Accueil
Séances
plénières
Tables
des matières
Biographies
Livres
numérisés
Bibliographie
et liens
Note
d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du jeudi 24 juillet 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment demande de congé d’un parlementaire (et absentéisme) (de Foere, Dubus)
2) Incident relatif à la rédaction du
procès-verbal dans le Moniteur (projet de loi d’organisation des communes) (Dumortier, Rogier)
3) Explications relatives à plusieurs
pétitions dénonçant une violation de propriété lors des travaux du chemin de
fer (Rogier)
4) Projet de loi portant prorogation du
mode de nomination des juges de paix (Simons, Lebeau, Simons, Dubus,
Milcamps, Lebeau, Dubus)
5) Incident relatif à la rédaction du
procès-verbal dans le Moniteur (projet de loi d’organisation des communes) (Dumortier, Nothomb, Desmanet de Biesme, Nothomb, Dumortier, Raikem)
6) Projet de loi portant organisation des
communes. Discussion des articles. Droit de nomination (dans ou hors du
conseil) du bourgmestre par le Roi (Ernst, de Theux, de Man d’Attenrode, de Nef, Dechamps, Doignon, Fleussu, Rogier, Dumortier, A. Rodenbach, Dumortier, Rogier, Devaux, Dumortier,
H. Dellafaille, Dubus, H. Dellafaille)
(Moniteur
belge n°206, du 25 juillet 1834 et Moniteur belge n°207, du 26 juillet 1834)
(Présidence de M.
Raikem)
(Moniteur
belge n°206, du 25 juillet 1834) La séance est ouverte à midi et demi.
M. de Renesse
fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donné lecture du procès-verbal de
la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.
M.
de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A
« Cinq bateliers de la navigation de
Tournay réclament le paiement des pertes éprouvées par eux et résultant de
l’incendie par l’armée française, en 1794, de 5 bâtiments chargés de fourrages,
etc. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
______________
« Le sieur Joseph Van Belleghem,
cultivateur à Middelbourg (district d’Eecloo), demande d’être indemnisé des pertes qu’il a
éprouvées par suite de l’agression hollandaise en 1831, 1832 et 1833. »
- Renvoi à la section centrale chargée de
l’examen du projet de loi sur les indemnités.
______________
M. le
ministre de la guerre (M. Evain) adresse à la chambre les trois pétitions des
veuves Trapeniers et Godecharles
et de la dame Clausse, qui lui ont été renvoyée dans
la séance du 9 juin dernier.
______________
Le président du sénat informe la chambre que le
sénat, dans sa séance d’hier, a adopté le projet de loi concernant les listes
électorales, et le projet de loi sur les toiles.
Il est donné lecture de la lettre suivante ;
« M. le président,
« J’ai reçu votre honorée du 2 courant par
laquelle vous m’informez que la chambre des représentants a décidé que les
membres absents sans congé, ou dont le congé est expiré, seraient invités à
venir reprendre leurs travaux.
« Je céderais volontiers aux désirs de la
chambre si je n’éprouvais pas trop de fatigue. Je prie en conséquence la
chambre de vouloir bien m’accorder un congé illimité.
« Agréer, M. le président, etc.
« de Foere
« Bruges, 23 juillet 1834. »
Plusieurs membres. - On ne peut pas accorder un tel congé.
M. Dubus. -
Je ne crois pas que la chambre puisse refuser un congé à M. l’abbé de Foere ;
je sais qu’il est obligé de faire un voyage qu’il a toujours différé à cause de
la session, mais comme la session dure toujours, il ne peut pas toujours
remettre son voyage. Que vous accordiez ou refusiez le congé, les affaires de
M. de Foere ne peuvent en souffrir ; il fera l’absence qu’il a besoin de faire.
Si la demande de congé est formulée d’une manière qui ne convient pas à la chambre,
la chambre peut accorder le congé dans une autre forme. M. de Foere a
demandé un congé illimité, parce qu’il a supposé que la session serait terminé
avant qu’il eût fini son voyage ; mais puisque la chambre ne paraît pas
disposée à accordé un congé illimité, je propose qu’il soit accordé à M. de
Foere un congé d’un mois.
- La proposition de M. Dubus est mise aux voix
et adoptée. En conséquence, un congé d’un mois est accordé à M. de Foere.
M. Dumortier.
- Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le
président. - Vous avez la parole.
M. Dumortier.
- Il s’agit de la rectification d’un fait. Je regrette de ne pas voir ici
l’honorable député auquel il a rapport ; je n’en serai que plus modéré dans mes
paroles.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je demande la parole.
M. Dumortier.
- Je veux donner à la chambre des explications que, certes, elle ne peut pas
refuser d’entendre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Vous devez attendre l’arrivé de M. Nothomb.
M. Ernst. - Il vous a bien attendu hier.
M. Dumortier.
- Je consens volontiers à l’attendre.
EXPLICATIONS RELATIVES A PLUSIEURS
PETITIONS DENONCANT UNE VIOLATION DE PROPRIETE LORS DES TRAVAUX DU CHEMIN DE
FER
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le 11 juillet, la chambre m’a
renvoyé, avec demande d’explications, la pétition du sieur Verrassel,
propriétaire d’une maison de campagne contiguë à la route en fer aux abords de
Malines. Je vais donner lecture à la chambre du rapport que les ingénieurs
m’ont fait sur cette pétition.
« Bruxelles, le 23 juillet 1834.
« Monsieur le ministre,
« Par dépêche du 12 courant, 4ème division,
n°15362, vous nous avez demande des renseignements au sujet de la plainte
adressée à la chambre des représentants par le sieur Verrassel,
propriétaire d’une maison de campagne contiguë à la route en fer aux abords de
Malines.
« A la première nouvelle d’une violation
aussi impardonnable sur une propriété que nous avions expressément évitée dans
le tracé de la route en fer, l’un de nous s’est immédiatement transporté sur
les lieux, pour constater le dommage qui, bien qu’involontaire de notre part, aurait
pu être attribué à notre négligence ; mais, à notre grande surprise, il fut
reconnu que ni la maison de campagne, ni les jardins, ni les haies et fossés du
sieur Verrassel n’avaient souffert aucune atteinte de
nos travaux ; seulement un ancien chemin public, dit le Oude-Baan,
contigu à ladite campagne, et que, d’après le cadastre, nous regardions comme
voie communale, se trouvait traversé par le remblai de la nouvelle route, et
était ainsi l’objet de la virulente réclamation de M. Verrassel
qui s’en prétend le propriétaire ; en outre, deux petits arbres de 5 à
« Quoique nullement convaincus que cette
plantation sur un chemin public, à l’extérieur de la propriété du sieur Verrassel lui appartînt, cependant, vu le peu d’importance
que pouvait avoir l’abattage d’aussi petits arbres commune et d’une valeur
insignifiante, il fut offert d’en payer sur-le-champ le prix au dire d’experts
dont le choix serait entièrement laissé au sieur Verrassel.
Celui-ci nomma son propre jardinier et l’un de ses voisins qui taxèrent les
deux arbres abattus et les trois restant encore à abattre, au prix de 3 francs
pièce, toute indemnité comprise. Mais le sieur Verrassel,
entendant cette déclaration ne voulut plus s’y rapporter ; et après avoir
demandé jusqu’à 10 francs pièce, il s’arrêta enfin à 5 qui lui furent accordés
à condition toutefois qu’il ne serait donné quittance pour le compte du
gouvernement qu’à raison de 3 francs, valeur de l’expertise, la différence lui
étant supplée par l’ingénieur présent.
« Restait alors la question de propriété
du chemin ainsi que d’une petite bande de terre à l’extérieur du fossé de la
maison de campagne : il fut reconnu par la découverte d’une borne non indiquée
sur les plans cadastraux qu’en effet un petit terrain de 4 à
« Quant au chemin, des renseignements bien
précis nous donnaient l’assurance que le sieur Verrassel
n’y a aucun droit particulier ; mais animé du désir de terminer encore à
l’amiable les acquisitions qui restent à faire pour l’établissement du chemin
de fer, on accepta, le 13 juillet, la demande du sieur Verrassel
pour le chemin et la petite bande de terre, à raison de 5,000 francs l’hectare,
et un rendez-vous fut donné pour passer l’acte d’acquisition le lendemain matin
; mais alors le sieur Verrassel prétendit avoir
demandé 5,000 florins de l’hectare, ou au moins 9,500 francs et de plus le
remboursement des frais d’exploits dirigés contre l’entrepreneur au jour de sa
première requête à la chambre, frais qu’il élève aujourd’hui à la somme de fr.
46 -34. Ce qui porterait l’indemnité à lui accorder de ses prétentions,
savoir :
« Pour
« Pour les cinq petits arbres : fr. 25
« Frais d’opposition : fr. 46-34
« A la somme totale de fr. 131-19
« Tandis que d’après les prix convenus en
présence de témoins, avec le sieur Verrassel,
l’indemnité totale (qui en toute justice ne devait pas dépasser fr. 17-50) ne
s’élève qu’à fr. 31-50 pour les
« Dans cette occurrence, nous n’avons pas
cru devoir céder de nouveau à des exigences par trop outrées, et nous attendons
avec confiance le résultat du jugement provoqué par le sieur Verrassel lui-même et que le tribunal de Malines va bientôt
prononcer.
« Nous vous renvoyons ci-joint les pièces
que vous avez bien voulu nous communiquer sur cette affaire.
« Veuillez agréer, etc.
« Les ingénieurs, Simons et de Ridder. »
La chambre remarquera quelle est au fond
l’importance, quelle est la justice de la réclamation du sieur Verrassel. Elle verra s’il ne convient pas d’après cela de
mettre plus de circonspection dans le renvoi des réclamations au ministre de
l’intérieur, s’il ne convient pas de rechercher si elles n’auraient pas pour
base un esprit de chicane ou des intérêts particuliers. J’ajouterai que l’autre
affaire dont s’est occupée la chambre est terminée à la satisfaction des deux
parties. Je pense qu’il n’y aura plus de réclamation de la part du baron de Poederlé.
La chambre remarquera que de ces deux affaires,
dont on a fait tant de bruit non seulement dans cette chambre, mais même
au-dehors, et qui présentaient, disait-on, une violation du droit de propriété,
l’une, celle du baron de Poederlé est terminée ; sur
l’autre, celle du sieur Verrassel, je pense que la
chambre est suffisamment éclairée.
- La chambre ordonne l’impression au Moniteur des explications données par M.
le ministre de l’intérieur.
M. le président.
- La discussion est ouverte sur l’article unique de ce projet ; il est ainsi
conçu :
« Article unique. La nomination des juges de
paix et de leurs suppléants sera faite dans les deux mois de la loi ou de
chacune des lois qui détermineront la circonscription des cantons
judiciaires. »
M. Simons. - Messieurs,
aux termes de l’article unique du projet de loi en discussion, la nomination
des juges de paix et de leurs suppléants ne devra définitivement être faite par
le Roi que dans les deux mois de la loi, ou de chacune des lois qui
détermineront la circonscription des cantons judiciaires.
Cette disposition me paraît rationnelle. Il est
dans les règles que le ressort de chaque justice de paix soit, autant que
possible, définitivement déterminé avant de pourvoir à la nomination du
magistrat qui sera appelé à y exercer les importantes fonctions que la loi lui
attribuer ; j’y donnerai donc mon vote, bien entendu pour autant que
l’explication que je demande à M. le ministre de la justice sur la portée de
cette prorogation réponde à mon attente.
D’après le projet de loi du gouvernement, ainsi
que d’après celui présenté par la section centrale sur la circonscription des
justices de paix, cette circonscription sera provisoirement maintenue dans les
provinces de Limbourg et de Luxembourg telle qu’elle y est actuellement.
Le mot province indique suffisamment que,
lorsque les circonstances le permettront, il y aura nécessairement lieu de
régler dans la suite dans les deux provinces, d’une manière définitive, la
circonscription dont il s’agit.
Se présente la question de savoir si la
prorogation que demande le gouvernement, pour la nomination des juges de paix,
s’appliquera dans ces deux provinces à la circonscription provisoire, comme
elle s’applique dans les autres provinces à la circonscription définitive ; ou
bien si l’effet de cette prorogation doit s’étendre indistinctement dans toutes
les provinces jusqu’au moment qu’une circonscription définitive y sera devenue
possible ? Dans ce dernier cas, je ne pourrai accorder mon assentiment au
projet de loi.
Quoique l’état précaire dans lequel le fatal
traité de novembre 1831 ait placé ces deux provinces, ne permettez pas que les
ressorts de leurs justices de paix soient, pour le moment, fixés définitivement
; je ne vois pas que ce soit là un motif pour priver ces magistrats, ainsi que
leurs justiciables, du bienfait de l’inamovibilité.
Cet état de choses, qui dure maintenant depuis
à peu près 4 ans, peut encore se prolonger longtemps ; rien au moins ne dénote
que le dénouement de la question politique soit prochain.
D’ailleurs, messieurs, quel que
puisse être éventuellement le sort d’une partie de la province de Limbourg, il
ne sera guère possible d’y diminuer le nombre des justices de paix, et certes
une légère modification dans la circonscription de l’un ou de l’autre canton ne
peut justifier une prorogation indéfinie, qui enlèverait à cette province,
peut-être pour longtemps, un bienfait inappréciable, auquel elle a autant de
droit que les autres provinces.
En conséquence, quelle que puisse être
l’intention du gouvernement à cet égard, pour qu’il ne puisse rester le moindre
doute sur ce point important, et que la nomination des juges de paix ne puisse
être renvoyée aux calendes grecques dans ces deux provinces, je propose qu’à
l’article du projet de la loi qui nous occupe on ajoute après les mots :
« qui détermineront, » ceux-ci : « soit provisoirement soit
définitivement. »
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je n’hésite pas à déclarer que
j’ai toujours entendu l’exécution de la loi de circonscription des cantons
judiciaires dans le sens de l’amendement qui vient d’être présenté.
Je crois qu’il n’y pas la moindre comparaison à
établir entre l’inconvénient d’avoir, dans un temps plus ou moins éloigné, à
supprimer quelques justices de paix dans le Limbourg et le Luxembourg, à
pourvoir au sort de titulaires sans emploi, et à laisser indéfiniment précaire
la situation d’un grand nombre de magistrats.
On ne peut pendant une période indéfinie
laisser ces fonctionnaires dans une pareille position, dans un état de
dépendance légale. Je déclare donc n’avoir pas à m’opposer à l’amendement, mais
je crois qu’il est inutile.
Je déclare qu’après la loi de circonscription
provisoirement ou définitivement arrêtée, je considérerai les juges de paix de
toutes les provinces comme placés dans une position identique. Dans le délai de
2 mois après la promulgation de la loi ou même plus tôt, si un complément de
renseignements ne nous manque pas, il sera pourvu au personnel de toutes les
justices de paix, y compris celles du Limbourg et du Luxembourg. Il y aura à
cela peu d’inconvénients ; en effet, la plus grande partie des justices de paix
de ces deux provinces seront maintenues ; si un petit
nombre de justices de paix d’une faible importance sont supprimées, il sera
pourvu au sort des titulaires soit par une pension, soit par un traitement
d’attente, soit par leur réintégration dans des fonctions judiciaires, laquelle
ne saurait être très difficile, eu égard au nombreux personnel des juges de
paix.
Je ne m’oppose pas, je le répète, à
l’amendement présenté par l’honorable préopinant, s’il insiste pour son
adoption et si la chambre partage ses scrupules. Mais je pense que la
déclaration que je fais maintenant le rassurera sur le sens de la loi.
M. Simons. - Je
n’insiste pas sur mon amendement après les explications données par M. le
ministre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ma déclaration sera consignée au
procès-verbal.
M. Dubus. -
Messieurs, l’article 54 de la loi du 4 août 1832 sur l’organisation judiciaire
fixait un délai précis avant lequel les juges de paix et leurs suppléants
devaient être nommés. La loi du 27 décembre
Je vois un grand inconvénient dans le
changement qui est apporté par le projet actuel aux lois précédentes sur la
prorogation de la nomination des juges de paix ; car remarquez que par cela
seul qu’un délai précis était fixé dans les lois précédentes on était autorisé
à considérer la loi des circonscriptions judiciaires comme urgente ; maintenant
en laissant le terme indéfini, il semble qu’il n’y a plus urgence dans cette
loi. Ainsi vous maintenez indéfiniment un état de choses inconstitutionnel,
puisque les juges de paix en leur qualité de juges doivent être inamovibles.
Il faudrait, selon moi, préciser un terme tel
qu’il fût reconnu que la loi de circonscription des cantons judiciaires est
urgente, et qu’elle doit être promulguée avant l’époque déterminée.
Une voix. - Ce serait lier la chambre.
M. Dubus. -
On me dit que ce serait lier la chambre. Je ferai remarquer que l’assemblée n’y
a pas vu d’inconvénient lorsqu’elle a fait la loi du 4 août 1832, ni celle du
27 décembre dernier.
Je crois qu’il est inconstitutionnel de fixer
un terme précis ; il existe une classe de juges qui sont révocables selon la
volonté du gouvernement, cela est contraire à la constitution, et remarquez que
si vous adoptez sans modification le projet de loi qui propose un terme
indéfini pour la nomination des juges de paix, il ne dépendra plus de vous de
changer cet état de choses inconstitutionnel. Il peut arriver que le pouvoir
exécutif refuse sa sanction à la loi de circonscription des cantons judiciaires
; cela n’est pas vraisemblable, j’en conviens, mais c’est un résultat possible
de la loi telle qu’elle vous est proposée. Je crois que constitutionnellement
vous ne pouvez la laisser ainsi.
Je ferai une autre observation relativement au
changement que propose la commission au projet du gouvernement. Elle élève un
doute sur le point de savoir si on fera une seule loi ou plusieurs lois de
circonscriptions de cantons judiciaires. La commission chargée de l’examen du
projet du gouvernement sur cette matière a reconnu à l’unanimité qu’il fallait
faire plusieurs lois et le gouvernement s’est si bien rallié à ce système, que
le ministre de la justice, dans le projet de loi qu’il a présente le 19
juillet, suppose qu’il y aura une loi de circonscription judiciaire par chaque
province.
La commission dont nous discutons maintenant le
rapport a pensé qu’il ne fallait pas trancher la question dans la loi actuelle
; mais elle ne donne à cet égard aucun motif.
Je demande
qu’elle s’explique sur ses motifs ; car jusqu’ici le projet de faire autant de
lois qu’il y a de provinces paraissait avoir rencontré l’assentiment général.
N’est-il pas évident qu’il convient mieux de faire une loi par chaque province,
alors qu’il s’agit de lois qui soulèvent une question d’intérêt local ?
N’est-il pas certain que l’on peut être prêt à discuter et à voter sur la
circonscription des cantons de telle province et ne pas être prêt à voter sur
telle autre ? N’existera-t-il pas des projets que l’on pourrait discuter, et
d’autres qui ne pourraient l’être, faute d’instruction suffisante ?
Je propose d’ajouter dans l’article : « et dans
tous les cas jusqu’au 1er juillet 1835. »
M. Milcamps, rapporteur. - Je conviens qu’il y a une
différence notable entre le projet du gouvernement, celui de la section
centrale et la loi du 27 décembre 1833 ; car, d’après cette dernière loi, le
Roi avait la faculté de nommer les juges de paix dans le délai que l’on avait
fixé dans la loi, tandis que d’après la proposition du gouvernement, adoptée
par la section centrale, le Roi s’est interdit cette faculté, c’est-à-dire
qu’il ne pourra nommer de juges de paix que dans les deux mois qui suivront la
loi qui déterminera la circonscription des cantons judiciaires. Le gouvernement
s’est lié dans le projet, et c’est là que se rapporte la première objection
faite par M. Dubus.
L’honorable M. Dubus a fait une
autre objection. Il dit que la section centrale n’a pas donné de motifs pour le
changement qu’elle a opéré dans le projet du gouvernement, c’est-à-dire à
l’égard de cette question non préjugée par elle, si on fera plusieurs lois de
circonscription des cantons judiciaires ou si on fera une seule loi. Nous ne
nous sommes pas prononcés sur la question, parce qu’il existe à cet égard une
proposition de la commission chargée de l’examen de la loi des circonscriptions
judiciaires. D’un autre côté, l’organisation judiciaire a été précédemment
soumise à des règles générales, et ce n’est que sous les états-généraux qu’on a
cru devoir porter une loi pour la circonscription de chaque province ; mais
alors il existait des motifs qui ne se rencontrent pas ici ; alors on ne
pouvait présenter d’amendements ; ici, nous pouvons en proposer. Pour ma part,
je crois qu’il y a lieu pour se prononcer sur la question de savoir s’il y aura
une ou plusieurs lois, d’attendre que l’on ait examiné la proposition qui est
présentée ; il ne faut rien préjuger maintenant.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il semble que ce qui se passe
dans ce moment, est une preuve de qu’il y aurait d’adopter l’amendement de M. Dubus. Ce serait véritablement
d’ailleurs supposer que la chambre céderait à des influences puériles, que de
penser qu’elle comprendrait mieux ses devoirs, parce qu’elle aurait inscrit une
date dans la loi ; ce serait trop se méfier du bon sens de la chambre.
Si nous n’avions pas été obligés déjà de
demander une prorogation de délai, je ne verrais pas d’inconvénient à adopter
la proposition de M. Dubus, mais ce qui se passe aujourd’hui prouve, je le
répète, qu’il y aurait inconvénient à une date fixe.
Le gouvernement n’a pas attendu la loi sur la
circonscription des justices de paix pour prononcer l’inamovibilité d’un grand
nombre de juges de paix ; beaucoup de nominations ont été faites dans les
premiers mois de mon entrée au ministère de la justice ; il s’en fait encore
chaque jour.
Si elles ne se sont pas multipliées davantage,
c’est que le gouvernement a eu de l’incertitude sur le résultat des
propositions des circonscriptions de cantons judiciaires ; depuis les rapports
de la commission, le gouvernement a pensé que grand nombre de circonscriptions
judiciaires resteraient à peu près établies comme elles le sont maintenant.
Quant à la question de savoir si le
gouvernement est suffisamment enchaîné par la loi actuelle, à donner la loi des
circonscriptions des cantons judiciaires, je ne dirai pas qu’il y aurait
déloyauté de la part du ministère, mais je dirai qu’il faudrait que le ministère
fût insensé pour se jouer des promesses du gouvernement, en retardant la
sanction de cette loi.
Il importe peu au pouvoir qu’il y
ait un ou deux villages de plus ou de moins compris dans cette circonscription
judiciaire, et le gouvernement n’a aucun intérêt à prolonger la prorogation.
Ce ne serait donc que par un abus de confiance
qu’on pourrait trouver là un prétexte de suspendre la promulgation. Mais comme
la promulgation est un acte libre de la prérogative royale, que d’ailleurs, je
ne puis répondre d’être encore au ministère quand la loi sera susceptible de
sanction, je ne puis me lier par un engagement précis.
M. Dubus. - Au mois de décembre dernier,
lorsqu’une loi semblable a été présentée, je n’ai entendu dans cette enceinte
que les réclamations les plus vives de plusieurs députés sur l’urgence qu’il y
aurait à donner l’inamovibilité des juges de paix dans le plus bref délai
possible. Moi-même, je n’ai pas pris la parole dans cette circonstance, je n’ai
eu qu’à entendre les observations très constitutionnelles et très énergiques
qui partaient de tous les bancs de cette assemblée. Il paraît qu’aujourd’hui la
chambre est devenue bien froide sur ce sujet et qu’elle regarde comme
indifférent si les juges de paix obtiendront l’inamovibilité oui ou non et
s’ils l’obtiendront bientôt, ou à une époque plus ou moins éloignée ou dans un
délai indéfini. Alors le projet de loi sur les circonscriptions cantonales
n’était pas même présenté à la chambre ; le ministre promettait de présenter ce
projet dans le courant de janvier. Il est vrai qu’il ne l’a présenté qu’un mois
plus tard, cependant la chambre n’accordait que jusqu’au 1er octobre suivant,
pour examiner, voter cette loi et procéder à la nomination définitive des juges
de paix. Aujourd’hui nous sommes en possession du projet que le ministre
promettait ; ce projet a été examiné par une commission, tous les rapports ont
été déposés, imprimés et distribués, de sorte qu’on peut dire que l’affaire est
instruite ; il ne s’agit plus que de discuter et voter cette loi. Malgré cela,
je propose un terme plus éloigné que celui qu’on fixait au mois de décembre
dernier et on craint que ce terme ne soit encore trop rapproché. Je propose de
fixer à un an le délai fatal, et on trouve que ce délai pourrait ne pas
suffire. Je ne conçois pas comment il pourrait ne pas suffire, à moins qu’on ne
continue à écarter toujours la discussion des lois de circonscriptions
cantonales en prétendant qu’une autre loi est plus urgente, comme on a toujours
reculé cette discussion sous prétexte qu’il fallait s’occuper du chemin en fer,
de la loi provinciale, de la loi sur les toiles, de la loi sur les céréales et
de la loi municipale. Toutes ces lois ont été considérées comme urgentes, mais
nous en avons d’autres ; on viendra dire aussi qu’elles sont urgentes et jamais
n’arrivera le moment où les juges de paix seront inamovibles.
Je répète que la chambre créerait un mauvais
précédent si elle ne fixait pas un terme précis, je ne crois pas qu’il soit
conforme à la constitution d’ajourner d’une manière indéfinie l’institution des
juges de paix. Ce serait les mettre dans une position inconstitutionnelle, dont
il serait possible au gouvernement d’éloigner le terme. Ce serait, dit-on,
déloyal ; ce n’est pas probable, je le reconnais, mais la question de
constitutionnalité n’existe pas moins. La chambre manquerait à la constitution
en substituant au délai fixé adopté à deux reprises, un ajournement indéfini.
Je persiste donc dans l’amendement que j’ai
proposé.
Quant aux observations que j’avais faites dans
le but de faire concorder la loi actuelle avec le projet de la commission, de
diviser la loi des circonscriptions cantonales en autant de lois qui y a de
provinces, je ne les avais présentées que parce que je croyais que cette
division n’était contestée par personne. Mais ce que vient de dire un des
préopinants me fait voir qu’il y a des doutes à cet égard, ces doutes me
suffisent pour retirer mes observations.
- L’amendement proposé par M. Dubus est mis aux
voix.
Il n’est pas adopté.
L’article unique est adopté.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix les considérants qui sont ainsi conçus :
« Considérant que les mêmes raisons qui
ont motive la loi du 27 décembre 1833, (Bulletin
officiel, n°1161), qui proroge jusqu’au premier octobre prochain le délai
fixé par celle du 4 août 1832, pour la nomination des juges de paix, existent
pour un nouvelle prorogation. »
- Adopté.
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de
la loi. Elle est adoptée à l’unanimité des 64 membres qui ont pris part au
vote.
Trois membres se sont abstenus. Ce sont MM.
Doignon, Dubus et Liedts.
M. le président.
- MM. les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à
énoncer les motifs de leur abstention.
M. Doignon. -
Je me suis abstenu parce que d’une part la prorogation est nécessaire, et de
l’autre parce que je ne puis admettre qu’on recule indéfiniment la nomination définitive
des juges de paix.
M. Dubus. -
Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l’honorable préopinant.
M. Liedts. -
J’ai cru devoir m’abstenir, parce que je reconnais qu’il est impossible que
l’organisation des justices de paix ait lieu avant le 1er octobre prochain ;
d’un autre côté, parce je ne veux pas laisser subsister indéfiniment l’anomalie
choquante et inconstitutionnelle de voir en même temps des juges de paix qui
sont inamovibles et les juges de paix qui ne le sont pas.
M. Dumortier.
- Messieurs, dans la séance d’hier le député d’Arlon m’a engagé à rectifier en
pleine chambre ce qu’il pourrait y avoir d’inexact dans le compte-rendu de la
séance. Les attaques dont j’ai été l’objet dans la séance d’hier, m’imposent le
devoir de donner à la chambre quelques mots d’explications sur un fait qui doit
me justifier, si quelques membres pouvaient penser que j’ai besoin de
justification.
Lorsque la séance a commencé hier, je n’avais
pas lu le Moniteur, il ne m’était pas
encore parvenu. Je n’en ai pris connaissance qu’après la séance. En dînant je
fus curieux de le lire et je fus frappé de cette phrase qu’on prêtait au député
d’Arlon :
« Je vous ai rendu et vous rendrai
toujours personnalité pour personnalité, injure pour injure, en vous laissant toutefois
le mérite d’être le provocateur. »
Or ces mots : « Je vous rendrai toujours
injure pour injure, en vous laissant toutefois le mérite d’être le
provocateur », n’ont pas été prononcés dans cette enceinte. La chambre
n’aurait pas entendu patiemment qu’un membre vînt parler d’injures dans cette
enceinte.
Messieurs, j’ai été frappé de voir de pareilles
expressions reproduites dans le Moniteur,
tandis qu’elles n’avaient pas été
prononcées dans la séance. J’ai suivi alors l’exemple de mon collègue. Je me
suis rendu au bureau du Moniteur. Je
me suis fait remettre la partie manuscrite du compte-rendu de la séance qui
contenait les paroles du député d’Arlon. Le manuscrit portait ce que chacun de
vous a pu entendre. « Je vous ai rendu personnalités pour personnalités, »
et rien de plus ; j’ai demandé à MM. les sténographes, et à M. le directeur du Moniteur quelle était la personne qui
avait ajouté la phrase imprimée telle que je viens de vous la lire. On m’a
répondu que c’était le représentant d’Arlon lui-même, chose qui peut se
vérifier par l’inspection du manuscrit que je tiens à la main.
Messieurs, je livre ce fait purement et
simplement à vos méditations. Je pourrais, à l’exemple de M. Nothomb, prétendre
qu’il falsifie le compte-rendu des séances. Il n’est pas plus permis d’ajouter
à son propre discours qu’à celui d’aucun de ses collègues des expressions qui
n’ont pas été prononcées. On peut falsifier ses paroles tout aussi bien que les
paroles d’autrui. Cependant je n’adresserai pas au député d’Arlon le reproche
qu’il m’a adressé hier, je ne me servirai pas des mots dont il s’est servi. Je
me bornerai à faire remarquer cette coïncidence que la chambre appréciera comme
elle le jugera convenable.
Je ferai remarquer que le député
d’Arlon qui m’accusait d’avoir ajouté une phrase dans le Moniteur s’était rendu précisément coupable du même fait, et cela
quatre lignes plus bas. J’ai voulu faire connaître ce fait, afin que la chambre
puisse voir jusqu’à quel point étaient fondées les plaintes de M. Nothomb. Je ne crois pas que ce
soit ici l’occasion de revenir sur les expressions grammaticales qui ont fait
l’objet de la discussion d’hier (non !
non !) ; je pourrais y revenir (non !
non !) ; je me tairai donc, messieurs, satisfait d’avoir rectifié un fait
qui atténue singulièrement la portée de la réclamation faite dans la séance
précédente.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour.
M. Nothomb. -
J’espère que la chambre, qui vient d’entendre M. Dumortier, voudra bien
m’accorder une minute d’attention pour lui répondre.
Voix nombreuses. - Parlez.
M. Nothomb. -
Il y a, messieurs une grande différence entre ajouter à ce que l’on a dit
soi-même et s’occuper du discours d’autrui. Dans la séance d’hier. Il s’est agi
de mots prêtés au président, qui exerce une espèce de magistrature à l’égard de
l’assemblée.
C’est là ce qui donnait de la gravité à
l’addition faite par M. Dumortier.
Aujourd’hui, messieurs, l’on vient vous entretenir d’expressions que j’aurais
prononcées dans la séance d’avant-hier, et qui n’auraient pas été fidèlement
rapportées. J’ai avoué dans la séance d’hier, si je me le rappelle bien, que
j’avais revu moi-même, au bureau du Moniteur,
le discours prononce par moi dans la séance précédente. Il est donc naturel que
j’y aie fait quelques changements, ce qui arrive à beaucoup d’entre nous.
J’avoue que si mes honorables collègues venaient me faire remarquer une
différence entre les paroles que j’aurais prononcées et celles qui auraient été
imprimées, je me prêterais volontiers aux rectifications que l’on croirait
nécessaires. M. Dumortier a voulu établir une coïncidence entre les deux faits,
et si j’ai pris la parole, c’est que je ne veux pas être placé sur la même
ligne. La tactique employée par le préopinant est assez adroite, mais il a beau
vouloir assimiler les deux rectifications, il y a une grande différence entre
la rectification de nos propres paroles qui nous appartiennent ou l’addition de
paroles prononcées par un autre collègue, surtout lorsqu’il s’agit d’expressions
attribuées au président de la chambre, qui exerce une espèce de magistrature.
Le sens des paroles que j’ai prononcées et de celles qui ont été imprimées est
exactement le même ; j’en accepte d’ailleurs toute la responsabilité.
Voix nombreuses. - Assez, assez.
M. le président.
- La parole est à M. Dumortier.
Un grand nombre de voix. - L’ordre du jour ! l’ordre du jour.
M. Desmanet
de Biesme. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. Dumortier
(au milieu du bruit). - J’ai la parole... Le règlement est formel à cet
égard... J’ai le droit de parler... (Agitation.)
Je n’ai que deux mots à dire à l’assemblée.
M. le président.
- M. Desmanet de Biesme a la parole pour une motion d’ordre.
M. Dumortier. - Jai le droit de parler pour un
fait personnel. (Bruit).
M. Desmanet
de Biesme (au milieu du bruit). - Je demande que la chambre passe à
l’ordre du jour… Voilà deux jours que l’assemblée est ennuyée des discussions
particulières de ces messieurs... S’ils veulent renouveler leur discussion,
qu’ils aillent s’expliquer en dehors de la chambre. (Approbation. Bruit.)
M. Nothomb. -
J’accepte volontiers cette manière de clore un débat. (Bruit.)
M. Dumortier.
- Et moi aussi, je l’accepte de toutes les manières.
M. d’Huart. et M. Ch. Vilain XIIII. - L’ordre du jour !
M. d’Huart. - La chambre ne peut se laisser mener ainsi…
Il est de sa dignité de prononcer l’ordre du jour.
M. le président.
- Je vais mettre l’ordre du jour aux voix. (Oui,
oui.)
- La chambre se lève pour l’ordre du jour.
M. Dumortier.
- Je demande à parler contre l’ordre du jour. (Bruit.)
M.
Ch. Vilain XIIII. - Il y a décision.
M. Dumortier.
- Je n’ai que deux mots à dire... Le règlement est positif... On peut toujours
avoir la parole pour un fait personnel. (Agitation.)
M. le président (M.
Raikem). - L’assemblée a décidé... La chambre me permettra de donner
quelques explications qui termineront, je crois, le débat. C’est que, quant à
moi, je suis persuadé que le membre qui a fait insérer les mots qui ont donné
lieu hier à une réclamation, l’a fait de bonne foi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Soit.
Discussion des articles
Titre I. - Du corps
communal
Chapitre 1er. - De la
composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section 1ère. De la
composition du corps communal
Article 7
M. le président.
- la chambre passe à la discussion de la loi communale. La discussion est
reprise sur l’art. 7.
(Moniteur
belge n°207, du 26 juillet 1834) M. Ernst. -
Dans l’état actuel de la discussion sur la nomination du bourgmestre, la
question se réduit à savoir si le Roi devra choisir ce magistrat dans le
conseil communal ou s’il pourra le prendre hors du sein de cette assemblée. Il
y a plus ; d’après ce qui s’est passé dans la séance d’hier, il est entendu que
le bourgmestre sera nommé en règle générale parmi les conseillers communaux ;
mais pourra-t-il par exception être choisi dans les autres habitants de la
commune ? Telle est la véritable question.
Je dois avouer, messieurs, que ce n’est pas
sans hésitation que je me suis prononcé pour le système que vais développer. Je
défendrai même une opinion autre que celle que j’avais énoncée dans la
cinquième section que j’avais l’honneur de présider.
Cette section a proposé de choisir le
bourgmestre dans une liste de candidats présentée par le conseil communal. Il
est vrai que la question n’avait été traitée que très superficiellement. Après
un examen approfondi de la matière, je crois avoir trouve la solution de la
difficulté. C’est dans le caractère même du bourgmestre, c’est dans la nature
de ses attributions que je l’ai cherchée. Quelle est la position du pays à
l’égard de chaque commune ? Quelle est la position du bourgmestre à l’égard du
pays et de la commune ? Vous le savez, messieurs, l’administration générale du
pays doit exercer son influence sur chaque commune. L’œil et la main de la
nation doit s’étendre sur chaque localité. Car c’est dans la commune que la loi
se met en rapport avec les personnes et les choses.
Or, quel est l’agent chargé de l’exécution des
lois dans la commune et des mesures d’administration publique ? Quel est celui
qui représente l’intérêt général en contact avec l’intérêt local ? Quel est
celui qui administre dans la commune ? Quel est celui qui forme le dernier
degré de l’échelle administrative ? C’est le bourgmestre. Un fonctionnaire
chargé de l’exécution des lois doit être choisi librement par le gouvernement.
Ce n’est que ce choix libre qui peut permettre aux ministres de prendre sur eux
la responsabilité des actes de leurs agents. Un honorable député de cette
assemblée qui a été nommé récemment bourgmestre de sa commune par l’unanimité
des électeurs, vous disait hier avec franchise : L’homme du gouvernement doit
être librement choisi par lui. Aucune entrave ne peut être apportée à sa
nomination. Si vous y apportiez des entraves, vous diminueriez la
responsabilité ministérielle.
Le gouvernement a droit de compter sur le
concours et l’appui du bourgmestre, sur son attachement à l’ordre, sur son zèle
à remplir ses importantes fonctions : en supposant même que le bourgmestre ne
se mette pas directement en opposition avec le gouvernement, l’inertie seule de
ce fonctionnaire peut empêcher l’action de l’autorité supérieure et troubler
l’ordre public. Comment voulez-vous que dans les cas difficiles où le
gouvernement pourra se trouver, il soit obligé d’employer un homme qui n’aura
pas sa confiance ? Dans une grande ville, dans la capitale surtout,
l’inexécution des lois peut compromettre la paix publique et la sûreté du pays.
Nous en avons vu récemment la preuve : quelle sera la position du ministère si
aucun des hommes parmi lesquels il est forcé de choisir ne lui donne des
garanties suffisantes ?
L’honorable M. H. Dellafaille qui a défendu
avec tant de clarté la proposition de la section centrale, tendant à ce que les
bourgmestres soient pris dans le sein du conseil, a dû convenir qu’il pouvait
se présenter des cas exceptionnels, dans lesquels le gouvernement fût forcé de
les choisir en dehors du conseil.
Il a ajouté que si on proposait un amendement
consacrant dans les cas de nécessité le libre choix du gouvernement, il ne
serait pas éloigné de s’y rallier. M. le ministre de l’intérieur a parlé dans
le même sens.
J’appuierai également un amendement conçu dans
cet esprit, mais je comprends qu’il n’est pas facile de le rédiger.
On a essayé de réfuter les raisons puisées dans
les attributions conférées au bourgmestre dans l’intérêt général, mais je pense
que c’est sans succès.
Un honorable orateur (M. Pollénus) a objecté
qu’il y a dans la commune d’autres fonctionnaires chargés de l’exécution des
lois ; soit, mais cela n’empêche pas que le bourgmestre ne soit le véritable
agent du pouvoir central, dès lors l’argument subsiste.
Un autre orateur (M. Doignon) a prétendu que
c’est au nom de la commune, et sous la surveillance des autorités supérieures,
que le bourgmestre exécute les lois. Cette proposition est évidemment erronée ;
c’est au nom de la souveraineté du pays que les lois et les mesures
d’administration générale s’exécutent dans toutes les localités ; l’exécution
de la loi appliquée à la commune ne devient pas pour cela un intérêt local,
sinon tout intérêt serait local, et il n’y aurait plus d’intérêt communal. D’un
autre côté, que signifierait la surveillance des autorités supérieures, si le
bourgmestre n’était pas l’agent du pouvoir central, s’il n’était pas subordonné
à ces autorités, s’il n’agissait qu’au nom de la commune et dans un intérêt
communal ?
Le bourgmestre est aussi l’agent de la commune,
on en conclut que la commune doit intervenir dans sa nomination ; je répondrai
qu’il agit seul comme agent du gouvernement, tandis qu’en qualité d’agent de la
commune il n’agit que de concert avec les échevins. Quand le bourgmestre est
pris hors du conseil, il n’a que voix consultative. Les échevins au nombre de
deux ou de quatre forment toujours la majorité, et dans mon opinion ils ne
seront pas nommés par le Roi.
Je crois que ce système est de nature à
concilier tous les intérêts ; il donne toute satisfaction au gouvernement, et
il charge les magistrats de la commune, les véritables agents de la commune, de
tout ce qui a trait aux intérêts communaux.
A l’appui de l’opinion que je combats, on a
cité l’autorité de Henrion de Pansey
et de M. de Barante. Je suis loin de récuser l’autorité de deux hommes aussi
distingués, mais je ferai observer qu’ils ne parlent que relativement à la
législation française. Or, en France le bourgmestre est véritablement l’agent
de la commune ; car les fonctions des adjoints ne répondent nullement à celles
de nos échevins ; il n’y a pas en France de collège chargé de l’exécution des
dispositions d’intérêt communal.
Du reste, je pourrais opposer autorités à
autorités, et au besoin même M. de Barante à M. de Barante ; mais ces citations
me paraissent peu convenables.
Jamais je n’ai repoussé les exemples puisés
chez les Français ; mais je remarque que ceux qui affectent le plus
d’éloignement pour cette nation ne manquent pas de s’appuyer des lois et des
écrivains de ce pays, quand leur cause doit en profiter.
On a également cité l’exemple de
Remarquez aussi, messieurs, que ce que le roi
de Prusse donne d’une main, il peut le reprendre de l’autre ; et que l’émancipation
communale a plus d’importance quand il n’y a pas de libertés politiques.
Toutefois je suis loin de contester la sagesse
du gouvernement prussien ; les libertés s’établissent solidement, lorsqu’on les
fait pénétrer dans les mœurs, en les développant d’une manière progressive. Si
je réfute les arguments tirés des lois de
Il faut, dit-on, que le bourgmestre ait la
confiance de la commune ; je ne le conteste pas. Mais tel est aussi l’intérêt
du gouvernement. N’est-il pas de son intérêt que le bourgmestre ait de
l’influence dans le conseil communal, qu’il y ait voix délibérative, et non pas
voix consultative comme cela arrivera s’il est pris hors du conseil ? Ainsi
l’intérêt du gouvernement est lié à l’intérêt de la commune ; il choisira en
général le bourgmestre dans le conseil communal ; il ne le prendra hors du
conseil que dans des cas de nécessité, dans l’intérêt de la commune et du pays
et pour des motifs d’ordre public.
Quelque ministère qu’on suppose, quel plaisir
aura-t-il à engager sa responsabilité quand il pourra s’en dispenser ? S’il
prend le bourgmestre dans le conseil, sa responsabilité est à couvert tandis
que s’il le prend hors du conseil on lui fera des reproches ; et si le choix
tourne mal, le gouvernement en répondra doublement.
Si une faction, a dit un honorable membre,
arrivait au pouvoir, elle choisirait tous les bourgmestres dans son intérêt. Il
faut supposer alors que toute la législature soit factieuse, la chambre, le
sénat… Dans ce cas, des pétitions arriveraient de tous les côtés, les communes,
les provinces s’insurgeraient. Mais cette supposition est absurde ; il n’y a
pas à y répondre.
Quand le bourgmestre sera choisi hors du
conseil, n’aura-t-il pas intérêt à se concilier l’opinion de la commune qu’il
administre ? Je rappellerai le bel exemple qu’a cité un de mes honorables amis,
député de Namur. Dans cette ville l’ancien gouvernement avait usé du droit que
lui donnaient les règlements de choisir le bourgmestre hors du conseil ; ce
bourgmestre a été ensuite nommé par le peuple membre du conseil. Vous voyez
donc qu’un bourgmestre pris hors du conseil n’est pas pour cela en hostilité
avec la commune.
Je prendrai, messieurs, la liberté de vous
soumettre encore quelques considérations importantes, qui se rattachent aux
élections communales ; la nécessité de prendre dans tous les cas le bourgmestre
dans le conseil aura une funeste influence sur ces élections.
Toutes les élections municipales deviendront
des élections politiques. On cherchera à exclure du conseil celui qu’on
craindra devoir nommer bourgmestre, on s’occupera davantage des opinions, des
intérêts de parti que des intérêts positifs de la commune. De son côté le
gouvernement sera également intéressé à exercer son influence sur les
élections.
Si deux opinions sont en lutte dans la commune,
l’intrigue, la cabale, l’esprit de coterie, tous les moyens seront mis en œuvre
pour que ces deux partis soient représentés dans le conseil. L’homme modéré en
sera écarté. Eh bien, c’est sur celui-là que tombera le choix du gouvernement ;
n’appartenant pas à une couleur tranchée, il portera dans le conseil l’esprit
de modération, et sera juste envers tous ses administrés.
Le système que j’ai l’honneur de vous
présenter, me semble le seul système qui soit conséquent ; c’est encore ce que
je tiens à vous démontrer.
La section centrale donne au gouvernement le
droit de révoquer le bourgmestre. Puisqu’on veut faire intervenir la commune
avec le gouvernement dans la nomination du bourgmestre, il serait conséquent de
la faire intervenir aussi avec le gouvernement pour la révocation.
Si le gouvernement révoque un bourgmestre
choisi dans le conseil, celui-ci ne continuera pas moins à faire partie du
conseil, ainsi que l’a fait remarquer hier l’honorable M. Pirson ; il y aura
évidemment inimitié entre le bourgmestre révoqué et celui qui le remplacera ;
il en résultera de grandes divisions au sein du conseil.
Si le bourgmestre est un homme qui sait rendre
la justice, qui n’appartient à aucun parti, qui ne craint pas l’influence d’une
famille opulente, à la première nomination on cherchera à l’exclure ; celui qui
aura le mieux administré aura la douleur de se voir écarté par l’esprit de
parti, par l’intérêt particulier dont il aura cherché à garantir ses
administrés.
J’ai entendu dire que si les bourgmestres sont
directement nommés par le Roi, nul ne voudra être bourgmestre.
Pour moi, je crois que la crainte de l’esprit
d’intrigue et de cabale, lorsqu’il s’agira de l’élection, éloignera beaucoup
plus d’hommes tranquilles des fonctions de bourgmestre que la nomination par le
gouvernement.
J’arrive à une objection qui a souvent été
reproduite dans cette discussion sous diverses formes. On dit que le système
que nous défendons est illibéral et impopulaire ; on invoque les principes de
liberté posés par le congrès, les promesses de liberté faites au peuple ; quant
à moi, cet argument me touche peu. Je n’ai jamais appartenu à aucun parti ; je
n’ai jamais flatté le peuple ; je n’ai aucun ménagement à garder ; je n’ai qu’à
satisfaire à ma conscience et aux intérêts de mon pays.
Le congrès a proclamé les principes dans la
position où il se trouvait, mais il a laissé à la législature le devoir, la
responsabilité d’organiser la nomination des bourgmestres, en conciliant
l’utilité du pays avec le bien-être des communes. Nous n’avons pas d’autre
règle à suivre.
Dans les questions de liberté, voici ma
profession de foi : Le gouvernement doit observer religieusement les lois. Sans
cette garantie, il n’y a pas de liberté, les citoyens n’ont réellement aucun
droit sur lequel ils puissent compter. Quand il s’agit d’organiser des
institutions dans un gouvernement représentatif où le pays est administré par
le pays et dans l’intérêt du pays, la question de savoir ce qui doit être donné
à la commune ou à l’Etat n’est plus une question de liberté, mais d’utilité
générale. Les théories en politique n’ont de valeur que pour l’avantage qui en
revient à la société.
On a dit qu’il n’est pas vrai que des communes
demandent la loi que nous discutons en ce moment. Il est probable que
l’honorable orateur qui a parlé ainsi, se soit exprimé d’après ce qu’il a vu
dans certaines localités ; quant à moi, je déclare que les communes attendent
avec impatience l’organisation des institutions communales.
Depuis plus de deux ans elle est vivement
réclamée par tous les organes de la presse. On a même été jusqu’à imputer au
ministère l’absence d’une loi communale que nos travaux nombreux nous ont
empêché de faire plus tôt.
J’attache, messieurs, une grande
importance à l’organisation de la commune et de la province ; je vois dans
cette organisation la véritable source de la stabilité dans le pays.
C’est en vain que nous cherchons la
pacification de
M. de
Theux. - Messieurs, au point où la discussion est arrivée, il me semble
inutile d’entrer dans de longues considérations ; et c’est moins pour tâcher de
jeter de nouvelles lumières dans la discussion que pour motiver mon vote que je
prends la parole.
En règle générale, il est incontestable que le
bourgmestre doit être pris dans le sein du conseil communal. Si le bourgmestre
est l’agent du gouvernement pour l’exécution des lois, et pour ce qui concerne
l’intérêt général, il n’en est pas moins vrai qu’il est également l’agent
principal de l’administration communale. L’adjonction des échevins ne détruit
pas cette qualité du bourgmestre. J’en appelle à tous les membres de cette
assemblée. Le bourgmestre, principalement dans les communes rurales, sera
toujours, malgré l’adjonction de deux échevins, l’âme de l’administration
journalière des communes ; mais suit-il de cette règle que, dans aucun cas, le
bourgmestre ne pourrait être pris hors du conseil communal ? Ici, je crois
qu’il faut répondre non, et qu’il y a lieu à admettre des exceptions. C’est
aussi ce que le gouvernement lui-même a senti ; l’article 7 qu’il a proposé est
évidemment rédigé dans cette pensée. Le gouvernement a reconnu que le
bourgmestre doit être pris dans le sein du conseil, puisqu’il concède que le
bourgmestre qui sera pris hors du conseil n’aura pas voix délibérative.
Or, lorsqu’il place le bourgmestre nommé en
dehors du conseil dans cette position exceptionnelle, il est évident qu’il
n’entend pas faire de cette nomination une règle, mais une exception et une
exception très rare.
On pourra dire que le gouvernement aurait dû
poser dans la loi le principe de la nomination du bourgmestre dans le sein du
conseil. Il est vrai que le principe n’est pas posé d’une manière explicite,
mais on l’a véritablement posée en disant que le bourgmestre nommé hors du
conseil n’aura pas voix délibérative ; toutefois je ne verrais pas
d’inconvénients à ce qu’une rédaction plus claire fût adoptée. On pourrait dire
: « Le Roi nomme bourgmestre dans le sein du conseil ; en cas de
nécessité, il peut le prendre hors du conseil. » Je crois que c’est là le
véritable esprit de l’art. 7.
Mais, dira-t-on, le gouvernement sera juge de
la nécessité, et comme il est juge intéressé, vous n’aurez pas de garantie. Cet
argument me semble facile à réfuter. Il est vrai que le gouvernement est juge
de la nécessité, et que personne ne peut annuler la nomination qu’il aura faite
en dehors du conseil ; mais il faut reconnaître aussi que le gouvernement aura
une responsabilité morale ; cette responsabilité morale est une garantie, dans
un pays ou les actes de l’administration générale sont livrées à la publicité
de la presse, et peuvent devenir l’objet d’une discussion dans les chambres.
Je pense donc que si le gouvernement faisait
abus de la faculté qui lui est accordée dans la loi, ce serait le cas de la
responsabilité morale, et il en résulterait des plaintes telles que le
gouvernement serait arrêté dans sa marche. D’un autre côté, je ne vois pas la
possibilité de spécifier les cas où le gouvernement pourra choisir hors du
conseil ; l’expression : « dans les cas de nécessité » est la seule
qui me semble pouvoir être admise. Cette nécessité existera, soit lorsqu’il n’y
aura pas dans le conseil communal des personnes aptes à remplir les fonctions
de bourgmestre, soit lorsque la personne qui convient à ces fonctions refusera
d’accepter. Ce cas peut arriver souvent, car les fonctions de bourgmestre ne
sont pas aussi attrayantes que beaucoup de personnes se l’imaginent. Dans une
grande ville, le bourgmestre doit consacrer toute son existence aux intérêts de
ses administrés et indépendamment de cela, une partie de sa fortune. Il est
notoire que le traitement attribué aux bourgmestres n’est qu’un faible
équivalent des dépenses qu’ils sont obligés de faire dans une grande cité. Sous
ces rapports il faut un véritable dévouement pour accepter les fonctions de
bourgmestre dans une grande ville.
Je conviens que dans les communes rurales, la
place de bourgmestre peut avoir quelque avantage, parce qu’elle procure une
certaine influence dans la commune ; mais, dans ces communes même, la place de
bourgmestre est encore un véritable fardeau, il faut être animé du désir de
faire le bien pour l’accepter. Si on compare l’agrément de cette place avec le
désavantage, on reconnaît qu’elle est une véritable charge. De cette manière il
peut arriver que le gouvernement ne puisse choisir dans le conseil, alors qu’il
s’y trouverait des personnes capables de remplir les fonctions de bourgmestre ;
il peut arriver aussi qu’il ne se trouve pas dans le conseil un seul homme qui
ait les qualités nécessaires pour faire un bon bourgmestre, soit par suite de
cabales dans l’élection, soit qu’une personne ayant les qualités nécessaires ne
veuille pas se laisser porter aux élections.
Ceci, dit-on, ne sera que l’exception ; car, il
faut en convenir, les élections faites jusqu’à présent ont en général répondu
aux intérêts des communes, mais il n’est pas moins vrai qu’il y a bien des
exceptions. Je pense que la plupart d’entre nous qui ont des rapports nombreux
avec les communes, peuvent en citer où les bourgmestres sont de véritables
fléaux, à tel point que les habitants, s’ils pouvaient les faire destituer,
demanderaient en masse leur destitution.
Mais, dit-on, les lois ne doivent
être faites que pour régler les cas généraux et ne doivent pas s’occuper des
cas exceptionnels. Or, de votre aveu, les faits que vous invoquez ne sont que
des exceptions. Messieurs, je n’admets pas cette supposition que les lois ne
doivent s’occuper que des cas généraux et négliger les exceptions. Nous créons
une règle commune pour les cas généraux, mais quand nous reconnaissons des
besoins particuliers, nous introduisons dans la loi des dispositions
exceptionnelles qui répondent à ces besoins particuliers.
Je pense que vous aurez rempli les double but
que la loi doit atteindre, en posant comme règle générale la nomination du
bourgmestre dans le conseil, et comme exception la nomination hors du conseil,
lorsqu’elle sera dictée par la nécessité.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de
m’étendre davantage sur une matière que je considère comme épuisée.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, quelle est la nature
des fonctions du chef de l’administration communale ? De qui ce magistrat
doit-il tenir son mandat ? Voilà les questions sur lesquelles j’ai cherché à
m’éclairer.
Les fonctions du chef de l’administration
communale sont mixtes, cela n’est pas contesté. Il est fonctionnaire
appartenant à la grande hiérarchie administrative dont les nominations
appartiennent au Roi d’après l’article 66 de la constitution, et il est le
pouvoir exécutif dans la cité.
Malgré les avantages que présente cette
organisation à laquelle nous sommes habitués, et qu’il n’est pas question de
modifier, je pense qu’elle a été l’occasion, le prétexte peut-être, soit des
empiétements de l’administration sur les communes, qui pour lors ont perdu leur
existence de cité, soit du pouvoir communal sur le pouvoir central ; et dans ce
dernier cas, l’unité, l’existence même nationale, ont couru de grands dangers.
La hiérarchie administrative une fois rompue, le gouvernement a cessé d’être
responsable des actes d’agents qui ne lui appartenaient plus officiellement ;
il n’y a plus eu dans l’intérêt des administrés d’appel possible à l’autorité
supérieure des actes arbitraires de l’autorité communale, parce que l’autorité
supérieure n’avait contribué en rien dans l’octroi du mandat du chef de la
commune.
C’est sous ce régime que
N’avons-nous pas vu des administrations
communales, malgré les ordres précis de l’autorité supérieure, se refuser à
payer les indemnités dues pour logements de troupes à leurs administrés depuis
deux ans, dont la plupart vivent d’une petite industrie journalière ? Je pense
que l’incurie a été seule la cause de ces désordres de comptabilité communale, mais
les administrés ne doivent pas en être les victimes, et les chefs des communes
en sont responsables d’après la loi. Je pourrais citer bien d’autres abus, qui
vexent le peuple et qui lui font dire qu’il ne conçoit pas que le gouvernement
du Roi, qu’il a voulu, ne soit pas capable de le défendre contre des vexations
locales.
La conviction est devenue générale que notre
organisation communale exige des modifications, dans l’intérêt du pouvoir
central, dans celui des administrés, dans celui de l’ordre, dans celui même des
libertés publiques. Car l’arbitraire d’une multitude de fonctionnaires
subalternes, qui s’exerce au nom de la liberté, est un despotisme mille fois
plus intolérable que celui qui est exercé au nom d’un seul. Il y a eu danger
que le peuple ne s’habituât à voir dans ses magistrats une autorité plus
vexatoire que celle qu’il avait détruite au nom de la liberté.
La question se réduit à savoir si le chef de
l’administration communale sera nommé par le Roi exclusivement dans le conseil,
ou indistinctement dedans et dehors ; car je pense que le système de l’élection
entièrement populaire du chef municipal a peu d’adhérents dans cette assemblée,
après l’expérience que nous en avons faite depuis 4 ans.
Les observations judicieuses de quelques
honorables collègues en faveur du choix entièrement libre du bourgmestre par le
Roi, m’ont fait quelque impression.
Le bourgmestre est le pouvoir exécutif dans la
commune, il n’a qu’à exécuter les décisions du conseil, et quant à l’exécution,
il doit encore s’entendre avec les échevins ; il me semble que le chef
d’administration, dans cette position, peut difficilement agir contre les
intérêts de la commune ; d’un autre côté, il est fonctionnaire du gouvernement,
il est journalièrement en rapport avec lui pour l’exécution des lois générales.
Dès lors, il est des circonstances où le bien du pays peut exiger le choix d’un
bourgmestre par le gouvernement hors le conseil, sans que cette nomination
puisse faire tort aux intérêts communaux et à l’existence de la cité. Je vois
peu d’inconvénients à ce que le bourgmestre soit un fonctionnaire du
gouvernement, chargé de présider le conseil communal sans voix délibérative,
s’il n’a pas été élu membre du conseil et chargé d’exécuter ses décisions.
Si la nomination directe du bourgmestre
dedans et en dehors du conseil indistinctement prévalait, je serais porté de
proposer la nomination des échevins par le conseil et dans son sein. Dès lors
il y a toute garantie pour les intérêts communaux, puisque le bourgmestre ne
peut exécuter que de concert avec les échevins pour ce qui est d’intérêt
communal. J’ai entendu parler des pétitions de 1829 en redressement de nos
griefs, que j’ai signées aussi ; mais le peuple ne se plaignait pas dans ces
pétitions du système communal, qui après tout était libéral et satisfaisait à
tous ses besoins. Si une pétition avait été faite sur cet objet, c’eût été pour
demander son maintien et empêcher qu’on n’y portât des atteintes.
M. de Nef. - Trois systèmes ont été présenté au sujet de
l’article en discussion : le premier veut la continuation de l’ordre établi en
octobre 1830 en laissant le choix des bourgmestres directement au choix des
électeurs ; le second, et c’est celui de la section centrale, laisse le choix
au Roi dans le sein du conseil, enfin le troisième, qui est celui du
gouvernement, laisse le choix au Roi dans le conseil ou en dehors.
Quant au premier système, peu de voix, je
pense, s’élèveront en sa faveur ; car l’expérience a démontré que dans
plusieurs communes les bourgmestres qui voulaient maintenir une police active
étaient souvent menacés de non-réélection, et que par suite l’autorité de
plusieurs d’entre eux était devenue complètement nulle.
Le système présenté par la section centrale
offre certainement moins d’inconvénients, mais qui en renferme un autre, celui
de nommer un bourgmestre qui ne résiderait pas dans sa commune. Dans ces
circonstances, je crois qu’il suffirait de faire disparaître ce dernier défaut
pour obtenir le résultat le plus satisfaisant ; et pour y parvenir, il n’y
aurait qu’à substituer une autre rédaction de l’article. Voici en conséquence
celle que j’ai l’honneur de proposer :
« Le
Roi nomme et révoque les bourgmestres ; il les choisit dans le conseil ou du
moins dans le sein du collège électoral de la commune ; dans ce dernier cas ils
n’ont que voix consultative au conseil. »
M. le président.
- M. de Nef propose un amendement, par lequel le bourgmestre serait nommé dans le
sein du conseil, ou du moins parmi les électeurs. Dans ce dernier cas, il
n’aurait que voix consultative dans le conseil.
M. Dechamps. - Messieurs, la question qui nous occupe
paraît compliquée au premier coup d’œil, parce que plusieurs éléments opposés
viennent y confluer ; mais, si l’on y porte un esprit d’analyse, surtout si des
considérations tout à fait étrangères ne viennent pas influencer le jugement,
il me paraît, messieurs, que cette question peut se résoudre facilement.
Il n’y a que trois systèmes possibles pour
servir de base à l’article en discussion :
D’abord, celui qui attribue au Roi la
nomination du bourgmestre, sans élection préalable. En second lieu, celui qui
confère cette nomination aux habitants de la commune, d’une manière exclusive.
En troisième lieu, celui qui donne une part tout à la fois au gouvernement et à
la commune, dans le choix du chef de l’administration municipale.
Je vais, messieurs, examiner attentivement ces
trois principes opposés.
D’abord, il est un fait, c’est que le
bourgmestre administre les intérêts collectifs de la commune, c’est qu’il
stipule en son nom, c’est qu’il en est l’agent et le mandataire.
Or comment pourra-t-il stipuler en son nom,
s’il n’en a reçu une délégation expresse ? Comment en sera-t-il le mandataire,
s’il ne tient pas d’elle son mandat ?
La contradiction saute aux yeux, et notre
premier devoir, messieurs, c’est de ne pas consacrer une absurdité par une loi.
Je sais que bien des personnes n’attachent pas
grand scrupule à ces sortes de contradiction ; elles s’imaginent que ce sont là
des querelles des légistes. Mais, messieurs, une loi évidemment irrationnelle
ne peut jamais être une bonne loi, et quand on peut démontrer qu’un système ne
rend pas compte de quelques faits essentiels qui doivent s’y encadrer, ce
système est par cela seul convaincu de non-sens et d’absurdité.
Or, que le bourgmestre stipule au nom de la
commune, qu’il en soit le mandataire dans presque tous ses actes, c’est là un
fait, et certes l’un des plus essentiels dont nous avons à tenir compte dans la
question qui nous occupe.
Cependant, messieurs, ceux qui accordent la
nomination au Roi sans l’élection préalable, semblent nier ce fait ou tout au
moins l’oublier. En effet, celui que le gouvernement choisirait en dehors du
conseil, ne serait pas à coup sûr le mandataire de la commune ; nous devrions
changer son nom de bourgmestre, qui ne pourrait plus lui être appliqué, pour le
remplacer par celui de commissaire du Roi ; s’il arrivait que le système que je
combats fût admis, je proposerais plus tard de retirer au bourgmestre toute
action dans l’administration des affaires exclusivement communales, parce qu’il
serait absurde qu’un commissaire du Roi fît les fonctions de mandataire de la
famille municipale.
Dans cette hypothèse que je combats, messieurs,
nous devrions nécessairement accepter la proposition qui a été repoussée par la
chambre de France en pareille occasion, ce serait d’admettre deux chefs
d’administration : un bourgmestre qui gérerait les intérêts exclusivement
communaux et un syndic municipal qui représenterait uniquement les intérêts de
la nation. Si vous ne voulez pas de ce principe, je ne comprends pas comment la
commune aura son mandataire dans le chef de son pouvoir exécutif en même temps
que le gouvernement aurait son représentant, ce qui doit être si l’on ne veut
pas poser un principe irrationnel.
Il me semble donc messieurs, que le bon sens
nous dît que c’est aux habitants qu’appartient le droit inaliénable de choisir les
régisseurs de leurs intérêts communaux.
Mais il existe un autre fait, messieurs, tout
aussi réel et aussi important que le premier, et que nous ne pouvons laisser à
l’écart sans rendre notre loi incomplète et fausse : c’est qu’il est des
branches de l’administration générale qui s’étendent dans les communes, et il
est un article de la constitution qui décide que le Roi nomme aux emplois de
l’administration publique.
Les habitants d’une commune n’ont donc pas le
pouvoir de conférer au chef de leur conseil communal l’exercice d’une branche
de l’administration générale de la nation. Cependant, il faut bien que
quelqu’un reçoive cette délégation ; et qui le pourrait dans le système de
l’élection directe et exclusive par les habitants ? personne évidemment, messieurs
; et dans ce système, comme dans celui qui lui est tout à fait opposé, on
serait forcé d’admettre aussi deux chefs distincts d’administration, l’un
relevant exclusivement du gouvernement et l’autre relevant de la commune.
L’erreur qui, selon moi, messieurs, entraîne
les esprits dans ces deux systèmes exclusifs, est identiquement la même qui
sépare les amis d’une centralisation administrative et les partisans d’une
excessive décentralisation : ceux qui soutiennent que le pouvoir du bourgmestre
relève du Roi seul, sacrifient la commune à l’Etat, ou plutôt détruisent la
commune au profit d’une unité morte comme celle de l’Orient ; ceux qui refusent
l’intervention du Roi dans le choix du bourgmestre, ne tiennent pas compte de
l’unité, et semblent oublier que la commune est un anneau de la grande chaîne
nationale.
Quand un fédéralisme complet existait pour les
communes, quand il n’y avait pas d’intérêts nationaux qui s’y infiltraient,
alors rien de plus simple, le bourgmestre, le maire, n’était nullement le
délégué du pouvoir central qui n’existait pas, ne pouvait être que le
mandataire de la commune et choisi exclusivement par elle ; mais du moment
qu’une nation existe, il y a les intérêts généraux qui s’étendent dans les
communes et dès lors il faut nécessairement dans chacune d’elles un délégué
pour les administrer.
Le système de l’élection directe et exclusive
par les habitants n’est donc soutenable qu’en admettant le principe d’un
fédéralisme absolu.
Mais, tout absurde que je trouve ce système,
celui de la nomination par le Roi, hors du conseil, me paraît plus absurde
encore.
Et la raison en est très simple, messieurs, car
s’il est vrai qu’il est des branches d’administration publique qui s’étendent
dans les communes, il est certain que ce n’est que l’accessoire, que cette
administration n’y forme que l’exception Le bourgmestre n’est-il pas bien plus
le chef de l’administration communale que le délégué du pouvoir ? Bien
évidemment, messieurs ; et dès lors si j’avais à choisir entre les deux
systèmes exclusifs que je combats, je donnerais certainement mon vote à celui
qui consacre l’élection absolue et directe par les habitants. Mais je les
rejetterai tous deux, parce que dans le premier on suppose qu’il n’y a pas
d’Etat, pas de nation, tandis que dans le second on suppose que l’Etat est la
seule commune, ce qui veut dire en dernière analyse que les libertés des
agrégations telles que les familles et les communes doivent s’effacer pour la
plus grande liberté d’un être abstractif tel que l’Etat. C’est le système
despotique des républiques anciennes.
Le système de la section centrale concilie et
harmonise parfaitement les deux faits et les deux principes que les deux
auteurs négligent tour à tour.
Le bourgmestre devient par l’élection le
mandataire de la commune, et le choix du Roi le rend représentant des intérêts
nationaux.
Il résulte de cette combinaison outre la
précision logique, un avantage moral et un élément d’ordre inappréciable :
Le bourgmestre, dans ce système, étant revêtu
de la double confiance du Roi et de ses administrés est censé réunir bien plus
de chances de capacité et de moralité que celui qui serait choisi par le
gouvernement ou par le peuple exclusivement, et il acquiert par là une
influence plus marquée et plus légitime dans la commune.
II sera naturellement entouré de plus de
respect et d’estime, il pourra mieux calmer les dissensions, il sera plus fort
en sa qualité de délégué du pouvoir central, et plus aimé parce qu’il sera
l’homme de choix de ses administrés.
Ceux qui ne veulent pas d’élection préalable se
trompent donc étrangement s’ils veulent par là donner plus de force au pouvoir
exécutif. La force ce n’est pas l’arbitraire légal, ce n’est pas la contrainte
qui enchaîne au lieu d’unir, mais c’est avant tout la confiance et la justice.
Eh bien imaginer deux communes dont l’une
aurait pour chef un commissaire du Roi, et l’autre un bourgmestre qui aurait
acquis la confiance du gouvernement et de la commune, et dites-moi où serait la
force, où serait la faiblesse ? une considération importante vient se placer
ici, c’est que l’élection est le fondement de notre édifice social, c’est que
la différence radicale entre le gouvernement représentatif et la royauté
absolue est justement que dans celle-ci le pouvoir est octroyé d’en haut,
tandis que dans l’autre il vient d’en bas.
Quand donc le Roi lui-même doit ici sa
puissance à l’élection, vous iriez l’abolir pour la nomination d’un
bourgmestre, pour cet emploi qui a presque toujours relevé du vœu populaire
même dans le temps où l’on ne parlait pas de liberté !
Une chose qui m’a frappé, messieurs, c’est que
les arguments de ceux qui défendent le projet du gouvernement sont tirés pour
la plupart du carquois du système de la paternité royale. On a dit de fort
belles choses pour le défendre ; j’avoue que plusieurs objections m’ont frappé,
mais je ne puis concilier ces principes avec ceux qu’on appelle libéraux.
Nous qui nous vantons, messieurs, d’être un des
peuples les plus avancés dans la voie constitutionnelle, n’allons pas inscrire
une exception dans l’histoire des franchises communales ; et, qu’on le sache
bien, ce serait une exception.
La loi votée en 1831 par la chambre de France
établit le même principe que celui de la section centrale ; et cependant, quand
on cite
L’Allemagne a consacré un système
analogue ; presque partout le bourgmestre y est nommé par le Roi sur une liste
de candidats présentés par les députés.
L’honorable M. Ernst l’a nié, mais la source où
j’ai puisé ce fait me garantit son exactitude.
Et nous, messieurs, qui formons l’anneau qui
unit l’Allemagne à
M. Doignon. -
Je dois répondre quelques mots aux adversaires de notre système. On a prétendu
qu’il pouvait arriver que l’administration présentât dans sa liste, à sa
majesté, quelques hommes de paille, pour la forcer à nommer telle ou telle
personne. Je demanderai à ceux qui ont avancé ce fait de vouloir bien me dire
s’ils en ont vu un seul exemple, et d’avoir la bonté de me le citer. Ainsi
c’est uniquement pour un abus imaginaire qu’on veut vous entraîner à sacrifier
les libertés communales.
Je vous le demande, messieurs, est-ce là
raisonner en législateur ? De pareils cas ne peuvent être qu’infiniment rares,
et nous ne devons pas faire des lois pour des cas aussi exceptionnels. C’est ce
que la section centrale elle-même dit dans son rapport. Il faudrait supposer
que toute la commune elle-même serait en révolution ; car il n’y a que des
habitants animés d’un esprit de rébellion qui auraient pu nommer des
conseillers qui oublieraient à ce point leurs devoirs. Je vous demande si de
pareilles suppositions peuvent être admises en Belgique. Je vous demande si,
sous prétexte que deux ou quelques communes auraient abusé du droit que la loi
leur confère, il ne serait pas souverainement injuste d’enlever les franchises
communales à toutes les communes du royaume. Voilà cependant le raisonnement
que j’entends répéter à satiété.
On a signalé un autre abus qui serait résulté
du système actuel ; on a prétendu que dans certains districts on appelait aux
fonctions de bourgmestre des cabaretiers et des meuniers. Je n’ai jamais vu un
seul exemple de ce fait, mais tous les cas, il est pourvu à cet inconvénient
par l’art 9 de la loi que nous allons discuter et qui prononce
l’incompatibilité des fonctions de bourgmestre avec la profession de cabaretier
ou de meunier.
La question de la nomination de bourgmestre
dépend, a-t-on dit, de ses attributions, c’est un agent du gouvernement, il est
chargé de l’exécution des lois et des ordonnances d’administration générale,
donc il doit être nommé par le Roi. Messieurs, tout cela est erroné : le
bourgmestre n’est pas l’agent du gouvernement, il n’est pas vrai que
l’exécution des lois lui appartienne ; c’est au collège du bourgmestre et des
échevins et à toute l’administration locale qu’appartient l’exécution de la
loi.
Je vous le demande, est-il présumable que le
congrès aurait voulu donner, à cet égard, aux communes moins de droit qu’elles
n’en avaient précédemment ?
L’article 139 de la constitution a maintenu les
attributions des autorités locales. Or l’article 76 du règlement du plat pays
porte que le bourgmestre et les assesseurs soignent et assurent l’exécution des
lois et de toutes les ordonnances.
Pour les villes, voici ce que porte l’art 98 du
règlement : « Les bourgmestres et échevins veillent à l’exécution des lois
et arrêtés. » Ce n’est donc pas au bourgmestre seul, comme agent du
gouvernement, qu’appartient l’exécution de la loi ; cette exécution appartient
à toute l’administration locale, au collège du bourgmestre et des échevins. Ce
n’est donc pas comme commissaire du gouvernement que le bourgmestre, de concert
avec ses collègues, fait exécuter la loi dans la commune.
Effectivement, messieurs, l’application de la
loi à la commune est une affaire d’intérêt communal. La loi est bien une mesure
d’intérêt général, mais du moment qu’on l’applique à la commune, cette
application devient une affaire d’intérêt local. Or, aux termes de l’art 108 de
la constitution tout ce qui est d’intérêt communal est attribué au conseil
communal. Remarquez bien, je vous prie, cette expression tout. Ainsi rien n’est excepté ni réservé, et par conséquent
l’exécution de la loi dans la commune tombe dans les attributions du collège et
de l’administration locale tout entière.
En parcourant le règlement des villes, nous
voyons que nulle part, excepté ce qui concerne l’état-civil, le bourgmestre
n’exerce ses fonctions seul ; partout il agit conjointement avec ses collègues
les échevins. Pour le plat pays le bourgmestre agit quelquefois seul, mais dans
quelles circonstances ? C’est quand il s’agit d’actes d’administration qu’on ne
peut faire convenablement que seul. Il est naturel alors de les confier au
bourgmestre qui est président de l’administration. C’est dans les cas prévus
par les articles 52, 53, 54, 56, 79 et 82. Dans les cas d’urgence où le retard
pourrait porter préjudice à la commune, c’est aussi le bourgmestre qui agit
seul sous sa responsabilité. Mais pour l’exécution d’une loi, d’un règlement
d’administration générale, ce n’est pas le bourgmestre seul qui en est chargé,
il agit de concert avec les échevins ou assesseurs.
Mais on me demande : Dans ce système, quelle
garantie avez-vous de l’exécution de la loi dans la commune ? La même que nous
avons toujours eue depuis que nous vivons sous un gouvernement constitutionnel,
garantie qui a été suffisante depuis près de 20 ans que nous vivons sous ce
régime ; nous avons cette garantie dans l’intervention du Roi dans la
nomination et dans le renouvellement qui a lieu périodiquement.
Le bourgmestre sait d’avance que s’il n’agit
pas suivant les avis de l’autorité supérieure, s’il néglige l’exécution des
lois, il ne sera pas réélu. Sous ce rapport il est dans la dépendance de
l’autorité supérieure. Voilà votre garantie. Elle est aussi dans la
surveillance du commissaire de district, du gouverneur, du procureur du Roi et
de toutes les autorités supérieures. Vous avez une autre garantie encore dans
le droit d’annuler les actes, quand ils sont contraires à l’intérêt général ou
à l’ordre public, ou qu’ils sortent des attributions. Ces garanties, je le
répète, ont suffi jusqu’à présent ; pourquoi ne suffiraient-elles plus ? Vous
avez encore un puissant moyen dans les démarches auprès des autorités locales
où la loi ne s’exécuterait pas. Un commissaire avec quelque modération parvient
toujours à vaincre de telles résistances. Le bon droit et la justice finissent
toujours par l’emporter. J’en ai fait l’expérience plusieurs fois. Il n’y a
donc aucune nécessité de faire du bourgmestre un agent du gouvernement, il est
et doit demeurer l’homme de la commune, par conséquent c’est la commune qui
doit avoir la plus grande part dans sa nomination ; je propose dans tous les
cas l’intervention du Roi, afin de maintenir la centralisation nécessaire au
pouvoir exécutif.
Dans le système de M. Ernst, le bourgmestre se
trouverait dans une fausse position à chaque moment. Je suppose qu’il s’agisse
d’exécuter l’article d’une loi préjudiciable aux intérêts de la commune, qui
doit subir des modifications et donne lieu à des réclamations vis-à-vis de
l’autorité supérieure. Le bourgmestre d’un côté devra exécuter la loi ; de
l’autre cependant il devra en retarder l’exécution en sa qualité d’agent de la
commune et adresser au gouvernement des représentations contre les dispositions
nuisibles à la localité qu’il administre. Il y a donc là deux intérêts opposés
en présence. Il est absurde de vouloir qu’ils se résument dans la même personne
: on ne peut à la fois servir deux maîtres.
Au surplus, je vous ferai remarquer
que la commission chargée, en septembre 1831, de présenter un projet de loi sur
l’organisation communale, en accordant au Roi la faculté de choisir le
bourgmestre en dehors du conseil, avait exprimé formellement que cette faculté
ne serait exercée que sur la demande motivée de la commission permanente du
conseil provincial.
L’honorable M. de Theux a dit qu’il suffisait
d’énoncer les cas de nécessité. Rien n’est plus vague que cette expression, ce
serait ruiner la règle par l’exception.
Je persiste donc dans mon amendement.
M. Fleussu. -
Messieurs, trois systèmes sont en présence. Le premier veut l’élection directe
du bourgmestre par le peuple ; c’est celui qui a été présenté dans divers
amendements. Le second veut la nomination par le Roi ; c’est le projet du
gouvernement. Puis vient en troisième lieu le projet de la section centrale qui
est de laisser au Roi la nomination du bourgmestre, sauf à le choisir dans le
sein du conseil.
Le premier de ces systèmes, celui qui tend à
faire élire les bourgmestres par le peuple, aura, je pense, peu de partisans
dans cette enceinte. Il tend en effet à faire de chaque commune une petite
république. L’expérience a démontré que sous un semblable régime les magistrats
sont sans autorité. Ils ne veulent pas compromettre leur réélection, ils
flattent les passions politiques de la majorité des électeurs, et servant les
vues de leur amour-propre, ils laissent flotter les rênes de l’administration,
au lieu de les tenir d’une main ferme.
Sous ce régime l’action du pouvoir exécutif est
neutralisée. Que peut le pouvoir contre des bourgmestres élus par le peuple ?
Voudra-t-il les suspendre, les destituer ? Ils se présenteront devant leurs
mandants entourés d’une auréole d’indépendance et seront presque sûrs de leur
réélection. Ce système donc me semble tout à fait incompatible avec celui de la
centralisation administrative.
La difficulté se réduit par conséquent à savoir
si le Roi nommera le bourgmestre comme bon lui semblera, ou s’il devra
restreindre son choix dans le sein du conseil.
Sur cette question il est plus facile de
s’arrêter à une opinion que de se former une conviction, parce que l’on trouve
des considérations d’une égale force pour les deux systèmes. C’est dans
l’esprit de la constitution plutôt que dans la lettre que vous pouvez chercher
les principes qui doivent vous diriger.
En effet, la lettre de la constitution ne dit
rien pour ce qui concerne les bourgmestres ; seulement elle établit en principe
l’existence du pouvoir communal et l’élection directe des conseillers
municipaux, puis elle laisse à la législature le champ libre pour le mode de
nomination des bourgmestres. Il est facile de deviner les motifs de ce silence.
L’expérience a démontré que tout chef d’administration doit être subordonné au
pouvoir exécutif dont il en est quelque sorte le délégué.
C’est, messieurs, la réunion sur une même tête
de l’exercice des actes d’administration générale et de l’exécution d’actes
d’administration particulière que naît toute la difficulté. Il y a là concurrence.
Nous avons donc à examiner auquel des deux
mandats du bourgmestre nous avons à donner la prédominance. L’un des deux
doit-il entièrement absorber l’autre ?
Pour soutenir que le bourgmestre est avant tout
l’homme de l’administration générale, on vous a fait grand bruit de la
responsabilité ministérielle. On a dit que l’œil et la main de la nation
doivent s’étendre jusque dans la commune, que c’est dans la commune que
commence l’exécution de la loi, et que le bourgmestre est chargé de cette
exécution.
L’homme du gouvernement, a-t-on ajouté, doit
être choisi librement par le gouvernement. Liberté entière doit être donnée au
pouvoir exécutif. Nulle entrave ne doit être apportée à son choix. Si vous y
apportez une seule entrave, vous diminuerez l’action de la législature sur le
ministère. Voilà tout ce que l’on a dit de plus fort en faveur de la
responsabilité ministérielle ; nous voulons bien admettre cette responsabilité
; mais nous en tirerons des conséquences toutes différentes.
Nous comprenons que dans tout gouvernement,
même sous le régime républicain, la volonté générale, qui est la loi, doit être
exécutée par tous les fonctionnaires, sans résistance, sans opposition aucune ;
que, sans cette obéissance absolue, l’action gouvernementale languit, s’éteint
; qu’il peut y avoir danger pour l’ordre public et parfois danger pour la
liberté même. Nous comprenons très bien que le gouvernement doit être libre
dans le choix de ses agents et que l’on ne doit pas restreindre ce choix dans
un cercle trop resserré. Je reproduis, comme vous le voyez, les plus sérieuses
objections que l’on ait présentées contre le système de la section centrale.
C’est là véritablement que la question offre des difficultés ; ce sont là les
plus fortes armes que l’on ait employées contre le système que je défends. Ces
objections ne résolvent pas la difficulté. Elles prouvent beaucoup trop.
Car si vous vous y arrêtiez, ne résulterait-il
pas que le gouvernement devrait avoir auprès de chaque municipalité un
commissaire chargé de l’exécution des lois ? ne
prouveraient-elles pas que non seulement le choix du bourgmestre, mais même la
nomination des échevins, devrait appartenir au Roi ?
L’honorable M. Pollénus l’a dit : Il y a dans
la commune d’autres fonctionnaires que le bourgmestre ; il y a des hommes qui
dans certains cas sont appelés à en remplir les fonctions qui sont en dehors de
l’action du pouvoir central.
Lorsque le bourgmestre est absent, c’est le
premier échevin qui le remplace. Voilà un homme que le ministère n’aura pas
nommé, qui exécutera la loi et se trouvera momentanément subordonné à
l’administration centrale, sans cependant qu’il tienne son mandat du Roi.
Il est certain que si vous voulez pousser
jusque dans ses dernières conséquences le système de la responsabilité
ministérielle, non seulement vous devez accorder au pouvoir royal le choix du
bourgmestre, mais encore la nomination des échevins.
Vous voyez donc, messieurs, jusqu’où nous
irions, si nous admettions dans sa rigoureuse logique le principe de la
responsabilité ministérielle.
Il faudra que le gouvernement puisse placer
auprès de chaque municipalité un de ses agents, qu’il pourra prendre non pas
dans le conseil seulement, non pas dans la commune (car ce serait restreindre
son choix), mais partout où il le voudra, sans consulter personne. Autrement,
il vous dirait : Je ne trouve personne dans telle localité à qui je puisse
accorder ma confiance : si vous me forcez à faire un choix dans la commune, si
vous restreignez mon choix, je décline tout responsabilité quant aux actes des
autorités communales.
Voilà le raisonnement que l’on vous ferait. Il
serait tout aussi fondé que ceux que je viens de combattre.
Je viens de vous parler d’un commissaire que,
par une conséquence rigoureuse du principe de la responsabilité ministérielle,
le gouvernement devrait pouvoir instituer auprès de chaque municipalité. C’est
un système dont on a déjà fait l’essai. Lorsque la constitution de l’an III fut
mise à exécution, l’on succédait à un système beaucoup plus large, celui de
l’élection directe. Comme on voulait dessiner nettement les deux pouvoirs,
celui de l’Etat et celui de la nation, et éviter tout conflit entre eux, on
laissa aux citoyens l’exercice du pouvoir municipal ; pour ce qui était de la
partie de ce pouvoir délégué par la loi (et c’est dans la loi que le
bourgmestre puise le mandat qui l’autorise à l’exécuter), on plaçait un
commissaire qui agissait auprès de chaque commune au nom du directoire, sous la
désignation de commissaire du pouvoir exécutif. Il est résulté de cette combinaison
des collisions, des discordes presque toujours inévitables entre deux pouvoirs
qui ne doivent pas leur mandat à la même origine.
Voulez-vous savoir quelle en a été la
conséquence ? C’est que le gouvernement consulaire, profitant de la lassitude
de la nation, se réserva toutes les nominations dans les municipalités, non
seulement celle du maire, mais celle des conseillers communaux. Vous voyez que
l’on passait vite d’un système au système contraire. La réaction cependant se
fit sans réclamation aucune et aux applaudissements de la majorité des
Français. Toutes les fois que le pouvoir se fortifie, c’est lorsqu’il y a eu du
désordre dans la nation, parce qu’il est de l’essence des gouvernements de
faire tourner au profit de leur puissance toutes les circonstances difficiles
où se trouve la nation.
Il me semble que c’est dans les éléments du
double mandat que doivent se trouver les motifs de notre décision.
Il faut, autant que faire se peut, mettre la
constitution ou plutôt son esprit d’accord avec les besoins de l’époque. Or, il
me semble tout à fait irrationnel d’imposer à quelqu’un celui qui doit défendre
ses intérêts. Ainsi il ne serait pas plus juste que la commune forçât le
gouvernement à prendre un tel pour délégué, qu’il n’est juste que le gouvernement
dise : « Voilà celui à qui vous confierez vos intérêts. »
Mais il y a ici un double mandat : eh bien, il
faut que les deux mandants concourent à la nomination de leur mandataire ; pour
cela il n’y a qu’un moyen, c’est que l’un ait le droit de présenter, l’autre
celui de la nomination. Ainsi le délégué ne sera imposé à aucune des parties.
Il aura la confiance de l’une et de l’autre. Ne serait-ce pas au contraire une
position vraiment insupportable que de voir dans une commune un homme qui lui
aurait été imposé pour bourgmestre et qui peut-être ne jouirait de l’estime
d’aucun de ses habitants ?
Je vois dans le système de la section centrale
beaucoup d’avantages. Je ferai remarquer qu’il a été admis en France après la
révolution de juillet : et le croiriez-vous, messieurs, les seuls en France qui
se soient opposés à cette modification, à ce progrès, dirai-je, ce sont ceux
des membres de l’assemblée qui voulaient l’élection directe par le peuple !
Mais pas un seul membre de l’assemblée française n’a demandé que le choix du
roi ne fût restreint dans aucune limite. Voici ce qui s’est passé après la
révolution de juillet. Il y a plus : dès 1829, lors de la discussion de la loi
Martignac, c’était l’esprit d’une partie de l’assemblée de demander l’élection
directe ; mais on n’osait pas le faire parce qu’on savait qu’avec un
gouvernement qui prétendait tenir ses pouvoirs du droit divin, un tel système
n’aurait pas été admis. En 1831, au contraire, de nombreux orateurs de la
chambre française ont demandé l’élection des maires par le peuple ; c’est, je
le répète, la seule opposition qu’ait rencontrée en France le système que je
cherche à faire prévaloir.
Le ministre français n’hésita pas à se rallier
à un système qui répondait aux besoins du moment. J’avais pensé que M. le
ministre de l'intérieur imiterait l’exemple de son collègue de France ; il
m’avait même semblé entendre en murmurer quelque chose, mais dans la séance
d’hier j’ai entendu M. le ministre donner à l’honorable M. Dubus un désaveu si
formel que je n’oserais pas le répéter. Cependant, je ferai remarquer que
peut-être M. le ministre a déjà accueilli le système qu’il repousse
aujourd’hui, en se ralliant à l’article 3 du projet de la section centrale, où
la question me paraît préjugée.
L’article
du gouvernement portait : « Lorsque le bourgmestre fait partie du conseil
communal, ce conseil y compris les échevins, est composé de, etc. » Vous
voyez donc que là le gouvernement entendait se réserver le choix hors du
conseil. Qu’a fait la section centrale ? Dans le but d’écarter ce système,
elle a formé ainsi l’article : « Le conseil de régence, y compris le
bourgmestre et les échevins, est composé de, etc. » Eh bien, messieurs, le
ministre s’est rallié à cet article. S’il avait voulu élever une discussion,
n’est-ce pas alors qu’il devait le faire ? En se ralliant à cet article,
n’a-t-il pas laissé préjuger la question ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai dit au contraire qu’il n’y
aurait rien de préjugé.
M. Ernst. - Le
ministre a fait ses réserves lors de la discussion de l’article 3.
M. Fleussu. -
J’avais perdu ces réserves de vue, je le dis franchement ; cela se conçoit
quand un intervalle de plus de 15 jours sépare la discussion de l’article 3 de
celle de l’article 7 ; du reste, le procès-verbal est là, il prouvera si je me
trompe.
M. Dumortier,
rapporteur. - Il n’y a pas eu de réserves.
M. Ernst. - Si
fait. Il a été convenu que l’article 3 ne préjugerait rien.
M. Dumortier,
rapporteur. - Pour moi je l’avais compris comme M. Fleussu.
M. le président.
- Le projet de la section centrale n’a pas été adopté. L’article a été adopté
en ces termes : « Le corps communal se compose de … membres dans les
communes de, etc. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On a retranché les mots :
« Y compris le bourgmestre et les échevins, » ainsi on n’a rien
préjugé.
M. Dumortier,
rapporteur. - Mais non.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mais si.
M. Fleussu. -
Quoi qu’il en soit, je rappellerai encore que le ministre français s’est
franchement rallié à un système analogie à celui de la section centrale.
Je trouve encore un avantage à ce système. Il
en résultera que les élections communales seront mieux surveillées.
Qu’arrivera-t-il en effet, si le bourgmestre peut être pris hors du conseil ?
Les électeurs ne s’inquiéteront pas du choix des conseillers communaux ; ils ne
se rendront pas au collègue, ou abandonneront les choix au hasard. Lorsqu’on
saura, au contraire, que le bourgmestre et les échevins seront pris dans le
conseil, il sera apporté plus de soin, plus de surveillance aux élections ;
tous les habitants s’empresseront d’y concourir.
On reproche au système de votre commission de
favoriser les intrigues qui manœuvrent trop souvent les élections.
Croyez-vous, a-t-on dit, que celui aura eu la
faveur de l’élection mérité plus de confiance que celui qui aura eu le choix du
Roi ?
Le Roi, ajoute-t-on, a intérêt à faire un bon
choix, et quand il choisira en dehors du conseil, ce sera toujours un homme
capable d’administrer sagement la commune.
Une telle confiance ne tend à rien moins qu’à
se passer de garanties dans les lois ; il faut s’en rapporter aux soins des
ministres et placer tous les intérêts du pays sous l’unique sauvegarde de la
responsabilité ministérielle. On parle de l’intérêt de faire de bons choix ;
mais de quel côté est donc l’intérêt le plus pressant, le plus immédiat ?
Est-ce du côté, du gouvernement, dont le choix sera dicté sur les rapports des
commissaires de district ? N’est-ce point plutôt du côté de ceux qui sont en
relations quotidiennes avec le chef de l’administration communale ?
Et puis, n’est-ce point vouloir mettre le
discernement du ministère au-dessus de celui des électeurs qui cependant sont
plus à même de distinguer les hommes en état de les administrer ?
Quant à l’observation de laisser beau jeu à
l’intrigue, je trouve qu’elle fait le procès à nos institutions. Si vous
regardez l’élection comme conséquence d’une influence quelconque, comme
résultat de l’intrigue, vous sapez à sa base le système électoral ; vous ruinez
le gouvernement représentatif. Ainsi, croyez-vous qu’il n’y ait pas eu
d’intrigues pour l’élection de quelqu’un des membres de cette chambre ? Si un
grand nombre peuvent se flatter d’avoir reçu leur mandat sans l’avoir
recherché, il y en a d’autres, je le sais, je les connais, qui ne le doivent
qu’à des influences, à des intrigues. Direz-vous pour cela que vous ne formez
pas la représentation nationale ? Si vous entrez dans un système de défiance
contre l’élection, si vous n’y voyez plus l’expression de la volonté de la
majorité, vous ruinez, je le répète, le système de la représentation nationale,
le gouvernement représentatif.
Rendez obligatoire le choix du bourgmestre dans
le conseil, et vous verrez beaucoup de conseillers qui s’occuperont davantage
des affaires de la commune ; ils feront l’apprentissage de l’administration
parce que d’un moment à l’autre ils s’attendront à être appelés à des fonctions
supérieures.
Ce n’est qu’en réunissant la confiance des
électeurs et du gouvernement que le bourgmestre aura nécessairement une
influence salutaire. N’est-il pas évident que celui-là aura la plus haute
influence qui aura reçu une double consécration ? il
n’en aurait au contraire aucun celui qui aurait été pris en dehors du conseil.
Un honorable collègue à qui je réponds est
parti d’une position qui n’est pas celle où nous nous trouvons véritablement.
Il a eu l’air de supposer que le choix dans le conseil serait la règle, et le
choix hors du conseil l’exception. Mais où trouvez-vous la garantie que ces
choix n’auront lieu que par exception ? il est vrai
que le ministre a annoncé qu’il serait disposé à prendre ordinairement le
bourgmestre dans le conseil. Mais depuis quand les paroles de ministres
sont-elles une garantie suffisante ? Les lois restent et les hommes passent.
On a dit que le système que je défends forçait
le choix du gouvernement et le mettait à la merci des intrigues électorales ; je
dirai, moi, qu’il met le choix du gouvernement à l’abri des intrigues de cour,
des intrigues du ministère.
M. de Theux vous a présenté un amendement
d’après lequel, dans le cas de nécessité (ce mot est bien vague), le
bourgmestre serait pris hors du conseil. Je ne saurais admettre ce système. De
deux choses l’une, ou le choix du gouvernement sera entièrement libre, ou il
doit être restreint au conseil communal. Il ne peut y avoir d’exception, et
voici pourquoi : c’est que, quand on reconnaîtrait qu’il y a lieu à faire une
exception, on mettrait en état de suspicion les membres du conseil, on
condamnerait l’élection populaire.
Cette exclusion même serait une cause
incessante de jalousie et de dissension entre les conseillers et le
bourgmestre, leurs relations seraient toujours marquées au coin de la défiance.
Un homme imposé à la commune et pris en dehors
de ses élus n’exercera jamais aucune influence. C’est surtout à raison de la
part qu’il prend aux décisions du conseil qu’un bourgmestre peut prétendre à de
l’influence ; il faut donc de tout nécessité qu’il fasse partie de ce conseil.
Messieurs, l’ancien gouvernement, qui savait
aussi administrer, ne s’y est pas trompé. Il a toujours choisi le bourgmestre
parmi les membres du conseil (sauf quelques cas très rares).
Le
règlement du plat pays avait fait du bourgmestre le président du conseil, afin
que les délibérations du conseil pussent être véritablement utiles. Vous, vous
voulez qu’un homme qui n’aura pas pris part au vote des décisions du conseil,
les fasse exécuter, alors même qu’il croirait ces décisions contraires à
l’intérêt des communes et qu’il aurait pu les combattre par des raisons
décisives.
Je ferai remarquer, en terminant, que si le
bourgmestre est l’agent, le mandataire du gouvernement, c’est au gouvernement à
payer son traitement, et non à la commune.
D’après ces considérations, je voterai pour
l’article de la section centrale.
M. A. Rodenbach.
- Après le discours si judicieux que vous venez d’entendre, je pourrais
renoncer à la parole, puisque je partage l’opinion de l’honorable préopinant.
Je dirai cependant quelques mots pour soutenir les principes exposés par
l’honorable M. Fleussu.
Je le déclare, ce qu’ont dit l’honorable M.
Ernst et l’honorable M. de Theux ne m’a point ébranlé dans ma conviction.
M. de Theux a dit que la règle serait que les
bourgmestres seront nommés dans le conseil et que ce ne serait que par
exception qu’on le choisirait hors du conseil. Comme l’a dit M. Fleussu, qui
empêchera que le gouvernement n’abuse de la latitude qui lui sera laissée ?
Je citerai ici quelques faits. Dans ma province
et dans la commune qu’habite un honorable député qui siège derrière moi, il y
avait, sous le gouvernement déchu, des personnes honorables ; mais comme elles
n’étaient pas serviles, qu’elles étaient dévouées au gouvernement, on a imposé
à la commune un bourgmestre du voisinage, et ce bourgmestre était disposé à
prendre toutes les mesures arbitraires qui plaisaient au gouvernement. Dans ma
province, il y avait aussi des notaires qui cherchaient à obtenir la place de
bourgmestre, parce qu’ils voulaient augmenter leurs actes qui ne s’élevaient
qu’à 1 ou 200, et qui, avec la place de bourgmestre, se seraient élevés à 6, 7
ou 800. Les actes se payaient un napoléon, de sorte que cela faisait un revenu
de 7 ou 800 napoléons.
Il y a eu ainsi des notaires qui se sont fait
un pareil revenu ; bien qu’ils ne fussent pas huissiers, ils exploitaient la
commune. (On rit.) Ce sont ces hommes
que je veux empêcher qu’on choisisse.
M. de Theux a dit qu’il y a des villes où le
bourgmestre se ruine : messieurs, en France, les maires ne reçoivent plus de
traitement ; le maire de Lyon, et les maires des autres grandes villes,
remplissent cependant leurs devoirs ; ce sont les Hollandais qui nous ont
habitués à tout payer. Au reste nous reviendrons sur cette question.
J’appuie
la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil, et je ferai remarquer
qu’il faut que le bourgmestre ait la majorité dans le conseil, ainsi que les
ministres dans les chambres : dans le conseil communal on vote aussi des
budgets.
J’ajouterai que le bourgmestre ne doit pas
faire le bien sans l’autorité du gouvernement ; les hommes sont ainsi faits,
ils veulent que le bien vienne d’eux-mêmes.
Quelques voix. - La clôture ! la
clôture !
M. Dumortier,
rapporteur. - Je demande la parole en qualité de rapporteur, et aussi
pour soutenir l’amendement que j’ai présenté. (Parlez, parlez.)
Messieurs, il me reste peu de choses à dire,
après le discours de M. Fleussu, qui, à mon avis, a traité la question d’une
manière supérieure.
Comme je partage en grande partie ses opinions,
je ne répéterai point les observations qu’il a présentées, et je me bornerai à
vous soumettre quelques considérations d’un ordre différent, relativement à la
nomination des bourgmestres. Vous n’ignorez pas, messieurs, que de toutes les
lois que nous puissions faire, il n’en est pas une seule qui soit pour le
citoyen plus importante, qui excite plus d’intérêt général que la loi
communale. Allez dans les villes, dans les villages, interrogez les habitants,
parlez-leur de la liberté de la presse, de la liberté, du jury, de la liberté
de pensée, de celle de l’instruction et d’une foule d’autres libertés,
auxquelles nous attachons le plus grand prix, les habitants diront qu’ils y
tiennent aussi beaucoup ; mais parlez-leur de ce qui est le summum, le point
culminant de toutes les libertés, ils vous diront que c’est la loi communale,
parce que chaque habitant veut d’abord gérer ses intérêts de localité, de
famille, les intérêts qui sont le plus près de lui.
Dans la discussion de la loi communale, le
point le plus important, c’est évidemment la nomination du bourgmestre, parce
que c’est l’agent de la commune, et non l’agent du gouvernement, bien qu’on
veuille le prétendre. Je maintiens qu’il n’y a pas d’agent du gouvernement dans
la commune ; le bourgmestre est l’agent de la commune, parce que l’action du
bourgmestre sur les habitants peut se faire sentir à tous les instants, parce que
le bourgmestre est en contact avec eux du matin au soir, et qu’il peut les
vexer, les tyranniser. Voilà pourquoi les habitants regardent la nomination du
bourgmestre comme le point le plus important de la loi communale, loi qui est
la plus importante que nous puissions faire.
Ainsi qu’on l’a dit, il existe trois systèmes
autour desquels viennent se ranger tous les amendements qui ont été proposés.
D’abord, la nomination du bourgmestre en dehors du sein du conseil,
c’est-à-dire que le Roi prendra le bourgmestre hors du conseil s’il trouve que
le choix lui sera plus favorable que s’il le faisait dans le sein du conseil.
C’est là le mandat seul du pouvoir, et il n’existe que deux mandats, celui du
pouvoir exécutif et le nôtre.
Vient ensuite un pouvoir mixte, la nomination
du bourgmestre, soit sur la présentation au Roi d’une liste de candidats par le
corps électoral, soit sur la présentation de candidats par le conseil de
régence, soit enfin la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil. Ici
il y a un double mandat : le bourgmestre reçoit un mandat du peuple, et ensuite
le mandat du pouvoir exécutif.
Le troisième système est la nomination du
bourgmestre directement par les électeurs. Là il n’y a plus qu’un seul mandat ;
ce n’est pas le mandat du pouvoir exécutif, c’est le mandat populaire.
A mes yeux, si vous avez à choisir entre ces
deux systèmes qui ne présentent qu’un seul mandat, vous devez sans hésiter
préférer l’élection populaire.
La loi communale, dit l’article 108 de la
constitution, consacrera le principe de l’élection directe de la nomination du
bourgmestre, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs de
l’administration communale et des commissaires du gouvernement près les
conseils provinciaux.
Ne perdez pas de vue, je vous prie, la
différence qui existe entre les bourgmestres et les fonctionnaires dont il est
parlé dans l’article 108 ; s’agit-il de la province, le gouvernement a un
commissaire ; s’agit-il de l’administration communale, ici il n’y a plus
d’agent du pouvoir exécutif, il y a seulement un chef d’administration
communale.
Le bourgmestre en Belgique n’est donc point
l’agent du gouvernement ; dans notre régime constitutionnel il ne saurait
l’être sans changer totalement la constitution. Si vous admettez que le bourgmestre
peut-être élu en dehors du sein du conseil, vous changez en effet la
constitution, puisque vous créez un agent du gouvernement là où la constitution
n’a point voulu en voir.
Vous voyez donc que si vous aviez à choisir entre
ces deux systèmes, de la nomination du bourgmestre avec mandat populaire, ou de
celle avec mandat royal, il n’y aurait pas à hésiter. Vous ne pourriez pas
admettre le second, sans violer la constitution ; c’est ce qui résulte de la
discussion qui a eu lieu au congrès à l’occasion de cet article. Le congrès
avait proposé d’admettre l’élection populaire, sauf des exceptions proposées.
Un amendement fut présenté par M. Lebeau, aujourd’hui ministre, et appuyé par
M. Devaux, que l’on sait être l’ami politique de M. Lebeau. On sait aussi que
les opinions des honorables membres sont en général connexes. M. Devaux, en
soutenant l’amendement de M. Lebeau, déclara au congrès que le bourgmestre
devrait toujours être pris dans le sein du conseil, et serait toujours membre
du conseil, puisqu’il devrait être pris dans son sein. J’ai ici le résumé de la
discussion sous la main. Si la chambre le désirait, je pourrais en donner
lecture.
Il est donc démontré que nous ne pouvons pas,
constitutionnellement parlant, autoriser le gouvernement à choisir le
bourgmestre en dehors du conseil.
En effet, le congrès a donné à entendre qu’il
faudrait un double mandat ; c’est pour cela qu’une exception a été inscrite
dans la loi fondamentale. Un honorable membre qui a le premier parlé
aujourd’hui en faveur du système du gouvernement a dit que l’administration
centrale doit exercer une influence sur la commune et sur celui qui est chargé
de l’exécution des lois, le bourgmestre. Je défie à l’administration centrale
d’exercer une influence sur la commune, la constitution ne lui donnant pas un
agent dans la commune.
Il y a dans la commune, un agent communal, mais
non un agent du gouvernement Quant à la personne chargée de l’exécution de la
loi, ce n’est pas le bourgmestre, c’est le conseil de régence qui est chargé de
cette exécution par les lois antérieures, et il a été continué dans ses droits
par le congrès.
D’ailleurs, qu’elles sont les lois de l’Etat
pour l’exécution desquelles on demande un agent du gouvernement dans la commune
? Il est facile de classer ces lois en catégories et de voir s’il est
nécessaire au gouvernement d’avoir pour leur exécution un agent exclusif dans
chaque commune. Prenons d’abord les lois judiciaires Ces lois sont
exclusivement du ressort des tribunaux, la constitution est formelle à cet
égard.
Le bourgmestre agit quelquefois comme officier
de police judiciaire, mais ce n’est pas une raison pour en donner au Roi la
nomination sans présentation, car autrement il faudrait lui donner la
nomination sans présentation des échevins, des membres du conseil qui dans
certains cas sont appelés à remplacer le bourgmestre. Vous devriez aussi lui
donner la nomination, sans présentation, de tous les agents qui remplissent des
fonctions judiciaires dans la commune, du commissaire de police, par exemple ;
cependant le gouvernement consent à ce que le conseil le propose. Le
garde-champêtre est aussi proposé par le conseil. Ces agents remplissent bien
des fonctions judiciaires. Et le bourgmestre, qui est l’agent de la commune,
vous ne voulez pas qu’il ait un mandat populaire ! C’est lui surtout
cependant qui doit être investi de ce mandat.
Cela est si vrai, que depuis la révolution les
bourgmestres et les échevins ont eu uniquement un mandat populaire. Ils n’ont
pas cessé pour cela d’exercer leurs fonctions judiciaires qui leur étaient
déférées par les lois. Ces fonctions n’exigent donc pas que le gouvernement ait
dans la commune un agent exclusif.
Si nous prenons les lois financières, nous
avons la même conclusion. Vous savez qu’elles sont du ressort du ministre des
finances qui a à sa disposition une nuée d’employés directeurs de contribution,
inspecteurs, vérificateurs, commis de douaniers ; le bourgmestre n’entre pour
rien dans l’exécution de ces lois. A la vérité, la répartition des impôts
directs est une affaire qui se rattache à la commune ; mais ici encore, d’après
les lois actuelles, le bourgmestre, en tant que bourgmestre, n’est pour rien
dans l’exécution ; c’est le conseil communal qui fait par lui-même, ou fait
faire par des agents qu’il délègue, la répartition du contingent affecté à la
commune. Ainsi, comme je le disais, les lois financières n’exigent pas pour
leur exécution un agent exclusif du gouvernement dans la commune.
Il en est de même des lois militaires, sinon
pour ce qui regarde les miliciens et la garde civique. Le gouvernement doit
avoir une action sur les autorités qui s’écarteraient de leur devoir en
négligeant l’inscription des miliciens. Mais est-il possible d’avoir un agent
dans une commune, pour une chose qui se fait une fois par an ? Il suffirait de
charger les commissaires de district de ce soin ; alors tout se ferait dans
l’ordre, et le gouvernement aurait à cet effet un agent à sa dévotion. Au
reste, on ne peut pas se dissimuler que ces inscriptions faites par le
bourgmestre et les échevins l’ont toujours été avec exactitude. On ne viendra
pas prétendre que pour des fonctions de si peu d’importance, le bourgmestre
doive être l’agent exclusif du gouvernement, tellement que la commune ne
participe en aucune manière à son élection.
Viennent les lois d’administration, leur
exécution est particulièrement du ressort de la commune. Sans doute le
gouvernement a un très grand intérêt a ce qu’elles
soient exécutées. Mais n’est-ce pas la commune elle-même qui y est le plus
intéressée ? pour quiconque s’est occupé
d’administration, c’est là une vérité des plus incontestables.
On a parlé de la police, et l’honorable député
de Liége qui a parlé le premier a dit qu’en Prusse elle appartenait au
gouvernement.
J’ai lu dans l’ouvrage de M. de Savigny, qui
doit être au courant des choses puisqu’il réside en Prusse, j’ai lu, dis-je, si
je me rappelle bien, que la police est dans les attributions des municipalités.
Tout à l’heure, un de mes honorables collègues a dit aussi qu’il se rappelait
l’avoir lu.
Il est hors de doute que nous ne prétendons pas
remettre la police locale entre les mains du bourgmestre. Ce qui a fait
détester le régime des maires sous l’empire, c’est parce qu’ils étaient seuls
exécuteurs des actes de la police, parce qu’on a fréquemment vu dans maintes
localités les maires pouvant tout faire, sans consulter les échevins ou les
adjoints, se servir de ce moyen pour exercer de petites vengeances. Moi, qui
veux les libertés communales, je n’y veux pas de despotisme, je le redoute
autant dans la commune que dans l’Etat.
Je dis même qu’il y est plus intolérable, parce
qu’il n’y a rien pour le contrebalancer, parce qu’il n’y exercerait dans une
sphère obscure et que rien ne viendrait dévoiler les actes qui s’y passeraient.
C’est ce qui arriverait, si vous déclariez les bourgmestres des agents du
gouvernement ; j’espère que la chambre n’y consentira pas. Je persiste à dire
que les mesures de police dont on a parlé sont dans les attributions du conseil
communal entier et non d’une seule personne. Ce n’est donc pas encore pour cela
qu’on devrait donner au gouvernement un agent exclusif dans la commune.
Après ces lois générales, vous avez une foule
de lois d’administration locale. Est-ce pour ces lois que vous demandez qu’il y
ait dans les communes un agent exclusif du gouvernement ? Mais vous ne sauriez
formuler votre pensée sans la rendre impossible à exécuter. La constitution a
déclaré que tout ce qui était d’intérêt communal, devait être régi par les
conseillers communaux.
Eh bien, la majeure partie des intérêts
communaux sont régis par des lois. Vous ne pouvez pas enlever aux conseils
communaux la connaissance de ces objets ; ce qui arriverait, si vous créiez le
bourgmestre seul agent chargé de l’exécution des lois : comment serait-il
possible de cordonner cela avec la constitution ? Un tel système est
inexécutable. Je défie de le formuler de manière que son exécution soit
possible.
Il est facile de dire : Le bourgmestre sera
seul chargé de l’exécution des lois. Mais de quelles lois ? Est-ce de celle qui
dit que l’administration dresse la liste des électeurs et fait tout le travail
préparatoire des élections ? Voulez-vous substituer le bourgmestre au conseil,
soustraire aux conseils communaux les pouvoirs que le congrès leur a conférés
et cela pour les donner à un agent du gouvernement ? Ce serait bouleverser
totalement le système du congrès, ce serait établir le système des maires, non
pas tel qu’il existe maintenant en France, mais tel qu’il existait sous
l’empire, alors qu’une loi portait formellement que le maire était seul chargé
de l’administration communale et qu’il assemblait son conseil quand cela lui
convenait.
Ainsi la nomination des bourgmestres comme
agent exclusif du gouvernement est en dehors de la constitution, mais vous ne
pouvez pas l’admettre sans violer la constitution.
On a parlé de la responsabilité ministérielle.
L’honorable député de Liége qui a parlé avant moi, a déjà parfaitement répondu
sur ce point. Sans doute nous devons faire grand cas de cette responsabilité,
mais ce n’est pas ici le cas de l’invoquer : en effet, qu’arriverait-il si on
venait attaquer le ministre pour un fait qui se serait passé dans une commune ?
De deux choses l’une : ou le gouvernement aurait été complice de ce fait, ou il
ne l’aurait pas été. Je parle d’un acte illégal.
Si le ministère est complice d’un fait dont la
législature aura à se plaindre, alors, messieurs, mettez le ministère en
accusation pour avoir donné l’ordre de commettre un acte illégal, pour le fait
de complicité. Mais je vous le demande, si un bourgmestre nommé par le
ministère le plus absolu commettait un acte qui blessât les lois, se
trouverait-il un seul membre qui eût la pensée de mettre en accusation un
ministre pour le rendre solidaire des faits d’un de ses agents subalternes
qu’il n’aura nommé peut être que par la filière d’agents également sous ses
ordres ? Il faut le reconnaître avec un honorable pair de France : les
ministres, messieurs, ne sont responsables que des actes qu’ils commettent ou
font commettre, mais toutes les fois qu’un acte illégal a été commis à leur
insu, il ne viendra jamais à l’idée de personne d’en faire retomber la
responsabilité sur les ministres. On pourra les blâmer d’avoir fait un mauvais
choix ; mais on n’ira jamais les accuser d’avoir commis un fait
inconstitutionnel.
Voilà, messieurs, la véritable application de
la responsabilité ministérielle.
Ainsi, c’est bien à tort que l’on vient, à
propos du mode de nomination des bourgmestres, invoquer cette responsabilité.
Un membre de cette assemblée a dit, avec
beaucoup de raison, que quand la loi n’est plus exécutée, il n’y a plus de
véritable liberté. Mais comment la liberté serait-elle le plus comprimée ?
qui produirait le plus les maux de la non-exécution de
la loi, si ce n’est le gouvernement, s’il devait avoir des agents, aveugles
exécuteurs de ses volontés, agents à qui malheureusement la représentation
nationale aurait accordé un plein pouvoir ? Ce serait un ministère qui
imposerait violemment la loi parce que ses agents n’étant responsables que
devant lui, chaque fois qu’un collège de régence voudrait s’opposer à une
mesure qu’il croirait préjudiciable à l’intérêt local, le bourgmestre lui
répondrait toujours : Je n’ai que faire de vos conseils. J’exécute les ordres
de l’autorité supérieure, dont je tiens mon mandat.
Vous ne pouvez donc permettre, messieurs, que
le pouvoir exécutif puisse choisir le bourgmestre en dehors du conseil
communal. Ce serait une déclaration de principe, et à cet égard, je proteste de
tous mes moyens contre les amendements des honorables MM. de Theux et de Nef,
qui consacrent toujours le principe que le bourgmestre est l’agent exclusif du
gouvernement, parce qu’on le laisse juge des cas où il devra choisir le chef de
l’administration communale en dehors du sein du conseil. (Aux voix, aux voix.) J’entends dire aux voix. Il paraît qu’il y a des membres qui ne veulent pas que le
rapporteur de la section centrale en défende le projet. L’on a cité ce qui se
pratique en France. Voulez-vous que je vous donne lecture de la loi française :
En voici le texte :
« Le maire et les adjoints seront choisis
parmi les membres du conseil municipal et ne cesseront pas d’en faire
partie. »
En France le gouvernement est toujours obligé
de choisir le maire dans le sein du conseil. Quant aux inconvénients que l’on a
signalés à propos de cette obligation, il n’en existe aucun. Ils sont
véritablement illusoires. L’on ne peut raisonnablement prétendre que l’on ne
pourra trouver un homme capable d’exercer les fonctions de bourgmestre dans le
sein du conseil.
Les électeurs, sachant que le bourgmestre devra
être tiré de la représentation communale, auront soin d’y faire entrer des
hommes sur lesquels le choix du gouvernement pourra s’arrêter. Et à cet égard,
si l’on a jugé en France que la chose était possible, à plus forte raison
l’est-elle en Belgique. Car, messieurs, il ne faut pas se le dissimuler,
Ainsi M. le ministre de l’intérieur n’a pas
insisté.
Il a adopté le mode de nomination proposé par
la section centrale sans restriction aucune, comme l’a très bien fait observer
l’honorable M. Fleussu.
L’adoption de l’article 2 implique nécessairement l’adoption de l’article qui
est actuellement en discussion. Le ministère avait d’autant moins fait ses
réserves, comme il l’a prétendu, qu’il était convenu que les articles auxquels
il se rallierait ne seraient pas soumis à un second vote et qu’il ne pouvait
espérer ainsi de voir voter de nouveau l’article 2.
Je disais, messieurs, que la nomination du
bourgmestre en dehors du conseil serait dangereux pour le gouvernement, parce
que la nation n’a jamais confiance dans les bourgmestres qui sont imposés aux
villes par l’autorité supérieure. Rappelez-vous ce qui s’est passé pendant la
révolution de 1830.
Aussitôt que nous eûmes secoué le joug de
Hollandais, les bourgmestres disparurent en fumée devant le mouvement
populaire, ils se sont subitement évanouis. C’est qu’ils étaient les hommes du
gouvernement. S’ils avaient été les agents de la commune, ils auraient pu
exercer une influence salutaire.
La section centrale a reçu de la part de
plusieurs administrations communales des réclamations contre le projet du
gouvernement. Permettez-moi, messieurs, de vous lire les observations de la
régence de Mons. (L’orateur donne lecture
du rapport de la régence de Mons.)
Messieurs, je dirai également
quelques mots en faveur de l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous
présenter. Cet amendement est la reproduction du système qui a régi
Partout il s’était élevé des plaintes contre les règlements du roi
Guillaume parce qu’ils consacraient l’arbitraire et l’absolutisme. Cela est
tellement vrai que l’honorable M. Lebeau s’exprimait ainsi dans un ouvrage
qu’il a publié à cette époque. (Aux voix
! aux voix !) La chambre me permettra, je l’espère, de citer une opinion
qui fait beaucoup d’honneur à son auteur : l’honorable M. Lebeau s’exprime ainsi
: (L’orateur donne lecture de l’opinion
de M. Lebeau.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je suis fâché qu’on honorable
membre ne m’ait pas compris. Mais dans tous les cas la chambre n’a pas voulu
surprendre au ministre une décision qu’il n’était pas dans l’intention de
prendre. (Non ! non !)
M.
Dumortier n’a pas toujours eu l’opinion qu’il vient d’exprimer, que je m’étais,
par le fait, rallié au projet de la section centrale ; car dans une précédente
séance il a dit qu’il lui était revenu que je devais m’y rallier. C’est M.
Dumortier ; peut-être cependant est-ce M. Dubus qui s’est exprimé ainsi.
M. Devaux. -
Pendant que j’étais sorti, un honorable député de Tournay a prétendu, m’a-t-on
dit, que j’avais soutenu dans un autre temps que le bourgmestre devait être
pris dans le sein du conseil communal.
M. Dumortier,
rapporteur. - Je n’ai pas dit cela. J’ai rappelé seulement que, vous
aviez dit que le bourgmestre devait faire partie du conseil, et j’en ai conclu
qu’il devait être pris dans le sein du conseil.
M. Devaux. - Eh
bien, c’est encore une inexactitude de l’honorable député de Tournay.
Par un singulier hasard, j’ai sous les yeux le Courrier des Pays-Bas, et son
compte-rendu de la séance du congrès, auquel on a fait allusion, et j’ai
soutenu que la question du bourgmestre devait rester indécise.
M. Jacques avait proposé un amendement tendant
à ce que les membres des comités communaux et provinciaux fussent élus
directement. Voici comment je m’exprimais à cette occasion :
« Cet amendement n’est pas clair, les
expressions de comités communaux et provinciaux ne peuvent être maintenues. Les
bourgmestres doivent être aussi membres du conseil de régence. J’appuie la
proposition de M. Lebeau qui est plus claire et ne préjuge rien. »
M. Dumortier,
rapporteur. - Je ne sais pas comment on peut m’imputer une
inexactitude, c’est précisément ce que j’ai dit.
M. le président. - Je dois dire à la chambre
comment les choses se sont passées au sujet de l’article 2. Voici ce que dit à
cet égard le procès-verbal :
« M. le ministre se rallie au projet de la
section centrale ainsi conçu : « Le conseil de régence, y compris le
bourgmestre et les échevins, est composé de 7 membres dans les communes de,
etc. » M. de Theux propose un amendement ainsi conçu : « Le corps
communal se compose de, etc. » L’amendement de M. de Theux est mis aux
voix et adopté. »
M. H.
Dellafaille - Je proposerais d’ajourner ce qui concerne le droit de
révocation (Oui ! oui !)
M. le président
expose l’ordre dans lequel les diverses propositions qui ont été présentées
seront mises aux voix ; il demeure entendu que la question de révocation est
réservée.
- La première question mise aux voix est
celle-ci : « le bourgmestre sera-t-il nommé directement par les électeurs ? »
Cette question est résolue négativement.
M. le président
met aux voix la question de savoir si le bourgmestre sera nommé par le Roi.
- La chambre se prononce affirmativement.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix la question de savoir si le bourgmestre sera pris
exclusivement dans le conseil.
M. Doignon. -
On perd de vue mon amendement qui d’écarte davantage de la proposition
principale.
Je propose une liste de candidats élus
directement par les électeurs.
- L’amendement de M. Doignon est mis aux voix.
Il n’est pas adopté.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix si le bourgmestre sera nommé exclusivement dans le
conseil, et ensuite si ce sera sur une liste de candidats.
Plusieurs membres. - L’appel nominal !
- On procède à l’appel nominal sur la question
de savoir si le bourgmestre devra être pris exclusivement dans le conseil.
En voici le résultat.
Nombre des votants, 65.
Ont répondu oui, 34.
Ont répondu non, 31.
M. le président.
- En conséquence l’affirmative de la question est adopté ; la chambre décide
que la nomination du Roi sera faite, quant aux bourgmestres, dans le sein du
conseil.
Ont répondu oui :
MM. Cols, de Behr, A. Dellafaille, H.
Dellafaille, de Longrée, de Renesse, de Roo, Deschamps, de Sécus, Desmaisières,
Desmet, de Stembier, Doignon, Donny, Dubus, Dumortier, Fleussu, Frison,
Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Liedts, Pirson, Polfvliet, Pollénus, Poschet,
Quirini, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Vanderheyden, L. Vuylsteke, Watlet, Zoude
et Raikem.
Ont répondu non :
MM. Boucqueau de Villeraie, Brixhe, Coghen,
Cornet de grez, Davignon,
de laminne, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de
Muelenaere, de Nef, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Hane, Dubois, Dumont,
Ernst, Fallo, Lardinois, Lebeau, Milcamps, Nothomb,
Olislagers, Rogier, Simons, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, C. Vilain XIIII.
M. le président.
- L’amendement de M. de Nef tombe par le fait même du vote de la chambre. Je
vais mettre aux voix l’amendement de M.
Dumortier.
- L’amendement de M. Dumortier n’est pas
adopté.
M. le
président. - Je déclare la proposition de la section centrale adoptée.
A quelle heure la chambre veut-elle fixer la séance de demain ?
Plusieurs membres. - A neuf heures.
M. Dubus. - Je m’oppose à ce que l’on change
l’heure ordinaire de la séance. Je dis même qu’il y aurait scandale à le faire.
Comment, lorsque nous nous occupons d’une des lois les plus importantes pour le
pays, nous irions, pour sacrifier aux plaisirs de quelques membres, empêcher
d’autres de se rendre aux séances. Si a chambre veut prendre une décision, je
demande l’appel nominal.
M. H.
Dellafaille - Du moment que nous consacrons chaque jour au pays le même
espace de temps, peu importe l’heure à laquelle commence la séance. J’appuierai
la proposition qui tend à fixer demain la séance à neuf heures ; s’il y a du
scandale, ce ne sera que si la chambre ne se trouvait pas en nombre.
- La chambre, consultée, décide que la séance
aura lieu demain à 9 heures.
La séance est levée à 1 heure 1/2.