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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 juillet 1834
Sommaire
1) Lecture du procès-verbal
(droit sur les toiles) (de Roo)
2) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à l’industrie du tabac (A. Rodenbach, de Roo, d’Hoffschmidt), et à un canal d’écoulement dans les Flandres (Van Hoobrouck, Rogier, Van Hoobrouck)
3) Projet de loi tendant à accroître le personnel de certaines cours d’appel (Lebeau, Pollénus)
4) Projet de loi portant organisation des communes
a) Discussion générale. Règlement de la chambre (Rogier, Dubus, Lebeau, Dubus, Jullien, Lebeau), Equilibre entre autonomie communale et besoins de la centralisation (notamment nomination du bourgmestre et des échevins) (Doignon, Dechamps, Seron, Desmet)
b)
Discussion des articles. (A : Dénomination du conseil municipal (conseil
communal ou conseil de régence) ; B : dénomination (et attributions)
des échevins (échevins ou adjoints)) (A (Rogier, Dumortier), A et B (Pollénus, Nothomb), A (A. Rodenbach, de Robaulx), B (Legrelle, Pollénus), A et B (Jullien, de Theux), A (Dumortier, Jullien, Dumortier, Rogier, de Robaulx), principe de
l’élection directe de membres du corps communal (Dumortier,
de Robaulx, Dumortier, Jullien, Lebeau, d’Huart,
Dumortier, Rogier), nombre
et/ou répartition (entre sections communales) des membres du corps communal (de Theux, Dumortier, de Theux, Dumortier, de Robaulx, Dumortier, Rogier, de Robaulx, Dumortier), conditions d’éligibilité des conseillers
communaux (notamment condition renforcée de cens et de domicile) (d’Hoffschmidt, de Robaulx, d’Hoffschmidt, Angillis, H. Dellafaille, de Theux, Dumortier)
(Moniteur belge
n°190, du 9 juillet 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Roo. - Je demande la parole. J’avais
demandé qu’on fît concorder l’amendement de M. de Robaulx avec la disposition
de l’article 6, en insérant les mots : « ou cachet » après celui :
« estampille. » Je crois que l’amendement est reproduit dans le
procès-verbal, sans la modification que j’avais réclamée.
M. H. Dellafaille donne une nouvelle lecture de ce passage du procès-verbal où se trouve
le mot « cachet » dont M. de Robaulx avait demandé l’insertion.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Louis-François Robert, né Français, habitant Tournay,
demande la naturalisation. »
________________
« Un grand nombre de cultivateurs de tabac, du district d’Ypres
exposent l’état où se trouve la plantation du tabac et demandent une augmentation
sur le droit à l’entrée des tabacs étrangers. »
________________
« Trois habitants de Binche réclament contre le projet de distraire
de son canton judiciaire trois communes. »
________________
« La régence de Hamme adresse des observations sur le rapport de la
commission qui a fait un rapport sur la circonscription des justices de paix
dans la province de Liége. »
________________
- Les deux dernières pétitions sont renvoyées à la commission chargée de
l’examen du projet de loi sur les circonscriptions cantonales.
La première est renvoyée à la commission des pétitions.
M. A. Rodenbach demande la parole
sur la seconde. - Dans une précédente séance une pétition vous a été adressée
par une commune du district d’Ypres pour appeler votre attention sur
l’industrie des tabacs, qui est maintenant presque anéantie dans ce pays. Je
viens d’entendre qu’une nouvelle pétition vous était adressée par un grand
nombre de cultivateurs de tabac du même district ; je demande qu’elle soit
renvoyée à la commission d’industrie, afin qu’elle s’occupe des moyens
d’arrêter la ruine d’une branche importante de notre agriculture.
M. de Roo. -
La commission des pétitions s’est déjà occupée de la première pétition dont a
parlé l’honorable M. Rodenbach. Je demande que celle qui vous est adressée
aujourd’hui lui soit également renvoyée.
M. A. Rodenbach. - Je demande l’un
et l’autre renvoi, parce que le simple renvoi à la commission des pétitions ne
remplit pas le but. Je demande le renvoi immédiat à la commission d’industrie,
afin qu’elle puisse s’en occuper de suite et vous faire un rapport dans le plus
court délai, sur les moyens de protéger cette industrie dont l’état empire tous
les jours.
M.
d’Hoffschmidt. - Le renvoi à la
commission des pétitions suffit. Si, après avoir examiné ces pétitions, la
commission juge qu’il convient d’en saisir la commission d’industrie, elle proposera
de les lui renvoyer. On suivra la marche ordinaire.
M.
le président. - On pourrait inviter la commission des pétitions à faire
un prompt rapport. S’il n’y a pas d’opposition, la pétition dont il s’agit sera
renvoyée à la commission des pétitions qui est déjà saisie d’une pétition
semblable.
M. Van Hoobrouck. - Je demande qu’on fasse au plus tôt le rapport sur
plusieurs pétitions de la plus haute importance dont la commission des
pétitions est saisie, qui intéressent les Flandres et qui ont pour objet de
demander un canal d’écoulement. Ce pays n’a pas seulement à se défendre contre
l’inondation de la mer, mais contre les grandes pluies, et le statu quo ne fait
que rendre leur position plus affreuse, en augmentant leur anxiété.
Je sais que le ministre, dans sa sollicitude, a l’intention de demander
des fonds pour exécuter le travail que réclament les Flandres. Si la commission
des pétitions voulait faire son rapport, elle mettrait le ministre à même de se
prononcer sur cette question. Il est indispensable qu’on se presse, car sans
cela il serait trop tard pour commencer cette année ces travaux que l’humanité
et la politique réclament impérieusement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, déjà la chambre a renvoyé dans une de
ses dernières séances, une pétition relative à l’objet dont vient de parler
l’honorable préopinant. J’ai annoncé à cette occasion que je me proposais de
porter au budget de 1835 une somme destinée aux premiers travaux. Cette somme
est portée au projet de loi du budget soumis à la signature du Roi. Reste à
savoir si les travaux sont d’une telle urgence qu’il faille les entreprendre
avant 1835. Cette question mérite l’examen du gouvernement et de la chambre.
Cependant je dois dire que le gouvernement ne serait pas en mesure de commencer
tout de suite les travaux, parce qu’il reste des études de terrain à faire.
M. Van Hoobrouck. - Je me déclare satisfait jusqu’à certain point des
explications de M. le ministre. Cependant, je dois faire observer que la
question des polders est extrêmement grave et compliquée. Il existe des travaux
extrêmement urgents, mais qui restent en suspens, parce qu’on ne sait pas à la
charge de qui ils doivent être exécutés. Il est important que vous décidiez si
ce sont les particuliers, les communes ou la province qui doivent supporter la
dépense : c’est dans ce but que je demande qu’un rapport vous soit fait le plus
tôt possible.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je dois prier avec
instance la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’augmentation
du personnel des cours de presser son rapport. Chaque jour l’état de choses que
j’ai eu l’honneur de signaler à la chambre s’aggrave et est l’objet des
réclamations les plus instantes et les plus multipliées. C’est ainsi qu’une
chambre de la cour d’appel de Bruxelles aura presque continuellement chômé,
dans l’impossibilité où elle se trouvait de compléter le personnel légal. Cet
état de choses a eu lieu non seulement à Bruxelles, mais dans d’autres corps
judiciaires.
Je suis obligé d’insister pour que M. le président engage la commission
à faire son rapport le plus tôt possible.
M. Pollénus. - Je dois faire connaître à la
chambre qu’aujourd’hui encore la commission chargée de l’examen du projet de
loi présenté par M. le ministre de la justice s’est réunie dans ses bureaux et
s’est occupée de ce travail. Je puis donc donner à l’assemblée l’assurance que
sous peu de jours elle pourra vous présenter son rapport.
Discussion générale
M. le président. - M. le ministre de
l’intérieur se rallie-t-il au projet présenté par la section centrale ou
demande-t-il que son projet obtienne la priorité ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne crois pas devoir me rallier au projet de la
section centrale. Il est dans ce projet un certain nombre d’articles auxquels
je ne verrai pas d’inconvénient à me rallier ; mais avant que la discussion
générale ne soit ouverte, j’appellerai l’attention de la chambre sur ces
inconvénients qui s’est présentée au deuxième vote de la loi provinciale. La
chambre n’ayant pas considéré les articles auxquels le ministre s’était rallié
avant la discussion comme définitivement adoptés, y est revenue dans la
deuxième discussion ; et de très longs débats s’en sont suivis.
Je voudrais donc, pour éviter une perte de temps, qu’il fût convenu que
tous les articles auxquels le gouvernement se serait rallié seront considérés
comme définitivement adoptés, et ne pourront donner lieu à aucune discussion
nouvelle.
M. Dubus. - Je ferai une seule
observation en réponse à la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Ou
elle est conforme au règlement, ou elle y est contraire. Si elle y est
conforme, il suffira d’invoquer le règlement lors du second vote. Si elle y est
contraire, elle y apporte une modification. Il faudrait dans ce dernier cas
demander formellement qu’un changement y fût introduit.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Le règlement n’a pas
prévu précisément le cas sur lequel M. le ministre de l’intérieur a appelé
l’attention de la chambre. Seulement la juridiction de la chambre a constamment
considéré, à l’exception d’une seule dérogation, citée par M. le ministre, les
projets de loi et les articles d’un projet de loi auxquels le gouvernement a
déclaré se rallier avant que la discussion ne fût entamée, comme projets et
articles principaux. Il n’y a pas la moindre différence entre un projet ou un
article présenté par le gouvernement et un article ou projet émané de la
section centrale, mais adopté par le gouvernement.
C’est exactement la même chose, et la chambre l’a
constamment jugé ainsi, sauf une seule exception lors de la discussion de la
loi provinciale, exception dont nous n’avons guère à nous louer sous le rapport
de l’économie, de temps et de l’expédition de nos travaux. Le gouvernement n’a
aucun intérêt particulier à ce que les articles qu’il adopte ne soient pas
soumis à une discussion nouvelle. Il désirerait seulement que la question fût
résolue d’une manière abstraite, et qu’une décision de l’assemblée, fondée sur
ses précédents, établît désormais que tout article auquel le ministère se sera
rallié, avant la discussion bien entendu, sera regardé comme article principal
et ne sera pas par conséquent soumis à un second vote.
Veuillez bien observer que lorsque le gouvernement s’est rallié à un
projet de loi tout entier, présenté soit par un membre soit par une section
centrale, on n’a jamais considéré ce projet comme amendement au projet
primitif. Eh bien la règle suivie à l’égard du tout doit être la même pour la
partie, et la proposition de M. le ministre de l’intérieur n’a rien que de
rationnel.
M. Dubus. - M. le ministre de
l’intérieur propose à la chambre de déclarer que les articles auxquels il se
sera rallié soient considérés comme des propositions principales et soient
exempts de la formalité du second vote. C’est ce que j’ai soutenu dans une
autre circonstance, avant la discussion de la loi provinciale ; j’avais pensé
que tel était le sens du règlement. Mais, sur les observations émises par
l’honorable M. de Brouckere, la chambre a décidé le contraire. Je veux bien
qu’elle revienne sur cette résolution. Mais je désirerais beaucoup qu’un
article supplémentaire ajouté au règlement fixât désormais notre législation à
cet égard.
M. Jullien. - Je conçois fort bien que
lorsque le gouvernement fait une proposition, et que la section centrale en
présente une autre, si avant la discussion le ministre se rallie à cette
dernière, il paraisse naturel que le projet de la section centrale devienne le
projet principal. Mais il y a une question nouvelle à examiner. Il s’agit de
savoir si un membre ayant la faculté de faire sienne la proposition du
gouvernement, le projet de la section centrale doit devenir la proposition
principale.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Dans ce cas, le projet
de la section centrale, qu’un membre aura fait sien, sera considéré comme
amendement.
M. Jullien. - J’ai cru convenable d’appeler
l’attention de la chambre sur ce point, afin qu’elle ne prenne point une
détermination absolue. Il est bon que la chambre ait ceci présent à l’esprit.
Je demande donc que tout projet abandonné par le gouvernement et repris par un
membre de l’assemblée soit considéré comme amendement.
- Les propositions présentées par MM. le ministre de
l’intérieur et Jullien sont mises aux voix et adoptées.
M. le président. - La discussion
générale sur le projet de loi relatif à l’organisation communale est ouverte.
M. Seron. - Je demande la parole.
M. le président. - Pour ou contre ?
M. Seron. - Contre.
M. le président. - La parole est à M. Doignon.
M. Doignon. - Messieurs, en jurant d’observer
la constitution, nous avons pris l’engagement de soutenir les franchises de la
commune et de veiller à ce que le pouvoir communal formellement établi par
l’article 31 soit une vérité dans notre pays. Ce sont les communes qui nous ont
envoyés siéger dans cette assemblée ; nous manquerions donc à notre mandat si
nous n’apportions dans la défense de leurs droits constitutionnels le zèle et
le courage qu’elles attendent de nous dans une aussi grave circonstance.
Le régime municipal qui vous est proposé par le gouvernement est moins
libéral que celui ou ceux sous lesquels nous avons vécu durant le règne du roi
Guillaume. Ce régime et même quelques propositions de la section centrale
tendent à ravir aux communes des droits dont elles sont depuis longtemps en
possession, et que Guillaume lui-même avait respectés dans ses règlements
arbitraires.
Mais je supplie l’assemblée d’y faire la plus sérieuse attention ; la
commune sait qu’elle tient son pouvoir de la constitution même et non du bon plaisir
des chambres, elle sait qu’il est écrit en toutes lettres dans notre charte que
« les intérêts communaux sont réglés par les conseils communaux, »
sauf seulement l’approbation de leurs actes en certains cas, et l’intervention
de l’autorité supérieure, s’ils sortent de leurs attributions (art. 108). Déjà
le projet ministériel a fait jeter des cris d’alarme dans le sein de plusieurs
conseils de régence. Si donc la chambre était assez aveugle pour souffrir ces
empiètements ministériels, le Belge, qui connaît ses droits, saura les
revendiquer tôt ou tard par les moyens légaux. Le peuple, qui n’a point oublié
ses antiques franchises, se montrera aussi jaloux et aussi constant, que jadis
pour défendre des libertés qui lui sont acquises irrévocablement et à toujours.
Souvenons-nous qu’une des causes de la dernière révolution fut l’apathie et la
mollesse de la représentation belge aux états-généraux à l’égard de ces fameux
règlements qui dénaturaient et mutilaient les droits de la commune.
Qui de nous, messieurs, aurait pu croire il y a 3 ans, que nous serions
aujourd’hui réduits à réclamer comme un bienfait l’adoption d’un certain nombre
de dispositions contenues dans ces mêmes règlements. Et je le dis avec douleur,
je n’ai même qu’un faible espoir de les voir accueillir.
L’ensemble du projet du gouvernement nous démontre que n’osant attaquer
de front le pouvoir communal établi par la charte, il met en œuvre tous les
moyens détournés que l’on peut imaginer pour s’emparer du personnel et des
actes des administrations et arriver de cette manière à un régime qui les
mettrait avec le temps sous son joug et son bon plaisir. Non seulement il
aurait la faculté de suspendre à son gré tous les actes des conseils communaux
sans distinction, mais les bourgmestres, les échevins, les assesseurs, les
secrétaires, les gardes champêtres, tous révocables à volonté et tenus par ce
moyen dans une dépendance complète, deviendraient avant peu de temps les hommes
ou les agents du ministère ; et ainsi dans le fait l’administration de la
commune n’appartiendrait bientôt plus, selon le vœu de la constitution, aux
magistrats choisis directement par le peuple. Le pouvoir constitutionnel des
communes, ainsi miné par le pouvoir exécutif deviendrait presque partout un
mensonge.
La centralisation est la pensée dominante du projet ministériel : mais
la centralisation conduit à l’arbitraire et à la bureaucratie, et l’arbitraire
conduit au désordre.
On ne récusera pas sur ce point le témoignage de la section centrale :
« Le projet, dit le rapport, empiète à chaque article sur nos libertés, et
l’on ne peut méconnaître qu’une seule idée a présidé à sa rédaction : celle de
tout rapporter au pouvoir exécutif. » Mais, par une contradiction fort
singulière, cette même section centrale adopte plusieurs dispositions
ministérielles tendant directement au même but.
Nous devons encore nous rappeler ici que ce qui a hâté la révolution,
c’est cette foule d’administrateurs serviles ou complaisants, pris même dans
les conseils, dont le pouvoir était parvenu à peupler la plupart des
administrations locales. Le peuple y comptait à peine quelques défenseurs de
ses droits. Mais ses griefs, méprisés par le pouvoir communal comme par le
pouvoir royal, éclatèrent enfin, et le trône est tombé.
Le gouvernement a méconnu dans son projet le caractère et les mœurs du
peuple belge. Sa soumission aux lois et à l’autorité, sa docilité à la voix de
ses magistrats, son attachement à l’ordre et à la paix publique, et surtout le
bon sens qui le distingue éminemment, en font sans contredit un des meilleurs
peuples de l’Europe. Doué de semblables qualités, il est extrêmement facile de
gouverner, lorsqu’on ne veut que le bien et la justice.
L’amour de l’ordre l’emporte tellement chez lui sur ses autres qualités
qu’il se résigne facilement à supporter même de longues et de grandes
injustices, plutôt que de recourir à la désobéissance et de compromettre la
tranquillité publique : n’a-t-il pas souffert dans le silence et patiemment,
pendant près de douze années, le règne d’arbitraire du roi Guillaume ? et
peut-être n’eût-il jamais éclaté si enfin l’exemple d’une nation voisine ne
l’eût poussé à cette extrémité. La raison générale d’un tel peuple est certes
moins sujette à faillir que celle de quelques gouvernants : il est plutôt fait
pour dominer son gouvernement que d’être dominé par lui, et si celui-ci venait
à s’égarer, lui-même le ramènerait à l’ordre par une résistance toute morale et
légale.
Le ministre de la justice vous l’a dit : l’amour de l’ordre est profond
en Belgique. Mais, dans ce cas, pourquoi traiter en ennemi le pouvoir communal
? Pourquoi ne voulez-vous pas dans votre loi lui inspirer cette confiance qui
vous concilierait l’amour et le respect bien mieux que tous ces moyens de
précaution injurieux à son caractère dont vous voulez vous armer, comme si vous
aviez à vous défendre contre un peuple qui ne respire que sédition et désordre
?
Le ministère se serait-il aussi laissé entraîner, dans la rédaction de
son projet, par quelques contrariétés que notre état de révolution a fait naître
dans certaines localités ? Mais qu’on réfléchisse donc que nous nous trouvons à
une époque de transition, et que des difficultés sont naturellement
inséparables d’une pareille époque. Le législateur qui veut fonder un ordre de
choses stable et de longue durée, ne doit pas écrire sa loi sous l’impression
des circonstances du moment : mais il doit consulter avant tout l’état de
civilisation, le caractère et les mœurs du peuple, abstraction faite de
semblables circonstances. Son devoir est donc aujourd’hui d’organiser d’une
manière franche et loyale le pouvoir communal consacré par la charte qu’il a
juré et d’attendre ensuite le résultat de l’expérience. N’est-il pas d’ailleurs
de la plus grande absurdité de vouloir rendre tout le pays solidaire de quelques
écarts de localité dont la faute peut même être également attribuée au
gouvernement ? C’est donc le cas de dire avec M. Royer-Collard : Défions-nous,
messieurs, d’un ressentiment aveugle qui nous ferait déserter la liberté parce
qu’on aurait abusé de son nom.
Il n’est peut-être point de pays où l’on a le plus souvent profané ce
nom qu’en France, et c’est pourquoi il n’y a pas d’argumentation plus vicieuse
que d’invoquer sans cesse, comme le fait le ministère, l’exemple de
Les Français et les Belges sont deux peuples qui, en tout temps, ont en
leur physionomie et leur caractère particuliers. Ainsi, lorsqu’il s’agit
d’institutions fondamentales, on ne peut argumenter de l’un à l’autre. La
légèreté et l’inconstance du Français le mettent dans une position à ne pouvoir
supporter autant de liberté que le Belge, surtout à une époque où la violence
de deux partis formidables a plusieurs fois menacé de renverser le trône. Les
mœurs des deux peuples ne peuvent être mises en parallèle. Le principe
religieux, ce premier frein de l’homme, sans lequel l’ordre social ne saurait
subsister, est singulièrement affaibli en France depuis nombre d’années. L’irréligion
a rendu le Français un peuple, en ce moment, difficile à administrer. Le Belge,
fermement attaché à la religion de ses ancêtres, puise au contraire dans cette
institution divine une force trop souvent inconnue au Français, pour souffrir
avec patience les injustices et les torts de son gouvernement. Il n’est donc
pas exposé comme celui-ci à devenir, à chaque moment, le jouet des passions ou
des partis. Le bon jugement et la raison calme du peuple belge sont, dans ce
pays, un sûr garant qu’il saura toujours maintenir l’alliance de l’ordre avec
la liberté.
La corruption et la fraude administratives ne sont pas rares en France ;
aussi voit-on en cette matière une foule de lois empreintes du cachet de la
défiance. Le Belge, au contraire, a une probité qui est aussi renommée dans le
monde que la probité espagnole.
L’instruction primaire est plus répandue, en Belgique qu’en France, dans
les campagnes.
En France, les conseils municipaux sont remplis de cultivateurs à peine
au-dessus de l’indigence : c’est ce que nous ne voyons pas dans notre Belgique
où il règne une honnête aisance jusque dans nos plus petits hameau.
Ainsi, ce sont tous éléments d’ordre qui constituent la nation belge, et
l’on ne peut en dire autant du peuple français. Les obstacles et les
inconvénients qui pourraient se rencontrer en France, pour une large
émancipation des communes, n’existent pas en Belgique.
Qu’on n’infère pas de ce qui précède que je veuille prétendre qu’on doit
toujours rejeter les exemples tirés de
Mais je demanderai au ministère : Pourquoi n’invoque-t-il pas autant la
législation anglaise que celle française ? En Angleterre, dès que la commune
paie le subside à l’Etat et qu’elle satisfait à la milice, le gouvernement la
laisse libre pour le surplus.
Le législateur du congrès a rendu hommage aux vertus et aux rares
qualités du peuple belge en posant des principes larges pour l’organisation des
communes. Tout le système est résumé dans la constitution en quelques
dispositions claires et précises. Les intérêts exclusivement communaux sont
réglés par les conseils communaux, d’après les principes établis par la
constitution, art. 31. Le peuple est appelé à élire directement tous ses
magistrats, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs seulement.
Tout ce qui est d’intérêt communal est indirectement attribué au conseil
communal, sauf seulement l’approbation dans certains cas à déterminer par la
loi. Le Roi ou le pouvoir législatif interviennent pour empêcher que les
conseils ne sortent de leurs attributions ou ne blessent l’intérêt général,
art. 10, n°1, 2, 5.
La pensée évidente du législateur a donc été d’accorder à la commune la
plus grande latitude possible pour la gestion de ses intérêts, le tout
cependant sous la surveillance et l’approbation, en certains cas, de l’autorité
supérieure.
Le congrès, persuadé que la commune est la première intéressée à choisir
pour magistrats des hommes amis de l’ordre et de la paix, ne s’est même pas
opposé, dans la constitution, à ce que l’élection du chef de l’administration
continue à lui appartenir, Il n’y aurait donc pas d’obstacle à la laisser jouir
de ce droit qui lui fut conféré par l’arrête du gouvernement provisoire
d’octobre 1830, mais pourvu, selon moi, que cette élection fût soumise à
l’agréation du Roi qui, au cas de refus, aurait la faculté de faire un autre
choix dans le sein même du conseil. J’appuierai volontiers une proposition qui
serait faite dans ce sens.
Mais si le ministère parvient à enlever au peuple, d’une manière
absolue, l’élection directe du chef de l’administration, certes les chambres ne
peuvent faire moins en sa faveur que de lui laisser l’élection indirecte en
admettant le conseil élu par lui à présenter au Roi une liste de candidats dans
laquelle il devra faire son choix.
A moins que de considérer les conseils communaux comme les ennemis
naturels du gouvernement ou en d’autres termes de faire le procès à la
constitution elle-même qui les a institués, on ne peut se refuser à laisser ce
droit de présentation aux conseils élus par la commune, et de leur donner au
moins cette marque de confiance. Ce mode de nomination est celui qui était
établi par Guillaume lui-même dans son règlement de 1817. Le roi Guillaume ne
l’a changé ensuite, de son autorité privée, que pour corrompre plus facilement
les administrations locales, et il avait parfaitement atteint ce but lorsque la
révolution est arrivée.
Dès que le bourgmestre est pris par le Roi dans le conseil communal, il
est rationnel et bien plus politique de faire porter son choix sur une personne
déjà agréable à tout ce corps et par conséquent sur l’une de celles déjà
comprises dans la présentation. L’ordre public et la bonne harmonie qui doit
exister entre lui et le gouvernement n’en seront que plus assurés.
Mais le conseil, qui en général sera toujours composé des meilleurs
citoyens de la commune, ne présentera lui-même que des hommes offrant les
meilleures garanties de capacité et d’esprit d’ordre. Ce conseil est ici
incontestablement un meilleur juge que le ministère.
Le gouvernement ne pourrait vouloir sortir de la liste de présentation
que pour introduire dans ce corps ses propres créatures, c’est-à-dire des
hommes qui lui ont déjà donné ou sont prêts à lui donner des preuves de
servilisme : car l’expérience nous a suffisamment prouvé qu’il existe de ces
hommes dans le plus grand nombre des communes, et qu’à l’aide des
fonctionnaires publics, quelques-uns parviennent toujours à obtenir une
majorité faible, mais suffisante, qui leur donne l’entrée au conseil. C’est là
un mal sans remède et que le législateur ne peut cependant se dissimuler. Or,
si le gouvernement veut s’écarter de la liste de présentation du conseil, il ne
peut avoir d’autre raison que celle de livrer la commune à de tels hommes.
A la faveur des divisions plus ou moins grandes qui existent
ordinairement dans une commune, il est impossible, ainsi qu’on le voit très
souvent, qu’il ne se glisse pas de ces conseillers faibles ou complaisants dont
le gouvernement peut faire bon marché. Ombrageux et défiant contre la commune,
c’est à ces hommes qu’il donne la préférence ; ce qu’il ne pourrait faire s’il
devait nommer sur la liste du conseil dont la majorité, entendant mieux les
intérêts de la commune et de l’Etat, ne lui présentera point de pareils sujets.
Puisqu’au vrai ils auraient moins de mérite, on doit même supposer qu’ils ne
peuvent appartenir qu’à la minorité.
Si notre premier but doit être de chercher à opérer l’union intime de
l’Etat avec la commune, nous devons nécessairement exiger que le gouvernement
fasse son choix dans la majorité du conseil qui est présumée être aux yeux de
la loi l’expression du vœu populaire. Or, ce n’est qu’en l’astreignant à
prendre dans la liste par lui formée, que vous serez certains, autant qu’il est
possible de l’être, que le gouvernement ne s’écarte point du vœu de cette
majorité. On sent facilement combien il peut être dangereux pour le
gouvernement lui-même et pour la paix de lui laisser la faculté de fixer son
choix sur un membre qui appartiendrait à la minorité et qui par cela même répugnerait
à la majorité. Un tel choix aurait pour effet de jeter dans le sein du conseil
des germes de discorde, et aurait des conséquences vraiment fâcheuses pour les
affaires de la commune et ses relations avec l’autorité surveillante.
Ceux qui ne veulent point du système de présentation, affirmeront que le
gouvernement sera attentif à consulter aussi le désir de la généralité des
habitants. Mais, dans ce cas, s’il prend pour règle générale le vœu de la
commune, pourquoi rejetez-vous la liste de présentation par le conseil qui
offre la plus sûre garantie de l’exécution de cette règle ?
Ce n’est rien prouver que de prétendre qu’il est dans l’ordre des choses
possibles qu’un conseil oublie assez ses devoirs pour présenter à dessein tous
candidats qui répugneraient absolument au gouvernement. Un conseil qui agirait
ainsi, violerait au fond la loi et la constitution ; ce serait de sa part une
sorte de rébellion. Mais d’abord, pour admettre que des conseillers en fussent
capables, il faudrait supposer que tout le peuple d’une commune qui a élu de
tels magistrats, soit lui-même animé d’un esprit de révolte. Or, un cas aussi
extraordinaire et aussi rare n’est pas supposable surtout en Belgique ; et ne
serait-il pas d’ailleurs de la plus grande injustice de vouloir priver la
généralité des communes de l’une de leurs premières franchises, à cause de que
quelques-unes d’elles en pourraient faire ? Il suffit qu’un cas aussi rare
répugne à nos mœurs et au caractère national pour en rejeter la supposition, et
notre devoir entre-temps est d’attendre le résultat de l’expérience, qui
indiquera dans tous les cas la meilleure mesure à prendre. En attendant, il y
aurait même déjà un remède à ce prétendu inconvénient dans le renouvellement
périodique des conseils. Il n’y a donc nulle nécessité d’aliéner dès à présent
au profit du pouvoir une partie aussi précieuse de nos libertés publiques.
Toute la question se réduit donc à celle de savoir si les conseils
communaux doivent ou non mériter notre confiance ; mais suspecter un moment
leur patriotisme comme leur dévouement au nouvel ordre de choses, c’est faire
injure au pays et à la constitution elle-même qui les a créés.
Tout ce que nous avons dit sur la nécessité de la nomination du chef de
l’administration, d’après une liste de présentation par le conseil, se
réaliserait toutes les fois surtout qu’un bourgmestre du caractère que nous
avons tracé plus haut, et en fonctions depuis plusieurs années, parviendrait
malgré tout à se faire réélire au conseil. Celui-là devenu à peu près exclusif
du gouvernement, et s’étant fait beaucoup de créatures pendant la durée de son
règne, aurait toujours extrêmement de chances et succès pour se faire renommer
au conseil, ne fût-ce qu’au moindre nombre de suffrages. Si donc on n’admettait
pas le système de présentation, le ministère aurait toujours le moyen de
perpétuer dans une commune le bourgmestre de la minorité, ou en d’autres termes
le magistrat qui dans la réalité offre le moins de garanties pour l’ordre et le
bien-être de la cité.
Depuis près de quatre ans le peuple est en possession d’élire
directement son bourgmestre : que pour l’avenir on lui permette au moins de le
faire indirectement. Grâce aux bons choix qu’il a faits généralement, il eût
été impossible au gouvernement de marcher par suite, notamment, des lacunes que
le nouvel ordre de choses a nécessairement hissées dans notre législation, et
que nos ministres auraient bien dû faire remplir depuis longtemps. On croirait
que les ministres se sont plus à laisser exister ces lacunes pour se créer tout
exprès çà et là quelques embarras, et venir ensuite faire parade dans les
chambres d’une faiblesse qui n’était réellement qu’en eux-mêmes et non dans nos
institutions. Si, au milieu d’une désorganisation générale, la sagesse du
peuple a pu suppléer à tout, comment peut-on concevoir la moindre inquiétude
pour l’avenir.
Vous pouvez m’en croire, messieurs, je parle de conviction. J’ai eu
pendant longtemps des relations multipliées avec plus de cent bourgmestres. Un
seul fut suspendu pour désobéissance grave envers l’autorité supérieure.
Quoiqu’il fût notoirement orangiste, l’opinion politique fut même tout à fait
étrangère à cette disgrâce. Mais je dois le dire en passant, j’ai de fortes
raisons de croire que son titre d’orangiste lui a fait trouver quelque
protection près du gouvernement, et sa suspension fut levée par celui-ci.
Aucune institution humaine n’étant parfaite, on ne peut se flatter que
le système électoral soit exempt de tout abus ; mais le congrès qui connaissait
ces inconvénients, ne l’a pas moins admis irrévocablement, et partant il doit
recevoir entre nos mains une pleine et entière exécution.
Le congrès a été frappé, avec raison, des abus bien plus graves
qu’entraîne le système opposé.
La plus grande part dans la nomination, ou au moins une part égale, doit
appartenir à celui qui a autant et même plus d’intérêt à ce que le choix soit
le meilleur possible.
Or, toutes les communes du royaume et chacune d’elles en particulier
sont pour le moins aussi et même plus intéressées que le ministère à avoir de
bons bourgmestres, c’est-à-dire, non seulement des hommes dévoués aux intérêts
moraux et matériels de la cité, mais encore des administrateurs d’un
patriotisme vrai et modéré, attachés au gouvernement et (pour me servir de
l’expression d’un honorable collègue) ennemis des révolutions et des
révolutionnaires ; car la prospérité de la commune dépendant de la tranquillité
du pays, la cité représentée par le conseil sentira toujours la nécessité de
comprendre dans sa présentation de pareils citoyens. Cet intérêt, j’ose le
dire, la touche de plus près et plus vivement que le ministère, qui, dans ces
questions comme dans toutes les autres, est préoccupé avant tout de l’intérêt
de son existence personnelle.
D’un autre côté, plus la commune ici représentée par le conseil est
intéressée à faire de bons choix, plus naturellement elle y apportera tous ses
soins et toute son attention. Or, c’est encore là une mission qu’elle peut
remplir bien mieux que le ministère : car elle voit et juge de ses propres yeux,
tandis que ce dernier ne voit que d’après les renseignements de quelques agents
qui souvent sont guidés par l’esprit de parti, la passion et la prévention, ou
manquent eux-mêmes de lumières suffisantes. Les conseils cherchèrent d’autant
plus à présenter des personnes qui puissent en même temps plaire au
gouvernement qu’ils sauront d’avance que leurs élus ne seraient plus nommés par
lui au renouvellement, si leur administration ne répondait pas à son attente.
Ainsi, sous tous les rapports, il faut reconnaître que, dans notre belle
patrie, le peuple, en vertu de la constitution qu’il s’est donnée, peut et doit
avoir dans la nomination du chef de ses administrations locales une part au
moins égale à celle du pouvoir exécutif. Or, il n’atteint pas encore cette part
en la limitant au simple droit de présentation d’une liste par le conseil.
Pour moi, il me paraît plus que probable, et j’ose en appeler à
l’expérience, que si même le droit de nomination était attribué aux électeurs à
l’entière exclusion du gouvernement, ceux-ci feraient, je crois, moins de
mauvaises nominations que le ministère. Ils n’auraient eu effet généralement
d’autre règle que l’intérêt sainement entendu de la commune, lequel se confond
toujours et ne fait qu’un avec celui de l’Etat.
Il est à craindre au contraire que, dans le système opposé, ce ne soit
point le bien-être de la cité qui serve de règle, mais que ce ne soit le
favoritisme qui distribue ces places. Les intrigues de cabinet, de cour et de
bureau ne le cèdent certainement en rien aux intrigues d’élections. Quel que
soit le ministère au timon des affaires, il se verra toujours obligé de déférer
aux intrigants qui assiègent le palais. Les vertus publiques et privées du bon
citoyen auront toujours accès près du peuple et n’en auront que rarement à la
cour et au cabinet.
Sous le gouvernement précédent, un homme immoral ou d’un caractère
servile, ou un impie scandaleux dans la commune, aurait eu la préférence. On a
vu des gardes-champêtres appelés aux fonctions de bourgmestre.
Aujourd’hui, comme toutes les fois qu’il veut emporter une loi
liberticide, le ministère fera des promesses a toutes les opinions : en
particulier il protestera de tout son désir de satisfaire à chacune d’elles, et
publiquement de la pureté de ses intentions. Mais au résultat nous serions tous
dupes. Le système le plus sage est donc de laisser au peuple la plus grande
part possible dans les nominations.
Qu’on ne dise pas que le contrôle des chambres sera un frein suffisant.
Ne sommes-nous pas fatigués de tonner sans cesse contre une foule d’abus ? et
le ministère reste sourd à nos doléances ; les plaintes du peuple traînent dans
les cartons de la chambre pendant des années avant qu’elle-même puisse s’en
occuper. Le mal qui aura été fait demeurera donc irréparable. Nous vivons même
à peu près sans aucune garantie constitutionnelle contre le gouvernement,
puisque maintenant c’est un point presque convenu de renoncer à son égard au
refus des subsides et même à une simple expression de blâme.
Qu’on ne prétende pas que ce n’est que dans des cas très rares que le
gouvernement ne portera pas son choix sur ceux que lui indique la voix du
peuple, ou qu’il aura recours aux révocations ; mais si ces cas sont si rares,
pourquoi voulez-vous vous attribuer le droit de le faire toujours ? C’est parce
que vous dites que ces hypothèses sont très rares qu’il est injuste que vous
vous en prévaliez pour ravir au peuple l’une de ses plus belles prérogatives
constitutionnelles. Si votre argument était vrai contre le peuple, il le serait
aussi contre le gouvernement. Or, que diriez-vous si nous prétendions que le
peuple doit avoir le droit de nommer même sans ou aucune agréation du
gouvernement parce que celui-ci peut quelquefois abuser de son droit
d’agréation ?
Quant à la révocation, qu’importe que le ministère en fasse rarement
usage si la seule idée de pouvoir être révoqué à chaque instant tient
constamment le bourgmestre dans sa dépendance ? Ce magistrat, étant à tout
moment sous le poids d’une pareille menace, perd évidemment sa liberté d’action
comme agent de la commune et devient naturellement l’homme du pouvoir ; pour
être conséquents, vous devriez donner aussi au peuple le même droit ; mais le
renouvellement périodique est lui-même une révocation, et cette mesure est
évidemment suffisante si le ministère ne veut fausser l’institution des
bourgmestres.
Aux termes de l’art. 108, n°1 de la constitution, il n’y a d’exception
pour l’élection directe qu’à l’égard des chefs des administrations locales.
Mais jamais il n’est venu dans la pensée de personne de soutenir que les
échevins ou assesseurs sont aussi chefs de l’administration communale. Il
faudrait dire, dans ce cas, que le bourgmestre serait le chef des chefs de
l’autorité locale, ce qui est vraiment ridicule. Il me paraît donc
incontestable que ces magistrats doivent être élus directement par le peuple, à
moins qu’on ne veuille se rendre coupable d’une violation flagrante de la
constitution.
La majorité de la section centrale fait une pure subtilité en disant,
pour étayer son système que le pouvoir exécutif doit émaner du pouvoir
exécutif. Cela pourrait être vrai en France où l’on ne connaît pas de pouvoir
communal constitutionnel. Mais en Belgique, où le pouvoir exécutif, dans la
commune comme dans l’Etat, a une origine toute populaire, le législateur du
congrès a pu laisser à l’élection directe les magistrats qui en sont
naturellement chargés au nom du conseil, et c’est ce qu’il a fait en exceptant
uniquement de cette élection le chef de ces magistrats. Mais il y a plus : d’après
même l’art. 108, le chef lui-même pourrait aussi être élu directement sans
aucune intervention du pouvoir exécutif ; c’est ce qui résulte de ces termes :
« sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs. » Or
s’il n’y a pas même obligation pour la législature de conférer au Roi aucun
droit de nomination pour le chef, à plus forte raison ne pourra-t-elle le lui
donner pour ses collègues, qui ne sont en aucune manière rappelés dans
l’exception et demeurent par conséquent soumis à la règle générale de
l’élection directe.
La constitution ne fait et ne devait faire aucune mention expresse des
échevins ou assesseurs, ou plutôt des magistrats qui doivent être chargés de
l’administration journalière. Tout le conseil étant dans l’impossibilité physique
d’administrer par lui-même chaque jour les affaires de la commune, la nature
seule des choses voulait que les électeurs pussent désigner spécialement
quelques membres pour cette gestion journalière dont le bourgmestre est le
chef.
« Tous les pouvoirs émanent de la nation, » dit l’art. 25 de
la constitution. Ce grand principe doit dominer toutes nos lois ; et par
conséquent, s’il pouvait y avoir quelque doute à l’égard d’une partie du
pouvoir communal, nous devrions plutôt incliner à le faire participer à
l’élection populaire.
Régler les intérêts de la commune, c’est incontestablement les
administrer. Or, le conseil communal est seul chargé par la constitution de
cette mission importante, article 31 ; c’est donc c’est en lui seul que réside
tout le pouvoir communal et c’est en son nom qu’on doit administrer. Aussi sous le gouvernement de Guillaume les
conseils communaux s’appelaient-ils conseils d’administration.
Puisque tout ce qui est d’intérêt communal est attribué au conseil, sauf
l’approbation dans certains cas, le législateur n’est donc ici pour ainsi dire
appelé qu’à déterminer les cas où cette approbation est nécessaire.
A cet égard, il nous paraît convenable de distinguer entre les actes de
pure administration d’une part, et de l’autre, les actes extraordinaires qui
emportent une aliénation notable des droits ou des biens de la commune, et ceux
qui ne sont pas d’un intérêt principalement communal. Le gouvernement ou la
commission provinciale interviendrait dans tous ces derniers actes pour y donner
son approbation. En France, la législature intervient aussi dans des actes de
haute importance.
Quant aux actes de pure administration en général, et d’intérêt
communal, la commune doit rester libre dans la gestion de ses allures ; on doit
ici laisser faire, sous la surveillance de l’autorité supérieure, afin de
s’assurer que les actes ne contiennent rien qui soit contraire à l’intérêt
général et à l’ordre public, ou qu’ils n’excèdent pas les attributions du
conseil : on pourrait à cet effet soumettre certains de ces actes à un simple
visa.
Je terminerai en
déclarant que les opinions de la section centrale, dont nous avons reçu le
rapport, ne seront, à mes yeux, d’aucune autorité. Je les considère comme des
opinions individuelles appartenant à chacun des membres qui la composaient.
Vous avez, en effet, remarqué avec moi que leur nomination dans les sections
est l’œuvre d’une minorité ; que dans les questions les plus graves 30 ou 35
membres au plus ont assisté dans les sections, et qu’ainsi, comme l’a fort bien
dit M. Jullien dans une autre circonstance, la section centrale n’est
malheureusement ici qu’une fiction. Si donc, dans le cours de la discussion, je
demande quelquefois le renvoi à la section centrale, ce sera principalement
pour donner le temps à la chambre d’examiner mûrement les divers amendements.
M. Dechamps. - Messieurs, beaucoup de personnes regardent les
discussions générales comme oiseuses et inutiles. A la vérité, il est des
questions qui peuvent s’en passer, mais il en est d’autres qui les nécessitent
impérieusement, et certainement la loi qui nous est soumise se trouve en
première ligne dans cette catégorie, puisqu’il ne s’agit de rien moins que de
la base de notre édifice social tout entier. Aussi, j’attache pour ma part une
importance extrême à bien éclaircir les principes généraux qui doivent nous
guider, à bien indiquer le but que, selon moi, nous devons atteindre. Je sais
que plusieurs se défient les théories souvent trompeuses : cependant, ne pas
avoir pour point de départ un principe, une théorie, n’est-ce pas s’enfermer
dans un labyrinthe sans avoir un fil conducteur pour en sortir ? Selon que nous
nous serons placés au point de vue d’une centralisation trop exclusive, ou bien
d’un fédéralisme absolu, nous arriverons au despotisme ou à l’anarchie. Il est
donc nécessaire, messieurs, d’entamer une controverse à fond sur la question de
principes ; une fois cela posé, la discussion des articles en découlera tout
naturellement.
D’abord, messieurs, il faut se placer franchement en face des deux mots
dont les partis se servent mutuellement pour s’épouvanter, je veux parler de la
centralisation et des libertés communales. Vous arrive-t-il de vous servir du
mot centralisation sans l’accoler à une épithète flétrissante, aussitôt voilà
que des adversaires viennent vous accuser de despotisme ; parlez-vous au
contraire avec admiration des franchises municipales, soyez certain de voir un
autre parti hausser les épaules et vous regarder comme un enthousiaste, comme
un fauteur d’anarchie. Ces exagérations, messieurs, sont le plus souvent cause
de ces réactions de partis, de ces divisions tranchées entre des hommes souvent
faits pour s’entendre et qui se repoussent pour des mots mal définis.
La centralisation et la liberté des communes sont deux éléments aussi
réels l’un que l’autre ; ce sont les deux pôles sur lesquels roule toute
l’organisation intérieure d’une société, et selon que l’harmonie, que
l’équilibre est plus on moins bien établi entre ces deux forces, la nation est
plus ou moins bien ordonnée, plus ou moins bien constituée.
Si, frappé trop exclusivement de la nécessité de l’unité centrale, vous
ne tenez pas assez compte des libertés publiques, qu’arrivera-t-il, messieurs ?
C’est que l’équilibre étant rompu, votre monde politique se penchera tout d’un
côté et que vous arriverez de conséquences en conséquences, ou bien au principe
de la monarchie de Louis XIV dont l’immobile Orient est le modèle, ou bien au
système aussi absolu de la convention dont le type se trouve dans les
républiques unitaires et panthéistiques des anciens.
Au contraire, si vous ne tenez pas assez compte de la centralisation
bien comprise, votre ordre social tombera sur le pôle opposé, et vous arriverez
à sacrifier successivement l’Etat à la province, la province à la commune, puis
la commune à la famille, après laquelle il ne reste plus que l’isolement
sauvage.
Ou me dira, messieurs, qu’on s’arrêtera sur cette pente ; mais n’est-il
pas bien plus simple de ne pas s’y placer ? Et d’ailleurs la logique des
événements ne s’arrête pas ainsi : les conséquences renfermées dans les
prémisses qu’on a posées en sortent tôt ou tard infailliblement, apportant la
paix et l’ordre si elles contiennent la vérité, apportant des ruines et des
révolutions si elles contiennent des erreurs.
Les partisans des deux systèmes exclusifs dont je viens de parler,
s’appuient chacun sur des faits historiques importants ; mais ils les
interrogent d’une manière tout à fait contradictoire et je pense que leur
erreur réciproque et fondamentale provient de cette fausse entente du passé.
Les uns, dans leur admiration pour nos vieilles institutions
démocratiques, s’imaginent que nous avons dégénéré depuis, que ce serait un
progrès d’y retourner ; les autres, frappés de la grande unité nationale que la
royauté a fait prédominer, regardent ces institutions comme usées et leur
conservation comme un pas rétrograde. A mon avis, messieurs, il y a erreur de
part et d’autre.
Je prie la chambre d’y faire attention ; car l’éclaircissement de ces deux
faits, qui servent d’appui aux divers systèmes, peut jeter un grand jour sur le
fond de la discussion actuelle.
Nos ancêtres avaient réalisé, dans nos institutions communales, le
principe de liberté d’une manière large et vraie ; et il n’en pouvait être
autrement, messieurs, puisque ses racines profondes étaient inhérentes à notre
sol, puisque le régime communal est le premier qui doit nécessairement naître à
se développer.
Nous ne pouvons donc empêcher leur végétation naturelle sans rendre ce
sol stérile ; nous devons les conserver, sous peine de faire des abstractions,
de fonder sur le vide.
Mais nos ancêtres n’avaient organisé qu’un des deux éléments qui doivent
entrer dans la base de la société, la liberté, la vie des communes ; et
l’élément d’unité, de centralisation qui unit en faisceau tous ces membres
épars, qui fait une nation de toutes ces municipalités distinctes, cet élément
n’existait pas alors. La victoire de la monarchie sur la féodalité a introduit
l’unité dans ce fédéralisme ; et sous ce rapport, je suis parfaitement d’accord
avec les défenseurs de la centralisation : cette victoire a été un grand
progrès.
Mais, messieurs, comme il arrive presque toujours, le vainqueur a
dépassé de bien loin les limites du camp ennemi, et la monarchie a anéanti
gradativement les franchises communales dont elle avait elle-même favorisé la
renaissance. Ainsi, messieurs, n’allons pas, par réaction contre les abus de la
royauté, détruire le progrès qu’elle a fait faire à l’Europe en introduisant
l’unité dans le fédéralisme, et n’allons pas non plus, par réaction contre ce
fédéralisme, nous imaginer que de nos institutions anciennes par la monarchie,
et plus tard par l’empire, a été un progrès, une légitime victoire : non,
messieurs, ça été une usurpation, et c’est la une des causes de la mort du
régime absolu. Pour nous, messieurs, qui arrivons à ses funérailles, évitons
les deux excès dont je viens de vous parler.
Harmonisons les deux éléments que la féodalité et la monarchie ont fait
prédominer tour à tour d’une manière trop exclusive ; emparons-nous du principe
de nos institutions démocratiques en y introduisant l’unité conquise par la
royauté, et peut-être aurons-nous assis notre édifice social sur des bases
telles que les révolutions de plus d’un genre qui nous menacent peut-être
encore, passeront sans le renverser. Ces faits historiques bien compris, il
n’est pas difficile, messieurs, de trouver le critérium qui doit nous guider
dans cette discussion, et d’établir l’équilibre que nous cherchons entre
l’unité gouvernementale et l’indépendance des communes. Le vice d’organisation
de nos anciennes franchises n’était pas ces franchises elles-mêmes comme
plusieurs se l’imaginent : c’était, comme nous l’avons vu, le défaut de
centralisation nationale, c’était le fédéralisme. Le pouvoir royal est tombé
dans la faute opposée, et au lieu de se borner à établir une grande unité
législative et tout à la fois de répression, il a faussé sa mission en
abolissant peu à peu les chartes des communes au profit d’un panthéisme administratif.
Emparons-nous donc, messieurs, ou plutôt conservons nos institutions
anciennes en ce qu’elles ont de compatible avec notre temps ; elles sont
vraies, elles sont vivantes, et je ne comprends pas pourquoi les communes au 19ème
siècle seraient moins émancipées dans le cercle de leur administration
intérieure que celles du 12ème. Le progrès consisterait-il donc à soumettre
l’homme et les nations à une tutelle plus sévère à mesure qui avancent en âge ?
Depuis quand l’enfant est-il émancipé et l’homme est-il mineur ? Ou bien
sommes-nous moins éclairés, moins dignes de liberté que les Francs et les
Germains ? Sinon cela, messieurs, il me paraît que ce serait rétrograder que de
restreindre ces vieilles libertés qui forment pour ainsi dire l’air que nous
respirons. Les sacrifier à une centralisation administrative, ce serait
refouler, concentrer au cœur le sang qui doit circuler dans toutes les veines
du corps social, ce serait tuer la nation.
Je sais, messieurs, qu’il est des esprits qui ne reculent pas devant
l’idée d’une forte centralisation administrative. Le Moniteur a même reproduit des articles qui prétendaient établir que
ce système de tutelle absolue était ce qu’il y a de plus admirable à imaginer.
Le principe qui entraîne ces esprits à tirer cette conclusion est
celui-ci : C’est qu’une nation doit perdre en vitalité provinciale et communale
ce qu’elle gagne en unité nationale, en centralisation. C’est fort bien, et
l’on peut dire de très belles choses pour soutenir ce système en lui-même, mais
ce qui me reste à comprendre, c’est qu’on se croie avec de telles théories
partisan des institutions constitutionnelles. Quoi ! messieurs ces personnes
admettent les libertés politiques, ces libertés qui supposent une civilisation
très avancée, ces libertés qui initient tous les citoyens aux affaires
générales de la nation, et ils veulent refuser aux habitants des provinces et
des communes la faculté et la capacité de régir leurs affaires propres, celles
qu’ils doivent le mieux connaître !
Non, messieurs, ce système ne peut être ainsi scindé sans contradiction,
et s’il est vrai que la centralisation administrative est admirable, il s’en
suit nécessairement que la tutelle des libertés politiques, en d’autres termes,
le système absolu, est plus admirable encore. Voilà, messieurs, où conduit la
logique de cette théorie.
Pour moi, je suis convaincu que l’unité nationale et les libertés des
provinces et des communes peuvent très bien s’harmoniser sans se coudoyer et se
faire la guerre. L’état normal que je me représente à cet égard serait celui où
les familles, les communes et les autres agrégations sociales jouiraient de
plus de vitalité propre ; où, en même temps, l’unité deviendrait plus centrale
à mesure qu’elle serait moins éparpillée, moins répandue dans tontes les
directions, dans tous les hameaux.
Une grande diversité dans une grande unité, voilà, selon moi, le
principe qui doit nous servir de point d’appui.
Que les communes administrent donc elles-mêmes leur ménage intérieur ;
qu’elles aient les coudées franches dans le cercle des affaites communales.
Ecoutons ce que nous dit M. Henrion de Pensey des franchises sanctionnées pas
les anciennes chartes des communes : « Toutes, dit-il, consacraient le
principe que le choix des officiers municipaux appartient aux habitants. Toutes
attachaient au pouvoir municipal la manutention des affaires de la commune, le
maintien de la police etc. »
Pie détruisons donc pas la base de ces institutions qui ont élevé notre
pays à un si haut point de splendeur.
Mais tout en les conservant, souvenons-nous, messieurs, du vice de leur
ancienne organisation, du fédéralisme qui a nécessité la réaction monarchique,
et n’allons pas briser les anneaux qui lient la commune et la province au
pouvoir national, ce serait rétrograder aussi.
Le rôle du pouvoir exécutif ne sera donc pas d’administrer les affaires
propres des communes, qu’il régirait mal, puisqu’il ne les connaîtrait pas, ce
serait tomber dans la faute qui a perdu l’ancienne monarchie. Mais sa mission
sera de réprimer les conflits entre les communes, d’empêcher qu’elles ne
sortent du cercle des attributions, et surtout de maintenir partout l’unité
législative, les lois politiques auxquelles les lois municipales doivent se
soumettre.
Son rôle se borne là ; mais nous ne devons pas
craindre de lui donner beaucoup de force pour l’exercer, tout en exigeant des
garanties pour en prévenir l’abus. Messieurs, comme pouvoir exécutif et de
répression, n’usons pas de méfiance envers lui, puisqu’il ne pourra jamais
l’exercer qu’au profit de la liberté de chacun et jamais à son profit exclusif,
la puissance législative et l’administration intérieure des communes ne devant
plus lui appartenir.
Je vous ai énoncé, messieurs, les principes fondamentaux qui me
serviront de règle dans cette discussion importante. Je tâcherai de les
appliquer avec conscience lors des débats sur les articles, quoique je n’ignore
pas la difficulté qu’il y aura souvent de marquer nettement dans les questions
mixtes, les limites des droits réciproques ; c’est à la bonne foi et à la
prudence d’en décider.
M. Seron. - Messieurs, mon dessein n’est pas
d’examiner dans toutes leurs parties les projets de loi relatifs à
l’organisation des municipalités, dont l’un contient 153 articles et l’autre
156,, la plupart fort compliqués. Je viens simplement vous soumettre mes
réflexions sur les points qui m’ont paru mériter plus particulièrement
l’attention de la chambre.
C’est un grave inconvénient des gouvernements dits constitutionnels que
l’hérédité, avec le temps, accumule dans les mains du chef inviolable et non
responsable une masse effrayante d’argent et de biens souvent acquis par des
voies fort équivoques et fort peu honorables. En effet, les hommes,
généralement parlant, sont malheureusement possédés de l’amour de la domination
; et, à moins d’être un Antonin, un Julien, un Marc-Aurèle, personnages
introuvables dans les dynasties anciennes et modernes, il est difficile, à qui
jouit de 30 millions de revenus, de souffrir patiemment la contradiction et de
ne pas travailler à s’en affranchir pour substituer sa volonté à la volonté de
la loi. Quand, en Hollande, les Nassau devinrent trop riches, on vit aussi
grandir leur morgue, leur insolence et leurs prétentions. Avec leur or ils
corrompirent la morale publique, ils achetèrent et les représentants des
provinces et les représentants de la nation, et les magistrats et les juges, et
la populace. Ils livrèrent à la fureur de celle-ci les meilleurs citoyens, les
soutiens de la patrie et des lois. Avec leur or les prétendus fondateurs de la
liberté batave la détruisirent, et parvinrent enfin à s’emparer de
l’administration et de la puissance souveraine, eux qui, originairement,
simples commandants de la flotte et de l’armée de terre, étaient aux ordres des
états-généraux. L’histoire est pleine de faits semblables, car partout les
hommes se ressemblent et partout les même causes produisent les mêmes effets.
A ce mal dérivant de la nature même des choses, les faiseurs de
constitutions ont attaché une prérogative également propre à favoriser
l’ambition du monarque et le triomphe du despotisme.
Ainsi, en France, ils ont conféré au roi le droit de disposer à son gré
de toutes les places lucratives dans l’armée, dans les finances, dans
l’administration civile, dans la judicature, dans les hospices, sans excepter
même les emplois d’huissiers, de douaniers et de geôliers. C’est un moyen
infaillible pour le gouvernement de se faire des partisans, des amis et des
soutiens dans toutes les classes de la société, excepté la classe travaillante
et payante, à la vérité très nombreuse ; d’avoir toujours à ses ordres des
fonctionnaires aveuglément dévoués, purs de tout sentiment de liberté et
d’indépendance, et de peupler la chambre élective de sujets serviles, sans honneur,
sans pudeur, corrompus, vendus ou à vendre, dont il obtiendra à volonté des
lois d’exception, des emprunts, des milliards d’impôts et une année
considérable et ruineuse, destinée non pas à combattre l’ennemi, mais à tenir
la nation sous le joug.
Si ce sont là des vérités, si le gouvernement monarchique n’a déjà, de
soi, que trop de force malgré les protestations contraires et les éternelles
déclamations des ministres de tous les pays ; si sa pente l’entraîne à
l’envahissement des droits de la nation, faut-il encore lui aplanir les voies
par lesquelles il atteindra plus facilement et plus promptement son but ?
Faut-il lui accorder toujours ce que la loi permet qu’on lui refuse ? La
prudence, au contraire, ne commande-t-elle pas de lui refuser tout ce qu’on
n’est pas rigoureusement tenu de lui accorder ?
Par exemple, il est écrit dans notre charte, au chapitre des
institutions provinciales et communales, art. 108 : « Les lois consacrent,
entre autres choses, l’application du principe de l’élection directe, sauf les
exceptions qu’elles peuvent établir à l’égard des chefs des administrations
communales. » Qu’elles peuvent établir ! Ainsi vous n’êtes pas tenus de
créer, par la loi organique des municipalités, les exceptions dont la
constitution s’occupe ici ; car si elle les permet, elle ne les prescrit pas,
elle les déclare facultatives.
Vous pouvez donc, à cet égard, rejeter et les propositions du
gouvernement et les propositions de la section centrale ; il vous est donc
loisible de laisser aux communes le droit dont elles jouissent encore à l’heure
qu’il est, de nommer elles-mêmes leur bourgmestre. Pourquoi le leur
ôteriez-vous ? A quel titre le gouvernement en serait-il gratifié ? De même que
le gouvernement français, n’a-t-il pas déjà trop de places à sa disposition ?
Prenez-y garde, à force d’augmenter ses pouvoirs, vous finiriez par faire de
votre constitution une lettre morte, et de votre liberté un vain mot.
Le gouvernement voit dans les bourgmestres de véritables commissaires
royaux à sa nomination, sans limite dans ses choix ; ne lui suffisait pas de
nommer les gens du parquet, les gouverneurs, les commissaires de district, les
juges de paix, les commissaires de police ; comme s’il ne pouvait jamais avoir
assez de fonctionnaires à sa dévotion. De son côté, là section centrale nous
dit : « Le bourgmestre, dans sa nomination, doit participer aux deux
pouvoirs royal et communal, puisque ses fonctions se rapportent à ces deux
pouvoirs. » C’est l’idée, d’ailleurs très mal rendue, d’Henrion de Pansey. Je
respecte beaucoup la science de cet illustre président, mais il me sera permis
de préférer à ses principes ceux de l’immortelle assemblée constituante. A mes
yeux donc le bourgmestre, représentant né de la commune, est l’homme de la loi
et l’homme du peuple, c’est-à-dire un intermédiaire entre ses administrés et le
gouvernement, contre lequel, à chaque instant, il est appelé à défendre leurs
droits. S’ils sont surchargés d’impôts, de prestations, de logements militaires
; si leur domicile est violé ; s’ils sont tracassés ou molestés par les agents
de la police, de la douane, des accises ; s’ils essuient d’autres vexations,
c’est à lui qu’ils ont recours ; c’est lui qu’ils peuvent aborder à toute
heure, lui qui écoute leurs plaintes et ne néglige rien pour leur faire rendre
justice quand elles sont fondées, lui qui les remet paternellement dans le bon
chemin s’il s’en écartent. Ils ont donc le plus grand intérêt à l’élire
eux-mêmes et à faire choix d’un honnête homme. Je ne vois pas quel intérêt les
ministres, en leur supposant de bonnes intentions, peuvent avoir à ce qu’ils ne
l’élisent point.
Mais, dit-on, si les propositions de la section centrale sont adoptées,
ils l’éliront effectivement, car ils éliront le conseil, et c’est du conseil
que le bourgmestre sera tiré. Quelle pauvreté ! Oublie-t-on que, dans le choix
du chef de la régence, la préférence peut tomber sur l’un des membres ayant
obtenu le moins de suffrages, conséquemment sur l’homme dont ses concitoyens
voulaient bien faire faire un conseiller municipal, mais dont ils ne voulaient
pas faire un bourgmestre, qu’ils jugeaient même incapable d’en remplir les
fonctions ? Ainsi, l’article 25 de l’acte constitutionnel aura fait émaner tous
les pouvoirs de la nation, c’est-à-dire du peuple, mais inutilement. Dans
l’élection de son magistrat immédiat, les pouvoirs du peuple se réduiront à
former une liste de présentation ; en réalité les nominations seront l’ouvrage
du Roi : je me trompe, elles ne seront pas même l’ouvrage du ministère, puisque
le ministère n’y procédera que sur les notes de ses agents chargés de lui
désigner les plus digues d’entre les éligibles.
Croyez-vous que, de cette manière, les sujets seront mieux appréciés et
les choix meilleurs ? il est permis d’en douter. Assurément les agents du ministère
sont de fort honnêtes gens, ayant d’excellentes intentions ; mais enfin ils
sont hommes ; ils ont des préjugés, des passions qui ne leur permettent pas
toujours d’être impartiaux ; ils ont, comme tant d’autres, leurs affidés, leurs
protégés, leurs amis sur les défauts de qui ils s’aveuglent ; ils ont aussi
leurs parents. Soumis d’ailleurs à l’influence de leurs intérêts et de leur
emploi, dominés par la crainte de le perdre ou par l’espoir d’en obtenir un
autre plus avantageux, ils n’oseraient contrarier les vues du gouvernement qui
les nomme et les révoque à volonté. Au contraire, à la longue, ils
s’identifient en quelque sorte avec lui ; à la longue, leur raison doit se
plier entièrement à son système et s’habituer à n’y voir, en toute occasion,
rien que de très naturel, de très raisonnable, de très juste : tel est le cœur
humain. Or, le système de tout gouvernement c’est de vouloir être obéi
ponctuellement, sans réplique et sans remontrances ; c’est de préférer, dans
les magistrats, la souplesse et la soumission à l’aptitude et à la capacité.
Attendez-vous donc à voir rarement dans les listes de présentation où le
ministère prendra les bourgmestres, de ces caractères fermes, indépendants,
rigides, toujours prêts à opposer la barrière des lois aux prétentions
arbitraires et aux empiétements du pouvoir ; et surtout n’y cherchez jamais ces
indociles et farouches républicains, redoutables ennemis de la société et de
l’ordre, mis à l’index en Belgique où l’on en compte, dit-on, jusqu’à trois.
Au reste, messieurs, ces observations sont générales ; il ne faut y
chercher aucune allusion malicieuse et personnelle. Je l’avoue même avec
plaisir : parmi les hommes maintenant en place, il en est dont j’honore
beaucoup la franchise, le désintéressement et la probité.
Le projet ministériel attribue la nomination des échevins au Roi ou au
gouverneur, selon que la population des communes est plus ou moins
considérable. La section centrale en charge exclusivement le pouvoir exécutif,
mais à la condition de choisir les candidats dont le conseil municipal lui
présentera la liste. Pour moi, je crois les échevins éligibles directement par
le peuple, comme le bourgmestre lui-même, puisque leurs fonctions sont à peu
près semblables à celles de ce magistrat, et que, souvent, ils sont appelés à
le suppléer et à le remplacer.
A ces considérations il faut en ajouter une autre non moins frappante.
N’est-ce pas une véritable anomalie dans la législation de laisser au peuple la
nomination directe, tant de ses représentants dans les deux chambres que de ses
administrateurs provinciaux, et de lui refuser, en même temps, la nomination
directe de ses bourgmestres et de ses échevins ?
D’ailleurs, ce n’est pas dans les institutions gothiques, c’est dans
l’Etat et les besoins actuels de la société qu’il faut chercher les principes
de vos lois. La révolution a été faite pour favoriser la civilisation et non
pour maintenir les règlements du plat pays.
Voudriez-vous la faire reculer en arrière (comme dit l’honorable M.
Dumortier) ? Jugeriez-vous le peuple belge peu mûr pour la liberté, incapable
d’user avec discernement des droits qui lui ont été restitués par l’arrêté du 8
octobre 1830 ? Dans ce pays par excellence, a-t-il donné sa confiance à des
anarchistes, à des factieux ? Telles n’ont pas été, du moins, les élections que
j’ai vues de mes yeux. Au contraire, dans les cantons de mon arrondissement les
choix ont été généralement bons. Si d’anciens bourgmestres connus pour avoir
préféré leurs intérêts aux intérêts de leurs communes ont été écartés, le
peuple a maintenu dans leurs fonctions ceux dont la conduite était
irréprochable ; si les hobereaux, leurs régisseurs et leurs affidés n’ont pu,
malgré leurs intrigues, obtenir la majorité des suffrages, personne n’a vu,
dans cette manifestation de l’opinion publique, rien d’hostile à la société,
rien qui pût la mettre en péril, rien de contraire à la tranquillité et au
bien-être la commune.
Il est des hommes qui, sans oser le dire, craignent dans les élections
populaires les intrigues d’un parti ambitieux, hypocrite et rusé, dont les vues
tendent à faire occuper tous les emplois publics par ses adhérents afin de
mieux établir sa domination dans l’Etat. Ils croient remédier au mal en
abandonnant au ministère le choix de tous les chefs de l’administration
municipale. Mais c’est à la faiblesse des ministères, à leurs continuelles
concessions que ce parti doit sa consistance politique. Or, je le demande,
aura-t-il moins d’influence sur les nominations du gouvernement qu’il n’en
aurait sur les élections du peuple ? Au contraire, car le gouvernement
demeurera faible, au lieu qu’à la fin le peuple doit nécessairement ouvrir les
yeux.
Au surplus, on trouve dans les deux projets des dispositions purement
réglementaires, et d’autres qui ne sont pas à leur place et qui devraient faire
la matière de lois spéciales : telles sont, entre autres, celles relatives à la
police et aux élections. En faisant plusieurs lois sur la même matière, vous
les compliquez de répétitions inutiles.
On y trouve aussi des dispositions contradictoires, inutiles,
inconstitutionnelles même ; je vais en citer plusieurs exemples
1° Le projet de la section centrale précise les circonstances au nombre
de cinq, où les séances du conseil seront publiques de droit ; il en indique
vaguement d’autres où les séances auront lieu à huis clos. Puis il ajoute :
« Dans tous les autres cas la publicité est facultative ; elle aura lieu
lorsqu’elle sera demandée par les deux tiers des membres présents à la séance.
» Ce n’est pas là consacrer la publicité des séances, telle que l’entend
l’article 108 de la constitution, c est la rendre illusoire puisque la majorité
même des voix ne suffira point pour l’ordonner. C’est aussi substituer
l’exception à la règle ;
2° Le tiers de la contribution foncière d’un domaine rural exploité par
un fermier lui comptera pour être électeur, comme si le domaine lui
appartenait. Cependant la contribution n’est pas sienne ; s’il la paie, c’est
en déduction du prix de son bail. N’est-ce pas un véritable privilège en faveur
des fermiers, et qui semble imaginé afin de procurer plus de suffrages à leurs
maîtres ?
3° Suivant l’article 50 de la constitution, on peut, sans payer un sol
d’impôts, siéger sur les bancs de cette chambre où vous représentez la nation entière
; et la loi municipale déclare inéligible aux simples fonctions de conseiller
quiconque ne paiera pas le cens requis pour être électeur dans sa commune.
L’élection directe est confiée au peuple, mais la loi suppose le peuple assez
imprudent pour donner ses suffrages à un individu qui ne présentera point de
garantie.
4° Les projets excluent du conseil de régence les employés salariés de
la commune, mais ils n’en excluent pas les ministres du culte dont la plupart
sont aussi les salariés de la commune qui leur paie un supplément de
traitement. De plus, ces ministres ne peuvent être ni bourgmestre, ni échevins
; comment donc les admet-on à faire partie des conseils où sont pris les
échevins et les bourgmestres ? Enfin, ils ont hors de l’Etat un chef auquel ils
doivent obéissance ; ils ont des privilèges dont ils excipent eux-mêmes pour
s’affranchir des obligations imposées par la loi à tous les citoyens ; leur
ministère de paix ne leur permet guères d’abandonner leurs brebis pour
s’occuper de questions politiques et de procès. Sous ces différents rapports
leurs fonctions paraissent peu compatibles avec les emplois civils. Cependant
les voici appelés non seulement à régler ce qui est d’intérêt local, mais
encore à délibérer sur tout autre objet que l’autorité supérieure soumettra à
l’examen du conseil municipal.
Ne vaudrait-il pas mieux les laisser à leur église ? Ne rempliraient-ils
pas plus exactement les devoirs du sacerdoce ? N’en seraient-ils pas plus
honorés et plus respectés ?
5° Les receveurs communaux sont nommés pour six ans. A quoi bon fixer un
terme puisque le conseil peut toujours les révoquer et les suspendre ?
6° Les gardes-champêtres sont nommés par le gouverneur, et les gardes
forestiers par la députation provinciale. Pourquoi pas les uns et les autres
par cette dernière autorité ?
7° Pourquoi la démission des fonctions de bourgmestre doit-elle être
adressée au Roi et n’avoir d’effet que lorsque le Roi l’aura acceptée ? Peut-on
forcer les citoyens à demeurer en fonction malgré eux ; et, comme par le passé,
ne sauront-ils en sortir qu’au moyen d’une destitution ou d’une démission
honorable ?
8° Enfin, pourquoi toutes les exceptions de l’article
9 du projet de la section centrale, et notamment celles du septième alinéa ?
Pourquoi déclarer incompatibles, dans tous les cas, les fonctions de greffier
et celles de receveur ? Ignore-t-on qu’il est dans le royaume un assez grand
nombre de villages où, il n’y a pas 100 habitants, où, par cette raison, tout
le monde est en charge ? Ne craint-on pas d’en venir, à force d’exclusions, au
point de ne pouvoir y trouver assez de capacités pour composer une
administration tolérable ? - On les tirera du dehors. Cela est bientôt dit,
mais qui voudra se déplacer pour le plaisir d’occuper à titre nécessairement gratuit,
dans de pareilles communes, une place tout à fait insignifiante ?
En voilà assez pour motiver mon vote, qui sera négatif dans le cas où
les projets ne subiraient pas des modifications et des changements propres à
les mettre en harmonie avec les idées libérales dont l’absence s’y fait trop
remarquer.
M. Desmet. -
Quand les villes se formèrent en communautés ou corporations politiques,
qu’elles obtinrent le privilège d’avoir une juridiction municipale, ce
changement contribua peut-être plus qu’aucune autre cause à introduire et à
répandre en Europe les principes d’un gouvernement régulier, de la police et
des arts.
Le gouvernement féodal avait dégénéré en un système d’oppression. Les
nobles, dont les usurpations étaient devenues excessives et intolérables,
avaient réduit le corps entier du peuple à un état de véritable servitude, et
la condition de ce qu’on appelait les hommes libres n’était guère meilleure que
celle du peuple. Cette oppression n’était pas seulement le partage de ceux qui
habitaient à la campagne et cultivaient les terres de leurs seigneurs. Les
villes et les villages relevaient de quelque grand baron, dont ils étaient
obligés d’acheter la protection, et qui exerçait sur eux une juridiction
arbitraire.
Les habitants étaient privés des droits naturels et inaliénables de
l’espèce humaine. Ils ne pouvaient disposer des fruits de leur industrie, ni
par un testament, ni par un acte passé pendant leur vie. Ils n’avaient pas même
le droit de donner des tuteurs à leurs enfants dans l’âge de minorité, et ils
étaient obligés d’acheter de leur seigneur la permission de se marier. S’ils
avaient commencé un procès en justice, il ne leur était pas permis de le
terminer à l’amiable, parce que cet accommodement aurait privé le seigneur, au
tribunal duquel l’affaire se plaidait, des droits qui lui revenaient lorsqu’il
rendait la sentence. On exigeait d’eux, sans indulgence et sans pitié, des
services de toute espèce, souvent aussi humiliants qu’onéreux. L’esprit
d’industrie était gêné par des règlements absurdes et par d’injustes vexations.
Les maximes étroites et tyranniques d’une aristocratie militaire ne pouvaient
manquer d’arrêter les progrès de toute industrie.
Mais dès que les villes d’Italie eurent commencé à tourner leur attention
vers le commerce et à se former quelque idée des avantages qu’elles pouvaient
en retirer, elles songèrent bientôt à secouer le joug des seigneurs insolents
et à établir un gouvernement libre et égal, qui assurât parmi les habitants la
propriété des biens et encourageât les arts et l’industrie.
La grande augmentation de richesses que les croisades produisirent en
Italie occasionna une nouvelle espèce de fermentation et d’activité dans les
esprits, et fit naître une passion si générale et si vive pour l’indépendance
et la liberté, qu’avant la fin de la dernière croisade toutes les villes
considérables d’Italie avaient acquis leurs franchises municipales et s’étaient
formées en corps politiques, qui se gouvernèrent d’après des lois établies par
le consentement général des habitants....
Cette innovation n’eût pas plus tôt été établie en Italie qu’elle
commença à s’introduire en France. Louis le Gros, jaloux d’élever une nouvelle
puissance pour contrebalancer celle des grands vassaux, qui souvent donnaient la
loi au monarque même, adopta le premier l’idée d’accorder de nouveaux
privilèges aux villes situées dans ses domaines. Par ces privilèges, appelés «
chartes de communauté, » il affranchit les habitants, abolit toute marque de
servitude, et les établit en corporations ou corps politiques, qui furent
gouvernés par un conseil et des magistrats de leur propre choix. Ces magistrats
eurent le droit d’administrer la justice dans de leur territoire, de lever des
taxes, d’incorporer et d’exercer la milice de la ville, qui, à la première
réquisition du souverain, se mettait en campagne sous les ordres
« d’officiers nommés par la communauté. » En moins de deux siècles la
servitude fut abolie dans la plupart des bourgs en France, qui, privés
jusqu’alors de liberté, de juridiction et de privilège, devinrent par là des
communautés indépendantes.
Les villes d’Allemagne et toutes celles qui composaient l’ancienne
Germanie, dont nos contrées faisaient partie, acquirent plus tard que celles de
France et d’Italie les privilèges municipaux ; mais comme elles étaient imbues
d’un plus grand esprit de liberté, elles les étendirent plus loin, et les
conservèrent plus longtemps intacts des empiétements du despotisme.
Les anciens Germains n’avaient point de villes ; même dans leurs hameaux
ou villages, ils ne bâtissaient point de maisons contiguës les unes aux autres,
c’est ce que rapporte Tacite dans son livre des Mœurs des Germains, Ils
regardaient comme une marque de servitude d’être obligés d’habiter dans une
ville entourée de murs.
Lorsqu’une de leurs tribus avait secoué le joug des Romains, les autres
exigeaient d’elle, comme une preuve qu’elle avait recouvré sa liberté, qu’elle
démolit les murailles de quelque ville bâtie par les Romains sur son
territoire. Les animaux mêmes les plus féroces, disaient-ils, perdent leur
ardeur et leur courage lorsqu’ils sont renfermés : c’est ce que Tacite rapporte
de même.
On peut avancer qu’avant le neuvième siècle, il n’y avait point de ville
proprement dite dans
Depuis cette époque, le nombre des villes ne fit qu’augmenter et elles
devinrent plus peuplées et plus riches ; mais elles étaient encore privées de
la liberté et de la juridiction municipale. C’est aux Italiens que nos ancêtres
empruntèrent l’institution des communautés, comme le rapporte l’écrivain
Knepschild.
Différentes circonstances contribuèrent à l’accroissement de nos
anciennes villes, depuis le régna d’Henri l’oiseleur jusqu’au temps où elles
eurent la possession entière de leurs immunités. L’établissement des évêchés et
l’érection des cathédrales engagèrent naturellement beaucoup de monde à
s’établir dans les villes. On s’accoutuma à y assembler les conseils et à y
tenir les cours de judicature de toute espèce, soit civiles, soit
ecclésiastiques. On affranchit, dans le onzième siècle, plusieurs esclaves,
dont la plus grande partie s’établit dans les cités. On découvrit et l’on
exploita plusieurs mines en différentes provinces ; ce qui attira et réunit un
grand concours d’hommes et donna naissance à différentes villes.
Les villes commencèrent au treizième siècle à former des lignes pour
leur défense mutuelle et pour réprimer les désordres occasionnés par les
guerres particulières des barons aussi bien que par leurs vexations. Ces
associations rendirent la condition des habitants des villes plus sûre que
celle des autres classes des sujets, et engagèrent un grand nombre d’hommes à
se faire recevoir membres des communautés.
On ne tarda pas à sentir les bons effets de la nouvelle institution des
communautés ; dont l’influence, aussi puissante que salutaire, s’étendit sur le
gouvernement et sur les mœurs. Un grand corps de peuple fut affranchi de la
servitude, ainsi que de toutes les impositions arbitraires et onéreuses
auxquelles leur misérable état les assujettissait auparavant. Les villes, en
acquérant le droit de communauté, formèrent autant de petites républiques
gouvernées par des lois connues de tous les citoyens et égales pour tous ; la
liberté était regardée comme une partie si essentielle de leur constitution,
qu’un serf, qui s’y réfugiait et qui, dans l’intervalle d’une année, n’était
pas réclamé, était aussitôt déclaré libre et admis au nombre des membres de la
communauté.
La jouissance de la liberté produisit un changement si heureux dans la
condition de tous les membres des communautés, qu’on les vit bientôt sortir de
cet état de stupidité et d’inaction où ils restaient auparavant enchaînés, de
l’oppression et de la servitude. L’esprit se ranima, le commerce devint un
objet d’attention et commença à fleurir. La population augmenta sensiblement.
Enfin l’indépendance et la richesse se montrèrent dans ces villes qui avaient
été si longtemps le siège de la pauvreté et de la tyrannie.
La richesse amena le faste et le luxe, qui marchent toujours à sa suite,
et quoique ce fût un faste sans goût et du luxe sans délicatesse, il en résulta
cependant plus de politesse dans les manières et plus de douceur dans les
mœurs. C’est dans les villes que les lois et la subordination aussi bien que la
politesse des mœurs ont pris naissance, et c’est de là qu’elles se sont
répandues insensiblement dans les autres parties de la société.
Dans toutes les villes érigées en communes, il s’éleva un pouvoir qui,
habilement secondé par les souverains, rivalisa bientôt avec la puissance
féodale, et dont les forces combinées avec celles de la couronne ne tardèrent
pas à dépouiller les seigneurs de la plupart des prérogatives qu’ils avaient
usurpées sur elle.
A cet événement se rattache, comme dit un savant publiciste, Henrion de
Pansey, tout ce qui a été fait dans l’intérêt de la liberté.
Les chartes de commune différaient en quelques points ; mais, uniformes
sur les plus importants, toutes abolissaient la servitude personnelle et les
taxes arbitraires.
Toutes renfermaient un certain nombre de dispositions législatives qui
réglaient les principaux actes civils et déterminaient les peines des délits
les plus communs, notamment des délits de police.
Toutes consacraient le principe que « le choix des officiers
municipaux appartient directement aux habitants, et sans aucune intervention de
la part du souverain. »
Toutes attachaient au pouvoir municipal la manutention des affaires de
la commune, le maintien de la police et l’administration de la justice.
Enfin, ce qui est fort remarquable, comme l’observe encore Henrion de
Pansey, tous les diplômes autorisaient les officiers municipaux à faire prendre
les armes aux habitants, toutes les fois qu’ils le jugeraient nécessaire, pour
défendre les droits et les libertés de la commune, soit contre des voisins
entreprenants, soit contre le souverain lui-même.
Bienfaisante prérogative des communes, qu’elles ont perdue, et qui, si
elle existait encore, servirait d’une salutaire barrière contre le despotisme
et l’arbitraire des gouvernements et les exactions des ministres, et rendrait
plus heureuse la société en la prémunissant plus sûrement contre les
révolutions générales des peuples.
De ce que nous venons de dire il résulte que le pouvoir municipal n’est
pas une création de la loi, qu’il existe par la seule force des choses : il est
parce qu’il ne peut pas ne pas être, il est parce qu’il est impossible que les
habitants d’une même enceinte, qui consentent à faire le sacrifier d’une partie
de leurs moyens et de leurs facultés pour se créer des droits et des intérêts
communs, soient assez imprévoyants pour ne pas donner des gardiens à ce dépôt,
pour ne pas charger quelques-uns d’entre eux de veiller à sa conservation et
d’en diriger l’emploi.
Mais s’il est ainsi, si le pouvoir municipal est de l’essence de toutes
les corporations d’habitants, les lois ne pouvant rien contre la nature des
choses, il faut dire qu’elles ne peuvent ni supprimer les corps municipaux, ni
priver les communes du droit de les élire.
Cependant, toutes les fois qu’un gouvernement inquiet et jaloux évoque à
lui le pouvoir municipal, et l’exerce lui-même en administrant les communes par
des fonctionnaires de son choix et qu’il révoque à sa volonté, quelque
dénomination qu’il donne à ces commissaires, il n’y a plus d’officiers
municipaux.
Cela est tellement vrai, et il est bon d’y prendre grande attention,
afin qu’on ne s’y méprenne pas. Si dans ce cas il n’y a plus d’officiers
municipaux, c’est qu’il n’y a plus de corporations, plus de régime municipal.
Il y a encore des villes, des bourgs et des villages ; mais il n’y a plus de
cités, plus de communes.
Il est donc évident que les administrateurs municipaux, sans aucune
distinction, doivent émaner des habitants, doivent être élus d’eux. Jamais en
Belgique, depuis qu’elle a eu des cités et des communes, le pouvoir souverain
ne s’est mêlé du choix de ces fonctionnaires ; je ne parle pas cependant des
trente années que nous avons été sous le régime de la république et de l’empire
français : on sait que cette époque fait une exception qui ne peut pas faire
autorité ; et si on se donnait par emphase le nom de citoyen, c’était bien mal
à propos, car il n’y avait alors dans toute
Le gouvernement prussien est plus prudent et puis adroit ; quoiqu’il
passe pour absolu, il a senti cette vérité gouvernementale qu’affermir le
pouvoir sur le bien-être de toutes les classes est la seule bonne politique ;
et ce que le peuple prussien aurait dû demander, il l’a eu sans devoir faire
des instances près son gouvernement, qui, de son propre mouvement, lui a donné
l’affranchissement des communes et le choix libre de ses magistrats municipaux.
Hardenberg, homme d’Etat plus remarquable encore que Stein, parce qu’il était
moins violent, moins impérieux, moins altier ; diplomate profond et hardi ;
libéral dans ses vues et en même temps versé dans la connaissance des hommes,
de leurs mobiles et de leurs intérêts, vint compléter l’œuvre de son
prédécesseur. Ce que les lois faites sous le ministère Stein avaient accompli
pour le perfectionnement de l’agriculture et l’amélioration du sort des
paysans, la fameuse stiedte ordnung ou constitution des villes et le gewerb
stever ou taxe du commerce l’accompliront pour les droits civils et commerciaux
de la communauté. La première de ces mesures avait été préparée par Stem, la
seconde appartient tout entière au savant ministre Hardenberg. Jusqu’à ce
moment, la nomination des magistrats et des juges dans les villes et villages
appartenait exclusivement au suzerain féodal. Là justice était secrète,
aveugle, souvent partiale, et dirigée par des mobiles de servilité et de
complaisance. Une multitude de monopoles, de droits de corporations et de
privilèges antiques embarrassaient la marché du commerce, maintenaient les prix
à un taux beaucoup trop élevé et perpétuaient la misère publique.
Stein, le premier, voulut renverser tant de barrières. Il commença cette
œuvre hardie avec sa témérité accoutumée ; il fit entrer pour la première fois
le droit d’élection dans la vie privée des Prussiens. Les habitants durent
choisir eux-mêmes leurs magistrats et leurs officiers publics sans que le
gouvernement pût s’immiscer dans cette élection et l’entraver. C’est la
communauté qui se cotise pour fournir le salaire des magistrats, lorsqu’ils
sont rétribués, ce qui n’arrive pas toujours. Ils sont élus pour trois ans.
Les stadt verordneten, élus aussi par leurs concitoyens, sont chargés de
la répartition des impôts, du soin des institutions locales, et des devoirs
municipaux de diverses natures. Leur charge est purement honoraire. On donne la
plus grande publicité à toutes leurs mesures, on affiche les comptes de leur
gestion, et le public est mis à même de juger jusqu’à quel point ils se sont rendus
dignes du choix de leurs concitoyens
N’st-ce pas là, messieurs, une mise en œuvre bien franche et bien
énergique de l’élément démocratique ? Le but du ministère Stein et de celui de
son successeur Hardenherg n’était-il pas d’intéresser le peuple à la gestion de
ses affaires, de lui donner une part active dans les mouvements politiques du
pays ?
Les nobles de ce pays n’ont pas vu sans dépit cette prépondérance
accordée au régime municipal ; la plupart, se retirant dans leurs châteaux et
dans leurs hôtels, ont laissé les bourgeois diriger à leur guise les affaires
de leurs villes et de leurs hameaux ; mais quel observateur philosophe
n’apercevra pas dans cette aptitude politique donnée aux classes inférieures et
moyennes, un immense perfectionnement ?
Et pour nous, ne doit-elle pas faire le sujet d’une longue méditation ?
Quand nous voyons qu’un gouvernement absolu, qu’un des principaux membres de la
sainte-alliance, donne par politique, à son pays, l’affranchissement complet du
pouvoir municipal, que c’est dans l’intérêt du pouvoir central même qu’il
oblige les habitants d’élire eux-mêmes les magistrats et qu’il se fait une loi
de ne s’immiscer aucunement dans ce choix, pouvons-nous douter un instant que
nous devons conserver l’œuvre de notre révolution, que nous devons maintenir
dans tout son entier l’élection directe et le choix par les habitants, tel que
le gouvernement provisoire l’a si heureusement décrété, et où il a si bien
saisi l’esprit des habitants de
Si nous détruisons cette belle œuvre, on pourra nous reprocher à juste
titre que nous trahissons la révolution de septembre, et que l’avenir de
Je n’en dirai pas davantage dans la discussion générale, car je vois
dans l’élection par les habitants des officiers municipaux, l’âme du pouvoir
municipal, les autres points sont comme des corollaires qui en dérivent ; leur
résidence dans la commune sera donc une nécessité, comme il est incontestable
que les fonctionnaires ne pourront être destitués que pour forfaiture préalablement
jugée. Il en est des officiers municipaux comme des juges, dit Heurion de
Pansey : la loi garantit également la durée de leurs fonctions et comme il
n’est pas donné aux actes du pouvoir exécutif de prévaloir sur les lois, il
faut tenir en principe que, semblables aux juges, les officiers municipaux ne
peuvent être destitues que pour forfaiture, concussion, et malversation
judiciairement constatées.
M. le président. - Il n’y a plus
d’orateurs inscrits sur la discussion générale ; je la déclare close, on va
passer à la discussion des articles.
Discussion des articles
Titre I. - Du corps
communal
Chapitre 1er. - De la
composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section 1ère. De la
composition du corps communal
M. le président. - Le gouvernement
commence ainsi son projet :
« Titre 1er. Du corps municipal.
« Chapitre 1er. De la composition du corps communal et de la durée
des fonctions de ses membres.
« Section 1ère. De la composition du corps municipal. »
La section centrale rédige autrement ce titre :
« Titre 1er. Du corps communal.
« Chapitre De la composition du corps communal et de la durée des
fonctions de ses membres.
« Section 1ère. De la composition du corps communal. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne vois pas d’inconvénient à substituer le mot
communal au mot municipal. Bien entendu que le corps communal comprend le
conseil communal et le collège.
- Le titre proposé par la section centrale est adopté.
« Art. 1er (proposé par le gouvernement). Le corps municipal de
chaque commune se compose des conseillers, du bourgmestre et des
échevins. »
« Art. 1er (proposé par la section centrale). Il y a dans chaque
commune une régence composée des conseillers, du bourgmestre et de
échevins. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne vois pas de raison suffisante pour substituer
à l’expression claire, précise, de conseil communal celle de régence qui ne se
trouve pas en rapport avec la dénomination déjà adoptée. Pour ce qui concerne
les provinces, vous avez dit : L’administration de la province est confiée à un
corps désigné sous le nom de conseil provincial ; les affaires de la commune
doivent, par analogie, être confiées a un corps désigné sous le nom de corps
communal ou conseil communal. Il me semble que cette dernière expression est
plus claire que celle de régence, qui si elle est historique, n’est pas
tellement ancienne qu’on ne puisse la remplacer sans faire violence aux
habitudes.
Je crois qu’on doit maintenir la qualification de conseil communal.
M. Dumortier, rapporteur. - Il y a en
quelque sorte deux propositions dans celle du ministre ; d’abord celle qui est
relative au nom à donner au corps communal ; en second lieu celle relative au
principe par lequel on doit commencer, savoir s’il doit y avoir un corps dans
chaque commune.
Dans l’article premier de la loi provinciale vous avez décidé qu’il
fallait établir le principe qu’il y aurait dans chaque province un corps
provincial ; c’est en vertu de cette décision que nous avons cru devoir établir
ce principe : dans chaque commune il y a un corps chargé des affaires de la
commune.
Le ministre préfère le
titre de conseil communal ; il donne à l’appui de son opinion ce qui s est fait
pour la loi provinciale ; mais il n’y a pas similitude entre les deux lois. Si
le mot d’états provinciaux n’a pas été conservé, c’est pour ne pas rappeler des
institutions que l’esprit de notre révolution a détruites ; mais l’expression
de régence n’est que la répétition d’une expression de la constitution ; elle
dit que les intérêts communaux sont régis par des corps communaux. Cette
expression est ancienne ; elle est consacrée par l’usage et il faut que la
législature sache respecter ce qui tient à des souvenirs
historiques. Je pense, et dans la section centrale beaucoup de personnes ont
pensé, que la dénomination de conseil de régence devait être conservée, afin de
conserver à nos institutions un cachet de nationalité. Si, à l’instar de ce qui
se fait dans un pays voisin, nous donnons les mêmes noms aux administrations
communales, si nous copions ce qu’y fait un ministre du juste-milieu, plus tard
il n’y aura qu’à changer le titre du souverain de
Il faut toujours conserver ce qui est national et nous avons cru faire
une œuvre de nationalité en conservant une dénomination en usage dans le pays.
C’est pour cela précisément que nous demandons le rejet de la proposition du
ministre.
M. Pollénus. - Je n’attache point une grande
importance au titre que l’on attribuera à l’administration des communes ; le
motif qui m’empêche d’accueillir la dénomination de régence que propose la
section centrale, c’est que l’art. 108 de la constitution consacre la
dénomination de conseil communal, et c’est celle-ci que j’adopterai.
La crainte que cette dénomination est reçue dans un pays voisin me
touche peu, il y aura toujours une grande différence entre nos institutions et
celles de nos voisins ; et si les mots se ressemblent, il restera toujours une
différence tranchée entre les mœurs des deux peuples ; on ne confondra jamais
la constitution belge avec celle de nos voisins ; les motifs de crainte, si
crainte il y a, ne sont pas là.
Si j’ai pris la parole, c’est pour vous soumettre quelques
considérations à l’appui d’une proposition qui tend à remplacer le mot d’échevin
par celui d’adjoint.
Ce n’est point d’une simple substitution d’un mot à un autre qu’il
s’agit. Ma proposition tend à proposer un système nouveau, d’après lequel le
bourgmestre ou celui qui le remplace serait seul chargé du service d’exécution
que les règlements existants et le projet confèrent au collège des bourgmestres
et échevins.
L’unité dans l’exécution me paraît la condition de toute bonne
administration. Sans cette unité, il ne peut y avoir qu’embarras, hésitations
et lenteurs ; tels sont les inconvénients que ma proposition a pour objet de
prévenir.
Le système que je propose a été admis dans la loi provinciale ; pourquoi
le repousserait-on de la loi qui nous occupe ? Auriez-vous moins de confiance
dans un magistrat élu par le peuple que dans un agent du gouvernement ? Car
vous vous rappellerez que le gouverneur est seul chargé de l’exécution des
mesures délibérées par les conseils des provinces.
Le système d’attributions que propose le gouvernement dans l’art. 91 du
projet qui est le 43ème de la section centrale, me paraît d’une exécution
presque impossible.
Ces articles accordent des attributions aux bourgmestre et échevins ou à
l’un ou à l’autre : cette alternative donnera lieu à des embarras inextricables
; car, en cas de concurrence de ces fonctionnaires, on ne saura dans ce conflit
à quelles opérations s’en tenir.
C’est encore ainsi que la police rurale et communale est attribuée au
collège des bourgmestre et échevins ; l’on conçoit difficilement une police
dirigée par un collège et j’en vois d’autant moins de motifs que la police
générale sur les objets de la plus grande importance est exercée par un
fonctionnaire unique dans toutes les hiérarchies de l’administration.
Je le répète, dans le service d’exécution il me semble que l’unité est
indispensable, et que l’intervention d’un collège ne peut y être admise sans
inconvénient. Vous vous rappellerez les marques de désapprobation qui suivirent
la création d’un conseil dans une haute administration d’où il a disparu
depuis.
Et si l’on examine bien les termes de la constitution, on croit y
trouver l’idée de ce système d’unité que je viens vous proposer. En effet,
l’art. 108 de la constitution parle d’un chef du conseil communal, et l’idée
d’un chef ne répond-elle le pas à cette idée d’unité que présente le système de
mon amendement ? cas on ne conçoit point de chef qui est dépourvu d’autorité et
qui est réduit à ne pouvoir agir qu’avec l’assentiment d’un collège.
Messieurs, la concurrence du bourgmestre et des échevins pour
l’exécution des décisions communales et pour les mesures de police était
inconnue autrefois ; l’idée en appartient aux règlements du précédent
gouvernement : sous le règne de Marie-Thérèse, par exemple, je pense que
lorsque le premier bourgmestre intervenait, les autres bourgmestres qui étaient
des espèces d’échevins étaient sans autorité. Les inconvénients d’autorités
concurrentes n’existaient point alors.
Ainsi, dans mon opinion, l’institution d’une autorité
collective chargée d’un service d’exécution est viciée par les lenteurs et les
entraves inséparables de ces sortes d’institutions. Une autorité d’exécution
doit être toute d’action ; toute cause d’entraves inutiles doit en être
écartée, et je ne puis concevoir que, tandis que le service d’exécution est
attribué à une personne unique dans toutes les autres administrations, on
introduirait une exception à ce système pour ce qui concerne les
administrations des communes : cela ne se conçoit vraiment pas. Vous voyez
donc, messieurs, que ma proposition, si elle était accueillie, fortifierait le
service d’exécution et contribuerait par là au développement des institutions
communales.
M. Nothomb. - Nous avons commencé, messieurs,
par nous occuper d’une question de mot, d’une question grammaticale, celle de savoir
quelle dénomination nous donnerons au conseil communal ; sera-ce celle de
conseil municipal, de conseil communal, ou de conseil de régence ? il me
semble, messieurs, que l’honorable préopinant a changé l’état de la discussion,
et qu’il a soulevé une question de principes, qu’il veut troubler par une autre
question de mot.
Je ferai remarquer que cette question de principes trouvera sa place
dans le chapitre relatif aux attributions. En débattant alors le système exposé
par l’honorable préopinant, vous pourrez, tout en conservant la dénomination
d’échevins, changer les attributions des échevins ; car cette dénomination
n’est pas tellement sacramentelle qu’elle entraîne nécessairement telle ou
telle attribution, Il me semble que nous devons ajourner la question de
principes, et conserver la discussion dans les limites qu’elle avait d’abord.
Il faut conserver la dénomination d’échevin, parce qu’elle a pour elle
l’ancienneté, parce qu’elle se rattache à nos souvenirs historiques. La
dénomination d’adjoint n’est pas historique pour nous, elle n’est point
consacrée par le temps ; c’est un emprunt fait à la législation de l’empire.
Je reviens à la première question de mot ; la dénomination de régence a
été importée parmi nous par les lois et règlements hollandais, et je
rappellerai à l’honorable rapporteur de la section centrale que nos anciennes
municipalités portaient le titre de magistrat de telle ou telle ville, de
bailliage, etc., etc.
La dénomination de régence n’a point pour elle l’autorité des souvenirs
historiques que lui attribue l’honorable M.
Dumortier. L’argument tiré de l’étymologie du
mot municipal me touche peu, car si nous avions à rechercher l’étymologie de
tous les mots français qui se trouvent dans nos lois, nous verrions qu’il n’en
est presque aucun qui ne s’écarte du sens qui résulte rigoureusement de
l’étymologie primitive.
Je ferai remarquer aussi
qu’en adoptant le mot municipal, nous avons l’avantage de dire conseil ou corps
municipal et municipalité.
Cet avantage n’est pas à dédaigner : en adoptant conseil communal, nous
n’aurions que cette seule dénomination ; car le mot communauté ne pourrait être
employé.
Enfin le mot régence dans la constitution a une signification particulière
; il faut éviter la confusion qui pourrait résulter du nouvel emploi qu’on veut
donner à cette expression.
Je persiste à penser qu’il faut conserver l’expression d’échevin, et ne
pas admettre celle de régence.
M.
A. Rodenbach. - La constitution consacre les expressions de conseil
communal ; ces expressions me semblent beaucoup plus belges que les mots :
conseil de régence.
Quant à l’étymologie dont on a parlé, le mot régence n’est pas heureux ;
cela vient de régner, gouverner, et on dit aussi la régence d’Alger. (On rit.) Si un étranger venait en
Belgique, et qu’il entendît dire : Je vais à la régence, il demanderait quelle
est cette régence, et si on va faire un voyage en Afrique. (Nouveaux rires.)
L’expression de conseil communal est consacrée par la constitution, il
ne faut pas s’en écarter ; du reste, c’est une question de mots, et je demande
qu’on aille aux voix.
M. de Robaulx. - Je ne conçois pas
l’importance que l’honorable rapporteur attache à faire changer les mots de
conseil municipal adoptés par le projet du gouvernement. Je ne veux pas
cependant laisser sans réponse le seul motif qu’il a fait valoir à cet égard.
L’honorable rapporteur a dit : Il nous faut de l’indépendance ; et
prenez garde, les mêmes mots qu’en France pourraient amener trop facilement la
réunion à
J’ai dit lors de la discussion de la loi sur les toiles qu’il fallait se
rapprocher du système financier français ; quelques membres sont venus me
souffler à l’oreille : M. de Robaulx, prenez garde : il ne faudrait que
souffler sur les frontières pour faire disparaître la douane française. Tant
mieux, ai-je répondu si la douane française est supprimée, nous y gagnerons
beaucoup.
On fait valoir aujourd’hui des motifs aussi futiles, nous avons admis
l’unité monétaire, et nous n’avons pas cru que c’était prononcer la réunion à
Un honorable membre, M.
Pollénus, a dit qu’on pouvait être tranquille ; qu’il y avait une si grande
différence entre les deux constitutions qu’il n’y avait pas à craindre de
réunion à
Je demanderai à M. Dumortier s’il ne craint pas aussi la réunion à
Faisons, messieurs, justice de cette question grammaticale ; les mots
doivent être employés selon leur valeur. Nous faisons une loi en français, nous
devons employer les mots français.
M. Legrelle. - Il m’est aussi à peu près
indiffèrent que l’on consacre la dénomination de conseil de régence ou de
conseil communal, mais je dois repousser le système proposé par M. Pollénus,
relativement à la substitution du mot adjoint à celui d’échevin. Ce système,
d’après le développement que son auteur y a donné, ôterait d’un seul trait tout
le système libéral que nous voulons voir consacré dans la loi communale. C’est
un système de principe qui aurait les plus graves conséquences. Il résulterait
infailliblement de ce principe que le pouvoir municipal résiderait dans la
seule personne du bourgmestre ; nous retomberions sous le régime du consulat et
de l’empire, c’est-à-dire à une époque où il n’existait aucune franchise.
Le maire était tout dans
la ville, et le maire était la machine du pouvoir ; ses adjoints n’étaient que
ses employés, et pour mieux dire ses serviteurs. Le rapport de M. Dumortier
nous a fait voir à quoi ce système nous menait. Qu’avions-nous à l’époque dont
je parle dans le pays ? des adjoints qui étaient tellement au-dessous du maire
qu’ils étaient forcés de lui obéir aveuglément, et qu’ils n’étaient consultés
que pour la forme.
Nous avons un système de liberté, et nous avons une constitution qui
consacre des principes tout autres que ceux que M. Pollénus voudrait introduire
dans la loi. Quant à moi je repousserai tous ces principes.
M. Pollénus. - Un honorable préopinant a dit
que la dénomination d’échevins devait être conservée à titre de souvenirs
historiques. Lorsqu’avec trois de mes collègues je demandais que dans la loi
provinciale on conservât la dénomination d’états provinciaux, on me répondait
que la chose étant changée, il fallait que les mots changeassent.
Ma proposition est la conséquence de cette décision de la chambre. Lorsque
cette dénomination se trouvait dans nos anciennes institutions, les échevins
remplissaient des fonctions de judicature. Je ne pense pas qu’il entre dans les
intentions des honorables membres qui tiennent à la dénomination d’échevins de
leur attribuer des fonctions de judicature.
Je pense que la dénomination d’échevins appliquée à des fonctions
administratives ne présente pas l’idée qu’on y attachait autrefois. Je ferai
observer que ce mot n’existait pas dans les règlements antérieurs à 1825. Je
pense qu’alors c’étaient des assesseurs. Il n’était pas question d’échevins ;
de sorte que le souvenir historique de cette dénomination a été interrompu sous
le gouvernement précédent.
Je dois une réponse à l’honorable M. Legrelle, qui prétend que se sont
les maires de l’empire que je veux. Non ! ce ne sont pas les maires de l’empire
que je veux rétablir, car je ne donne au bourgmestre que des fonctions
d’exécution. Je ne lui donne pas d’autre autorités que celle que cet honorable
membre a jugé à propos d’accorder aux gouverneurs, pour l’exécution des
décisions des conseils provinciaux.
Soit que la chambre pense que le bourgmestre doive
être pris dans le conseil, ou qu’il ne puisse être nommé en dehors que sur sa
présentation, je demande, dans l’un et l’autre cas, si c’est bien sérieusement
qu’on me dit que ce sont les maires ou les bourgmestres de l’empire que je veux
rétablir.
D’ailleurs, avec les institutions de
Je pense que si on remettait la discussion de mon amendement jusqu’à
l’examen du titre des attributions, on serait alors obligé de remplacer ce mot
d’échevins, car il ne répondrait pas à l’institutions que nous voulons
consacrée ; car, dans mon opinion, ils ne seraient que les suppléants du
bourgmestre, et rien de plus dans les fonctions d’exécution.
M. Jullien. - Je commence par déclarer que je
considère la discussion qui s’est élevée comme passablement oiseuse. Cependant,
comme il s’est élevé une question de rédaction, et parce que je pense que la
loi doit parler dignement et clairement, je ne vois pas pourquoi on
substituerait à la rédaction très claire et très précise du gouvernement, celle
de la section centrale qui n’a pas les mêmes avantages. Pour en juger, il
suffit de rapprocher les deux textes.
« Le corps municipal de chaque commune se compose des conseillers,
du bourgmestre et des échevins. »
Voilà une idée bien claire, le corps municipal, l’ensemble des notables
de la commune. Il n’est guère possible d’atteindre le but qu’on se propose
d’urne manière plus positive.
Voici ce qu’on propose de substituer à cet article :
« Il y a dans chaque commune une régence composée des conseillers,
du bourgmestre et des échevins. »
Quand on demande à l’honorable rapporteur la raison de cette différence,
il dit : Il faut d’abord constituer l’institution avant de la définir. Voilà
pourquoi il faut commencer par déclarer qu’il y a dans chaque commune une
régence ; et ensuite définir ce qu’on entend par conseil de régence. Il
semblerait d’après cela qu’il y a table rase, qu’il s’agit de constituer la
commune.
Dès l’instant qu’il y a une commune, il y a dans cette commune des
notables, un corps municipal. Or, je pense que la commune ne fait pas faute. Elle
existe et elle est régie depuis des siècles par des lois positives. Il ne faut
pas commencer par dire qu’il y a dans chaque commune une régence.
Nous sommes censés adopter ce qui existe. Nous reconnaissons l’existence
d’un corps municipal. Mais on a eu la franchise de nous dire : ce n’est pas
seulement pour cela que nous proposons notre amendement, c’est pare que
l’article du projet présenté est conçu dans les termes de la loi française et
que dans les occasions les plus minimes, il faut changer ces expressions pour
consacrer d’autant plus notre indépendance. Si c’est dans les mots qu’on fait
consister notre indépendance, je crains qu’on ne dise : Elle est dans le mot et
non dans la chose.
Je n’attache donc pas la même
importance que le rapporteur à ces différences de dénominations.
L’honorable M. Pollénus a proposé un amendement. Comme il est en
discussion, j’en dirai quelques mots.
Il propose de substituer au mot échevins celui d’adjoints.
Si vous adoptiez cet amendement, vous renverseriez tout le système de
votre loi ; car, d’après la manière dont sont organisés les corps municipaux,
la régence, les échevins font partie du conseil de régence, conjointement avec
le bourgmestre. Si vous en faites des adjoints, ils ne sont plus du conseil de
régence ; ils seront les hommes du bourgmestre, sans attributions spéciales.
Vous les prendrez dans le conseil municipal et ils ne seront que les serviteurs
du bourgmestre ; ils se trouveront au-dessous des simples conseillers, car les
conseillers ont des attributions fixes. Il faudrait désigner les attributions
qu’on veut mettre à la place de celles des échevins.
Dans le pays, messieurs, et dans les Flandres surtout,
le mot échevin est une tradition historique. Dans toutes les anciennes
communes, on connaissait les échevins dans les magistrats.
L’honorable M. Pollénus attribue aux échevins des fonctions judiciaires.
Il est vrai que sons l’ancienne administration française les corps municipaux
réunissaient les fonctions administratives et judiciaires ; mais comme la loi
du 15 août 1790 trace une ligne de démarcation ineffaçable entre le pouvoir
judiciaire et le pouvoir administratif, on peut rassurer l’honorable M.
Pollénus sur les craintes qu’il a manifestées. Quant à moi, je voterai contre
son amendement, et si le ministre abandonne la rédaction de l’article premier,
je la prends pour mon compte et je la fais mienne.
M. de Theux. - Je ne dirai que quelques mots
sur l’amendement de M. Pollénus. D’après les réserves faites, il pourrait le retirer, le reproduire,
quand nous en serons à discuter les attributions du collège et des échevins. La
discussion serait mieux placée dans cette partie de la loi. Cependant je dirai
que l’existence du collège des bourgmestre et échevins me paraît utile. Elle
est à la commune ce que la députation des conseils provinciaux est à la
province, quoique pas précisément au même degré. Mais l’existence du collège a
quelque similitude avec la députation des conseils provinciaux. C’est ce que je
tâcherai de prouver si l’amendement est reproduit plus tard. Quant à la
dénomination, c’est celle de conseil communal que nous devons adopter ; celle
qui est dans la constitution, et elle se trouve en harmonie avec celle adoptée
dans la loi provinciale.
On paraît vouloir renouveler la discussion qui s’est élevée à l’occasion
de la loi provinciale où on voulait donner la dénomination d’états provinciaux.
Ici comme alors, je soutiendrai la dénomination de conseil communal.
M. Dumortier, rapporteur. - Un des
honorables préopinants veut substituer aux mots conseil de régence ceux de
corps municipal. Je demanderai si la constitution parle de corps municipaux.
Elle parle de conseils de régence et de corps communaux. Si vous voulez agir en
conséquence des principes que vous avez émis, vous devez adopter la
dénomination de conseil communal, et non conseil municipal. Le mot municipal ne
saurait s’appliquer aux communes rurales. Les membres qui tiennent à la
littérature et qui l’invoquent quelquefois doivent ici se rallier à mon
opinion. L’expression municipal prise dans cette acception serait vicieuse.
Je vous prie de remarquer que, dans la loi provinciale, on s’était servi
du mot municipal toutes les fois qu’il s’était agi du conseil de la commune, et
qu’on l’a remplace par le mot communal.
On a attaqué ces principes de deux manières. Le premier orateur a
demandé si, en insérant dans la loi le mot de régence, nous ne craignions pas
un retour de la nation belge vers la Hollande. J’ai assez de confiance dans le
sentiment d’indépendance qui existe chez le peuple belge à l’égard de
Je répondrai aux observations de députe de Hasselt. Il désire d’abord
que nous adoptions dans la loi l’expression constitutionnelle de corps
communal. Il demande également le maintien de la dénomination de bourgmestre,
et cependant, par une inconséquence qu’il est difficile d’expliquer, il
voudrait que l’on substituât au nom d’échevins celui d’adjoints. Il a employé
pour justifier son opinion des raisonnements difficiles à concilier. Il demande
la substitution du mot conseil communal à celui de conseil de régence, comme se
trouvant inséré dans la constitution. Mais si l’honorable membre voulait que
l’on maintînt les expressions que porte notre pacte fondamental, s’il les regardait
comme sacramentelles (opinion très contestable d’ailleurs) pourquoi est-il venu
proposer avec moi, lors de la discussion de la loi provinciale, de substituer à
la dénomination de conseil provincial celle d’états provinciaux ?
Si vous voulez pousser votre système jusque dans ses conséquences,
pourquoi n’avoir pas proposé lors de cette discussion le retranchement de
l’expression si caractéristique de gouverneur et la substitution des mots
insérés dans la constitution : commissaire du gouvernement près du conseil
provincial. Pourquoi ne demande-t-il pas actuellement la suppression du mot
bourgmestre et son remplacement par les mots constitutionnels de « chef de
l’administration communale » ? Ce serait suivre le texte sacramentel de
notre pacte fondamental. Si c’était réellement dans des mots qu’existât la
liberté et non dans les choses, il faudrait les reproduire et suivre en tout la
même marche.
Je pense, messieurs ; que cette discussion est assez oiseuse. Cependant,
je répondrai encore quelques mots à ce qu’a dit l’honorable préopinant.
Il a prétendu que dans les premiers règlements on avait consacré le mot
d’assesseur, et que ce ne fut que dans les seconds règlements que l’expression
d’échevins fut introduite. Il en tire cette conclusion que comme il y a eu
cessation de l’emploi de ce mot pendant une période de 25 ans, il n’y a pas de
raison pour en refuser la suppression. Je regrette de devoir dire que
l’honorable préopinant est parti d’une base tout à fait erronée. Les fait
véritables différent complètement de ceux qu’il a cités. Voici comme étaient
conçus les premiers règlements. (Aux voix
! aux voix !) Je prie les interrupteurs de me laisser achever. Je ne les
interromps jamais. J’ai la parole comme rapporteur de la section centrale, ils,
ne peuvent me la retirer.
L’assertion de l’honorable député de Hasselt est tellement inexacte, que
dans les premiers règlements des villes et des communes c’était l’expression
d’échevins qui s’appliquait aux fonctions d’adjoints ; et ce ne fut que dans
les seconds règlements qu’elle fut remplacée par celle d’assesseurs pour les
communes rurales. (Bruit, interruption.)
J’ai dit, messieurs, que je n’attachais pas d’importance au changement
du mot de conseil de régence ; mais je regarde comme beaucoup plus sérieuse
l’introduction du mot d’adjoint. Elle entraînerait le bouleversement total de
nos idées en matière d’organisation communale.
Je m’oppose donc à la proposition de l’honorable M. de Theux qui a
engagé M. Pollénus à ajourner la présentation de son amendement. Je demande au
contraire que la chambre donne immédiatement son vote sur cet amendement. (Appuyé.)
Plusieurs voix. - La clôture !
M. Dumortier, rapporteur. - Je ferai
remarquer, quant au mot régence, qu’il se trouve déjà consigné dans la loi
provinciale.
- La clôture est demandée.
M. le président. - M. Jullien a la
parole pour un fait personnel.
M. Jullien. - M. Dumortier a pensé que je lui
avais adressé le reproche de voir l’indépendance nationale dans les mots et non
dans les choses. C’est précisément le contraire de ce que j’ai dit. J’ai pensé
que l’honorable M. Dumortier, voyant l’indépendance de notre pays dans les
choses, ne devait pas tenir à la placer dans les mots.
Puisque j’ai la parole…
Plusieurs voix. - Pour un fait personnel seulement.
M. Jullien. - Il me semble que la dénomination
de conseil communal doit être adoptée.
Une voix. - Pourquoi parlez-vous sur le fond ?
M. Jullien. - Parce que vous me laissez faire.
M. le président. - Je ne puis permettre
à M. Jullien de parler sur le fond.
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et adoptée.
La proposition de M. Pollénus, c’est-à-dire la substitution du mot
d’échevin par celui d’adjoint, est mise aux voix. Elle n’est pas adoptée.
M. le président. - Je
vais mettre aux voix la proposition de la section centrale.
M. Dumortier. - J’ai dit que je ne m’oppose
pas à la suppression du mot régence. Cependant je tiens à ce que la rédaction
de la section centrale soit conservée et que l’article 1er porte :
« Il y a dans chaque commune un corps communal, etc. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai entendu me rallier à la rédaction de la
section centrale, sauf à ce que la suppression du mot régence fût adoptée par
la chambre. L’article 1er du projet de la section centrale est plus conforme à
l’article 1er de la loi provinciale que ne l’était celui du gouvernement.
- La suppression du mot régence de l’article 1er est mise aux voix et
adoptée.
M. de Robaulx. - Si vous
remplaciez le mot bourgmestre par la dénomination de maire, croiriez-vous que
cette substitution pût amener la réunion à
- L’ensemble de l’art. 1er est mis aux voix et adopté.
M. le président. - On passe à l’article
2.
M. Dumortier, rapporteur. - Je
demande que le premier paragraphe de l’art. 2 de la section centrale soit
supprimé, mais que le deuxième paragraphe soit maintenu. Il faut que le
principe d’élection soit consacré dans la loi.
M.
de Robaulx. - Mais est-ce que l’on escamotera l’élection des
bourgmestres et des échevins ? Vous déclarez que les conseillers communaux sont
élus directement. Comme je désire que cette élection directe s’étende aux
bourgmestres et aux échevins, je demande que l’art. 2 soit ainsi conçu :
« Les conseillers, les bourgmestres et échevins, etc. »
M. Dumortier, rapporteur.
- Je crois que la rédaction actuelle doit satisfaire l’honorable M. de Robaulx. Le principe n’est pas
préjugé dans l’article 2 ; comme les bourgmestres et les échevins seront
exclusivement choisi dans le sein des conseils d’après le projet de la section
centrale, il est donc entendu que ces fonctionnaires seront nommés
indirectement par les électeurs. Mais si M. de Robaulx désire que cette
élection soit directe, je lui conseille d’ajourner son amendement jusqu’à la
discussion de l’article qui est relatif au mode de nomination de ces
fonctionnaires.
J’engage l’honorable membre a ajourné sa proposition jusqu’à la
discussion de l’article 7 ou de l’article 9.
M. Jullien. - Je crois que la
discussion ne se présentera pas dix fois si l’on admet la proposition de M. de
Robaulx et si l’on dit : « Les membres du corps communal sont élus
directement par les collèges électoraux. » Par là vous comprenez le
bourgmestre, les échevins et les conseillers.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - On comprend parfaitement
bien les scrupules qui ont motivé à l’amendement de M. de Robaulx et je crois
en effet que par la distinction faite dans l’article premier des trois
catégories de fonctionnaires, en s’arrêtant aux expressions de l’article deux,
il y aurait préjugé que les échevins ne sont pas nommés directement. Il y a
deux moyens de couper court la difficulté et si l’honorable orateur de la
proposition veut me prêter quelque attention, il pourra retirer son amendement.
M. de Robaulx. -
C’est à moi que le ministre parle ?
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je parle à toute
l’assemblée. Voici les moyens qui se présentent. Premièrement un changement
dans la rédaction ; secondement, ajourner tout jusqu’à ce qu’on ait prononcé
sur les art. 7 et 9. Si l’on veut voter l’article je maintiendrai l’amendement.
M. d’Huart. - Il semblerait que l’on voudrait abandonner le
paragraphe premier de l’article. Je crois utile de dire que le corps communal
s’appellera conseil communal. Si on veut ajourner l’article, il est vrai que
mes observations pourront se reproduire.
M. Dumortier, rapporteur.
- Il me semble qu’on doit dire : « Le conseil prendra le nom de conseil communal »
; il est incontestable que le corps communal ne peut prendre le titre de
conseil ; c’est le conseil qui peut porter le nom de conseil communal. Il faut
dire cela ou rien.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que la loi consacrera les expressions qui
seront employés. Quand il s’agira du corps délibérant, ce sera le conseil ;
quand il s’agira du pouvoir exécutif, ce sera le bourgmestre et les échevins.
L’ensemble s’appelle corps communal.
- La chambre ajourne la discussion de l’article 2 après la délibération
sur les articles 7 et 9.
Article
3
« Art. 3. (de la section centrale). Le corps communal est composé :
« - de 7 membres dans les communes de 2000 habitants et au-dessous
;
« - de 9 membres dans celles de 2,000 à 5,000 habitants ;
« - de 11 membres dans celles de 5,000 à 10,000 habitants ;
« - de 13 membres dans celles de 10,000 à 15,000 habitants ;
« - de 15 membres dans celles de 15,000 à 20,000 habitants ;
« - de 17 membres dans celles de 20,000 à 25,000 habitants ;
« - de 19 membres dans celles de 25,000 à 30,000 habitants ;
« - de 21 membres dans celles de 30,000 à 35,000 habitants ;
« - de 23 membres dans celles de 35,000 à 40,000 habitants ;
« - de 25 membres dans celles de 40,000 à 45,000 habitants ;
« - de 27 membres dans celles de 50,000 à 60,000
habitants ;
« - de 29 membres dans celles de 60,000 à 70,000 habitants ;
« - de 31 membres dans celles de 70,000 et au-dessus. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je me réunis à l’opinion de la section centrale.
M. le président. - M. de Theux présente
l’amendement suivant :
« Le corps communal est composé de 7 membres dans les communes
au-dessous de 1,000 habitants.
« de 9, dans les communes de 1,000 à 3,000.
« de 11, dans les communes de 3,000 à 10,000. »
Le reste comme au projet de la section centrale,
M. de Theux. - Vous avez remarqué que
le projet de la section centrale renferme une rédaction contradictoire, quant
aux premiers chiffres. En outre, les nombres que j’ai choisis me paraissent
plus avantageux pour les communes ; les chiffres de la section centrale me
paraissent trop restreints. La section centrale propose, dans son projet, de
donner au gouvernement la nomination du bourgmestre en le choisissant dans le
conseil. Il faut donc que le conseil soit nombreux.
Nous avons un très grand nombre de communes d’une population très
faible, par exemple de 100 habitants à 500, il y a 7 conseillers dans ces
communes, on pourra les trouver ; ainsi pour les communes de 1,000 habitants à
2,000, on peut en trouver facilement 9.
Le plus grand nombre des conseillers a aussi cet avantage qu’il rend
plus difficile cet esprit de famille si nuisible dans les administrations
communales. Je ne crains pas de le dire, la source de tous les abus dans ces
administrations, c’est l’esprit de famille. Pour remédier à ces abus, c’est
rendre un véritable service que d’élargir le cercle du conseil communal.
En principe, un plus
grand nombre de conseillers est encore plus utile lorsque le conseil communal
est appelé à délibérer sur des objets très importants, tels que l’aliénation
des biens et les emprunts communaux. Il est très important pour ces cas d’élargir
le cercle du conseil, afin que sa décision soit impartiale et à l’abri de toute
contestation.
Je rappellerai en terminant que dans les anciens règlements les états
étaient autorisés à élever le nombre de conseillers communaux selon la
population et dans des cas voulus.
M. Dumortier, rapporteur. -
Messieurs, l’amendement de l’honorable M. de Theux consiste en plusieurs choses
: d’abord il veut que l’on dise : « la commune au-dessous de tel
chiffre, » puis il met le mot au-dessus avant le chiffre de la population
; j’adopte ces deux changements comme rendant la rédaction de l’article plus
claire.
L’honorable député demande ensuite que l’on modifie le chiffre de la population,
qu’on adopte pour première base le chiffre 1,000 habitants, seconde base le
maximum de 3,000, et pour troisième base le maximum de 10,000.
Si l’honorable préopinant s’était borné à proposer la première base, je
me réunirais à son amendement. En effet, d’après le tableau fourni en dernier
lieu par M. le ministre ( tableau 4), il résulte que sur 2,738 communes, il y
en a 1,581 au-dessous de 1,000 habitants.
Quant à la deuxième et la troisième base proposées, il
me semble qu’il y aurait quelques inconvénients à les adopter. Entre ces deux
bases, de 3,000 à 10,0000, il y a une différence de 7,000, dans laquelle vient
se classer un nombre considérable de communes.
Je crois qu’il ne faut pas adopter cette différence et qu’il faut
maintenir l’augmentation admise de 5,000 en 5,000. Cette augmentation met la
loi en harmonie avec ce qui a été décidé relativement au cens électoral.
Je sous-amenderai la disposition de M. de Theux et proposerais de mettre
5,000 au lieu de 3,000.
M. de Theux. - Je suis d’accord avec
l’honorable rapporteur sur le point principal de mon amendement, nous différons
en ce sens qu’il ne veut accorder que 9 conseillers aux communes de 3,000 à
5,000 âmes, tandis que d’après mon amendement, j’en accorde 11.
Messieurs quoi qu’il
puisse être beau d’avoir une proportion décimale, il est encore plus beau, dans
l’intérêt des communes de leur accorder 11 conseillers pour voter sur les
aliénations de leurs biens, et sur les emprunts, et sur les taxes communales.
Le chiffre que je propose était celui du gouvernement, je ne vois pas
pourquoi la section centrale voudrait priver les communes d’avoir deux
conseillers de plus.
Je ferai remarquer en outre que si le bourgmestre est choisi dans le
sein du conseil communal, le gouvernement aura plus de facilité pour faire son
choix, alors que le nombre des conseillers sera accru.
M. Dumortier, rapporteur. - Je retire
mon sous-amendement, afin d’aller plus vite.
- L’article 3 est adopté avec l’amendement de M. de
Theux.
« Art. 4 (de la section centrale). Dans les communes composées de
plusieurs sections ou hameaux détachés, la députation permanente du conseil
provincial peut déterminer, d’après la population, le nombre de conseillers à
élire parmi les éligibles de chaque section ou hameau.
« Dans ce cas, tous les électeurs de la commune concourent ensemble
à l’élection.
« Il y a, néanmoins,
un scrutin séparé pour chaque section ou hameau. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) déclare se réunir à cet article.
M. de Robaulx. - Je demanderai à
M. le rapporteur pourquoi on ne fait pas à la députation provinciale
l’obligation de déterminer le nombre des conseillers à élire parmi les
éligibles de chaque section ou hameau.
M. Dumortier, rapporteur.
- La loi aurait été inexécutable, si nous avions admis le principe d’une
manière absolue. Il y a des communes qui n’ont que sept conseillers à élire, et
qui ont 24 hameaux. En ayant égard à ce cas, nous avons préféré adopter la
proposition du ministre, qui laissait à la sagesse de la députation provinciale
à déterminer le nombre des conseillers à élire dans les sections ou hameaux.
M. le ministre de
l'intérieur (M. Rogier) - Si on devait
prendre parmi les éligibles d’un hameau, un ou deux conseillers chargés de
représenter ce hameau, il faudrait quelquefois exécuter une chose impossible,
car il peut se faire que dans ce même hameau, il n’y ait pas d’éligibles.
Ensuite, s’il n’y a que deux éligibles, on ne peut imposer à la commune le
choix de ces deux éligibles pour conseillers.
M. de Robaulx. - J’apprécie les
raisons qui viennent de nous être données, mais le conseil devrait faire un
règlement pour le fractionnement des élections. Dans quel délai ce règlement
sera-t-il fait ?
M. Dumortier, rapporteur. - Nous
avons pensé qu’il n’y avait pas lieu à s’occuper de cet objet, les habitants
des hameaux pourront réclamer auprès de la députation provinciale. (Aux voix ! aux voix !)
- L’article est mis aux voix et adopté.
Article
5
« Art. 5 (projet du gouvernement). - Nul ne peut être conseiller
s’il ne réunit les conditions nécessaires pour être électeur dans la commune.
« Toutefois un tiers au plus des membres du conseil peut être pris
parmi les habitants domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient le
cens électoral dans celle où ils sont élus. »
« Art. 5 (projet de
la section centrale). - Nul n’est éligible s’il n’est pas âgé de 25 ans
accomplis, et s’il ne réunit pas en outre les qualités requises pour être
électeur dans la commune.
« Toutefois, un tiers au plus des membres du conseil peut être pris
parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient le
cens électoral dans celle où ils sont élus, et qu’ils satisfassent aux autres
conditions d’éligibilité.
« Les fils d’électeurs sont éligibles sont devoir justifier du cens
électoral, pourvu qu’ils remplissent les autres conditions
d’éligibilité. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Malgré mon désir d’abréger la discussion, je ne
puis me rallier à la proposition de la section centrale.
M. le président. - Ainsi si cette
disposition était adoptée, elle serait considérée comme amendement.
M.
d’Hoffschmidt. - La section centrale propose
dans cet article une innovation que je ne puis approuver. Elle n’admet pour
éligibles que les personnes payant un cens. Elle prive par là ainsi que le fait
le projet du gouvernement, une grande partie de nos concitoyens d’un de leurs
plus beaux droits, celui d’être choisi par leurs concitoyens pour défendre
leurs intérêts. La section centrale dit, pour motiver cette innovation,
contraire aux vrais principes, que l’expérience a démontré que les personnes
qui ne possèdent rien sont plus souvent des agents de trouble que d’ordre
public, tandis que ceux qui ont quelque chose à perdre dans le trouble et le
désordre sont par cela même intéressés à ce que l’ordre ne puisse être troublé.
C’est surtout dans les administrations communales qu’il faut craindre ceux qui
sont toujours prêts à faire naître du désordre.
C’est là, messieurs, faire le procès à une grande partie des habitants,
qui jusqu’à présent ont joui de tous les droits politiques,, sans distinction
de cens.
Pour être éligible à la chambre et au conseil provincial, il suffit
d’être Belge et d’avoir 25 ans, pourquoi voulez-vous faire une distinction pour
les membres du conseil municipal, sous le prétexte que ceux qui ne possèdent
rien sont des agitateurs. Je ne comprends pas que le rapporteur ait inséré une
semblable considération dans son rapport. Je ne trouve pas cela fort libéral.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.
M.
d’Hoffschmidt. - Je viens de le lire
textuellement dans votre rapport. Cela m’a étonné, car le projet de la section
centrale est en général très libéral. Et certes, la disposition qui tend à
priver les trois quarts de la population du droit d’éligibilité ne l’est pas du
tout.
Comment, messieurs, vous ne voulez pas que le citoyen qui jouit de la
confiance et de l’estime générales puisse être élu ? A Bruxelles, par exemple,
s’il ne paie que 119 fr. de contributions vous le déclarez inhabile ; à vos
yeux, il n’est pas bon citoyen, car il n’est pas assez riche ; c’est là une doctrine
que je ne m’attendais pas à voir prononcer ici.
Laissez aux électeurs le soin d’apprécier les hommes qui leur
conviennent. Ils sont plus à même de juger chez eux ceux qui sont le plus
capables d’administrer la commune. Quant à ceux qui seraient troublés, vous
n’avez pas à craindre de les voir siéger dans le conseil, ils ne seront pas
élus.
La section centrale, dans un autre passage, a, en parlant des membres
qui seraient à la fois élus dans plusieurs conseils, exprimé mieux que je ne
l’ai fait l’opinion que je viens d’émettre.
Voici ce qu’elle dit :
« Dans la section centrale on a pensé qu’il faut laisser de la
latitude aux électeurs, surtout dans les campagnes ; que c’est à eux à
connaître ceux qui conviennent mieux aux intérêts de leur localité, et que, si
un citoyen jouit tellement de l’estime publique qu’il est élu dans plusieurs
communes, il y aurait injustice à l’écarter. En conséquence, l’amendement n’a
pas été admis. »
Vous voyez donc que d’après le principe même de la section centrale, il
faut laisser les électeurs juges de ceux qu’ils veulent élire. Je trouve une
contradiction manifeste avec ce que dit le rapport sur les éligibles.
Mais, messieurs, ce serait une absurdité de limiter le choix des
électeurs. Les conseils sont toujours composés des hommes les plus notables,
car c’est toujours sur eux que ceux qui paient le moins de contributions
portent leurs suffrages. En supposant qu’un septième du conseil, c’est le plus,
fût composé d’hommes ne payant pas le cens, je vous demande le grand mal qu’il
y aurait, si ces citoyens jouissaient de la confiance des électeurs, et il
faudrait qu’il en fût ainsi puisqu’ils auraient été élus.
Est-ce pour un motif aussi futile que vous voudriez fausser un principe
? Je passe au second paragraphe.
La faculté de nommer un citoyen d’une autre commune me paraît devoir
entraîner de graves abus. Cette circonstance ne se présentera que rarement, car
on n’ira pas chercher un étranger pour administrer la commune, mais comme cela
pourrait arriver, je viens m’opposer à ce que la faculté en soit insérée dans
la loi.
Comme les fonctions de conseillers sont gratuites, beaucoup de membres
les exerceront avec indifférence, les cultivateurs de l’endroit abandonneront
déjà avec peine leurs travail pour aller assister au conseil, jugez ce que ce
sera quand il faudra faire une lieue ou deux ; vous savez que la loi ne
contient pas de pénalité contre ceux qui n’assisteraient pas aux séances. On
n’a pas intention d’en introduire, et le fît-on, elle serait illusoire, car il
suffirait de faire dire qu’on est malade.
Les conseillers étrangers à la commune n’assisteraient jamais au
conseil, car quoiqu’en payant des contributions ils n’auraient aucun intérêts
d’assister aux séances du conseil don les principales occupations seraient des
mesures d’administration.
Il convient donc de
supprimer ce paragraphe. Il faudrait qu’une commune fût bien pauvre pour ne pas
renfermer dans son sein sept personnes capables de s’occuper des affaires de la
commune. Il ne faut pas des qualités éminentes pour faire partie d’un conseil
communal. La droiture et le bon sens suffisent. Ce ne sont pas les mauvais
petits avocats de villages qui font les meilleurs conseillers.
Je propose de rédiger ainsi l’article : dire uniquement que pour être
éligible, il suffit d’être Belge de naissance ou avoir obtenu la naturalisation
; jouir de ses droits civils et politiques et être domicilié au moins depuis le
premier janvier qui précède l’élection.
M. le président. - M. de Robaulx propose
un amendement qui consiste à ajouter ces mots : dans les communes ayant moins
de 300 habitants.
M. de Robaulx. - Mon amendement
est un terme moyen entre la proposition de la section centrale et l’amendement
de M. d’Hoffschmidt. Il serait ridicule que dans une ville de 25,000 âmes, il
fût permis de chercher le tiers du nombre de conseillers hors de la commune.
Pourquoi avez-vous voulu cette exception ? C’est pour que là où la pénurie des
habitants peut faire sentir la nécessité de recourir aux communes voisines,
cette faculté ne fût pas refusée dans un cas extraordinaire. Je conçois donc
que dans une petite commune l’on sente le besoin de nommer des conseillers qui
n’y sont pas domiciliés. Mais dans une commune de 25,000 habitants, où donc est
la nécessité ? Je crois donc établir une limite où s’arrête cette faculté.
Telle est le but de mon amendement ; et je propose que la limite soit fixée à
300 habitants.
Une voix. - A mille.
M.
de Robaulx. - Comment à mille ? La plupart de nos communes rurales
n’ont guère une population plus élevée, et vous voudriez que dans une commune
de 1,000 à 800 habitants on pût aller chercher hors de son territoire 7
conseillers ? Avez-vous jamais entendu parler que dans les chefs-lieux de
cantons, dont la population est quelquefois très peu considérable, il y ait eu
pénurie d’hommes éligibles au conseil cantonal ? Je crois la limite que j’ai
proposée bien suffisante.
M. d’Hoffschmidt. - Il y a peu de communes qui n’aient que 300 âmes.
M. de Robaulx. - Je ne prolongerai
pas le développement de ma proposition. Je laisse à votre sagesse de décider.
M. Angillis. - Je viens appuyer l’amendement
de M. de Robaulx. En général, je
ne vois pas qu’il faille admettre dans le sein des conseils communaux des
hommes qui n’y soient pas domiciliés. J’ai vu combien, sous l’ancien
gouvernement, l’on a abusé d’une pareille disposition. L’on nommait
bourgmestres des seigneurs qui habitaient des châteaux situés à plusieurs
lieues du siège de leur administration, par le seul motif qu’ils y possédaient
quelques propriétés. Ils s’abstenaient de la résidence pendant la plus grand, partie
de l’année, et lorsqu’ils venaient rendre visite à leurs administrés c’était
pour agir en petits souverains. Ils abandonnaient le soin des affaires
communales à l’une de leurs créatures. Si vous admettiez le principe pour les
communes de quelque importance, vous verriez devenir bourgmestres des étrangers
demeurant à plusieurs lieues de la commune. Or, la possession de propriétés
situées dans la commune ne constitue pas un intérêt direct. La commune ne règle
rien de ce qui est relatif aux propriétés foncières. Celles-ci ressortent de
l’administration générale et quand il y a contestation des tribunaux.
J’appuierai l’amendement de M. de Robaulx parce qu’il peut se trouver
réellement des communes dont la population n’offre pas un nombre suffisant
d’hommes capables d’exercer les fonctions de conseillers. Mais l’exception sera
infiniment rare, et il faut en restreindre le plus possible l’application.
Il y a cependant dans l’article en discussion
quelque chose que je ne comprends pas. L’article 5 dit qu’un tiers des membres
des conseils communaux pourra dans certains cas être choisi hors du sein de la
commune ; d’un autre côté il est dit dans un autre article, que pour être
électeur il faut être domicilié dans la commune. Il y a ici une inconséquence
ou tout au moins une confusion qu’il serait utile d’écarter.
Pour ce qui est de l’amendement de M. d’Hoffschmidt, je ne puis
l’adopter, non pas que je croie que ceux qui n’ont rien sont des agents de
désordre. Mais je pense que pour être élu conseiller communal, il faut
représenter quelque chose, et ceux qui n’ont rien ne représentent rien.
M. H. Dellafaille. - La nécessité de payer un cens électoral pour pouvoir être éligible
n’appartient pas à la section centrale. Elle existait dans le projet du
gouvernement et la section y ayant vu une garantie d’ordre, en a prononcé le
maintien. Ajoutez à cela que le cens électoral est si faible que ceux qui ne le
paient pas ne sont pas censés être en état de remplir les fonctions de
conseillers.
M. d’Hoffschmidt s’est élevé contre le paragraphe de l’article qui
permet de prendre en dehors de la commune le tiers du nombre des conseillers.
Cette disposition est indispensable pour les communes rurales, où il arrivera
souvent que l’on ne pourra trouver 7 personnes en état de faire partie du
conseil local. Un honorable député a soutenu l’opinion contraire. Je doute
qu’il puise la motiver suffisamment.
Il faut commencer par défalquer les pauvres dans les communes qui
forment le quart ou le cinquième de la population ; ce n’est pas dans cette
classe qu’on ira prendre des conseillers. Il faut ensuite défalquer les enfants
et les femmes. Dans une commune de trois cents habitants vous trouverez 50 à 60
familles environ. Il faut encore défalquer les ouvriers, les journaliers,
lesquels, sans être à la charge des bureaux de bienfaisance ou à la mendicité,
ne sont pas capables d’être conseillers.
Les élections rouleront entre très peu de familles, et
les électeurs pourront se plaindre de n’avoir pas assez de latitude dans leurs
choix ; ce sont les habitants qui choisissent ; il n’est pas possible que la
faveur s’en mêle ; ils choisiront des personnes dignes de leur confiance, et si
les élus trompaient l’espoir des électeurs, ils ne seraient pas réélus.
L’honorable M. Angillis demande pourquoi on exige d’autres conditions
pour l’étranger, que celles de payer le cens : c’est pour que l’étranger soit
Belge et jouisse des droits politiques.
M. de Theux. - Je pense que l’on peut
adopter l’article de la section centrale. Il faut que l’élu ait 25 ans,
autrefois il fallait également 25 ans pour les villes, et on n’exigeait que 23
ans pour les campagnes. C’était une anomalie. Il est plus simple d’adopter la proposition
de la section centrale.
MM. d’Hoffschmidt et de Robaulx combattent cette proposition d’après
laquelle un tiers des membres du conseil peuvent être pris dans une autre
commune pourvu qu’ils paient le cens dans la commune où on les élit : cette disposition
me paraît utile ; elle n’existait pas dans les villes, ni dans le plat pays ;
mais c’est une innovation utile.
Vous admettez dans le conseil municipal un homme qui ne paie aucune
contribution s’il est domicilié dans la commune ; par compensation ne
devez-vous pas admettre celui qui paie dans la commune quoiqu’il n’y soit pas
domicilié. En adoptant l’amendement de M. de Robaulx et de M. d’Hoffschmidt, un
homme habitant depuis plusieurs années dans une commune, payant ses
contributions dans cette commune, ne pourrait point y être élu, tandis que
celui qui serait domicilié dans une commune pourrait être élu quoiqu’il n’y
payât pas de contributions.
Nous devons autant que possible faciliter les choix des membres du
conseil municipal ; sous quelque rapport qu’on envisage la mesure, on ne peut y
voir qu’un objet utile et point d’inconvénient.
Il est impossible que l’homme qui a la confiance des électeurs soit
indigne de faire partie du conseil et ne s’occupe pas des intérêts de la
commune.
Il y a lieu de maintenir la proposition de la section centrale et de
rejeter les deux amendements.
M. Seron. - A demain !
M. de Robaulx. - C’est une
question importante : à demain
M. Fallon. - Faites imprimer les amendements.
M. Dumortier, rapporteur. - Je
demande à faire une simple observation. L’article est pris au projet du
gouvernement ; ainsi on ne peut le reprocher à la section centrale ; c’est au
gouvernement à le défendre.
M.
d’Hoffschmidt. - Je demande la parole
pour demain.
- Plusieurs membres quittent leurs banquettes.
M. Dumortier, rapporteur. - Je
demande à répondre à M. d’Hoffschmidt. (Bruit.)
M. d’Hoffschmidt m’a inculpé sur une phrase du rapport dont il a tiré la
conséquence que selon moi tout homme qui n’a pas de moyens pécuniaires est un
agitateur de troubles. Je proteste hautement contre une pareille inculpation.
C’est changer les expressions du rapport que de les interpréter ainsi.
J’ajouterai que les expressions que j’avais moi-même mises dans le rapport ont
été changés ensuite par la section centrale.
- La séance est levée à 4 heures et demie.