Accueil Séances plénières
Tables
des matières Biographies Livres numérisés
Bibliographie et
liens Note
d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 8 décembre 1834
Sommaire
1)
Lecture du procès-verbal. Incident relatif à l’appel nominal de la veille,
constatant l’absence de quorum (de Puydt, Jadot, Cornet de Grez, Eloy de Burdinne)
2)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative à la haute cour
militaire (Fallon)
3)
Incident relatif au règlement de la chambre (lettre d’un parlementaire (Gendebien) exposant par écrit le motifs d’un vote à
venir sur le budget des voies et moyens) (de Robaulx,
Liedts, de Brouckere, Jullien, Dubus, Jullien,
F. de Mérode, de Brouckere,
A. Rodenbach, de Robaulx)
4)
Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1835.
Confiance accordée au gouvernement, expulsion d’étrangers (Gendebien)
5)
Vérification des pouvoirs d’un membre de la chambre (Van
den Wiele)
6)
Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1835.
a)
Communication du gouvernement portant sur la situation diplomatique générale et
la nécessité d’une contribution extraordinaire de guerre (d’Huart,
de Robaulx, d’Huart, de Robaulx, de Muelenaere, de Robaulx, Dumortier, de Muelenaere, Pirson, de Muelenaere, de Robaulx, de Brouckere, d’Huart, Desmanet de Biesme, de Robaulx,
Pollénus, Evain, Desmanet de Biesme, Nothomb, F. de Mérode, Jullien, de Robaulx)
b)
Discussion générale. Proposition d’ajournement (de
Brouckere, Coghen), nécessité de réformer le système
d’impôt, notamment impôt sur le sel et les distilleries, vérification des poids
et mesures (Berger), comptabilité de l’Etat :
présentation tardive des budgets de dépenses, contribution extraordinaire de
guerre, répartition des impôts, tarif des douanes (Desmaisières)
(Moniteur belge n°343, du 9 décembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à
une heure 3/4.
M. de Renesse procède à l’appel nominal.
M.
Brixhe donne lecture un procès-verbal de la séance d’avant-hier.
M.
de Puydt. - Je viens réclamer contre l’insertion de mon nom dans le Moniteur au nombre des membres absents
par suite de l’appel nominal fait à la fin de la dernière séance.
Quand on a pris part aux
travaux de la section centrale depuis 10 heures jusqu’à 5 heures et demie, et
qu’on ne s’est absenté que momentanément, il serait injuste qu’on fût signalé
comme n’ayant pas été présent à la séance.
Je
conçois que l’on blâme les députés qui restent dans leur province et qui
négligent de remplir leur mandat. Mais le blâme ne peut atteindre ceux qui ne
s’absentent momentanément des séances que pour s’occuper des travaux de la
chambre.
Je demande l’insertion
de ma réclamation au procès-verbal.
M. Jadot. - L’observation que vient de faire
l’honorable M. de Puydt m’est applicable en tout point : comme lui je suis
entré en section à dix heures et n’ai quitté la séance qu’à trois et demie. Je
puis assurer que depuis l’ouverture de la session je n’ai pas manqué aux
travaux de la chambre pendant quatre heures. Je doute que M. Eloy de Burdinne
puisse en dire autant.
Je proteste en outre
contre une délibération prise par 45 membres pour signaler 55 de leurs
collègues comme négligents. C’est un acte que la minorité n’a pu se permettre.
M.
Cornet de Grez.
- J’ai vu également mon nom dans la liste des absents insérée au Moniteur. Cependant j’ai assisté à la
séance depuis 1 heure jusqu’à 4 heures et demie. Je ne me suis retiré que parce
que j’ai vu que la chambre n’était plus en nombre et que j’ai pensé dès lors
qu’aucune décision ne pouvait être prise. Je demande que mon observation soit
insérée au procès-verbal.
M.
F. de Mérode. - Je pense qu’il faut insérer toutes ces réclamations au
procès-verbal et n’en plus parler. (On
rit.)
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la
parole pour un fait personnel.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour.
M. Eloy de Burdinne. - Lorsque j’ai
demandé l’appel nominal dans la séance d’avant-hier, mon intention n’a été nullement
d’inculper les membres qui ne suivent pas exactement les séances de la chambre.
Si M. Jadot assiste régulièrement aux séances, ce reproche, eût-il été fait, ne
l’atteindrait pas. Quant à moi dont on a parlé, je puis assurer que je ne
manque pas aux séances et moins peut-être que M. Jadot.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour.
M.
le président. - Les observations qui ont été faites ne tendant pas à
contester l’exactitude du procès-verbal de la précédente séance, s’il n’y a pas
d’opposition, je le déclare adopté.
Les réclamations de MM.
de Puydt, Jadot et Cornet de Grez seront insérées dans le procès-verbal de la
séance d’aujourd’hui.
M.
de Renesse fait connaître l’analyse de la pétition suivante.
« Le sieur de Mercx, général de brigade en non-activité, renouvelle sa
demande de suppression de la haute cour militaire. »
M.
Fallon. - Comme cette pétition se rattache au budget de la justice et
que la section centrale s’en occupe, je demande qu’elle lui soit renvoyée.
- La pétition est
renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget de la justice.
_______________
Il est donné lecture
d’une lettre de M. le ministre des finances, accompagnant l’envoi d’une
expédition d’un arrêté royal du 26 du mois dernier, qui nomme M. Aldefonse Dujardin, secrétaire-genéral
par intérim du ministère des finances, commissaire du Roi, à l’effet de
soutenir devant les chambres la discussion des budgets et des lois des
finances.
M. le président. - Par une lettre adressée à l’un
de MM. les secrétaires de la chambre, M. Gendebien.
fait savoir que des motifs de famille l’empêchent de
se rendre à son poste.
Dans cette même lettre,
M. Gendebien fait ensuite connaître en le motivant le vote qu’il se proposait
d’émettre sur l’objet à l’ordre du jour, et demande qu’il en soit fait part à
la chambre. Comme il n’y a aucun précédent sur ce point, le bureau a cru devoir
consulter l’assemblée à l’effet de savoir s’il y a lieu de donner lecture de
cette partie de la lettre de notre honorable collègue.
M. de Robaulx. - Y a-t-il du danger à cette lecture ? Si
elle n’offre pas de danger, je ne vois pas pourquoi l’on s’y opposerait.
M. de Brouckere. - Personne ne s’y oppose.
M. de Robaulx. - Jamais l’on n’a refusé la lecture
d’une pétition, à moins que ses termes ne fussent irritants, inconvenants, et
qu’il ne fût par conséquent impossible de la lire. Dès lors comment
supposerait-on à la lecture de la lettre d’un député, à qui l’on doit rendre
cette justice qu’il ne se sera pas écarté des convenances à l’égard de ses
collègues, comme l’observation de M. le président pourrait peut-être le faire
supposer ?
M.
le président. - Je ferai observer à M. de Robaulx que je ne suis dans
cette circonstance que l’organe du bureau qui se charge de consulter la
chambre.
M. Liedts. - Je suis loin de m’opposer à la
lecture de la lettre de M. Gendebien ; mais je conçois fort bien les scrupules
de M. le président et du bureau. La question est de savoir si un membre de la
chambre peut lui faire connaître son opinion par écrit, si par suite les
membres de la chambre qui ne se rendent pas à leur poste, pourront de leur
province nous envoyer des discours écrits. Je trouve que le bureau fait fort
bien de consulter l’assemblée sur ce point.
M. de Brouckere. - Je pense ainsi que
l’honorable préopinant qu’il n’y a pas le moindre reproche à adresser à M. le
président ; je pense qu’il a agi avec prudence, avec circonspection en
consultant l’assemblée. Mais je ferai remarquer qu’à moins de dire que la
lettre est inconvenante, ce que je suis loin de penser, on est obligé d’en
donner lecture. Je crois au reste que cette lecture ne rencontre aucune
opposition.
M.
Jullien. - Je demanderai si la lettre est adressée à l’un de MM. les
secrétaires.
M.
de Renesse. - La lettre m’est adressée en ma qualité de secrétaire de la
chambre.
M. Jullien. - Dès lors il ne peut y avoir de
difficulté. On adresse une lettre à l’un de MM. les secrétaires pour qu’il en
soit donné communication à la chambre. A moins de considérations particulières,
je ne sais donc pas ce qui peut empêcher qu’on donne lecture de la lettre de
l’honorable M. Gendebien. Je
suis néanmoins de l’avis des honorables préopinants, et j’approuve comme eux
les scrupules qui ont porté M. le président et le bureau à consulter
l’assemblée.
M.
Dubus. - Les scrupules du bureau ne sont pas venus de ce que la lettre
a été adressée à l’un de MM. les secrétaires, au lieu d’être adressée à M. le
président ; le bureau a eu bientôt passé sur cette question de forme. Mais la question
soulevée est une question de règlement. Il s’agit de savoir si un membre de la
chambre, outre le droit qu’il a de voter quand il est présent, a celui,
lorsqu’il est absent, d’adresser à la chambre son opinion écrite et d’exiger
qu’elle soit lue à la chambre. Comme il n’y a pas à cet égard de précédents, le
bureau n’a pas voulu trancher la question, et a cru devoir la soumettre à la
chambre. Maintenant que l’on sait quels ont été les motifs des scrupules du
bureau, et que l’on voit qu’ils ne sont nullement fondés sur ce que la lettre
lui aurait paru rédigée en termes inconvenants, l’on trouvera sans doute que le
bureau a eu raison.
M. de Brouckere. - Oui, certainement.
M. Dubus. - La question ne s’était pas
présentée et par conséquent n’avait pas encore été décidée par la chambre. Ce
que vous déciderez formera un précédent. Dans le cas où la lecture de la lettre
sera ordonnée, les députés sauront qu’ils ont le droit d’adresser à la chambre
leur opinion écrite pour qu’il lui en soit donné lecture.
M. Jullien. - J’aurai l’honneur de faire observer
que le préopinant se trompe lorsqu’il dit qu’il n’y a pas de précédent. Je me
rappelle que dans une discussion importante qui a eu lieu dans le cours de la
session dernière, M. Seron a envoyé à M. Gendebien son opinion écrite, et que
celui-ci en a donné lecture à la chambre sans que cela ait souffert aucune
difficulté. Voilà un précédent. Personne d’ailleurs ne s’oppose à la lecture de
la lettre, elle doit donc avoir lieu.
M. F. de Mérode. - S’il n’y a pas
d’inconvénients à ce que l’on lise la lettre de M. Gendebien, je ne m’y oppose
pas. Mais voici le résultat que cela peut avoir : il arrivera peut-être que des
membres de la chambre, trouvant plus commode de s’absenter, nous enverront des
lettres exprimant leur opinion, et se dispenseront ainsi de l’exprimer
eux-mêmes, en venant assister aux séances.
M. de Brouckere. - L’honorable M. Jullien
vient de dire qu’il y a des précédents, et il a eu, ce me semble, raison. Je
demanderai à la chambre la permission de lui citer un exemple ou deux qui
prouvent que déjà des membres absents ont fait connaître à l’assemblée leur
opinion par écrit.
L’an passé, l’honorable
M. Corbisier a dû quitter la séance ; il m’avait confié un discours qu’il avait
préparé ; la chambre m’a engagé à lui en donner lecture ; c’est ce que j’ai
fait.
Dernièrement M.
Davignon, n’étant pas présent à une discussion, a envoyé par lettre son opinion
motivée, et l’on n’a trouvé aucun inconvénient à ce qu’il fût donné lecture de
cette lettre.
Maintenant l’on parle
des inconvénients que ce procédé peut offrir plus tard quand il en sera ainsi,
nous cesserons de lire les lettres que l’on nous adressera. Mais puisqu’à cette
manière de faire n’a jusqu’ici présenté aucun inconvénient, je ne vois pas
pourquoi nous nous refuserions à entendre la lecture de la lettre dont il
s’agit.
Je
ne sais pas même si ce ne serait pas manquer à notre honorable collègue que de
commencer par lui, et à propos de la lettre qu’il envoie, de refuser pour la
première fois d’entendre la lecture de l’opinion écrite d’un membre de la
chambre. Ce serait presque supposer que sa lettre manque aux convenances,
tandis qu’assurément personne de nous n’a pu croire qu’elle contient rien
d’inconvenant. Je pense donc qu’aucun de mes collègues ne voudrait qu’une telle
mesure fût prise vis-à-vis de l’honorable M. Gendebien ; et je vois avec plaisir
qu’aucun d’eux en effet ne s’est opposé à ce qu’on donnât lecture de sa lettre.
M. A. Rodenbach. - Je ne veux pas m’opposer à
la lecture de la lettre ; mais puisqu’on a parlé d’antécédents, j’ai quelques
observations à présenter.
Les antécédents que l’on
rappelle sont relatifs à des discussions de projets de loi ; il n’y a pas
d’exemple qu’on ait rien envoyé à la chambre sur des lois votées.
La lettre, objet du
débat incident, peut donc être lue ; je le répète, je ne m’y oppose pas ; mais
je demande que cette lecture n’établisse pas un précédent, un droit. Ici, nous
ne votons pas, comme en Angleterre, par procuration.
M. de Robaulx. - On n’examine pas assez attentivement la
question relative à l’établissement d’un précédent ; je veux présenter quelques
réflexions sur cette question. De ce qu’on lira la lettre de M. Gendebien, ce
n’est pas une raison pour qu’on lise toutes celles que pourraient nous envoyer
nos collègues. Vous pouvez faire ou ne pas faire tout ce qui ne vous est pas
interdit par votre règlement, donc vous pouvez lire ou ne pas lire la lettre
d’un membre de la chambre. Les pétitionnaires, en vous envoyant leurs mémoires,
courent bien, eux, la chance de les faire lire ; pourquoi nos collègues ne
courraient-ils pas aussi. la chance de faire lire
leurs lettres ?
Je
demanderai surtout pourquoi on ne lirait pas la lettre d’un homme à la loyauté
duquel tous les partis rendent justice ? Si M. Gendebien envoyait un vote dans
cette lettre, je serais le premier à déclarer qu’il n’en a pas le droit. En
admettant la lecture, je déclare que la chambre n’est pas liée par ce fait pour
un fait semblable qui se représenterait. Si d’autres membres, partant de cet
antécédent, envoyaient des lettres contenant des expressions inconvenantes, je
réclamerais qu’elles ne fussent pas lues… (Assez
! assez ! aux voix ! aux voix !)
M.
le président. - Lecture de la lettre sera faite s’il n’y a pas
d’opposition.
M.
de Renesse, l’un des secrétaires, procède à cette lecture :
« A M. de Renesse,
secrétaire de la chambre des représentants,
« Bruxelles, 8
décembre 1834
« Monsieur et
honorable ami,
« Rentré samedi
soir à Bruxelles, tout exprès pour assister à la discussion générale du budget
des voies et moyens, je me vois forcé aujourd’hui de manquer à mon mandat de
député, pour satisfaire aux plus impérieux devoirs de famille. Je ne serai de
retour que dans deux ou trois jours.
« Afin de ne
laisser aucun doute sur les motifs de mon absence, j’ose vous prier de donner
lecture de ma lettre à la chambre et de la faire insérer au Moniteur.
« Je déclare que je
ne puis accorder ma confiance à un ministère qui a maintenu l’arrêté inconstitutionnel
d’expulsion et retenu M. Béthune en prison sous le poids lettre de cachet. Je
ne puis accorder ma confiance à des ministres qui ont destitué brutalement MM.
de Puydt et Hennequin, les plus honorables administrateurs que je connaisse,
pour les remplacer par M. Lebeau qu’on disait usé et taré, et par M. le comte Charles Vilain XIIII qui a
épouvante
« Je refuse
l’épithète de montagnard lancée si
insolemment par le ministre de la justice contre mes honorables amis et moi. dans le sens injurieux et calomnieux qu’il semble y avoir
attaché. Il n’aurait pas dû oublier que la montagne
a sauvé
« Si notre
révolution a été maculée et exploitée, si
« Je proteste
contre les hommes qui sont au pouvoir, je méprise leurs injures, et je leur
refuserai tout subside.
« Veuillez, mon
cher et très honoré collège, agréer l’assurance de ma parfaite estime et de mon
entier dévouement.
« Alexandre
Gendebien. »
M. Helias d’Huddeghem, organe de la commission spéciale
chargée d’examiner les élections qui ont eu lieu à Malines, monte à la tribune
et s’exprime en ces termes. - Par arrêté royal du 13 novembre, le collège
électoral de Malines a été convoqué le 2 décembre à l’effet de procéder à la
nomination d’un membre de la chambre des représentants en remplacement de feu
M. Boucqueau de Villeraie.
Il résulte des
procès-verbaux des quatre sections dans lesquelles les électeurs ont été
répartis, qu’au premier tour de scrutin le bureau principal a constaté que, sur
la généralité des votants au nombre de
Personne n’ayant réuni
plus de la moitié des voix conformément aux articles 35 et 36 de la loi du 3
mars, le bureau central a procédé à un deuxième tour de scrutin.
La liste faite par le
bureau se composait de MM. Adolphe-Charles Vanden Wiele, conseiller
de régence à Malines, et Mast de Vries, bourgmestre de Lierre, qui avaient
obtenu le plus de voix.
Le recensement de votes
émis a donné pour résultat que, sur 272 votants, M. A.-Ch. Vanden Wiele a
obtenu 137 voix, et que M. Mast de Vries a réuni 135 suffrages ; en conséquence
M. A-Ch. Vanden Wiele a été proclamé membre de la chambre des représentants.
Votre commission a
trouvé que toutes les formalités prescrites par la loi du 3 mars 1831 avaient
été observées, et qu’aucune réclamation ne s’était élevée à cet égard : en
conséquence, elle a l’honneur par mon organe de vous proposer l’admission de M.
A-Ch. Vanden Wiele comme membre de cette chambre.
- Les conclusions de la
commission sont admises sans opposition ; en conséquence M. Vanden Wiele, est
proclamé membre de la chambre.
Communication du gouvernement
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demanderai la parole pour
présenter des modifications à la loi sur les voies et moyens.
M. de Robaulx. - Je la demande aussi pour
faire une motion. Cette motion est toute simple. Le ministère demande des
impôts ; mais comme la situation de l’Europe est changée, comme elle est grave
pour nous, avant de discuter si nous accorderons les impôts, il faut savoir si
l’administration nouvelle qui nous les demande mérite notre confiance, si elle
a la confiance du pays. Voilà ce qui est très clair et très explicite. Ainsi,
avant la discussion du budget des recettes, je demande la parole pour
développer les motifs de ma motion d’ordre.
M. le président. - Je dois donner la parole aux
ministres quand ils la demandent.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai à faire à la chambre une
communication ; j’ai à lui présenter une addition au budget des voies et moyens
; on ne peut empêcher un ministre de parler ; M. le président doit me maintenir
la parole.
M.
le président. - La parole est à M le ministre des finances.
- M. le ministre des
finances monte à la tribune.
M. de Robaulx. - A la bonne heure ; cela
annonce une communication ministérielle.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs ç’a été avec le
sentiment d’une bien douce satisfaction que le Roi, en ouvrant la session, a
annoncé au pays des réductions dans les charges publiques. Confiant dans la
situation politique où nous nous trouvions il y a un mois, le gouvernement
avait compté que des économies notables dans les dépenses de la guerre seraient
possibles, et que, par suite, nos voies et moyens pourraient être restreints.
Le changement de
ministère chez une nation qui nous a donné, depuis quatre ans, des preuves non
équivoques de sympathie, a causé, à tort sans doute, de l’inquiétude. Tout
annonce que la politique européenne n’éprouvera point de modification.
Toutefois, on ne doit pas se dissimuler que cet événement a
pu rendre une lueur d’espoir aux ennemis de notre indépendance.
L’attention du
gouvernement a été éveillée sur ce qui se passe autour de nous.
Quoique nos forces
militaires soient en ce moment organisées et combinées de manière à ce que le
pays puisse se tenir dans une parfaite sécurité, néanmoins il importe que nos
moyens de défense puissent être augmentés, si les circonstances l’exigeaient :
il importe surtout que le gouvernement belge ait par-devers lui les ressources
suffisantes pour renforcer sur-le-champ l’armée, s’il était reconnu que le
gouvernement hollandais fît des dispositions pour augmenter la sienne.
Il n’y a certes rien
d’urgent à majorer dès maintenant, pour 1835, le budget réduit du département
de la guerre ; le gouvernement, je dois le dire, avait même pensé que l’on
pourrait attendre quelques semaines avant de s’y décider, afin d’être plus à
portée de juger si cela était indispensable ; mais des craintes ont été
manifestées dans cette enceinte ; elles peuvent avoir du retentissement dans le
pays ; il est donc devenu prudent de créer, dès à présent, un fonds de réserve.
Décidé par suite à vous
soumettre un budget supplémentaire et extraordinaire pour les dépenses
qu’éventuellement les circonstances peuvent nécessiter au département de la
gouvernement, le gouvernement vient, par mon organe, proposer à la chambre un
article à introduire dans la loi du budget des voies et moyens, par lequel dix
centimes additionnels extraordinaires seraient à titre de subvention
uniformément appliqués à tous les impôts en principal et additionnels, tels
qu’ils sont renseignés au tableau annexé au projet en discussion ; ce qui
augmenterait les revenus du trésor d’environ 7 millions pour l’année.
En suivant cette marche,
nous prouverons à l’Europe que
Le budget supplémentaire
et extraordinaire dont il s’agit, ne sera qu’éventuel, si, comme nous devons
l’espérer, la paix n’est pas troublée. De toute manière, le gouvernement n’en
fera usage qu’en cas de nécessité et sous sa responsabilité. Messieurs, si le
premier soin des mandataires d’un peuple est de veiller à la conservation de sa
nationalité et à préserver l’honneur du pays de toute atteinte, le gouvernement
regarde aussi comme un devoir impérieux d’alléger autant que possible les
charges du contribuable, car le bonheur des Etats dépend essentiellement de
l’aisance des habitants, et cette aisance est d’autant plus grande que les
impôts sont moins lourds. Vous pouvez donc être convaincus, messieurs,
qu’aussitôt que l’horizon politique permettra d’apercevoir l’inutilité de nos
armements extraordinaires, le gouvernement s’empressera spontanément de les
supprimer et un projet de loi serait présenté à la législature à l’effet de
réclamer l’abolition des dix centimes additionnels de subvention, s’ils étaient
reconnus inutiles.
En proposant de répartir
uniformément ces dix centimes additionnels extraordinaires sur tous les impôts,
le gouvernement croit agir équitablement ; en effet, dans l’état actuel du pays
il n’y a aucune raison d’exiger davantage d’une sorte d’impôt que de l’autre ;
la justice distributive demande que l’équilibre entre eux ne soit point rompu.
D’après ce que je viens
d’avoir l’honneur de vous exposer, je remets sur le bureau un projet d’article
dont je vais donner lecture. J’y joins, comme conséquence, une annexe à insérer
dans le tableau du budget général des voies et moyens entre les recettes
effectives du trésor et les recettes pour ordre : je proposerai en outre
d’ajouter à la fin de l’art. 3 du projet de loi, qui deviendra l’art. 4 ; après
la somme de 84,042,519 fr., les mots suivants :
« et la subvention éventuelle de guerre, à celle de 7,238,121-90. »
- M. le ministre dépose
sur le bureau de la chambre le tableau indiquant les sommes que produirait
chaque nature d’impôt par la perception de ces centimes additionnels
L’impression et la
distribution du discours du ministre, et des documents qui l’accompagnent est
ordonnée.
M. de Robaulx. - Messieurs, ainsi que j’ai
eu l’honneur de vous le faire pressentir tout à l’heure, mon intention est de
mettre en pratique, autant que possible, ce qu’il y a de bon dans les
gouvernements représentatifs ; et, à mon avis, la dose en est petite.
Le doctrinarisme
français s’infiltre chez nous ; il passe la frontière ; mais si nous sommes
condamnés à subir ce qu’il y a de mauvais dans le gouvernement français,
conservons au moins les garanties que l’on conserve dans ce pays : il serait
pénible que le gouvernement représentatif fût chez nous totalement anéanti dans
ses formes les plus utiles, dans celles par lesquelles les ministres sont
obligés de rendre compte à la nation de sa situation tant intérieure
qu’extérieure.
Messieurs, au moment où
le torysme triomphe en Angleterre, où il menace votre chère nationalité, car il
la menace en donnant peu de sécurité relativement au maintien de la quadruple
alliance, il faut que le ministère nous fasse connaître les moyens que nous
avons pour soutenir nos droits. Je n’ai pas grande confiance en quelques
paroles doucereuses échappées à lord Wellington : Je me défie des Grecs et de leurs présents ; je me défie des
espérances fallacieuses qu’on voudrait nous faire concevoir. Quand la quadruple
alliance est dissoute, quand le lien par lequel elle était formée est rompu, ne
devons-nous pas concevoir des craintes ? Il faut savoir si, à cet égard, le
ministère n’a pas de renseignements à nous donner.
La quadruple alliance, malgré la
présence des torys au pouvoir en Angleterre, existe-t-elle encore ? Notre
position est-elle ou non changée ?
Indépendamment de ces
questions dont la solution est importante, il en est d’autres qui ne sont pas
d’un moins haut intérêt, et qui doivent aussi nous faire concevoir des
craintes. A Francfort il s’est établi un tribunal d’arbitrage, ou plutôt un
tribunal d’arbitraire. Ajoutez à cela les conciliabules de Vienne et d’autres
lieux, où les puissances absolues ont cherché à river les fers de l’Allemagne,
et à faire tomber sur
Une partie de notre
territoire est, dit-on, dans les liens de la confédération ; est-il vrai que le
tribunal d’arbitrage comprend le Luxembourg tout entier dans ses attributions ?
Si le tribunal de Francfort veut juger la question relative à ce territoire, il
est évident que le roi Guillaume portera son différend, de la conférence de
Londres, à l’arbitraire des décisions de Francfort.
Est-il vrai que les
puissances signataires du traité du 15 novembre,
Elles ont reconnu notre
nationalité, au moins pour une partie du territoire ; il faudrait savoir si
pour, l’autre partie pour le Luxembourg, nos concitoyens ne sont pas menacés de
passer sous la domination de la confédération germanique.
Quand je considère
l’état de l’Europe, je dis qu’il est impossible qu’un nouveau cabinet ne vienne
pas nous expliquer quelle est notre position relativement aux affaires
étrangères.
Je
demande donc que le ministre chargé de nos relations extérieures nous fasse le
tableau de la situation du pays. Je demande également qu’il nous soit fait un
rapport sur toutes les autres parties de l’administration. Les ministères qui
ont précédé celui-ci se sont soumis à cette formalité ; ils nous ont présenté
une situation plus ou moins véridique de l’état des choses ; je ne vois pas
pourquoi les ministres actuels ne feraient pas de même. D’après le tableau
qu’ils nous présenteront, nous verrons si nous devons augmenter nos
contributions.
Je le répète, je demande
un tableau de notre situation, tant intérieure qu’extérieure.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Messieurs, dans la séance du 4 de ce mois, quand il
s’est agi de fixer le jour pour la discussion du budget des voies et moyens, un
honorable députe de Tournay fit observer à la chambre que les réductions
annoncées dans le discours du trône pourraient bien ne plus pouvoir s’opérer
aujourd’hui, et il demanda que le budget des voies et moyens fût renvoyé après
celui de la guerre. Un de ses honorables amis, paraissant partager au fond
cette opinion, n’a pas cru voir d’opposition à ce que la discussion commençât
aujourd’hui. Rien n’empêchait, selon lui, que le ministère fournit à la chambre
sur nos relations extérieures les communications nécessaires pour fixer son
opinion. A ces observations il a été très judicieusement répondu par un
honorable député de Dinant que le ministère serait fort embarrassé de faire un
rapport sur les affaires extérieures, parce que, disait- il, le ministère n’a
pas la faculté de prévoir l’avenir.
En effet, le présent
n’offre qu’un seul événement plus ou moins remarquable pour
Je ferai remarquer
d’abord que ce cabinet n’est pas encore constitué ; dès lors, il est impossible
de se former une opinion raisonnable, sur l’esprit qui dirigera ses actes.
Je me hâte cependant de
dire que je ne partage pas personnellement les vives appréhensions qu’ont fait
naître certains noms propres.
Quoiqu’il en soit, le
gouvernement hollandais toujours enclin se faire illusion, croyant entrevoir
partout des lueurs d’espérance, se flattant encore peut-être de l’idée de
pouvoir reconquérir tôt ou tard des provinces qu’il a irrécouvrablement
perdues ; le gouvernement hollandais, dis-je, pourrait bien envisager sous un
point de vue plus favorable à ses projets hostiles contre
En pareille
circonstance, il est d’un devoir impérieux pour le gouvernement du Roi d’avoir
constamment les yeux ouverts sur
Ce ne serait pas en
vain, j’en suis sûr, que nous ferions un appel à la loyauté de nos anciens
alliés contre une agression injuste et contraire à la lettre et à l’esprit des
traités.
Mais
Appuyée sur une armée
brave, disciplinée, et qui a le sentiment de ses devoirs, sur une armée dans
laquelle, au besoin, la nation tout entière viendrait se confondre ;
Ce serait une négligence
bien coupable de notre part de laisser
Il en résultera, à la
vérité, une augmentation de dépenses.
C’est un mal, un grand
mal, j’en conviens ; mais ce sacrifice,
Je suis persuadé,
messieurs, que vous tous, vous avez compris et apprécié ma pensée. Je crois
néanmoins devoir protester dès à présent contre les inductions qu’on pourrait,
hors de cette enceinte, tirer de mes paroles. Cette protestation est nécessaire
dans l’intérêt du commerce et de l’industrie ; elle est nécessaire pour
rassurer la nation contre les bruits faux, absurdes, ridicules même, qui
circulent depuis quelques jours.
Je déclare qu’il n’est
parvenu à ma connaissance, ni à celle du gouvernement, aucune parole, aucun
acte, aucun fait, dont on puisse directement ou indirectement tirer la
conséquence que l’administration tory, dont un noble duc serait le chef,
répudierait aucun des antécédents de ses prédécesseurs, et ne se considérerait
pas comme liée par tous les actes posés et accomplis sous le ministère de ces
derniers. Je déclare que nulle parole, que nul acte, que nul fait ne peuvent faire supposer qu’il soit rien innové dans
l’ensemble de la politique extérieure de l’Angleterre et de
Nous sommes en présence
d’un événement que chacun peut diversement interpréter.
Mais notre position
diplomatique, en elle-même, n’offre aucun incident nouveau qui puisse inspirer
la moindre inquiétude. Toutefois, je le répète, la prudence nous fait un devoir
de renforcer notre situation militaire, dans la même proportion que
Je
désire qu’on fasse attention à ces paroles : L’intention du gouvernement n’est
pas de se livrer à de grands armements en ce moment. Son but est de veiller à
ce qui se passe en Hollande, et de se tenir en mesure contre toute
manifestation hostile. Il découlera de là un double avantage. D’abord vous
serez prémunis contre un événement toujours possible, la rupture de l’armistice
; en second lieu, cette conduite de
M. de Robaulx. - Je n’ai que quelques mots
ajouter. J’ai remarqué que M. le ministre des affaires étrangères se saisissait
avec quelque avidité d’une parole de M. Pirson, je crois, parole qui renferme
ce sens, que le ministre serait bien embarrassé de donner des renseignements
sur la situation des affaires extérieures, et qu’il glissait sur cette phrase
dont il faisait une espèce de panacée universelle. Il s’est mis ensuite à
discuter afin de savoir s’il est nécessaire d’augmenter l’armée et de se mettre
sur la défensive. Ce n’est pas sur des indices vagues que la situation
politique donne lieu à de véritables inquiétudes.
Vous, M. le ministre,
vous pouvez n’avoir pas de doute ; peut-être même les révolutions qui se sont
opérées dans certain cabinet sont-elles conformes à vos espérances et à vos
désirs. Mais vos espérances et les nôtres peuvent n’être pas les mêmes. Il faut
que la chambre apprécie et juge par elle-même jusqu’à quel point votre
tranquillité, votre quiétude est fondée.
Que demandons-nous ? Un
état de notre situation politique intérieure et extérieure : c’est une
communication que dans tous les gouvernements constitutionnels, non seulement
on ne refuse jamais, mais qu’on vient offrir au pays dès qu’il survient un
événement qui peut plus ou moins troubler sa sécurité. Nous sommes étonnés que
le ministère tout entier ne vienne pas nous donner les explications que nous
lui demandons. C’est cependant lors du vote du budget que le gouvernement doit
s’expliquer sur toutes les parties de l’administration.
Je n’ai rien entendu,
dans ce qu’a dit le gouvernement jusqu’à présent, qu’ait pu démontrer
l’inutilité du rapport que nous avons demandé.
Le ministre des finances
vient de présenter un appendice au budget des voies et moyens. Il est
impossible que l’on puisse voter à l’instant sur cette proposition.
Je
ne crois pas d’ailleurs que l’intention du ministre soit de la faire discuter
en l’affranchissant de l’examen des sections et de l’examen de la section
centrale, qui a fait le rapport sur le budget des voies et moyens. Les uns
penseront peut-être que la demande doit être rejetée, les autres qu’elle doit
être votée d’une manière définitive. Vous ne pouvez donc pas discuter dans ce
moment les voies et moyens. Nous devons attendre le rapport sur la proposition
du ministre, afin de les discuter dans leur ensemble. Que le ministre, de son
côté, profite du délai que ce rapport nécessite pour nous donner un exposé sur
la situation politique du pays. Je le répète, je n’ai pas vu qu’on ait combattu
d’une manière tant soit peu raisonnable la proposition que j’ai faite.
M.
Dumortier. - Ce n’est pas sans raison que le ministère est embarrassé
poux répondre aux interpellations qui lui sont adressées. Nous concevons qu’il
ne puisse pas connaître les projets du ministère nouveau qu’on dit n’avoir été
formé en Angleterre que dans le but de faire revivre les prétentions de la
sainte-alliance, ce ministère n’ayant encore fait aucun acte et même n’étant
pour ainsi dire pas encore constitué. Cependant nous ne devons pas méconnaître
les dispositions du parti à la tête duquel se trouve placé le chef du nouveau
cabinet anglais ; c’est assez vous dire que dans mon opinion
Loin de moi la pensée de
vouloir jeter des craintes dans le pays. J’ai toujours eu foi dans la
nationalité et de
M. le ministre des
affaires étrangères nous a dit que jusqu’ici rien ne pouvait faire présumer
qu’il serait rien innové dans l’état de nos négociations ; que jusqu’ici aucune
communication officielle ne lui avait été faite relativement à
Je voudrais savoir
jusqu’à quel point ce nouveau cabinet reconnaît
M. le ministre a dit
qu’il était impossible de se faire une opinion raisonnée sur le système du
cabinet anglais. Il a ajouté que rien ne pouvait faire présumer qu’il y serait
introduit des modifications. J’ai sous les yeux la reproduction d’un article
d’un journal tory qui passe en Angleterre pour être l’organe du chef actuel du
cabinet anglais, et qui s’exprime de manière à ne laisser aucun doute sur ce
que nous devons en attendre.
Les journaux anglais
avaient avancé deux faits : d’abord que le ministère aurait maintenu le
principe de la non intervention ; en second lieu, que la politique étrangère de
Savez-vous comment
l’organe du duc de Wellington répond à ces allégations ? Ecoutez cette réponse.
Vous verrez si les intentions du chef du nouveau cabinet sont aussi favorables
à notre cause qu’on semble le croire :
« Sans doute le
ministère conservateur de
Et plus loin :
« Nous ne concluons
point des traités avec des assemblées populaires, ni avec des troupes
vagabondes de propagateurs d’opinions étranges, mais avec des gouvernements. »
Ainsi, messieurs, vous
voyez dès aujourd’hui la tendance du ministère anglais. L’organe du duc de
Wellington est hostile à toutes les révolutions qui ont eu lieu depuis 1830, à
ces assemblées populaires, que l’on désigne sous le nom de troupes vagabondes
de propagateurs d’opinions étranges. Nous savons que les gouvernements dont
parle le journal tory sont des émanations de la sainte-alliance. Nous savons
tous que le noble duc est lui-même actuellement encore feld-maréchal de la
puissance avec laquelle nous sommes en guerre. Il ne faut pas nous fermer
volontairement les yeux. Nous n’avons à attendre aucune espèce de justice de la
part du chef actuel du cabinet anglais. C’est dans de pareilles circonstances
que
Maintenant, messieurs,
il est un autre point sur lequel je dois appeler votre attention ; l’honorable
M. de Robaulx l’a déjà touché tout à l’heure, c’est la question du Luxembourg.
Vous n’ignorez pas les conférences qui ont eu lieu à München-Graetz, vous savez que ce congrès réglant les intérêts de
l’Allemagne a constitué auprès de la diète germanique un tribunal arbitral ou
plutôt arbitraire, pour mettre à la raison les peuples de la confédération qui
useraient de leurs droits constitutionnels contrairement à la volonté des
puissances despotiques de l’Allemagne.
Pour moi, je suis
convaincu qu’un des buts principaux de cette création nouvelle a été de faire
rentrer le Luxembourg tout entier sous la domination du roi Guillaume. Il ne
faut pas qu’on s’y trompe. Toutes les fois qu’il y aura contestation entre un
pays et un souverain, ce sera le tribunal arbitral qui prononcera.
Nous savons quel
jugement nous devons attendre, si ce tribunal est appelé à juger la question du
Luxembourg, en présence du ministère du feld-maréchal de
Messieurs, j’ai vu avec
plaisir, dans les circonstances actuelles, le ministère nous demander une
augmentation de recettes. Vous savez, messieurs, que je me suis toujours montré
ennemi des impôts élevés, que toujours on m’a vu prêt à voter des réductions de
dépenses ; mais quand la nationalité et l’indépendance du pays sont menacées,
quels que soient les impôts, nous devons les voter spontanément et à
l’unanimité.
Je répète donc que j’ai vu
avec plaisir le gouvernement nous demander une augmentation de ressources pour
augmenter l’armée. Je l’aurais blâmé s’il ne l’eût pas fait, et j’eusse donné
un vote négatif au budget des voies et moyens.
M. le ministre des
affaires étrangères a dit avec raison que nous devions nous tenir en garde
contre les projets de
M. le ministre des finances
de son côté a déclaré que
Personne de vous,
messieurs, n’ignore la nouvelle donnée par les journaux belges d’un événement
des plus extraordinaires qui s’est passé vers les frontières de
Que diriez-vous si
Il est pénible,
messieurs, de voir nos frontières si mal gardées, de voir l’ennemi s’avancer
librement jusqu’au milieu d’un quartier-général, quand on pense que deux
journées de marche suffiraient pour l’amener aux portes de la capitale.
De pareils faits
déconsidèrent une armée et l’affaiblissent, Pour que sur un champ de bataille
elle puisse répondre à l’attente du pays, il faut qu’elle ait dans l’activité
et la prévoyance de ses chefs une confiance qui lui manquera si elle voit
l’ennemi pénétrer jusqu’au sein du quartier-général.
Il est un autre fait sur
lequel j’appellerai l’attention de la chambre. J’ai vu avec peine que
l’avant-garde de notre armée fût placée à l’arrière-garde à Liége, à vingt-cinq
lieues des frontières, alors qu’à chaque instant notre perfide ennemi peut
avancer jusque sous les murs de la capitale.
Je désire que les actes
du gouvernement répondent à ses paroles. En attendant, je prierai MM. les
ministres de donner à la chambre des explications sur les faits que j’ai
signalés.
Je sais qu’avant
l’arrivée d’un noble personnage aux affaires d’Angleterre, nous n’avions rien à
craindre de
Une voix. - Est-ce que vous ne dormez plus
tranquille ?
M.
Dumortier. - Personne n’est plus tranquille que je le suis, mais cela
ne me suffit pas ; je veux que les habitants des frontières puissent dormir
aussi tranquilles que moi ; je veux que les bourgmestres puissent se coucher
sans avoir à craindre d’être enlevés dans leur lit, je veux enfin assurer à nos
fonctionnaires la sécurité dont on jouit sur les frontières hollandaises.
J’espère que le gouvernement prendra des mesures pour faire cesser et empêcher
de se reproduire les abus que j’ai signalés. Dans cette pensée, je voterai de
bon coeur l’augmentation qu’il demande, tout en l’engageant à se prémunir
contre la perfidie hollandaise.
Je
voterai donc de grand coeur l’augmentation demandée par M. le ministre des
finances.
Mais je demande
auparavant que le gouvernement déclare ; premièrement si la nomination du
nouveau cabinet anglais lui a été notifiée, et en second lieu si on lui a donné
communication du congrès de München-Graetz.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).. - Je tâcherai de répondre d’une
manière catégorique aux deux questions que vient de m’adresser l’honorable M.
Dumortier. Il a demandé d’abord si la formation du nouveau ministère tory en
Angleterre avait été notifiée à notre ministre plénipotentiaire à Londres. Je
répondrai que cette notification du nouveau ministère n’a pu avoir lieu,
puisqu’il n’est pas encore complètement constitué. Le duc de Wellington qui,
comme vous le savez, a été jusqu’ici le principal ministre de ce cabinet, a
fait connaître au ministre plénipotentiaire belge, dans la même forme qu’il a
employée à l’égard des ambassadeurs et ministres des autres puissances
étrangères à Londres, qu’il le recevrait pour toutes les communications qu’il
aurait à lui faire de la part de son gouvernement.
Indépendamment de ce
fait, d’autres communications ont eu lieu depuis de la part du duc de
Wellington, non seulement dans sa correspondance avec notre ministre plénipotentiaire
à Londres, mais par une lettre adressée directement au Roi. Je fais allusion
ici à l’événement malheureux qui vient de frapper la famille royale
d’Angleterre par la mort d’un de ses membres.
Sur la deuxième question
relative à la position du Luxembourg, je dirai que les conférences de München-Graetz n’ont pas été
notifiées au gouvernement belge. Ces conférences n’ont pas même dû l’être. La
raison en est toute simple. Vous vous rappelez tous, messieurs, qu’en 1830 le
roi Guillaume lui-même s’était adressé à la diète germanique pour réclamer de
cette assemblée les secours fédéraux.
Vous
vous rappelez aussi que ces secours lui furent refusés par la diète, et qu’elle
s’en référa pour la question du Luxembourg aux décisions de la conférence de
Londres. Dès ce moment, le Luxembourg a été placé vis-à-vis de l’Allemagne dans
une position particulière Les mesures de sûreté intérieure, qui ont été prises
à l’égard des Etats faisant partie de la confédération germanique, ne sont donc
pas applicables au grand-duché de Luxembourg, par la raison qu’il est, comme je
l’ai dit, placé dans une position exceptionnelle.
Telles sont les réponses
que je crois devoir faire aux interpellations de l’honorable M. Dumortier.
M.
Pirson. - J’ai demandé la parole pour donner quelques explications sur
les paroles prononcées dans une séance précédente qu’a appelées M. le ministre
des affaires étrangères. Il s’agissait de savoir si la chambre attendrait le
rapport du budget de la guerre pour discuter celui des voies et moyens, afin
que nous pussions voir ce qu il y avait à faire dans les circonstances
actuelles relativement à notre sûreté extérieure. J’ai objecté à cette opinion
émise par l’honorable M. Dumortier que si effectivement nous nous trouvions dans
une position telle qu’il nous fallût pourvoir à notre sûreté extérieure, il y
aurait lieu lors de la discussion du budget des voies et moyens, de demander à
M. le ministre des explications sur la situation de l’Europe.
Mais j’ajoutais que je
ne croyais pas cependant que nos ministres fussent à même d’en connaître l’état
politique. Je disais que les ministres même des grandes puissances n’étaient
pas dans une position plus favorable que notre cabinet à cet égard. En effet,
il n’est pas très certain que le ministère Wellington se consolide, Il n’est
pas très certain que le ministère français reste au pouvoir. Il règne
actuellement une grande incertitude sur l’avenir.
Il y a une conspiration
des trônes contre les peuples. Les peuples doivent donc se tenir sur leur
garde. Il ne faut pas que nous non plus, nous nous endormions dans une fausse
sécurité. En Hollande, on n’est pas plus disposé que nous ne le sommes à
revenir à la réunion dont nous avons brisé les liens. Les Hollandais ne veulent
plus de cet amalgame ; c’était un mariage mal assorti. Les deux partis ne se
conviennent plus.
Ils sont d’accord pour
rester séparés, Il n’y a donc entre
La proposition de M. le
ministre des finances, qui n’est que provisoire, prouve qu’ils l’ont compris.
Nous aurons soin de stimuler leur zèle. Mais s’ils ne faisaient par leur
devoir, ce n’est pas par un refus du budget qu’il faudrait les en punir. La
chambre aurait à se rendre autour du trône, et les représentants de la nation
diraient au monarque qu’elle a choisi : Demandez-nous de l’argent, des soldats,
nous vous les donnerons.
Il y a donc lieu,
messieurs, de passer à la discussion du budget des voies et moyens. Il me
semble que la proposition de M. le ministre des finances devrait être renvoyée
aux sections. Il s’agira d’examiner si les 10 centimes additionnels provisoires
que l’on vous demande pourront être perçus sur toutes les contributions. Il y a
des impôts qui courront à partir du 1er janvier, tels que le droit
d’enregistrement, les impôts des accises ; tout cela se paie comptant. Comment
pourra-t-on rendre plus tard ce qui aura été perçu ?
Il
y a à examiner s’il ne vaudrait pas mieux établir 20 centimes sur telle espèce
de contributions, 5 centimes sur telle autre. Car il ne faut pas que le mot de
provisoire soit un leurre jésuitique et qu’il ne serve qu’à remplir sans motif
les caisses de l’Etat.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la
motion d’ordre de M. de Robaulx. Elle consiste à demander à M. le ministre des
affaires étrangères un rapport sur la situation extérieure de
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Je vous avoue que je ne puis donner d’autre rapport que
celui que je viens de communiquer à la chambre.
M. de Robaulx. - Reste à savoir si la
chambre se contentera de vos explications. Si elle s’en contente, il est
inutile de mettre aux voix ma motion d’ordre.
M. de Brouckere. - La chambre décidera ce
qu’elle voudra à l’égard de la motion d’ordre de l’honorable M. de Robaulx.
Quant à moi, je déclare que je ne suis pas plus instruit sur la situation de
notre pays que je ne l’étais avant que le ministre des affaires étrangères eût
pris la parole.
Si vous analysez les
deux discours qu’il a prononcés, vous verrez qu’ils se résument à ceci : que M.
le ministre ne sait plus rien. Si la chambre est satisfaite de renseignements
aussi positifs, il est certain qu’il n’y a plus rien à demander. Mais si elle
croit qu’elle a le droit d’en exiger de plus détaillés, elle pourrait décider
que M. le ministre eût à lui présenter un nouveau rapport.
J’ai un mot à dire sur
la deuxième motion d’ordre présentée par MM. Pirson et de Robaulx. Elle tend à
renvoyer la proposition de M. le ministre des finances à l’examen des sections,
ou au moins à celui de la section centrale.
Evidemment
il faut adopter cette motion d’ordre. Car nous ne pouvons voter ex abrupto une
loi qui consiste à grever le pays de contributions supplémentaires qui montent
à plus de huit millions. Le moins que l’on puisse faire, c’est de la soumettre
à l’examen de la section centrale qui est saisie des budgets. En admettant que
nous soyons d’accord sur la nécessité d’augmenter les voies et moyens pour le
cas où nos armements devraient être mis sur un pied plus respectable, il reste
un doute à résoudre sur le mode d’augmentation. Etablirons-nous comme nous le
propose M. le ministre, 10 centimes additionnels sur toutes les contributions,
on bien le taux de ces centimes variera-t-il selon la nature des impôts ? Ce
sont des objets qui me semblent mériter de la part de la section centrale un
examen approfondi.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je
déclare que mon intention n’est pas de m’opposer au renvoi du projet de loi que
j’ai présenté à l’examen de la section centrale. Rien n’empêche cependant de
continuer la discussion du budget des voies et moyens. Il est à remarquer que
ma proposition peut être considérée comme indépendante de ce budget. Celui-ci
pourra être voté avant que la chambre s’occupe de la question de savoir s’il y
aura une augmentation de 10 centimes additionnels sur toutes les contributions,
ou si cette répartition se fera d’une manière différente. Cet examen pourra se
faire avec plus de maturité ; lorsque la section centrale aura soumis son
rapport sur ma proposition à l’assemblée.
M. Desmanet de Biesme. - J’appuie la
motion d’ordre qui consiste à renvoyer à l’examen des sections la demande de
crédits que vient de nous faire M. le ministre des finances. Quant à l’autre
partie de la motion, je pense que si les explications données par M. le
ministre des affaires étrangères ne satisfont pas la chambre (et ces explications
ont été si vagues que je doute qu’elles atteignent ce but), je pense, dis-je,
qu’il nous sera toujours facultatif, selon les usages parlementaires, de
déposer sur le bureau des questions formulées auxquelles M. le ministre des
affaires étrangères sera invité à répondre.
M. de Robaulx. - Je n’ai point entendu
faire, comme l’honorable M. Dumortier, des interpellations à M. le ministre des
affaires étrangères. Ce que j’ai demandé, c’est qu’avant de voter le budget des
voies et moyens, il nous fût soumis un état de situation de chaque département,
du ministère des finances, de la justice, etc. Il faut bien, si l’on veut voter
le budget de voies et moyens avec connaissance de cause, savoir quel est l’état
de chaque branche administrative. Cela n’est pas assez clairement expliqué dans
les rapports des budgets... M. Rodenbach m’interrompt pour dire qu’il n’y a pas
de précédent d’une pareille demande. Je lui répondrai on plutôt je répondrai à
la chambre, que sous le congrès, chaque ministre venait nous présenter un
rapport spécial sur son département. Le gouvernement provisoire n’avait pas
cru, dans les circonstances difficiles ou il se trouvait, devoir se soustraire
à cette obligation, c’est le seul moyen d’apprécier exactement les besoins de
chaque département.
Je prendrai pour exemple
le ministère de l’intérieur. Il y a des encouragements à donner à l’industrie.
Il faudrait que M. le ministre de l'intérieur nous dît ce qu’il a fait à cet
égard. La chambre saurait dans quelle proportion les différentes industries ont
été encouragées.
Un
tel rapport était donc indispensable. Voilà quel était mon but en présentant ma
motion d’ordre Je n’ai pas voulu faire d’interpellations. La chose est inutile.
J’en ai la conviction et le dégoût me gagne à tel point que, bien que je ne
prenne que peu de part à la discussion, J’en prendrai moins encore à l’avenir,
pour ne pas retarder en pure perte les travaux de la chambre.
M.
Pollénus. - Parmi les observations qui ont été présentées sur notre
situation extérieure, il faut avouer que le discours de M. le ministre des
affaires étrangères à laissé des doutes sur l’état de Luxembourg.
Si j’ai bien compris ce
discours, cette province se trouve dans une situation exceptionnelle ; c’est
cette situation exceptionnelle qui a duré trop longtemps sur laquelle la
chambre désirerait des éclaircissements ; cet état d’exception n’a pas encore
été bien défini.
Si j’ai bonne mémoire, à
l’occasion du triste événement de Bettembourg, il a été demandé un rapport sur
la situation du Luxembourg et sur les prétentions exagérées du prince de Hesse-Hombourg. Ce rapport avait été promis, mais il n’a pas été
fait que je sache. Je rappellerai donc à M. le ministre actuel des affaires
étrangères la promesse de M. F. de Mérode son prédécesseur.
Je dois revenir sur une
interpellation adressée par l’honorable M. Dumortier à un de MM. les ministres
et à laquelle ce ministre n’a pas encore répondu. On a signalé un fait grave
qui ne tendrait pas moins qu’à compromettre l’honneur de notre armée. J’insiste
pour que M. le ministre des affaires étrangères veuille bien nous donner des
explications à cet égard.
Le fait dont s’agit n’a
pu échapper à M. le ministre ; tous les journaux en ont parlé ; c’est à
Turnhout qu’il s’est accompli.
Je
terminerai par une observation sur une partie de la motion d’ordre de M.
Robaulx. Cet honorable membre désirerait que chacun de MM. les ministres
présentât un rapport sur les affaires de son département. Ces rapports
trouveront naturellement leur place dans la discussion des budgets de chaque
ministère.
En ce qui concerne les
affaires du Luxembourg et l’événement de Turnhout, je ne suis pas, je dois le
dire, plus satisfait que l’honorable M.
Dumortier.
M. le ministre
de la guerre (M. Evain). - Il est vrai qu’il s’est élevé un conflit sur les frontières entre
Turnhout et Arendonck et qu’il a exigé l’échange de
quelques parlementaires de part et d’autre : Un troupeau de moutons a été saisi
par un détachement de dragons légers hollandais. Le général hollandais
prétendait avoir la certitude que ce bétail allait être introduit en fraude de
Hollande en Belgique, et c’est pour contravention aux lois de la douane qu’il
avait fait opérer cette saisie. C’est pour éclaircir cette affaire que le
général Langermann envoya par un parlementaire une
dépêche au premier poste hollandais sur la frontière.
Il lui fut répondu par
l’entremise d’un autre parlementaire. Comme de nouvelles difficultés s’étaient
élevées dans cette négociation, le général belge insista de nouveau pour que le
bétail saisi fût restitué à son propriétaire. C’est pour répondre à cette
deuxième dépêche, que contre tous les usages de la guerre, l’officier
parlementaire, au lieu de s’adresser au premier de nos avant-postes, traversa
une espèce de lande immense, une bruyère inculte où il n’y a aucune habitation
ni chemin pratiqué, et arriva à Turnhout, sans être aperçu. Le général belge se
plaignit d’une conduite aussi inusitée au général hollandais qui fit droit à la
réclamation, puisqu’ayant eu occasion de recevoir une dépêche nouvelle, le
parlementaire qui en était porteur et son trompette s’adressa d’abord à un de
nos avant-postes et fut conduit, selon l’usage établi en pareil cas, par un
sous-officier et deux chasseurs jusqu’au quartier-général.
L’objet
de cette dernière dépêche était d’informer M. le général Langermann
que le troupeau était définitivement rendu au propriétaire, que les fonds
provenant de la vente qui en avait été faite seraient restitués à ceux qui s’en
étaient rendus acquéreurs, lesquels ordres avaient été donnés pour éviter à
l’avenir toute collision semblable, en demandant la réciprocité.
M. Desmanet de Biesme. - L’explication
de M. le ministre de la guerre ne me paraît pas très satisfaisante ; il en
résulte, me semble-t-il, qu’une grande étendue de landes sur nos frontières est
dégarnie et sans défense. La nature des lieux, disait-on, ne permet pas d’y
établir des postes ; eh bien, ne pourrait-on pas y faire de patrouilles de
cavalerie. Si M. le ministre envoyait à la frontière du Nord les régiments qui
stationnent à la frontière du Midi et qui semblent menacer
M.
Nothomb. - Un des préopinants a manifesté le désir que les habitants
d’une de nos provinces, de celle à laquelle j’appartiens, fussent rassurés sur
leur situation politique ; je vous demande la permission de prolonger de
quelques minutes la discussion. Je crois que M. Pollénus a mal saisi les
expressions de M. le ministre des affaires étrangères, et qu’il s’est trompé
sur le caractère du fait qu’il a rappelé et qui concerne l’administration de M.
le comte de Mérode. Le ministre des affaires étrangères vous a dit que le
Luxembourg est par rapport à l’Allemagne dans une position exceptionnelle ;
voici dans quel sens. Aux termes des traités de 1815, s’ils avaient été
intacts, la diète aurait dû accorder les secours fédéraux au roi grand-duc ;
elle les lui a refusés, en en référant à la conférence de Londres. De ce jour,
la question belge proprement dite et la question luxembourgeoise ont été
confondues ; la conférence s’est trouvée saisie de l’une et de l’autre, et a
résolu l’une par l’autre. De l’aveu de la diète, le grand-duché a été, par
rapport à elle, placé dans une position exceptionnelle ; l’exercice de la partie
de souveraineté de la diète, a été et est resté suspendu et personne n’a songé
à appliquer au Luxembourg les mesures prises postérieurement par la diète,
relativement à l’Allemagne. Ces mesures eussent été en contradiction avec les
actes de la conférence de Londres. La convention du 21 mai, par son article
explicatif, ajouté sur la demande du ministère belge, j’aime à le rappeler, est
venue garantir à
M. F. de Mérode. - L’orateur ayant omis de
vous citer un fait que je crois important, je vais le rappeler.
Le roi Guillaume a
consenti lui-même à la réunion pure et simple du Luxembourg à
M.
Jullien. - Je demande la parole sur la motion d’ordre dans l’intention
de mettre fin au débat qu’elle a fait naître.
Il y a bien longtemps
que je n’ai fait des interpellations aux ministres sur la question extérieure,
parce que je suis persuadé qu’ils n’y peuvent rien. Que le ministre garde bien
la frontière hollandaise, qu’il observe si le vent souffle de
Le ministre vient de
vous dire sur les affaires étrangères tout ce qu’il pouvait vous dire : « Pas
une parole, pas un. acte, pas un fait ne sont venus à
ma connaissance indiquant quelque changement, quelque dérangement dans ce qui
existait avant la formation du ministère Wellington. »
Quant à l’affaire des
moutons qui est arrivée pour se mêler aux affaires étrangères, j’avoue que je
n’ai pas compris son importance (on rit),
et j’ai été satisfait sur ce point des explications données par M. le ministre
de la guerre.
Viennent enfin les
demandes de l’honorable M. de Robaulx sur les questions relatives à la
situation intérieure : à cet égard je crois qu’à l’occasion de la discussion
des budgets des divers départements ministériels on pourra entrer dans les
explications que réclame l’honorable membre. C’est aux budgets de la justice,
de l’intérieur, etc., que se rattachent ces questions-là.
La motion d’ordre me
paraît épuisée par la réponse du ministre des araires étrangères et par la
promesse faite par chaque ministre de répondre quand on en sera venu au budget
qui lui est spécial.
Je demande donc que l’on
passe à l’ordre du jour.
- La motion d’ordre,
faite par M. de Robaulx, est mise aux voix et est écartée.
MM. Pirson et de Robaulx
se lèvent pour son adoption.
M. Pirson, à M. de Robaulx. - Nous sommes deux de
la même opinion. (On rit.)
M.
le président. - A quelle commission renverra-t-on le projet de loi
présenté par M. le ministre des finances.
Plusieurs membres. - A la commission qui a examiné le
budget des voies et moyens.
M. de Robaulx. - Je ne m’oppose pas à ce que
l’on discute le budget ordinaire des voies et moyens, mais à ce budget il faut
ajouter le budget extraordinaire que vient de présenter M. le ministre des
finances. On vous a dit : « par le premier je dégrève la contribution foncière
parce que c’est à elle qu’on a recours quand on a des besoins urgents. » Mais à
présent on vous demande de pourvoir à une augmentation de l’armée ; il est donc
possible que vous ayez besoin urgent, ou besoin de recourir à la contribution
foncière.
Cependant elle aura été
dégrevée comme si nous étions dans un moment de calme plat. Voyez, examinez les
résultats que vous allez obtenir et la marche que vous voulez suivre.
- La chambre consultée
décide que la proposition ministérielle sera soumise à la commission qui a déjà
examiné le budget ordinaire des voies et moyens.
M.
le président. - Nous passons à l’objet à l’ordre du jour, c’est-à-dire
à l’ouverture de la discussion générale sur le budget des recettes pour
l’exercice 1835.
M. de Brouckere. - Si, comme l’a dit M.
Dumortier, nous pouvions avoir un rapport demain sur la proposition faite
aujourd’hui par le ministre des finances, je demanderais que la discussion
générale fût renvoyée à la séance prochaine.
Cela ne nous ferait pas
perdre de temps, puisque l’heure est avancée.
M.
Coghen - Messieurs, vous venez de renvoyer la demande de 10 centimes
additionnels faite par le ministre des finances à la commission qui a déjà
examiné les questions relatives aux recettes pour l’exercice 1835 ; malgré
toute la bonne volonté dont cette commission sera animée, malgré son aptitude à
traiter les questions concernant les voies et moyens, je leur défie de préparer
pour demain un rapport sur la loi que vous connaissez par la lecture qui en a
été faite. La nature de l’impôt qu’il s’agit d’établir mérite un examen approfondi
et exigera peut-être plusieurs jours pour être bien étudiée.
Je
crois qu’on peut passer immédiatement à la discussion générale sur le budget
ordinaire des voies et moyens en attendant qu’on nous fasse un rapport sur le
budget extraordinaire.
- Cet avis est admis.
M.
Berger. - Messieurs, c’est toujours le gouvernement à bon marché vers
lequel nous tendons avec tant d’ardeur, et cependant la destinée semble se
jouer de tous nos efforts car, à peine nous voyons-nous près d’atteindre le
but, que des accidents imprévus viennent de nouveau nous en séparer à de
grandes distances. Selon les apparences, bien du temps se passera encore avant
que nous puissions établir ce budget normal qui non seulement nivelle les
recettes et les dépenses, mais qui, abaisse ces dernières au niveau des
ressources des contribuables.
Toujours est-il que
monsieur le ministre des finances débute dans la voie des dégrèvements ; et si
les chambres eussent probablement forcé son concours à la réduction qu’il propose,
on doit toujours lui savoir gré d’avoir pressenti cette nécessité à laquelle il
n’aurait pu se soustraire et consommé de bonne grâce un sacrifice que les
besoins de l’agriculture rendaient indispensable. A défaut de pouvoir espérer
des économie ultérieures, jetons un coup d’œil sur nos
lois de finances ; car en créer un bon système serait sans doute procurer les
avantages d’un véritable dégrèvement.
Adopter un plus grand
nombre de bases pour ne pas surcharger quelques-unes, chercher à atteindre
toutes les fortunes pour ménager les ressources du pauvre, dégrever autant que
possible les objets de première nécessité pour en reporter les charges sur des
objets de luxe, protéger le travail du pays de préférence aux denrées
étrangères, écarter surtout ces impositions dont la moitié du revenu est
absorbé par les frais de perception et qui appauvrissent le contribuable sans
satisfaire aux besoins du trésor ; tels sont sans doute les éléments dont tout
bon gouvernement ne peut se départir et qu’il doit se hâter d’adopter.
Cependant nos lois de finances sont loin d’avoir ce caractère, et le moindre
examen suffit pour nous convaincre que chez nous et jusqu’à ce jour les choses
se sont faites à rebours. Je m’imagine donc que l’administration des finances
eût fait de louables efforts tendant à parvenir par degrés à la réforme du
système ; deux années de calme me parurent un délai suffisant pour nous dégager
de ce cauchemar qui nous oppresse ; je regarde d’autant moins l’accomplissement
de cette œuvre comme une impossibilité chez nous qu’elle se trouve réalisée
chez des nations voisines.
L’urgence me paraît
d’autant mieux établie que, d’après l’aveu même de nos hommes de finances, il
fallait alléger les impôts grevés de surcharge jusqu’à ce jour ; que, dans les
circonstances qui nous environnent, la question pécuniaire peut de nouveau
devenir une question d’existence et de nationalité, et qu’en cas de sacrifices
nouveaux il ne nous resterait d’autre ressource que de recourir à des emprunts
onéreux et de sacrifier l’avenir pour sauver le présent ; en un mot, je crus
réellement que nous allions entrer dans une ère d’économie et de probité. Mais
si, à cet égard, mon plus vif désir était de voir traduire en faits des vues
applicables et utiles, je dois bien reconnaître mon erreur. En effet, en nous
promettant une nouvelle loi sur le sel, ce n’est point de diminution qu’il
s’agit sur cet objet de première nécessité, mais bien de faire produire
davantage au trésor.
M. le ministre nous dit
à la vérité que c’est sans surcharge pour le consommateur loyal mais comment
s’y laisser prendre, quand nous voyons que ce projet tend à imposer de nouveau
le sel destiné à l’agriculture, tandis qu’il a fallu tant de réclamations pour
conquérir l’abolition de cet impôt sous le gouvernement précédent. Ce n’est
donc pas comme un bienfait, c’est comme une véritable menace que je dois
envisager la présentation du projet de loi annoncé par le ministre. Au lieu de
voir disparaître les abus, nous verrions reparaître les anciens et grandir
autour de nous.
Si donc je suis loin
d’être convaincu des avantages du projet de loi nouveau sur le sel, je ne puis
partager non plus l’opinion défavorable émise par le ministre sur les effets de
la loi sur les distilleries,. Et d’abord, est-il bien
vrai de dire que son introduction ait notablement diminué les ressources du
trésor puisque son produit actuel approche de deux millions par an, tandis que
celui de l’ancienne n’a pas dépassé les trois millions, à moins qu’on ne prenne
pour terme de comparaison cette année de consommation extraordinaire., pendant
laquelle deux cent mille hommes sous les armes faisaient naturellement pencher
la balance en sa faveur ? Qu’est-ce d’ailleurs que la perte d’un million pour
le trésor et qui en fait gagner dix à notre agriculture ? Si les
perfectionnements de l’industrie exigent le remplacement des petites usines par
de grands appareils, il ne reste pas moins avéré que la fraude a été anéantie
et tout le travail de cette industrie acquis au pays.
Quand c’est de santé et
de moralité que M. le ministre nous entretient, on pourrait sans doute trouver
étrange que, sous ce rapport, les habitants de ce pays ne méritent point d’être
placés à l’égal des Français et des Prussiens, chez qui ces liqueurs sont
encore à plus bas prix. Que ne faisait-on semblable observation sous l’ancienne
loi, qui, au moyen de la fraude, inondait le pays de boissons véritablement
empoisonnées, qui causa la ruine de tant de personnes, mais qui, en même temps,
répandit de grosses amendes, véritable pluie d’or, sur les agents chargés de
son exécution. Pour mon compte, je veux bien croire que la sollicitude toute
récente du fisc à cet égard est un progrès éminemment conforme à la morale et à
la science du gouvernement ; mais alors qu’on ne l’arrête point en si beau
chemin, qu’il fasse disparaître de toutes nos lois de finances la fraude et
l’immoralité, et si la tâche est difficile, la reconnaissance de ses
concitoyens ne lui manquera pas. Qu’avant de bouleverser notre tarif de
douanes, il convienne de poser d’abord les bases du système, et qu’à cet égard
il soit utile d’attendre les résultats des négociations entamées avec
Pourquoi, par exemple,
ne pas faire disparaître dès ce moment tous les droits de sortie qui sous
différents prétextes grèvent nos propres produits à la sortie du pays ? Si la
législature, par l’abolition du droit de sortie sur le charbon de terre et le
bétail, a pris l’initiative dans cette matière, pourquoi le gouvernement ne
présenterait-il pas quelque mesure générale sur cet objet ? C’est ainsi que je
considère comme de la dernière urgence l’abolition du droit grevant nos bois à
leur sortie du pays, depuis surtout que nos forges au bois chôment complètement
et que l’administration des finances semble vouloir poursuivre à outrance les
nombreux acquéreurs des bois du domaine, et, par une exécution inutile et
préjudiciable au gouvernement même, consommer la ruine d’un grand nombre de
propriétaires !
En attendant la
réorganisation de l’administration des monnaies, il importe sans doute de
signaler les abus graves auxquels donnent lieu les dispositions existantes
relatives à la vérification des poids et mesures. Leur extrême arbitraire, le
défaut de disposition pour leur donner une publicité suffisante, et sans
néanmoins que les intéressés puissent légalement s’en prévaloir en justice, en
font une des lois les plus odieuses. Des centaines de condamnations ont dû être
prononcées cette année par les tribunaux du royaume. L’odieux des vices de la
loi rejaillit sur l’administration des finances, et elle encourt la réprobation
d’une portion notable des habitants du royaume.
Somme
toute, sans nous attendre à un véritable débordement d’améliorations et
d’innovations financières, il était permis de croire que la prudence de M. le
ministre des finances ne se renfermât point dans de si étroites limites. J’ai
l’espoir qu’il ne tiendra pas quelques-unes de ses promesses, et que, sous
d’autres rapports, il fera beaucoup mieux qu’il n’a bien voulu nous promettre,
afin que chaque jour qui s’écoule ne vienne détruire une illusion. C’est à ce
prix qu’il obtiendra sans doute notre appui et loyal concours.
Je vote pour le projet
de loi.
M. Desmaisières. - Si la balance entre les
ressources et les dépenses du trésor public est une condition d’ordre, dont on
ne saurait se départir sans compromettre gravement les finances d’un Etat et
sans grever l’avenir d’onéreux sacrifices, il y a par cela même nécessité
absolue, avant de créer les ressources, de commencer par arrêter le chiffre des
dépenses, et les dépenses doivent absolument être réduites à celles dont on ne
peut se dispenser sans risquer de compromettre à la fois l’état politique du
pays, son administration intérieure, son commerce, son industrie et son
agriculture, toutes choses qui, lorsqu’elles sont en péril, mettent est péril
l’Etat lui-même, tant elles y sont intimement liées. Pourquoi faut-il donc
qu’aujourd’hui encore au moment de voter les lois de finances après quatre années
de notre nouvelle ère politique, nous en soyons encore une fois réduits à
arrêter le budget des voies et moyens avant même que le travail d’examen du
budget général des dépenses ait été terminé dans les sections ? Pourquoi aussi
n’avons-nous encore arrêté aucun compte ? Ce sont là, messieurs, de graves
inconvénients que chaque année nous déplorons sans y avoir encore pu porter
remède, et cependant tous nous reconnaissons que si cet ordre dans lequel nous
votons les budgets se prolongeait encore pendant plusieurs années il en
résulterait bientôt dans nos finances un désordre tellement grand que le remède
ne serait plus possible.
Cette opinion a
jusqu’ici trouvé en effet peu de contradicteurs dans cette enceinte, et nous
avons entendu, il y a peu de jours, l’honorable membre de cette assemblée qui
avait appelé cette opinion une hérésie financière, venir combattre pour elle,
en vous demandant de renvoyer la discussion du budget des voies et moyens après
qu’on connaîtrait positivement le chiffre du budget des dépenses du département
de la guerre. Je regarderai donc comme démontré aujourd’hui pour tout le monde
que si notre état politique, et mille autres causes qu’il est inutile
d’énumérer, nous ont empêchés jusqu’ici de voter le budget des dépenses avant
celui des voies et moyens, il n’en est pas moins de la plus grande urgence et
du plus haut intérêt pour le pays qu’enfin nous en venions au seul ordre
vraiment rationnel à suivre dans nos votes des lois de finances.
On a quelquefois comparé
la comptabilité d’Etat à celle des particuliers ; on a même dit qu’il fallait
que l’Etat imitât l’homme privé qui, avant de dépenser, commence par constater
ses ressources et règle ses dépenses sur ses ressources ; et ainsi on est arrivé
à dire que de même l’Etat devait régler ses dépenses sur ses ressources. Mais
pour que cette manière de raisonner soit juste, il faudrait que l’Etat et le
particulier se trouvassent réellement et identiquement dans les mêmes
conditions, ce qui est loin d’exister. D’abord, la fortune d’un particulier est
d’une nature essentiellement restreinte, et celle d’un Etat ne l’est pas.
Ensuite les dépenses d’un particulier peuvent être infiniment restreintes, et
celles d’un Etat point. De ces différences-là seules, il résulte que le
particulier ne peut dépenser annuellement que le montant que de son revenu
annuel s’il ne vent compromettre l’avenir de la fortune, et que par suite,
avant de fixer le chiffre de ses dépenses, il doit commencer par bien constater
celui de ses revenus. Il n’en est pas de même d’une nation constituée en Etat
indépendant. Il est pour celle-ci des dépenses qu’elle ne peut pas ne point
faire sans risquer de porter gravement atteinte à la fois à son honneur, à son
indépendance, à son crédit et à sa prospérité, en un mot à tout ce qui
constitue véritablement sa fortune.
Dès lors, la première
condition d’ordre pour elle, c’est celle de constater le chiffre de ses
dépenses rigoureusement nécessaires, et la seconde, de réduire ensuite ou
augmenter le chiffre de ses ressources de manière à ce que ces deux chiffres se
balancent l’un par l’autre. Mais, objectera-t-on sans doute, si cette nation
est absolument hors d’état d’augmenter son budget des voies et moyens, et si
cependant le chiffre de ses dépenses nécessaires et indispensables dépasse
celui des ressources, comment fera-t-elle ? Messieurs, une pareille nation est
fortement à plaindre, car elle est condamnée impitoyablement à périr.
Heureusement, si telle était la situation du pays lorsque sous le régime déchu
il était réuni à
Plusieurs honorables
membres de cette assemblée, messieurs, frappés qu’ils étaient des surcroîts de
dépenses qu’entraînent toujours après eux les crédits provisoires, et de la
grave atteinte portée par là à notre gestion financière, ont formulé des
propositions qui tendaient à donner au cours de l’année financière des termes
différents de ceux actuels et combinés de manière à coordonner l’exécution
rigoureuse des articles 70, 111 et 115 de la constitution avec le vote des
budgets dans le seul ordre rationnel qui puisse être adopté ; mais les auteurs
de ces propositions eux-mêmes n’ont pas tardé, dès qu’il s’est agi de les
discuter, à reconnaître qu’elles étaient inexécutables dans la pratique, que ce
seraient là des remèdes pis que le mal qu’ils doivent guérir parce qu’ils ne
tendaient à rien moins qu’à produire un bouleversement total, une révolution
complète, si je puis m’exprimer ainsi, non seulement dans toute notre
administration des différents départements ministériels, mais encore dans une
foule de transactions entre les particuliers et l’Etat, et même entre des
particuliers seuls. Car ces dernières transactions se rattachent presque
toujours plus ou moins aux opérations financières de l’Etat lui-même.
Certes, en présence de
l’art. 70 de la constitution, qui fixe le deuxième mardi de novembre pour le
commencement des sessions de la législature, il ne sera jamais bien possible
d’avoir voté le budget général des dépenses avant le 1er janvier, et par suite
on sera toujours forcé de voter le budget des voies et moyens avant celui des
dépenses, vu que sans budget des voies et moyens, au 1er janvier, le
gouvernement ne pourrait percevoir aucun impôt. Il est vrai de dire que le même
art. 70 de la constitution accordant au Roi le droit de convoquer
extraordinairement les chambres, le ministère pourra toujours conseiller au Roi
d’user de cette prérogative pour faire commencer les sessions de la législature
un ou deux mois plus tôt, et qu’ainsi il sera entièrement remédié aux graves
inconvénients que présente l’art. 70 de la constitution.
Mais c’est là un remède
qui dépend entièrement de la volonté du ministère, et cette volonté dans un
gouvernement représentatif est souvent contrariée et maîtrisée par les
fréquents changements des ministres, changements d’ailleurs qui, lorsqu’ils ont
lieu, se font presque toujours entre deux sessions de la législature ; il faut
alors aux nouveaux ministres un temps moral nécessaire pour se mettre bien au
courant des affaires de leur département, confectionner des projets de loi,
examiner, modifier et achever les projets préparés par leurs prédécesseurs.
Vous comprenez donc
facilement, messieurs, qu’il ne sera pas toujours, peut être jamais, possible
d’user de ce moyen. Cependant vous penserez comme moi, sans doute, qu’il est
préférable à tout autre, et que le ministère devrait se faire un devoir de le
mettre en pratique toutes les fois que les circonstances le lui permettront. Il
est encore un autre moyen qui, selon moi, peut être employé ici toutes les fois
que celui dont je viens de parler paraîtra ne pas pouvoir l’être. Ce serait de
présenter les comptes et les budgets à la chambre pendant le cours de la
session qui précède l’exercice, mais toutefois assez à temps pour que l’examen
puisse en avoir été fait en sections et les rapports des sections centrales
avoir été présentés à la chambre avant la clôture de la session
On demandera peut-être
si ce serait là bien observer ce que prescrivent, à cet égard, les art. 111 et
115 de la constitution qui veulent que les impôts soient votés annuellement et
que chaque année les chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget.
A cette question je répondrai d’abord qu’il est une de ces obligations, celle
d’arrêter chaque année la loi des comptes, qui n’a pas encore été remplie une
seule fois par la législature depuis que la constitution existe. Il y a plus,
vous serez hors d’état de la remplir aussi longtemps qu’il n’aura pas de loi
qui règle la manière dont les comptes de l’Etat doivent être rendus et arrêtés.
Je ne vois donc pas
pourquoi on ne pourrait pas, pour les autres obligations, vu l’impossibilité
qu’il semble y avoir de les remplir tout à fait à la lettre, se borner à ce que
dicte l’esprit de la constitution. D’ailleurs, par le moyen que je propose, la
discussion en public, ainsi que le vote qui le suit, auraient lieu pour chaque
budget général de l’Etat, chaque année, dans les premiers mois de chaque
session, et par conséquent on satisferait même pleinement à ce que veut la
lettre de la constitution. Il m’est arrivé plusieurs fois de dire qu’il est
vraiment déplorable que nous n’ayons pas pu arrêter une seule loi des comptes.
Car comment, plusieurs années après l’exercice pourra-t-on bien arrêter un
compte de l’Etat ? comment alors pourrons-nous encore
faire justice des abus commis ? Que seront devenus les crédits non employés ?
Quel profit en aura-t-on tiré ? Comment pourrons-nous arrêter à la fois
plusieurs comptes pendant le peu de temps que nos autres travaux législatifs
laissent à peine pour en examiner à fond un seul ? A coup sûr, il n’est ni dans
l’esprit ni dans la lettre de la constitution d’arriver à un chaos de chiffre
de toute espèce tel qu’il ne sera plus possible d’y rien comprendre, et par
suite de juger avec connaissance de cause s’il n’y a eu aucun abus et quels
sont les moyens d’arriver au redressement de ces abus. C’est là cependant où
nous marchons, messieurs, en suivant la marche que nous sommes forcés de
suivre, parce que, je le répète, nous n’avons pas de loi qui règle la manière
dont les comptes doivent être rendus et arrêtés.
J’en viens à l’objection
que l’on a faite contre les réductions proposées par le ministère lui-même sur
le budget de la guerre, et par suite de laquelle on voudrait, à l’exception du
dégrèvement proposé en faveur des bateliers, que je reconnais très juste et
équitable d’ailleurs, voir figurer au budget des voies et moyens les
principales contributions au même taux et avec le même nombre de centimes
additionnels que l’année dernière. Je vous avoue, messieurs, que je n’ai pas
très bien compris toute la portée de cette demande. A-t-on voulu dire par là
qu’il ne fallait pas dégrever l’impôt foncier, qui a eu à supporter deux
emprunts forcés, et d’abord 40 centimes et plus 20 centimes additionnels ? Je
ne le pense pas, car il y aurait, comme l’a très bien dit M. le ministre des
finances injustice, et j’ajoute moi, injustice révoltante, à continuer
d’accabler ainsi la propriété immobilière qui est, en Belgique où l’agriculture
domine tous les intérêts, la principale source des richesses du pays, que dis-je
? la seule source sur laquelle l’Etat puisse compter
dans les moments de guerre et de crise politique. Il faut certainement, comme
on l’a dit, prendre l’argent où il se trouve, mais il faut aussi faire en sorte
qu’il s’y trouve lorsqu’on en aura besoin, lorsqu’il s’agira de l’y puiser ;
or, ce n’est pas en épuisant une source qu’on fera qu’il s’y trouvera encore
quelque chose lorsqu’on devra y avoir recours. Aussi sont-elles éminemment
justes les considérations par lesquelles la section centrale s’est décidée à
maintenir le dégrèvement de 10 centimes additionnels proposé par le ministre en
faveur de l’impôt foncier. La législature a, par la loi sur les céréales,
reconnu l’état de souffrance de l’agriculture ; et quelques mois après,
lorsqu’à peine cette principale source de nos richesses nationales commence à
ressentir les bienfaits de cette loi, cette même législature irait maintenir la
surcharge qui pèse si fortement sur elle ! Non, la législature se gardera de
rendre deux arrêts aussi contraires l’un à l’autre. D’ailleurs, que devons-nous
rechercher avant tout, messieurs, lorsque nous votons un budget des voies et
moyens ? N’est-ce pas d’établir un juste équilibre entre les divers impôts qui
composent ce budget ? Or c’est à peine si cet équilibre sera rétabli lorsqu’on
aura supprimé 10 des centimes additionnels sur l’impôt foncier : nous ne
pouvons donc nous y refuser ; mais on avait des craintes de guerre, et par
suite on voulait voir augmenter le chiffre de crédits de la guerre au lieu de
les voir diminuer de trois millions, ainsi que le propose le ministère
lui-même. Je ne sais pas s’il est bien politique, bien dans l’intérêt même de
l’augmentation de nos ressources, de faire croire ainsi à l’imminence de la
guerre, lorsque cette imminence n’existe réellement pas. Car, lorsque la
législature se montre animée de ces espèces de terreurs paniques, il en résulte
aussi des terreurs paniques dans le commerce, sur les différentes bourses du
pays, dans l’industrie et chez les contribuables. Bien que je me plaise à
reconnaître que c’est par le plus pur et le plus sincère patriotisme que sont
mus les honorables membres qui ont élevé l’objection qu’en ce moment je
combats, je n’hésite pas à dire que l’objection tirée de l’imminence de la
guerre nous fait marcher à un but tout contraire de celui que se sont proposé
ces honorables membres : au lieu de produire l’augmentation réelle de nos
ressources, son effet est de les diminuer ou plutôt de les rendre insuffisantes
par suite d’augmentation dans les dépenses, sans augmentation proportionnelle
dans nos moyens de guerre. Pour prouver la vérité de mon assertion,je n’as qu’à citer des faits récents.
Consultez, messieurs, le
relevé des adjudications récemment faites ou tentées par le département de la
guerre, et vous verrez que les prix ont tous dépassé les prévisions du
ministre, prévisions qui cependant
étaient très fondées et très bien établies sur les prix courants des céréales
et fourrages, mais que les bruits de guerre qui ont accompagné le remplacement
du ministère wigh par le ministère tory en Angleterre
ont tout à fait contrariées en donnant des craintes de hausse dans les denrées
à nos entrepreneurs qui ont alors dès ce moment demandé des prix élevés.
Notre organisation
militaire, quant à l’armée de ligne, messieurs, est telle aujourd’hui qu’avec
des soldats aussi instruits, aussi bien disciplinés, aussi valeureux et
commandés par des chefs aussi expérimentés, aussi animés du désir de verser
leur sang pour la patrie, nous n’avons rien à craindre de quelque espèce d’agression
que ce soit de la part des troupes hollandaises : il y aurait donc folie de
notre part à aller faire des dépenses dont l’utilité serait évidemment exagérée
; mais je serai tout à fait de l’avis des honorables membres auxquels je
réponds lorsqu’il s’agira de faire les autres dépenses de guerre que l’on ne se
décide à effectuer que lorsque la guerre est absolument imminente, parce que
les faire avant, c’est risquer de surcharger les contribuables sans utilité
réelle pour l’Etat.
C’est pourquoi je ne verrais
nul inconvénient à ce que, conformément à la nouvelle proposition
ministérielle, l’on ajoutât au budget des voies et moyens que nous discutons en
ce moment, et qui est le budget ordinaire, un supplément extraordinaire pour le
cas de guerre, au moyen d’un certain nombre égal de centimes additionnels à
percevoir sur les principaux ou sur tous les impôts. Je dis un nombre égal,
parce que, dès qu’il est reconnu qu’il y a équilibre, il ne faut pas surcharger
l’un des impôts plus que l’autre. Si plus tard alors le gouvernement jugeait
ces centimes additionnels encore insuffisants pour mener la guerre à bonne fin,
ils auront toujours été du moins plus que suffisants pour attendre qu’une
convocation extraordinaire des chambres, dans la supposition où celles-ci ne se
trouveraient plus réunies, vienne mettre le gouvernement à même d’obtenir de la
législature des lois qui créent de nouvelles ressources extraordinaires en
faveur du trésor. Toutefois, comme d’une part je ne crois pas à l’imminence de
la guerre, et que d’autre part nous serons encore réunis assez longtemps cette
année, je crois qu’il vaudrait mieux remettre le vote d’une loi de crédits
extraordinaires pour le ministère de la guerre, en même temps qu’une loi de
voies et moyens extraordinaires, destinée à faire face à ces dépenses, à la fin
de la session actuelle, avant de nous séparer.
Vous serez peut-être
étonnés, messieurs, que j’appelle le budget général des dépenses un budget
ordinaire, tandis que celui du département de la guerre calculé sur un pied de
quasi-guerre est encore plus élevé d’environ 16 à 18 millions que le chiffre
auquel devra seulement s’élever ce budget en temps de paix ; mais il y a à
observer qu’alors nous aurons à payer à peu près 18 millions pour notre part de
la dette hollandaise, 18 millions que, pour les années écoules depuis le traité
du 25 novembre jusqu’à l’acceptation de ce traité par
Car, messieurs, si nous
n’avons plus alors la guerre politique pour puiser au trésor, nous aurons la
rivalité, la guerre industrielle et commerciale des peuples. Il est vrai que
celle-ci a cela de bon, au moins, que si elle nous force à dépenser plus, elle
nous rend avec usure l’argent que lui prête le trésor, en travaux de routes et
canaux, par l’accroissement de revenus qu’elle nous procure. Notre budget sera
donc à peu près le même en temps de paix, mais les contribuables sauront mieux
payer, alors que ce surcroît de dépenses ne fera que leur assurer une aisance
plus grande, des revenus plus considérables, alors qu’en un mot dépenser ce ne
sera plus, comme relativement à une partie de nos dépenses actuelles, dépenser
sans espoir de retour, mais au contraire dépenser pour rendre notre travail et
nos capitaux plus productifs.
D’ailleurs, messieurs,
un budget ordinaire de 84 millions est-il bien réellement pour
Mais alors, nous
dira-t-on peut-être, pourquoi vous plaigniez-vous si amèrement sous le régime
déchu ? Pourquoi toutes ces plaintes qui ont été jusqu’à amener une révolution
? A cela je répondrai que c’est moins en réalité du chiffre en général de la
part d’impôt qui incombait aux Belges qu’on se plaignait vivement alors, mais
bien plutôt de l’inégale et injuste répartition des impôts entre le Hollandais
et le Belge, entre l’habitant de telle province et celui de telle autre
province, entre telle industrie et telle autre industrie, entre le riche et le
pauvre enfin. Aussi depuis la révolution, s’est-on hâté de faire disparaître de
notre budget les impôts les plus mal répartis, et par cela même les plus
odieux, les plus révoltants. Je rends cette justice à notre administration financière,
nous la voyons entrer aujourd’hui dans une ère de réformes vivement désirée par
le pays. Déjà l’impôt foncier va sous peu être reparti plus également, et le
ministre des finances a institué une commission de révision de notre système
actuel d’impôts qui s’occupe activement mais avec toute la maturité qui est de
règle en pareille matière, des modifications à y introduire pour le rendre plus
équitable et plus juste sans atténuer toutefois les revenus de l’Etat.
Je n’ai pas la
prétention, certes, de donner de conseils aux hommes expérimentés et éclairés
qui composent cette commission ; mais il est un principe dont elle doit surtout
bien se pénétrer, c’est le principe que j’ai déjà cité, et qui consiste à faire
en sorte que l’impôt puise dans la poche de chaque habitant proportionnellement
à ce qui s’y trouve. Alors, aucune plainte ne pourra plus s’élever, alors on
pourra payer en masse plus qu’on ne payait auparavant, parce que chacun ne
paiera que ce qu’il sait payer, et que tel contribuable ne verra plus son
voisin, gorgé de richesses, payer quelquefois moins que lui, réduit à se
couvrir de haillons pour pouvoir acquitter l’impôt. Je n’en disconviens pas, le
problème est extrêmement difficile à résoudre, une solution mathématiquement
exacte est même ici tout à fait impossible ; mais ce serait faire injure au
patriotisme éclairé de notre ministre des finances et des membres de la
commission, à leur zèle pour le bien public et à leurs lumières, que de douter
un instant qu’ils tardent longtemps à nous présenter des solutions assez près
de l’exactitude mathématique pour que nous puissions donner suite au désir
ardent que nous avons tous ici au peuple cette satisfaction de justice
distributive qui lui est due.
Profitons donc du statu
quo, de l’espèce de quasi-paix du moment, pour améliorer notre système d’impôts
; hâtons-nous lentement, mais hâtons-nous d’arriver à des résultats ; ne nous
laissons surtout pas bercer par des négociations que nos amis en politique,
mais nos rivaux en fait d’industrie et de commerce, semblent vouloir exprès
rendre interminables. Si
En fait d’intérêt, les
nations aussi bien que les particuliers sont égoïstes. Vous nous permettez
d’arriver librement chez vous, nous diront-elles ; il vous est impossible de
venir chez nous ; eh bien, tout est profit pour nous dans ce système de
relations de commerce internationales ; pourquoi donc irions-nous y changer
quelque chose ? D’ailleurs, messieurs, faut-il qu’en attendant l’issue de
négociations qui durent déjà depuis quatre ans et qui n’ont pas l’air d’être
bientôt terminées si l’on en juge par l’enquête commerciale et industrielle du
gouvernement français ; faut-il, dis-je, que nous laissions périr notre
industrie, notre agriculture ? Faut-il que nous disions au malheureux ouvrier
qu’une faim pressante le pousse à nous demander du pain : Sois tranquille, mon
ami ; prends patience ; nous négocions pour te procurer du pain ; et en
attendant, vas où tu peux ?
Je me hâte de le dire,
messieurs, tel n’est pas le sens qu’il faut donner aux paroles du ministère
lorsque, dans son exposé des motifs du budget des voies et moyens, il nous a
dit que nous ne pouvions pas faire de changements, même partiels, à notre tarif
de douanes, avant que les démarches de nos commissaires à Paris aient amené un
résultat. Je suis trop persuadé de la bonne foi et du zèle pour le bien du pays
qui anime le ministre qui a prononcé ici ces paroles, pour croire que tel en a
été le sens, et j’espère qu’il nous donnera, à cet égard, des explications
pleinement satisfaisantes, faute desquelles je me verrai obligé, quant à moi,
dans l’intérêt de nos nombreux industriels et ouvriers, de voter contre un
budget des voies et moyens fait sur de tels principes de gouvernement.
Plusieurs membres. - A demain ! à
demain !
- Il est 4 heures et
demie. La séance est levée.