posé le principe que le collège des bourgmestre et échevins est chargé de la tenue des actes de
l’état-civil, pour l’exécution, vous faites les désignations indiquées par
l’honorable M. Dubus. Le conseil
choisit dans le collège celui qui sera chargé de la tenue des registres, et
vous pourvoyez en même temps au remplacement en cas d’absence ou d’empêchement.
Il est impossible alors de décliner l’obligation ;
car, en acceptant la qualité d’échevin, vous vous êtes obligé à en remplir
toutes les fonctions, et notamment à tenir les registres de l’état-civil,
conformément au mode qui sera indiqué par la loi.
M.
le président. - Je vais mettre les amendements de MM. Jullien et Dubus
aux voix.
M. Legrelle. -
Il me semble qu’il est impossible d’adopter ces amendements, car on retombe
dans l’inconvénient signalé par M. le ministre des affaires étrangères. Je
propose, après l’amendement de M. Jullien, de dire :
« Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet
effet par le collège, remplit, etc. »
De cette manière toute la responsabilité serait au
collège, qui réglerait cet objet d’administration.
M.
Bosquet. - Je me proposais de donner mon assentiment à l’amendement de
M. Jullien ; mais je ne puis l’admettre avec le sous-amendement de M. Legrelle. Ce sous-amendement
pourrait avoir les conséquences les plus graves, il soustrairait les officiers
de l’état-civil à toute responsabilité.
Ne perdez pas de vue que le code prononce, dans
certains cas, contre les officiers de l’état-civil des peines d’emprisonnement
et d’amende. Elles sont, il est vrai, appliquées très rarement, mais elles ont
un effet très salutaire.
Comment poursuivre un
collège pour des actes qui renferme des infractions à telle ou telle
disposition du code civil ? Je crois qu’un collège peut bien veiller à
l’exécution des lois relatives à l’état-civil ; mais qu’il se fasse
collectivement officier de l’état-civil, c’est ce que je ne comprends pas.
Voici l’amendement que je proposerai :
« Le collège veille à la tenue des registres
de l’état civil. Le bourgmestre ou l’un des échevins désigné par le collège
remplira les fonctions d’officier de l’état-civil. »
Mais ce membre assumera sur lui la responsabilité
des actes.
M. Legrelle. -
C’est comme cela que je l’entends ; ce sera le membre délégué, celui qui
signera qui aura la responsabilité.
M.
Pollénus. - Je proposerai un sous-amendement ainsi conçu :
« En cas d’absence ou d’empêchement,
l’officier délégué sera remplacé momentanément par le bourgmestre, un échevin
ou un conseiller dans l’ordre des nominations. » (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement proposé par
M. Jullien est mis aux voix et adopté.
M. le président. -
Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Dubus, qui propose de faire désigner
l’officier de l’état-civil par le conseil.
M. Gendebien.
- On ne peut pas attribuer au conseil la
nomination de l’échevin qui sera chargé de la tenue des registres de
l’état-civil. La responsabilité morale de la tenue de ces registres porte sur
tous les membres du collège, et la responsabilité légale porte sur celui qui
est chargé de la rédaction des actes. Vous ne pouvez pas sortir du collège pour
la nomination du délégué.
M. Dubus. - Je
retire mon amendement ; mais je demande qu’on substitue les mots : « sera tenu
de remplir » à celui : « remplira, » si on trouve que cette dernière
expression n’est pas assez impérative.
M. le président. -
Je vais mettre aux voix le deuxième paragraphe :
« Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet
effet par le collège, remplit les fonctions d’officier de l’état-civil et est
particulièrement chargé de faire observer exactement tout ce qui concerne les
actes et la tenue des registres de l’état-civil. »
- Adopté.
« Il peut avoir, à cet effet, sous ses ordres,
et suivant les besoins du service, un ou plusieurs employés salariés par la
commune, qu’il nomme et congédie sans en référer au conseil, qui doit toujours
déterminer le nombre et le salaire desdits employés. »
- Adopté.
Amendement proposé par M. Pollénus : « En cas
d’empêchement, l’officier délégué sera remplacé momentanément par le
bourgmestre, un échevin ou un conseiller dans l’ordre respectif des
nominations. »
- Adopté.
L’ensemble de l’article ainsi amendé est également
adopté.
Article nouveau (correspondant
à l’art. 29 du projet)
« En cas d’émeute, d’attroupements hostiles,
d’atteintes graves portées à la paix publique, ou d’autres événements imprévus,
lorsque le moindre retard pourrait occasionner des dangers ou des dommages pour
les habitants, les bourgmestre et échevins pourront faire des règlements et
ordonnances de police, à charge d’en donner sur-le-champ communication au
conseil, et d’en envoyer immédiatement copie au gouverneur, en y joignant les
motifs pour lesquels ils ont cru devoir se dispenser de recourir au conseil.
L’exécution pourra être suspendue par le gouverneur. Dans les cas mentionnés au
présent article, le collège des bourgmestre et échevins pourra délibérer, quel
que soit le nombre des membres présents. En cas de partage, la voix du
président est prépondérante. »
M. Dubus. - Je
crois que cet article, qui est le même que celui qui a été adopté au dernier
vote, présente une lacune. Il investit dans les cas extraordinaires les
bourgmestre et échevins du droit de faire des règlements et ordonnances de
police. D’après la loi communale c’est au conseil qu’appartient le droit de
faire ces règlements et ordonnances. Ce n’est donc que comme suppléant le
conseil dans les cas de danger où le moindre retard serait préjudiciable à la
chose publique, qu’ils feront ces règlements. Aussi leur prescrit-on d’en
donner immédiatement communication au conseil, et de faire connaître au
gouverneur les motifs pour lesquels ils ont cru devoir se dispenser de recourir
au conseil.
Mais ce que ne dit pas l’article, c’est ce que
deviendront ces règlements, le moment du danger passé.
Je proposerai d’ajouter cette disposition :
« Ces règlements cesseront immédiatement d’avoir leur effet, s’ils ne sont
confirmés par le conseil à sa plus prochaine réunion. »
- L’article est adopté avec cet amendement.
Art.
18 ter. (correspondant à l’art. 29 du projet.)
« En cas d’émeute, d’attroupements hostiles ou
d’atteintes graves portées à la paix publique, le bourgmestre pourra requérir
directement l’intervention de la garde civique ou de l’autorité militaire, qui
seront tenues de se conformer a sa réquisition.
« La réquisition devra être faite par écrit. »
M. Verdussen. Je
propose de remplacer le mot « bourgmestre » par le mot
« président. »
M.
Dumortier, rapporteur. - Le changement ne peut pas être admis. C’est à
cause de cette disposition qui donne au bourgmestre ou à celui qui le remplace
le droit de requérir la force publique, qu’on a établi l’incompatibilité entre
les fonctions de bourgmestre et le service de la garde civique. Il n’y aurait
plus corrélation entre les dispositions de la loi si vous ne mainteniez pas ici
le mot « bourgmestre. »
M. Gendebien. -
Je crois que l’observation mérite attention ; il s’agit de requérir ; il ne
faut pas le moindre doute sur le pouvoir de celui qui requiert ; il faut qu’il
soit bien entendu que c’est le bourgmestre ou celui qui le remplace.
- Ces mots : « le bourgmestre ou celui qui le
remplace, » mis aux voix, sont adoptés.
M.
le président. - Nous passerons à la disposition suivante :
« Sur la sommation faite et trois fois répétée
par le bourgmestre ou par tout autre officier de police, les perturbateurs
seront tenus de se séparer et de rentrer dans l’ordre, à peine d’y être
contraints par la force, sans préjudice des poursuites à exercer devant les
tribunaux contre ceux qui se seraient rendus coupables d’un fait punissable
suivant les lois. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je demanderai aussi que l’on mette : le bourgmestre ou celui qui le remplace.
M. Pollénus. - Je
demanderai qu’au lieu d’« officiers de police, » on mette
« commissaires de police. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Dans les communes rurales il n’y a pas de commissaires de police ; les
échevins sont officiers de police ; l’officier de police dans les villes est un
commissaire de police.
M. Pollénus. - Il
n’y a pas d’inconvénient à indiquer le fonctionnaire ; l’article n’est pas fait
pour les communes rurales, mais pour les grandes villes ; il faut prévenir les conflits.
M. Legrelle. -
Je voudrais qu’on dît : « le bourgmestre, les échevins ou tout autre officier
de police. » Il faut que la farce armée obéisse aussi bien aux échevins
qu’au bourgmestre. Il est souvent nécessaire de se porter à la fois dans
plusieurs endroits d’une ville ; alors il faut que les
bourgmestre et échevins et tel autre officier de police aient les mêmes
pouvoirs.
Nous avons été les victimes des attroupements
; il faut prendre tous les moyens pour
les réprimer ; c’est un scandale qu’il faut repousser de toutes nos forces.
M.
Fallon. - Si on laisse substituer le mot « officier de
police, » attendra-t-on que les gardes champêtres puissent faire les
sommations, car on leur a donné le titre d’officiers de police ?
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Il faut nécessairement mettre : par le
bourgmestre, les échevins ou un commissaire de police.
M. Pollénus. - Je
me rallie à cette rédaction.
M. Dumortier. -
Je soumettrai une difficulté à l’assemblée : il n’y a pas que les bourgmestres,
échevins et commissaires de police qui puissent requérir la force armée, il y a
aussi les procureurs généraux.
M. Gendebien. -
Cela ne préjudicie pas à leur droit.
- La rédaction proposée par M. le ministre de
l’intérieur est adoptée.
« Art. 19. Le collège des bourgmestre et échevins
est chargé du soin d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui
pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté.
« S’il y a nécessité de déposer la personne de
l’insensé ou du furieux dans un hospice, maison de santé ou de sécurité, il en
sera donné avis dans les trois jours au juge de paix ou au procureur du
Roi. »
M. Lebeau. - Je ne
veux pas proposer un amendement, mais un changement de rédaction à la fin du
deuxième paragraphe de cet article 19.
Je voudrais que l’on mît à la fin de ce paragraphe
:
« Il y sera pourvu par le collège, à charge
d’en donner avis, dans les trois jours, au juge de paix ou au procureur du
Roi. »
M. Dumortier, rapporteur.
- Lorsque nous avons fait la loi, nous avons compris que c’était à l’autorité
judiciaire à ordonner le dépôt définitif dans une maison de santé ; voilà
comment nous avons envisagé la question.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant est complètement
dans l’erreur : il suffit, pour le prouver, de rappeler à la chambre ce qui
s’est passé lors du premier vote.
Vous avez voulu, messieurs, que l’autorité
municipale pût prendre les mesures que l’intérêt d’une bonne police rendrait
nécessaires, tant dans l’intérêt des insensés que de leur famille et de la
chose publique ; mais en même temps, on a voulu donner des garanties contre
toute mesure abusive, en ordonnant d’avertir le juge de paix et le procureur du
Roi du dépôt qui a été opéré, pour que ces magistrats puissent s’assurer si
c’est véritablement un insensé qui est arrêté, et s’il n’y a pas atteinte à la
liberté individuelle ; car ces magistrats, d’après l’article 616 du code
d’instruction criminelle, sont obligés, sous leur propre responsabilité, de
prendre toutes les mesures pour faire cesser toute arrestation arbitraire.
La discussion sur cet article a duré deux jours.
Des amendements dans le sens indiqué par le préopinant ont été présentés et
rejetés à une majorité de 56 voix contre 12. L’amendement de l’honorable M.
Lebeau améliore la rédaction sans altérer la pensée de la chambre ; il n’y a
aucune difficulté à l’accueillir.
- L’amendement de M. Lebeau, mis aux voix, est
adopté.
L’ensemble de l’article mis aux voix est adopté.
Article 20
« Art. 20. Au collège des bourgmestre et
échevins appartient la surveillance des personnes et des lieux notoirement
livrés la débauche.
« Ils prennent à cet effet les mesures propres à
assurer la sûreté, la moralité et la tranquillité publique.
« Le conseil fait à ce sujet tels règlements qu’il
juge nécessaire et utile. »
Le ministre se rallie à la section centrale qui a
propose cet article.
L’art. 20 mis aux voix est adopté.
« Art. 21. La police des spectacles appartient
au collège des bourgmestre et échevins ; ce collège
veille à ce qu’il ne soit donné aucune représentation théâtrale qui soit
contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.
« Il peut même, dans des circonstances
extraordinaires, interdire toute représentation, pour assurer le maintien de la
tranquillité publique. »
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux) présente l’amendement suivant pour
remplacer cet article :
« La police des spectacles appartient au collège
des bourgmestre et échevins ; il peut, dans des circonstances extraordinaires,
interdire toute représentation, pour assurer le maintien de la tranquillité
publique.
« Ce collège exécute les règlements faits par
le conseil communal pour tout ce qui concerne les spectacles. Le conseil veille
à ce qu’il ne soit donné aucune représentation contraire aux bonnes mœurs ou
l’ordre public. »
M. Vandenbossche.
- Messieurs, disposé à voter la suppression de l’article 20 du projet relatif à
la police des spectacles, je crois devoir motiver mon vote, d’autant plus que
ses dispositions avaient déjà réuni la majorité de la chambre dans une
précédente discussion, et que d’ailleurs quelques personnes semblent en faire
une question de bonne morale, que je désire dans toutes les classes de la
société, et même presqu’une question de catholicisme, auquel j’appartiens.
J’en demande la suppression, et en tous cas je
voterai contre l’article :
1° Parce que je le regarde comme inconstitutionnel
;
3° Parce que j’y aperçois une tendance liberticide
;
4° Parce que je n’y vois pas un moyen pour
améliorer les mœurs, ce qui devrait être le but qu’on se propose.
Je m’explique. J’ai dit que je regarde l’article
comme inconstitutionnel.
Toutes les mesures que l’article ainsi que
l’amendement de M. le ministre consacrent sont préventives. Mais qu’est-ce
qu’un spectacle ? Un spectacle est, à mon avis, un enseignement public, et,
soit bon soit mauvais, toujours est-il vrai que c’est un enseignement. Mais en
matière d’enseignement, d’après l’article 17 de la constitution, toute mesure
préventive est interdite.
Donc l’article viole la constitution dans son
article 17.
L’article prescrit « de veiller à ce qu’il ne soit
donné aucune représentation théâtrale qui soit contraire aux bonnes
mœurs. »
Pour moi, je tiens la religion pour la source de
toute morale ; ce que l’une condamne, une autre l’approuve. Ne trouve-t-on pas
des religions qui admettent la bigamie, la polygamie, le concubinage, etc.,
mœurs que le catholicisme condamne, et regarde comme éminemment immorales ?
Ceci posé, en face de notre constitution qui établit, article 14 : « La liberté
des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester
ses opinions en toute matière, sont garanties. », une loi peut-elle
constitutionnellement parler de bonnes ou de mauvaises mœurs ? A mon avis, non.
La loi peut établir des convenances sociales, punir leur infraction. Mais, pour
des mœurs, un Etat constitutionnellement indifférent en matière religieuse ne
peut point en avoir de déterminées, et sous ce point de vue, les dispositions
sur la police des spectacles constituent aussi une violation de l’article 14 de
la constitution.
J’ai dit, deuxièmement, que j’y vois un brandon de
discorde.
Qui décidera si la pièce est contraire ou non aux
bonnes mœurs ?
J’ai dit que je tiens la religion pour la source de
toute morale. Conséquent avec ce principe, je crois le ministre de la religion
communément le plus compétent pour en décider ; et comme la grande majorité du
peuple belge est catholique, les curés ne manqueront pas d’être consultés et de
décider sur la moralité ou l’immoralité de chaque représentation théâtrale. Or,
si le curé la trouve attentatoire aux bonnes mœurs, et que la régence ne
veuille point l’écouter, il les traitera pour des enfants rebelles ; s’ils
l’écoutent, on pourrait fort bien voir fermer les théâtres, et alors le peuple
criera ; et on aurait peut-être des émeutes à apaiser. Et voilà comme l’article
serait continuellement un sujet de discorde.
J’ai dit, troisièmement, que j’y aperçois une
tendance liberticide.
L’article prescrit, en second lieu, « de
veiller à ce qu’il ne soit donné aucune représentation théâtrale qui soit
contraire à l’ordre public. »
Mais quelle serait la pièce contraire à l’ordre
public, qui ne le serait pas en même temps aux bonnes mœurs ? Ce sera toutes
ces représentations, messieurs, que l’on croira pouvoir servir à exalter, dans
le peuple, l’esprit de liberté et l’aversion du despotisme. Or, c’est cet
esprit et cette aversion qui ont fait la révolution ; notre gouvernement, qui
ne veut point devenir despote, n’aura jamais rien à craindre de ce chef ;
pourrait-on donc convenablement, dans les circonstances où nous nous trouvons,
vouloir étouffer cet esprit de liberté, que nous aurons peut-être besoin de
ranimer encore là où il s’affaisse, pour repousser les despotes qui voudraient
nous envahir ?
J’ai dit, quatrièmement, que je n’y vois pas un
moyen pour améliorer les mœurs.
Je ne veux point contredire qu’une représentation
théâtrale n’exerce un plus grand effet sur l’esprit de grand nombre de
personnes que bien la simple lecture de la pièce dans un livre. Mais ce que la
régence interdirait dans une ville, sera autorisé dans une autre, et les
feuilles publiques en feraient un sujet de scandale.
D’ailleurs, ne fréquente le théâtre que celui qui
le veut bien : tout homme a intérêt que les bonnes mœurs règnent dans sa
maison. Que les pères et mères de familles surveillent leur enfants, qu’eux
leur interdisent de fréquenter ces représentations qui pourraient porter
atteinte à leur innocence ou à leur vertu : ce sont eux qui y ont le premier
intérêt.
La corruption des mœurs est déplorable, messieurs,
mais la police des spectacles ne les relèvera pas de leur dépravation ; le
gouvernement doit y veiller par d’autres moyens qu’il a en son pouvoir.
Qu’il veille à ce que les employés qu’il a sous ses
ordres, et dont il a le droit de disposer, ne donnent point l’exemple de la
dépravation ; cette dépravation de mœurs, qui a pénétré presque dans toutes les
villes et communes, se rencontre encore notamment dans l’armée. J’ai entendu
plus d’un honorable membre se plaindre dans cette chambre de la démoralisation
de la jeunesse partout où des militaires se trouvent ou se sont trouvés en
garnison ou en cantonnement, et de la masse d’enfants naturels qui en sont les
malheureux rejetons. A qui la faute ? Il est clair que si les chefs montraient
une horreur pour ce libertinage, les simples ne s’y abandonneraient point. Mais
ce sont les chefs que l’on trouve, communément, les plus indifférent envers la
religion, et souvent les plus adonnés aux passions brutales. C’est au
gouvernement à y porter remède ; il a le pouvoir d’arrêter tous ces scandales :
qu’il les arrête, et à l’armée et parmi ses antres employés, et bientôt on
verra les bonnes mœurs régner dans toutes les classes du peuple.
Je ne prétends pas que le gouvernement astreigne
qui que soit à avoir de la religion ou de la morale. Mais je crois que le
gouvernement est en droit de prescrire à tous les employés l’observance des
convenances sociales. Or, il est de convenance sociale de respecter les
personnes de la maison où l’on est reçu et notamment où l’on est forcé de vous
recevoir et de vous loger.
Si donc un militaire logé chez un bourgeois en
séduit ou prostitue la fille, il faut qu’on le punisse, fût-il un colonel même
un général.
Il est de convenance
sociale que l’on respecte la religion, ses rites et ses ministres, de l’endroit
où on se trouve. Un militaire qui n’a pas de religion ne doit pas aller à
l’église, à la procession ou converser avec les prêtres ; mais il doit
s’abstenir d’aller à l’église, quand il ne veut y aller que pour y porter le
trouble ; il doit s’abstenir de la procession, quand il ne veut que s’en moquer
; il doit s’abstenir de parler au prêtre, quand il n’a que des impertinences à
lui dire.
Il est de convenance sociale, pour un chef
militaire, de ne point contrarier ses subalternes dans leur croyance ou dans la
pratique de leur religion, de les punir ou même de les ridiculiser par rapport
à ces pratiques.
Il est de convenance sociale de ne pas jurer et
blasphémer Dieu dans une société où ces termes pourraient choquer et servir de
scandale pour quelques-uns des assistants.
Je n’entends pas refuser à MM. les officiers le
plaisir de jurer et de blasphémer Dieu et ses saints ; mais je désirerais
qu’ils jurent tout seuls, afin de ne point scandaliser les autres, ou qu’ils se
réunissent, à cet effet, en comité secret, autant qu’il s’en trouve de la même
opinion, et que là ils jurent et blasphèment autant qu’ils voudront.
Des prescriptions analogues aux officiers et
militaires et employés du gouvernement serviraient merveilleusement à faire
régner les bonnes mœurs, et même à améliorer le moral et l’esprit guerrier de
l’armée.
Ceci pourrait recevoir des développements plus
étendus ; mais comme je n’ai voulu que motiver mon vote, je n’entrerai point
dans de plus longs détails. Je pense que le gouvernement peut seul par de
pareilles prescriptions travailler efficacement à l’amélioration des mœurs.
M. Nothomb. -
Messieurs, la proposition qui vous est soumise, a été incidemment présentée
comme amendement par M. le ministre de l’intérieur, et votée presque séance
tenante ; aux termes de notre règlement, ceux qui l’ont adoptée n’ont émis
qu’un vote provisoire et peuvent aujourd’hui le réformer sans crainte
d’inconséquence ; ils ne feront qu’exercer un droit qu’ils s’étaient réservé.
Cette première observation m’a paru nécessaire pour mettre à l’aise tous les
amours-propres. Le reproche d’inconséquence ne se serait adressé qu’aux députés
individuellement. Il est un autre reproche plus grave qui aurait pu atteindre
la chambre entière. De scandaleuses, de menaçantes manifestations ont suivi le
premier vote ; si l’assemblée avait été appelée à procéder immédiatement au
vote définitif, elle aurait pu, en revenant sur ses pas, être accusée de
reculer devant des résistances du dehors ; une question de dignité aurait pu s’élever
; car il ne faut pas que de la rue, que du haut d’une borne, on puisse faire la
loi à la tribune politique. Mais plus d’une année s’est écoulée ; cette
assemblée a même été partiellement renouvelée ; les circonstances qui auraient
pu compromettre la liberté parlementaire sont déjà loin de nous.
La nouvelle rédaction qui nous a été communiquée à
l’ouverture de la séance, au nom de M. le ministre de l’intérieur, ne change
rien à l’état de la discussion, et je dois en faire la remarque, le conseil
entier est substitué au collège des bourgmestre et échevins : il ne s’agit que
du mode d’exercice du droit ; mais l’étendue du droit reste la même.
La proposition soulève une première question : «
Les représentations théâtrales peuvent-elles être soumises à des mesures
préventives ? »
La constitution a affranchi la presse de toute
censure, mais l’art dramatique n’est pas la presse ; le théâtre a existé et
pourrait encore exister sans la presse. L’art dramatique participe à la liberté
de la pensée, mais il l’exerce par un mode particulier qu’on ne saurait de
bonne foi assimiler à l’imprimerie : autre chose est de distribuer un écrit à
des lecteurs épars, qui se passionnent isolément et par eux-mêmes ; autre chose
de parler à la multitude réunis, de l’électriser par tous les prestiges de la
scène, de l’agiter, de l’entraîner, d’en disposer en masse. Sous ce rapport, la
pensée périodique elle-même, bien qu’elle s’adresse presque simultanément à des
milliers d’abonnés dispersés, n’égale pas en puissance l’art dramatique. Il y a
ici plus d’une manifestation d’opinion, plus qu’un écrit : il y a mise en
action de la pensée, avec toutes les illusions de la réalité.
D’ailleurs les mesures préventives à l’égard des
représentations théâtrales laissent sauve la facilité d’imprimer, de publier et
de vendre la pièce à laquelle on ferme seulement l’accès de la scène, et que
l’auteur reste libre de communiquer au public dans les limites du droit de la
presse.
Voilà ce qu’on peut dire sur la première question ;
voilà ce qu’ont dit, il y a peu de mois, à la tribune de France, des
représentants de tous les partis, M. Thiers comme M. Odillon-Barrot,
M. Sauzet comme M. de Lamartine.
« Mais dans quels cas et pour quels motifs ces
mesures préventives pourront-elles être autorisées ? »
Telle est la seconde question ; c’est ici que le
dissentiment commence, et que, non sans regret, je suis obligé de m’éloigner de
la rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur. Je me hâte de la
mettre en regard de la loi votée récemment en France ; le projet qui vous est
proposé autorise la suspension de toute représentation « contraire aux
bonnes mœurs ou à l’ordre public « .c ; l’art. 22 de la loi du 9
septembre 1835 n’autorise de suspension que « pour des motifs d’ordre
public. » Il y a là deux systèmes bien différents dans leurs principes et
leur but.
Fixons-nous d’abord sur la nature des dangers qui
peuvent résulter, pour l’ordre public, d’une représentation dramatique ; en
général, le danger n’est pas inhérent à la pièce même. Il naît des
circonstances, il naît à ces époques où l’atmosphère, en quelque sorte
électrique, vient s’enflammer aux illusions de la scène. Choisissons un exemple
célèbre : rien de moins menaçant pour un gouvernement quelconque, que l’opéra
de
Cependant, voilà la pièce qui a servi de prologue à
notre révolution ; voilà la pièce dont la régence de Bruxelles a sagement
interdit la représentation pendant les déplorables journées d’avril 1834.
Pourquoi ? parce que, dans l’une et l’autre occasion
que je rappelle, le double dénouement, la catastrophe du tribun, la catastrophe
du peuple, s’effaçait devant les préoccupations populaires ; tout le drame se
résumait dans l’insurrection triomphante. Par elle-même, la pièce que je cite
n’est donc pas de nature à troubler le bon ordre ; la représentation de cette
pièce n’a pu avoir cet effet qu’accidentellement, et, ajoutons, passagèrement.
J’en conclus qu’aucune suspension ne devrait être prononcée d’une manière indéfinie,
qu’elle devrait l’être pour un certain temps, sauf à renouveler la mesure, si
les circonstances extraordinaires se prolongeaient au-delà des premières
prévisions.
Ce sont donc en général les circonstances qui
déterminent s’il y a danger pour l’ordre public, ou non ; mais comment
reconnaîtrez-vous s’il y a danger pour les bonnes mœurs ? Je conçois qu’il
puisse y avoir des attentats si audacieux que l’indignation publique les
proclame en quelque sorte ; mais dans ces cas, très rares, il y a également atteinte
au moins indirecte à l’ordre public. Quand le fait ne se produit pas avec ce
degré d’évidence et d’unanimité, par quel principe vous guiderez-vous, quelles
limites poserez-vous ? Comment définirez-vous l’immoralité ? La tendance
immorale ou irréligieuse, la simple allusion dans laquelle l’art se complaît,
ne seront-elles pas recherchées ? Tout en votant pour la proposition, un
honorable orateur l’a déclarée inapplicable.
« On parle de moralité, disait M. Dechamps
dans votre séance du 30 novembre 1834, mais qu’est-ce ? Ecoutez les
définitions, et vous sentirez combien l’amendement de M. le ministre est peu
applicable malgré ses bonnes intentions. » La critique de la loi est dans
ce peu de mots que je m’empresse de m’approprier. Il y a peu de représentations
qu’un homme austère ne puisse incriminer. N’y a-t-il pas quelque chose de
dangereux dans la haute conception du Misanthrope
qui montre à la foule les ridicules de la vertu même ? Un seul vaudeville
échappera-t-il à la proscription du rigoriste ? Et que ferez-vous du ballet ?
Je ne parle pas des scrupules religieux ; pour proscrire le théâtre, on
consultera les philosophes et les auteurs dramatiques eux-mêmes. On exécutera
votre loi en invoquant Rousseau, qui anathématisa l’art dramatique en principe,
et qui voulut en préserver sa cité natale comme d’un fléau ; on invoquera
Racine qui finit par considérer ses premiers chefs-d’œuvre comme les péchés de
son génie.
Essayons de placer la question plus haut. Quelle
est aujourd’hui la mission du gouvernement ? A-t-il encore la direction
intellectuelle, religieuse, morale de la société ? Non ; il est chargé de la
conserver matériellement ; l’ordre public est son domaine ; hors de là, vous le
frappez d’incompétence. La direction intellectuelle, religieuse et morale est
en dehors de l’état politique ; vous l’avez ainsi voulu. A tort ou avec raison,
car je cite un fait, la société s’est crue assez forte, assez éclairée, assez
probe pour se diriger elle-même dans les voies de l’intelligence, la religion
et de la morale. C’est là ce qui caractérise les peuples modernes, c’est là ce
qui distingue spécialement
Je déplore comme vous la dégradation du théâtre, je
la déplore au nom de l’art et des mœurs ; mais je ne partage pas vos craintes ;
avez-vous perdu toute confiance en vos concitoyens ? Ceux que vous avez jugés
dignes d’être électeurs et jurés, de jouir de la liberté de la presse, de la
liberté d’association, de la liberté de l’enseignement, les jugez-vous
incapables, soit par excès d’ignorance, soit par excès de corruption, d’apprécier
une pièce de théâtre, sous le rapport du juste et de l’honnête ? Si vous avez
cette défiance, vous n’aurez point assez fait en restituant à l’autorité le
droit d’apprendre au public si telle pièce est morale ou non ; ce ne sera
qu’une première restitution, il faudra rétablir une tutelle plus large plus
générale.
Nous venons de traverser cinq orageuses années ;
sur la scène comme ailleurs, on a tout osé, car le théâtre ne pouvait faire
exception. Vous avez cité des drames fameux ; ils resteront comme monuments
historiques d’une époque de désordre littéraire, d’une époque qui a connu tous
les désordres ; combien de fois ces drames ont-ils été représentés sur les
théâtres de Belgique ? Combien de spectateurs y avait-il, et quels étaient-ils
? Si la mesure que vous demandez est indispensable, c’est que durant ces cinq
années de liberté théâtrale il y a eu sans doute d’affreux abus ? Enumérez-les.
Pour moi, j’ai assisté, et même aux premières représentations de ces drames que
vous redoutez, et c’était dans une salle presque vide ; les pièces se jouaient
pour l’amusement de quelques oisifs qui auraient pu employer plus mal leur
inutile soirée, pour l’instruction de quelques littérateurs qui veulent étudier
l’art même dans ses excès. A part toute considération de principe, je
repousserais cette partie de la disposition comme inutile ; si elle était
nécessaire, il faudrait désespérer de tous les pères de famille.
Les événements sont loin de prouver que
l’intervention du gouvernement soit nécessaire pour sauver l’art et la morale.
Qui a provoqué la réaction littéraire qui s’opère en ce moment ? N’est-ce pas
le public lui-même ? Les drames qui vous épouvantent ont disparu ou sont sur le
point de disparaître du répertoire : il y a un moyen de les y maintenir, c’est
de les proscrire par les lois ; il y a un moyen d’arrêter la salutaire réaction
qui doit ramener la littérature aux sources du vrai et du beau, c’est
d’intervenir violemment par les lois dans cette réaction qui veut être libre et
spontanée.
On objectera sans doute que la législation civile
et criminelle est restée gardienne des bonnes mœurs, que le code civil répute
non écrite toute condition contraire aux bonnes mœurs, que le code pénal punit
tout outrage public à la pudeur ; on présentera la disposition qui protège les
bonnes mœurs sur le théâtre comme un complément du code civil et du code pénal.
Il n’y a aucune contradiction entre ces codes et la mission toute matérielle
attribuée au gouvernement ; il me serait facile de montrer que nos codes sont
rédigés dans cet esprit : n’a-t-on pas écarté de la liste des crimes et délits
un grand nombre d’actions immorales frappées de peines par les anciennes lois ?
Le code civil refuse de reconnaître des droits qui auraient leur source dans
l’accomplissement d’une condition contraire aux bonnes mœurs ; il ne s’agit
point ici d’apprécier des doctrines, de préciser des tendances, de définir des
expressions ; il s’agit d’actes, consommés ou à venir, que souvent la loi
pénale ne punit plus et où la loi civile refuse de voir l’origine du droit.
Lisez la section IV, titre I, livre III du code
pénal de 1810, et comparez-en les dispositions avec les anciennes lois faites
dans des temps où le gouvernement exerçait une domination religieuse et morale
sur la société ; une foule d’actes très répréhensibles moralement sont
aujourd’hui soustraits à la répression pénale, et ceux qui s’en rendent
coupables n’en répondent plus que devant Dieu et la conscience publique : tant
il est vrai que le législateur moderne a restreint sa sphère d’action en
voulant rendre le citoyen libre, il lui laissé jusqu’au droit de n’être ni
religieux ni vertueux. On peut gémir sur cet état de choses ; mais il faut bien
le reconnaître.
Mais, dira-t-on, le théâtre
peut devenir un apostolat politique ; l’art ne sera pas le but des
représentations ; il s’agira d’inspirer aux populations ouvrières la haine de
toutes les supériorités sociales, le mépris de la religion et de ses ministres,
le mépris du droit de propriété. Si ce prétendu enseignement par le théâtre va trop
loin, usez des lois répressives, demandez-en de nouvelles ; vous aurez
d’ailleurs une disposition préventive que la majorité de cette chambre, je le
pense, ne vous contestera point, et qui vous permet de suspendre les
représentations attentatoires à l’ordre public. Les larges mesures préventives
séduisent facilement le pouvoir ; la prévention empêche indistinctement, et
dispense de toute surveillance quotidienne et de détail.
Derrière de larges dispositions préventives, le
pouvoir peut se reposer ; armé seulement de lois répressives, il faut qu’il
sorte de l’inaction en déployant un certain courage politique. Peu de mesures
préventives, de fortes mesures répressives et leur exécution rigoureuse, voilà
ce que je veux. La mauvaise presse est devenue l’épouvante des honnêtes gens,
et pourquoi ? Est-ce par le défaut de censure ? Non, c’est par l’inexécution
des lois répressives.
Cette inexécution, en se prolongeant, finira par
faire croire faussement qu’il n’y a d’autre remède que la censure, et ce serait
un malheur que de laisser s’accréditer cette opinion. L’état de la presse ne
prouve donc rien en faveur des mesures préventives, il n’atteste qu’une chose
l’absence, des dispositions répressives ou leur inexécution.
Je me résume, messieurs ; j’appuierai tout amendement
qui ramènera la proposition à de justes limites, en la bornant aux
représentations hostiles à l’ordre public ; le reste, je l’écarte comme inutile
en fait, et comme incompatible en principe avec l’esprit de nos institutions.
M. Seron. -
Messieurs, lors de la discussion, en novembre 1834, de l’article dont vous vous
occupez aujourd’hui pour la seconde fois, il s’est élevé des doutes sur la
question de savoir si les lois de l’assemblée constituante et de la convention
nationale, invoquées alors par le ministre de l’intérieur en faveur de la
censure, ont jamais été obligatoires pour
J’y trouve, en outre, un arrêté du directoire
exécutif, du 18 nivôse an V, ayant pour objet de faire jouer chaque jour au
théâtre, avant le lever de la toile, les airs chéris des républicains, tels que
Enfin, j’y trouve un autre arrêté du directoire
exécutif du 25 pluviôse an IV, auquel M. de Theux donne le nom de décret et la
date du 14 février 1796, bien que le directoire n’ait jamais eu le droit de
faire des décrets et n’en ait jamais fait, et que le 14 février 1796 ne réponde
pas au 25 pluviôse an IV. Cet arrête fait mention de la loi du 14 août 1793 ;
il parle aussi de celle du 2 août, aux termes de laquelle on jouait, de par et
pour le peuple, le jugement dernier des
rois de Sylvain Maréchal ; et conformément à l’art. 2 de cette dernière
loi, il ordonne aux municipalités de fermer les théâtres sur lesquels seraient
représentées des pièces tendantes à dépraver l’esprit public et à réveiller
« la honteuse superstition de la royauté. » Mais j’ai inutilement cherché
dans le recueil ces deux lois révolutionnaires dont le ministre de l’intérieur
étaie son opinion ; elles n’y sont pas, elles n’ont jamais été publiées ici.
Indépendamment de ces arrêtés et de ces lois, il
existe encore dans vos codes deux décrets impériaux considérés sans doute par
le ministère comme ayant force de loi ; l’un du 21 frimaire an XIV, l’autre du
8 juin 1800. Le premier attribue au commissaires généraux
de police la censure des ouvrages dramatiques et confie aux maires la police
des théâtres, en ce qui concerne seulement le maintien de l’ordre et de la
sûreté. Le second veut qu’aucune pièce ne soit jouée sans l’autorisation du
ministre de la police générale. Je ne parle pas d’un troisième décret impérial
en date du 29 juillet 1807, parce qu’il me paraît s’appliquer uniquement à la
bonne ville de Paris.
En mettant à l’écart, comme annulée, la loi du
13-19 janvier 1791, et, comme non publiées, celles du 2 et du 14 août 1793, il
resterait encore dans la législation antérieure à votre révolution des
dispositions suffisantes peut-être pour justifier la présentation de l’art. 21
du projet, si toutefois elles pouvaient s’accorder avec votre constitution. Il
faut donc voir ce que veut cette loi fondamentale. Je l’ouvre et j’y lis,
article 18 : « La presse est libre, la censure ne pourra jamais être rétablie. »
Qu’il y ait là deux propositions distinctes ou que la seconde ne soit que
l’explication ou la répétition de la première, il en résultera toujours que les
œuvres dramatiques de tout genre, les opéras, les drames, les vaudevilles, les
mélodrames, les comédies, les tragédies, sont affranchies de la censure avant
l’impression et la publication.
Quant à la censure avant la représentation, la
constitution n’en dit pas un mot. Au contraire, et je prie qu’on y fasse
attention, elle consacre expressément « la liberté pour chacun de
manifester ses opinions en toute matière. » Elle veut la répression des délits,
mais elle interdit positivement les mesures préventives. Or, la censure est
préventive, on ne peut le nier ; elle s’oppose à la libre manifestation des opinions,
elle répugne donc également à l’esprit et à la lettre de votre charte ; vous ne
pouvez donc, sans violer manifestement votre charte, adopter l’art. 21 du
projet, puisqu’il confère aux municipalités une véritable censure, en les
établissant juges de la moralité des pièces de théâtre et des cas où la
représentation devra en être défendue.
Je sais, messieurs, qu’à force de sophismes et de
subtilités on parvient à trouver dans les lois précisément le contraire de ce
qu’elles ont voulu. Le principe du huis-clos substitué à la publicité des
séances des administrations municipales en est un exemple tout récent. Mais
quand même il serait vrai que l’acte constitutionnel ne défend pas la censure
des pièces de théâtre, ce que je nie, vous ne devriez pas la consacrer par vos
lois organiques. Vous ne siégez pas ici en qualité de théologiens, vous y
siéger comme législateurs. Vous ne croyez pas avec Tertullien que la comédie
soit une invention diabolique ; pénétrés de la nature de votre mandat, vous ne
pouvez avoir l’intention de favoriser par une mesure rétrograde les vues des
éternels ennemis de la raison et du progrès qui, trouvant dans l’ignorance
l’abrutissement du peuple les moyens de le maîtriser plus facilement,
voudraient proscrire toute pièce sensée et ramener les temps d’innocence où se
célébrait la fête de l’âne, où l’on jouait les mystères et la passion.
Vous ne pensez pas que la scène moderne ait dépravé
les mœurs et perverti la société, car vous avez lu et vous ne pouvez ignorer
que nous valons beaucoup mieux que nos ancêtres. Si nous ne comprenons pas ce
qu’on n’a jamais compris, nous comprenons du moins les devoirs sociaux dont ils
n’avaient qu’une fausse idée ; nous comprenons nos devoirs d’hommes. Il est
possible que nous ne soyons par d’accord sur le dogme et sur le culte, matières
étrangères à la législation ; mais, n’en déplaise à l’honorable M. Dechamps,
nous sommes tous d’accord sur le sens des mots « erreur » et
« vérité, » toutes les fois qu’il s’agit de la morale.
Jamais les hommes n’en ont mieux entendu les
véritables principes ; jamais ils n’ont eu des notions plus exactes du juste et
de l’injuste ; j’en vois la preuve dans nos livres modernes, même dans nos
lois, malgré leurs nombreuses défectuosités. Je le dis sincèrement, au risque
d’être regardé comme infecté de la morale d’Epicure (car, après tout, Epicure
et ses sectateurs étaient d’honnêtes gens ; Cicéron, Sénèque le moraliste et
Diogène Laërte l’ont affirmé, et l’ouvrage de l’abbé Lebatteux
n’a pas démontré le contraire), leur morale était pure ; ils croyaient que le
méchant ne peut être heureux ; et, par méchant, ils entendaient celui qui
observe la loi par crainte et qui la transgresse par goût. Ils recommandaient
la frugalité ; ils disaient que le simple pain, l’eau simple sont des mets
délicieux pour quiconque attend le moment de l’appétit. Suivant eux, le sage
n’a aucun commerce avec la femme qui lui est interdite par les lois ; il aime
les spectacles du théâtre et s’y plaît plus que les autres. Enfin, Epicure,
accusé par ses ennemis d’être trop livré à la volupté, n’a de voix, dit
Cicéron, que pour nous crier qu’on ne peut vivre heureux sans être prudent,
honnête et juste, ni être prudent, honnête et juste sans être heureux.
On voudrait ressusciter le bon vieux temps : mais
quel fanatique insensé pourrait préférer à ces préceptes la maxime d’un père de
l’église enseignant que, de droit divin, tout appartient aux fidèles ; que les
infidèles ne possèdent rien légitimement, qu’il faut persécuter les hérétiques
et les contraindre à la foi orthodoxe, ou bien les exterminer ?
Maxime horrible, d’où naquirent l’inquisition et
les guerres religieuses, et dont, à la honte de l’humanité, était imbu ce pape,
ce père des chrétiens, qui rendit à Dieu de solennelles actions de grâce à l’occasion
du massacre de
Vous voulez que la révolution tourne au profit du
peuple et surtout qu’il devienne meilleur, plus ami de l’ordre et des lois, en
un mot plus vertueux. Faites donc qu’il s’instruise, car la vertu n’est autre
chose que la raison développée ; favorisez les représentations théâtrales ;
elles ne peuvent que l’éclairer, lui inculquer de bons principes, le corriger
de ses défauts, de ses vices, adoucir ses mœurs, l’éloigner des cabarets et des
lieux de débauche ; elles contribueront puissamment à son éducation. Ne
permettez pas que des ignorants, des hommes à sots préjugés, proscrivent les
chefs-d’œuvre de la scène. On a parlé de pièces immorales ! croyez
que le public en fera lui-même justice si vous vous en rapportez à son bon
sens. Mais en est-il auxquelles on puisse donner cette qualification ? En
est-il une seule, sans excepter, même
En confiant la censure aux administrations locales,
il arrivera que la même pièce jugée morale dans telle commune sera trouvée
immorale dans telle autre, suivant le degré d’instruction, le discernement et
les préjugés des examinateurs. Ainsi la loi ne sera pas exécutée partout de la
même manière. M. le ministre de la justice a beau dire : « Il n’y aura
qu’une seule loi, » je croirai avec l’honorable M. Jullien qu’il y aura
autant de lois que de municipalités, puisque la loi ne sera autre chose que la
volonté de l’homme. Pour qu’il n’y eût qu’une seule loi, il faudrait faire
partir la censure d’un point unique et central, comme du temps de Bonaparte,
dont, au reste, je suis loin d’admirer et de vouloir faire revivre les
institutions antilibérale.
Nous avons, j’en conviens, beaucoup trop de pièces
dans le genre romantique et atroce. Les dévots feignent d’en avoir peur et de
vouloir les proscrire. Mais au fond, ce qu’ils craignent, c’est le Tartufe de Molière, ce sont les pièces
tendantes à démasquer les cafards, les hypocrites et les charlatans ; c’est de
voir, dans un spectacle profane, des costumes qu’ils vénèrent comme sacrés, et
devant lesquels ils se prosternent.
Quoi qu’il en soit, les goûts du public changent,
et les pièces romantiques tomberont si le genre est mauvais, comme il est
permis de le croire. Mais, en attendant, devez-vous, dans une loi durable de sa
nature, vous occuper de leur existence éphémère ? Si les magistrats qui les
jugeront contraires aux mœurs sont autorisés à en interdire la représentation,
craignez que la défense de les jouer n’amène dans la commune le désordre que
vous voulez prévenir.
Quant aux pièces politiques, les allusions
auxquelles elles peuvent prêter ne causeront jamais de révolution. Personne ne
croira sans doute que la représentation de
Il suffit donc de charger les officiers municipaux
de la seule police de sûreté, comme l’avait voulu l’assemblée constituante par
la loi des 13-19 janvier 1791, loi ayant pour objet de rendre nuls dans celle
du 16 août 1790 les effets de l’article 4 du titre 2, que le gouvernement
soutient être encore en vigueur à l’heure qu’il est. Ainsi, je laisserais
subsister dans votre loi communale cette partie de l’article 21 du projet,
portant : « La police des spectacles appartient au collège des bourgmestre
et échevins, » et j’en retrancherais le surplus.
On ferait sur cette matière un long traité. Mais la
question a déjà été discutée dans la séance de novembre 1834, et il me
suffisait d’énoncer sommairement mon opinion et de dire quelques mots au sujet
des assertions fort singulières avancées alors à cette tribune, et auxquelles
personne n’avait répondu.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.