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d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 28 février 1834
Sommaire
1) Motion d’ordre relative à l’arrestation du commissaire de district Hanno par le gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg (Jullien, Legrelle, Pollénus, de Theux, d’Huart, de Theux)
2) Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1834. Discussion des articles.
a) Cultes. (A : Traitement du clergé catholique ; B : traitement de l’abbé Helsen ; C : attribution aux fabriques d’église de biens cédés du domaine ; D : instruction publique ; E : palais épiscopaux ; F : bourses en faveur des séminaires (B et C (Seron), A, D, E, F et C (Jullien), A, D (A. Rodenbach), A (Jullien), A, F, C (de Theux), A (Dewitte, Rogier))
b) Garde civique (Rogier) et subsides aux villes (Rogier)
c) Travaux publics. Bâtiments publics (hôtel Torrington) (de Puydt, Rogier, Gendebien, Rogier, Jullien, Gendebien, Rogier, Gendebien, Jullien, Rogier)
3) Projet de loi portant des transferts de crédits au sein du budget du département de la guerre. Motion d’ordre relative à l’arrestation du commissaire de district Hanno par le gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg (d’Hoffschmidt, F. de Mérode, d’Hoffschmidt, Gendebien, d’Huart, de Puydt, d’Huart, F. de Mérode, Angillis)
(Moniteur belge n°60, du 1er mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
Les pièces adressées à
la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
MOTION D’ORDRE
RELATIVE A L’ARRESTATION DU COMMISSAIRE DE DISTRICT HANNO PAR LE GOUVERNEUR
MILITAIRE DE
M.
Jullien. - Messieurs, si la chambre veut s’occuper aujourd’hui du
budget de l’intérieur, je dois déclarer que mon intention est de prendre la
parole sur plusieurs articles du chapitre des cultes et que, par suite, la
discussion qui s’engagerait pourrait être fort longue. Je me propose
particulièrement d’appeler l’attention de la chambre, à l’occasion des
fabriques, sur l’arrêté du 7 janvier dernier, arrêté que je considère comme
inconstitutionnel, comme étant un arrêté de pleine puissance et de propre
mouvement, au moyen duquel le gouvernement s’est permis de doter les fabriques
avec les biens restés sous le scellé du domaine, et qui par conséquent
appartiennent au domaine national : vous voyez que la discussion sera grave et
très sérieuse ; elle pourrait demander beaucoup de temps. C’est à la chambre à
décider si elle donnera la priorité au budget de l’intérieur ou au rapport de
la commission sur le projet de loi présenté par le ministre de la guerre.
Je
crois que la chambre doit s’occuper, toute affaire cessante, du rapport sur le
département de la guerre ; il n’y a pas d’affaire plus urgente que celle-là :
que diriez-vous d’un homme qui, après avoir reçu un affront sanglant qui
porterait le déshonneur sur lui et sur sa famille, et qui, lorsque le moment
serait venu de réparer cet affront, ne voudrait pas se distraire des soins de
son ménage pour obtenir cette réparation ? c’est dans cette position que vous
êtes placés. Je demande que l’on s’occupe du rapport sur la proposition du
ministre de la guerre et du rapport présenté par le ministre des affaires
étrangères.
Messieurs, il y a une
autre raison déterminante à procéder ainsi que je le demande ; c’est qu’il peut
résulter de la discussion des rapports que la chambre hésiterait à confier les
deniers de l’Etat au ministère qui aurait perdu sa confiance ; vous voyez bien
que sous ce point de vue les rapports doivent avoir la priorité de discussion.
Dans tous les cas, je la réclame.
M. Legrelle. - je crois que la motion de
l’honorable membre ne saurait être adoptée ; il y a ici chose jugée. Vous avez
décidé avant-hier que vous discuteriez les rapports après le vote sur le budget
de l’intérieur, et c’est ce que vous devez faire. Il n’y a plus que le chapitre
des cultes et le chapitre de la garde civique à mettre en délibération. Le
ministre de la guerre n’est pas présent ; il faudrait l’attendre et perdre un
temps précieux.
M.
Pollénus. - Je prie la chambre de me permettre d’invoquer à mon tour
une décision de la chambre, qui me paraît présenter une autorité de chose jugée
de force égale à celle invoquée par l’honorable M. Legrelle ; du moins qu’il me
soit permis de vous exprimer de quelle manière j’ai compris la décision que
j’invoque pour appuyer la proposition de M. Jullien.
C’est à l’occasion du
budget de l’intérieur que M. d’Hoffschmidt fut autorisé par la chambre à
adresser au ministère quelques interpellations relatives à des actes
d’administration dans la province de Luxembourg que le commandant militaire de
la place voulait interdire au gouvernement ; agissant en exécution d’un traité
du 21 mai, garanti par le deux plus puissants monarques de l’Europe.
En accueillant les
interpellations formulées par notre collègue du Luxembourg, la chambre me
semble avoir admis que les explications que donnerait le gouvernement étaient
de nature à devoir influer sur le sort du budget du ministre de l’intérieur.
Pour ma part, c’est
ainsi, que j’ai compris la résolution de la chambre.
Je vous ai cité hier un
document qui est relatif à l’exercice du pouvoir fédéral dans le Luxembourg ;
je vous ai dit que d’après le recès de la commission territoriale de Francfort
du 20 juillet 1819 les droits de la confédération germanique se bornent à la
place de Luxembourg, sans altérer en rien les droits de souveraineté et
d’administration du souverain du grand-duché.
D’après ceci, il est
évident que les entraves que met la diète à l’administration du gouvernement
dans le Luxembourg sont non seulement en opposition avec le traité qui nous
garantit le statu quo dans le Luxembourg, mais l’est également avec les traités
qui primitivement ont fixé les droits de la diète dans la forteresse fédérale.
Si donc le gouvernement
faisait abnégation de nos droits sur le Luxembourg, s’il consentait à
abandonner l’exploitation des coupes ordinaires des bois appartenant au domaine
public, s’il consentait à laisser repousser les agents de police qui doivent protéger
les personnes et les propriétés, s’il abandonnait l’exécution des lois sur la
milice et cela sur les injonctions du général prussien, je dois déclarer que si
telles étaient les intentions du ministre de l’intérieur, je ne pourrais
concilier une telle administration avec les garanties que tout gouvernement
doit aux habitants du pays qu’il gouverne.
A
côté des obligations que les lois belges imposent aux habitants du Luxembourg
se trouve nécessairement le devoir pour le gouvernement de protéger les personnes
et les biens.
Je n’anticiperai pas sur
la discussion du rapport du ministre des affaires étrangères, mais je dois
déclarer que si le ministère ne me donne pas des assurances qu’il emploiera les
moyens que nous lui avons offerts dans l’adresse pour poursuivre la réparation
de l’attentat du général prussien, et pour stipuler des garanties pour en
prévenir le retour et assurer l’exécution des lois dans la province de
Luxembourg ; je dois déclarer, dis-je, que je ne pourrais donner un vote
favorable au budget du département de l’intérieur ; et ces assurances ne
peuvent résulter, suivant moi, que de la discussion du rapport, qui par
conséquent. doit précéder le vote du budget.
M. de Theux. - Nous ne pouvons pas
scinder la discussion du budget de l’intérieur. La chambre a décidé, quand on
lui a présenté le rapport sur la proposition du ministre de la guerre, que la
discussion s’établirait sur cette proposition après la délibération sur le
budget de l’intérieur. Tout le monde s’est aussi préparé pour prendre part à
cette délibération ; moi-même je n’ai point apporté le rapport fait par M. le
ministre des affaires étrangères, ni le rapport fait par M. Gendebien. Il ne suffit pas qu’un
membre dise qu’il élèvera une longue discussion pour que la chambre revienne
sur sa décision.
M. d’Huart. - Lorsque l’on a décidé que l’on s’occuperait du rapport fait par le
ministre des affaires étrangères après la délibération sur le budget de
l’intérieur, c’est que l’on croyait que le budget serait promptement voté ;
mais la discussion prend beaucoup de temps et elle peut encore éloigner la
discussion importante du rapport dont on a parlé.
La proposition de M. le
ministre de la guerre est à l’ordre du jour, rien n’est plus urgent que de s’en
occuper ; il s’agit de l’existence du pays ; elle doit être mise en discussion
toute affaire cessante. Je demande donc que l’on commence la discussion sur le
rapport du ministre des affaires étrangères et sur le rapport de M. Gendebien. (Appuyé ! appuyé !)
M. de Theux. - Il importe peu que le
rapport de M. Gendebien soit à l’ordre du jour ; il n’en est pas moins décidé
qu’il doit être discuté après le budget de l’intérieur. On allègue des motifs
d’urgence ; mais il ne servirait de rien de s’occuper sur-le-champ du rapport
de M. Gendebien, puisque le sénat n’est pas assemblé, et nous ne gagnerons rien
à intervertir l’ordre de nos délibérations.
- La proposition de M.
Jullien est mise aux voix et est rejetée à une assez faible majorité.
Discussion des articles
Chapitre
V. - Cultes
Article premier
« Art. 1er. Culte
catholique : fr. 3,352,000. »
M.
Seron. - Messieurs, dans votre séance du 11 de ce mois, M. le ministre
de l'intérieur, répondant aux questions que j’avais cru devoir lui adresser, a
déclaré positivement « qu’il lui était impossible de considérer comme
prêtre catholique celui qui n’est pas institué et reconnu par ses supérieurs
ecclésiastiques. » Il a ajouté : « je ne ferai donc pas figurer
l’abbé Helsen sur l’état des traitements du clergé, si son évêque déclare qu’il
n’appartient pas au culte catholique. »
Maintenant, messieurs,
je vois comment, dans cette matière importante, le gouvernement entend la
constitution. Elle consacre, art.
Il est, ce me semble,
une manière de voir plus raisonnable, plus conciliable avec le véritable esprit
de la loi constitutionnelle. L’Etat, ce n’est pas l’église, c’est la nation ;
et puisque la nation paie, c’est à elle, ou pour mieux dire, à ses délégués ou
magistrats, de juger à qui elle doit payer. Il appartient donc au gouvernement
de former et d’arrêter les listes des pensions et traitements. Et si la liberté
des cultes n’est pas un vain mot, une dérision, il y comprendra sans doute les
prêtres dont je parle, et qu’on appellera, si l’on veut, dissidents. Au fait,
quelle différence peut-il y avoir aux yeux de la loi entre eux et le
conformiste ? Ils remplissent les mêmes fonctions, ils rendent les mêmes
services, ils sont également utiles. Pourquoi ne vivraient-ils pas aussi de l’autel
? Ils ne sont pas d’accord avec lui sur tous.les points de dogme, non ; mais
ils enseignent la morale et la pratique des vertus. Et, après tout, que font à
la société les querelles théologiques ? Le temps n’est plus où elles étaient
capables de la troubler et de l’ébranler jusque dans ses fondements. Je sais
bien que le gouvernement français refuse un salaire à l’abbé Duchâtel, comme il
défend à l’abbé Monteil de se marier, comme il s’oppose au rétablissement du
divorce. Mais ce n’est pas dans son système rétrograde et antinational que nous
devons l’imiter.
En entrant dans la voie
que j’indique, le gouvernement, non seulement s’affranchirait d’une espèce de
dépendance qu’on lui reproche avec raison, mais répandrait et propagerait de
plus en plus dans la nation les idées de tolérance et de fraternité propres à
affermir l’union des citoyens, vraie source de la force sociale et de la
liberté. Son utile influence souvent mettrait fin à ces luttes affligeantes et
scandaleuses, étrangères à la religion, malheureusement trop fréquentes entre
les curés et leurs paroissiens. Elle amènerait doucement des mutations
nécessaires, indispensables pour rétablir le calme et la paix dans les communes
au lieu que les supérieurs ecclésiastiques s’y refusent obstinément et sont
sourds à toute réclamation de l’autorité locale et des habitants, comme s’ils
prenaient. à cœur d’imposer à ceux-ci, par pénitence, un prêtre turbulent et
brouillon qui se mêle de tout, même de testaments, et avec lequel il leur est
impossible de s’entendre et de vivre d’accord. Enfin, il y aurait plus d’équité
et de justice dans la répartition des secours ; car le gouvernement ne verrait
que les besoins, et il est d’autres motifs qui font agir l’évêque ou l’évêché.
J’ai la certitude que les desservants auxquels ces secours sont le plus
nécessaires ne les obtiennent pas toujours, et parfois, on les prodigue à ceux
qui s’en passeraient facilement.
Il est des hommes imbus
de vieux préjugés, entraînés par leurs idées singulières à refuser au
gouvernement le droit que, suivant moi, la constitution lui attribue. A leurs
yeux les traitements et les pensions assurés aux ministres du culte catholique
sont l’équivalent des biens dont, pour parler comme eux, la république a
dépouillé l’église, c’est-à-dire une véritable restitution, un fonds spécial
dont la disposition appartient aux chefs du clergé, lequel est regardé par eux
comme un ordre dans l’Etat. Mais, et ils ne devraient pas l’ignorer, depuis
longtemps le clergé a cessé d’être un ordre : aux termes de l’art. 6 de la
constitution, il n’existe dans le royaume aucune distinction d’ordre ; il ne
peut plus y avoir que des citoyens ; enfin, les deniers publics affectés au
paiement des pensions et traitements sont le produit des contributions, la
propriété de tous. Dès lors c’est à l’Etat et à l’Etat seul que la dispensation
en est réservée. Certes la nation souveraine, a dû, comme propriétaire,
succéder aux gens de mainmorte simples usufruitiers : on le conçoit. Mais
comment se figurer que les prêtres d’aujourd’hui représentent les abbayes
supprimées et les anciens possesseurs de dîmes ! C’est, en vérité, pousser un
peu trop loin les conséquences de votre révolution.
Si je parlais en
théologien, si je plaidais les intérêts d’une secte, si je convertissais cette
tribune aux harangues en chaire à prêcher, je mériterais d’être rappelé à
l’ordre. Mais j’ai pu, sans sortir des bornes de mon mandat et sans violer les
formes parlementaires, vous soumettre une question sérieuse, importante,
évidemment constitutionnelle, et par cela même digne de votre attention et de
vos méditations. Mes paroles, d’ailleurs, sont sans fiel ; elles ne m’ont pas
été inspirées par la démangeaison de critiquer, encore moins par une sotte
haine que me supposeraient des gens habitués à juger des autres d’après
eux-mêmes : elles ne peuvent, me semble-t-il, déplaire aux amis de la vérité.
Quant aux explications
données par M. le ministre de l’intérieur sur l’arrêté du 9 janvier dernier,
elles ne me satisfont nullement. Il a prétendu qu’en Prusse les fabriques
d’église ont été envoyées, même à l’exclusion des bureaux de bienfaisance, en
possession non seulement des biens ecclésiastiques, mais de tous les biens
celés au domaine. En supposant cette assertion exacte, que nous font à nous, je
le lui demande, les actes d’un gouvernement absolu ? Le nôtre doit se conformer
à la loi, et la question est de savoir s’il l’a fait. J’admets que les décrets
de Bonaparte ont force de loi ; mais nul décret impérial ne donne aux fabriques
le droit de se mettre en possession, sans autorisation préalable, des biens et
rentes d’origine ecclésiastique ou religieuse restés celés au domaine, dont
elle feront la découverte ou qui leur seront révélés ; nul décret impérial ne
dit que cette possession leur sera acquise par le fait même de la découverte et
d’une déclaration notariée. Au contraire, il résulte du paragraphe 3 de l’art.
36 du décret du 30 décembre 1809, invoqué comme principe dans l’arrêté du 7
janvier, que les fabriques doivent être autorisées par l’empereur lui-même à
entrer en possession ; par l’empereur, dis-je, investi du pouvoir législatif
que n’a pas et ne peut avoir notre gouvernement, isolé des chambres. Ainsi, le
paragraphe cité, loin de légitimer l’arrêté du 7 janvier 1831, en prouve au
contraire toute l’illégalité. Comment le gouvernement a-t-il cru pouvoir, en
vertu du décret du 30 décembre 1809, assimiler l’église aux hospices et la
traiter même plus avantageusement ? Ce décret renferme-t-il rien de semblable,
rien d’analogue aux dispositions de la loi du 4 ventôse an IX ?
Le ministre a dit que
l’arrêté du 7 janvier laisse intacts les droits des bureaux de bienfaisance.
Je voudrais savoir
comment ces droits demeureront intacts lorsque les bureaux de bienfaisance
ayant découvert des biens celés au domaine et demandé à l’administration
supérieure la permission d’en jouir, une fabrique viendra les leur enlever par
la simple exhibition d’une prise de date faite devant notaire.
Il est visible qu’on a
voulu favoriser l’église. C’est très édifiant sans doute, mais les pauvres ne
devraient jamais être oubliés.
Venant aux chiffres du
budget, je vois que les sections de la chambre et la section centrale elle-même
les ont admis dans toutes leurs parties sans renseignement ultérieur. Pas la
moindre observation, pas la plus petite réduction. Cet accord remarquable me
fait pressentir l’inutilité de réclamations dont l’objet serait d’obtenir la
modération des gros appointements que touchent, et toute humilité, M.
l’archevêque, messieurs les évêques et d’autres ecclésiastiques d’un grade
inférieur. Cependant, je ne craindrais pas de le dire, le culte catholique
coûte trop et beaucoup trop, à mon avis ; et ce qui m’effraie, c’est qu’avec le
temps il coûtera beaucoup plus ; car les séminaires qui se multiplient et se
recrutent multiplieront les prêtres, et bientôt, la plus petite succursale aura
son vicaire, et son curé. Les vicaires, je le sais, pourront être employés à
l’enseignement primaire, lequel est en progrès depuis trois ans (comme on nous
l’a dit ici au nom de la section centrale), et le faire prospérer à la manière
d’Ignace, en tenant la lumière sous le boisseau. Je sais
aussi qu’on pourra faire payer ces nouveaux instituteurs par les provinces et
par les communes, et nous dire qu’ils ne coûtent rien au trésor. Mais l’argent
des communes et des provinces c’est l’argent du peuple, et en dernière analyse,
ce sera toujours le peuple qui paiera. Nous verrons plus tard si avec des
économies de bouts de chandelle, et quand il faudra solder les arrérages de
notre énorme dette envers les Hollandais, de laquelle on ne parle plus, et je
ne sais quoi, nous verrons si les prédictions du ministère s’accompliront, et
si la nation belge paiera effectivement, par tête d’habitant de tout âge et de
tout sexe, moins de contributions que n’en supportent actuellement les nations
voisines qui ont comme elle le bonheur d’être gouvernées constitutionnellement.
En attendant, je me propose de rejeter par mon vote une partie de l’allocation
proposée en faveur des cultes.
M.
Jullien. - Avant d’aborder cette discussion, je ne peux m’empêcher de
faire une remarque qui doit mériter toute l’attention de la chambre ; c’est que
tous les ans le budget du culte catholique nous arrive de la section centrale
dans toute sa pureté primitive : pas une seule observation critique, pas une
réduction d’un centime n’est présentée ; et cependant il s’agit d’articles
divers, de dépenses très différentes et de plusieurs millions. En vérité,
messieurs, quand ceux qui font ce budget, ceux pour qui il est fait et ceux qui
le discutent, seraient identiquement les mêmes personnes, il ne serait pas
possible de rencontrer une plus touchante unanimité. Ne croyez pas cependant,
messieurs que je veuille déranger essentiellement cet accord ; je me souviens qu’en
l’année 1832, lorsque je réclamais de fortes économies sur le budget des
cultes, j’ai obtenu 56,000 fr. d’augmentation.
Je me bornerai donc à
vous faire quelques observations qui, si aujourd’hui elles ne sont pas
écoutées, ne manqueront pas de porter leurs fruits, parce qu’elles sont fondées
sur la justice et la raison.
Une première observation
que je soumets à votre sagesse, c’est que c’est l’art. 117 de la constitution
qui détermine la nature et l’étendue des obligations de l’Etat envers les
cultes. Il est bon, messieurs, de se pénétrer des dispositions de cet article :
« Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de
l’Etat ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au
budget. »
« Les sommés nécessaires »...
Ainsi, vous le voyez, la limite de l’obligation de l’Etat est dans la
nécessité. L’état doit le nécessaire ; on n’est pas en droit de demander le
superflu. Eh bien, qu’est-ce qui est nécessaire ?, S’il s’était élevé entre la
chambre et le clergé une difficulté pour régler ce qui était nécessaire, qui
auriez-vous pris pour arbitre ? Vous n’auriez pas pu en trouver de plus
respectable et en mère temps de plus respecté par le clergé lui-même, que le
chef suprême de l’église.
Or, c’est par un concordat
conclu entre ce chef suprême et le chef de l’empire français que les
traitements de ministres du culte catholique ont été fixés, en commençant par
les archevêques, les évêques, et en descendant ainsi l’échelle sacerdotale
jusqu’aux curés et vicaires. Maintenant quelle a été l’obligation de
En France l’archevêque a
13,000 fr. de traitement ; actuellement en Belgique il a 21,000 fr. En France
l’évêque à 10,000 fr. ; en Belgique l’évêque a 14,700 francs. Eu France le
traitement des curés de première classe est de 1,500 fr. ; ici il est de 2,000
fr. ; il en est de même des vicaires et des desservants.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ces faits sont inexacts.
M.
Jullien. - Si ces faits sont inexacts on me réfutera. Dans ce pays, je
soutiens que les traitements sont plus élevés qu’ils ne le sont en France.
J’arrive aux chanoines.
En France les chanoines
ont 1,500 francs ; ici, messieurs, les chanoines ont 2,400 francs, ceux du
moins de l’archevêché de Malines. Les autres chanoines ont aussi des
traitements plus élevés, et je puis annoncer à notre heureuse Belgique que
partout on a trouvé le moyen d’augmenter les honoraires des chanoines. Ceux
qui, dans les autres années, n’avaient que 1,700 fr., ont maintenant 2,000
francs ; ce qui fait une augmentation de 300 francs, tandis que l’on discute
sur le traitement d’un fonctionnaire public et qu’on le réduit. Cependant, s’il
y aune sinécure au monde, c’est incontestablement celle de chanoine.. car
depuis qu’il existe de ces heureux mortels, lorsqu’on a voulu faire allusion à
une place dans laquelle on pouvait s’engraisser sans rien faire, on a dit que
c’était une place de chanoine... (Bruit) J’en appelle à vos souvenirs ; je puis
parler ainsi, je ne suis pas dans une église. Place de chanoine est pour tout
le monde synonyme de sinécure ; or, ce n’est pas pour payer des sinécures que
vous avez le maniement des deniers de l’Etat.
Je ferai encore une
observation : je voudrais qu’on fît des économies sur les chanoines, Mais de
ces économies savez-vous ce que j’en ferais ? j’en paierais les vicaires et les
desservants qui ne sont pas assez bien payés, tandis que vous donnez des
émoluments considérables à des hommes qui ne font rien.
En France on compte
1,700 chanoines honoraires sur 600 chanoines titulaires ; ainsi il y a trois
chanoines honoraires contre un titulaire ;ici, il en est autrement. Si nous
réduisions le nombre des chanoines honoraires, nous aurions de très bons
chapitres, et il en coûterait moitié moins à l’Etat.
J’aborderai un autre
article du budget, et sur lequel je me permettrai d’appeler l’attention de la chambre
; c’est l’article qui concerne les réparations des palais épiscopaux.
En 1831, on vous a
demandé pour réparations du palais de l’archevêque de Malines 12,000 francs ;
en 1832 on a demandé 10,000 francs ; et en 1833 la même somme de 10,000 francs.
Et comme cette dépense est devenue chronique, on vous demande encore une fois
10,000 francs. Messieurs, si vous avez des palais qui coûtent 10,000 francs de
réparations tous les ans, je vous conseille de les abattre ; il serait plus
économique avec les mêmes sommes d’en bâtir de nouveaux. On ne me persuadera
pas qu’il faille tous les ans 10,000 francs pour des réparations. Pour les
autres palais épiscopaux on demande 7,000 francs ; la dépense est également
annuelle, la dépense n’a évidemment d’autre but que d’augmenter le traitement.
D’après toutes les lois
sur la matière, les dépenses concernant les palais épiscopaux sont une dette
des provinces ; ce sont les provinces qui sont chargées de ces frais-là. A
Bruges, où nous avons nouvellement un évêque, on va s’occuper de construire un
palais, et il sera édifié aux frais de la province.
Pour un palais à
construire on ne peut pas porter 7,000 fr. de réparations. Il y a prodigalité
dans ces frais, en ce sens que ce n’est pas une dépense de l’Etat, et que l’on
peut faire encore payer la province après avoir fait payer le trésor public, et
encore un coup parce que je ne conçois pas des réparations annuelles de 10,000
fr.
Je passe aux bourses.
D’après la constitution vous avez vu que l’Etat ne devait que les traitements
des ministres du culte ; vous pourriez conclure logiquement sans doute que
l’Etat ne doit pas faire de sacrifices pour les bourses, pour les jeunes gens
qui veulent se livrer à l’étude de la théologie dans les séminaires ; mais il
faut faire attention que dans d’autres parties de l’enseignement vous accordez
des bourses, que par conséquent vous ne pouvez vous dispenser d’en accorder
pour l’éducation ecclésiastique comme pour les autres éducations. Toutefois
pour les bourses ecclésiastiques, se fait sentir le privilège, la partialité.
Pour toutes les branches
de l’enseignement, pour toutes les sciences et les arts, il est alloué 38,000
fr. ; et ici pour un seul genre d’éducation à donner à des hommes qui, parce
qu’ils reçoivent cette éducation, ont le moyen de se soustraire aux charges du
pays, aux lois sur la milice, vous payez en bourses 82,000 fr. Dans ce relevé
je ne comprends pas 20,000 fr. pour le séminaire de Bruges. Ainsi, pour les
jeunes gens qui se destinent à l’état ecclésiastique, vous dépensez plus de
100,000 fr.
J’ai parcouru à peu près
tout le budget du culte ; maintenant, j’aurai l’honneur de vous présenter
quelques observations sur un sujet très grave qui a déjà touché M. Seron. Je veux parler de l’arrêté
du gouvernement du 7 janvier dernier.
Cet arrêté attribue aux
fabriques des églises tous les biens du domaine qui étaient restés celés.
Savez-vous à peu près quelle peut être la valeur de cette donation d’après les
renseignements que je me suis procurés et d’après des documents qui doivent exister
au département des finances, on conclut qu’il peut y avoir pour 45 à 50
millions de biens celés. (Bruit.)
S’il n’y avait que
quelques millions de ces biens, la chose n’en serait pas moins grave, car il y
aurait toujours inconstitutionnalité dans l’arrêté. La preuve que l’objet dont
on dispose n’est pas si minime qu’on a l’air de le dire, c’est que je lis dans
l’article 3 de l’arrêté : « Dans le cas ou le produit général des biens et
rentes, dont les diverses fabriques se mettront en possession conformément aux
dispositions du présent arrêté, donnerait un revenu annuel de 100,000 fr., les
fabriques ne pourraient, sans y être autorisées par disposition ultérieure du
gouvernement, faire de nouvelles découvertes et accepter de nouvelles
révélations. » Ainsi, quand on prévient le cas où les fabriques pourraient
se faire 100,000 fr. de revenu, ce qui représente une valeur d’à peu près trois
millions, et ceux quui ont porté l’arrêté savaient ce qu’ils faisaient, vous
voyez que je n’exagère pas en mettant la totalité des biens celés à 45 ou 50
millions.
Quand il ne s’agirait
que de quelques centaines de mille francs, le gouvernement a fait un arrêté
inconstitutionnel. Dans les monarchies absolues elles-mêmes le chef de l’Etat
n’est que l’administrateur des biens de la nation ; il ne peut pas en disposer.
Si ce principe est un principe du droit des gens dans les monarchies absolues,
à plus forte raison est-il un principe dans notre gouvernement constitutionnel.
Cependant le gouvernement a disposé de sa pleine puissance. Voici le fondement
de son arrêté :
« Vu l’article 36
du décret du 30 décembre 1809 portant que les revenus de chaque fabrique se
forment… 3° du produit des biens et rentes celés au domaine dont nous les avons
autorisées et dont nous les autoriserons à se mettre en possession. »
C’est sur ce décret de l’empire qu’on se fonde, et c’est pour donner une
exécution prétendue à ce décret qu’on a disposé de tous les biens celés au
domaine de
Une explication est
nécessaire. Lorsque l’empereur rendit ce décret, il était constant aux yeux du
domaine français qu’il y avait une grande quantité de biens ecclésiastiques qui
étaient celés et qui étaient retenus directement ou indirectement par le clergé
; qu’a voulu faire l’empereur ? il a voulu stimuler le clergé en lui donnant
une part dans les biens qu’il parviendrait à découvrir ; mais comme on ne
donnait que ce qu’on voulait après la découverte, on craignit que l’empereur ne
donnât rien ou très peu, et voilà pourquoi une grande quantité de biens sont
restés celés. J’approuve le gouvernement de faire découvrir les biens par les
fabriques et de les indemniser de leurs découvertes ; c’est le seul moyen de
découvrir. Il existe sans doute des documents dans les administrations du
domaine, mais ils sont incertains. On ne connaît ni la nature, ni la situation
de ces biens ; et comme ils sont dans les mains du clergé, il faut les
reprendre : mais comment fallait-il les reprendre ?
Il fallait proposer une
loi au moyen de laquelle on aurait distribué aux fabriques une partie des biens
découverts. On n’aurait pas engagé les fabriques, qui n’ont besoin que de
15,000 fr., à découvrir 100,000 fr., tandis que d’autres fabriques, qui ne
découvriront rien, resteront dans la pauvreté. Vous enlevez, par l’arrêté, aux
bureaux de bienfaisance, des biens celés, et vous n’êtes pas justes envers
toutes les fabriques ; car il y aura des fabriques qui seront dans le besoin,
qui n’auront rien, et d’autres qui auront trop. D’après les lois, ce sont les
communes qui sont obligées de fournir des subsides aux fabriques lorsqu’elles
n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins ; et, par votre arrêté, vous
laissez éternellement les fabriques à la charge des communes. Il fallait faire
la part des pauvres fabriques ; il fallait distribuer ces 40 ou 50 millions à
toutes les fabriques de l’état : vous auriez ainsi été justes envers les
fabriques et envers les communes ; vous allez au contraire donner lieu à
l’accaparement des biens.
Messieurs,
je n’ai pas tout dit sur l’inconstitutionnalité de l’arrêté. Le décret de 1,809
que l’on veut mettre à exécution, était un acte de pleine puissance ; si le
sénat eût fait son devoir, un sénatus-consulte eût annulé ce décret. Dira-t-on
que le décret avait force de loi ? M. Seron a déjà répondu, il ne peut se faire
que, dans ce pays, le gouvernement s’arroge le droit de disposer des biens de
l’Etat sans loi. Voilà une infraction à la constitution que vous ne pouvez
tolérer. Si vous admettez l’arrêté, vous donnez au gouvernement le droit du
disposer de tout ce qui est dans la dépendance du domaine public.
Je livre ces
observations à vos méditations. Je ne vous propose pas de faire des économies
sur les articles que je vous ai détaillés ; mais si quelque membre proposait,
je les appuierais.
M.
A. Rodenbach. - L’honorable député de Bruges a assez plaisamment amusé
les tribunes ; je ne répondrai pas à ses plaisanteries, car il aurait peut-être
les rieurs de son côté ; mais comme il a produit des chiffres, je le suivrai
sur ce terrain arithmétique ; et je le réfuterai par des chiffres.
Il a dit que le clergé
était plus payé en Belgique qu’en France. Il est dans l’erreur et pour le lui
prouver, je n’indiquerai que le budget français de 1834. Ce budget porte 34
millions pour les cultes. On calcule que la population de
En Belgique nous avons
quatre millions d’habitants ; le chiffre du budget des cultes s’élève à
3,472,000 francs y compris les pensions des ecclésiastiques et des frères laïcs
; la moyenne ne s’élève qu’à 61 centimes par tête ; donc il y a en France 55
centimes par tête de plus payer qu’en Belgique.
Je crois que ce calcul
répond suffisamment aux allégations de notre honorable collègue.
Relativement aux
archevêques et aux évêques, le préopinant est encore dans l’erreur.
A Paris, l’archevêque
reçoit 25,000 fr. ; d’autres archevêques reçoivent 15,000 fr. ; les évêques ont
10,000 fr. ; mais les conseils généraux des départements leur votent presque
toujours des augmentations de traitement de 20 à 30 p. c.
Je suis libéral autant
que qui que ce soit ; mais le libéralisme ne m’empêche pas d’être juste et de
voir que la position du clergé belge est loin d’être amélioré. Avant la
révolution de 1830, que recevait un archevêque ? il recevait 16,250 florins ;
que recevait l’évêque ? 11,700 florins. Il n’est donc pas vrai que tout soit à
l’avantage du clergé ; il est vrai au contraire de dire qu’il a fait beaucoup
de sacrifices. On sait que par arrêté du régent du 30 avril 1831 l’archevêque
n’a plus que 10,000 florins ; l’évêque que 7,000 florins. Ces chiffres
répondent encore victorieusement, il me semble, aux plaisanteries de
l’honorable orateur ; et j’ai préféré lui répondre de cette manière que de me
livrer moi-même à d’autres plaisanteries.
Cet orateur a prétendu
aussi que l’instruction publique n’était pas proportionnellement aussi
florissante en Belgique qu’en France. Cette dernière assertion n’est pas moins
erronée que les précédentes, et les chiffres prouvent que nous faisons de plus
grands sacrifices pour l’instruction qu’en France.
En Belgique
l’instruction publique coûte 745,200 fr., moyenne 19 centimes par individu. En
France elle coûte 5,005,500 fr., moyenne 15 à 16 centimes par individu ; nous
sommes plus généreux que nos voisins pour l’instruction publique, et moins
généreux qu’eux pour le culte.
L’honorable représentant
de Bruges a dit que dernièrement on avait augmenté les appointements du clergé
de sommes considérables ; cela est vrai pour les chanoines et quelques
chapelains ; mais est-ce pour le clergé seul que l’on a fait des augmentations
? Jetez un coup d’œil sur les appointements des membres de l’ordre judiciaire
et vous verrez qu’ils ont été bien mieux traités que les ecclésiastiques.
Sous Napoléon, en 1800,
à Charleroy, les juges recevaient 1,000 francs ; ils reçoivent maintenant 2,000
francs.
A
Tournay et Mons, en 1800, ils recevaient 1,200 fr. ; ils reçoivent maintenant
2,800 fr.
A Courtray, en 1800, ils
recevaient 1,200 francs ; ils reçoivent maintenant 2,400 fr.
Les catastrophes
politiques ont profité aux juges ; mais on ne peut pas dire qu’elles aient été
favorables au clergé, puisqu’elles ne l’ont pas replacé dans la position où il
était avant qu’elles aient bouleversé le pays.
Je ne répondrai pas à ce
que le député de Bruges a dit relativement à l’arrêté des fabriques d’église.
J’ignorais que cette question serait soulevée aujourd’hui dans cette enceinte.
Je laisse à d’autres collègues le soin de s’occuper de cette matière.
M.
Jullien. - J’aurai l’honneur de faire observer à l’honorable M.
Rodenbach qu’on n’est pas plaisant quand on veut ; et que quand une chose a un
aspect plaisant, c’est qu’elle est plaisante aux yeux de la raison. Il a
prétendu me répondre par des chiffres, je vais examiner si sa réponse est bien
concluante.
Il a prétendu que
proportionnellement à la population, le clergé n’était pas autant payé en
Belgique qu’en France. A quoi tient la différence qu’il a cru remarquer ? C’est
qu’en France la population est considérablement divisée ; elle est répandue sur
une grande surface : on y voit des hameaux de 200 ou 300 individus ; et il faut
un pasteur à ces hameaux. Mais dans notre pays la population est très
agglomérée et n’exige pas un aussi grand nombre d’ecclésiastiques.
En
France, il y a 14 archevêchés, environ 80 évêques ; mettez cela en proportion
avec le nombre nécessaire à
Ainsi l’observation de
M. Rodenbach ne touche en rien la question, et il reste vrai que le clergé en
Belgique est mieux rétribué qu’en France.
M. de Theux. - Messieurs, puisque
cette allocation est chaque année remise en discussion par les mêmes orateurs,
je crois devoir présenter quelques observations en réponse aux leurs.
Le clergé avait
autrefois deux espèces de traitements : la dîme et le revenu des biens qu’il
possédait. Il a été exproprié de ces deux branches de revenus en 1789 par des
décrets de l’assemblée constituante ; mais cette expropriation n’a eu lieu que
sons certaines conditions qui furent déterminées dans les dispositions
législatives dont je vais donner lecture à la chambre :
Voici d’abord le décret
de l’assemblée constituante, du 11 août 1789.
« Toutes les dîmes sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d'une autre manière à la dépense du culte divin, à l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont actuellement affectées ; et cependant, jusqu'à ce qu'il y ait été pourvu à leur remplacement, elles continueront d'être perçues. »
Ainsi, messieurs les
dîmes n’ont cessé d’être perçues qu’après qu’il a été pourvu à leur
remplacement. La seconde disposition est une loi du 2 novembre 1789 en voici le
texte :
« L’assemblée
nationale décrète : 1° que tous les biens des ecclésiastiques sont à la
disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux
frais du culte, à l’entretien de ses ministres, et au soulagement ses pauvres,
sous la surveillance et d’après les instructions des provinces ;
« 2° Que, dans les
dispositions à faire pour subvenir à l’entretien des ministres de la religion,
il ne pourra être assuré à la dotation d’aucune cure moins de douze cents
livres par année, non compris le logement et les jardins en dépendant. »
Voici donc les deux
grands principes posés : chaque loi d’expropriation porte les conditions
auxquelles elle aura lieu. Ces dispositions n’ont pas cessé d’être en vigueur ;
et depuis lors tous les gouvernements se sont considérés comme tenus de
pourvoir aux frais du culte.
Je ne m’arrêterai pas
sur ce qu’on a dit de la prétendue élévation du chiffre demandé. Il est
constant que le budget décennal voté par les états-généraux en 1830 portait
pour dix années les frais du culte, y compris une somme portée au budget, à la
somme annuelle de 2,020,000 florins ou 4,265,000 francs, c’est-à-dire 913,000
francs de plus qu’il n’est porté au budget actuel. Cette différence résulte des
chiffres des chiffres de l’un et de l’autre budget, et au besoin il est facile
de les vérifier.
Ainsi on a lieu de
s’étonner lorsqu’on entend récriminer contre l’élévation des dépenses du culte
pour
On a critiqué les
traitements de l’archevêque et des évêques : l’honorable M. Jullien a dit que
nous étions plus généreux que le pape ne l’avait été dans le concordat. Ceci,
messieurs, est une erreur : le concordat a assuré des traitements aux
archevêques et évêques, mais ne les a pas déterminés. C’est par une disposition
postérieure au concordat que le gouvernement français fixa à 15,000 francs le
traitement des archevêques et à 10,000 francs celui des évêques. Notez bien que
le gouvernement français par une disposition expresse autorise les conseils
généraux de département à leur allouer des suppléments de traitement, et met à
la charge des départements un grand nombre de dépenses relatives au culte.
Cette disposition est du
18 germinal an XI, c’est-à-dire postérieure d’une année à la loi qui avait fixé
la partie du traitement des archevêques et évêques à la charge de l’Etat. Ce
décret n’a pas cessé d’être en vigueur en France ; il continue d’y recevoir son
exécution ; il est ainsi conçu :
« Art. 1er. Les
conseils généraux de département, conformément à la loi du 18 germinal an XI,
sont autorisés à voter une augmentation de traitement aux archevêques et
évêques de leurs diocèses, si les circonstances l’exigent.
« Ils
détermineront, pour les vicaires généraux et chanoines, un traitement qui ne
pourra être moindre que celui que fixe l’arrêté du 14 nivôse an XI.
« Ils proposeront en
outre les sommes qu’ils croiront convenable d’appliquer : 1° aux acquisitions,
locations, réparations et ameublements des maisons épiscopales ; 2° à
l’entretien et réparation des églises cathédrales ; 3° à l’achat et entretien
de tous les objets nécessaires au service du culte dans ces églises.
« Art. 2. Ces
sommes seront imputées sur les centimes additionnels, etc. »
Vous remarquerez donc,
messieurs, qu’en France le chiffre accordé par l’Etat s’augmente des
suppléments de traitement que les départements allouent à leurs premiers
pasteurs par l’organe de leurs conseils généraux.
J’ajouterai qu’en
Belgique il n’y a que 6 évêques et que ce nombre est proportionnellement moins
grand qu’en France. Il n’est donc pas étonnant que le ci-devant gouvernement
des Pays-Bas prenant à sa charge exclusive les traitements des évêques, puisque
aucun supplément n’est alloué par les provinces, en considération aussi de ce
que la circonscription des évêchés est plus étendue qu’en France, ait cru
convenable d’élever les traitements des évêques ; j’ajouterai que les
traitements fixés par le gouvernement des Pays-Bas ont été considérablement
réduits par le régent en 1831.
L’honorable M. Jullien a
également parlé des traitements des chanoines titulaires et de leur nombre,
qu’il a prétendu être trop grand. Il a voulu établir une comparaison à cet
égard entre
Il est constant que la
dépense est moins forte qu’en France ; d’ailleurs vous conviendrez que le
traitement de 2,000 francs est le moindre qu’on puisse accorder à celui qui,
après tout, occupe l’un des premiers degrés de la hiérarchie ecclésiastique
dans chaque diocèse ; d’après les règles de l’église catholique les chanoines
forment le conseil des archevêques et des évêques ; et lorsqu’un siège
épiscopal est vacant, l’administration en est dévolue au chapitre. Vous ne
pourriez pas renverser ces règles sans bouleverser les constitutions de
l’église ; je ne crois pas que ce soit dans l’intention de cette assemblée.
On a également parlé des
bourses affectées aux séminaires : Ceci n’a rien de nouveau. Le décret du 23
ventôse an XII dont je vous ai donné lecture met les dépenses des séminaires à la
charge des départements, ensuite l’empereur Napoléon et le roi Guillaume ont
accordé des bourses et des demi-bourses : rien n’a été changé par le
gouvernement actuel à ce qui a été fait sous les gouvernements précédents.
Il n’est pas étonnant
que les gouvernements les moins favorables à l’église catholique se soient crus
obligés d’accorder des secours à ces établissements ecclésiastiques ; il est
notoire qu’une foule de jeunes gens placés dans ces établissements n’ont pas le
moyen de faire leurs études. D’ailleurs, toutes les places ne sont pas remplies
; il y a encore dans plusieurs diocèses pénurie de prêtres. Il était de toute
équité que le gouvernement qui s’était emparé des dîmes, des revenus des
propriétés foncières, et des rentes appartenant au clergé acquittât
l’obligation qui lui avait été imposée en retour par l’assemblée constituante
de subvenir à ces sortes de dépenses.
Je dois dire quelques
mots de l’arrête du 7 janvier dernier. Je pense qu’il est loin de mériter les
critiques dont il a été l’objet. Il a pour but de doter les églises pauvres des
biens retenus par d’injustes détenteurs. Le gouvernement a marché dans cette
occasion dans la voie que lui avait ouverte l’empereur Napoléon, par un décret
du 30 décembre 1809.
Ce
décret qui a acquis force de loi a admis en principe que les fabriques
pourraient être envoyées en possession des domaines celés à l’Etat ; il a force
de loi, puisqu’il n’a pas été attaqué dans le délai et dans les formes prévus
par la constitution de l’empire ; ce principe admis il restait à déterminer le
mode de l’envoi en possession ; il n’était pas réglé par la loi, parce que
c’était un acte d’administration ; le gouvernement s’était réservé la faculté
d’envoyer ainsi les fabriques en possession sans formalités aucunes. C’est
ainsi qu’un grand nombre de propriétés ont été attribuées aux fabriques d’après
le bon plaisir du chef de l’Etat. Je crois que, vu l’urgence qui résultait de
l’échéance imminente de la prescription, la forme adoptée par le gouvernement
est rationnelle et loin de mériter le blâme dont on a voulu la flétrir. Nous ne
parlerons pas de la valeur attribuée à ces biens par un des préopinants :
l’arrêt du 7 janvier limite à cent mille francs, et non pas, comme on l’a dit,
pour chaque fabrique de paroisse, pour toutes les fabriques réunies, l’envoi en
possession. Cette valeur même ne sera probablement pas atteinte ; depuis 40 ans
que le clergé est exproprié, l’administration des domaines, les hospices et les
fabriques (ces dernières depuis le décret de 1809) doivent avoir découvert la
presque totalité de ces biens.
M. Dewitte. - Je demande à M. le ministre si, au
moyen des sommes qu’il demande pour le culte catholique, il aura de quoi payer
pour la présente année les vicaires dont le traitement a été acquitté jusque-là
par les communes, et rejeté en tout ou partie du budget dans quelques localités
?
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne pense pas que l’excédant
du budget des cultes soit considérable. Si la dépense dont on parle était
forte, le budget de l’Etat ne pourrait pas y subvenir. S’il ne s’agit que de
quelques milliers de francs, j’espère qu’il me sera possible d’y faire face.
- L’article premier est
mis aux voix et adopté avec le chiffre de 3,352,900 fr.
Articles 2 à 4
Les trois autres
articles du chapitre sont adoptés sans discussion ainsi qu’il suit :
« Art. 2. Cultes
protestants : fr. 65,000. »
« Art. 3. Culte israélite : fr. 10,000.é
« Art. 4. Secours à
accorder à d’anciens ecclésiastiques ou religieuses, et aux ministres des
divers cultes : fr. 45,000. »
M.
le président. - La chambre passe au chapitre VI. Garde civique.
Article premier
« Art. 1er. Frais
de voyage et d’administration (chiffre proposé par le gouvernement) : fr.
12,000. »
« Idem (chiffre
proposé par la section centrale) : fr. 9,000. »
M. le ministre de
l'intérieur (M. Rogier) adhère à la proposition de la section centrale.
- Cet article est mis
aux voix et adopté avec le chiffre 9,000 fr.
Article 2
« Article 2. Prix à
distribuer pour l’exercice au tir : fr. 20,000. »
La section centrale
propose le rejet de cet article.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La section centrale ayant
reconnu qu’il y aurait lieu à allouer un crédit pour cet objet, lorsqu’une
nouvelle loi aura été votée sur la réorganisation de la garde civique, je ne
m’oppose pas au rejet de l’article, me réservant de présenter une nouvelle demande
de crédit lorsque la loi aura été rendue.
Article 3 (devenu article 2)
« Article 3 (devenu
article 2). Réparations et entretien des armes de la garde civique : fr.
16,000. »
- Adopté.
Chapitre VII. - Subsides aux villes
Article premier
« Article unique.
Subsides aux villes dont les revenus sont insuffisants (chiffre proposé par le
gouvernement) : fr. 100,000. »
« Idem (chiffre
proposé par la section centrale) : fr. 50,000. »
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’année dernière il n’a été
alloué que 50,000 fr. au budget, d’après la demande même du ministre. Vu
l’époque avancée à laquelle fut discuté le budget, c’était au mois d’octobre,
nous pouvions prévoir que les dépenses à faire seraient peu considérables et
réduire, en quelque sorte, notre demande de crédits aux dépenses déjà faites.
J’ai donc adhéré alors à la réduction de 50,000 fr. proposée par la section
centrale. Nous ne pourrions, sans imprudence, adhérer à la même réduction pour
1834, l’année étant aussi peu avancée. Je persiste donc dans ma demande de
100,000 fr. Je ferai remarquer que les sommes accordées précédemment à ce titre
ont été bien plus considérables. Ainsi au premier budget la chambre a voté pour
cet objet 300,000 fr. Cette année le gouvernement borne sa demande à 100,000
fr. la prudence commande à l’administration de demander au moins cette somme ;
d’ailleurs, la section centrale ne justifie par aucun motif sa proposition de
réduction.
- L’article est mis aux
voix. Le chiffre proposé par le gouvernement est rejeté après deux épreuves ;
le chiffre de 50,000 proposé par la section centrale est adopté.
Chapitre VIII. - Travaux publics
Article 7
M. de Puydt, rapporteur de la section centrale. donne
lecture du rapport sur la demande faite par le gouvernement d’un crédit de
220,000 fr. pour acquisition de l’emplacement de l’hôtel Torrington ; il
conclut au nom de la section centrale à ce qu’il soit accordé un crédit de
180,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La
section centrale paraît être revenue à la première proposition du gouvernement
puisqu’elle désire qu’elle désire que l’abandon du droit éventuel du
propriétaire à une indemnité soit compris dans le prix d’achat. La section
centrale a proposé 85,000 florins. Je ferai observer que le propriétaire
demande 220,000 fr. et qu’il a déclaré que c’était son dernier prix. Si le
gouvernement n’a que 85,000 florins, il ne pourra faire cette acquisition
quelque disposé qu’il y soit.
On doit penser que le
gouvernement tâchera d’obtenir une réduction sur ce prix de 220,000 fr. ; si
cette somme présente un excédant, il restera au budget. Mais l’allocation
proposée par la section centrale ne pourrait nous être d’aucune utilité. Il nous
est impossible de l’accepter.
M.
Gendebien. - La section centrale n’est pas revenue à la proposition du
gouvernement. Elle avait repoussé la première proposition en ce sens qu’elle
avait trouvé beaucoup trop élevé le prix de 220,000 fr. Elle repousse la
seconde qui tendrait à faire l’achat de l’hôtel sous toutes réserves des droits
que le propriétaire pourrait avoir à une indemnité, parce que ce serait ouvrir
les portes à un procès toujours plus onéreux pour le gouvernement qu’il ne le
serait pour des particuliers ; ce serait acheter la certitude d’un procès.
Quant
au prix de 220,000 francs, il est évidemment exagéré ; en effet, le
propriétaire a essayé de vendre, il a mis son hôtel en vente sur cette mise à
prix de 220,000 francs, il n’a pas trouvé d’acquéreurs ; il a été obligé de
descendre le prix à 85,000 florins ; aucun acquéreur ne s’est présenté ; il est
possible, il est probable d’après les renseignements qui m’ont été donnés,
qu’il n’en aurait pas trouvé même en mettant le prix à 60,000 florins. Notez
bien que le propriétaire aliénait en faveur de l’acquéreur ses droits éventuels
à une indemnité et son recours contre le gouvernement du chef de l’incendie de
son hôtel.
Le propriétaire avait
descendu la mise à prix de son hôtel à 85,000 florins ; ce qui représente
179,200 francs. La section centrale propose 180.000 fr., c’est-à-dire 800
francs de plus que le prix auquel le vendeur n’a pis pu trouver d’acquéreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Cette
affaire est délicate ; il est difficile de la traiter en public ; je ne sais
même jusqu’à quel point elle est du domaine des débats législatifs.
La section centrale a
oublié d’ailleurs qu’il ne suffit pas d’acquérir un terrain et des ruines et
qu’il fallait donner le moyen de réédifier : la demande du gouvernement porte
aussi sur cet objet. La chambre a reconnu que le nombre des bâtiments
appartenant à l’Etat était insuffisant : plusieurs ministères manquent des
locaux nécessaires, et l’Etat est grevé à ce titre de 12 ou 15,000 francs de
loyers. La chambre a reconnu la nécessité d’acquérir ou d’édifier un bâtiment
pour le ministère de la guerre. Une occasion assez heureuse semblait s’être
présentée. L’emplacement qui nous est offert est rapproché des chambre et des
ministères. Le gouvernement demande 380,000 francs pour l’acquisition de
l’emplacement et la construction de l’hôtel ; il tâchera de ne pas dépenser
toute cette somme et de concilier les intérêts du trésor avec les besoins du service.
M. Jullien. - Il me semble que la question est
fort simple. Tout le monde reconnaît que cette acquisition n’est pas
nécessaire, qu’elle est seulement de convenance. La section centrale à examiné tous
ces motifs de convenance, elle a pense qu’il était convenable de n’accorder que
220,000 fr. au lieu de 380,000 fr. qui ont été demandés. Elle a calculé que
cette somme suffirait pont payer la valeur de l’emplacement et l’abandon des
droits éventuels du propriétaire à une indemnité de la part de l’Etat ou de la
ville de Bruxelles.
Si le gouvernement ne
veut pas accepter l’allocation proposée par la section centrale, qu’en
résultera-t-il ? que la vente n’aura pas lieu ; le gouvernement restera
simplement dans la même position, le propriétaire au contraire à intérêt à
vendre. Si vous votez 220,000 fr., il est bien certain que le propriétaire qui
connaîtra la somme allouée ne voudra consentir à aucun rabais.
Si au contraire vous
n’accordez que 180,000 fr., il est possible qu’il consente à une diminution.
M.
Gendebien. - Nul doute que la section centrale ne soit d’avis que si la
chambre vote une somme pour achat de l’emplacement de l’hôtel Torrington, il
n’y ait lieu à allouer la somme demandée par le gouvernement pour réédification
de l’hôtel. Cette demande n’a pas été repoussée ; elle suivra nécessairement le
vote de la chambre qui déciderait l’acquisition de l’emplacement.
Le
ministre vient de dire que c’était un hôtel pour le ministère de la guerre que
l’on devait faire construire sur l’emplacement de l’hôtel Torrington. Cette
construction alors n’est pas urgente, car il n’y a pas d’inconvénient sans
doute à ce que le ministre de la guerre continue d’occuper les bâtiments où il
est et que convoite la liste civile.
En supposant même ce
ministère obligé d’abandonner ce local, je crois qu’il n’y a pas d’avantage à
faire faire la construction qu’on projette pour le ministère de la guerre. On
demande 380,000 fr. maintenant ; cette somme ne suffira pas, sans doute il y
aura lieu à une demande de crédit supplémentaire de 50,000 fr. Ces sommes
représentent un revenu de plus de 20,000 fr. ; or, je demande si dans la ville
de Bruxelles il ne serait pas possible de trouver un local parfaitement
convenable pour le ministère de la guerre, à un prix bien moins élevé. Pour moi
je connais tel hôtel qui ne coûterait que 7, ou 8,000 fr. de loyer et qui
conviendrait parfaitement à cette destination ; seulement il ne serait pas
devant le parc.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je répondrai d’abord à ce qu’a
dit l’honorable M. Gendebien sur la possibilité de laisser le ministère de la
guerre dans le local qu’il occupe maintenant. Ce bâtiment n’est pas convoité
par la liste civile comme un bien qui ne lui appartiendrait pas ; il est
réclamé comme un bien qui lui appartient. Il est donc indispensable de
pourvoira l’édification d’un local pour le ministère de la guerre.
Plusieurs
hôtels sont loués pour divers services particuliers dépendant du ministère de
l’intérieur, pour l’instruction publique, pour la garde civique. Il est très
probable que dans l’emplacement de l’hôtel Torrington, il y aura moyen de
trouver d’autres logements que ceux du ministère de la guerre ; il est probable
que ces divisions de l’intérieur pourront y être placées. Je n’insisterai pas
sur la convenance qu’il pourrait y avoir à ce que le gouvernement fût le
propriétaire des locaux qu’il occupe ; je ne sais s’il est de la dignité d’une
nation que son gouvernement soit réduit à de tels expédients, qu’un particulier
cherche à éviter pour lui-même.
On a dit que la somme de
160,000 fr. ne suffirait pas pour la construction du bâtiment projeté ; je ne
peux pas en répondre. Cette somme est l’évaluation donnée par les hommes de
l’art ; j’ai dû provisoirement l’accepter. Au reste, je n’ai rien à déguiser à
la chambre : je dirai donc que les frais de l’hôtel ne sont pas compris dans la
somme demandée. Ici comme en toute occasion, l’intérêt du gouvernement est celui
de la chambre. Je persiste à demander la somme de 380,000 fr., parce que je la
crois nécessaire ; mais je m’engage a en user avec prudence et économie.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le
chiffre de 380,000 francs demandé par le gouvernement.
M.
Gendebien. - Afin qu’il soit bien entendu que le gouvernement ne peut
traiter avec le propriétaire de l’hôtel Torrington sans que celui-ci fasse
abandon de ses droits éventuels à une indemnité, je demande que l’on mette
d’abord aux voix le chiffre de 150,000 francs que le gouvernement avait d’abord
proposé, pour prix d’achat, en laissant tout recours au propriétaire en demande
d’indemnité.
- Le chiffre de 150,000
francs avec la condition que le propriétaire conserve ses droits éventuels à
une indemnité est mis aux voix et rejeté.
M. Jullien. - Je demande la division de
l’article. Je craindrais, si nous votions une somme globale pour l’acquisition
de l’emplacement et la construction de l’hôtel, que le ministre ne consacrât à
l’acquisition une somme plus forte que la chambre ne l’a entendu.
M.
Gendebien. - La division est de droit.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je dois déclarer que s’il n’y
avait qu’un article, je ne me croirais pas lié par le vote de la chambre. Je ne
vois que la loi.
M.
Gendebien. - Il faut que la chambre sente bien la conséquence de la déclaration
franche de M. le ministre.
- L’art. 7, achat de
l’emplacement de l’hôtel Torrington est mis aux voix. Le chiffre de 220,000 fr.
demandé par le gouvernement est rejeté. Le chiffre de 180,000 fr. proposé par
la section centrale est adopté.
Article 8
« Art. 8.
Réédification de l’hôtel de Torrington : fr. 160,000. »
- Adopté.
M.
le président. - Ces articles clôturent le chapitre des travaux publics.
- Le texte du budget de
l’intérieur est mis aux voix et adopté.
Le vote sur les articles
du budget de l’intérieur est termine. Le vote définitif de ce budget aura lieu
lundi.
Discussion
générale
M. d’Hoffschmidt. - J’ai demandé hier la
communication d’une pièce que le ministre des affaires étrangères a dû recevoir
de M. le général Tabor. M. le ministre a paru vouloir ajourner cette
communication ; je renouvelle aujourd’hui ma demande.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
vous ai dit, messieurs, que depuis que j’avais publié mon premier rapport
quelques pièces avaient été échangées et qu’il fallait attendre qu’une nouvelle
communication fût présentable pour être soumise la chambre. On a fait un jeu de
mots sur l’expression présentable. Je
n’ai pas la prétention d’improviser les mots les mieux appropriés aux choses
que je veux expliquer, mais j’ai entendu qualifier de présentable, non pas un
rapport suffisamment achevé et poli dans ses formes, mais un rapport digne
d’occuper le temps de la chambre et non pas tellement vague dans ses résultats,
qu’il n’apprendrait rien ou presque rien au pays, et qu’il serait même plutôt
nuisible à ses intérêts. A cette observation de ma part, un membre a objecté
que dans le cas où elle serait juste, une discussion sur des faits anciens
n’aboutirait à rien ; mais il a cependant insisté pour obtenir immédiatement un
rapport à l’égard de ce qui s’est passé depuis la présentation du premier, et,
pourvu qu’il soit sincère, a-t-il ajouté, nous serons indulgents sur la forme
et nous pourrons discuter en connaissance de cause. J’ai déjà indiqué qu’il ne
s’agissait pas là de forme, mais du fond même de la
question. Comment, en effet, déduire un rapport sincère sur des faits, sur des
intentions que l’on ne connaît pas encore ou que l’on ne connaît que très
imparfaitement. Un rapport convenablement et judicieusement résumé devant cette
chambre, et par suite devant l’Europe, augmenterait notre force morale et
pourrait servir notre cause très efficacement. Si la chambre juge que la
discussion du premier rapport ne peut être séparée de la connaissance du
second, je dois déclarer que je ne puis lui soumettre celui-ci actuellement, obligé
que je suis de m’abstenir, sous peine d’une grave responsabilité, de toute
communication prématurée. Si donc l’on veut absolument joindre des faits
nouveaux à des faits anciens, un délai est indispensable ; sans ce délai on
n’aura que des conjectures à débattre et non des particularités connues et
certaines, ce qui n’aura que des inconvénients et aucun avantage. Je crois,
messieurs, m’exprimer sans ambiguïté et avec la franchise ordinaire que
d’honorables contradicteurs se sont plu à me reconnaître d’une manière
bienveillante dont je leur suis fort obligé, mais qui ne me permet pas de leur
dire autre chose pour le moment.
M.
d’Hoffschmidt. -
D’après la lecture que vous venez d’entendre, il m’est impossible, messieurs,
de m’expliquer le refus de M. le ministre. Ce ne sont pas des chimères, mais
bien des ennemis que nous avons à combattre ; et pour le faire avec efficacité,
nous avons besoin d’avoir toutes les pièces du procès. S’il faut tout dire,
messieurs, je connais bien le motif pour lequel on vous refuse la communication
de la pièce dont j’ai parlé : c’est qu’elle est de nature à causer de
l’irritation dans cette enceinte ; et puisque M. le ministre ne veut pas en
faire le dépôt sur le bureau, je vous demande la permission de donner à la
chambre communication d’une lettre que j’ai reçue du Luxembourg.
« Le général Tabor
a reçu hier du général Dumoulin une dépêche de 8 grandes pages sur nos
différends avec la forteresse ; je n’ai pas lu cette dépêche qui a été
immédiatement expédiée à Bruxelles, mais je sais d’une manière positive que le
général Dumoulin y déclare qu’il étend, dès aujourd’hui 25, le rayon
stratégique de la forteresse à 4 lieues, en laissant, dit-il, le soin au
général Tabor, d’éviter qu’il y ait une rencontre entre les troupes de la
forteresse et les troupes belges.
« Il paraît que
dans cette dépêche il parle peu de Hanno, à la captivité duquel il semble ne
plus attacher beaucoup d’importance ; mais il y déclare d’une manière formelle
qu’il ne doit aucune réparation à des autorités de fait qui ont violé leurs
engagements, etc.
« Le
style de cette nouvelle dépêche est plus hautain et plus insolent que jamais.
« Si le
gouvernement ne veut pas persister dans la marche tortueuse qu’il a suivie
jusqu’à présent, il vous communiquera cette pièce qui est de la plus haute
importance. »
C’est la, messieurs, ce
que m’écrit du Luxembourg un haut fonctionnaire à la véracité duquel vous
pouvez comme moi ajouter foi.
M.
Gendebien. - Quelle que soit l’inutilité des paroles que nous
prononçons pour obtenir ce que nous avons le droit d’exiger, il m’est
impossible de laisser passer sous silence la conduite vraiment incompréhensible
du ministère dans cette circonstance. Nous avons à discuter un rapport que nous
a fait M. le ministre des affaires étrangères ; nous ne pouvons le faire
convenablement que si nous avons toutes les pièces sous les yeux ; alors
seulement nous pourrons juger si nous devons accorder à M. le ministre de la
guerre, ou lui refuser. la somme qui nous est demandée ou s’il faut même dans
l’intérêt du pays voter des subsides plus considérables. Vous le voyez,
messieurs, les réticences de M. le ministre ne sont plus de saison ; nous
devons, pour pouvoir juger la portée du rapport, connaître toutes les pièces
subséquentes ; elles seules peuvent nous faire apprécier l’intention de nos
ennemis. C’est de cette connaissance parfaite que résultera le vote que nous
avons à émettre, et qui déterminera les moyens que nous devons confier au ministre
pour nous venger d’une insolente agression.
Je prie donc M. le
ministre de bien réfléchir aux conséquences de son refus et à la responsabilité
imminente qu’il assume sur sa tête.
Je l’ai dit tout à
l’heure, messieurs, le temps des réticences est passé. il n’y a plus personne à
tromper. Tout le monde a été trompé en Belgique, personne ne veut plus l’être.
C’est cartes sur table, disiez-vous il y a 10 mois, que la diplomatie veut
jouer son rôle. Eh bien, jouez donc cartes sur table : aujourd’hui c’est une
nécessité. Le pays vous le déclare ici par ma voix, il veut être éclairé sur sa
véritable position, il ne veut plus passer pour dupe, il veut connaître si les
hommes et l’argent que nous sommes disposés à vous accorder serviront à
maintenir l’intégrité du territoire beige.
Vous avez demandé
millions sur millions, vous avez demandé des hommes, nous vous avons tout
accordé ; toutes vos demandes étaient
faites pour sauver l’honneur du pays et maintenir l’intégrité du territoire ;
vous nous en donniez l’assurance et vous n’avez fait usage, ni des millions, ni
des citoyens toujours prêts à combattre. Remarquez bien que la nation belge,
comme la nation française, est convaincue aujourd’hui que tout cet appareil
militaire, on ne le conserve que pour nous écraser, pour nous ravir nos
libertés. Voilà, en définitive, le seul but de tous ces armements ; c’est au
moins le seul usage qu’on fait aujourd’hui de la conservation d’un pied de
guerre aussi considérable en France et ici. Est-ce dans le but de se disposer à
la guerre, d’en faire usage contre nos ennemis communs qu’on vous demande
aujourd’hui de nouveaux millions ? Le doute est bien légitime en présence d’un
système de réticence qui cache une arrière-pensée.
Que ne vienne pas nous
parler de la faiblesse de notre nombre et de la nécessité de nous conformer aux
volontés de ses alliés. Messieurs, l’insulte est assez grave pour le peuple
français, pour que nous soyons en droit d’espérer que, si un conflit avait
lieu, nous pourrions compter, non pas sur le gouvernement français, mais sur la
nation française tout entière. J’ai le droit de tenir ce langage, alors qu’un
de ceux qui siègent en ce moment au banc des ministres, a invoqué les
sympathies de la nation française à l’appui d’un de ses patrons, non le prince
de Saxe-Cobourg, le duc de Leuchtenberg ; il a voulu ameuter toute la nation
française en sa faveur, quand il a essayé de le faire arriver au trône de
Plus
de pusillanimité, énergie et franchise. Le peuple belge a toujours été franc et
loyal, il a toujours été ennemi de la fraude et de la déception. Si nous
continuons, il finira par faire connaître lui-même sa volonté. Prenez-y garde,
il finira par rompre les liens qui l’enchaînent et le tiennent dans un état
d’humiliation qui le ferait passer pour le peuple le plus lâche du monde, quand
dans tous les temps il s’est montré le plus brave et le plus généreux de tous
les peuples. Finissez-en avec toutes ces tergiversations, montrez au peuple la
franchise qu’il a droit d’exiger. Dès l’instant qu’il sera certain de sa
position, nous pouvons dire aussi avec certitude qu’aucun sacrifice ne lui
coûtera. Si au contraire nous persistons dans notre système, il nous laissera
tomber comme il a laissé tomber tant d’autres. Si Napoléon n’avait pas trompé
si souvent le peuple français, s’il lui avait montré plus de franchise, il ne
serait pas tombé. Je ne dirai pas que le même sort vous attend, vous n’aurez
jamais de sort aussi glorieux ; vous tomberez comme lui, mais vous aurez en
plus la honte et l’infamie. (Nouveaux
applaudissements.)
M. d’Huart. - J’aurais désiré que M. le ministre, comprenant mieux sa position,
nous eût communiqué les pièces qui sont à sa disposition. Mais après tout, je
ne vois pas la nécessité d’insister davantage. Que pourrait-il nous apprendre ?
qu’un nouvel affront a été fait à la nation ? Avez-vous besoin d’en connaître
d’autres ? les faits précédents ne suffisent-ils pas pour exciter votre juste
indignation ? Passons outre à la discussion, et laissons sur le ministère toute
la responsabilité de sou refus de nous communiquer les pièces.
M.
le président. - La parole est à M.
de Puydt.
M.
de Puydt. - Messieurs, les faits déjà connus, les discussions
partielles soulevées depuis plusieurs jours, le rapport même de M. le ministre
des affaires étrangères, et tout ce qui est parvenu jusqu’à nous des
stipulations de traites antérieurs, établissent d’une manière incontestable nos
droits à l’administration du territoire stratégique de la forteresse de
Luxembourg, soit que son rayon ait deux lieues d’étendue, soit qu’il en ait
quatre.
Mais, en convenant de
ces faits, on a semblé vouloir rattacher l’origine des désordres survenus à
l’obscurité des termes de l’arrangement militaire du 20 mai 1831.
Messieurs, je
rappellerai ici ce qu’a dit hier M. le ministre de la justice : quelle que soit
l’obscurité des termes d’une convention, il n’appartient pas à une des parties
de l’interpréter seule ; or, puisque la confédération s’est arrogé le droit
d’interpréter l’arrangement du 20 mai de sa pleine autorité et par l’emploi de
la force brutale, il est de toute évidence qu’elle nous a donné le droit d’en
agir de même.
Le rôle de la diplomatie
a été méconnu : d’après les usages c’est à elle à vider un litige de cette
nature, aussi longtemps que la contestation peut être éclairée par des notes ou
des conférences, je reconnais dans ce cas l’utilité des négociations. Mais
quand la violence éclate, quand les armes s’en mêlent, quand l’épée est tirée,
il n’y a plus deux partis à prendre : délibérer et une faiblesse, recourir à la
diplomatie est une lâcheté, la guerre seule est un devoir.
De deux choses l’une :
ou c’est nous qui nous trompons sur le sens de l’arrangement du 20 mai, ou
c’est la confédération. Dans l’un et l’autre cas, cet arrangement a été violé,
il est devenu nul. Il faut donc en faire un autre plus clair, plus précis sur
l’interprétation duquel on ne puisse varier, ou bien il faut combattre. Mais il
n’y a pas à hésiter sur les mesures ; pour conclure un nouvel arrangement comme
pour avoir réparation de l’affront qui nous est fait il faut entrer les armes à
la main dans le territoire contesté en 1834, comme nous y sommes entrés les
armes à la main en 1831 pour arriver à l’arrangement du 20 mai.
Pour juger
convenablement un acte du genre de celui dont il s’agit, il faut se reporter à
l’époque où il a été conclu, il faut peser les circonstances qui l’ont
provoqué. A mon avis, il n’y a pas de convention plus claire pour des
contractants de bonne foi, il n’y en a pas dont l’esprit soit plus conforme à
la lettre.
En 1831, la garnison du
Luxembourg jouissait de l’unique faculté que lui accordait les traités, celle
de pousser des reconnaissances dans un rayon déterminé autour de la place, et
d’y faire des promenades militaires.
Aussi longtemps que le
gouvernement belge s’est contenté d’une action administrative dans ce territoire,
cette jouissance n’a pu être inquiétée, et la garnison ne concevant aucun
ombrage de l’exercice de nos droits, n’a point songé à les entraver ; les
opérations de la milice même qui se sont faites sans contestations et sans
troubles, n’ont pu donner prétexte à aucune intervention étrangère, parce que
la levée de la milice est une mesure purement administrative. Les miliciens ne
deviennent militaires qui du jour où ils sont remis par l’autorité civile à
l’autorité militaire, pour être dirigés sur leurs corps respectifs, et c’est là
seulement qu’ils sont armés. Ainsi quand l’organisation militaire de la milice
commence, les miliciens des environs de Luxembourg sont déjà loin du territoire
stratégique. Jamais on ne l’a entendu autrement en 1831, par plus à Luxembourg
qu’à Arlon ; et si trois ans après on vient donner aux faits une interprétation
différente, c’est que par des actes de faiblesse ou d’imprudence on a autorisé
cette interprétation.
Après la levée de la
milice on a procédé à l’armement et à l’organisation de la garde civique des
communes qui touchent presqu’aux glacis de la forteresse. Des collisions ont eu
lieu entre des gardes civiques armés et des militaires prussiens, et par suite
de ces collisions une colonne de 1,500 à 2,000 hommes est vaillamment sortie de
la forteresse dans la nuit du 8 au 9 mai pour désarmer quelques paysans
endormis dans les villages d’Eich et Hollerich. Y avait-il de notre part
infraction aux traités ? Je l’ignore ; mais alors, comme aujourd’hui, sans
faire connaître ces traités, au mépris de tous les usages consacrés par les
nations civilisées, on a substitué la force au droit. La violence était
flagrante ; mais croyez-vous que nous nous soyons contenté d’échanger des notes
et de faire valoir des raisonnements ? point du tout. Nous avons étendu nos
cantonnements dans les communes même du rayon, nous avons poussé nos
reconnaissances jusqu’en vue de la place, jusqu’au pied des glacis et puis nous
avons dit : Négocions maintenant.
Telle est l’origine de
la convention du 20 mai ; aussitôt l’attentat qui l’a motivé commis, le
mouvement de nos troupes a commencé ; aussitôt nos troupes en mouvement, la
négociation a été ouverte et sa conclusions a été aussi prompte que
satisfaisante. Vous voyez donc bien que si, comme vous nous avons reçu des
affronts en 1831, mieux que vous, nous avons su les venger.
C’est donc de
l’organisation de la garde civique qu’il s’est agi dars la convention, puisque
cette organisation, se faisant aux abords de la forteresse, portait ombrage à
ses défenseurs. C’est du mouvement à nos troupes qu’il a été question, puisque
nos troupes, entrées dans le rayon stratégique pour exiger au besoin réparation
de la violence exercée à Eich et Hollerich, inquiétaient les patrouilles
prussiennes. La convention a été faite par des militaires qui de part et
d’autre connaissaient la nature des droits que donne à la garnison de
Luxembourg l’établissement de son rayon. Ces militaires n’ont pu ni dû entendre
par organisation militaire autre chose qu’armement et rassemblement de troupes,
et cette stipulation se rapporte tout à la fois aux gardes civiques armés et
s’exerçant sous les yeux des fonctionnaires prussiens, et aux corps et troupes
régulières que nous avions fait avancer pour appuyer nos négociations et
prévenir de nouvelles violences.
L’arrangement militaire
du 20 mai entendu de la sorte, et il n’y a pas deux manières de l’entendre, est
donc un service rendu ; il constate un respect mutuel pour nos forces
réciproques ; c’est une espèce de victoire remportée, puisque cet arrangement
resserre à deux lieues les limites du territoire stratégique, puisqu’il
restreint la faculté que les traites invoqués donnent à la garnison d’étendre
ses reconnaissances jusqu’à 4 lieues, et que ce résultat n’a été obtenu si
promptement que par l’appui de nos armes.
Je repousse donc
l’opinion qui tend à rattacher nos embarras actuels à la convention du 20 mai.
On a blâmé les
expressions dont je me suis servi en commun avec un de mes honorables amis pour
qualifier la conduite tenue par le commandant militaire d’Arlon. On loue la
prudence de cette officier général, qui du reste n’a fait qu’exécuter les
ordres du gouvernement.
Messieurs, je ne blâme
pas les personnes, je blâme les actes ; c’est à ceux qui en sont coupables à en
rougir s’il y a lieu. Le gouvernement revendique le reproche que nous avons
adressé au commandant d’Arlon, soit : je le lui renvoie.
Mais qu’il me soit
permis de citer un fait qui fera juger de tous les autres.
Quand, en 1832,
l’honorable M. d’Huart fit arrêter M. Pescatore de Luxembourg, le général
Dumoulin s’empressa de le réclamer, en alléguant qu’il avait été arrêté dans le
rayon stratégique. A pareille demande il n’y avait qu’une seule réponse à
faire, c’était de dire : « M. Pescatore a été arrêté par représailles de
l’enlèvement de M. Thorn, et eût-il été pris sur la place publique de
Luxembourg, la représaille est juste ; il ne sera rendu que quand on rendra M.
Thorn. » Voilà ce que j’aurais appelé une réponse ferme et qui ne pouvait
compromettre nos droits. Au lieu de cela, le général commandant à Arlon ouvrir
une discussion sur le fait ; il chercha à prouver au général Dumoulin que
l’arrestation avait eu lieu hors du rayon, reconnaissant par là implicitement
que l’autorité militaire de Luxembourg aurait une juridiction quelconque à
exercer dans ce rayon. Voilà ce que j’appelle une faiblesse, et de cette
faiblesse date l’exigence toujours croissante du commandant de Luxembourg.
Messieurs,
que les faits passés nous servent de leçon. La violence exercée par la
confédération doit être la mesure de notre conduite ; les traités même que la
confédération invoquait ont été violés par elle ; l’attentat commis sur la
personne de M. Hanno nous donne le droit de repousser la force par la force ;
usons de ce droit. Toute demi-mesure, en pareil cas, n’est pas seulement une
faute, c’est un crime. Un gouvernement qui hésiterait à venger l’honneur
national outragé, s’associerait à l’outrage. Ce n’est donc pas autour du rayon
stratégique qu’il faut établir nos troupes, c’est sous les murs mêmes de
Luxembourg, afin de tenir en respect son insolente garnison, et de faire un
acte de possession digne d’un peuple qui sent le prix de sa liberté. (Applaudissements dans la salle et dans les
tribunes.)
M. d’Huart. - Messieurs, avant de me livrer
directement à l’examen du projet de loi de M. le ministre de la guerre,
j’entrerai dans quelques considérations qui se rattachent plus particulièrement
aux événements du Luxembourg et par conséquent au rapport de M. le ministre des
affaires étrangères. Le gouvernement était-il dans son droit en ordonnant la
levée de la milice dans la partie allemande du Luxembourg comme dans tout le
reste de la province ? Etait-il dans son droit en faisant procéder à
l’adjudication des coupes ordinaires de la forêt domaniale du Grunwald, située
dans la même portion de territoire ? Voilà les deux questions que j’examinerai
d’abord.
Depuis les premiers
jours de la révolution à laquelle le Luxembourg entier s’est spontanément
associé, l’administration de cette province a été placée sous la loi commune à
toute
N’allez pas croire cependant
que les agents de la confédération germanique étaient guidés par des sentiments
de bienveillance ou de justice ; non, messieurs, leur haine qui s’est si bien
manifestée depuis contre nous, était alors comprimée par la terreur
qu’inspirait l’esprit de liberté propagé dans toutes les têtes ; le despotisme,
sentant sa véritable position, prévoyait bien que sa chute serait inévitable
s’il tentait d’offrir la moindre résistance contre les révolutionnaires de
France et de Belgique. L’incendie était allumé, un rien pouvait lui faire
envahir toute l’Allemagne. Il fallait donc souffrir ce à quoi il eût été si
dangereux de s’opposer, il fallait refroidir l’élan invincible du patriotisme,
et pour cela la diplomatie entourée de ses ruses et de ses lenteurs était l’unique
moyen. Vous en connaissez maintenant les œuvres.
On vous l’a déjà dit.
Dans le commencement de l’an 1831, la garde civique fut organisée dans le
Luxembourg comme ailleurs et on distribua quelques armes dans des communes du
rayon stratégique de la forteresse. A cette époque aussi nos troupes, quoiqu’en
petit nombre, poussaient journellement des reconnaissances jusqu’au rayon
kilométrique de la place. L’armement des gardes civiques et les excursions des
patrouilles belges, amenèrent des collisions avec les soldats de la garnison ;
c’est alors que fut conclue entre le prince de Messe et le général Goethals,
l’espèce de convention dont on nous a donné connaissance.
En se reportant ainsi,
comme l’a fait l’honorable préopinant, aux causes et au but de cette
convention, on est convaincu qu’il ne peut y avoir été question de l’opération
purement civile du tirage de la milice dans le rayon arrêté par cette
convention, et il est évident qu’en parlant d’opérations, mouvements et séjour
de détachements ou parties de troupes étrangères (ce sont les termes de la
convention), l’on n’y a pas même songé. Et, en effet, quel était le but de la
convention, de faire cesser toute collision entre la garnison et nos forces
militaires ; or, les jeunes gens appelés au tirage de la milice ne sont rangés
par cette simple opération d’ordre dans aucune espèce d’organisation, et ne
reçoivent ni armes ni uniformes. En quoi donc pourraient-ils compromettre la
sûreté de la place ; et s’ils ne peuvent compromettre cette sûreté, de quel droit
et sous quel prétexte, le commandant de la forteresse vient-il s’opposer à
cette opération ?
Il a donc fallu torturer
l’esprit de cette convention pour élever les prétentions malveillantes dont le
général Dumoulin a fait un si odieux abus, et il faut bien reconnaître que le
gouvernement a usé de son droit en ordonnant le tirage de la milice dans tout
le Luxembourg sans exception.
Quant à l’exploitation
des coupes ordinaires du Grunenwald, il est si évident qu’il appartient au
gouvernement d’en disposer à son gré, qu’il n’y a pas un mot à ajouter à la
simple exposition des faits, présentée par M. le ministre des affaires
étrangères, pour le prouver. Là s’évanouit tout prétexte concernant la défense
de la place. Là se présentent dans toute leur force, comme dans le premier cas,
nos droits de possession garantis par la convention du 21 mai.
Puisque j’ai parlé de
malveillance de la part des agents de la confédération germanique, il n’est pas
inutile de vous en citer quelques preuves. Dans des conflits de la nature de
celui qui vient de s’élever dans le Luxembourg, il est bon de ne pas se faire
illusion sur la pensée et le but de ses adversaires.
Après avoir inutilement
cherché à exciter les habitants du Luxembourg à une contre-révolution, par de
nombreux écrits, par des démarches multipliées, les pamphlétaires et autres
agents stipendiés du roi Guillaume, retranchés derrière les murs de la
forteresse, songèrent à d’autres moyens pour arriver à leur but, ils
imaginèrent la menace et la violence. Le roi Guillaume, trompé par les
intrigants à sa solde, réunit à grands frais dans la ville même de Luxembourg,
une troupe de mercenaires connue depuis sous le nom de bande Tornaco, et au
moyen de laquelle il se croyait certain de réussir dans ses projets par la
guerre civile.
Cette bande armée, dont
le quartier général était, comme je viens de le dire, à Luxembourg même, se
livra à plusieurs exactions dans et hors le rayon de la forteresse, elle fut
constamment tolérée par les Prussiens composant la garnison, que dis-je, elle
fut protégée par eux ; car dès qu’elle était refoulée par nos gendarmes et nos
douaniers, jusque dans le rayon, les Prussiens étaient là embusqués pour les
empêcher de poursuivre. Enhardie par cet appui et par sa confiance dans un lieu
sûr de retraite, la bande Tornaco poussa plus loin ses criminelles tentatives,
elle alla jusqu’à Ettelbruck pour abattre le drapeau tricolore. Vous savez tous
ce qui en advint, les intrépides habitants, quoique abandonnés à eux-mêmes,
opposèrent une résistance terrible, dispersèrent et détruisirent en quelque
sorte cette bande, puisqu’à partir de ce jour le pays en fut purgé.
Lorsque par un infâme
guet-apens M. Thorn, gouverneur civil du Luxembourg, fut traîné dans les prisons
de cette ville, les Prussiens firent-ils autre chose que d’applaudir à cet
attentat ? Postérieurement lorsqu’après six ou huit mois de détention de ce
magistrat, nous usâmes de représailles en mêlant un haut fonctionnaire du roi
Guillaume, les Prussiens demeurent-ils au moins impassibles ? non, ils ne
purent s’empêcher de faire paraître au grand jour toute leur partialité ; ils
prirent prétexte de l’arrestation de M. Pescatore, pour exiger la sortie
immédiate des gendarmes hors du rayon où ils n’avaient cessé d’être auparavant
pour exercer le police civile, de plus ils firent hautement des menaces à tous
nos fonctionnaires.
Je pourrais citer
beaucoup d’autres exemples de la manière d’agir des agents de la confédération
germanique envers nous ; mais ce que je viens de dire suffit pour qu’on ne se
trompe pas sur la portée de leurs intentions hostiles.
Voyons maintenant si
notre gouvernement, qui n’a jamais pu se méprendre à cet égard, et qui dans ces
derniers temps surtout devait être sur ses gardes, puisqu’il était prévenu par
des sommations et des menaces ; voyons, dis-je, si le gouvernement a pris
toutes les précautions nécessaires, en un mot s’il a fait son devoir.
Dès le 6 janvier le
gouvernement fédéral de Luxembourg notifia au général Tabor son intention de
s’opposer à des coupes du Grunenwald, et le 19 du même mois il annonça
également son opposition au tirage de la milice dans le rayon stratégique. Le 2
février il écrivit une circulaire menaçante aux bourgmestres de ce rayon, pour
les enjoindre de désobéir aux ordres des autorités belges, et le lendemain il
adressa au général de Tabor la lettre injurieuse à laquelle j’ai fait allusion
dans une précédente séance.
Depuis le 6 janvier une
foule de circonstances sont donc successivement venues annoncer, d’une manière
positive à notre gouvernement, que ses droits étaient ouvertement méconnus, que
l’on organisait l’anarchie dans les environs de la forteresse, pour nous en
enlever ensuite la possession et l’administration.
Qu’a fait le
gouvernement pour s’opposer efficacement à ces tentatives, pour faire respecter
son autorité ? Rien. Mais je me trompe, il s’est humilié devant les menaces, il
a secondé l’arrogance et les prétentions de nos adversaires, en cédant à ses
exigences. La réponse qu’il fit écrire au général Dumoulin, par le général
Tabor, en fait foi.
La province, depuis
longtemps réduite à la protection dérisoire de 250 soldats belges, n’a pas été
renforcée d’un seul homme ; on serait presque tenté de croire que le ministère
n’eût pas vu d’un mauvais œil le Luxembourg, un beau matin, entièrement
conquis, sans résistance, par un simple coup de main de la confédération
germanique.
Instruite sans doute du
bon esprit et de la bravoure des Luxembourgeois ; certaine de rencontrer de
leur part, quoique abandonnés à eux-mêmes, une vigoureuse résistance, la
garnison de Luxembourg n’a pas jugé le moment propice pour se répandre à une
grande distance de la forteresse ; mais pour amener un commencement
d’exécution, pour essayer ses forces, elle a consommé dans la nuit du 15 de ce
mois, sans danger, son premier acte d’hostilité flagrante contre
L’attentat commis sur la
personne de M. Hanno, connu le 18 dans cette enceinte, excita toute votre
indignation, la froideur, l’impassibilité des ministres ne servirent qu’à
rendre plus vive l’explosion de vos nobles sentiments ; la chambre en ce jour a
rappelé les beaux jours du congrès, son attitude a été digne du pays. Le sénat
n’est pas non plus resté en arrière en cette circonstance, nous avons vu là des
respectables vieillards s’exprimer avec toute l’énergie de la jeunesse, nous
avons vu ce corps politique, modérateur par essence, exprimer unanimement et
énergiquement comme vous, au souverain, le besoin de venger au plus vite
l’honneur national outragé.
En présence d’un accord
de vues aussi unanime de la représentation nationale, la conduite d’un
ministère véritablement national était toute tracée : le gant était jeté à
Il faut donc bien le
reconnaître, messieurs, le ministère n’a pas rempli son devoir avant
l’arrestation de M. Hanno, il ne l’a pas rempli depuis. Pouvons-nous, ou
devons-nous après cela lui continuer notre confiance, voilà ce que nous saurons
de ses explications. Toutefois, je dois le dire à l’avance, je crains que ces
explications ne soient point satisfaisantes, et j’en augure mal d’après les
motifs ambigus du projet de loi en discussion auquel je vais arriver plus
directement.
Je dis, messieurs, que
les motifs du projet sont ambigus : et en effet, il serait fort difficile de se
rendre compte de la pensée du gouvernement, car on n’indique pas à quel usage
on destine le crédit demandée ; il me semble que l’on a voulu plaire à la fois
au pays et à la diplomatie étrangère. D’un côté, on a laissé échapper comme par
hasard le mot de Luxembourg, pour que les véritables amis de
Le rapport de la
commission vous a instruit des explications que M. le ministre de la guerre a
été appelé à donner dans son sein, et vous voyez par les conclusions sur
lesquelles nous délibérons en ce moment, la justice qui en a déjà été faite.
Les tergiversations du
ministère depuis les événements du Luxembourg, son manque de franchise, doivent
exciter toute notre défiance. Il est évident pour moi, qu’au lieu de faire nos
affaires par nous-mêmes, on veut encore une fois s’en rapporter exclusivement à
l’étranger.
C’est à nous, messieurs,
à nous opposer à une telle humiliation dont les conséquences seraient le
déshonneur complet de la nation et du patriotisme qui est le principe
d’existence de
M.
le président. - J’invite le public à garder le silence ; si des
applaudissements se font encore entendre dans les tribunes, je donnerai l’ordre
de les faire évacuer.
M. d’Huart, reprenant. - Oui, messieurs, à
nous à déclarer hautement que le ministère Lebeau doit cesser de gouverner
Messieurs il importe de
ne pas se faire illusion sur la situation de nos affaires ; nos ennemis
ourdissent une trame sanglante contre
Remettons donc au plus
tôt nos armements à leur grand complet et par une attitude digne d’une nation
qui a su se constituer par elle-même, déclarons à l’Europe et prouvons aussitôt
que nous ne souffrirons pas les insultes, que nous ne craignons ni les menaces,
ni les démonstrations quelque imposantes qu’elles puissent être ; voilà dans
quel sens et dans quel but j’admettrai des demandes de crédit.
Si nous agissons ainsi,
messieurs, nous rendrons à
Notre triomphe alors,
c’est-à-dire celui de bon droit sur l’injustice, celui de la liberté sur le
despotisme, serait irrévocablement assuré. Bien plus, une multitude d’hommes
mûrs dans la civilisation, aujourd’hui courbés sous le joug, trouveraient ainsi
l’occasion d’accélérer l’époque si ardemment désirée de leur émancipation
politique.
Notre salut et celui de
plusieurs autres peuples est entre nos mains. Marchons donc en avant. (Vifs applaudissements).
Et
si, messieurs, notre juste attente était déçue, si nous succombions dans la
lutte, nous n’aurions rien à nous reprocher, nous aurions la consolation
d’avoir fait notre devoir ; une nation comme un individu doit préférer une mort
honorable à une vie de déshonneur.
Je le répète donc,
marchons en avant ! (Nouveaux
applaudissements.)
M. le
ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Messieurs, je ne sais ce qu’a
voulu dire le préopinant avec son expression ministère Lebeau. Je ne suis
inféodé, ni à M. Lebeau, ni à M. d’Huart.
M. d’Huart. - Je ne suis pas ministre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
suis inféodé à
(Moniteur belge n°61, du 2 mars 1834) M.
Angillis. - Messieurs, nous plaidons une cause en l’absence des pièces principales
du procès ; c’est naviguer sans boussole sur une mer presque inconnue. Je le
dis avec peine, les annales parlementaires de nos voisins présentent peu
d’exemples d’un refus de la part du ministère, aussi mal déguisé et prononcé
d’un ton aussi acerbe. Le ministère voudrait-il traiter la chambre comme il se
laisse traiter à l’extérieur ? S’il a cette prétention, je dois lui faire
observer qu’il pourrait arriver que la chambre aura à la fin communication,
contre laquelle il n’y a rien au monde de possible que des coups d’Etat, et
l’on sait ce que des coups d’Etat trop souvent répétés amènent.
Si la chambre partageait
mon avis, je mettrais, dès à présent, l’ultima ratio en pratique, en refusant
de voter le budget, Jusqu’à la production des pièces que l’on possède et qu’on
refuse de nous communiquer.
Je ne m’attacherai point
à rechercher les imprudences commises par l’administration dans les rapports
qu’il a pu avoir avec les autorités militaires de la forteresse du Luxembourg ;
je bornerai mon examen à ce qui nous reste à faire dans cette grave
circonstance, ce qu’exigent la dignité du pays et l’honneur national.
Cependant je ne puis
passer sous silence deux points que je remarque dans cette correspondance.
Vous avez vu, messieurs,
que dans la lettre du 20 mai 1831 le gouverneur de la forteresse traite le
gouvernement belge de gouvernement de fait. Ni le général Goethaels à qui cette
lettre était adressée, ni le gouvernement, n’a relevé cette insultante
qualification. L’Europe ne sait peut être pas assez que le gouvernement qui
s’est établi en Hollande immédiatement après que les Français eurent quitté ce
pays, fut un véritable gouvernement de fait.
La maison d’Orange
n’avait jamais exercé la souveraineté en Hollande. On sait quels étaient les
pouvoirs et les attributions attachés au Stathoudérat. On sait aussi que quatre
ou cinq individus sont allés en Angleterre offrir, de leur propre volonté, sans
aucune mission quelconque, la souveraineté au prince d’Orange. Toute cette
histoire est encore trop récente pour que nous, contemporains et victimes,
l’eussions oubliée. On sait comment et par qui la réunion de
Et le gouvernement
belge, messieurs, qu’un militaire allemand traite de gouvernement de fait, est
un gouvernement qui possède les véritables conditions de la légitimité. Elu
librement par un peuple qui était rentré dans ses droits depuis longtemps
violés ; un pouvoir que le peuple s’est donné, qu’il a placé sur un trône élevé
par ses mains victorieuses ; une royauté créée par la volonté nationale sans le
concours d’aucune force étrangère ; une royauté citoyenne, saluée à son
avènement par la nation entière comme le fondement et le conservateur des
libertés publiques. Voila, messieurs, ce qu’on traite d’un gouvernement de
fait, et voilà ce que ce gouvernement a souffert sans protestation ni
réclamation.
On trouve dans la même
lettre une autre insulte adressée au général Goethaels, et cette insulte est
également passée comme inaperçue ; du moins elle est restée sans réponse. C’est
la partie de la lettre qui fait allusion au désarmement par les troupes de la
forteresse de la garde civique. L’auteur de la lettre vante ce désarmement et
dit que par cette mesure le calme et le repos ont été rétablis dans les
communes voisines, où depuis longtemps ils n’avaient pas existé. Et un général
belge souffre non seulement qu’on lui vante des mesures agressives qu’il n’a
pas réprimées, mais encore qu’on vienne l’accuser de n’avoir pas su maintenir
l’ordre dans les communes où ce désarmement a eu lieu. De deux choses l’une :
ou la possession de ces communes nous appartient, ou elle ne nous appartient
pas. Dans le premier cas, il ne fallait pas souffrir que l’on désarmât nos
gardes civiques, et que l’on vînt plus tard nous dire que cette mesure a
rétabli la tranquillité que nous ne pouvions maintenir. Dans le second cas, il
y aurait quelque chose de plus que de l’imprudence de nous mêler de
l’administration des communes dont nous n’avions pas même la possession. Dans
l’un ou l’autre cas, il y a eu pusillanimité ou mauvaise direction.
Ces observations
s’appliquent également à la coupe du bois et à l’exploitation de la forêt de
Grunwald. J’abandonne un plus ample examen de cet objet à d’autres membres qui
s’en occuperont probablement. Je dis quelques mots sur la question principale,
qui est l’insulte qui a été faite à
Examinez, messieurs,
cette question sous toutes ses faces ; entrez dans tous ses plis et replis, et
vous arriverez à la conséquence que l’acte brutal du commandant de Luxembourg
est une violation flagrante du droit des gens et une injure à
Que cette injure ait été
commise en vertu des ordres de la diète, ou en vertu du bon plaisir du général
allemand, cela me paraît fort indifférent : il suffit qu’elle ait été commise,
pour que nous ayons le droit d’en demander réparation.
Si les souverains qui
forment la diète germanique connaissaient mieux leur propre position et
l’esprit des peuples qu’ils gouvernent, ils comprendraient qu’une seule
étincelle, de quelque coin de l’Europe qu’elle arrive, occasionnera un
embrasement général ; alors on verra ce que déjà nous avons vu : on verra de
ces grands événements qui étonnent toujours les plus sages et qui confondent
toute la prudence humaine. Que ce moment arrive, et alors rien ne saurait plus
résister à cette volonté générale des peuples européens, réunis par une
conviction intime de leurs droits et de leurs besoins.
Ce serait une erreur de
compter sur le nombre de leurs troupes pour étouffer la liberté ; les
baïonnettes sont devenues citoyennes, depuis qu’on sait que les rois
appartiennent aux peuples, et que l’autorité est instituée, non pour le plaisir
de ceux qui gouvernent, mais pour le bonheur de ceux qui sont gouvernés. Un
nouveau pouvoir s’est élevé, a dit le célèbre chancelier de l’échiquier,
pouvoir qui a réduit à zéro le pouvoir du soldat, fût-il dix fois plus puissant
encore. C’est un autre pouvoir qui exerce son influence sur le 19ème siècle. Le
maître d’école est le vrai dominateur de notre époque, son alphabet est plus
puissant que la baïonnette du soldat.
Celte force impérieuse
dont parle M. Brougham, c’est l’ascendant de la civilisation ; il n’y a rien de
plus puissant dans le monde que cet ascendant. Cette nouvelle puissance ne
s’inquiète nullement des résistances ; elle triomphera du despotisme, non pas
parce qu’elle combat, mais par cela seul qu’elle existe.
Nous ne pouvons pas
souffrir, messieurs, que l’on nous insulte. Une nation qui souffre l’insulte
perd sa dignité, et quand la dignité s’avilit, l’infamie se lève.
Je pense que le moment
est arrivé pour finir nos affaires, et puisqu’on nous jette le gant, il faut le
relever sans calculer les conséquences, car tôt ou tard il faut sortir de cette
position qui nous expose à plus d’une humiliation ; tâchons d’en sortir avec
honneur, et arrive ce qui pourra.
On doit se convaincre
maintenant que nous ne finirons jamais amicalement avec
Nous savons depuis le
principe que les puissances absolutistes n’out aucune amitié pour nous ; leur
immobilité leur est conseillée par la prudente ; ceux qui ont eu foi en cette
amitié se sont fait illusion, et, en bonne logique, ce qui est illusion dans le
principe se termine par des mécomptes, et ces mécomptes seront d’autant plus
grands, que l’illusion a été plus complète. C’est ce qui arrive maintenant.
On ne doit pas croire
que la confédération germanique nous donne volontairement la réparation qui
nous est due ; voici comment les députés bavarois, dans leur adresse au roi de
Bavière, ont adopté les dernières résolutions de ladite diète : « Mort au
système constitutionnel en Allemagne et dans toute l’Europe, oppression pour
ses partisans, extinction de sentiment libre de l’esprit humain. » Voila,
messieurs, un avertissement à tous ceux qui aiment la liberté ; voilà un
langage qui indique à tous les Etats constitutionnels qu’ils ne peuvent compter
sur aucune affection politique de la part de la confédération.
Mais si on ne doit rien
espérer de l’amitié des puissances absolutistes, par système de compensation on
ne doit rien craindre de leur haine ; aucune n’est dans l’état de nous faire du
mal, car toutes ont assez de besogne dans leur propre pays.
Pour nous, messieurs,
l’indépendance est notre premier besoin ; sans indépendance,
C’est faire un acte de
patriotisme que de témoigner publiquement ses doutes et ses craintes sur
l’issue de l’œuvre de la diplomatie et la disposition des puissances à notre
égard ; car lorsqu’on veut éviter un danger, on ne saurait le signaler trop
souvent et avec trop d’éclat. Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs, nos ennemis
sont toujours avertis de nos points faibles, alors même que nous paraissons les
ignorer. Le moyen le plus sûr de les contenir, c’est de mettre dans nos
paroles, comme dans nos actes, une résolution énergique de remédier aux
inconvénients de notre position. Une répugnance pusillanime à s’en rendre un
compte exact, et une sécurité présomptueuse, sont au contraire les signes
accoutumés et les avant-coureurs de la perte des nations.
Notre position avant
l’acceptation des 18 articles était beaucoup plus belle, et l’occasion que nos
gouvernants d’alors ont laissée échapper est à pleurer en larmes bien amères ;
mais rien n’est encore perdu : notre modération prouve plutôt le sentiment de
notre force que celui de notre faiblesse. Qu’il y ait parmi les Belges éclairés
unanimité d’efforts et de sacrifices, et nous traverserons tous les obstacles.
Jamais, sans doute, une
nation ne s’engagera dans une guerre, chaque fois qu’elle pourra l’éviter avec
sûreté et honneur ; mais, messieurs, la patience a ses limites ; et un peuple
qui comprend ses véritables intérêts, et qui sait lui-même se respecter,
n’hésitera point à recourir aux armes pour repousser une agression, venger une
injure, et défendre ses droits et ses libertés.
Je le répète, messieurs,
il faut tenir pour constant que toute transaction diplomatique avec le roi de
Hollande est impossible. Son but, celui de ses amis, est d’entretenir en
Belgique une incertitude accablante, qui occasionnera une suspension
commerciale, stagnation de toute industrie, souffrance générale et ruineuse
pour le pays. Les promesses réitérées d’un prochain accommodement ont pu
justifier notre patience ; mais maintenant que l’on nous outrage, qu’on nous
méprise, ah ! messieurs, montrer encore de la patience serait une flétrissure,
et notre immobilité une lâcheté. Il faut donc faire un appel aux puissances qui
ont garanti l’exécution des traités qu’on nous a imposés, et se préparer à
prouver qu’une nation qui a su conquérir sa liberté saura conserver.
Le gouvernement, en exécution
de l’adresse des chambres, demande l’allocation d’un crédit ; la commission que
vous avez nommée pense qu’il n’est pas suffisant. Je le pense aussi ; mais je
ne veux pas entrer en discussion sur le montant du crédit que le gouvernement
demande ; il doit connaître ce dont il a besoin pour faire respecter nos droits
et nos libertés. Il ne doit pas oublier qu’une immense responsabilité pèse sur
lui. S’il veut périr volontairement, s’il périt par son indolence ou par sa
faute, la nation ne sera pas responsable d’événements qu’on pourrait prévenir
en suivant le, conseil de ses mandataires. Je voterai pour toutes les sommes
que l’on demandera.
(Moniteur belge n°60, du 1er mars 1834) - La séance est levée à
quatre heures et demie.