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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du lundi 23 mars 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi relatif aux pensions civiques
3) Projet
de loi portant organisation des communes.
a) Motion
d’ordre sur le procès-verbal de la séance précédente (Dumortier,
Dubus, de Theux, Ernst,
Dumortier, de Theux, Dubus, de Theux, Pirson,
Dubus, Jullien, Dumortier, Donny)
b) Incident relatif à la validité du vote
émis par un député sur la motion d’ordre (+indépendance des
députés-fonctionnaires et banque de Belgique) (Dumortier,
Milcamps, Liedts, Seron, Jullien)
4) Projet de
loi relatif à l’exploitation du chemin de fer
5) Projet de loi portant organisation
des communes.
b) Incident relatif à la validité du vote
émis par un député sur la motion d’ordre (+indépendance des
députés-fonctionnaires et banque de Belgique) (Desmet, Dubus, Jullien, Dumortier,
Gendebien, Dumortier)
c) Ordre des
travaux par suite de la prise en compte de la motion d’ordre (Dumortier, de Theux, Dubus, H. Dellafaille, de Theux)
6) Projet de
loi portant un transfert au budget des non-valeurs pour l’exercice 1831
7) Fixation de
l’ordre des travaux de la chambre (loi communale) (de Theux,
Dumortier, Jullien)
(Moniteur belge n°83, du 24 mars 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
LECTURE DU PROCES-VERBAL
M.
Brixhe donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; M.
Dumortier écoute attentivement ; aucune réclamation ne s’élève immédiatement
contre la rédaction de cet acte.
______________
M.
de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Les sieurs M.-F.
Servaes, Van Sonters et Van de Wiele, fabricants de coton imprimé, demandent la
prohibition des tissus de coton imprimés étrangers. »
________________
« Le conseil de régence
de la ville de Verviers demande que cette commune soit remboursée de la somme
de 80,000 fl. de Liége, pour construction de la chaussée de Verviers à Theux,
reprise par l’Etat. »
________________
« Le sieur Van
Regemortel, d’Anvers, demande le paiement de la somme de 700 fl. qui lui
revient pour pertes essuyées par le bombardement. »
________________
« Le vicomte Dutoit de Steuren-Ambacht
demande une augmentation du subside trimestriel qu’il reçoit à titre de
traitement d’attente. »
- Ces pétitions sont renvoyées
à la commission spéciale.
________________
Par divers messages le sénat
annonce avoir adopté : 1° le projet de loi contenant le budget des dépenses du
ministère des finances pour l’exercice 1835 ; 2° le projet de loi relatif aux
remplacements militaires ; 3° le projet de loi contenant le budget des
restitutions et non-valeurs.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
PENSIONS CIVIQUES
M. Olislagers, organe d’une section centrale, dépose
sur le bureau un rapport sur les pensions civiques.
- L’impression et la
distribution de ce rapport sont ordonnées.
M.
Dumortier. - Je viens d’entendre la lecture du procès-verbal ; il y est
parlé de la proposition faite dans la dernière séance par M. le ministre de
l'intérieur, mais on n’a pas donné lecture de cette proposition ; je demanderai
qu’elle soit lue à l’assemblée.
M. le
président. - Voici la proposition que M. le ministre de l’intérieur a
déposée sur le bureau :
« J’ai l’honneur de
proposer à la chambre de diviser le projet de loi sur l’organisation communale
en deux projets, dont le premier comprendrait le titre sur l’organisation du
corps communal et les dispositions transitoires, et dont le second comprendrait
les autres titres relatifs aux attributions et à l’administration. » .
M.
Dumortier. - Je viens d’entendre, dans la proposition du ministre, des
mots que je n’avais pas entendus dans la séance de samedi. D’après ce qu’on
vient de lire, le ministre de l’intérieur aurait demande que l’on fît deux lois
de la loi communale, dont la première serait composée de l’organisation du
personnel et des dispositions transitoires ; mais je n’ai pas entendu un mot
samedi dernier de ce qui était relatif aux dispositions transitoires.
Quelques voix. - Si ! si !
M. Dumortier. - Dans la discussion, rien n’a
été dit qui portât à faire croire qu’il en serait ainsi. Vous avez de plus
remarqué que le ministre n’avait pas déposé sa proposition sur le bureau.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Elle a été déposée pendant le cours de la discussion.
M.
Dumortier. - On n’a pas donné lecture d’une motion écrite, et je
maintiens qu’il n’a pas été question de dispositions transitoires ; et je
m’oppose à ce que l’on insère dans le procès-verbal une chose dont on n’a pas
parlé.
M. Dubus. - J’avais été frappé d’une idée dans
la dernière séance, c’est que la loi d’organisation du personnel ne serait
exécutée avant la loi sur les attributions. On n’avait pas parlé de
dispositions transitoires. Je les examine maintenant ; elles ont pour objet
l’exécution immédiate de la loi. L’art. 152 du projet de loi communale dit que
les conseils communaux sont renouvelés intégralement dans l’année de la
promulgation de la présente loi. Lorsque la motion du ministre nous a été
présenté, on nous assurait que l’exécution de la première partie de la loi
n’aurait pas lieu avant la seconde, de sorte qu’avec les dispositions
transitoires, on arrivera à un but différent. Je serais fort étonné que la
plupart des membres de cette assemblée n’eussent pas fait attention à cette
idée, présentée à différentes reprises par le ministre de l’intérieur, qu’il
serait inséré dans la loi un article d’après lequel l’exécution de la première
partie serait suspendue jusqu’à l’adoption de la partie relative aux
attributions.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Messieurs, au moyen d’une simple explication nous serons tous entièrement
d’accord. Je ne m’opposerai pas comme je l’ai dit dans la dernière séance, à ce
que l’on mette dans la première loi qu’elle ne sera pas exécutée avant la
seconde. Je n’ai pas changé un seul mot à la motion que j’ai faite. Les
dispositions transitoires appartiennent essentiellement à la première loi, à la
loi sur le personnel ; et je ne rétracte pas la première déclaration que j’ai
faite. Il n’y a là-dedans aucune espèce de malentendu.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je
voulais présenter à l’assemblée les observations que vient de lui soumettre mon
honorable collège M. le ministre de l'intérieur. J’ajouterai, toutefois, que,
malgré les dénégations de M. Dumortier, la proposition a été lue samedi, à
haute voix, non seulement une fois, mais deux fois, de sorte que la chambre ne
peut avoir de doute à cet égard.
Quelques membres. - Oui ! oui !
M.
Dumortier. - Quant à moi je dois déclarer de la manière la plus
formelle que je n’ai pas entendu un mot de cette proposition. J’ai même fait
remarquer à l’assemblée qu’il était insolite de discuter sur une motion qui
n’avait pas été déposée sur le bureau. Si la lecture en a été donné, c’est au
milieu du bruit. Quoi qu’il en soit, jamais dans le cours de la discussion, il
n’a été question d’une proposition semblable à celle que l’on présente
actuellement. Voici comment le ministre s’est exprimé. J’en appelle sur ce
point au Moniteur.
« M. le ministre de l’intérieur. - Arrivés au titre des attributions
communales, nous avons cru devoir, mes collègues et moi, examiner quelle serait
la marche à suivre relativement à la discussion de ce titre. Il nous a paru
qu’il était impossible de se fixer convenablement sur cette marche aussi
longtemps que les trois branches du pouvoir législatif n’étaient pas tombées
d’accord sur l’organisation du personnel de l’administration municipale. C’est
d’après le système qui sera consacré pour l’organisation du personnel, qu’il
faudra déterminer les attributions, soit qu’on adopte le système du projet du
gouvernement, soit qu’on y substitue un système nouveau. Pour arriver à ce
résultat, il nous a donc paru qu’il serait à désirer que la chambre suspendît
la discussion du titre des attributions, jusqu’à ce que les trois branches du
pouvoir législatif fussent tombées d’accord sur le titre relatif à
l’organisation du personnel. Une fois d’accord sur ce titre, rien ne serait
plus facile que de se mettre d’accord sur les attributions ; le règlement de
ces attributions découlerait naturellement des principes adoptés pour
l’organisation du personnel.
« En conséquence, j’ai
l’honneur de proposer à la chambre d’ajourner la discussion du titre des
attributions jusqu’à ce que le sénat ait été appelé à délibérer sur le titre
relatif à l’organisation du personnel. Il s’agirait de diviser la loi en deux
parties, dont l’une aurait pour objet l’organisation du personnel, l’autre
l’organisation des attributions de l’administration communale.
« La motion d’ordre que
j’ai l’honneur de présenter à la chambre n’a aucun caractère politique. Si la
chambre voulait lier ces deux lois de manière que l’une ne pût être exécutée
qu’avec l’autre, le gouvernement ne s’opposerait en aucune manière à une
proposition faite dans ce but. Mais nous pensons qu’il est impossible de
discuter avec fruit les attributions avant d’être fixé d’une manière définitive
sur l’organisation du personnel.
« M. le président. - M. le ministre propose d’ajourner la discussion
du titre II de la loi communale et de faire une loi séparée du titre Ier
relatif à l’organisation du personnel, en consentant à ce qu’on y mette cette
clause que la loi relative au personnel n’aurait d’effet qu’autant que celle
relative aux attributions serait également adoptée. »
Voilà ce qui s’est dit dans la
dernière séance, et assurément, MM. les sténographes ont rendu un compte exact
de ce qui s’est passé. Qu’on ait donné lecture de la proposition, je n’en
disconviens pas : mais quant à moi je n’ai pas pensé qu’on mettrait les dispositions
transitoires dans la première loi. J’ai fait remarquer cela positivement à mes
honorables collègues ; et j’en ai été convaincu par les paroles du ministre, et
par celles du président. Je ferai observer à l’assemblée qu’il ne faut pas
adopter légèrement la motion du ministre de l’intérieur.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Elle a été adoptée samedi.
M.
Dumortier. - Nous verrons si elle a été adoptée.
On nous propose de renvoyer la
première partie de la loi au sénat ; mais ce renvoi est une mystification, car
le sénat s’est ajourné. Que résulte-t-il de la motion ? C’est que nos travaux
sont interrompus ; et cela est tellement vrai, que s’il n’y avait pas à l’ordre
du jour la motion concernant l’honorable M. Davignon, nous n’aurions rien à
faire.
Je le répète, je déclare que
je n’ai pas entendu dans le cours de la discussion, qu’il eût été question des
dispositions transitoires, soit dans la bouche des organes du gouvernement,
soit dans la bouche de M. le président.
Je ferai remarquer en outre que si la motion était admise maintenant et comme
on la présente, elle aurait une portée bien autrement grande que celle que nous
avons discutée à la dernière séance…
M. le
président. - Il ne s’agit pas de discuter au fond la motion du ministre
; elle a été mise aux voix samedi dernier, il en a été donné lecture, elle a
été adoptée…
M.
Dumortier. - Si la proposition a été lue, c’est au milieu du bruit.
J’adjure mes collègues de dire s’ils l’ont entendue...
Quelques membres. - Nous
l’avons entendue.
M. le
président. - Lecture de la proposition a été donnée.
M.
Dumortier. - Je ne sais pourquoi on m’interrompt toujours quand je
parle.
M. le
président. - Vous discutez au fond, et c’est pour cela que je vous
interromps.
M.
Dumortier. - Je suis dans la question. Je dis que jusqu’au dernier moment
la discussion de la séance d’avant-hier a roulé sur une proposition présentée
par M. le ministre de l'intérieur où il ne s’agissait nullement d’ajouter les
dispositions transitoires au titre Ier dont on voulait faire une loi séparée.
Je ne veux pas que l’on établisse dans le procès-verbal une disposition que
personne n’a comprise de cette manière, une disposition qui aurait une portée
immense, puisque d’après le titre de la loi les élections se font au mois
d’octobre ou de novembre et que les bourgmestres et les échevins entrent en
fonctions le 1er janvier suivant, tandis qu’en vertu d’une disposition
transitoire il est dérogé à cette règle pour la première mise à exécution de la
loi communale, On autorise le gouvernement à procéder aux élections immédiatement
après la promulgation de la loi.
si la proposition de M. le
ministre restait conçue telle que le procès-verbal la mentionne, il en
résulterait que nous aurions une loi sur le personnel avant d’avoir la loi sur
les attributions. C’est ce que personne n’a entendu dans cette enceinte.
Rappelez-vous, messieurs, ce
qui a eu lieu en France. L’on a séparé la loi du personnel des autorités
municipales de celle des attributions.
Je répète
que je n’ai pas entendu la proposition de M. le ministre de l’intérieur dans le
sens que lui donne le procès-verbal. J’adjure ceux de mes honorables membres
qui ont pris part à la discussion de déclarer s’ils ont compris la motion de M.
le ministre comme elle se trouve rédigée au procès-verbal dont il vient de nous
être donné lecture.
M. le président. - Je déclare à l’assemblée que
j’ai lu avant-hier à haute voix et à plusieurs reprises la proposition de M. le
ministre de l'intérieur telle qu’elle se trouve consignée au procès-verbal.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- La déclaration que vient de faire notre honorable président doit suffire. Le
procès-verbal d’ailleurs en fait foi ; puis tout ce que vient de dire
l’honorable M. Dumortier est absolument sans objet après la déclaration que
j’ai faite dans la séance d’avant-hier que je ne m’opposerais pas à ce que l’on
insérât dans le titre Ier de la loi un article d’après lequel la première
partie de la loi d’organisation communale ne pourrait être mise à exécution
avant la seconde. Je ne conçois plus à quoi peuvent tendre les observations de
l’honorable préopinant. Au fond, il n’y a pas dans ma proposition, telle
qu’elle a été insérée au procès-verbal, un seul mot qui soit en opposition avec
le développement que j’y ai donné.
J’ai demandé que l’on divisât
la loi communale en deux parties, l’une sur le personnel, l’autre sur les
attributions.
Quant aux
dispositions transitoires, comme elles se rapportent au titre Ier, il fallait
bien qu’on les y ajoutât du moment que l’on était d’accord sur la séparation
des deux titres. C’est ce que la chambre a admis.
Je réitère que je ne me suis
jamais opposé à ce que l’on ne pût mettre à exécution la première partie de la
loi sans la seconde, et que par conséquent il n’y a pas de but dans les
observations du préopinant.
M.
Dubus. - M. le ministre de l’intérieur a débuté par dire que le
procès-verbal devait faire foi de la proposition qu’il a déposée dans la séance
d’avant-hier. Le procès-verbal ne fera foi que quand il aura été adopté par
l’assemblée. C’est précisément pour qu’il soit rectifié dans le cas où il
présenterait des inexactitudes que l’adoption en est mise aux voix au
commencement de chaque séance.
Au reste, les observations de
M. le ministre prouvent que la motion de mon honorable ami était tout à fait
nécessaire. Car remarquez que la déclaration que vient de réitérer M. le
ministre de l’intérieur est en opposition formelle avec les dispositions
transitoires, tellement que si ces dispositions devaient recevoir des
modifications, ce serait à cause de cette même déclaration. Dans le
procès-verbal dont il nous a été donné lecture, l’on rappelle la motion de M.
le ministre, mais l’on n’y fait pas mention de sa déclaration, de telle manière
qu’il en résulterait que les dispositions transitoires feront partie du premier
titre, et l’on passe sous silence la garantie que nous donne la déclaration
réitérée tout à l’heure par M. le ministre que les deux titres seront mis en
même temps à exécution. Il y a tout au moins omission dans la rédaction du
procès-verbal.
L’on répond à nos observations
que la motion de M. le ministre a été lue plusieurs fois à haute voix. Ce n’est
pas par une raison semblable que l’on peut trancher une question de cette
nature. Il y a ici une question de bonne foi. Chaque membre a voté d’après le
résultat de la discussion. Nous devons penser que pour que chacun de nous ait
émis son vote, il faut qu’il ait écouté attentivement les débats.
Eh bien,
je le demande, dans tout le cours de la discussion a-t-il été dit un seul mot
sur les dispositions transitoires ? Au contraire, la déclaration faite par M.
le ministre de l’intérieur qu’il acceptait l’insertion dans le titre premier
d’un article nouveau en vertu duquel les deux titres devraient être
simultanément promulgués a été répétée à satiété, tout exprès pour faire
impression sur vos esprits.
Pour terminer, je demande,
afin que le vote émis dans la séance (en supposant qu’il soit valide) n’ait pas
des conséquences que nous n’avons pas voulu lui donner, qu’il soit pris acte au
procès-verbal de la déclaration de M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Il n’y a pas eu d’omissions au procès-verbal de la séance d’avant-hier. La
déclaration que j’ai réitérée aujourd’hui, je l’ai faite à plusieurs reprises
dans la séance d’avant-hier. Personne n’en a demandé l’insertion au
procès-verbal. Le bureau n’avait aucune mention à faire de cette déclaration
puisqu’elle n’avait pas fait l’objet d’un article spécial.
Il n’y aurait lieu d’insérer
une déclaration au procès-verbal que si aujourd’hui un membre de cette
assemblée en faisait la proposition spéciale.
Il n’y a
aucune opposition entre l’article dont j’ai admis l’insertion dans le titre
premier et les dispositions transitoires. Car celles-ci ne recevront leur
exécution qu’en même temps que les deux titres seront promulgués, de telle
manière que si ma proposition stipule l’adjonction des dispositions
transitoires au titre premier, c’est pour une simple mesure d’ordre.
Si quelque membre désire que
ma déclaration soit insérée au procès-verbal, je n’ai aucune raison pour m’y
opposer. Mais je le répète, il n’y a aucun but dans les discours que vous venez
d’entendre.
M. Pirson. - Il résulte de la déclaration bien
formelle de M. le ministre de l'intérieur, qu’il consent à ce que le titre Ier
de la loi communale ne soit pas mis à exécution avant le titre II.
Il n’y a donc aucun
inconvénient à adjoindre les dispositions transitoires au titre premier.
Cependant, je ne peux disconvenir, puisque l’honorable M. Dumortier a
interpellé la chambre que je n’avais pas entendu qu’il fût question par M. le
ministre des dispositions transitoires.
Il n’y aurait pas même
d’inconvénient à ce que l’article dont M. le ministre de l’intérieur admet
l’insertion ne fût pas ajouté au titre premier. En effet, la chambre
transmettra le titre premier au sénat. Le sénat l’adoptera, ou y fera des
changements. S’il l’adopte tel que vous l’avez voté, vous ne devez pas craindre
qu’il soit mis à exécution avant le titre II, puisque ce sera l’expression de
votre système. Si le sénat y fait des changements, la loi vous sera renvoyée et
vous serez libres de statuer ultérieurement ce que vous voudrez. De quelque
côté que l’on envisage la question, elle ne peut présenter un seul
inconvénient.
M.
Dubus. - M. le ministre de l’intérieur prétend qu’il n’y a rien de
contraire dans les dispositions transitoires à l’article nouveau en vertu
duquel les deux titres de la loi communale devraient être simultanément mis à
exécution.
Il est dans l’erreur. Les
dispositions transitoires dérogent pour la première installation des conseils
aux délais fixés dans le titre Ier. Quel était le but de la motion d’ordre de
M. le ministre ? C’était de mettre d’accord les trois branches du pouvoir
législatif sur le système du personnel avant que la chambre des représentants
n’aborde un système sur les attributions. Or, de quelle manière la troisième
branche du pouvoir législatif annonce-t-elle qu’elle est d’accord avec les deux
autres ? C’est en promulguant la loi.
Puis cette promulgation
rapprocherait les délais fixés par le titre Ier, vous voyez donc qu’il y a
contradiction formelle entre les dispositions transitoires et l’article
nouveau, auquel se rallie M. le ministre de l’intérieur.
M. le
ministre de l’intérieur nous répond à cela : Proposez qu’il soit fait mention
de ma déclaration au procès-verbal. Mais sa motion d’ordre n’est pas même
admise, puisque le débat soulevé vers la fin de la séance d’avant-hier n’a pas
été vidé.
Je ne pourrais faire de
proposition que très conditionnellement, moi qui me suis très formellement
prononcé contre la motion d’ordre. Il suffit que nous soyons d’accord sur ce
point, que quand nous introduisons des amendements aux dispositions
transitoires, comme conséquence de l’article admis par M. le ministre, l’on ne
viendra pas nous répondre par la question préalable.
M.
Jullien. - Je demande à l’honorable M. Dumortier s’il propose une
rectification au procès-verbal. Nous discutons depuis trois quart d’heures bien
inutilement. L’on peut résumer la question en peu de mots, et prouver que l’on
a fait du bruit pour bien peu de chose.
Il n’était pas question des
dispositions transitoires dans la motion d’ordre dont la discussion a fait
l’objet des débats de la séance d’avant-hier, dit l’honorable M. Dumortier. A cela M. le président
répond que la motion d’ordre a été déposée sur le bureau, qu’il en a été donné
lecture par lui, et que cette motion était telle qu’elle se trouve mentionnée
au procès-verbal. Quelle est la réponse de M. Dumortier ? Je n’ai pas entendu
la lecture, je n’ai pas compris qu’il fût question des dispositions
transitoires. La déclaration faite par notre honorable président, qu’il a lu la
motion à haute et intelligible voix, doit nous suffire pour que nous soyons
convaincus que la proposition de M. le ministre de l'intérieur comprenait les
dispositions transitoires. (Oui, oui.)
Je vais plus loin. Elle ne les eût pas renfermées d’une manière explicite,
qu’elle les eût comprises implicitement. En effet, en demandant de diviser la
loi en deux titres, il fallait nécessairement rattacher au titre premier les
dispositions transitoires qui s’y rapportent et qui n’en peuvent être scindées.
Ainsi lorsque l’on a discuté la motion de M. le ministre, on a dû avoir
également en vue les dispositions transitoires.
Lorsque
l’on demande la parole sur le procès-verbal, ce n’est jamais que pour y
introduire des rectifications. Que l’honorable M. Dumortier en formule une.
Sinon, tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de voter l’adoption du
procès-verbal.
M.
Dumortier. - Il était nécessaire de provoquer une explication sur la
rédaction du procès-verbal. Du moment que M. le ministre de l’intérieur
déclare...
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Il l’a déclaré avant-hier.
M.
Dumortier. - Je prie M. le ministre de ne pas m’interrompre. Je ne sais
pas pourquoi chaque fois que je me lève pour parler, je trouve de l’opposition
de la part de MM. les ministres.
MM. les ministres, lorsqu’ils
présentent une proposition, se dispensent d’une formalité que leur impose le
règlement. Nous tous, membres de cette assemblée, nous sommes obligés de
déposer sur le bureau les propositions que nous faisons. Si, dès le principe de
la discussion, M. le ministre s’était soumis à cette obligation, la question
que j’ai soulevée aujourd’hui ne l’aurait pas été. J’invite MM. les ministres à
déposer dorénavant leurs propositions par écrit sur le bureau, afin que nous ne
soyons plus surpris dans nos votes.
Je déclare itérativement que
je n’ai pas entendu qu’un seul mot ait été prononcé sur l’adjonction des
dispositions transitoires au titre Ier. Je défie, le Moniteur à la main, que l’on trouve un seul mot qui s’y rattache.
Je crois, maintenant que la question est éclaircie, qu’il y lieu de passer
outre.
M. le président. - Je fais exécuter le règlement
par tous les membres indistinctement. Mais je suis bien obligé d’accorder à MM.
les ministres le temps d’écrire leur proposition comme je l’accorde à MM. les
membres de cette assemblée. Je ne me rappelle pas bien à quel moment M. le
ministre de l’intérieur m’a transmis sa motion d’ordre.
Je crois que c’est vers le
milieu de la discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- En effet c’est vers le milieu de la discussion.
M.
Dumortier. - Je n’étais pas présent au commencement de la discussion.
J’ai demandé la lecture de la motion d’ordre.
M.
Donny. - La déclaration de M. le président, que la proposition dont il
s’agit a été lue telle qu’elle se trouve au procès-verbal, doit être pour
l’assemblée une preuve légale de ce fait. Cependant comme l’honorable M. Pirson
a déclaré qu’il n’avait pas entendu qu’il fût question des dispositions
transitoires dans la motion de M. le ministre, je me lève pour déclarer que,
dans la séance d’avant-hier, j’ai écouté attentivement la lecture de la motion.
M.
Pirson. - J’en ai aussi entendu la lecture.
M.
Donny. - Et que j’ai tellement bien entendu qu’il y était parlé des
dispositions transitoires, que je me suis dit que M. le ministre avait
probablement entendu de la sorte sa motion primitive, afin que l’assemblée eût
l’occasion d’insérer dans ces dispositions transitoires un article nouveau pour
assurer la promulgation simultanée de toutes les parties de l’organisation
communale. Je me suis dit que l’on faisait très bien d’en agir ainsi, attendu
que plusieurs membres avaient soutenu qu’aux termes du règlement, il était
impossible d’ajouter un pareil article nouveau au titre premier.
- La rédaction du
procès-verbal est mise aux voix et adoptée.
M. le
président. - La discussion continue sur la validité du dernier vote
émis dans la séance d’avant-hier, validité qui a été contestée par M. Dumortier. Aucune proposition. n’a
été déposée sur le bureau. (Hilarité.)
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Que M. Dumortier dépose sa
proposition.
M.
Dumortier. - La proposition que j’ai faite est simple. Je n’y mettrai
pas de subterfuge. Je n’ajouterai pas un mot à ce que j’ai dit dans la séance
de samedi. M. Davignon a accepté des fonctions salariées, donc aux termes de la
constitution il a cessé de faire partie de la chambre. Je suis fort étonné que
MM. les ministres, qui se sont abstenus de présenter leur proposition me
fassent la guerre parce que je n’ai pas déposé la mienne.
M.
Jullien. - Il faut savoir sur quoi nous délibérons.
M. Dumortier. - Je soumettrai à la chambre une
proposition improvisée. Elle ne sera pas méditée, celle-ci.
M. le
président. - Voici la proposition de M. Dumortier :
« Aux termes de l’article 36
de la constitution, je propose de déclarer nul le vote affirmatif émis dans la
séance d’avant-hier par M. Davignon, nommé par le Roi l’un des administrateurs
de la banque de Belgique. »
M.
Milcamps. - L’honorable M. Davignon a été appelé par le Roi aux
fonctions d’administrateur de la banque de Belgique avec jouissance d’un
traitement annuel de 6,000 francs, et il a accepté ces fonctions : ce sont là
des faits que nous devons tenir pour constants.
Dans la séance de samedi on a
prétendu que l’article 36 de la constitution lui était applicable. Cet article
porte : « Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres, nommé par le
gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger,
et est soumis à une nouvelle élection. »
On rencontre, a-t-on dit, dans
la nomination de l’honorable M. Davignon, toutes les conditions qu’exige le
texte de cet article pour soumettre cet honorable membre à une nouvelle
élection : nomination par le Roi à un emploi salarié, et acceptation de cet
emploi. Ici, a-t-on ajouté, le texte de l’article est d’accord avec son esprit.
On n’ignore pas que la réélection d’un membre de l’une des deux chambres est
fondée sur la crainte qu’en acceptant un emploi du gouvernement, ce membre
n’ait plus ou moins aliéné son indépendance. On a voulu que les électeurs fussent
appelés à se prononcer à cet égard.
On a répondu que l’article 36
de la constitution ne s’entendait que d’un emploi public, civil ou militaire,
d’emplois d’administration générale ou de ceux conférés en vertu de la
disposition expresse d’une loi ; et on a argumenté des articles 6 et 66 de la
constitution.
Il faut d’abord reconnaître
que jusqu’ici on n’a fait qu’effleurer la matière, et je suis bien aise que
l’examen de la question ait été remis à ce jour.
Ce n’est pas que j’aie
l’intention d’y donner de grands développements, je n’ai que celle d’émettre
une opinion motivée.
Dans mon opinion l’article 36
de la constitution doit s’interpréter d’après les articles 6 et 66.
L’article 6 déclare que les
Belges seuls sont admissibles aux emplois civils ou militaires ; c’est déjà
assez dire que dans l’ordre politique, ou si l’on veut dans l’ordre
constitutionnel, on ne reconnaît que deux sortes d’emplois.
L’article 66 porte, alinéa
premier : « Le Roi confère les grades dans l’armée. » - 2. « Il
nomme aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions établies par les
lois. - Il ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la disposition expresse
d’une loi. »
Il est évident que la
nomination de l’honorable M. Davignon ne rentre ni dans l’article 6, ni dans les
deux premiers paragraphes de l’article 66 de la constitution.
La banque de Belgique est une
société anonyme. M. Davignon est actionnaire et administrateur de la société.
La société est exclusivement
investie tout à la fois de la propriété et de son exercice. Les actionnaires
pourront être appelés à en profiter, si un bénéfice résulte en définitive de
l’opération qui fait l’objet du contrat ; les administrateurs sont appelés à
participer à la gestion des affaires de la société ; en d’autres termes, ils sont
les mandataires de la société, ils ne sont en aucune manière les agents du
gouvernement.
Il ne s’agit donc pas là d’un
emploi qui rentre dans l’art. 6 et dans les deux premiers paragraphes de
l’article 66 de la constitution.
Mais l’emploi d’administrateur
de la banque ne tombe-t-il pas dans le dernier paragraphe de l’article 66 de la
constitution ?
Ici, on ne manquera pas sans
doute d’invoquer l’article 37 du code de commerce, portant : « La société
anonyme ne. peut exister qu’avec l’autorisation du gouvernement et avec son
approbation pour l’acte qui la constitue. Cette approbation doit être donnée
dans la forme prescrite par les règlements d’administration publique. »
Avant cet article et aux termes de la loi du 4 août 1793, les sociétés anonymes
ne pouvaient exister qu’en vertu d’un acte du pouvoir législatif. C’est ce
pouvoir que l’article
Je n’examine pas si cet
article est encore en vigueur : en le supposant, dira-t-on, que c’est en vertu
d’une loi que le Roi a agi ?
L’art. 37 donne au
gouvernement le pouvoir, non seulement d’autoriser l’établissement des sociétés
anonymes, mais encore d’en approuver les statuts.
Que l’art. 37 donne au gouvernement le pouvoir d’autoriser
l’établissement des sociétés anonymes, d’en approuver les statuts, je le
concède ; mais qu’il lui donne celui de nommer les administrateurs de ces
sociétés, c’est ce que je nie. L’approbation est exigée dans l’intérêt public,
afin de s’assurer des ressources de la société, d’examiner la nature de ses
opérations, si les conditions n’en sont pas contraires aux lois ; mais l’art.
37 ne confère nullement au Roi la nomination des administrateurs, il n’a eu
cette nomination que par la loi des parties. C’est un emploi privé.
Mais si la nomination de M.
Davignon ne tombe dans le cas d’aucun des articles 6 et 66 de la constitution,
il me semble qu’il n’y a pas lieu à lui appliquer l’art. 36.
J’ai
entendu objecter que l’art. 36 parlait d’emploi salarié en général, et que
quand la loi ne distingue pas, l’homme ne peut pas distinguer.
Mais cette maxime s’entend
dans le sens qu’il ne doit être fait aucune exception à la loi, à moins qu’elle
ne soit tirée de la loi même ou de son esprit. Or, c’est de la constitution
elle-même, des articles 6 et 66 que nous tirons la conséquence que l’art. 36
n’est applicable qu’aux emplois civils ou militaires dont il est fait mention
dans les art.6 et 66 ; je voterai en conséquence contre la proposition de
déclarer que l’honorable M. Davignon est soumis à une réélection.
M.
Liedts. - A la dernière séance il a été décidé à la majorité de 34 voix
contre 33 que la loi communale serait scindée et que le titre relatif à
l’organisation du personnel formerait une loi spéciale.
Cette décision n’ayant été
prise qu’à la majorité d’une voix, il devient important de savoir si M.
Davignon, nommé récemment administrateur de la banque de Belgique avec un
traitement de 6,000 fr., n’avait pas cessé de faire partie de la chambre, et si
le vote de cet honorable membre est ou n’est pas nul.
Quelque regret que j’éprouve
d’avoir vu prendre par cette assemblée une décision qui me forcera de
m’abstenir dans le vote sur la première partie de la loi communale, ce ne sera
jamais aux dépens de la constitution que je voudrais voir triompher mon opinion,
et je croirais violer cette loi suprême si je décidais que la nomination de M.
Davignon, comme administrateur de la banque de Belgique, le soumet à une
nouvelle élection.
J’arrive à l’examen de la
question.
L’article 36 de la
constitution porte : « Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres,
nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte, cesse
immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle
élection. »
Pour que cet article reçoive
son application, il faut, comme vous voyez, que trois conditions concourent :
La première, qu’un membre de
l’une ou de des deux chambres accepte un emploi.
La deuxième, que cet emploi
soit salarié.
La troisième, que cet emploi
salarié lui ait été conféré par le gouvernement.
Après avoir réfléchi à cette
question, il m’a paru, messieurs, que jusqu’ici aucun membre ne l’avait
présentée sous son véritable point de vue, et qu’il est aisé de vous prouver.
D’abord, que le Roi en nommant
M. Davignon administrateur de la banque de Belgique, n’a agi et n’a pu agir que
comme homme privé, comme simple citoyen, et qu’il ne l’a pas fait ni pu faire
comme chef du gouvernement ou du pouvoir exécutif ;
Que par conséquent M. Davignon
n’a reçu aucune nomination du gouvernement.
En second lieu que si cette
nomination émanait du gouvernement elle serait évidemment nulle, et non avenue
comme inconstitutionnelle.
Et que partant, dans aucune
hypothèse M. Davignon ne doit se soumettre à une nouvelle élection.
Quoique le Roi soit le chef du
gouvernement, tout acte émanant du Roi n’est pas un acte du gouvernement.
Un roi constitutionnel doit
être considéré sous deux rapports : comme chef du pouvoir exécutif, et comme
personne privée. Le Roi, comme chef de l’Etat, est le mandataire du peuple ; tous
les actes qu’il fait en cette qualité doivent être contresignés par un ministre
; ce n’est qu’à cette condition que sa personne est sacrée et inviolable.
En cette qualité, il jouit de
certaines prérogatives et a certains devoirs à remplir. Ces droits et ces
devoirs sont fixés par la constitution.
Un roi constitutionnel comme
personne civile, comme homme privé et abstraction faite de sa qualité de chef
du gouvernement, a les mêmes droits et les mêmes devoirs que le droit naturel,
dans les limites des lois positives, reconnu
ou imposé à tous les hommes.
Il dispose de sa personne et
de ses biens, fait toute espèce de conventions, comme les autres citoyens, sans
responsabilité devant la représentation nationale, et par conséquent sans
contreseing ministériel.
Voilà donc une division
nettement tracée entre les actes du Roi, division qu’on ne saurait méconnaître
sans tomber dans les conséquences les plus absurdes, les plus bizarres, les
plus inconstitutionnelles, et dans certaines circonstances données, les plus
nuisibles au trésor.
Si le Roi agit comme
mandataire de la nation, s’il fait un acte d’administration, s’il stipule dans
l’intérêt général, sa personne est inviolable et l’acte est contresigné par un
ministre, qui par cela même s’en rend responsable, parce qu’il en est censé le
conseiller ; c’est un acte du gouvernement. Dans tous les autres cas, ses actes
ne sont plus soumis à la censure des chambres, puisqu’il n’agit pas comme
mandataire de la nation, et partant plus de contreseing ministériel.
Et remarquez, messieurs, que
ce n’est et ne peut être la forme donnée aux actes qui les caractérise, mais
que leur nature se détermine d’après leurs stipulations et leur substance. De
sorte que si le chef de l’Etat statuait sur un objet d’intérêt général par un acte
dépourvu du contreseing ministériel, ce serait en vain qu’on prétendrait que
cet acte n’émane pas du Roi comme chef de l’Etat ; on répondrait avec succès
que comme il s’agit d’un objet qui se rattache à l’administration du pays,
l’acte aux termes de l’art. 64 de la constitution est nul et ne peut produire
aucun effet, n’étant pas contresigné par un ministre.
De même, si le Roi nomme ou
destitue un employé de la liste civile, cet acte, fût-il par erreur contresigné
par un ministre, ne constituerait pas un acte gouvernemental, mais un acte
d’homme privé, de simple citoyen, et comme tel serait en dehors de la censure
des chambres, parce que le Roi, en disposant de ses revenus, qu’on est convenu
d’appeler liste civile, n’agit pas comme chef du gouvernement, mais comme
simple citoyen.
Cette division entre des actes
émanant du Roi une fois admise, examinons dans quelle catégorie se classe
l’arrêté qui nomme M. Davignon administrateur de la banque de Belgique ;
voyons, en d’autres termes, si c’est un acte du gouvernement, ou si, au
contraire, ce n’est pas un acte fait par le Roi, comme homme privé.
L’article 37 du code de
commerce porte : « La société anonyme ne peut exister qu’avec
l’autorisation du gouvernement et avec son approbation pour l’acte qui la
constitue. »
Quelle est la part que le Roi,
comme chef du gouvernement, prend à la formation des sociétés commerciales,
connues sous le nom de sociétés anonymes ? L’art. 37 répond à la question :
cette part consiste à voir si les statuts ne sont pas un piège tendu à la bonne
foi des citoyens, et si l’intérêt général n’est pas blessé par les clauses de
ces statuts, et par conséquent, comme le dit l’art. 37, à approuver l’acte qui
constitue la société. » Voilà, messieurs, la part et la seule part que les lois
accordent au gouvernement dans la constitution des sociétés anonymes, et je
défie de citer d’autres lois qui accordent au gouvernement des droits plus
étendus.
Mais est-ce à dire pour cela
que les sociétaires qui ont confiance dans les qualités personnelles du Roi,
qui le croient placé trop haut pour être accessible aux petites passions
d’intérêt, ne puissent, de leur plein gré, constituer le Roi personnellement
juge d’autres questions ?
Evidemment non ; seulement les
décisions du Roi sur ces points ne seront et ne sauraient être des actes, des
actes de gouvernement, mais seront des actes privés.
Je dis que ce ne sauraient
être des actes de gouvernement ; et en effet, il serait souverainement
dangereux d’admettre en principe que des citoyens peuvent, de leur propre
mouvement, conférer au gouvernement la collation d’emplois, ou la décision de
questions qui engageraient la responsabilité du ministère devant la chambre ;
au contraire rien ne s’oppose à ce que des particuliers, par leurs conventions,
confèrent au Roi, comme homme privé, et comme ils le feraient à tout autre
citoyen, des droits qu’il n’avait pas sans cette convention et qui ne
concernent que leurs intérêts privés.
Et pour rendre ceci plus
palpable par un exemple, supposons qu’un différend s’élève entre deux citoyens,
et que, par la confiance que leur inspirent les lumières et l’esprit d’équité
du prince, ils conviennent de le constituer amiable compositeur de leur
différend, rien ne s’oppose à ce que le Roi comme homme privé accepte cette
délégation ; et c’est ce que Guillaume a fait pour deux de ses chambellans qui
avaient un procès d’importance.
Mais ces parties litigantes
pourraient-elles également déléguer celte juridiction volontaire au Roi, comme
chef du gouvernement, et par conséquent avec le contreseing ministériel et
responsable devant les chambres ? Il serait ridicule de le supposer, et
personne, je pense, ne viendra le soutenir dans cette assemblée.
Ce que deux citoyens ne
sauraient pas faire, n’est pas permis davantage à une société de commerce.
Cette société doit soumettre
ses statuts à l’approbation du chef du gouvernement ; mais là se bornent les
droits et les devoirs du gouvernement du Roi ; si la société voulait soumettre
au gouvernement la nomination de ses administrateurs, ou le constituer juge des
différends qui peuvent naître à l’occasion de la société, elle ne le pourrait
pas, et si elle le faisait, le gouvernement devrait le refuser à cette
délégation.
Mais si la société au lieu de
laisser le choix des administrateurs aux actionnaires, veut bien abdiquer ce
droit et le déférer, avec ou sans présentation du candidats, au Roi
personnellement et comme homme privé, rien ne s’y oppose ; c’est une marque de
déférence et d’estime pour le Roi, et en même temps une garantie d’impartialité
pour les actionnaires. La société peut faire cette délégation au Roi, comme
elle le peut au président de cette chambre, comme elle le peut à chacun de
nous.
Il est donc prouvé, messieurs,
que la nomination des administrateurs de la banque de Belgique a été faite par
le Roi personnellement et non comme chef du gouvernement ; en d’autres termes,
que cette nomination n’est et ne peut être un acte de gouvernement, et par
conséquent que M. Davignon n’a reçu aucune nomination du gouvernement.
Je ne m’arrête pas là, messieurs,
et je ne suis pas seulement convaincu que M. Davignon ne tient pas sa
nomination du gouvernement, mais je soutiens de plus que si cette nomination
émanait du gouvernement, elle serait inconstitutionnelle et partant nulle aux
yeux des représentants du pays.
En effet, rappelez-vous la
disposition de l’art. 66 de la constitution, ainsi conçu :
« Le Roi confère les
grades dans l’armée et nomme aux emplois d’administration générale, et de
relation extérieure, saut les exceptions établies par la loi.
« Il ne nomme à d’autres
emplois qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi. »
Evidemment la place
d’administrateur ne rentre dans aucun des emplois énumérés au premier alinéa de
l’article, et par conséquent, si la nomination émanait du gouvernement, celui-ci
n’aurait pu y procéder qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi.
Or, cette loi où est-elle ?
Nulle part, et jamais un législateur n’a été assez mal avisé pour permettre au
gouvernement du Roi de s’immiscer dans la nomination des administrateurs d’une
société de commerce.
Le gouvernement proprement dit
n’aurait donc pu procéder à cette nomination qu’en violant ouvertement l’art.
66 de la constitution.
Je poserai donc aux
adversaires de mon opinion, s’il peut y en avoir, ce dilemme :
Ou bien la nomination des
administrateurs de la banque de Belgique a été déférée au Roi personnellement,
ce qui me paraît évident ; dans ce cas, M. Davignon, n’ayant reçu aucune
nomination du gouvernement n’est pas soumis à une réélection ;
Ou bien la nomination émane du
gouvernement, et dans ce cas sa nomination est inconstitutionnelle, nulle et
comme non avenue à notre égard.
Ce qui pourrait peut-être
faire croire à quelques-uns que la nomination est un acte du gouvernement,
c’est qu’elle est contresignée par un ministre.
Mais cette circonstance ne
change en rien la question ; je l’ai déjà dit, ce n’est pas la forme qui
détermine la nature de l’acte, c’est sa substance, et ce contreseing, qui ne
peut en aucune manière changer la substance de l’acte, prouve uniquement que le
ministre signataire n’est pas très familier avec les principes du droit
constitutionnel.
C’est ainsi que la nomination
du grand chambellan de la cour, par exemple ne changerait pas de nature si elle
était, par erreur, contresignée par un ministre ; elle ne deviendrait pas pour
cela un acte du gouvernement et n’en resterait pas moins un acte du Roi, comme
homme privé, sans soumettre à une réélection le membre de la chambre qui
accepterait ce poste salarié.
si, contre mon attente, les
doctrines que je viens d’exposer venaient à échouer devant cette chambre, on
consacrerait implicitement le principe le plus absurde.
Supposons, pour me borner à un
seul exemple, que deux souverains d’autres pays constituent notre Roi arbitre
d’un différend existant entre eux, et qui, s’il ne se vidait pas à l’amiable,
pourrait devenir une cause légitime de guerre entre les deux peuples (et
remarquez que cette hypothèse n’est pas inventée à plaisir et que le roi
Guillaume a été de cette manière constitué arbitre), cette délégation qui ne
saurait été faite à notre gouvernement, mais bien au Roi, comme homme privé,
cette délégation est acceptée et le Roi décide le différend ; mais un ministre
peu instruit des doctrines constitutionnelles contresigne la décision ; ce
contreseing, apposé par erreur, ou si l’on veut par ignorance, change-t-il la
nature de l’acte ? En aucune façon ; la décision restera un acte privé, et l’on
pourra sans doute reprocher au ministre de l’avoir contresigné, mais non pas
débattre devant les chambres la décision même, le bien ou mal jugé. Voilà ce
qui arriverait cependant, voilà la responsabilité morale que la représentation
nationale serait appelée à partager, si l’acte pouvait être considéré comme
acte gouvernemental.
En résumé donc, messieurs, la
nomination de M. Davignon est, si vous voulez, une faveur du Roi
personnellement, mais non pas un acte, une faveur du gouvernement ; et par
conséquent, aux termes de l’article 36 de la constitution, il n’est pas soumis
à une nouvelle élection.
Que si vous
considérez sa nomination comme un acte du gouvernement, outre le principe
dangereux que vous consacrez, vous décidez implicitement que sa nomination est
inconstitutionnelle, et comme telle, nulle et non avenue pour nous, puisqu’aux
termes de l’art. 66, le gouvernement ne pourrait faire de semblables
nominations qu’en vertu d’une loi expresse, loi qui n’existe pas.
Ainsi, dans aucun cas, notre
collègue M. Davignon ne doit se soumettre à une nouvelle élection et la seule
irrégularité qui se rencontre dans toute cette affaire, c’est le contreseing du
ministre. C’est dans ce sens que je voterai.
M.
Seron. - Messieurs, je ne prends la parole qu’afin de motiver mon
opinion dans une question où nous devons tous voir la loi et non l’homme, où
d’ailleurs mes passions ni mon intérêt ne m’aveugleront pas ; car, en vérité,
je n’ai nulle raison de désirer que M. Davignon cesse, même momentanément, de
faire partie de cette chambre.
Naguère, les ministres
s’attachaient à chercher dans la constitution des dispositions que le congrès
n’a jamais eu l’intention d’y faire entrer. Ils étaient parvenus à y trouver
d’abord l’ordre civil dont elle ne dit pas un mot. Ensuite, et pour frapper
d’extradition ou d’expulsion des étrangers dont la présence ici leur déplaisait
ou portait ombrage à sa majesté le roi Philippe, ils y ont découvert, malgré un
texte explicitement et positivement prohibitif, le pouvoir de faire revivre, de
leur autorité, une législation exceptionnelle, née dans des temps de troubles
et tombée depuis longtemps en désuétude. Enfin, tout récemment ils ont prétendu
que la constitution ne faisait pas obstacle à ce que le Roi nommât les
échevins, tandis qu’elle en confère l’élection directe au peuple. Mais comme
cette loi fondamentale doit être dans leurs mains un glaive à deux tranchants,
après y avoir vu ce qui ne s’y trouve pas, maintenant ils ne veulent pas y
voir, ils prétendent en effacer ce qui s’y trouve réellement.
Il y a quelques jours, M.
Davignon a été nommé par le Roi administrateur de la nouvelle banque, aux
appointements de six mille francs par année que cette banque lui paie, et dans
lequel l’Etat n’entre pour rien. M. Davignon a cru devoir accepter.
L’article 36 de la
constitution dit : « Le membre de l’une ou de l’autre chambre, nommé par le
gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger,
et ne reprend ses fonction qu’en vertu d’une nouvelle élection. » Or, le
Roi c’est le gouvernement ; M. Davignon a été nommé par le gouvernement à un emploi
salarié ; il l’a accepté ; il doit donc cesser de siéger ici, jusqu’à ce que le
peuple l’ait réélu.
Qu’opposent les ministres à un
raisonnement si simple ? Ils disent : Vous ne pouvez appliquer ici l’article
36, car les fonctions d’administrateur de la nouvelle banque ne sont pas
salariées par l’Etat, elles ne sont pas un emploi.
Voulez-vous savoir ce que la constitution entend par le mot ? Lisez le second
alinéa de son article 6 ; vous y verrez qu’elle ne connaît pas d’autres emplois
que les emplois civils et militaires, et l’emploi de M. Davignon n’est ni
militaire ni civil.
Mais, messieurs, l’article 36
n’a aucun rapport avec l’art. 6. L’article 36 ne fait pas de distinction. Il
s’applique à tout député nommé par le gouvernement à un emploi quelconque, si
d’ailleurs l’emploi est salarié et si le député l’accepte.
Cette interprétation est
indubitablement conforme à l’esprit de votre charte constitutionnelle. Quelle a
été, en effet, l’intention de ses auteurs ? Connaissant la fragilité humaine,
il ont regardé les faveurs du gouvernement comme pouvant exercer sur la
conduite d’un représentant et sur ses votes une influence préjudiciable à la
chose publique, à la liberté. Ils ont pensé que ces faveurs le plaçaient dans
un véritable état de suspicion envers ses mandants. Ils ont voulu que, dans une
semblable circonstance, on soumît aux électeurs cette question : « L’homme
que vous aviez nommé a-t-il, par sa nouvelle position, cessé de mérité votre
confiance ? » Ils ont voulu que les électeurs la décidassent. S’il en
était autrement, l’article 36 n’aurait plus de sens ni d’objet. Or, que
l’emploi d’administrateur de la nouvelle banque soit salarié par la banque et
non par l’Etat ; que le Roi y nomme directement ou sur une liste de candidats,
il n’importe ; ce n’en est pas moins une place lucrative, une faveur que le
gouvernement accorde et qu’il pouvait refuser, une faveur qui rend celui qui la
reçoit l’obligé du gouvernement.
Sans
doute, on ne me fera pas l’objection de dire : Maintenant que la nomination est
faite, l’influence du gouvernement cesse : où est la nécessité d’une nouvelle
élection ? On ne me fera pas cette objection, ; car la nomination par le Roi
aux fonctions inamovibles de la judicature ne soustrait pas les membres de la
chambre qui les acceptent à l’application de l’article 36 de la constitution.
Ainsi, dans la question
présente, je partage l’opinion de l’honorable M. Dumortier, ce qui ne m’arrive
pas toujours, et je voterai en faveur de sa motion.
M.
Jullien. - Messieurs, la question qui vous est soumise est celle de
savoir si l’honorable M. Davignon, nommé par le Roi comme administrateur de la
banque de Belgique, doit cesser immédiatement les fonctions de député ; en
d’autres termes, si l’art. 36 de la constitution lui est applicable.
Il est de principe que les
incapacités, les exclusions, les prescriptions sont ce qu’on appelle de strict
droit, c’est-à-dire qu’on ne peut jamais les étendre d un cas à un autre.
Encore une chose
incontestable, c’est que les articles d’une loi constitutionnelle ou autre
doivent être interprétés l’un par l’autre.
C’est d’après ces principes,
que j’ose dire être élémentaires, que je vais examiner la question qui concerne
l’honorable M. Davignon.
Messieurs, il est difficile,
en parlant sur cette question, de ne pas reproduire les arguments que vous avez
déjà entendus et surtout ceux de l’honorable M. Liedts ; car quand des hommes
qui se connaissent en législation discutent les principes et les conséquences
d’une loi, il faut de toute nécessité qu’ils se rencontrent.
J’examine donc la question
d’après les principes que je viens de poser.
Voyons d’abord l’art. 36 :
« Le membre de l’une ou de
l’autre des deux chambres, nommé par le gouvernement à un emploi salarié, qu’il
accepte, cesse immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu
d’une nouvelle élection. »
Si vous voulez savoir ce que
la loi constitutionnelle entend par le mot emploi,
il faut, puisque tous les articles d’une loi doivent s’interpréter les uns par
les autres, il faut recourir à ce que dit l’art. 6 de la même loi et l’art. 66.
Quand nous aurons rapproché ces deux articles, nous aurons fixé le sens de la
loi, ce que la constitution entend par le mot emploi.
L’art. 6 dit : « Il n’y a
dans l’Etat aucune distinction d’ordres. Les Belges sont égaux devant la loi ;
seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les
exceptions qui peuvent être établies par une loi, pour des cas
particuliers. »
Ainsi, à l’art. 36, il est
question d’emplois sans autre désignation ; à l’art. 6, il est question
d’emplois civils et militaires, et à l’art. 66, il est dit :
« Le Roi confère les
grades dans l’armée.
« Il nomme aux emplois
d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions
établies par les lois.
« Il ne nomme à d’autres
emplois qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi. »
Il me semble qu’en consultant
toute l’économie de cette loi, il est impossible de ne pas tirer cette
conséquence que le législateur a entendu par le mot emploi une fonction civile
ou militaire, un grade dans l’armée, un emploi d’administration générale ou de
relation extérieure, enfin une fonction publique. Je suis prêt à me rendre à
des observations qui pourraient prouver le contraire. Mais je crois que c’est
inutilement que nous les attendrons. Voilà comment la constitution entend et
proclame ce que c’est qu’un emploi.
Maintenant, l’emploi conféré à
M. Davignon est-il un emploi public, civil ou militaire, un emploi
d’administration générale ou de relation extérieure ? Assurément non. Je crois
qu’il a déjà été prouvé dans l’argumentation très serrée de l’honorable M.
Liedts que tel n’était pas le caractère de l’emploi auquel a été nommé M.
Davignon. Est-ce le gouvernement qui a nommé ? On nous a démontré également que
ce ne pouvait être que le Roi. Mais, dit l’honorable M. Seron, le Roi, c’est le
gouvernement. Et moi, je dis : Le Roi, ce n’est pas le gouvernement. Le Roi et
les ministres sont le gouvernement. Le ministres sont responsables. Le Roi ne
l’est pas. M. Seron sait aussi bien que moi qu’un des premiers principes
constitutionnels est que le Roi règne et ne gouverne pas.
Cette maxime, je crois, est
plus constitutionnelle que celle que vient de proclamer M. Seron : Le Roi,
c’est le gouvernement.
Eh bien, il est impossible de
dire que c’est le gouvernement qui a conféré à M. Davignon la place
d’administrateur de la banque ; le gouvernement, comme on l’a prouvé, ne le
pouvait pas.
Examinez les conséquences de
l’art. 36 :
« Le Roi confère les grades
dans l’armée. Il nomme aux emplois d’administration générale et de relation
extérieure, sauf les exceptions établies par les lois.
« Il ne nomme à d’autres
emplois (faites bien attention à cette disposition : il ne nomme à d’autres
emplois) qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi. »
Il n’y aurait pas d’autre
disposition que celle-là, qu’elle suffirait pour décider toute la contestation.
Il ne nomme à d’autres emplois que ceux désignés au paragraphe précédent qu’en
vertu d’une disposition expresse.
Où est la loi qui établit une
banque de Belgique ? Où est la loi qui établit que le Roi nomme aux fonctions
de directeur et d’administrateur de cette banque, avec 6,000 fr.
d’appointements pour l’administrateur et un traitement plus considérable pour le
directeur ? Si vous ne me montrez pas cette loi, je conclurai qu’il est
impossible de considérer la nomination de M. Davignon comme devant le soumettre
à une réélection. Car ou bien l’emploi conféré par le Roi à M. Davignon, n’est
pas un emploi dans le sens constitutionnel, ou, si vous pouvez le considérer
comme un emploi de cette nature, la nomination est nulle. Vous ne pouvez pas
échapper à ce dilemme. Et vous savez que ce qui est nul ne peut avoir aucun
effet.
Eh bien, le Roi en serait pour
avoir nommé M. Davignon à un emploi auquel il n’avait pas le droit de le
nommer, il serait toujours vrai que constitutionnellement la nomination faite,
si tant était qu’on pût l’envisager comme un emploi public, que cette
nomination serait nulle, radicalement nulle. Voilà deux conditions qui viennent
d’être examinées, la qualification de l’emploi et la capacité dans la personne
du Roi de le conférer. Il y a une autre condition, c’est que l’emploi soit
salarié. Il ne s’agit pas seulement dans le sens constitutionnel d’une faveur
honorifique. Comme l’argent est ce qu’il y a de plus positif, on a voulu que le
traitement fût attaché à l’emploi, pour produire l’incapacité. La nomination
même à des emplois publics, s’il n’y a pas de traitement attaché à l’emploi, si
ce n’est qu’une faveur, une distinction honorifique, ne produit pas
d’incapacité dans la personne du député qui en est l’objet. C’est le salaire,
le traitement qui se semble mettre celui à qui on a donné l’emploi dans la
dépendance du gouvernement. C’est avec de l’argent qu’on gouverne les hommes ;
on se les attache beaucoup mieux par ce moyen qu’avec de simples faveurs.
M. Davignon est-il salarié par
une caisse publique ? il est tout uniment un actionnaire dans la société
anonyme dite la banque de Belgique, où il a versé ses fonds. C’est la société
qui le paie, et cette société est une société particulière. Il se paie
lui-même, comme membre de cette société, y ayant versé des fonds.
Je vous demande si vous pouvez
considérer le salaire ou le traitement attribué à cet administrateur comme un
salaire payé par la caisse de l’Etat, par une caisse publique, comme la
constitution a voulu l’entendre. Si l’Etat ne fournit rien, où est donc le
grand motif d’inquiétude du législateur dans la nomination conférée par le Roi
? Vous voyez qu’outre le droit de nomination et la qualification de l’emploi,
la dépense du traitement accordé à celui qui est investi de cet emploi, doit
être prise sur une caisse publique. Or, M. Davignon ne reçoit aucun traitement
d’une caisse publique. Il reçoit son traitement de la société dont il est
lui-même membre.
On a fait encore valoir, à la
dernière séance un argument que je reproduis ici : si le Roi avait nommé un
étranger ? Il pouvait se faire qu’un étranger fît partie des actionnaires de la
banque, je crois même qu’il y a des étrangers parmi les actionnaires. Qui eût
empêché la société de proposer au Roi comme administrateur un étranger qui,
réunissant beaucoup de confiance, de crédit et de capitaux, aurait présenté les
avantages qu’on a trouvés dans M. Davignon ? Et qui eût empêché le Roi de
nommer cet étranger administrateur ? Cependant, vous venez de voir dans
l’article 6 que les Belges seuls sont admissibles aux emplois : pourra-t-il
nommer un étranger ? Pensez-vous que cette nomination serait faite en violation
de la constitution ? Non, vous êtes obligés de reconnaître que cette nomination
d’un étranger ne violerait en aucune manière la constitution.
Enfin, pour que la chambre
connaisse toute la portée de l’opinion que j’émets dans cette question, je
déclare que je considère la nomination de M. Davignon comme le résultat de la
déférence d’une société qui veut bien soumettre à l’approbation du souverain
comme homme le choix qu’elle-même vient de faire. Vous avez une multitude de
sociétés scientifiques, de sociétés d’artistes et d’amusements : si dans une de
ces sociétés il plaisait de déférer à l’approbation du Roi le choix de son
président, de son chef (car nous avons des sociétés où il y a un Roi, un chef
homme, où il y a des distinctions dont s’honorent ceux à qui elles sont
conférées, où il y a même des individus rémunérés pour remplir certaines
fonctions), si, dis-je, il plaisait à quelqu’une de ces sociétés de demander au
Roi de choisir son chef, et que ce chef fût rétribué et que l’individu choisi
fût membre de la chambre, direz-vous qu’il doit cesser de siéger ?
C’est la mène chose ici. La
société de la banque de Belgique est une société particulière. Et ce n’est pas
sans raison qu’elle en a agi ainsi, elle a pensé que le patronage du Roi pourrait
augmenter son crédit. Cela n’est pas défendu. La société s’est dit, en
demandant au Roi de nommer le directeur et les administrateurs, nous
inspirerons plus de confiance. C’est tout naturel. Je pense en effet que cette
démarche ne lui a pas été inutile.
Mais cela affecte-t-il votre
système constitutionnel, de ce que le Roi a agi comme gouvernement, tandis
qu’il ne devait agir que comme personne royale, comme particulier, comme
individu ? Non ; tout ce que je vois, c’est qu’il y a une grande imprudence
dans le contreseing donné à la nomination de M. Davignon et des autres
administrateurs et du directeur.
D’après l’art. 37, en le
supposant en vigueur (je n’ai pas à m’expliquer sur ce point, c’est une autre
question qui nous mènerait fort loin) ; mais, d’après l’article 37 qui est le
droit commun, le gouvernement n’a d’autre droit que d’examiner les statuts
d’une société anonyme pour voir s’ils sont de nature à affecter le crédit
public ou le crédit particulier, c’est-à-dire si ces statuts, comme ceux de
telles et telles sociétés anonymes qui ont paru à différentes époques, ne sont
pas de nature à entraîner la ruine des individus qui y ont confiance, à porter
la perturbation dans la fortune de l’Etat et dans la fortune des particuliers.
Alors le gouvernement autorise ou n’autorise pas la formation de la société. Là
se borne son pouvoir : accorder en connaissance de cause ou refuser
l’autorisation. En nommant dans une société anonyme le directeur et les
administrateurs, je crains qu’on ne doive passer pour s’être immiscé dans la
gestion de cette société.
S’il arrivait en cas
d’insuccès qu’on invoquât la responsabilité de ceux qui se seraient ingérés
dans cette administration, je crains très fort qu’on ne puisse avec raison
demander les effets de la responsabilité qu’on aurait imprudemment prise à soi,
lorsque, d’après la loi, on devait se borner à un simple acte d’autorisation ou
de refus. Ceci n’a aucune portée sur la question.
Une fureur de banque a fait
sortir tous les capitaux, l’entreprise a été favorablement accueillie ; mais
qu’une panique vienne tout à coup, que les événements politiques surviennent
qui jettent de l’inquiétude parmi les porteurs des billets de banque qui vont
être émis, nous verrons répéter ce qui s’est passé en Angleterre : chaque viendra
demander son argent et s’il s’élève des cris de réprobation parce que la banque
ne paiera pas ses dettes à jour, le gouvernement ou plutôt ceux qui auront
donné leur assentiment, leur attache à l’établissement dont ils ne pouvaient se
mêler en aucune manière, si ce n’est que pour donner ou refuser l’autorisation
demandée par la société, pourront voir leur responsabilité compromise.
Je borne là ces observations
que je crois de nature à jeter un grand jour sur la question. Mon opinion est
faite, je voterai contre toute proposition qui aurait pour but d’obliger
l’honorable M. Davignon à se soumettre à une réélection.
PROJET DE LOI RELATIF A L’EXPLOITATION DU CHEMIN DE FER
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je demande la parole pour la présentation d’un projet de loi.
Ce projet est relatif à
l’exploitation du chemin de fer.
Plusieurs membres. - L’impression ! l’impression !
- La chambre donne acte à M.
le ministre de l'intérieur de la présentation du projet de loi qui vient d’être
déposé sur le bureau.
Ce projet et les motifs qui
l’accompagnent seront distribués et renvoyés à l’examen des sections.
M.
Desmet. - Messieurs, c’est aussi pour motiver mon vote que je prends la
parole ; car, dans une question personnelle, il ne paraît toujours dangereux de
ne pas faire connaître les motifs de son vote.
Si M. Ch. de Brouckere ou un
de ses amis a conçu le projet de la nouvelle banque, connue sous le nom de
banque de Belgique, il n’est pas moins certain que c’est le gouvernement qui
l’a érigée, et qu’elle a été constituée sous sa direction.
Les statuts ont été approuvés
par l’arrêté royal du 12 février, donné sur le rapport du conseil des ministres
et contresigné par le ministre des finances.
Par cet arrêté le Roi stipule
qu’on est strictement obligé d’observer les statuts qu’il a approuvés ; que si
on les violait ou n’observait pas, la société cesserait d’exister légalement.
Il y est aussi stipulé que le
Roi nomme le directeur et les administrateurs.
C’est le gouvernement qui a
chargé M. Ch. de Brouckere de recueillir les premières souscriptions pour
former la société.
Et ce fut par arrête royal du
24 février que M. Ch. de Brouckere fut nommé directeur de la nouvelle banque ;
et à ce sujet, voici ce qu’on trouve dans le discours que M. de Brouckere a
prononcé au Waux-Hall :
« Le Roi, disait-il,
m’honora d’une nouvelle preuve de confiance en m’appelant aux. fonctions de
directeur de la banque de Belgique. »
L’acte de constitution de la
nouvelle banque, après avoir été passé par devant notaire, reçut la sanction du
Roi, et à cette sanction royale fut joint le mandat que le Roi donna à M. de
Brouckere de faire le dépôt de l’acte.
Il est donc évident que la
nouvelle banque n’est point une institution purement particulière ; on pourrait
même dire qu’elle n’est pas mixte (particulière et gouvernementale), mais on pourrait
facilement soutenir qu’elle est purement gouvernementale ; car, comme nous
venons de le dire, c’est le gouvernement qui, par lui seul, l’a érigée ; c’est
le gouvernement qui a arrêté les statuts ; c’est le gouvernement qui a
sanctionné l’acte de constitution ; c’est lui seul qui l’a dirigée, qui nomme
le directeur et les administrateurs, et c’est un arrêté royal qui règle le mode
comment les administrateurs seront nommés.
Les administrateurs sont
évidemment des employés nommés par le gouvernement, et ils devaient
nécessairement l’être ; car, d’après l’arrêté royal du 12 février, ces
administrateurs ne sont pas seulement les employés de la nouvelle banque, leur
emploi ne consiste pas seulement à diriger les affaires de la banque, mais ils
y sont les agents du gouvernement ; de concert avec le directeur, ils doivent
veiller à ce que les statuts que le gouvernement a prescrits à la nouvelle
banque, soient observés en exécution de l’arrêté royal du 12 février.
Il est clair comme le jour que
les administrateurs remplissent un emploi et qu’ils le tiennent du
gouvernement.
Celui qui voudrait en douter
devrait commencer par nier l’existence de l’arrêté royal du 12 février, et les
administrateurs sont tellement sous la dépendance du gouvernement qu’il peut
les révoquer quand il s’apercevra que les statuts approuvés n’auront pas été
strictement observés et que les administrateurs manquent à leur mandat.
L’emploi des administrateurs est aussi salarié, car il procure à ces
fonctionnaires un joli traitement de 6,000 fr. par an.
Que peut-on donc exiger de
plus pour être infiniment convaincu que les administrateurs de la banque de
Belgique tombent entièrement dans les termes de l’article 36 de votre
constitution ?
Si on voulait dans ce cas-ci
encore bénévolement douter de la clarté du texte constitutionnel, je pense que
nous ferions beaucoup mieux, pour éviter ces scandales continuels, d’être
parjures à notre serment, de déchirer le pacte et d’en jeter les lambeaux au
feu ; car, au lieu d’être l’égide des droits de la nation, il en deviendra tout
à l’heure l’arme la plus dangereuse pour les anéantir.
Que veut l’article 36 ? Que
si, pendant le temps que vous siégez à la chambre, vous acceptez un emploi
lucratif du gouvernement, votre mandat de représentant cesse au moment même de
l’acceptation de l’emploi, et que, pour pouvoir revenir à la chambre, vous
devez être réélus.
C’est-à-dire que pendant le
temps que vous siégez à la chambre, si vous êtes favorisés d’un emploi lucratif
du gouvernement, il y a un soupçon, une suspicion légale qui plane sur vous et
qui donne le droit à vos commettants de douter si vous avez conservé cette
indépendance que vous aviez au moment qu’ils vous ont élu. C’est pourquoi la
constitution a voulu que dès que vous auriez accepté cette place, votre mandat
vînt à cesser, et que vous fussiez soumis à une réélection, si vous vouliez
revenir siéger dans cette assemblée.
Qui pourrait donc douter que
le cas présent est celui que la constitution prévoit ? L’honorable M. Davignon
a accepté la place d’administrateur de la banque de Belgique que le Roi lui a
conférée, et cette fonction est lucrative, car elle rapporte 6,000 fr. par an.
On vous a cité des
antécédents, et entre autres celui de l’honorable M. Corbisier, qui, étant
appelé à la place de secrétaire de la chambre de commerce de Mons, a dû subir
la réélection.
Cependant, messieurs,
l’institution des chambres de commerce est beaucoup moins gouvernementale que
celle de la nouvelle banque de Belgique. Que sont-elles les chambres de
commerce ? Ce sont des assemblées des principaux marchands et négociants d’une
ville, lesquels traitent ensemble des affaires de leur commerce.
L’établissement des chambres
de commerce fut ordonné par un arrêté, celui du 5 nivôse an III.
Cet arrêté porte que ces
assemblées de commerçants seront composés de 15 ou de 9 membres, selon la
population des villes où elles se forment.
Il stipule qu’elles seront les
fonctions qui sont attribuées aux chambres de commerce, et de quelle manière
les membres en seront nommés. Mais veuillez prendre attention ici que les
membres ne sont pas nommés par le gouvernement ; ils sont choisis par les
principaux négociants de l’endroit, et tout ce que fait le gouvernement, c’est
que le ministère approuve la nomination faite par l’assemblée des négociants.
Les greffiers des chambres de
commerce sont à la vérité nommés par le gouvernement, mais ils sont beaucoup
moins agents du gouvernement que les administrateurs de la nouvelle banque de
Belgique, car l’établissement près duquel le greffier tient la plume est
indubitablement beaucoup moins public que celui de la nouvelle banque.
Si donc,
pour une place qui est beaucoup moins dans la dépendance du gouvernement, vous
avez jugé applicable la disposition de l’article 36, je ne sais pas comment
vous pourrez donner aujourd’hui une décision contraire, sans tomber dans la
plus absurde contradiction ; vous ne pourrez en sortir sans faire la
déclaration formelle que vous avez deux poids et deux mesures, et que vous
violez et observez la constitution d’après votre bon plaisir et d’après les
convenances du moment. Cependant, messieurs, quand une législature commence à
avoir si peu de respect pour la constitution du pays et qu’elle commence à
mettre de côté tout scrupule, à parjurer un serment si solennel que celui fait
pour la conservation du pacte, alors je dois vous l’avouer, messieurs, je
commence à craindre pour notre avenir, et nous somme menacés de nouveaux
troubles, de nouvelles révolutions.
Laissant toute question
personnelle à part, je devrais voter dans le sens que le mandat de M. Davignon
est venu à cesser depuis la date de l’arrêté qui le nomme à la fonction
d’administrateur de la nouvelle banque de Belgique, et que conséquemment, dans
le vote de la proposition incidente présentée dans la séance d’avant-hier par
M. le ministre de l’intérieur, il y a eu partage et la proposition est rejetée.
Et,
messieurs, je crois que ce serait fort heureux que cette proposition eût ce
sort ; car, messieurs, que dira le pays quand on croit de telles choses se
passer dans la représentation nationale et qu’elles viennent de la part d’un
ministre, et cela à cause de ses franchises municipales !
Le pays dira que le ministère
n’est pas encore satisfait d’avoir rogné tant son pouvoir municipal, et que la
loi telle qu’elle est déjà votée, quoique enlevant à nos communes toutes les
libertés que le gouvernement provisoire leur avait données, et qu’elles avaient
avant la révolution française, ne lui paraît pas encore suffisante pour
consolider le pouvoir central. Je ne ferai aucune remarque sur cette exigence,
mais je laisserai juger le pays. J’ai dit.
M.
Dubus. - Lorsque la question qui vous occupe maintenant s’est élevée
inopinément à la séance dernière, j’ai présenté quelques considérations en
termes d’objections ; car mon opinion n’était pas faite sur la question, je me
réservais de l’examiner de plus près.
Tout le monde a fait remarquer
que la question était dans les termes et le véritable esprit de l’article 36 de
la constitution ; cette question est donc extrêmement grave. Puisque c’est une
question constitutionnelle et non une question de personne, je mets ici la
personne tout à fait à l’écart, je mets aussi de côté les conséquences qu doit
avoir la solution de la question. Je n’examine pas s’il y aura ou majorité ou
partage par suite du dernier appel nominal qui a eu lieu à la séance de samedi,
c’est un point différent de ce que nous avons à examiner ; la véritable
question est dans l’article 36 devait être entendu dans un sens strict, dans un
sens restreint, parce qu’il prononce une garantie qui est donnée au peuple
contre nous, et nous qui interprétons cet article nous devons lui donner le
sens le plus large possible, de manière que la garantie soit réelle, qu’elle ne
puisse être éludée, que nous ne trompions pas le vœu du peuple. Voilà comment
en notre qualité de députés que nous devons interpréter cet article.
Ce n’était donc pas le cas
d’invoquer la maxime que les incompatibilités, les incapacités sont de strict
droit. Si nous devons être larges dans une interprétation, c’est lorsque nous
prononçons contre nous-mêmes, c’est lorsque la question éventuellement nous
touche tous.
Selon l’art. 36 tel que je le
comprends, selon même l’interprétation que la chambre lui a donnée, à une
immense majorité, sur les observations très remarquables de l’honorable
préopinant auquel je réponds, cet article a principalement en vue le changement
de position d’un député. Lorsqu’il s’est présenté une première fois devant les
électeurs, il était dans une position indépendante du pouvoir, depuis il a reçu
du gouvernement une fonction à laquelle un traitement est attaché : sa position
change ; selon les législateurs de l’acte constitutionnel, il est possible que
si ce cas avait été prévu, les électeurs ne l’eussent pas nommé ; on lui
prescrit de se présenter de nouveau devant les électeurs, pour leur faire
connaître ce changement de position et leur demander si, malgré les fonctions
auxquelles leur mandataire a été nommé, ils veulent lui continuer leur
confiance. Voilà le principe de l’art. 36. L’article, tel qu’il est rédigé, et
motivé ainsi que je viens de le dire, est-il applicable à l’espèce ?
J’ai écouté attentivement les
raisons qui ont été données pour soutenir la négative. Je dois dire que le
système développé par deux honorables préopinants me paraît rendre la question
beaucoup plus grave. Quelque soit le vote que vous émettiez sur la question qui
nous occupe, jamais vous n’adopterez un pareil système. Il ne va pas à moins
qu’à soutenir que si l’honorable membre de cette assemblée, dont la nomination
a donné lieu à la question actuelle, eût été nommé, non pas seulement
administrateur, mais directeur, avec un traitement de 30,000 fr., ce qui l’eût
constitué une position révocable, tous les jours vous devriez dire que sa position
n’est pas changée, et qu’il est encore dans le même état où il était quand il a
été nommé. Certainement, nous n’adopterons jamais une pareille interprétation
de l’art. 36. Il serait bien mal rédigé, et sa rédaction aurait bien trompé
l’intention de ceux qui l’ont rédigé, s’il pouvait être entendu dans ce sens.
Suivant le système qui a été
développé, il faudrait aller beaucoup plus loin. Les deux honorables membres
qui l’ont soutenu, ont, sans s’en douter, plaidé la cause du roi Guillaume ;
d’après leur système ce serait encore lui comme homme privé qui aurait le droit
de nommer le gouverneur de la banque de la société générale et les
administrateurs. Ç’aurait été par une violation des statuts de cette autre
banque, que depuis la révolution le gouvernement belge a nommé ces
fonctionnaires. Toute la théorie développée par les deux honorables membres
auxquels je réponds tend uniquement à ce but. Sans s’en douter, je le répète,
c’est la cause du roi Guillaume qu’ils ont plaidée.
Messieurs, nous devons commencer
par bien connaître les faits. C’est donc aussi sur les faits que j’ai fait
porter mes recherches. D’abord, comment s’est formée cette société qu’on
appelle une société privée ? Tout à l’heure, d’après les statuts, nous en
apprécierons le caractère. C’est le directeur même de cette société qui nous en
raconte l’histoire :
« Le code de commerce
exige la sanction royale des statuts de toute société anonyme et le dépôt des
deux actes au tribunal de commerce pour qu’elle devienne personne civile. S’il
est vrai en général que le gouvernement peut approuver et improuver les
statuts, il est à craindre dans des associations du genre de la banque, qu’il
ne veuille modifier, et par là ne jette la société constituée dans des
difficultés inextricables. Ainsi, dans un pays voisin régi par les mêmes lois
que
« Dans ma position toute
spéciale, j’ai été un peu plus loin ; j’ai soumis d’abord un canevas, puis un
projet de statuts à M. le ministre des finances. Ce projet longuement élaboré,
après avoir étudié les statuts et règlements des banques étrangères, a été
présenté lei 15 janvier dernier ; amendé plusieurs fois depuis sur les
observations du gouvernement, il a obtenu l’approbation royale le 12
février. »
Voilà donc comment s’est
formée cette société. Le projet même des statuts a été soumis à M. le ministre
des finances ; il a été examiné par lui du 15 janvier au 12 février. Des
amendements ont été exigés par le gouvernement et consentis par ceux qui ont
conçu le projet ; cela à l’effet d’obtenir l’approbation du gouvernement.
Cela s’est fait en exécution
de l’art. 37 du code de commerce, sur les termes duquel il convient de
s’appesantir avant d’examiner de quelle manière il doit être exécuté. Cet
article est ainsi conçu : « La société anonyme ne peut exister qu’avec
l’autorisation du Roi, et avec son approbation pour l’acte qui la constitue ;
cette approbation doit être donné dans la forme prescrite pour les règlements
d’administration publique. »
Quelle a été la pensée du
législateur lorsqu a exigé pour la formation d’une société anonyme
l’autorisation du Roi son approbation pour l’acte qui la constitue, et enfin
que cette approbation donnée dans la forme prescrite pour le règlements
d’administration publique, c’est-à-dire par arrêté contresigné ? Etait-ce pour
mettre le Roi à même de stipuler des conditions dans son intérêt privé comme
l’a supposé le préopinant, ou pour qu’il pût examiner une institution nouvelle
sous tous les rapports qui intéressent l’Etat, l’administration générale, le public
? Evidemment, c’et pas ce deuxième motif ; et toutes les modifications, tous
les amendements qui ont pu être exigés par le gouvernement, c’est dans
l’intérêt public qu’ils ont dû être exigés et nullement dans l’intérêt du chef
de l’Etat considéré non comme chef de l’Etat, mais comme personne privée.
C’est un arrêté royal du 12
février dernier, porté dans la forme des actes de l’administration publique et
contresigné par M. le ministre des finances, qui autorise la société de la
banque de Belgique et en approuve les statuts.
L’établissement d’une société
semblable a si peu été considéré comme un établissement d’intérêt public, et
l’on si bien vu qu’elle intéressait à un haut degré l’Etat tout entier, que ce
n’est qu’après avoir entendu le conseil des ministres, que le Roi s’est
déterminé à porter l’arrêté qui l’institue, et le ministre des finances à le
contresigner. C’est tellement un acte du gouvernement que l’acte a été fait en
conseil des ministres.
L’article premier de l’arrêté
comprend approbation des statuts. Dans l’art. 2, le Roi se réserve le droit de
révoquer son autorisation en cas de violation ou de non-exécution des statuts.
Enfin l’article 4 du même arrêté porte : « Aussitôt qu’il y aura lieu,
nous nommerons le directeur de la banque, qui convoquera l’assemblée générale pour procéder au choix
des candidats aux places d’administrateurs, et arrêter toutes autres mesures
nécessaires à l’érection de la société.
Maintenant j’appellerai votre
attention sur plusieurs stipulations des statuts, afin de prouver que le Roi
intervient ici comme chef de l’Etat et non comme personne privée.
Les art. 6 et 7 des statuts
sont ainsi conçus :
« Art. 6. Elle peut
émettre des billets de banque de 40, 100, 500 et 1,000 fr., pour une somme qui
ne dépassera pas le capital social, et sera toujours représentée dans ses
caisses par des valeurs réelles. »
« Art. 7. Elle est tenue
de recevoir les fonds du trésor public que le ministre des finances voudra lui
confier, et un intérêt à convertir, toujours au-dessus de un pour cent par
année. »
Ainsi vous voyez que cette
société sur la simple demande du ministre des finances, peut devenir même
caissier de l’Etat.
Les art. 24 et 25 sont ainsi
conçus :
« Art. 24. L’administration et
la direction de la. société sont confiées à un directeur et à quatre
administrateurs. »
« Art. 25. Les
administrateurs sont nommés par un terme de 4 ans ; la première sortie se fera
au 31 mai 1838, et les autres successivement chaque année, à la même époque. Le
sort désignera l’ordre des premières sorties. »
Ainsi voilà que le
gouvernement stipule que le directeur devra être nommé et sera révocable par le
roi. On ne peut pas soutenir qu’il s’agit ici de la personne privée du roi.
C’est le roi, chef de l’Etat, c’est le roi constitutionnel qui a le droit de
nommer et de révoquer ce directeur.
Le gouvernement stipule en
outre que les administrateurs seront nommés par le Roi sur une liste triple de
candidats et qu’ils ne seront nommés que pour un terme. Ainsi vous voyez que
l’on place le directeur dans la dépendance absolue du gouvernement, et les
administrateurs jusqu’à un certain point et dans certaines limites. Tout cela
est évidemment stipulé, non dans l’intérêt privé du Roi, mais dans l’intérêt de
l’Etat, dans l’intérêt public, seuls intérêts dans lesquels l’approbation du
Roi puisse être exigée aux termes de l’art. 37 du code de commerce.
Voici l’art. 27 qui a été
évidemment inséré dans les statuts comme garantie de l’Etat. On a dit que des
étrangers pouvaient être appelés aux fonctions d’administrateurs de la banque
de Belgique. Le gouvernement dit formellement le contraire ; il ne s’est pas
fait illusion sur l’importance de ces fonctions. L’article 27 porte :
« Les directeurs et administrateurs doivent être Belges, jouir de leurs
droits civils et politiques, résider à Bruxelles, etc. »
Il n’est donc pas vrai de dire
que la société pouvait présenter des étrangers au choix du Roi, et que le Roi
pouvait nommer des étrangers. On a jugé que l’établissement était si important,
considéré sous le rapport de l’intérêt général, que l’on a exigé dans les
statuts que le directeur et les administrateurs soient belges et jouissent de
leurs droits civils et politiques.
L’art. 28 porte : « Le
directeur et les administrateurs, indépendamment d’un traitement fixé par le
Roi pour le premier, et par l’assemblée générale pour les autres, jouissent de
5 p. c. sur les bénéfices réels, dont un au directeur et un demi pour chaque
administrateur. »
Je le demande, s’agit-il dans
cet article, du Roi considéré commue personne privée en qui on aurait eu assez
de confiance pour le charger de donner les statuts qui devaient régir la
société ? Non ; c’est évidemment le gouvernement, le Roi constitutionnel auquel
d’après les statuts ces diverses attribution, sont confiées.
Ainsi voilà les faits ; voilà
des stipulations formelles, stipulations qui sont le résultat d’une longue
négociation entre le directeur et les actionnaires de la société d’une part et
le gouvernement de l’autre.
C’est après avoir réclamé des
modifications au projet des statuts, après les avoir obtenues, et avoir stipulé
tout ce qui a été jugé utile dans l’intérêt général, dans l’intérêt de l’Etat,
que le conseil des ministres a approuvé les statuts. Cette approbation ainsi
que toutes les stipulations qui se réfèrent au Roi ne peuvent être motivées que
sur l’intérêt général, ne peuvent s’appliquer qu’au gouvernement personnifié
dans le Roi constitutionnel.
C’est toujours le gouvernement
qui a nommé les directeurs et administrateurs des autres banques, sur une liste
de candidats ou sans présentation de candidats.
L’ancien gouvernement jugea
même convenable de mettre un haut fonctionnaire, un ministre d’Etat à la tête
de la société générale. Cette nomination faite par le Roi Guillaume indique
assez combien un tel établissement fut jugé important sous le rapport de
l’intérêt public.
Ce ministre d’Etat gouverneur
de la banque perdît les fonctions par le fait de la révolution ; il les eût
conservées s’il les eût dues à la nomination du roi considéré commue personne
privée. C’est le gouvernement provisoire qui a nommé le directeur actuel de la
banque. C’est toujours le gouvernement et jamais la personne privée qui a nommé
les administrateurs de la manière voulue par les statuts. Soutenir que ces
nominations émanent de la personne privée ce serait appeler le roi Guillaume à
nommer le directeur et les administrateurs de la société générale.
Quant à cette banque-ci,
d’après les informations que j’ai prises, le directeur et les administrateurs
ont été nommés par arrêtés contresignés, dans la forme des arrêtés
constitutionnels du gouvernement. Mais, dit-on, si les nominations ont été
faites par le chef de l’Etat au lieu d’être faites par la personne privée, vous
n’êtes pas plus avancés, car la nomination est inconstitutionnelle ; en effet,
ajoute-t-on, le roi nomme à des emplois sans une disposition expresse de la loi
qui l’y autorise, comme l’exige la dernière disposition de l’art. 66 de la
constitution.
Mais est-il vrai qu’il n’y a pas
ici une disposition expresse en vertu de laquelle la nomination ait pu avoir
lieu ? La loi en vertu de laquelle tout a été fait, n’est-ce pas l’art. 37 du
code de commerce, article d’où il résulte que le gouvernement devra approuver
les statuts, et par suite, qu’il appartient au gouvernement de stipuler les
garanties nécessaires pour l’ordre public et de les faire insérer dans les
statuts avant leur approbation. Dès lors la disposition des statuts qui
attribue au gouvernement le droit d’intervention et de nomination se fonde sur
le texte exprès de la loi et les nominations qui en sont la suite se rattachent
au texte exprès de la loi. S’il ne fallait pas dire cela, oui, il serait vrai
de dire que les nominations seraient inconstitutionnelles. Mais elles ont eut
lieu en vertu de l’art. 37 du code de commerce. C’est en vertu de la même
disposition que le gouvernement a continué de nommer les administrateurs de la
société générale.
Pour la société générale on ne
saurait dire que les nominations émanent de la personne privée, puisque lors de
son institution c’était le roi Guillaume qui régnait. Si le droit de nomination
est une preuve de confiance en la personne privée du Roi, la personne qu’on
avait en vue lors de l’établissement de la société générale n’a pas cessé
d’être la même ; et quoiqu’elle n’habite plus
Cependant nous avons vu depuis
la révolution (et cela a été approuvé de tout le monde) le gouvernement
provisoire et le gouverneur établi par la constitution nommer le gouverneur et
les administrateurs de la banque. Ces nominations ont eu lieu en vertu de la
disposition formelle de la loi, de l’art. 37 du code de commerce, base de
toutes les stipulations que le gouvernement, dans l’intérêt de l’Etat, dans
l’intérêt public, fera insérer dans les statuts d’une société.
Ceci est très important, car
vous n’avez que ce moyen de sauver toutes les nominations que le gouvernement a
faites depuis la révolution dans la société générale.
Si l’on admet les arguments
des deux honorables préopinants, il en résultera que c’est à la personne privée
qu’appartient le droit de nomination et le droit d’inspection dans la société
générale. J’ai donc eu raison de dire que la question devient plus grave encore
par les moyens mêmes que l’on met en avant pour combattre la motion de mon
honorable ami.
Je ne m’attacherai pas à
répondre à l’exemple qui a été cité de la nomination de grand chambellan,
laquelle est faite par le Roi et n’est pas un acte du gouvernement. Je laisse à
l’honorable membre qui a cité cet exemple, à établir le rapport qu’il peut y
avoir entre une nomination de grand chambellan et celle d’administrateur d’une
banque dont les statuts ont dû être approuvés par le Roi constitutionnel, qui a
stipulé dans ces statuts ce que commandait l’intérêt public.
Quant à moi, j’avoue que je ne
puis pas saisir le rapport qu’il y a entre ces deux cas.
Je crois qu’il ne fait pas
beaucoup de paroles pour répondre à un autre exemple invoqué par un honorable
préopinant, celui de deux rois étrangers qui avaient choisi le roi Guillaume
pour arbitre.
Là le roi Guillaume avait à
prononcer comme arbitre sur une question qui nous était tout à fait étrangère.
Ici, au contraire,
l’intervention du Roi ou celle du gouvernement qu’elle a stipulée dans les
statuts, touche de près aux intérêts de l’Etat ; elle n’a été stipulée
évidemment que dans l’intérêt public. Je pense donc que le système des deux
honorables préopinants que j’ai combattu doit être mis tout à fait à l’écart.
Vous devez voir dans les actes que je viens d’analyser, des actes du
gouvernement, faits dans l’intérêt de l’Etat, dans l’intérêt public ; vous
devez voir dans le droit attribué au gouvernement de faire la nomination du
directeur, de conférer la nomination aux administrateurs, l’intervention du
gouvernement même ; et toujours dans l’intérêt de l’Etat, parce qu’en effet ces
fonctions, d’après la manière dont l’association es organisée, intéressent
l’Etat, intéressent le public. Et ces fonctions, quoi qu’on en ait dit, ont un
caractère au moins très approché des fonctions publiques.
Après avoir écarté le système
des deux honorables préopinants, je reviens à l’application de l’art. 36 de la
constitution.
Cet article ne fait aucune distinction.
Il exige, a dit un honorable préopinant, trois conditions. J’en suis d’accord.
L’une, qu’un membre de la chambre ait accepté un emploi ; la seconde que
l’emploi soit salarié ; la troisième que l’emploi soit conféré par le
gouvernement. Examinons si ces trois conditions n’existent pas dans l’espèce.
On prétend qu’il n’y a pas ici
acceptation d’un emploi parce que les fonctions qu’a le député ne sont pas un
emploi dans le sens de l’article 36 de la constitution : ceci revient à ce
point, que l’on soutient qu’il ne s’agit pas d’un simple emploi public, et que
l’article 36 doit être entendu par le sens de certains autres articles de la
constitution dans lesquels il est question d’emplois publics. J’ai déjà fait
remarquer à la dernière séance que ces autres articles que l’on indique sont
conçus e termes différents ; et ont, par suite, une autre portée.
L’art. 6 que l’on a invoqué
parle des emplois civils et militaires : le mot emploi est accompagné de cette
qualification qui peut servir à en déterminer le sens : mais dans l’article 36
on n’ajoute plus le mots civils et militaires ; par conséquent vous ne pouvez
invoquer l’art. 6 pour restreindre la signification de l’article 36. Ici on
s’est servi du mot emploi sans qualification. Ainsi dès qu’il s’agit d’un
emploi salarié, l’article subsiste quoique l’emploi ne puisse s’appeler ni
civil ni militaire.
Quant à l’art. 66, sa deuxième
disposition ajoute une qualification propre à en restreindre le sens ; mais
vous ne pouvez l’invoquer pour restreindre le mot emploi dans un autre article
où cette qualification n’a pas été mise. En outre, relativement à cette
dernière disposition de l’art. 66, j’ai répondu aux arguments qu’on en voulait
tirer par l’art. 37 du code de commerce.
Avant de recourir à d’autres
articles pour restreindre le mot emploi dans l’art. 36 de la constitution, nous
devrions examiner si les motifs qui ont déterminé à porter les articles
admettent une restriction quelconque. Si le législateur n’a pas fait de
distinction dans l’article 36, c’est qu’il n’y avait pas de motifs pour en
faire ; nous ne devons donc pas en admettre. Le mot emploi n’y est accompagné
d’aucune autre qualification que de celle de salarié, et du reste il comprend
tous les emplois salariés sans distinction.
Mais l’article par ses motifs
s’applique-t-il à tous les cas, s’applique-t-il aux emplois publics comme aux
emplois qui ne seraient pas publics, qui seraient salariés et à la nomination
du gouvernement ? moi, je dirai que, selon ma conviction, il est évident qu’il
y a des motifs dans un cas comme dans l’autre ; et pour le prouver je prendrai
le cas le plus saillant. Tout à l’heure je reviendrai à une autre objection que
l’on n’a pas examinée aujourd’hui.
Je prendrai l’exemple du
directeur.
D’après les statuts, le
directeur, révocable, est nommé par le Roi qui fixe son traitement ; et ce
traitement est considérable. D’après les motifs de l’art. 36, je demande quelle
différence il y a entre le député nommé par le Roi directeur de cette banque
aux appointements de 25 ou 30 mille francs, et la collation que ferait le Roi
de toute fonction publique, révocable ou même non révocable ?
Il y a cette remarque à faire
que l’article 36 est applicable lors même que le Roi confère des fonctions
inamovibles emportant traitement ; cependant, du moment où la nomination a eu
lieu, le fonctionnaire devient en quelque sorte indépendant : il est constant
seulement qu’il a reçu une faveur. Sa position ne se trouve changée, que sous
un rapport sous celui-ci : il a reçu une faveur du gouvernement, mais après
cette faveur reçue et à part la reconnaissance qu’il peut en avoir, sa position
est en quelque sorte la même, parce que ses fonctions ne sont pas révocables.
Pour la nomination du
directeur, il y a changement double dans la condition. D’une part, c’est une
faveur et une grande faveur accordée par le gouvernement, puisque c’est la
nomination à des fonctions très lucratives ; d autre part, l’emploi étant
révocable, il place celui qui en est revêtu dans la dépendance la plus absolue
du gouvernement.
Si donc quand le député
accepte des fonctions de juge, fonctions inamovibles, il se trouve avoir assez
changé sa condition pour demander un nouveau mandat à ses commettants, à plus
forte raison le députe qui accepte des fonctions de gouvernent de la banque,
doit-il demander un nouveau mandat, puisqu’il est en outre dans la dépendance
du pouvoir ?
Il me paraît impossible de
répondre à cette observation que je puise dans les motifs de l’article.
J’arrive maintenant à
l’administrateur lui-même. Sa condition est changée aussi ; mais elle ne l’est
pas au même point que celle du directeur. D’abord la nomination du Roi est
limitée, sous un certain rapport, il doit choisir dans une liste ; mais enfin
il fait un choix ; il préfère l’un à l’autre ; il y a faveur au même degré que
pour le premier cas. La condition est changée encore sous le rapport de la
dépendance ; pas au même degré que pour le directeur, celui-ci est révocable
tous les jours ; l’administrateur est révocable dans ce sens qu’il peut plaire
au gouvernement de ne pas continuer ses fonctions à leur expiration, les
fonctions était temporaires. Toutefois il est toujours vrai que la condition
est changée sous un double rapport par l’acceptation de la fonction.
L’est-elle au point qu’il y
ait lieu à appliquer l’article 36 ? A la dernière séance on a cité un précédent
; et ce précédent serait conforme au cas dont il s’agit, c’est le gouvernement
qui nomme les secrétaires des chambres de commerce sur la présentation de
candidats faite par les chambres mêmes ; eh bien, un député ayant été compris
dans une liste de présentation a été nommé par le gouvernement, et le
gouvernement tranchant la question constitutionnelle a porté un arrêté par
lequel le collège électoral était convoqué.
Le gouvernement a pensé alors
qu’il était hors de doute que ce député devait demander un nouveau mandat à ses
commettants.
Et remarquez-le bien ; on a
dit tout à l’heure que si l’emploi dont nous nous occupons était salarié, le
salaire n’était pas payé par la caisse de l’Etat ; mais pour le secrétaire de
la chambre de commerce le salaire n’est pas non plus payé par la caisse de
l’Etat ; il est payé par la caisse communale.
Quoiqu’il en soit, l’article
36 ne dit pas par quelle caisse l’emploi doit être salarié ; il suffit qu’un salaire
soit attaché aux fonctions conférées par le Roi. C’est dans la collation de
fonctions apportant traitement que le rédacteur de l’article voit une faveur du
gouvernement ?
Le gouvernement a-t-il
sainement entendu l’article 36, lorsqu’il en a fait l’application, dont je
parle, à un député qui avait été nommé sur présentation de liste, secrétaire
d’une chambre de commerce ? J’avais des doutes sur ce point lors de la première
discussion de cette question, mais actuellement je pense que le gouvernement a
sainement appliqué l’article 36, et que s’il avait procédé autrement, il aurait
introduit dans cet article une distinction qu’il ne comporte pas. Quoique le
choix du gouvernement soit limité à un petit nombre de personnes, si l’emploi
est à la collation du gouvernement, il demeure vrai qu’il y a un choix à faire.
Il n’en est pas de ce cas
comme de celui où le gouvernement n’a rien à voir dans la nomination, et doit
simplement accorder l’institution à celui qui est élu ; alors, à proprement
parler, le gouvernement ne confère pas la fonction ; il ne fait que délivrer un
diplôme à ceux qui ont obtenu leur nomination autrement que par lui. C’est
ainsi que les juges de commerce qui sont élus par les commerçants notables ne
reçoivent pas la nomination du gouvernement ; celui-ci est obligé de prendre
ceux que les notables ont choisis ; les juges de commerce ne reçoivent du
pouvoir que l’institution, qu’un diplôme ; diplôme qui est délivré après qu’on
a vérifié si on a les qualités voulues par la loi. Dans ce cas, le gouvernement
ne nomme pas, j’en conviens. Mais lorsqu’une présentation de plusieurs
candidats est faite, et que le gouvernement choisit entre eux, il y a là un
droit de nomination restreint si vous le voulez ; et dès lors l’article 36 est
applicable. Le gouvernement aurait introduit dans l’article 36 une distinction
qui n’y est pas ; s’il ne l’avait pas appliqué au représentant nommé secrétaire
d’une chambre de commerce.
Il me paraît qu’il doit en
être de même pour le cas qui nous occupe. Le gouvernement a exercé un véritable
droit de nomination, quoique ce droit n’ait pu s’exercer que dans une certaine
limite : Il a conservé un emploi salarié ; peu importe qu’on puisse le
considérer comme emploi public ou non. Je pourrais soutenir d’après l’ensemble
des dispositions des statuts, combinés avec l’art. 37 du code de commerce, que
cet emploi participe de la nature des emplois publics, surtout celle du
directeur. Mais je mets de côté la qualification d’emploi public : il suffit
que l’emploi soit salarié et que la nomination appartienne au gouvernement pour
que l’application de l’article 36 soit nécessaire.
Un
honorable préopinant a dit que c’est en vertu d’une convention que le roi
nomme. Mais les considérations dans lesquelles je suis entré répondent ces
arguments. Evidemment ce n’est pas en vertu d’une convention privée que le Roi
a nommé aux fonctions d’administrateur de la banque de Belgique. C’est en vertu
des statuts que le gouvernement a stipulés lui-même, qu’il n’a approuvés
qu’après y avoir fait entrer les garanties jugées par lui nécessaires dans
l’intérêt de l’Etat et dans l’intérêt public. Ce n’est plus une convention
privée que la société anonyme qui s’est formée sons le nom de banque de
Belgique ; c’est un acte qui a reçu le caractère et le cachet d’un acte public
par la participation du gouvernement.
Je voterai pour la proposition
de mon honorable ami.
M.
Jullien. - L’honorable député de Tournay, en me répondant
immédiatement, a dit que j’avais fait une fausse application de la question sur
les incapacités. Il s’agit, dit l’honorable membre, non d’incapacités, mais de
garanties.
Lorsque, pour obtenir une
garantie, il faut déclarer une incapacité, je demande si cette incapacité ne
rentre pas précisément dans la règle que j’avais posée.
Le même député a dit que ce
qui dominait la question, c’était le changement de position du député.
Cela est vrai et cela n’est
pas vrai en même temps. (Ah ! ah !)
Il n’est pas vrai qu’il y ait uniquement à considérer le changement de
position. Le Roi peut conférer un véritable emploi à un député qui le place
aussi haut que possible dans l’ordre constitutionnel, qui le mette sous la
dépendance immédiate du gouvernement ; si cet emploi n’est pas salarié, ce
changement de position n’influe pas sur la capacité du député. Vous voyez donc
que, pour que le changement de position emporte cassation du mandat, il faut
que ce changement de position soit accompagné des conditions de l’article 36,
que le député soit revêtu d’un emploi (d’un emploi public, selon moi) que cet
emploi soit conféré par le gouvernement et qu’il soit salarié. Si toutes ces
conditions ne sont pas réunies l’on ne peut pas attaquer l’indépendance d’un
député, le forcer à sortir de la chambre avant que son mandat ne soit expiré.
Nous avons plaidé nous a dit
l’honorable préopinant, nous avons plaidé, sans nous en douter, le cause du roi
Guillaume. L’honorable préopinant a eu raison de le dire. Je ne m’en suis pas
douté. Je ne connais pas la position du roi Guillaume vis-à-vis de la banque de
Bruxelles.
Nous ne connaîtrons bien ses
droits que quand la question sera éclaircie par la commission que nous avons
nommée à cet effet.
Mais je déclare que si le roi
Guillaume a, comme particulier, des droits à faire valoir en Belgique, je
soutiendra les droits du roi Guillaume avec autant d’énergie que les droits de
tout autre particulier, de tout autre roi considéré comme individu, de la même
manière que je voudrais que les droits de Léopold fussent soutenus en Hollande,
s’il en avait à faire valoir comme particulier.
Quand on veut être libre, il
faut commencer par savoir être juste. Voilà ma maxime.
Le gouvernement, dit-on, a
examiné les statuts de la banque de Belgique. En vertu de ces statuts il a
nommé des administrateurs. C’est là où siège toute la difficulté. Le
gouvernement avait le droit, il devait d’après l’art. 37 du code de commerce
examiner les statuts de la nouvelle société, parce que c’est une société
anonyme, parce qu’il est de son devoir de protéger le public contre les
inconvénients qui pourraient résulter de l’existence de cette société anonyme.
Il avait en vertu de cet art. 37 le droit de donner ou non son approbation.
Si le gouvernement a été
au-delà, si au lieu de se renfermer dans les limites de la loi, ils a nommé des
administrateurs ou des directeurs, il n’a pas fait qu’engager sa responsabilité
personnelle.
C’est sur ce point que votre
attention doit être fixée pour décider
la question. Si le gouvernement a dépassé ses limites, si les ministres ont
commis une erreur, une imprudence, ils n’ont pu qu’engagé leur responsabilité
personnelle. Mais ils n’ont pu placer un député dans les conditions de
l’article 36 de la constitution. Ils ont engagé leur responsabilité
personnelle. Voilà tout.
L’on a parlé de la révocation
que le Roi se réserve dans les statuts. La révocation ne s’applique qu’au
directeur. La preuve qu’elle ne s’applique pas aux administrateurs, c’est que
dans les statuts, après l’article qui porte que le directeur est révocable par
le Roi, il n’est pas dit que les administrateurs seront soumis à la même
révocation.
Ces statuts, de qui sont-ils
l’œuvre ? De la société. Elle aurait pu, si elle avait voulu, établir la
révocation des administrateurs. Elle peut tous les jours modifier ces statuts
qui, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, n’ont rien de commun avec
l’article 37 du code de commerce Tout ce qui est au-dehors de la loi peut être
changé par la société elle-même. Toutes les condition dépendent absolument de
cette société.
On a cité hier un exemple que
l’on trouve analogue au cas qui nous occupe. Lorsque notre honorable collègue,
M. Corbisier, fut nommé secrétaire de la chambre de commerce de Mons je crois,
il réclama lui-même du gouvernement qu’il voulût le soumettre à une nouvelle
élection. Cette conduite est une preuve de délicatesse de la part de
l’honorable membre. Mais il s’agit de savoir si le cas est identique. Je
soutiens que la comparaison n’est pas juste. Une chambre de commerce est une
institution publique, établie en vertu de la loi.
Vous pouvez consulter les lois
qui établissent les chambres de commerce. L’on fait face aux dépenses qu’elles
occasionnent sur la caisse de l’Etat ou de la commune.
J’ai soutenu tout à l’heure
que s’il s’agissait d’émoluments accordés par une caisse communale quelconque,
mon opinion aurait pu être tout autre que celle que j’ai émise. Mais il s’agit
ici d’un salaire, d’un traitement pris sur une caisse particulière. Le
traitement accordé à M. Corbisier, comme secrétaire de la chambre de commerce
de Mons, était payé sur la caisse communale. D’après les discussions qui ont eu
lieu à l’occasion des chambres de commerce dans le cours des débats de la loi
communale, les dépenses auxquelles elles donnent lieu seront réparties entre
les patentables.
Il n’y a aucun point de comparaison à établi entre
les deux faits que je viens de parcourir.
Je bornerai là mes
observations. La chambre doit être fatiguée de cette discussion. La question
est suffisamment éclaircie dans un sens comme dans l’autre. (La clôture !)
M.
Dumortier. - Comme auteur de la proposition, j’espère que la chambre me
permettra de dire quelques mots pour la justifier. J’ai fait une proposition à
l’acquit de mon devoir, proposition pénible à faire. Je tient fortement à
parler.
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de
prolonger la discussion. Cependant, il m’importe de motiver au moins mon
opinion. C’est une question toute constitutionnelle. Je ne sais pas pourquoi
l’on semble si pressé de clore la discussion. Il y a une question de
constitution au fond de tout cela. Cependant, je renoncerai volontiers à la
parole, pourvu que vous veuille bien entendre l’honorable M. Dumortier. Vous ne pouvez lui
refuser la parole. Il ne l’a pas prise encore dans la discussion, et vous avez
permis à un membre de parler deux fois dans cette séance.
- La clôture est mise aux voix
; elle n’est pas adoptée.
M.
Dumortier. - Messieurs, l’article 36 de la constitution porte :
« Le membre de l’une ou
l’autre chambre nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte,
cesse immédiatement de siéger. »
Notre collègue, M. Davignon, a
été nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu’il a accepté. Donc il doit
cesser de siéger.
Telle est, messieurs, la
réflexion que je me suis faite en voyant paraître dans le Moniteur l’arrêté qui nommait notre honorable collègue aux
fonctions d’administrateur de
Je n’aurais pas soulevé cette
question dans cette enceinte ; car vous sentez comme moi combien elle est
désagréable, s’il ne s’était présenté une circonstance qui exigeait
impérativement la solution de cette question.
Mais lorsque la motion d’ordre
de M. le ministre de l’intérieur a été présentée, lorsqu’il n’a dépendu que
d’une seule voix de décider si c’était conformément ou contrairement à la
constitution qu’une décision avait été prisé par la chambre, décision de la
plus haute importance qui tend à compromettre au plus haut degré nos
institutions communales, je n’ai pas cru que je dusse reculer devant mon
devoir. J’ai communiqué à la chambre la réflexion que m’avait suggérée l’arrêté
du gouvernement.
Ne croyez pas, messieurs,
qu’il y ait rien de personnel contre l’honorable membre auquel j’ai demandé
l’application de l’article 36 de la constitution. Loin de là. J’espère que vous
êtes tous convaincus du contraire.
Quand la constitution parle,
il ne nous appartient pas de nous taire si nous avons fait une réflexion qui
doit trancher une question constitutionnelle ; c’est pourquoi j’ai parlé.
Maintenant, il me semble que
l’article 36 de la constitution est tellement clair, tellement positif qu’il ne
faut dans mon opinion que la simple bonne foi pour en faire l’approbation.
Etre nommé par le Roi à un
emploi salarié, accepter ces fonctions : Voila les deux seules conditions que
la constitution a imposées pour qu’un député soit soumis à une réélection.
L’on ne peut contester que le
texte et l’esprit de la constitution ne soient d’accord avec la décision que
vous devez prendre. Que M. Davignon ait été nommé à un emploi salarié, qu’il
ait accepté ; ce sont deux faits que l’on ne peut contester.
Ceci est aussi clair que la
lumière du jour. C’est l’évidence même.
Quelle raison objecte-t-on ?
L’on vient dire que ce n’est pas un emploi public dont il s’agit. La
constitution n’a pas établi de différence entre un emploi public et un emploi
privé. Je répéterai ce que j’ai dit dans une séance précédente. La constitution
n’a pas distingué. Là où la constitution ne distingue pas, vous ne devez pas
établir de distinction.
L’honorable M. Davignon a été
nommé par un acte public à un emploi salarié ; ce qui le prouve, c’est que
l’arrêté dé nomination est contresigné d’Huart. C’est bien un acte public, et
cet acte public tombe manifestement dans les termes de la constitution.
En vain viendra-t-on nous
opposer une nomination à une place de chambellan. Cette nomination ne serait
pas contresignée par un ministre, du moment qu’un ministre a apposé sa
signature à un acte de nomination, qu’il a considéré cet acte comme un acte
public, comme rentrant dans les attributions du Roi constitutionnel.
L’on a dit qu’en vertu de
l’article de la constitution, le gouvernement ne pouvait faire cette
nomination. J’admets que le gouvernement ait outrepassé ses pouvoirs en nommant
les administrateurs de la banque de Belgique : qu’est-ce qu’il en résulte ?
C’est que le gouvernement a fait un acte inconstitutionnel. Vous avez le droit,
vous qui faites cette objection, de mettre le ministère en accusation. N’en reste-il
pas moins vrai que notre collègue a accepté des fonctions salariées ? Est-ce
que les émoluments n’en existent pas moins ? Sans aucun doute. L’honorable M.
Davignon a été nommé par un acte (constitutionnel ou non) du gouvernement à un
emploi salarié. Il a accepté. Il tombe donc dans le prescrit de l’art. 36 de la
constitution.
On nous répond : Mais il faut
que les fonctions soient salariées par l’Etat. Je ne sais pas où l’on a cherché
cet argument. Ce sont de ces arguments que l’on cherche et que l’on ne trouve
pas dans la constitution. La constitution ne distingue pas. Elle exige que ce
soit le gouvernement qui prononce le salaire, qui change quelque chose à la
position d’un député.
Lorsque le congrès a voulu
parler d’emplois payés sur la caisse de l’Etat, il l’a dit dans les termes les
plus clairs.
Lisez l’art. 24 de la loi
d’organisation de la cour des comptes. Les membres de la cour des comptes ne
peuvent être membres de l’une on l’autre chambre ni remplir « aucun emploi
salarié par le trésor... »
Voilà comment le congrès
s’exprimait lorsqu’il voulait parler d’emplois payés sur la caisse de l’Etat.
Il s’expliquait en termes clairs et formels. Quand il a dit que tout membre qui
accepte un emploi salarié conféré par le gouvernement cesse ses fonctions, il a
entendu que tout député cesserait de siéger du moment que le gouvernement lui
accorderait n’importe sur quelle caisse un traitement quelconque, lui mettrait
en un mot de l’argent dans la poche.
Du moment que le gouvernement
nomme un député à un emploi salarié, il lui met de l’argent dans la bourse.
Faut-il que cet argent vienne du trésor public, pour qu’il y ait perte du
mandat, c’est ce qui n’est dit nulle part. Quant au résultat l’effet est le
même.
Il est manifeste que, de
quelque part que vienne l’argent, il y a changement dans la position de
l’individu.
Mais, messieurs, je vous le
demande, si les fonctions de directeur de la société générale auxquelles est
attaché un traitement de 30,000 fr., est un hôtel qui équivaut à un palais,
indépendamment des émoluments considérables que ce fonctionnaire reçoit encore,
si un pareil emploi venait à vaquer et que le roi y nommât l’un de nous,
pensez-vous qu’il n’y aurait pas lieu à réélection ? Si la question était
examinée sans préoccupation, on dirait unanimement qu’un emploi de 30 ou 40
mille francs entraîne un changement de position. Eh bien, quelle différence y
a-t-il entre un administrateur et un directeur ? Le directeur n’est là que le primus inter pares. Ce que vous feriez
pour le directeur, vous devez le faire pour l’administrateur. L’un et l’autre
touchent un salaire, ils doivent nécessairement être soumis à une réélection.
Pourquoi le congrès a-t-il
voulu que les députés nommés à des fonctions salariées qu’ils acceptent fussent
soumis à une réélection ? Pour empêcher qu’un membre n’émette un vote de
reconnaissance pour le gouvernement qui l’a nommé. Un membre n’a pas moins de
reconnaissance pour le gouvernement qui lui confère un emploi salarié, soit que
le salaire lui soit payé par une société particulière ou par le gouvernement.
Si la doctrine de nos
adversaires était fondée, le gouvernement n’aurait qu’à s’emparer de la
nomination de tous les directeurs et administrateurs des sociétés anonymes, il
pourrait s’en faire un moyen de corruption auprès des membres des chambres et
l’article 36 de la constitution serait éludé. C’est ce qu’on veut faire ; on
veut donner au gouvernement le moyen d’éluder la constitution.
Voyez comme a été sévère la
première législature qui, presque toute entière, était une émanation du
congrès. On avait manifestement voulu qu’aucun député ne pût recevoir un emploi
salarié sans être soumis à la réélection ; lorsqu’on créa l’ordre civil on fit
plus, on voulut que tout membre de l’une ou l’autre chambre à qui cet ordre
serait conféré se représentât devant les élections. C’est que les membres du
congrès n’ont pas voulu qu’au moyen de faveurs, un gouvernement pût acquérir
des suffrages.
Je vous demande si la
collation d’un traitement de 6 à 10 mille francs n’est pas une faveur, si parce
qu’il est payé par une caisse particulière, celui qui reçoit un traitement par
le fait de la nomination que lui confère le gouvernement est moins
reconnaissant que celui qui reçoit un bout de ruban. Si vous avez voulu qu’un
membre qui recevait l’ordre civil du pays se représentât devant ses
mandataires, à plus forte raison, devez-vous l’exiger de celui qui doit
recevoir un traitement considérable. La question a déjà été décidée par le
gouvernement ; ce n’est pas M. Corbisier qui a demandé à être soumis à une
réélection, c’est le gouvernement qui de son propre mouvement a convoqué le
collège. On est venu dire, je sais, qu’il s’agissait de fonctions payées par la
caisse communale. Je dirai que si l’honorable M. Corbisier a été soumis à une
réélection pour un emploi auquel est attaché un traitement de 600 florins, à
plus forte raison devons-nous soumettre à cette réélection celui à qui est
conféré un traitement de 6 mille francs.
Je crois que ceci suffit pour
justifier la réélection de M. Davignon.
Il suffisait d’ailleurs de relire l’art. 36 de la constitution sans
préoccupation, pour résoudre la question. Ce n’est qu’en les torturant qu’on
peut arriver à une conséquence contraire à celle que j’ai tirée.
Je répéterai en terminant, ce
qu’a dit mon honorable ami, vous jugez dans votre propre cause, vous pouvez
tous vous trouver dans le cas sur lequel vous allez prononcer, vous ne pouvez
limiter une garantie donnée au peuple par la constitution, contre l’abus
possible du mandat que vous avez reçu. (Aux
voix ! aux voix !)
- La proposition de M.
Dumortier est mise aux voix par appel nominal.
Voici le résultat du vote :
68 membres ont pris part au
vote.
1 membre s’est abstenu.
53 ont répondu non.
15 ont répondu oui.
En conséquence, la proposition
n’est pas adoptée.
M.
Gendebien. - Je demande que mon vote affirmatif soit inséré au
procès-verbal.
M. le
président. - Il sera fait droit à la demande de M. Gendebien.
M. Trentesaux est invité, aux
termes du règlement, à énoncer les motifs de son abstention.
M.
Trentesaux. - Messieurs, à mes yeux la solution de la question
dépendait du point de savoir si l’acte dont il s’agit est un acte
gouvernemental ou non. Il me paraît être un acte mixte. J’attendais que le
gouvernement s’explique sur cet acte qui paraît participer des deux natures. Le
gouvernement n’ayant pas voulu s’expliquer, je ne m’expliquerai pas davantage,
parce qu’une réponse du gouvernement, dans un sens où dans un autre, peut tirer
à conséquence. C’est au gouvernement que j’impute si je m’abstiens.
- Ont répondu non : MM.
Bekaert, Bosquet, Brixhe, Coghen, Coppieters, Corbisier, Cornet de Grez,
Dautrebande, de Behr, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode,
W. de Mérode de Muelenaere, de Nef, de Puydt, de Renesse, Dechamps, Desmanet de
Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Huart, Donny,
Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Hye-Hoys, Jullien, Lebeau, Legrelle, Liedts,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Quirini, A. Rodenbach, Rogier,
Schaetzen, Simons, Smits, Troye, Ullens, Vandenhove, Verrue-Lafrancq, E.
Vuylsteke, Zoude, Raikem.
Ont répondu oui : MM. de Meer
de Moorsel, de Roo, Desmet, Doignon, Dubus, Dumortier, Gendebien, Helias
d’Huddeghem, Jadot, Pirson, Rouppe, Seron, Vanderheyden, Vergauwen, Watlet.
Conséquence de la
prise en compte de la motion d’ordre du ministre de l’intérieur
M. le président.
- En conséquence du vote qui vient d’être émis sur la motion d’ordre de M.
Dumortier, la proposition de M. le ministre de l’intérieur est adoptée.
M.
Dumortier, rapporteur. - Cela n’empêche pas de continuer la discussion
des attributions. La motion dit bien que les deux titres formeront deux titres
séparées, mais elle ne dit rien sur la question de savoir si la discussion des
attributions sera ou non continuée.
M. le ministre de l'intérieur (M. de
Theux). - Je crois que cela ne peut pas être mis en doute. Tous les
développements de ma proposition prouvent évidemment que j’ai demandé qu’on
suspendît la discussion sur les attributions communales jusqu’à ce que les
trois branches du pouvoir législatif se fussent mises d’accord sur le premier
titre. C’est dans ce sens que j’ai formulé ma proposition de diviser la loi en
deux parties.
M. le
président. - Voici comment est conçue la proposition de M. le ministre
:
« J’ai l’honneur de
proposer à la chambre de diviser le projet de loi sur l’organisation communale
en deux projets dont le premier comprendrait le titre sur l’organisation du
corps communal et les dispositions transitoires et dont le deuxième comprendrait
les autres titres aux attributions et à l’administration. »
M. Dubus. - Je demande comment il sera
possible d’exécuter cette proposition. Nous n’avons pas encore voté ce que doit
comprendre cette première partie de la loi communale, dont M. le ministre a
demandé qu’on fît une loi séparée.
M. le
président. - J’ai convoqué ce matin la section centrale. Je m’y suis
rendu à 10 heures. J’ai attendu les membres qui l’a composent. M. Dumortier est
le seul qui s’y soit présenté.
M. H. Dellafaille. - En ce qui me concerne,
je crois devoir faire observer que j’ai besoin d’une nouvelle nomination pour
siéger à la section centrale, ayant été soumis à une réélection.
M. le
président. - M. H. Dellafaille a été réélu membre de la section
centrale.
M.
H. Dellafaille. - Je n’en avais pas été informé.
M.
Dubus. - M. le président déclare qu’il s’agit de procéder en exécution
de la motion d’ordre adoptée samedi. Je cherche à comprendre ce que l’on peut
entendre par là.
Le ministre dit que d’après sa
motion on ne doit pas pousser plus loin la discussion de la loi communale.
Quant aux articles renvoyés à la section centrale, elle n’a pas encore fait son
rapport. Si M. le président entend que la chambre discute les dispositions
transitoires, c’est le véritable moyen de prendre la plupart des membres de la
chambre au dépourvu.
Quant à moi, je ne me doutais
pas qu’il dût être question aujourd’hui de la proposition du ministre, et je ne
suis pas prêt à la discuter :
Il y
avait deux objets à l’ordre du jour : la motion de mon honorable ami et un
projet de transfert de 73,000 fr. au budget de 1833.
S’il y a quelques raisons pour
changer l’ordre du jour, qu’on les dise à la chambre ; si quelques membres les
connaissent, pour moi je les ignore ; je désirerais les savoir.
Si l’on décide que l’on s’occupera
aujourd’hui des dispositions transitoires, la chambre ne trouvera pas mauvais
que je m’en aille, puisque je ne suis pas préparé à cette discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- La chambre pourrait remettre à demain la discussion des dispositions
transitoires et des articles renvoyés à la section centrale pour rédaction ; et
l’on voterait immédiatement le projet relatif au transfert d’une somme de
73,000 fr., projet qui est à l’ordre du jour. (Adhésion.)
PROJET DE LOI PORTANT UN
TRANSFERT AU BUDGET DES NON-VALEURS POUR L’EXERCICE 1831
M. le
président. - L’article unique du projet que propose la section
centrale, et auquel le gouvernement se rallie est ainsi conçu :
« Art. unique. Le
gouvernement est autorisé à disposer d’une somme de 73,000 fr. pour obvier à
l’insuffisance des fonds de non-valeurs de la contribution foncière de 1831.
« Cette somme sera imputée sur
les fonds de l’exercice 1833. »
- Cet article est mis aux voix
; il est adopté par assis et levé et ensuite par appel nominal à l’unanimité
des 62 membres présents.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je demande que l’on mette à l’ordre du jour de demain les rapports de
pétitions après les dispositions transitoires et les articles de la loi
communale renvoyés à la section centrale.
M.
Dumortier. - Je demande que l’on continue la discussion de la loi
communale ; je ne vois pas pourquoi on interromprait cette discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- La chambre l’a décidé.
M.
Dumortier. - Point du tout : il suffit pour s’en convaincre de donner
lecture de la proposition que vous avez faite et que la chambre a adoptée.
D’ailleurs, on peut toujours mettre la loi communale à l’ordre du jour sauf à
discuter là-dessus.
M.
Lebeau. - Que l’on mette éventuellement la loi communale à l’ordre du
jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je demande que les pétitions soient mises à l’ordre du jour de demain ; la
séance sera ainsi remplie, et demain la chambre fixera l’ordre du jour
d’après-demain.
M.
Dumortier. - Je demande que l’on mette éventuellement la loi communale
à l’ordre du jour de demain ; demain la chambre décidera.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Pas du tout, la chambre a décidé.
-
Messieurs les députés quittent leur place et se livrent à haute voix à des
conversations particulières. La discussion continue au milieu du bruit.
M. Dumortier.
persiste à demander que la suite de la discussion de la loi communale soit mise
à l’ordre du jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
invoque la décision prise par la chambre dans la séance de samedi.
M.
Jullien combat la demande de M.
Dumortier.
M.
Dumortier fait observer qu’il ne demande rien autre chose que
l’exécution de la proposition de M. le ministre de l’intérieur telle qu’elle a été
écrite, et telle que la chambre l’a adoptée.
- La séance est levée à quatre
heures et demie.