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Note
d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 2 septembre 1833
Sommaire
1) Projet de loi portant des crédits
au budget du département de la guerre (Brabant)
2) Projet de loi portant le budget de
la dette publique pour l’exercice 1833. Débat incident relatif à la société
générale (Meeus, Legrelle, Dumortier, Lebeau, de Brouckere)
3) Projet de loi portant le budget
du département de la justice pour l’exercice 1833.
a) Discussion générale. Vénalité des
places de notaires (Liedts, Lebeau,
Dubus, Lebeau, Dubus),
de magistrats (de Brouckere, Lebeau)
et de notaires (Liedts), intrigues électorales et
collation des places (Dumortier, F.
de Mérode, Rogier, Dumortier,
Rogier), circonscriptions judiciaires (Desmet,
Lebeau)
b) Discussion des articles.
Traitements des fonctionnaires (Lebeau), cour de
cassation (Lebeau, de Brouckere,
Lebeau, Schaetzen, Dewitte, Dubus, Dewitte,
Lebeau, Lebeau, Legrelle, Lebeau, Dubus, Lebeau, Legrelle,
Dubus, Lebeau, Dubus,
Lebeau, d’Huart, Verdussen, Dubus, Lebeau)
(Moniteur belge n°247, du 4 septembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
A midi et demi on procède à
l’appel nominal. 40 membres seulement sont présents.
A 1 heure moins un quart la
chambre se trouvant en nombre, la séance est ouverte.
M. H. Dellafaille, l’un des secrétaires, donne lecture du
procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. le président. - La parole est a
M. Desmaisières, rapporteur de la commission chargée d’examiner la demande de
crédits faite par le ministre de la guerre.
M. Desmaisières. - Ce rapport est assez long ; si la chambre le
veut, je le déposerai sans le lire sur le bureau (Oui ! oui !)
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. A
quand veut-on fixer la discussion de cet objet ?
Plusieurs voix. - Après le budget.
M. Desmaisières. - Je demande que ce soit après le budget de
l’intérieur.
M. Brabant. - J’appuie la proposition de fixer cette discussion
après celle du budget de l’intérieur, car il est fort à craindre que la chambre
ne se sépare immédiatement après la délibération des budgets, et vous savez,
messieurs, que dans les transferts de crédits dont il s’agit sont comprises des
créances de communes ou de particuliers qui ont fait des prestations à l’armée
française. Ces communes et ces particuliers ont déjà attendu trop longtemps. (Appuyé.)
- La chambre décide que la
discussion du projet de loi aura lieu après celle du budget du département de
l’intérieur.
Débat incident sur l’article 3 du chapitre premier
M. le président. - La parole est à M. Meeus.
M. Meeus. - Dans votre séance du 31 août, à laquelle je regrette qu’une légère
indisposition m’ait empêché d’assister, M. le rapporteur de votre section
centrale, et après lui M. Legrelle, ont tenu sur le
compte de la banque des discours tellement étranges, si j’en crois le Moniteur, que j’aime encore à douter
que ce journal officiel ait rendu exactement leurs paroles.
D’après le Moniteur, le rapporteur de la section centrale aurait dit :
« Toutefois nous avons
appris qu’un grand nombre de coupons ont été payés à Bruxelles et à Anvers, et
que, nonobstant ce fait, on réclame pour le change la même somme que si
l’intégralité des coupons avait été payée à Londres. Pour satisfaire à cette
réclamation, il est en effet nécessaire d’augmenter le chiffre de 100,000 fr.
porté à l’art. 3 du chap. 1er, ainsi que le demande M.
le ministre des finances.
« Que la maison
Rothschild fasse ses affaires comme elle le voudra ; qu’elle s’occupe de ses
intérêts, rien de mieux ; mais que la banque de Bruxelles, caissier de l’Etat,
après avoir remboursé les bons en cette qualité, les envoie à Londres afin de
profiter du change et de faire un bénéfice de 2 p. c. sur le trésor du pays,
c’est ce que l’on ne peut assez blâmer et nous devons signaler ce fait, pour
que la nation sache comment la banque agit envers l’Etat auquel elle prétend
rendre les plus grands services, elle qui se donne comme une Providence.
« L’administration
étant dans l’impossibilité d’empêcher cet abus, nous avons devoir le publier à
la tribune nationale, pour que les porteurs de coupons profitent eux-mêmes des
bénéfices du change qui, avons-nous dit, produisent, terme moyen, 2 p.
c. »
Messieurs, si la banque a été
chargée par le ministre des finances de payer les coupons des emprunts
Rothschild frères et d’en tenir compte à l’Etat, et qu’au lieu de suivre à cet
égard ses intentions, elle a payé et négocié pour son compte ces mêmes coupons,
la banque, messieurs, a trahi ses devoirs, elle a manqué aux lois de la probité.
Telle est cependant l’accusation qu’on a osé lancer imprudemment de cette
tribune contre un établissement de crédit public, établissement qui avait tout
au moins le droit d’attendre de vous, messieurs, que vous ne le jugiez point
légèrement et que vous n’ajoutiez pas foi à une accusation vague et sans
preuves aucunes.
Quant à celui qui a l’honneur
de vous parler en ce moment, s’il avait sciemment toléré l’abus qu’on vous a
signalé, il serait indigne, je le déclare, d’être à la tête de l’administration
de la banque du royaume, et indigne de siéger parmi vous. Un honnête homme,
messieurs, ne peut vouloir pour les autres un lucre qu’il regarde comme
déshonorant pour lui-même.
Mais a-t-on vraiment bien
réfléchi à la hauteur de l’accusation ? A-t-on bien calculé toute sa portée ?
a-t-on compris que l’on inculpait ainsi avec moi tous les directeurs de la
banque ? Et les noms honorables dont se compose cette administration, n’ont pas
fait élever une voix dans cette enceinte pour demander les preuves de ce qu’on
avançait.
Si la banque, sans
instructions du ministre, avait payé des coupons de l’emprunt et les avait
négociés, à la rigueur qu’y aurait-il à lui reprocher ? Rien ; car, n’ayant
point mission de payer pour autrui, elle pourrait répondre qu’elle n’a pu payer
que pour elle-même et à ses propres risques. Eh bien, messieurs, c’est parce
que la banque n’agit pas à la rigueur ni d’une manière jésuitique, c’est parce
qu’elle s’explique franchement et loyalement ses devoirs, que je ne crains pas
de déclarer que dans mon opinion elle aurait encore, dans le cas présent, sinon
manqué à la probité, au moins à la délicatesse.
Je fais donc une large part
aux accusateurs de la banque, puisque je ne crains pas d’avance que, soit
qu’elle ait reçu les instructions du ministre, soit qu’elle n’en ait pas reçu,
elle n a pu disposer des coupons qu’on a touchés à sa caisse.
Un grand nombre de coupons ont
été payés ici et à Anvers, a dit M. le rapporteur. Messieurs, ce premier fait
est inexact : très peu de coupons ont été payés ici ; vous en aurez tout à
l’heure la preuve.
Mais, continue M. le
rapporteur, que la banque, caissier de l’Etat, après avoir remboursé le coupon
en cette qualité, les envoie à Londres afin de profiter du change de 2 p. c.
sur le trésor, c’est ce que l’on ne peut assez blâmer, et nous devons signaler
ce fait pour que la nation sache comment la banque agit envers l’Etat. Ce qui
est à blâmer, messieurs, et ce que la nation apprendra avec étonnement, c’est
qu’on a été assez hardi de surprendre la religion de M. le rapporteur, et que
celui-ci, et M. Legrelle après lui, se sont,
involontairement sans doute et par pure légèreté, rendus les publications de la
calomnie que des ennemis de la banque voulaient déverser sur elle. Je dis des
ennemis de la banque ; car la banque, vous n’en doutez pas, je pense,
messieurs, en a plus d’un : les grands établissements offusquent les petits
hommes. Mais enfin, M. le rapporteur, organe de la section centrale, et. M Legrelle, renommé pour sa circonspection et sa retenue,
auront sans doute demandé aux détracteurs de la banque une preuve du fait
avancé. Eh bien ! je les adjure de la donner. Mais
non, je porte le défi d’en donner la moindre.
Je veux vous lire l’article du
contrat passé entre M. Rothschild et le gouvernement, et qui est relatif au
paiement des intérêts. Le voici.
(L’orateur donne lecture de
cet article.)
Messieurs, résulte-t-il de cet
article que la banque paie en sa qualité de banque ou doit payer comme caissier
de l’Etat. Je laisse la question à décider ; mais toujours est-il vrai que
jusqu’à ce jour la banque n’a reçu aucune instruction du ministre, et qu’en
conséquence j’ignore encore comment le ministre entend cet article. En
l’absence d’instructions, voici, messieurs, les faits qui se sont passés à la
banque relativement au paiement des coupons :
Aux échéances de mai et
novembre 1832, on présenta à la trésorerie 826 coupons, qui furent payés à fr.
25-20.
En mai 1833 on en présenta
640, qui furent également payés à fr. 25-20.
De plus, un paquet de coupons
réunis fut remis par le ministre des finances lui-même, et pour lequel le
compte de l’Etat fut crédité de 27,745 fr. 20 c., au
cours de 25-20 par livre sterling.
Lors de la présentation des
premiers coupons, M. le trésorier de la banque me demanda (vous voyez que
j’entre dans les plus petits détails) comment le poste de paiement de ces
coupons devait être passé à la trésorerie ; après avoir vérifié que nous étions
sans instructions du ministre des finances, il fut convenu que jusqu’à
révocation on en passerait écriture comme dépôt ; depuis lors on a agi de même
à chaque paiement, et je suis en attendant les instructions du ministre. Si la
somme qui est due à la banque pour ces coupons avait été de quelque importance,
M. le trésorier aurait éveillé l’attention de la direction sur ce point, et je
n’eusse pas manqué alors de provoquer une explication du ministre ; mais, comme
vous le voyez, messieurs, la somme qui est due à la banque de ce chef est
encore minime, et par conséquent M. Dumortier a été induit en erreur en
annonçant que beaucoup de coupons avaient été payés ici et à Anvers.
Les coupons payés à Bruxelles
sont donc ici, messieurs, à votre inspection et resteront déposés à la
trésorerie de la banque ; les numéros de ces coupons peuvent être publiés afin
que chacun puisse vérifier si les coupons qu’il a reçu à la banque y sont
encore et afin que la nation entière sache que la religion de la section
centrale a été surprise et que la banque a été calomniée avec une légèreté sans
exemple.
Quant aux coupons que la
banque possède à raison des obligations qu’elle a dans son portefeuille et par
conséquent aux mêmes titres que tout particulier, personne ne prétendra, je
pense, qu’elle doive les recevoir à fr. 25-20, quand elle peut les négocier à
fr. 25-60 ou même fr. 25-80. Qu’il soit fâcheux pour le trésor belge que les
coupons d’intérêt soient payables à Londres, c’est ce dont tout le monde
convient ; mais telle est la loi du contrat, et cette loi est pour tous les
porteurs d’obligations. Si la banque n’en profitait pas comme tout autre
particulier, elle léserait les intérêts de ses actionnaires, et c’est là ce que
personne ne soutiendra sans doute qu’elle puisse faire.
Avant de passer à ce qu’a dit
l’honorable M. Legrelle, je me permettrai de faire
observer à M. le rapporteur qu’il se serait épargné le désagrément d’être
involontairement le publicateur d’une calomnie, d’abord en ne croyant pas
légèrement que la banque soit capable de se déshonorer, et ensuite en
s’adressant et en demandant des renseignements à M. le ministre des finances ;
car ce ministre, ayant encaissé lui-même à la banque des coupons pour une somme
de 27,245 fr 20 c., ne peut ignorer que des coupons ont été payés à Bruxelles,
et le ministre, sans aucun doute, ne fait pas l’injure à la banque de la croire
ni assez déloyale ni assez stupide pour négocier à fr. 25-60 ou 25-80 les
coupons qu’il a reçus lui-même chez elle au cours de fr. 25-20.
Le ministre, dis-je, aurait
éclairé la religion de l’honorable rapporteur. Supposer le contraire de la part
du ministère des finances, ce serait supposer que le ministère des finances
aurait voulu tendre un piège à la banque, en y faisant encaisser des coupons.
Or, voilà qui est impossible. Le ministère des finances croyait trop les
convenances pour agir aussi légèrement : il est trop loyal pour croire
facilement à la déloyauté chez autrui ; trop éclairé, messieurs, pour penser
que la banque puisse donner dans un piège aussi grossier. Dans tous les cas, M.
le ministre aurait demandé des explications à la banque, c’est le moins que
vous puissiez supposer de la part du ministère des finances, où la banque n’a
et ne voit que des amis.
J’ajouterai encore que si,
comme j’aime à le croire, M. Dumortier a pour moi une minime partie de l’estime
que je lui porte, il me devait de me demander une explication sur le fait
avancé avant de porter une accusation aussi grave contre un établissement à
l’administration duquel il sait que je ne suis pas étranger.
Il y a dans tout ce qui s’est
passé ici samedi, vous le voyez messieurs, beaucoup de légèreté et
d’inconséquence, pour ne pas dire davantage, de la part de l’honorable M.
Dumortier ; mais ailleurs, et hors de la chambre, il y a un calomniateur qui a
surpris la religion de M. le rapporteur.
J’en viens maintenant à ce
qu’a dit l’honorable M. Legrelle. Voici ce que je
trouve dans le Moniteur :
« D’après l’exposé de M.
le rapporteur de la section centrale, vous devez sans doute vous féliciter
d’avoir adopté la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire hier, malgré
l’opposition de certains membres et leur empressement de vous faire admettre
une augmentation de crédit demandée par le ministre des finances. »
Je demande que l’honorable M. Legrelle veuille bien m’expliquer cette phrase, car je suis
un des membres qui ont le plus appuyé la demande du ministre. M. Legrelle a-t-il voulu insinuer que je profitais de mon
mandat de député pour jouer le rôle de trafiquant des deniers du pays au profit
de la banque ? Je désire connaître le sens de cette phrase singulièrement
équivoque.
Messieurs, si j’ai insisté
pour que la proposition du ministre des finances fût adoptée sans renvoi à la
section centrale, c’est parce que j’ai l’habitude de porter quelque logique
dans mon vote. Je devais m’abstenir de renvoyer à l’examen de la section
centrale une demande de majoration qui avait été, du reste, suffisamment
développée par le ministre, alors que, pour les bons du trésor, cette section
centrale accordait 1 million là où plus de 150,000 fr. ne seront pas dépensés
cette année.
Puisque j’ai parlé du rapport
de la section centrale, je vais faire voir, je ne dirai pas avec combien peu de
bienveillance, mais avec quelle pensée on cherche à éclairer la chambre
relativement à la banque. Il est dit dans ce rapport qu’il est resté à la
banque 8,400,000 fr. sur les bons du trésor, et qu’il lui était alloué une
commission de recettes et de dépenses. Eh bien ! messieurs,
je n’avais pas voulu vous entretenir de ce point, parce que je regardais comme
au-dessus de la banque d’aller récriminer sur ce fait. Mais voici ce fait dans
toute son exactitude.
Lors de l’émission des bons du
trésor, à laquelle, je le déclare, j’ai pris grande part dans des vues de
patriotisme, je crus qu’il était intéressant que ces bons fussent payables à
Paris. Je regardais le succès de toute notre dette flottante comme dépendant de
cette condition, et l’événement a prouvé si j’avais raison. Je fus moi-même à
Paris ; j’engageai la maison Rothschild à prendre de ces bons. Cette maison en prit
pour six millions de francs, à la condition qu’elle jouirait de tous les
avantages résultant de la loi. Quant à la banque elle émit le neuf millions qui
lui restaient, et si tous les bons ne furent pas pris, c’est qu’il ne s’est pas
trouvé suffisamment de souscripteurs pour certaines époques,.
Quant à la commission de recette et de paiement, elle l’abandonna toute entière
à M. Rothschild. Ainsi donc, messieurs, elle s’est privée même du bénéfice qui
lui était alloué en sa qualité de caissier de l’Etat. Eh bien, je le demande à M le rapporteur, est-ce ainsi qu’on lui a
présenté ce fait ? Il était cependant à la connaissance du ministre des
finances.
Je me permettrai de vous faire
observer, messieurs, que si je ne réponds pas à certain argument de M. Legrelle, répété par M. Verdussen, argument consistant à
dire qu’il n’y a pas de contrôle sur la banque, c’est parce que je crois
inutile d’aborder la question en ce moment, et que probablement elle se
représentera à propos du budget des finances. Alors je prendrai la parole pour
démontrer qu’on est dans l’erreur à cet égard.
Je me résume :
En
définitive, messieurs, par les faits que j’ai eu l’honneur de vous poser, et
dont la vérification est en votre pouvoir, les calomniateurs qui ont surpris la
religion de M. le rapporteur sont réduits à ne pouvoir donner la preuve du fait
qu’ils ont avancé, savoir « que la banque (ce sont les expressions de M.
Dumortier) aurait négocié des coupons payés par elle en sa qualité de caissier
de l’Etat ; » mais ils reçoivent de plus le plus sévère châtiment du
calomniateur, la preuve de leur calomnie.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demande la parole.
M. le président. - M. Legrelle
est inscrit le premier, vous l’aurez ensuite.
M. Dumortier, rapporteur. - Je n’ai que quelques observations à
faire.
M. Legrelle. - J’ai très peu de chose à dire aussi. A
entendre l’honorable préopinant, il semble que, d’accord avec le rapporteur de
la section centrale, j’aurais lancé une accusation contre la banque. Il a
prononcé les mots de déshonneur, d’imprudence, de légèreté, et il a parlé de
calomniateurs qui seraient hors de cette enceinte. Messieurs, je vous laisse à
apprécier la teneur de tous ces termes dans cette circonstance ; je les
attribue à l’indignation qu’il a ressentie comme directeur de la banque.
Mais l’allégation de
l’honorable M. Meeus est-elle fondée ? Je craignais que dans le cours de
l’improvisation il ne me fût échappé quelques expressions peu convenables ;
mais je viens de relire mon discours et n’y vois aucun terme qui soit de nature
à me faire prêter de mauvaises intentions. Puisque l’honorable membre a basé
son accusation sur ce discours, tel qu’il est rapporté dans le Moniteur, je vais en donner lecture.
Quelques voix. - Cela est inutile, nous le connaissons.
D’autres voix. - Lisez ! lisez !
M. Legrelle. - Messieurs, je n’ai entendu faire allusion
à aucun membre en particulier, j’ai parlé, et sans aucune intention, de la
partie de la chambre qui a voté dans le sens de M. Meeus. J’ai dit que
l’assemblée devait toujours être prudente quand il s’agissait de majorations et
que ce qui s’était passé la veille prouvait la vérité de mon assertion. J’ai
ajouté que nous ne devions payer la perte du change que pour les coupons pris à
Londres, parce que à Paris cette perte était insignifiante et qu’à Bruxelles et
à Anvers il n’y en avait pas, et que j’étais étonné que M. le ministre nous eût
demandé une majoration comme si tous les coupons avaient été payés à Londres.
Or, de deux choses l’une : ou M. Rothschild n’exécutait pas son contrat, ou la
banque avait agi contre l’intérêt de l’Etat. C’est dans ce sens que je me suis
exprimé, et il n’y avait là rien d’injurieux pour personne.
Il est vrai que j’ai ajouté
que la banque n’était pas susceptible de contrôle. Cela est encore un fait. M.
Meeus avance qu’il n’est pas exact et qu’il le démontrera en temps et lieu.
Mais il me semble qu’il devrait être vérifié dès à présent. Du reste, il m’a
été pénible d’être obligé de faire cette observation. M. Meeus sait mieux que
personne que si je n’avais consulté que mes propres intérêts, je me serais
abstenu dans la vue de maintenir la maison que j’ai dirigée en bonne harmonie
avec la banque. Mais tant qu’il s’agira de l’intérêt public, j’y subordonnerai
toujours le mien ; je l’ai déjà prouvé plusieurs fois, et j’espère encore avoir
des occasions dans ma vie d’en donner de nouvelles preuves. J’ai avancé que le
gouvernement ne pouvait exercer aucun contrôle sur la banque, et que, sans
action de sa part sur cette institution, la responsabilité ministérielle
n’existait pas. Un seul fait va le démontrer.
Lors du rapport qui nous a été
fait par M. Angillis, il vous a été révélé que la banque, après avoir envoyé à
la monnaie, avant la révolution, une partie de monnaies billonnées de la valeur
nominale d’environ 300,000 florins, avait reçu par contre, après la révolution,
et durant les mois d’octobre et de novembre, une somme de 281,000 fl. Or,
messieurs, que devait faire la banque en sa qualité de caissier général de
L’honorable M. Coghen, alors
ministre des finances, a prétendu avec raison que cette somme appartenait au
trésor belge pour une large part, par droit de conquête, avec d’autant plus de
raison que
Après cela, je demande quelle
est l’action du gouvernement sur la banque de Bruxelles. Tandis que nous allons
diminuer quelques cents florins sur le traitement de malheureux huissiers du
ministère de la justice par motif d’économie, il y a une somme de 281,000 fl.
qui a été versée à la banque, qu’elle veut nous faire perdre, et même qu’elle
veut faire tourner contre nous en la donnant à notre ennemi ; si, au lieu
d’être le caissier général de
Et,
c’est après cela qu’on vient nous faire un reproche d’avoir dit qu’il n’y a pas
de contrôle sur la banque ! Je laisse le reproche qu’on m’adresse à
l’appréciation de la chambre ; le fait que j’ai signalé produira plus
d’impression sur elle que tout ce que je pourrais ajouter.
De tout cela que faut-il
conclure ? Qu’il est indispensable que le ministère ait un contrôle actif et
journalier, une action puissante sur la banque. La où est la fortune publique,
la où se trouve le dépôt des deniers du pays, là le contrôle doit être établi ;
cela est d’autant plus nécessaire que la banque se regarde comme un
établissement indépendant de l’Etat et hors de l’Etat, qu’elle agit souvent
contre la volonté de l’Etat et que, j’ose le dire d’après le fait que j’ai
cité, elle n’a pas toujours agi conformément à l’intérêt de l’Etat.
M. Dumortier. - Lorsque l’honorable M. Meeus, qui, à ce qu’il
paraît, ne parle point à cette occasion comme député, mais comme directeur de
la banque, est venu taxer le rapport de la section centrale de légèreté,
d’inconséquence et de calomnie, je vous déclare, messieurs, que ses expressions
m’ont fort peu touché ; mas lorsqu’il a dit que, si j’avais pour lui une partie
de l’estime qu’il me faisait l’honneur de me porter, j’aurais dû lui demander
une explication sur le fait dont il s’agit, cela je l’avoue, a produit sur moi
une vive impression ; et certainement, s’il eût été question d’un fait qui se
rapporte à l’honorable membre, la grande estime que je professe pour son
caractère m’aurait fait un devoir de le lui communiquer. Mais c’est d’un objet
tout différent qu’il s’agit ; c’est d’un objet qui rentre bien dans les
attributions de l’honorable membre comme directeur de la banque, mais qui ne se
rapporte pas qu’à lui seul, qui est relatif à une association particulière,
dans laquelle on prétend que le gouvernement ne peut s’immiscer. Et d’ailleurs,
je n’ai pas parlé en mon nom propre ; j’ai parlé au nom de la section, et je me
suis conformé, en faisant mon rapport, à sa volonté. J’ajouterai qu’il est une
autre considération qui apaisera sans doute à cet égard M. Meeus, c’est qu’il y
a fort peu de temps, à une demande de renseignements sur la banque que je lui
adressais, il a répondu par un refus.
Maintenant que j’ai répondu à
ce qui m’était personnel dans le discours de l’honorable membre, je vais tâcher
de rencontrer toute son argumentation.
La banque, dit-il, n’a pas été
chargée par le ministre des finances du paiement des coupons ; elle a payé en
sa qualité de banque et non comme caissier de l’Etat. Messieurs, je n’admets
pas cette distinction subtile.
La banque est caissier de
l’Etat, et si elle retire un bénéfice de ses recettes, elle ne doit se
permettre aucun acte qui touche aux deniers de l’Etat ; et l’on ne niera pas
que les fonds de l’emprunt Rothschild ne fassent partie des deniers de l’Etat.
Si la section centrale, a-t-on
ajouté, avait consulté le ministre des finances, si elle avait procédé avec
moins de précipitation et de légèreté, elle n’eût pas présente à la chambre un
semblable rapport. Messieurs, je dois le déclarer, aucune des décisions de
votre section centrale n’a été prise qu’après avoir entendu M. le ministre des
finances et M. le commissaire du Roi, et en leur présence. C’est après cela que
nous vous avons signalé le fait dont il s’agit. Et ne croyez pas, messieurs,
qu’à mes yeux l’honorable M. Meeus ait détruit ce fait. Ses assertions n’en
diminuent en rien pour moi la gravité. Je vais le prouver si vous voulez bien
m’accorder un moment votre attention.
Au 1er mai
M. Meeus et M. de Brouckere. - Non pas, ce sont tous les coupons.
M. Dumortier. - Vous avez dit, et j’en atteste mes
honorables collègues, que le paquet était intact et tel que le ministre l’avait
déposé.
Eh bien j’admets que ce paquet
soit intact, il n’en reste pas moins démontré pour moi que la banque a fait
trafic des deniers de l’Etat.
Je vous prie, messieurs, de
faire attention à un fait, c’est que la caisse des cautionnements a employé ses
capitaux à acheter des bons de l’emprunt de 100 millions, et le paquet que le
ministre des finances a fait remettre à la banque est précisément celui des
coupons de la caisse des cautionnements.
Mais n’y a-t-il que ces
coupons qui aient été payés à Bruxelles et à Anvers ? Non ; nous avons reçu la
preuve qu’indépendamment de ceux-là, d’autres ont été touchés par diverses
personnes, et même par des membres de cette assemblée, soit à la banque de
Bruxelles, soit à celle d’Anvers.
M. Meeus. - Tous les coupons sont dans le paquet, veuillez l’ouvrir !
M. Dumortier. - Je n’ai pas de vérification à faire, je
me suis appuyé de vos propres paroles. Il paraît que vous les modifiez
maintenant.
Il reste toujours un fait
constant, c’est que le ministre des finances est venu nous demander un crédit
pour l’intégralité de l’emprunt comme si tous les coupons avaient été payés à
Londres tandis qu’il y en a d’autres payés à Anvers, à Bruxelles et à Paris. On
voit donc que nous n’avons pas été aussi inconséquents qu’on a bien voulu le
dire. Nous avons raisonné d’après les assertions de M. le ministre des finances
lui-même et du commissaire du Roi ; c’est donc mal à propos qu’on nous taxe de
légèreté et d’inconséquence.
Du reste, messieurs, nous
devons nous féliciter de cette discussion ; car sans doute l’honorable M. Meeûs mettra désormais le pays à même de voir chaque année
quels sont les coupons remboursés à Anvers et à Bruxelles., De cette manière
Mais puisqu’on a parlé de la
banque, je dirai encore quelques mots : l’honorable membre doit savoir que nous
n’avons pas lieu de nous faire les apologistes de la banque, car elle coûte
assez cher à l’Etat, et que nous ne sommes pas payés pour parler en sa faveur.
Dans une
discussion précédente, j’ai eu l’honneur d’établir que cette institution est
dépositaire de plus de 10 millions de francs provenant de l’encaisse faite par
elle en Belgique, lors de la séparation. Or, pourquoi donc refuse-t-elle de
nous les remettre ? Si comme on l’a dit, la banque est une Providence qui veut
le bien de tous, et quelquefois elle l’emporte le bien de tous (on rit), pourquoi ne vient-elle pas à
notre secours ? Elle touche, en outre, les revenus du séquestre du roi
Guillaume et les fonds du syndicat. Eh bien, pourquoi refuse-t-elle de les
remettre entre nos mains ? Si nous supportons les charges du séquestre, nous
devons en avoir les bénéfices.
En me résumant, je dirai qu’il
est temps et grandement temps que la banque rende ses comptes à l’Etat, et
j’adjure à cet égard le ministère de contraindre la banque si elle ne veut pas
le faire. Il y a des tribunaux, il y a une justice en Belgique et l’on peut
s’adresser à eux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la parole pour un rappel au
règlement.
Messieurs, je conçois la
susceptibilité qu’ont éveillée dans l’esprit de l’honorable M. Meeus les
paroles proférées à cette tribune dans une dernière séance. je
conçois aussi que la chambre, par un sentiment exagéré peut-être des
convenances, lui ait accordé la parole pour répondre, alors cependant qu’elle
ne peut reconnaître à personne le droit de se qualifier dans cette enceinte le
mandataire de la banque, qui n’en a pas envoyé et qui n’a pas mission d’en
envoyer.
Vous avez pu, messieurs, dans
cette circonstance, déroger à la sévérité de votre règlement ; mais veuillez
voir où cette discussion va nous conduire : le cercle s’en est beaucoup agrandi
: des récriminations appellent des récriminations ; c’est la censure générale
des actes de la banque, qui vient de sortir de la bouche des préopinants. Placé
sur un semblable terrain, ce débat serait interminable et complètement inutile,
car l’assemblée n’a aucune espèce de conclusions à émettre.
Répondant à ce que vient de
dire l’honorable député de Tournay, je lui rappellerai que la banque elle-même
a provoqué les investigations de la chambre sur ses actes, et que la chambre
croyant ne pouvoir intervenir sans blesser la prérogative royale, sans dégager
la responsabilité morale du ministère, a passé à l’ordre du jour.
Le gouvernement, comprenant
cette pensée, a nommé une commission prise dans cette enceinte même, commission
qui a reçu le mandat de se livrer à toutes les recherches, à toutes les
investigations nécessaires pour fixer l’opinion des chambres et du gouvernement
sur nos droits envers la banque.
Je crois que le moment n’est
pas venu d’aborder les questions qui viennent d’être incidemment soulevées par
M. Dumortier, et qu’il faut attendre que la commission ait rempli son mandat.
Cette commission vous fera un rapport consciencieux et approfondi ; j’en
atteste les lumières et le patriotisme des honorables membres qui la composent.
C’est alors que l’opportunité d’une telle discussion sera sentie par tous. Si
les conclusions que la commission mettra le gouvernement en mesure de prendre,
sont de telle nature, qu’il y a lieu d’appeler la banque devant les tribunaux,
le gouvernement ne reculera pas devant son devoir. Là aussi, la banque usera de
la plénitude de son droit de défense.
Je demande donc que l’on passe
à l’ordre du jour. Vous devez voir,
messieurs, à quel degré d’acrimonie en est déjà venue cette discussion. La
question de la banque, je le répète, n’est pas à l’ordre du jour. Si l’on
voulait parler en son nom, il fallait tout au moins être ici samedi. Je ne fais
pas un reproche à l’honorable M. Meeus de son absence, puisqu’elle tenait à une
impossibilité physique ; mais si dans cette chambre on ne peut attaquer une
institution particulière sans qu’à l’instant cette institution n’envoie ici des
avocats pour soutenir ses droits, que deviendra la liberté de la tribune. La
banque, si elle se croit blessée par ce qui s’est dit dans cette chambre, peut
présenter sa défense par la voie de la presse.
J’espère,
au reste, que lorsque la commission spéciale aura le loisir de s’occuper de la
tâche qu’elle a bien voulu accepter, la banque, qui a provoqué elle-même les
investigations du pays, prêtera son concours aux travaux de MM. les
commissaires. Ce sera pour elle le plus sûr moyen de réduire à leur juste
valeur les accusations ou les insinuations dont elle croit avoir à se plaindre.
Je demande l’ordre du jour. (Appuyé.)
M. de Brouckere. - Je désire aussi que l’on mette fin à ce débat, et qu’il soit ajourné à
une autre époque. Mais je veux signaler un fait, c’est que le paquet déposé par
M. Meeus ne renferme pas seulement les coupons remis par le ministre des
finances, mais tous les coupons acquittés à Bruxelles. (L’ordre du jour ! L’ordre du jour !)
M. le président. - la chambre passe à l’ordre du jour qui est la suite de la discussion des
budgets.
Discussion générale
M. Liedts. - Messieurs à l’occasion du budget du ministre de la justice qui est
aujourd’hui à l’ordre du jour, je crois de mon devoir de dénoncer à la chambre
un abus dont on n’avait plus eu d’exemple dans notre pays depuis notre réunion
à
Vous serez sans doute étonnés
d’apprendre, messieurs, que ce n’est plus le mérite qui fait obtenir la place
de notaire, mais l’argent. Chaque fois que vous lisez dans le Moniteur : « Un tel est nommé
notaire en remplacement d’un tel démissionnaire, » vous pouvez y
substituer ceci : « N… vient de vendre sa place à un tel, et le ministre a
agréé la vente : » et ce n’est pas peu de chose que ces prix de vente : on
a cédé des places pour des sommes de 10 mille jusqu’à 50 mille fr., et l’on
m’assure que des fils de famille ont été obligés de lever des capitaux et de
grever tous leurs biens pour sûreté du prix de cession. Le scandale est poussé
si loin, qu’un notaire annonce à qui veut l’entendre que sa place est à acheter
pour 40 mille francs.
Le ministre a-t-il bien
réfléchi à toutes les conséquences de ce déplorable trafic, lorsqu’il le tolère
et qu’il l’encourage ? N’est-ce pas s’exposer mal à propos à des interprétations
calomnieuses ? Et ne voit-on pas qu’il détruit toute
émulation chez les jeunes gens qui se destinent au notariat ? C’est en vain
qu’un candidat invoquera une longue et honorable cléricature, c’est en vain
qu’il aura passé toute sa jeunesse à l’étude des lois, s’il ne parvient pas à
se faire céder une place par quelque notaire moribond ou qui veut se retirer
des affaires ; en un mot, s’il n’est pas favorisé de la fortune, il se verra
passer sur le corps par quelque candidat moins ancien, moins digne d’obtenir la
place, et qui ne peut invoquer en sa faveur qu’un marché fait avec le notaire à
remplacer.
Comment le ministre
justifiera-t-il cet abus ? Dira-t-il qu’il n’existe pas de lois qui le
défendent ? mais il devrait, au contraire, pouvoir
s’appuyer sur une loi expresse qui l’autorise ; car jusque-là on est fondé à
soutenir que tous les Belges, riches ou pauvres, sont également admissibles à
tous les emplois, tandis que si cet abus prend racine et se développe, l’argent
seul finira par être un titre à l’obtention des places de notaire.
Invoquera-t-il
encore ici, comme on ne le fait que trop souvent, ce qui se pratique en France
? Mais il existe chez nos voisins une loi formelle qui permet la vénalité de
certaines charges, tandis que chez nous cette loi n’existe pas et que le
gouvernement provisoire a formellement flétri la vénalité par un arrêté dont je
ne me rappelle pas la date. Où s’arrêterait d’ailleurs chez nous cette vénalité
des places ? Il n’y a pas non plus de loi qui défende de céder une place de
juge de paix, de greffier, de juge de première instance. Permettra-t-on aussi
qu’il se conclue des marchés au sujet de ces places ? Eh ! malheureusement
oui, messieurs, on commence à le tolérer, et il y a tel juge de paix dont le
public dit ouvertement qu’il a acheté la place de son prédécesseur.
Il est temps, messieurs, de
mettre un terme à ce scandale, et si je n’obtiens pas l’assurance positive que
le ministre veillera à ce que l’abus que je signale ne se perpétue pas, je
voterai contre l’adoption de son budget.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je répondrai d’abord au préopinant
qu’il se trompe quand il prétend que la nomination d’un notaire, et la
démission du titulaire remplacé, par un seul et même arrêté, sont des faits
sans exemple.
Les faits, messieurs, on les
invoque parfois sans les connaître, ou bien on manque souvent de mémoire en les
rappelant.
Des exemples nombreux prouvent
qu’en comprenant l’acceptation d’une démission et la nomination du nouveau
titulaire dans un seul arrêté (ce que, du reste, j’ai fait bien rarement), je
me suis conformé aux antécédents posés par mes prédécesseurs.
Voici une note qui prouve mon
assertion : (suit une liste de 16 arrêtés
royaux répondant à ce qui est dit par le ministre, pris depuis 1830. Cette
liste n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)
Un honorable membre avait
précédemment rattaché aux élections une nomination de notaire qui n’y a eu
d’autre rapport qu’une coïncidence de date. Cette nomination a été faite en
observant les règles ordinairement suivies. Qu’il y ait eu un traité entre le
ministre démissionnaire et la personne qui l’a remplacé, c’est possible ; mais
je l’ignore, et c’est là chose étrangère au gouvernement : la démission était
pure et simple ; elle pouvait donc être acceptée dans l’hypothèse même où les
considérants de l’arrêté du 16 mars 1831 dussent être envisagés comme une règle
invariablement prescrite au gouvernement. Mais cette hypothèse est toute
gratuite ; l’arrêté admet des exceptions, et en France, où la loi du 25 ventôse
an XI est aussi en vigueur, l’usage de traiter des offices de notaire a été
toléré sans exciter aucune réclamation. Loin de là, cet usage a été
formellement converti en droit par la loi du 8 avril 1816, et la cour de
cassation a décidé que les notaires peuvent stipuler un prix pour leur
démission. Aussi voyons-nous fréquemment dans les journaux, même dans le Moniteur universel, l’annonce d’une
étude de notaire à céder.
N’y a-t-il pas, en effet,
quelque chose qui participe de la propriété dans une clientèle acquise par de
longs et honorables travaux ; et le gouvernement devrait-il invariablement se
refuser à sanctionner ces transmissions, lorsque du reste, il s’est assuré que
le successeur est, sous le rapport de la probité et du savoir, apte aux
fonctions qu’il sollicite ?
Cette opinion, qui semble
avoir été celle de mes prédécesseurs, m’a déterminé dans la circonstance à
laquelle on avait fait allusion ; en agissant ainsi, j’ai la conviction de
n’avoir blessé ni la loi, ni l’équité, et de n’avoir porté aucune atteinte à la
prérogative du Roi puisque, je le répète, dans cette occasion comme dans toutes
celles qui se sont présentées avant et depuis mon entrée au ministère, l’on a
toujours exigé une démission pure et simple.
Après cela, qu’il y ait eu un
seul arrêté portant l’acceptation de la démission et la nomination, ou bien que
cela ait été l’objet de deux arrêté séparés, c’est la une circonstance
indifférente et puérile.
Quant à
l’allégation que cette nomination aurait été un moyen d’influence sur les
élections de Tournay, il me suffit pour la détruire de faire remarquer que
l’arrêté porté le 21 mai 1833, n’a pu être connu à Tournay que la veille des
élections ; il faut avouer qu’il eût été bien maladroit d’attendre jusque-là
pour essayer de les influencer, si l’on en avait eu le dessein.
Pour le fait particulier dont avait parlé M.
Dubus, le titulaire avait demandé sa démission pure et simple ; la requête de
celui qui demandait à le remplacer a été envoyée à l’avis des autorités, et la
nomination n’a eu lieu que sur le vu des renseignements les plus favorables
donnés par l’autorité judiciaire, je veux dire les parquets et l’autorité administrative.
Il n’y a donc pas eu contravention à l’arrêté qui prohibe les démissions
conditionnelles. S’il y a eu traité entre le démissionnaire et celui qui l’a
remplacé, je le répète, c’est chose inconnue et étrangère au gouvernement.
M.
Dubus. - Il y a trois mois, j’ai signalé un fait sur lequel je demandais des
explications à M. le ministre de la justice ; le ministre a gardé le silence,
et c’est seulement aujourd’hui qu’il a entrepris de me répondre. Je l’avoue,
les explications que je viens d’entendre sont bien loin de me satisfaire. Elles
me donnent seulement la conviction que M. le ministre va persévérer dans la
voie qu’il a suivie ; qu’il va encore sanctionner le trafic de fonctions qui ne
sont pas vénales ; qu’il va avilir encore le texte et l’esprit de la loi.
On vous a cité des antécédents
; mais pouvons-nous les apprécier lorsque nous ne connaissons pas les
circonstances qui les ont accompagnés ? M. le ministre prétend avoir suivi
l’exemple de ses prédécesseurs. Mais déjà j’ai eu l’honneur de mettre sous les
yeux de la chambre l’arrêté d’un des prédécesseurs de M. Lebeau, arrêté signé
par M. Gendebien, et dans lequel se trouvent posés les vrais principes que l’on
aurait dû suivre. J’en donnerai lecture tout à l’heure.
C’est à tort que l’on est venu
invoquer ce qui se fait en France. En France, messieurs, il y a une loi
formelle qui déclare les fonctions dont il s’agit vénales ; du reste, ce ne
sont pas les seules, il y en a beaucoup d’autres qui se vendent ouvertement, et
les ministres sont obligés par la loi elle-même de consacrer ces ventes. Ce
système, la législature de notre pays ne l’adoptera jamais, et quelle que soit
l’opinion de M. le ministre à cet égard, il ne peut marcher dans la voie
qu’il a choisie, tant que le pays ne l’aura pas admise. En France, les charges d’avoué, d’agent de
change, ont été rendues vénales ; il n’en est pas de même ici. Dès qu’une place
devient vacante, tous ceux qui désirent l’occuper doivent être appelés à former
leur demande. Que fait-on au lieu de cela ? On accepte la démission des
fonctions de notaire, et en même temps, par le même arrêté, on nomme le
remplaçant du titulaire.
La démission reste inconnue à
tous ceux qui aspirent au notariat, et le ministère ne choisit pas parmi les concurrents
qui se sont présentés, comme la loi l’ordonne ; il n’y a donc ni concours ni
émulation possibles.
Les précédents que M. le
ministre de la justice a invoqués se rapportent sans doute à certaines
exceptions admises. Car, messieurs, lorsqu’un père donne sa démission, il est
permis de préférer son fils parmi tous les concurrents ; cette préférence
s’explique, se conçoit aisément. Au milieu des exemples qu’on vous a cités, il
en est un que je connais et qui rentre tout à fait dans ces exceptions ; il
s’agit d’un gendre succédant à son beau-père.
D’après ce que je viens de
dire, il est évident que ce n’est pas une circonstance puérile que
l’acceptation de la démission d’un titulaire et la nomination de son remplaçant
aient lieu en même temps.
J’ai peine à concevoir comment
un ministre de la justice a pu trouver une pareille circonstance tout à fait
insignifiante, tout à fait puérile ; comme si accepter en même temps une
démission et une requête, ce n’était pas accepter une démission en faveur ;
comme si ce n’était pas prêter les mains aux marchés qui peuvent intervenir
entre le titulaire et le postulant ; comme si enfin ce n’était pas donner les
mains à ce que la démission ainsi donnée secrètement, et en faveur de celui
dont la requête l’accompagne, demeure inconnue à tous ceux qui auraient intérêt
à concourir avec lui.
L’arrêté du gouvernement
provisoire du 16 mars 1831, que j’ai déjà eu l’honneur de vous citer, a surtout
pour but d’empêcher que le ministre n’aliène le droit d’initiative qui
appartient au gouvernement ; que les fonctions ne deviennent vénales, et enfin
que le public ne soit privé des avantages du concours et de l’émulation.
Quels sont
donc les moyens de faire jouir le public des avantages du concours et de
l’émulation ? c’est que tous les candidats soient
avertis dès qu’une place devient vacante. Alors en effet, dès qu’une démission
est donnée, l’avertissement arrive à tout le monde ; les requêtes sont
présentées, et le ministre choisit ; voilà le concours. Les exceptions admises
ne concernent que les fils de notaire, ou les clercs associés depuis longtemps
à leurs travaux et à leur clientèle. Mais dans le fait que j’ai signalé et qui
concerne l’arrondissement de Tournay, il n’y a rien de tout cela. Ce n’est ni
un fils, ni un gendre, ni un clerc, ni un parent qui succède à un titulaire ;
il s’agit de deux personnes qui sont demeurées toute leur vie étrangère l’une à
l’autre. Le remplaçant avait fait son stage dans une autre étude que celle qui
lui a été ainsi vendue.
Il y a donc eu violation de la
loi ; le ministre a commis un acte qu’il n’aurait jamais dû se permettre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je serais sensible au reproche qui
m’est fait par le préopinant s’il était mérité, d’avoir imprudemment aliéné le
droit d’initiative qui, en cette matière, appartient au gouvernement.
Je croyais m’être montré dans
plusieurs circonstances, où je différais même d’opinion avec l’honorable
membre, bon défenseur de la prérogative royale, et avoir prouvé dans toutes les
occasions que je ne méritais pas qu’on m’accusât d’avoir jamais fait bon marché
de droits dont je place la défense au premier rang de mes devoirs.
M. Dubus avait d’abord posé
une règle fixe, inflexible, puis vous avez vu que l’arrêté du 16 mars 1831 faisait
une part et une assez large part aux exceptions. Ces exceptions, M. Dubus est
venu en étendre encore le cercle ; il semble en admettre une toute nouvelle,
celle des gendres ; l’arrêté du 16 mars n’avait pas empêché, remarquez-le bien,
de promulguer cette foule d’actes dont je vous ai donné lecture, et qui ne nous
offrent qu’un seul exemple, je crois, d’un père remplacé par son fils. Cette
exception est admise, et cependant, vous n’ignorez pas, messieurs, que la
démission d’un père en faveur d’un fils n’est pas toujours gratuite.
Quand le fils aîné d’une
famille plus ou moins nombreuse succède à son père comme notaire, ce n’est pas
toujours sans indemnité de la part du fils en faveur du père qui se dépouille
pour lui de ses principaux moyens d’existence ; ce n’est pas toujours non plus
sans indemnité en faveur des autres enfants. Quoi qu’il en soit, de toutes ces
conventions, de tous ces marchés, je les ignore absolument ; les pièces qui
sont mises sous mes yeux n’en parlent jamais ; les démissions sont pures et
simples : je le répète je n’en accepte jamais d’autres.
Maintenant ai-je prétendu que
les démissions et les nominations de ce genre devaient faire la règle ? Non,
messieurs, le ministre pourrait mettre avec confiance sous les yeux de la
chambre toute les nominations de notaires qu’il a contresignées, et l’on
verrait que la règle la plus générale, c’est que la démission soit donnée
d’abord, que le concours ait lieu, et que le gouvernement prononce sur le
rapport des autorités administratives et judiciaires.
Un seul exemple contraire a
été cité pas M. Dubus ; j’ai déjà prouvé qu’il fallait ôter des motifs de
l’arrêté dont il s’agit l’intention machiavélique qu’on lui attribue,
c’est-à-dire d’influencer les élections. Il suffit en effet de rapprocher les
dates pour faire tomber une imputation pareille.
Dans les arrêtés dont j’ai
soumis l’analyse à la chambre, vous ne voyez en général, ni un gendre ni un
fils succéder à un père, c’est presque
toujours un clerc dont la longue collaboration a été souvent le seul moyen
d’existence d’un vieux notaire hors d’état de cultiver sa clientèle par
lui-même, et de trouver dans ses fonctions des ressources honorables pour sa
femme et ses enfants.
J’ai dit qu’il était puéril de
faire le procès au ministre, parce qu’un arrêté de démission contiendrait en
même temps la nomination du postulant. C’est qu’en effet, messieurs, si je
voulais échapper au prescrit littéral de l’arrêté du régent, je n’y
soustrairais par deux arrêtés de la même date.
J’ai dit que, dans mon
opinion, les fonctions de notaire, à la différence des fonctions de magistrat,
ne sont pas seulement des fonctions publiques, mais qu’elles participent comme
celles d’agent de change, par exemple, de la nature d’une propriété mobilière.
Et en effet, messieurs, la clientèle d’un notaire n’est pas attachée au titre,
au diplôme ; elle résulte de la science, de l’activité et de la probité de ce
fonctionnaire. Or, le fruit de la probité, de la science, du travail d’un
individu peut être considéré, jusqu’à certain point, comme le patrimoine de
famille.
Voilà
comment j’ai dit, abstraction faite de la question de légalité, que dans un
pays qui ne manquait ni de moralité ni de lumières, on avait pu sanctionner les
arrangements dont j’ai parlé !
Je trouve d’ailleurs, dans
l’intégrité des ministres qui m’ont précédé, la garantie la plus sûre que je
n’ai pas mérité les reproches que l’on voudrait attacher à mes actes, en
suivant les antécédents posés par eux.
M.
Dubus. - Je dois rétablir les faits relativement à la prétendue contradiction
qu’il a plu à M. le ministre de la justice de trouver entre les paroles que
j’ai prononcées il y a trois mois et celles que j’ai fait entendre aujourd’hui.
S’il faut en croire M. Lebeau, j’ai commencé par poser une règle absolue, et
c’est aujourd’hui seulement que je parle d’exception. Cependant, messieurs, il
y a trois mois j’ai fait remarquer comme aujourd’hui qu’une démission ne devait
pas exprimer de vœux ni de conditions et que les préférences en faveur d’un
fils formaient une exception.
Mais, dit-on, aujourd’hui vous
avez étendu l’exception jusqu’aux gendres. Qu’à cela ne tienne, messieurs, le
fait que j’ai rappelé rentre tout à fait dans l’arrêté de la régence, car il
s’agissait d’un ancien clerc qui travaillait dans l’étude à laquelle il a été
nommé depuis plus de 12 ans.
On prétend que, d’après les
preuves qu’on nous a données, nous devons retrancher des motifs de l’arrêté
dont nous nous plaignons l’intention machiavélique d’influencer les élections.
D abord on n’a rien prouvé : il reste constant qu’un acte pareil à celui qu’on
vous signale ne peut être qu’une faveur illégale accordée par le ministre. En
effet, messieurs, le devoir du ministre était d’accepter la démission, de la
faire connaître à tous les postulants ; mais ce n’est pas là la conduite que
l’on a tenue. Une seule personne est restée dans la confidence de la démission
; cette personne a été choisie. Pas de publicité, pas de concours, comme le
veut la loi. N’est-ce pas une pure faveur ministérielle ?
Messieurs, il y a des
gouvernements qui se sont fait connaître de manière à autoriser le soupçon que
de pareilles faveurs ne s’accordent pas pour rien. C’est l’opinion qui a
prévalu à Tournay. Les habitants ont examiné quelle avait été la conduite de
ceux qui avaient été l’objet de ces préférences, si ces personnes ne s’étaient
pas donné bien des peines pour obtenir des voix aux ministres ; et de cet
examen est née la défiance. Beaucoup ont cru voir là des intentions machiavéliques.
Du reste, je ne fais que raconter ici ; chacun est à même de se faire une
opinion à cet égard.
M. le
ministre a prétendu que les fonctions dont il s’agit participent de la
propriété mobilière. Mais, messieurs, ce qu’il y a d’important dans la charge
de notaire, ce qui en fait la gravité, ce qui nécessite l’intervention du
gouvernement, n’est-ce pas précisément son caractère de fonction publique ?
Cette circonstance, que les notaires sont propriétaires de leurs minutes est
tout à fait accessoire ; elle n’a pu faire considérer leurs fonctions comme
vénales. D’ailleurs tout a été prévu par la loi du notariat, et les notaires
ont un délai pour traiter de la cession de leurs minutes. Ainsi donc la loi a
prévu le cas, et il fallait se borner à exécuter la loi.
M. de Brouckere. - Lorsque dans la
discussion générale, j’ai signalé les principaux griefs qui existent à la
charge du ministère de la justice, je n’ai pas oublié celui dont on s’occupe maintenant.
Dans l’intérêt public j’ai dû faire savoir que beaucoup de places avaient été
conférées par suite de marchés conclus. Il en résulte qu’on n’a plus égard ni
aux connaissances ni aux titres, qu’il suffit qu’un marché ait été conclu, et
qu’on soit recommandé par un ami du ministre.
Il y a plus ; ce ne sont
pas seulement les charges de notaire qui se vendent ; ce sont encore des places
de magistrat…
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Ces places se
sont vendues, et très cher. Sous le gouvernement hollandais, vous ne l’ignorez
pas, des abus s’étaient glissés dans toutes les branches de l’administration ;
il y en avait aussi dans la manière dont se conféraient les places, et l’on n’a
pas oublié les manœuvres de certaine portière. Ces manœuvres étaient-elles ou
n’étaient-elles pas connues des agents du gouvernement ? je
me dispenserai de m’expliquer à cet égard. Mais je dois à la vérité de dire que
jamais le gouvernement hollandais ne voulut favoriser les marchés qui avaient
une place quelconque pour objet. Lorsque c’était par suite d’une convention
pécuniaire qu’un titulaire résiliait sa place, et que la chose se divulguant,
c’en était assez de la recommandation de ce titulaire, pour qu’à l’individu la
place fut accordée. Si c’était là un abus, j’aime mieux celui-là que celui dans
lequel on est tombé depuis le ministère de M. Lebeau, et qui est dégénéré en
coutume.
Je
le répète, ce ne sont pas des notaires seulement qui se vendent chaque jour ;
des places de magistrats ont aussi été conférées à des gens qui les avaient
achetées, bien qu’ils n’y eussent point les titres que pouvaient faire valoir
d’autres personnes. Il est difficile d’administrer de cela une preuve positive
; mais il s’est présenté à l’approche des élections, il est vrai, qu’un homme,
n’ayant jamais été ni suppléant, ni greffier d’une justice de paix, se rendait
à Bruxelles, et retournait peu de jours après à sa résidence, porteur d’une
nomination de juge de paix et de la démission du titulaire, démission dont
personne ne savait, avant cela, qu’il fût question. A Bruxelles même, une place
de la magistrature a été vendue, et, par suite de cette vente, celui qui
l’avait occupée jusque-là se retirait avec un sort fort agréable, tandis que
l’acquéreur portait ainsi un préjudice réel à ceux qui avaient plus de titres
que lui. Ces faits sont notoires, et j’engage M. le ministre de la justice a faire en sorte qu’ils ne se renouvellent plus.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois dire en réponse au fait
avancé par le préopinant et par M. Liedts, que leurs renseignements doivent
être inexacts. Je n’ai pas la moindre connaissance que des places de magistrat
aient été l’objet de conditions de ce genre. Si de pareils marchés avaient été
stipulés, ce serait chose étrangère et inconnue au ministre ; il lui aurait
suffit d’un simple soupçon pour déjouer des calculs que repoussent, cette fois,
la moralité tout autant que les règles de la légalité.
Je tiens donc pour
inexacts les renseignements fournis aux honorables membres, aussi bien que les
faits qu’ils ont articulés.
Jamais le ministre n’a
accepté de démission conditionnelle ; il en est de fait que la règle générale
est que les nominations de notaire se font après qu’un concours a été longtemps
ouvert. Si des nominations de la nature de celles qu’on vous a signalées ont eu
lieu, c’est, je le répète, a bien peu d’exceptions près, en faveur de fils, de
gendre ou de clerc de notaire. Mais j’ajouterai que, même dans ce cas, le
gouvernement n’a nommé personne avant d’avoir consulté non seulement le parquet
mais encore l’autorité administrative.
Pour les places de
judicature, nous ne nous sommes pas contentés de consulter les chefs des
parquets exerçant près les cours et les tribunaux dans le ressort desquels un
magistrat devra être nommé. Nous nous sommes environnés de renseignements
puisés à une triple source : le premier président de la cour, le procureur
général et le gouverneur. Une circulaire a été spécialement adressée dans ce
but.
Mais, vous a dit un des
préopinants, le ministre prend telle décision qu’il lui plaît sur ces
renseignements. Certes il en est et il doit en être ainsi. Que deviendrait la
responsabilité ministérielle sans le libre arbitre ? Le ministre agit : les
autorités ne sauraient avoir ici que voix consultative. S’il en était
autrement, la nomination appartiendrait réellement aux fonctionnaires
consultés.
On oublie, ce semble,
qu’il y a d’ailleurs des conditions d’admission qui ne dépendent pas de nous.
Ce
n’est pas nous qui délivrons le certificat de moralité et de capacité ;
conditions sine qua non de l’admission, et qui ne peut être remplie que par le
concours de la chambre des notaires.
Après tout, messieurs,
il est encore possible que des nominations aient été surprises à la religion du
gouvernement. Mais c’est le sort de tous ceux qui sont appelés à la pénible
tâche de nommer aux emplois ; un préféré fait vingt mécontents, qui ne manquent
pas d’interpréter la nomination dans le sens le plus défavorable au pouvoir, ni
de se donner comme des capacités sacrifiées à la faveur ou au caprice
ministériels.
M. Liedts. - Quand on admet une fois un principe, il faut
en admettre toutes les conséquences. Dès qu’on regarde les fonctions de notaire
comme une propriété, rien de plus naturel que de les céder. Une autre
conséquence de ce même principe, c’est que ces fonctions puissent être
transmises au plus proche héritier. Vous ne serez pas étonnés, messieurs, que
M. le ministre ne recule pas désormais devant cette conséquence, et tel
postulant pourra négocier non avec le titulaire, mais avec ses héritiers.
Depuis quand donc le
notariat n’est-il plus un mandat, et depuis quand peut-on transmettre un mandat
comme une propriété ? Il me semble, quant à moi, que le ministre a aliéné le
droit d’initiative du gouvernement.
Je
ne crois pas ce qu’on a dit relativement aux places de la magistrature, mais
enfin on l’a dit. En France, où certaines fonctions demeurent vénales, les
soupçons ne peuvent s’étendre aux autres charges ; mais ici les soupçons ne
portent pas seulement sur les places de notaire. J’en avertis le ministre.
En terminant, messieurs,
je voudrais que le ministre prît un engagement devant la chambre ; nous
saurions au moins à quoi nous en tenir désormais.
M. Dumortier. - De tous temps, la vénalité des
emplois a été un vice très grave ; il est cependant un vice plus grand ; c’est
la collation d’emplois pour actes de servilité envers les ministres. Non
seulement le ministère n’a point reculé devant l’odieux trafic des places, des
emplois ; mais il paraît qu’à ce fait honteux on en a joint un autre moins
honorable, celui de consentir à ce que de pareils trafics aient lieu, afin de
rendre possible l’élection de tel favori, voire même de tel ministre.
Aux premiers reproches
qui lui ont été adressés lors de la discussion de l’adresse en réponse au
discours du trône, le ministre a gradé le silence ; depuis lors il a recherché
des armes pour se défendre.
Vous avez pu juger de la
force de ces armes ; elles ne justifient pas sa conduite. Mais, dit le ministre,
on avait remis une démission conditionnelle, et nous avons exigé avant tout une
démission pure et simple ; puisque vous l’avez exigée, vous saviez donc qu’il y
avait trafic. La preuve qu’il y avait trafic, c’est qu’il n’y a pas eu concours
: un seul candidat s’est présenté ; c’est un homme qui a battu le pavé pour
faire nommer M. Goblet ou M. Lehon, que le peuple ne
voulait pas élire ; c’est afin d’obtenir des suffrages refusés que l’on a
consenti à la vente des places.
Dans le fait dont il
s’agit, c’était une personne qui n’avait rien de commun avec celle qui vendait,
qui a été promue à l’emploi, et la vente a eu lieu d’après le consentement et
l’acceptation de la démission. Je pourrais citer d’autres faits à l’appui de ce
que j’avance.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) - Citez ! citez ces
faits !
M. Dumortier. - Je citerai ce qu’il me fera
plaisir de citer ; ce n’est pas vous qui pourrez me contraindre. Je pourrais
sans doute, par des faits, prouver que le ministre nomme aux emplois malgré
l’avis des autorités ; je dirai ces faits au ministre lui-même s’il le désire.
S’il n’a tenu compte de
l’avis des autorités, était-ce pour faire des nominations utiles ? Non ;
c’était pour nommer des hommes complaisants au pouvoir, des hommes hostiles aux
intérêts publics.
On nous parle de la
responsabilité ministérielle : quoi ! vous osez encore
en parler ! On viole la constitution ; on déclare qu’on l’a violée, et on vient
prononcer le mot de responsabilité ! Si nous n’étions pas dans une assemblée
grave, je prendrais cela pour une mauvaise plaisanterie. Ne vous retrancher
plus derrière ce palladium de nos libertés. N‘invoquez plus la constitution que
vous avez violée sans même recevoir de bill d’indemnité.
M. F. de Mérode. - L’orateur vient d’assurer qu’on avait mis ces campagne un individu,
afin d’obtenir des élections favorables à telles personnes, et que cet individu
a été promu à un emploi vendu ; je désire que l’auteur donne les preuves du
fait qu’il avance ; si le fait était vrai ; je ne pourrais rester associé à un
ministère qui aurait commis de tels actes. Il faut s’expliquer catégoriquement
quand on accuse les gens, il faut autre chose que de vagues allégations.
M. Dumortier. - Oui, des individus ont été mis en
campagne pour obtenir la nomination des ministres eux-mêmes, nomination que le
peuple, plein de bon sens, a refusée.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) -
L’honorable M. Dumortier, qui comme on le sait n’est pas avare d’accusations personnelles,
s’est retranché cette fois dans une réticence prudente.
Il a soutenu, avec
beaucoup de raison, que je ne pouvais le forcer à parler. Loin de moi l’idée
d’une pareille tentative ; mais il y a dans cette réticence un côté plus
honorable que dans l’accusation même. Puisque l’orateur était en train de
dénoncer des abus, pourquoi s’arrête-t-il ? Je l’adjure de vouloir bien
s’expliquer sur les faits dont il parle ; et s’il s’obstine à garder le
silence, la chambre en appréciera les motifs.
L’honorable M. Dubus
avait donné pour principes à suivre ceux de l’arrêté pris sous le régent,
contre la vénalité des emplois ; le ministre de la justice a fait voir que ces
principes étaient précisément ceux qu’il admettait.
Je dois ajouter que le
sieur Antoine, à l’occasion duquel l’arrêté avait été pris, n’en a pas moins
été nommé.
Je
ferai observer aussi qu’à l’appui de tant de graves accusations on s’est borné
à articuler un fait, celui de la prétendue mise en campagne d’un aspirant
notaire ; et quels sont ceux qui le dénoncent ? des
parties intéressées, qui probablement ne se font pas faute de mettre des gens
en campagne pour faire triompher leurs candidats. Sur ce point je ne me
livrerai à aucune récrimination ; mais je voudrais que les reproches ne
partissent pas de la bouche de ceux qui, pour leurs propres élections, n’ont
ménagé aucun des moyens capables de les faire réussir.
M. Dumortier. - Que la chambre demande une
enquête sur les faits que j’ai signalés, et je désignerai les individus dont
les ministres se sont servi et dont ils ont récompensé les services.
Quant à nous, oui,
messieurs, nous avons mis des gens en campagne, et nous nous en faisons gloire.
Oui, nous avons coopéré à rendre nulles les intrigues ministérielles ; oui,
nous avons cherché à renverser le ministère. Pourquoi ? C’est parce que le
ministre a employé tous les moyens de nous écarter de la représentation
nationale. Pour nous en écarter, on a été jusqu’à faire des menaces à M.
Doignon ! En faisant des efforts pour repousser, pour combattre les ministres,
nous étions dans notre droit, nous étions dans le cas de légitime défense. (On rit.)
Souvenez-vous,
ministres, de la manière peu digne avec laquelle vous vous êtes conduits alors
et envers la chambre et envers le pays. Vous proclamâtes dans les journaux qui
reçoivent vos écrits, dans les journaux stipendiés qui nous injurient chaque
jour, que vous alliez vous retirer si un ministère nouveau pouvait se former ;
c’est dans ce moment que vous fîtes des tentatives pour empêcher la nomination
de mon honorable ami : oui, nous avons fait des efforts pour faire échouer vos
tentatives ; oui, nous avons combattu, nous avons été sur la brèche, et le peuple,
avec son bon sens accoutumé, n’a réélu, ni M. Goblet, ni M. Lehon,
vos collaborateurs.
Vous soutenez que les
charges sont vénales ; s’il en est ainsi vendez-les donc en public, et que le
trésor profite du prix de la vente : mais vous préférez les vendre à vos
créatures.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ne me dissimule pas que cette
discussion est en dehors de l’ordre du jour ; mais je dois donner un démenti
formel à l’assertion que des menaces auraient été adressées à M. Doignon lors
des élections ; je dois également démentir la coopération du ministère à aucun
journal. Le ministère n’est pas plus responsable des injures de quelques
journaux contre certains députés qu’on ne peut attribuer à ces mêmes députés les
injures, bien autrement graves, que d’autres journaux adressent chaque jour au
ministère.
M.
Desmet. - Messieurs, avant de voter le
budget du département de la justice, je désire savoir si nous pouvons espérer
que dans la prochaine session, ou même dans la présente, le gouvernement nous
présentera un projet de loi sur la circonscription judiciaire du royaume.
Depuis que la loi sur l’organisation de l’ordre judiciaire a été votée, on nous
a promis ce projet, et, jusqu’à cette heure, rien n’est encore venu au jour ;
cependant, il n’est pas juste que vous fassiez contribuer tous les habitants du
pays aux frais de la justice et que tous n’en jouissent pas également. Et
veuillez, messieurs, prendre attention que le pouvoir judiciaire sera toujours
mal organisé si son action n’est pas tellement étendue sur la surface du
royaume que, présent partout, il puisse être à la portée de tous les citoyens
et ne soit jamais vainement imploré par aucun. Ce n’est pas assez que la loi
soit égale pour tous ; afin que son influence soit bienfaisante, il faut encore
que tous puissent l’invoquer avec la même facilité ; autrement on verrait
commencer la domination du fort sur le faible et toutes les conséquences
fatales qu’elle entraîne.
Il convient donc que les
tribunaux et les juges soient tellement répartis, que la dispensation de la
justice n’occasionne que le moindre déplacement possible au citoyen, toutes les
fois qu’il sera nécessaire qu’il se déplace, et que la perte du temps employé à
l’obtenir ne soit jamais telle que le pauvre préfère le dépouillement ou
l’oppression à l’usage ou à l’exercice de son droit.
Deux
districts de ma province se trouvent dans ce cas ; plus de 300,000 habitants, à
cause de la vicieuse circonscription des arrondissements judiciaires, ne
peuvent jouir des mêmes facilités pour obtenir justice que d’autres citoyens du
royaume : ils se sont adressés aux chambres et au gouvernement, afin qu’on
fasse droit à leurs justes réclamations ; mais leurs pétitions ont eu le même
sort de beaucoup d’autres, dont le renvoi avait été ordonné aux ministres ;
elles ont été confinées dans l’antre des oubliettes.
Je prie donc M. le
ministre de la justice de nous dire si nous pouvons espérer que bientôt la
chambre sera nantie du projet de loi sur la nouvelle circonscription judiciaire
du royaume.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le projet de loi concernant la
circonscription judiciaire est à peu prés terminé. J’espère pouvoir le présenter
dans les premiers jours de la session prochaine. Je l’eusse présenté dans
celle-ci si j’avais put croire que la chambre eût eu le temps de s’en occuper.
Discussion des articles
M. le président. - La discussion générale est close
sur le budget de la justice. Nous passons à la délibération sur les chapitres.
Chapitre premier. - Administration centrale
Article premier
« Traitement du
ministre : fr. 21,000. »
- Adopté sans
discussion.
Article 2
« Art. 2.
Traitement des fonctionnaires et employés : fr. 105,000. »
La section centrale
propose une réduction de 10,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je regarde la somme de 105,000
fr. comme nécessaire à une bonne et complète organisation des bureaux. Mon
prédécesseur a organisé l’administration centrale avec une économie rigoureuse
; c’est à ce point qu’il en reçut des éloges de toutes les parties de la
chambre. Mais le service ne peut répondre à tous les besoins d’une bonne
administration : des améliorations doivent être introduites. Quoi qu’il en
soit, ayant égard aux circonstances, je consens à me réunir à l’avis de la
section centrale, attendant des moments plus heureux pour faire des demandes
d’augmentation. C’est à un ajournement que j’acquiesce.
- Le traitement des
fonctionnaires et employés, réduit à 95,000 fr., est mis aux voix et adopté.
Article 3
« Art. 3. Matériel
: fr. 15,0000. »
- Adopté sans
discussion.
Chapitre II. - Ordre judiciaire
Article premier (personnel)
« Art. 1er. Cour de
cassation - Personnel : fr. 233,800 fr. »
La section centrale
propose le chiffre 231,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois persister dans
l’allocation que j’ai demandée ; je la crois nécessaire : je vous prie de
remarquer qu’elle a été demandée d’après des indications données par la cour de
cassation elle-même.
Remarquez de plus
combien la réduction proposée est peu importante, bien que, par son application
à quelques employés subalternes, elle aurait pour résultat d’entraver le
service de la cour de cassation. Cette cour croit avoir besoin, pour le service
des différentes chambres qui la composent, de six huissiers, dont la
rétribution est fixée pour chacun à 750 fr., ce qui porte la somme à 4,500 fr.
La cour de cassation a présenté à l’appui de sa demande des observations, dont
voici la substance :
1° Quant au nombre des
huissiers :
La cour de cassation se
compose de deux chambres qui siègent habituellement trois fois par semaine,
outre les séances extraordinaires. Deux huissiers sont nécessaires à chaque
chambre pour le besoin du service et pour la décence. Les deux autres sont
destinés à suppléer ceux qui pourraient être empêchés, à vaquer au service
extérieur de la cour et à faire les significations urgentes.
L’art. 32 de la loi du 4
août les autorise à exploiter dans tout le ressort du tribunal de Bruxelles ;
ils seraient privés, contre le vœu de la loi, de cette faculté s’ils étaient
obligés d’être toujours présents à la cour.
2° Quant au traitement :
Les huissiers de
première instance ne sont pas salariés, ils trouvent des émoluments suffisants
dans le grand nombre d’actes dont ils sont chargés : appels de cause,
significations.
Les huissiers d’appels
ont cet avantage à un degré moindre ; aussi les huissiers des cours d’assises,
de la chambre correctionnelle et des mises en accusation reçoivent-ils un
traitement de 500 fr.
Le casuel des huissiers
de la cour de cassation est insignifiant ; ils n’ont rien en matière
criminelle, électorale, de garde civique, de règlement de juge ; en matière
civile ils n’ont que la signification d’un mémoire et d’une réponse.
En France les huissiers
de la cour de cassation sont salariés.
Pour que la cour puisse
organiser un bon service d’huissier, il faut qu’elle les paie
mieux qu’à la cour d’appel. Le produit des émoluments est évalué à la cour
d’appel pour chaque huissier à 1,000 fr., 200 causes à raison de 12 appels pour
chaque ; à la cour de cassation il est presque nul.
D’après la loi du 27
ventôse, chaque huissier de la cour de cassation avait 1,500 fr. : on n’en
demande que 750.
Messagers :
Crédit demandé :
1 messager : fr. 700
2 messager
à fr. 600, soit fr. 1,200
Ensemble : fr. 1,900
Proposition de la
section centrale : fr. 1,300
L’instruction des
affaires se faisant par les conseillers et par écrit, de fréquents rapports
sont nécessaires entre eux, le parquet et le greffe. Il faut un messager pour
chaque chambre, et le troisième pour suppléer au besoin, et pour le service du cabinet
du premier président.
Chaque affaire exige dix
mouvements successifs. Du 17 novembre 1832 au 21 janvier 1833, 97 affaires ont
occasionné 717 courses.
Il est nécessaire de
majorer l’art. 1er d’une somme de 1,000 fr. pour le greffier à titre d’abonnement
pour la délivrance au ministère public ou aux administrations de l’Etat, des
expéditions ou écritures nécessaires pour le service public.
Le greffier doit
délivrer en matière criminelle :
Quand il y a cassation
de la décision, 2 expéditions.
Quand il y a rejet, 2
extraits avec motifs.
En matière civile
l’arrêt de cassation doit être transcrit sur les registres de la cour ou du
tribunal dont la décision est annulée ; il doit donc être délivré au procureur
général l’expédition.
Il est équitable qu’une
rétribution convenable soit allouée au greffier pour ce travail.
Le tarif du 18 juin 1811
n’est relatif qu’aux cours et tribunaux ; il n’y a pas de tarif pour la cour de
cassation, et il ne devait pas en avoir parce que l’art. 4 de la loi du 27 ventôse
an XIII accordait au greffier 36,000 fr. à titre d’abonnement annuel pour
traitements des commis-greffiers, expéditionnaires et toutes écritures.
Le
procureur-général estime qu’on peut lui allouer 1.000 fr. ; ce n’est pas
exagéré : cette rétribution serait proportionnée à ce qui revient à un greffier
de cour d’appel de ce chef.
Cette allocation pour le
greffier devra être portée à l’art. 1er de ce chapitre ou au chapitre IV :
frais d’instruction et d’exécution, en en faisant mention expresse pour que le
paiement au greffier soit légal ; ainsi on pourrait ajouter au chapitre IV
1,000 fr. avec cette note : « Chap. IV., art. unique.
La somme de … y compris 1,000 fr. pour le greffier de la cour de cassation à
titre d’abonnement ; » moyennant quoi il sera tenu de fournir gratis au
ministère public et aux diverses administrations toutes les expéditions ou
écritures qui leur seront nécessaires pour le service public.
M. de Brouckere. - J’appuie
formellement la demande du ministre. Il est de fait que les huissiers de la
cour de cassation sont dans une position plus désavantageuse que celles qu’ils
avaient auparavant. Ce sont d’anciens huissiers de la cour d’appel qui
croyaient avoir des émoluments plus forts : ils se sont trompés. Ils n’ont
presque rien à faire ; leurs émoluments sont presque leurs seuls bénéfices. A
Paris les huissiers de la cour de cassation reçoivent 1,800 fr.
J’aurais désiré que le
ministère demandât une augmentation pour le secrétaire du parquet qui, après de
longues années de travail, a vu diminuer son traitement ; il n’a que 2,500 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois en effet que la
majoration demandée pour le secrétaire du parquet n’aurait rien que
d’équitable. Cependant je dois faire remarquer que déjà j’ai fait la part des
circonstances dans lesquelles nous nous trouvons aux fonctionnaires et employés
qui chez moi travaillent avec zèle et activité, et qu’elles ne doivent pas les
atteindre seuls.
En outre je dois faire observer qu’on ne peut
assimiler le secrétaire du parquet de la cour de cassation au secrétaire du
parquet d’une cour d’appel ; qu’il est moins occupé et qu’il a moins de détails
de correspondance.
Je crois que les
secrétaires des cours d’appel doivent être placés sur la même ligne que les
commis-greffiers : ils sont même plus occupés que ceux-ci, et doivent être
généralement plus instruits. Sous ce rapport il y a une sorte d’anomalie à ne
pas mettre ces employés sur le même rang. Je me réserve cependant de faire plus
tard une demande d’augmentation peur le secrétaire du parquet de la cour de
cassation.
M. Schaetzen. - A la cour de cassation, deux chambres peuvent siéger à la fois :
alors six huissiers sont nécessaires, et il faut laisser la somme qu’elle
demande.
M. Dewitte. - J’appuie la demande qui est
faite par le ministre.
M.
Dubus. - Les propositions de la section centrale n’étant défendues par
personne, je crois devoir exposer les motifs qui ont dicté les réductions
qu’elle demande.
La précédente section
centrale du budget demandait, comme celle-ci, une réduction de 1,500 fr. On dit
que c’est là une réduction bien minime. Oui, en la comparant aux millions du
budget ; mais, en la comparant aux 4,500 demandés, c’est le tiers de la somme.
Il s’agit d’une dépense
qui va commencer cette année et qui sera continuée d’année en année. Le moment
de l’examiner est au premier budget que nous votons.
Dans la section centrale
on ne croyait pas que six huissiers fussent nécessaires. Dans tous les cas on
croit que 3,000 fr. seraient suffisants.
Les huissiers vivent
d’abord de leur état d’huissiers. La circonstance de ce qu’ils sont huissiers
près la cour de cassation, leur donne cet avantage de faire exclusivement les
notifications qui concernent cette cour dans la commune de Bruxelles.
En troisième lieu, ils
font le service des audiences de la cour. Aux audiences civiles, ils doivent
être payés au moyen des rétributions que donnent les parties aux appels des
causes.
Aux affaires criminelles
et correctionnelles, ils sont sans rétributions ; c’est pour cela qu’un crédit
est porté pour les indemniser. Il en est de même des huissiers près des cours
d’appel qui font le service pour les affaires criminelles et correctionnelles.
L’année dernière les
huissiers qui, à Bruxelles, faisaient le service à la cour d’appel, faisaient
le service pour la cour de cassation ; ces huissiers ne recevaient en tout que
2,000 fr. Je crois que la somme de 3,000 fr. est amplement suffisante.
Ils étaient dix pour partager 2 000 fr. Cette
allocation n’est pas un traitement, c’est une simple indemnité pour les
audiences criminelles et correctionnelles.
La réduction proposée
pas la section portant en outre sur les messagers. En vérité, je ne comprends
pas qu’il faille un messager pour chaque mouvement de pièces. Un juge de la
cour de cassation peut bien porter un dossier sous le bras, comme un juge de
première instance.
J’appuie les conclusions
de la section centrale.
M. Dewitte. - Les huissiers sont trop
faiblement rétribués ; on ne peut leur rien ôter.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je ne me suis pas borné à vous
faire considérer combien la diminution proposée était minime ; j’ai fait
remarquer, en parlant des huissiers, que vous alliez en restreindre le nombre
et gêner le service. En effet réduire le chiffre, c’est réduire le nombre des
huissiers. On vous dit que les huissiers ont des attributions en dehors de la
cour de cassation. A la cour de cassation on conviendra que les procédures sont
bien moins nombreuses que devant les autres tribunaux, à moins qu’il n’y ait poursuite
en faux incident, ou toute autre procédure incidente et fort
rare.
Si vous en circonscrivez
trop le nombre, ils devront être perpétuellement attaches à la cour et leur
droit d’exercer dans l’arrondissement de Bruxelles devenant illusoire, il arrivera
qu’ils donneront leur démission, et que la cour
suprême finira par se trouver sans huissiers.
- Le chiffre de la
section centrale est rejeté.
Celui du ministère, ou
233,800 fr., est adopté.
« Matériel : fr.
10,000 fr. »
La section centrale
propose 7,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - La section centrale n’a pas fait
ici sa réduction d’une manière absolue ; elle a dit que la chambre aurait à se
prononcer après avoir entendu le gouvernement sur une augmentation spéciale de
2,000 fr. qui se trouvait comprise dans le chiffre du budget.
Le crédit demandé est de
10,000 fr. Voici comme il se décompose :
Matériel
Crédit demandé, 10,000
fr., savoir :
Chauffage, éclairage et
frais de bureau, 2,500 fr.
Idem pour le parquet,
2,500 fr.
Bibliothèque à la cour,
1,500 fr.
Idem au parquet, 1,500
fr.
Mobilier, 2,000 fr.
Proposition de la
section centrale, 7,000 fr.
La demande de 2,000 fr.
pour le mobilier est effectivement nouvelle, mais elle s’explique facilement
par la nécessité de procurer à la cour le mobilier dont elle peut avoir besoin
ou réparer celui qu’elle possède.
La
somme allouée pour menues dépenses à une autre destination ; elle s’applique
surtout aux articles suivants : provision de bois, lumière, registres, papier,
plumes, encre et cire, frais d’impression des règlements d’ordre, et à tous les
objets nécessaires au service de la cour et du parquet.
En s’installant à la fin
de 1832, la cour de cassation n’a pas pu compléter encore ni son mobilier, ni
sa bibliothèque. Quant aux autres dépenses, d’après les éléments dont elles
sont formées, je ni crois pas qu’il y ait excès.
M. Legrelle. - Je ne suis pas habitué à
discuter des objets de cette nature ; cependant je dirai que la section
centrale a apporté le plus grand soin dans ses recherches. Je regrette que son
rapporteur ne soit pas ici.
M. Lardinois. - Il sera ici demain.
Des membres. - Remettons la discussion à
demain.
M. Legrelle. - Dans la section centrale, nous
avons examiné scrupuleusement les différents articles ; c’est à l’unanimité des
voix que les résolutions ont été prises. Si maintenant on n’expose pas les
motifs de la section, on allouera au ministère tout ce qu’il demande, et le
travail de la section centrale sera comme non avenu.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y aurait quelque chose
d’étrange à rendre le ministre responsable de l’absence du rapporteur de la
section centrale. Ce rapporteur a dit, dans le travail qu’il a présenté à la
chambre, qu’elle entendrait les explications du ministre. Il ne s’agit pas ici
de traitement ; ce n’est pas un antécédent que vous établissez, c’est un crédit
que vous votez. La cour de cassation ne fera pas provision de bois de
chauffage, d’huile pour les emmagasiner ; si son crédit excède ses besoins,
elle ne le dépensera pas en entier.
M.
Dubus. - Je remarque que la proposition que fait la section centrale est
précisément la même que faisait la section centrale en février dernier. Dans le
précédent budget le ministère demandait 9,000 fr. ; 6 voix contre une ont
demandée la réduction à 7,000 fr. C’est encore 7,000 fr. que propose
aujourd’hui la section centrale.
Cette somme est-elle
suffisante ? Il y a une cour de cassation et trois cours d’appel. Si vous
établissez, au moment où nous entrons dans un nouveau système, une dépense
quelconque, elle se perpétuera d’année en année. Il faut partir de ce jour pour
réduire les dépenses.
Par un arrêté de 1814,
les menues dépenses de la cour d’appel étaient portées à 6,000 fr., en
considération qu’elle faisait en même temps fonctions de cour de cassation. La cour
de Liége avait 2,750 ; ainsi les dépenses totales étaient de 8,750 fr.
Aujourd’hui, pour toutes les cours on demande en menues dépenses 12,500 fr. ;
il est impossible qu’on les justifie. Toutes les sections, sous le congrès, ont
trouvé la somme de 6,000 fr. trop considérable, et je pense que la somme de
7,000 fr. pour la cour et le parquet est bien suffisante.
Les menues dépenses du
parquet avaient été augmentées en 1818, parce qu’alors on avait supprimé la
direction de la police, pour en charger les procureurs-généraux. Ces magistrats
furent obligés à une correspondance avec tous les fonctionnaires administratifs
; et comme cela devait entraîner une augmentation assez notable de travail,
l’arrêté de
On
a rétabli la direction générale de la police, et les attributions des
procureurs-généraux sont diminuées ; il semble qu’il devrait y avoir diminution
dans les menues dépenses. Mais, au lieu de 6,000 fr. pour toutes les cours, il
y a maintenant 11,500 fr.
Il y a lieu réellement à
restreindre l’allocation. J’appuie les conclusions de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - S’il s’agissait de dépenses
permanentes, je concevrais les observations qu’on vient de vous présenter. On
pourrait cependant diminuer le crédit pour le bois de chauffage, l’éclairage et
pour les autres menues dépenses, sauf à demander un supplément à ce crédit s’il
était insuffisant ; mais on tomberait alors dans cet inconvénient d’interrompre
les travaux importants de la chambre pour des objets de peu d’importance.
Dans cet article se
trouvent aussi des dépenses toutes nouvelles : par exemple, les dépenses
relatives à la bibliothèque de la cour et de parquet sont des dépenses toutes
nouvelles, sont des dépenses de premier établissement : on ne se compose pas
avec mille ou deux mille francs une bibliothèque de droit, qui doit comprendre
des ouvrages tels que ceux de Merlin et les recueils des arrêts de la cour de
cassation de France. Quand il ne s’agira que d’alimenter la bibliothèque, que
de la tenir au courant des ouvrages nouveaux, je conçois que vous pourrez
réduire le crédit. La cour de cassation forme actuellement sa bibliothèque
comme elle forme son mobilier.
L’honorable M. Dubus
fait remarquer que l’on demande une augmentation pour les frais de mobilier des
cours d’appels ; mais il y a aussi des frais de premier établissement : à Gand
c’est une cour toute nouvelle ; ceux qui ont fréquenté la cour de Liége savent
que son mobilier est dans le plus mauvais état, que les fauteuils perdent leur
crin ; que tout le mobilier n’a pas l’aspect décent qui convient à une cour
supérieure. Il faut que la cour de cassation et les autres cours s’établissent
d’une manière digne de leur haute mission.
Loin de consentir à des diminutions, je serai
même dans le cas de demander une augmentation par suite d’une omission qui a
été faite. Aux dix mille francs du matériel, il faudra ajouter la somme de
mille francs pour le greffier de la cour de cassation à titre d’abonnement pour
l’expédition des écritures publiques. Jusqu’ici, pour ces écritures le greffier
a touché quelques sommes sur le trésor ; c’est là une irrégularité qu’il faut
réformer, et c’est ce que je propose par l’amendement que j’ai déposé sur le
bureau. Ainsi je demande 11,000 fr. y compris le matériel.
M. Legrelle. - Moi je propose 8,000 fr. au lieu
de 7,000 fr. proposés par la section centrale.
M. Dubus. - Le ministre nous dit que dans ces articles
sont compris des frais de premier établissement ; j’ouvre le budget, et je
trouve en tête : « Charges ordinaires et permanentes. » Ainsi le ministre
reconnaît qu’il pourra demander moins l’année suivante. Toutefois je persiste à
penser que cette année on peut réduire le chiffre à ce que propose la section
centrale ; avec ce chiffre la cour et le parquet auront le moyen d’acheter les
livres qui leur seront nécessaires. Chacun des magistrats a sa bibliothèque ;
il ne faut pas faire pour la cour de cassation une succursale des bibliothèques
publiques.
Le ministre, au lieu de
consentir à une diminution, demande une augmentation pour les expéditions que
fait le greffier et qu’il doit délivrer aux termes des lois ; la place de cette
dépense doit être ailleurs ; il est question ici de menues dépenses et non d’un
supplément de traitement pour le greffier.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois qu’à la manière dont M.
Dubus défend les conclusions de la section centrale, l’honorable M. Legrelle
peut se consoler de l’absence de M. Fleussu, son rapporteur. (On rit.)
Pour le greffier,
l’allocation demandée est de toute justice. La même indemnité est accordée aux
greffiers des cours et tribunaux. Comme cette indemnité est demandée à titre de
frais de bureau, je crois qu’elle peut entrer sous la rubrique matériel.
Cependant si on veut la mettre sous le titre de frais de poursuite et d’exécution, au chapitre IV, j’y consens.
Pour aplanir toutes les
difficultés, si on veut voter 10,000 fr., y compris les 1,000 fr. du greffier,
j’y consentirai.
M.
Dubus. - La section n’a pas examiné le chiffre de 1000 fr., elle propose 2,000
fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est un oubli, si on n’a pas
demandé les 1,000 fr.
- Le chiffre 7,000 fr.,
mis aux voix, est rejeté.
Le chiffre 8,000 fr. proposé par M. Legrelle,
est adopté.
M. le président. - Voici l’amendement déposé par le
ministre : « Pour le greffier de la cour de cassation, à titre
d’abonnement pour remise sans frais au ministère public, et aux diverses
administrations, de toutes les expéditions ou écritures qui leur sont
nécessaires pour les services publics : fr. 1,000 fr. »
M. d’Huart. - Il faudrait examiner l’importance de ces écritures : s’il y a peu de
choses à faire, il ne faut pas voter 1,000 fr.
M. Verdussen. - Il faut que cela soit examiné par
la section centrale.
M.
Dubus. - J’appuie le renvoi à la section centrale. Ce sont des frais de
justice qui ne doivent pas être compris dans les menues dépenses. Le tarif est
incomplet.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le tarif devrait être révisé ;
mais, en attendant, le greffier ne peut travailler sans rétribution. Je retire
ma proposition, en me réservant, de proposer un amendement au chap. IV.
- L’article premier du
chapitre II, montant à
La séance est levée à
quatre heures et demie.