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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 29 mars
1833
Sommaire
1) Projet de loi portant le budget du
département de la guerre pour l’exercice 1833. Discussion générale,
notamment : situation militaire au regard de l’état des négociations
diplomatiques, chiffre du budget de la guerre et nécessité d’y faire des
économies (Goblet, de Robaulx),
coût de l’intervention française à Anvers (Pirson, Goblet)
2) Projet de loi ajournant l’exécution de la loi
monétaire (Duvivier). Caisse de retraite des agents de
l’administration des finances (de Brouckere, Dumortier, Duvivier, Poschet, de Brouckere, Dumortier, Gendebien, Duvivier)
3) Projet de loi portant le budget du
département de la guerre pour l’exercice 1833 et projet de loi accordant des
crédits provisoires pour l’année 1833. Discussion générale, notamment :
situation militaire au regard de l’état des négociations diplomatiques, chiffre
du budget de la guerre et nécessité d’y faire des économies (Gendebien, de Robaulx, Desmanet de Biesme, Fallon, d’Huart, Lardinois, Milcamps, Evain, d’Elhoungne, Marcellis, de Brouckere, Evain, A. Rodenbach, Nothomb, de Robaulx, de Robaulx, Brabant, de Robaulx, Evain, Gendebien, de Robaulx, Osy, Evain,
Gendebien, Dumortier, (+question
de gouvernement) Rogier, de
Robaulx, Brabant, Marcellis,
de Brouckere, Ch. Vilain XIIII)
(Moniteur belge n°90, du 31 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est
adoptée.
MM. les ministres de la justice, de l’intérieur, des
affaires étrangères, de la guerre et des finances sont présents à la séance.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA
GUERRE POUR L’EXERCICE 1833
Discussion générale
M. le président.
- M. de Robaulx a déposé sur le bureau une interpellation qu’il adresse à M. le
ministre des affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - J’ai répondu sur-le-champ à M. de Robaulx ; je
n’ai rien à ajouter à cette réponse.
M. de Robaulx. - Toutes les explications du ministre se sont réduites à dire qu’il ne
pouvait pas donner de réponse plus explicite. Tout le beau discours de M.
Lebeau a été pour prouver que nous n’y voyons goutte et que le ministère ne
veut pas nous éclairer.
Je n’insisterai pas pour faire
de nouvelles interpellations, puisque, dans sa position, le ministère déclare
ne pas pouvoir faire de communications. Reste mon amendement : j’espère que par
son adoption, le ministère sera suffisamment instruit des intentions de la
chambre, et qu’il mettra un peu d’énergie dans sa diplomatie.
Mon amendement est un moyen de fortifier le ministère
; il pourra dire aux puissances : Il faut l’exécution prompte des traités, où
la Belgique fera ses affaires elle-même. Si les puissances renvoyaient nos
ministres aux calendes grecques, nous serons là pour juger ce qu’il y aura à
faire.
M. Pirson.
- Je demande la parole sur la question d’interpellation.
Je n’espère pas obtenir de réponse ; je suis convaincu
que le ministre ne répondra pas.
Les journaux de tous les pays
nous ont annoncé, et les journaux de Paris disent que M. Le Hon a été appelé
par M. Broglie pour s’expliquer sur les paroles prononcées par M. Goblet
relativement à la dette réclamée par la France pour frais de l’intervention.
Les journaux disent aussi que nos ministres ont été
lancés par le ministère anglais.
Si notre ministère est muselé par la diplomatie, il
faut lui donner la faculté de parler par un acte significatif. Il y aura quelque
chose de significatif si vous ne donnez de crédit que pour trois mois. Dans
trois mois nous verrons comment les choses se passeront. Un crédit de trois
mois ne rompt pas le nuage administratif ; vous n’interrompez pas la solde
des troupes, et ce temps vous permettra d’examiner les circonstances, et
d’aviser à ce que vous aurez à faire.
La discussion du budget de la guerre durera encore
plusieurs jours ; le sénat va se séparer incessamment. L’amendement évitera
tous les inconvénients qui résultent de la position des chambres.
M. de Brouckere. - Il vaut mieux discuter au fond que de s’occuper de questions
incidentes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Quoi qu’il n’entre pas dans les devoirs des
ministres de venir ici réfuter ou rectifier les articles des journaux ; je
crois que je peux rompre le silence sur le fait articulé, et que je dois
déclarer à la chambre que ce qui est mentionné dans les feuilles est faux. Je
n’ai pas eu de nouvelles sur la discussion que M. Lehon aurait eue à Paris avec
M. de Broglie. Ces mêmes journaux parlent d’une discussion que j’aurais eue
avec le ministre français en Belgique. Leur date prouve un faux matériel ; car,
à l’époque dont ils parlent, le ministre français près notre gouvernement
n’était pas à Bruxelles.
- La chambre décide que l’amendement de M. de Robaulx
ne sera pas mis préalablement et séparément en discussion.
M. le président.
- Deux projets de loi sont en discussion : le premier est la demande d’un
crédit provisoire de 5 millions pour le ministère de la guerre pendant le mois
d’avril ; le second est le budget définitif de la guerre.
PROJET DE LOI AJOURNANT L’EXECUTION DE LA LOI
MONETAIRE
M. le ministre des finances (M. Duvivier) monte à la tribune pour présenter un projet de loi
qui ajourne encore l’exécution de la loi monétaire en ce qui concerne les
pièces de 10 et de 5 fl. en or.
Ce projet est renvoyé à une commission nommée par le
bureau, et composée de MM. de Theux, d’Elhoungne, Brabant, Lardinois et Osy.
M. de Brouckere. - Messieurs, on nous présente projets de loi sur
projets de loi ; je ne sais pas ce que deviennent les anciens. Je rappellerai un projet relatif un
supplément de crédit de 185 mille fr. pour les pensions du département des
finances, Le projet est urgent. On a demandé des renseignements au ministre des
finances. Si on ne se hâte pas de voter cette loi, voici ce qui va arriver : le
sénat va se séparer sous peu de jours ; peut-être restera-t-il longtemps absent
; les malheureux pensionnaires attendront longtemps ; ils attendront encore
quatre ou cinq mois afin d’avoir le second semestre de 1832. Beaucoup de ces
pensionnaires sont dans la misère ; il en est qui ont vendu leurs brevets.
J’insiste pour que la chambre s’occupe de cette loi.
M. Dumortier.-
J’ai déjà eu l’honneur de dire que la question n’était pas aussi simple qu’on
le présente à l’assemblée. Il s’agit de savoir si quelques employés ont droit
de grever le trésor public. S’il ne s’agissait que de donner de l’argent à
d’anciens fonctionnaires nous accepterions le crédit ; mais il s’agit encore de
savoir jusqu’à quel point les employés du ministère des finances peuvent avoir
des pensions. La constitution dit qu’on ne peut obtenir de pension sans une
loi. Si les employés sont dans la misère, ce n’est pas à la chambre qu’il faut
s’en prendre ; c’est au ministre des finances qui n’a pas rempli ses
engagements envers la législature.
M. Lardinois. - Vous parlez sur la question du fonds ; il s’agit
d’une motion d’ordre.
M. Dumortier. - On a traité la question du fonds et je réponds. Le
ministre des finances devait faire une retenue de 3 p c., et il n’a retenu que
2 p. c.
Je ne pense pas d’ailleurs que les choses soient aussi
pénibles qu’on les dépeint. S’il y s des pensionnaires qui ont de petites
rétributions, il en est qui ont quatre, cinq et même huit mille francs.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il y a plusieurs inexactitudes dans ce qu’a
allégué l’honorable préopinant. Je m’abstiendrai de répondre actuellement ;
mais je prends acte de ce qui a été dit. La commission aurait dû distinguer la
question d’argent de la question constitutionnelle. On aurait dû voter le
crédit ; car, quand une loi interviendrait, elle ne pourrait avoir d’effet rétroactif.
M. Poschet. - Celle loi est plus urgente que M. Dumortier ne le
pense. Il est de malheureux pensionnaires qui se défont de ce qu’ils possèdent
pour vivre. J’en connais dont les effets ont passé par mes mains.
M. Dumortier. - Le travail est prêt.
M. Poschet. - Mais nous allons partir, et ces gens mourront de
faim.
M. de Brouckere. - Je ne peux pas dire qui a tort de la section centrale ou du ministre
; mais je veux qu’on discute le projet prochainement. Je comprends que l’on
peut contester les titres de quelques pensionnaires ; mais le plus grand nombre
a des droits. C’est une dette sacrée.
M. Dumortier.
- C’est par trop fort de dire que la dette est sacrée avant d’avoir examiné la
question. Que le préopinant ouvre la constitution : il verra que toutes les
pensions accordées depuis la révolution ont été accordées contrairement à la
constitution. La commission n’a pas voulu sanctionner l’illégalité des pensions
accordées ; elle a été unanime sur ce point. Bientôt nous pourrons présenter un
rapport.
M. Gendebien. - Nous perdons encore beaucoup de temps aujourd’hui.
Nous en avons perdu toutes les fois qu’il a été question de pensions. La faute
est au ministre des finances, car depuis deux ans et demi on réclame une loi
sur cet objet. M. C. de Brouckere, en qualité de ministre des finances, a
proposé une loi ; il faudrait que ses successeurs l’eussent imité.
Lorsque nous discuterons la loi sur les pensions qui a
été présentée dernièrement, ce sera encore du temps perdu ; on s’occupera des
personnes et non des principes. On en perdrait moins en discutant une loi sur
les pensions pour tous les services. J’ai fait partie d’une commission où il
s’agissait d’examiner les droits de quelques pensionnaires ; nous avons trouvé
des abus ; mais l’embarras de trancher des questions de personnes a fait que
l’on a payé. II faut sortir de ce dédale. C’est le ministre qui est coupable du
temps perdu.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Au ministère des finances il y a une caisse formée
par un arrêté-loi, et à laquelle nous avons fourni jusqu’à la révolution par nos
propres ressources. C’est donc une caisse en dehors des pensions accordée par
le gouvernement. Si nous demandons aide et assistance, c’est parce que nos
fonds sont retenus à La Haye. Ces pensions sont donc une dette toute distincte.
PROJET DE LOI ACCORDANT DES CREDITS PROVISOIRES AU
DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’EXERCICE 1833
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA
GUERRE POUR L’EXERCICE 1833
Discussion générale
M. le président.
- L’ordre du jour est la discussion des projets de loi concernant le ministère
de la guerre. Celui que nous allons discuter le premier est la demande d’un
crédit provisoire de cinq millions pour le mois d’avril.
M. Gendebien.
- Il faut que je justifie l’opposition puisque opposition il y a. J’ai
l’honneur de lui appartenir, et je veux repousser les reproches qu’on lui
adresse.
M. Lebeau a bien voulu rendre justice à ses
intentions, tout en portant contre elle des accusations graves ; car il l’a
accusée d’avoir pour résultat de faire disparaître incessamment notre
indépendance. L’indépendance de la Belgique ne serait plus qu’un rêve, a dit M.
Lebeau, si on avait suivi les conseils de l’opposition ; mais quelle
indépendance nous a-t-il donnée ? Une indépendance qu’on nous montre dans le
lointain, objet de mille et une mystifications et d’injures, une véritable et
continuelle duperie : c’est l’indépendance à la façon de M. Lebeau, qui n’est
qu’un rêve si pas un mensonge.
Il serait inutile de rappeler toutes les circonstances
où l’opposition a été en désaccord avec M. Lebeau, et que les événements ont
justifiée en lui donnant gain de cause. Qu’on se rappelle les prédictions de
l’opposition depuis la lecture de la lettre de lord Ponsomby. On a prétendu
que, depuis le gouvernement provisoire, on avait sans cesse accusé de faiblesse
et de manque de caractère tous les gouvernements qui s’étaient succédé. Les
reproches ont été rares, s’il m’en souvient bien ; et je ne pense pas qu’aucun
des gouvernements qui lui ont succédé ait donne autant de preuves d’énergie.
Lorsqu’il s’agit de l’exclusion des Nassau, toutes les puissances envoyèrent
des agents pour menacer la Belgique d’occupation et de partage dans le cas où
l’exclusion serait prononcée. Le gouvernement se laissa-t-il intimider’ ?
Chercha-t-il à intimider le congrès ? Un de ses membres, au contraire, leur
répondit : « Allez dire aux rois vos maîtres qu’il y a encore des hommes
énergiques en Belgique, qu’il y a encore des blouses et des fusils de chasse
; » et c’est le gouvernement provisoire qui a hâté et provoqué la
délibération du congrès.
Quand il été question de la libre navigation de
l’Escaut, le roi Guillaume n’exécutait pas la convention faite ; le
gouvernement provisoire n’hésita pas à envoyer des volontaires investir
Maestricht ; et malgré les menaces de la France et des autres puissances,
l’Escaut devint libre, et le gouvernement provisoire demanda de plus la liberté
de la Meuse et maintint l’état de blocus jusqu’à ce que la liberté de la Meuse
fût reconnue, et ce n’est pas sa faute si plus tard on n’insista plus.
Relativement à l’Escaut, les ministres sont dans la
même position où s’est trouvé le gouvernement provisoire ; qu’ils agissent
comme lui, ils cesseront d’encourir le blâme en faisant preuve de l’énergie
dont ils se vantent.
Un des appuis des doctrines ministérielles, M.
Nothomb, affirmait il y a quelque temps qu’il y avait corrélation entre
l’Escaut et Maestricht, que la seule chose qu’il y avait à faire pour user de
représailles au sujet des entraves sur l’Escaut, c’était d’établir le blocus de
Maestricht ; eh bien ! lui dit-on, exécutez ce blocus. Hier, il s’est mis en
contradiction avec lui-même. Vous l’avez entendu vous dire que cette
corrélation n’existait plus, parce que nous avions provoqué les mesures
coercitives sur l’Escaut et que la Hollande ne faisait qu’user de représailles.
Comme si, en supposant que la suspension d’armes existait encore, les
corrélations avaient pu disparaître ; et si elle n’existe pus, pourquoi
n’aurions-nous pas comme la Hollande le droit de représailles ?
Le gouvernement provisoire a éprouvé de l’opposition ;
mais qui la faisait ? M. Lebeau qui, ministre d’un gouvernement définitif et
constitué, se plaint si amèrement de notre opposition. Il a même voulu empêcher
les membres de ce gouvernement de répondre aux inculpations dont ils étaient
l’objet. J’en puis parler personnellement. Que l’on se souvienne de la séance
du 12 au 13 janvier 1831. M. Lebeau, pour accabler le pouvoir dont il ne
faisait pas partie, ne se contentait pas de l’entraver, il voulait même lui
interdire le droit de se défendre : le fait m’est personnel, messieurs, j’en ai
conservé bonne mémoire.
Eh ! messieurs, ne vous plaignez donc pas tant de
l’opposition, car vous en avez fait, et dans des circonstances où il y avait
des motifs moins graves pour en faire.
On reproche à l’opposition de ne prendre conseil que
de son imagination et d’être sans responsabilité, tandis que le gouvernement
doit prendre conseil de la froide raison et peser la responsabilité qui le
menace sans cesse : que le gouvernement délibère froidement, soit ; qu’il
consulte la froide raison, mais qu’elle ne soit pas glaciale au-dehors ; que le
ministère soit froid dans le conseil, mais qu’il soit énergique pour
l’exécution. C’est ainsi que nous entendons la mission d’un homme d’Etat ;
c’est ainsi que ceux qui se vantent de l’être devraient comprendre leur
mission.
Est-ce à dire, parce que l’opposition parle avec
chaleur, qu’elle n’est pas capable de consulter la raison froide ? S’il y a
quelque vivacité dans ses expressions, c’est le résultat de ses convictions,
Par la marche suivie depuis deux ans on perd l’Etat ; l’opposition le voit
clairement et le démontre vainement en toutes occasions ; ses paroles se
ressentent des impressions pénibles qu’elle éprouve par tant de résistance, par
tant d’entêtement.
On demande quelle est la responsabilité de
l’opposition ? Nous demanderons à notre tour quelle est la responsabilité du
ministère ? Il n’y a, des deux côtés, qu’une responsabilité morale ; c’est
toujours là, en définitive, où aboutira la responsabilité ministérielle.
Les conséquences de la responsabilité ministérielle,
c’est la perte du portefeuille, la perte du mandat administratif ; les
conséquences de la responsabilité des membres de l’assemblée sont les mêmes :
le député, responsable moralement vis-à-vis de ses commettants, perd son mandat
quand il n’a pas rempli convenablement celui qui lui avait été donné.
Appréciez et jugez ; mais ne calomniez pas les paroles
de l’opposition.
Au reproche de manquer d’énergie, le ministre s’écrie
: Faut-il donc tant d’énergie pour adresser aux puissances des notes
menaçantes, pour envoyer l’armée à l’ennemi !
Messieurs, qui parle d’envoyer des notes menaçantes,
de faire des menaces ? Nous demandons que l’on mette en pratique le conseil
donné par notre ancien collègue M. Leclercq : Il ne faut pas, disait-il,
menacer la France et l’Angleterre ; mais il faut leur déclarer que si elles ne
veulent pas en finir dans un délai donné, nous ferons la guerre.
M. Lebeau a cité cette phrase pour sa modération. Eh
bien ! nous demandons que le ministère s’y conforme, et qu’il se souvienne
qu’une année s’est écoulée depuis qu’elle fut prononcée.
Si ce membre siégeait encore parmi nous, il vous
dirait les mêmes choses, et les dirait peut-être avec plus de chaleur et
d’énergie qu’en mai 1832.
Non, sans doute, il ne faut pas grande énergie pour
envoyer des notes, même menaçantes ; pour donner le signal d’une bataille.
Mais, juger de sang-froid et hardiment les conséquences de telle ou telle
position, oser d’un coup d’œil rapide et ferme mesurer l’étendue de tel
système, en envisager toutes les chances, en déduire toutes les conséquences,
exposer franchement et nettement son système, en adopter toutes les suites,
l’exécuter ou se retirer quand il ne prévaut pas ; voilà l’énergie que doit
avoir tout gouvernement, voilà l’énergie que nous reprochons aux ministres de
n’avoir pas.
Quel doit être notre embarras ! dit le ministre :
selon M. Julien, nous sommes obligés de nous soumettre à une troisième ou
quatrième intervention ; c’est la conséquence de l’exécution du traité du 15
novembre ; selon M. Dumortier, l’intervention serait un crime. Ces deux membres
font de l’opposition, et ne sont pas d’accord ; comment faire un choix ?
Il n’y a nulle contradiction entre eux : M. Jullien
reconnaît le droit d’intervention ; M. Dumortier ne le nie pas, mais il
soutient que ce droit ne peut s’exercer sans la coopération de notre armée, et
sans nécessité absolue. Mais je suppose qu’il y ait contradiction. Qu’est-ce
que cela prouve ? Que les membres de cette assemblée parlent d’après leurs
convictions sans système concerté, et qu’ils ne font pas de l’opposition
systématique. Mais si c’est faire l’éloge des députés que de leur reprocher de
parler chacun d’après sa conscience, et de se trouver ainsi en contradiction,
il n’en serait pas de même pour les ministres. Il faut que chez eux il y ait
unité de pensée et de vues afin qu’il y ait unité d’action.
Ils doivent avoir une communion de pensées, un plan ;
il doit y avoir homogénéité dans leurs vues : voyons si cet accord existe
réellement dans le conseil.
M. Goblet assure qu’il n’y aura pas de troisième
intervention, qu’il n’y a plus d’intervention à craindre.
M. Lebeau, au contraire, s’appuyant sur les paroles de
M. Jullien, prétend qu’il faudra laisser faire les puissances ; que nous ne
pouvons pas leur dicter les moyens d’exécuter le traité, et qu’une ou plusieurs
interventions sont dans leur droit. Accordez ces paroles, si vous le pouvez.
M. Goblet dit que c’est une guerre d’attente qu’il
faut faire à la Hollande ; M. Lebeau affirme que ce n’est pas une guerre
d’attente que nous ferons.
M. Goblet dit que les deux puissances, garantes du
traité, préparaient une convention provisoire telle qu’aucune des parties n’eût
intérêt à la maintenir, tant elle serait onéreuse pour toutes deux ; M.
Nothomb, organe ministériel, s’est appliqué à démontrer que le provisoire
serait, sous tous les rapports, des plus avantageux pour la Belgique, et on ne
peut plus onéreux pour la Hollande. Mettez d’accord M. Goblet avec M. Nothomb.
M. Goblet est aussi en désaccord avec lui-même : il
voulait d’abord jouer cartes sur table ; il ne trouvait aucune difficulté à
déposer sur le bureau toutes les pièces et documents diplomatiques ; deux
séances après, il ne pouvait remettre sur le bureau que certaines pièces et
point les autres, sans compromettre l’issue des négociations, bien que depuis
un an nous sommes censés ne plus négocier.
C’est afin que les puissances du Nord ne s’opposent
point aux actes coercitifs que l’Angleterre et la France voulaient exécuter,
que l’on avait stipulé les précautions les plus minutieuses pour que le
territoire hollandais restât intact, et voilà pourquoi, dit M. Lebeau, nos
soldats n’ont pu concourir à la prise d’Anvers ; mais ces circonstances ne se
représenteront plus.
De son côté, M. Nothomb soutient qu’il faut choisir
entre l’action de l’Angleterre et de la France seules, ou de la Belgique seule,
sans l’intervention de ces deux puissances.
Que MM. Lebeau et Nothomb se mettent d’accord, car
tout cela me paraît bien contradictoire.
Comment concilier encore le bon accord des puissances
sur les détails les plus minimes de l’expédition de 1832, avec le prétendu tour
de force de la France et de l’Angleterre ; avec l’énergie de leur
détermination, qui a forcé les puissances à rester immobiles et comme
pétrifiées en présence de ce grand drame ? Il y a là, en vérité, je ne sais
quoi de mystérieux et d’inexplicable.
Je dois faire remarquer encore 1e contraste qui existe
entre les précautions les plus minutieuses prises par les puissances pour
garantir le territoire hollandais, et l’absence de toutes précautions de la
part de nos ministres pour le Limbourg et le Luxembourg, qu’ils ont livrés sans
garantie aucune par leur note du 2 novembre au roi Guillaume, après avoir passé
préalablement sous le joug du roi de Prusse.
On a prétendu que les ministres n’avaient pas eu
besoin d’être excités par les chambres pour sommer la France et l’Angleterre
d’exécuter leurs engagements ; qu’ils ont fait cette sommation en l’absence des
chambres : il est vrai que les chambres n’étaient pas réunies quand
l’intervention a été demandée, mais elles devaient se réunir le 13 novembre ; mais
on savait qu’il était impossible de se présenter devant elles sans avoir pour
cortège une apparence d’énergie ; voilà pourquoi on a fait quelque chose. En
notre présence, on promettra peut-être aussi de tenter quelque chose ; mais dès
que nous serons séparés, on restera dans l’inaction, et on ne donnera signe
d’existence qu’au moment de notre réunion prochaine, lorsque le moment d’agir
sera passé.
A tous les reproches adressés à l’opposition, on a cru
devoir ajouter, celui-ci : c’était d’apprendre à la Hollande qu’il suffit de
persister dans son système pour nous forcer à céder. Il me semble que les
paroles énergiques prononcées dans cette assemblée doivent bien plutôt jeter le
désordre et l’inquiétude dans le camp ennemi que de le rassurer.
Ce n’est pas dans nos paroles que la Hollande trouvera
des motifs pour persister dans son système, mais bien dans l’apathie
ministérielle dont la douce quiétude ne s’émeut parfois que pour nous convier à
la patience.
On traite, dit-on, la Hollande
avec humiliation ; on a chassé van Zuylen de Londres : les faits ne justifient
pas cette assertion. Les deux plus grandes puissances de l’Europe ont donné
l’exemple d’une longanimité peu ordinaire envers l’ambassadeur d’une très
petite puissance ; les représentants de ces deux grandes puissances, après
avoir présenté, sans succès, à ce diplomate, cinq ou six traités, se sont donné
la peine de démontrer péniblement que la Hollande ne veut pas terminer, et
l’ont déclaré dans les termes les plus convenables.
Pour dernière observation, M. le ministre de la
justice a vanté la prospérité du commerce d’Anvers. Messieurs, il suffirait de
s’arrêter à ces mots sortis d’une bouche ministérielle, pour juger du degré de
confiance que nous devons avoir dans les assertions de l’administration. Il est
étonnant que l’on vante la prospérité d’Anvers quand ses bassins sont vides.
Depuis 30 ans cette cité n’avait pas vu ses relations commerciales aussi
restreintes. Je crois qu’il est plus que temps d’en finir,
M. le président.
- M. de Robaulx demande que l’on accorde un crédit provisoire de 15 millions
pour les mois d’avril, mai et juin.
M. de Robaulx. - Mon amendement est le résultat des discussions qui ont eu lieu
pendant les dernières séances. Je pense que si nous ne voulons pas nous
associer à ce que le ministère a fait depuis deux ans, que si nous ne voulons
pas sanctionner sa marche politique, nous devons voter un crédit provisoire ;
mon intention, en accordant trois mois, est d’attendre le mois de juillet et de
s’assurer, pendant ce temps, si le ministère saura profiter de la pensée émise
par la chambre et prendre une marche plus digne du pays ; s’il tentera de
terminer un débat pendant lequel nous mourons de langueur.
Si la conduite du ministère n’est pas telle que nous
devons l’espérer dans l’intérêt de nos commettants, nous refuserons les
subsides ; nous déclarerons que sa marche est préjudiciable au pays.
C’est dominé par la question politique que j’ai
proposé l’amendement. Mais ne croyez pas que si au premier juillet la guerre
n’était pas déclarée, nous voudrions qu’on se jetât à travers l’Europe et qu’on
fît la guerre à tout le monde ; je dis seulement, par mon amendement, qu’au 1er
juillet les ministres nous rendront compte de nos relations à l’extérieur.
S’ils justifient avoir fait tout ce qu’il fallait faire, tout ce qu’il était
possible de faire, nous leur accorderons de nouveaux fonds. Mais s’ils n’ont
rien fait de ce qu’ils devaient et pouvaient faire, nous aurions le droit de refuser
de nouveaux crédits et de faire tomber le ministère.
Je suis loin de penser que nous devons aujourd’hui
aller provoquer la guerre partout, parce que les puissances ne feraient pas ce
que nous voudrions qu’elles fissent.
J’ai cru la guerre nécessaire quand l’Europe était en
combustion, quand elle n’était pas rassise des convulsions qu’elle éprouvait.
Alors les révolutions avaient des admirateurs ; mais actuellement les amateurs
de révolutions sont en bien petit nombre, De bons patriotes disent même hautement
qu’ils n’auraient pas contribué à faire la révolution s’ils avaient pu prévoir
qu’on en arriverait au point où nous en sommes. Dans un temps où la guerre
pouvait conduire à des résultats immenses et opérer une réforme sociale, on ne
l’a pas faite. Ce n’est pas quand la misère nous accable que nous devons
vouloir l’entreprendre.
Nous voulons prouver par
l’amendement que nous ne consentons pas à perpétuer le système du ministère. Si
les ministres croient devoir nous faire quelques confidences, nous examinerons
ce qu’ils nous diront avec autant de sang-froid qu’ils peuvent en avoir quand
ils sont réunis en conseil ; et l’opposition, après y avoir mûrement réfléchi,
verra ce qu’il y a lieu de faire dans l’intérêt du pays.
Si je veux qu’on ne fasse rien de définitif
aujourd’hui, c’est pour que nous restions maîtres de faire ce que les intérêts
du pays et la prudence nous commanderont.
M. Desmanet de Biesme. - L’objet en discussion est un des plus graves qui,
depuis longtemps, ait occupé l’assemblée ; l’amendement de M. de Robaulx, dans
le sens qu’il lui donne, est d’une immense portée ; c’est un changement
politique extérieure ; je ne regarde donc pas comme perdu pour le pays le temps
que nous passons à discuter le budget de la guerre, moins, comme on le sait,
dans ses détails que par rapport à la grande question qu’il a fait surgir.
Si, après y avoir mûrement réfléchi, je me suis décidé
à accepter cet amendement et ses conséquences, je crois devoir développer ici
les motifs qui m’y ont déterminé.
D’abord, je le déclare, loin d’en vouloir aux divers
ministères qui se sont succédé depuis dix-huit mois, je crois que leur système
de temporisation a été nécessaire, indispensable même ; cela servira même aussi
à expliquer comment bien des membres de cette assemblée combattent aujourd’hui
une combinaison que jadis ils ont appuyée.
Je regarderais encore le système de politique
expectante qu’a suivi la Belgique comme le meilleur, si l’on en voyait le
terme, si l’on pouvait dire avec certitude : Dans six mois, dans un an nous en
recueillerons les fruits tardifs. Loin d’en être ainsi, le temps est
indéterminé ; il mène le pays à une ruine certaine par la nécessité
d’entretenir une armée nombreuse. Entre la Hollande et nous, la victoire
restera à celui qui possédera et mettra en jeu le dernier million.
Or, dans cette lutte tout l’avantage est pour nos
ennemis, non que la Belgique n’offre des ressources plus réelles, mais parce
qu’elles sont moins maniables, si je puis m’exprimer ainsi.
En Hollande, tous les emprunts se font dans le pays
même, et trouvent facilement des preneurs, et tandis que l’Etat s’appauvrit,
l’oligarchie hollandaise, ces hommes à argent qui dirigent les affaires, le roi
à la tête, s’enrichissent ; le commerce, assez peu gêné par un blocus fictif,
tandis que celui de la Belgique n’est que trop réel, soutient le gouvernement ;
et je ne crois pas pour mon compte à ce mécontentement de la Hollande dont on
nous parle depuis si longtemps ; elle sait que la paix lui serait peut-être
plus fatale que le statu quo actuel. En Belgique, au contraire, la fortune a
généralement pour base la propriété foncière, et pour principales industries
celles qui se rattachent au sol même ; fortune plus solide, sans doute, mais
qui offre moins de ressources dans un moment de crise, tel que celui où nous
nous trouvons. A ces motifs en faveur de la Hollande, j’ajouterai sa
nationalité ; unanime dans ses vœux, elle supporte tous les sacrifices ; il
faut le dire à regret, il n’en est pas de même chez nous. J’en conclus que la
détermination que vous refuserez peut-être de prendre aujourd’hui, vous y serez
forcés demain. Il faut donc dire aux puissances que si leurs efforts sont
inefficaces, nous voulons faire acte de vigueur, avant que le marasme ne se
soit emparé de nous.
Mais, j’ai dit, et ces paroles ont pu paraître
étranges, que le système suivi depuis 18 mois avait été nécessaire ; en effet,
si d’un côté il a eu l’inconvénient de ralentir l’énergie des masses, d’amener
peu à peu la nation à un état d’inertie (et disons-le franchement, après les
événement du mois d’août, l’esprit public avait reçu une forte atteinte ; on
pouvait peu y compter dans ce moment), d’un autre côté, ces temporisations nous
ont donné le temps de former une armée formidable : elle est belle, elle est
brave notre armée nationale, elle brûle de venger des affronts dont elle n’est
pas responsable ; ils sont dus à l’incurie, s’il n’y a eu qu’incurie. La
Belgique ne devait entrer dans l’arène des combats qu’armée de toutes pièces ;
elle jette aujourd’hui le gant à son orgueilleuse rivale. Puissances, vous qui
vous êtes rendues les arbitres de son avenir, nous vous savons gré de vos
efforts, mais ils sont infructueux contre un ennemi aussi implacable qu’obstiné
; la Belgique demande à combattre, ouvrez les barrières, laissez-la aller...
elle sera digne de vous, Français, qui vous croyez peut-être en droit de la
mépriser.
Comme les ministres, je pense qu’une troisième
intervention de la France n’est pas probable, et je m’en félicite ; nous savons
à présent que l’intérêt qu’elle nous porte pourrait nous coûter cher. Vous
n’avez pas oublié les paroles de M. Mauguin, et comment la partie du mouvement
qui a la prétention de représenter l’immense majorité des Français entend nous
traiter, et ce que nous aurions à en attendre s’il venait au pouvoir, au lieu
de ces doctrinaires tant critiqués même dans cette assemblée, et qui me
semblent beaucoup plus justes à notre égard.
Mais, me dira-ton, c’est donc la guerre que vous
appelez sur votre pays ? En avez-vous calculé les chances ? Oui, messieurs,
toutes depuis la victoire jusqu’à la restauration, jusqu’à ce mot terrible :
Malheur aux vaincus ! Les résultats d’une victoire pour nous, vous savez qu’ils
seraient immenses ; inutile d’en parler ici. Envisageons froidement la question
des revers, elle est possible. Je suppose la Belgique vaincue, le prince
d’Orange à Bruxelles : vous voyez que je ne crains pas d’aborder toutes les
hypothèses. Alors commence le rôle de la France ; c’est à elle de savoir s’il
lui convient de voir rétablir le royaume des Pays-Bas, d’avoir la
sainte-alliance à ses portes, de troquer un peuple neutre et libre contre les
sbires du despotisme. Ne le craignez pas, messieurs, la France sait ce qu’elle
a gagné à la révolution belge, et si je crois peu aux sympathies politiques, je
crois beaucoup aux intérêts.
Mais l’Angleterre ! l’Angleterre !... Anvers est à
nous : ces mots disent tout ; Dieu sait l’usage que nous en pourrions faire. M.
de Robaulx vous l’a expliqué clairement ; inutile de répéter ce qu’il a si bien
dit.
Il vous a parlé de guerre, messieurs, de la
possibilité de la faire ; pensez-vous pour cela que je croie à la guerre ? Eh,
non, mille fois non. Du moment que l’on verra que vous pouvez la faire avec des
chances de succès, l’on saura bien arranger vos affaires, et sans vous amener à
passer sous les fourches caudines. Une troisième intervention est très inutile
pour cela : un blocus réel suffirait pour rendre très traitables les marchands
de la Hollande. Mais, nous dit-on, vous exigez donc des puissances qu’à jour
fixe elles exécutent toutes leurs promesses ? Mais non encore ; d’ici à trois
mois nous verrons bien ce qui aura été fait pour nous ; nous saurons d’ici à ce
temps, par les commencements d’exécution, si l’on veut sérieusement en finir,
et nous nous réglerons comme doivent le faire des hommes sensés d’après les
circonstances,
Messieurs, M. le ministre de
la justice a cru devoir vous faire hier une profession de foi honorable pour
l’opposition, et pour un des membres de cette assemblée qui siège souvent dans
ses rangs. Je lui demande la permission de faire la mienne sur le ministère.
J’estime individuellement les hommes qui en font partie ; entre eux et moi il
ne peut y avoir rien de personnel, qu’une simple divergence d’opinion. Mais
comment le ministère pourrait-il nous inspirer une entière confiance ? Il n’a
pas foi en lui-même : les membres du cabinet actuel comme de celui auquel il a
succédé on si bien senti combien était précaire leur position, qu’ils ont
toujours conservé les emplois qu’ils occupaient auparavant ; je me hâte
d’ajouter que je ne leur en fais pas un crime, qu’il faut du dévouement pour se
charger des affaires dans ce moment.
Chacun espère être plus habile que son prédécesseur.
Le dirai-je, le ministère en Belgique me fait l’effet d’un de ces mâts bien
glissants, comme nous en voyons dans nos fêtes populaires ; malgré de lourdes
chutes, chacun espère parvenir au but qui longtemps leur échappera. Le prix que
nos ministres veulent obtenir, c’est le bonheur, c’est l’indépendance de la
patrie ; c’est leur vœu comme le nôtre, n’en doutons pas ; mais après une trop
longue attente, lorsqu’ils essaient encore à dénouer le nœud gordien, nous
croyons, nous, qu’il peut être tranché.
M. Fallon. - D’après ce qui avait été dit dans la séance précédente par M. de
Robaulx, je pensais que l’objet principal de son amendement était de
contraindre le ministère à notifier aux gouvernements anglais et français la
demande de l’exécution des traités, et de fixer un délai après lequel la
Belgique se considérerait comme déliée de tout engagement. Sous ce point de
vue, j’aurais combattu l’amendement ; mais, d’après les explications données,
je n’ai plus rien à opposer à la proposition de M. de Robaulx.
M. d’Huart.
- L’amendement de MM. de Robaulx et Pirson me paraît, sous certains rapports,
sujet à de graves inconvénients. Je ne le trouve pas indispensable au but que
les honorables membres se proposent eux-mêmes.
En n’admettant les dépenses du budget de la guerre que
jusqu’au 1er juillet, nous découragerions entièrement l’armée par l’incertitude
dans laquelle nous la placerions. D’un antre côté, loin de rendre notre ennemi
plus traitable, nous l’affermirions dans son système de temporisation ; car il
ne manquerait pas d’user de ruse et de perfidie près de nos alliés pour tâcher
d’amener les choses telles qu’elles sont jusqu’au milieu de l’année, dans
l’espoir de profiter des divisions qui pourraient s’élever alors entre le
pouvoir exécutif et les chambres belges sur la question du maintien de nos
forces militaires.
Je n’en dirai pas davantage pour prouver que la mesure
proposée est dangereuse et impolitique.
Voyons maintenant si elle est indispensable au but
qu’on se propose.
En se réservant la faculté de
revenir sur le budget de la guerre pour arrêter les dépenses des six derniers
mois de l’année, les honorables auteurs de l’amendement entendent se conserver
un moyen constitutionnel pour renverser le ministère s’il ne satisfait pas
d’ici à trois mois aux exigences de la nation ; mais, messieurs, ce moyen nous
est assuré. Indépendamment du budget de la guerre, n’avons-nous pas à délibérer
sur les budgets de tous les autres départements, et n’est-il pas évident que,
quelle que soit la marche de nos travaux, le moment d’admettre ou de rejeter
l’ensemble de ces budgets n’arrivera pas avant le mois de juin ? Nous serons
donc alors, de toute manière, en situation de refuser les subsides si le
ministère ne nous paraît plus digne de notre confiance ; et par suite,
l’amendement n’est pas indispensable au but proposé.
Les raisons que je viens d’exposer brièvement me
paraissent concluantes pour motiver le rejet de la proposition de MM. de
Robaulx et Pirson ; je n’y ajouterai qu’une seule considération, qui est celle
du temps précieux que son adoption ferait perdre à la chambre, en l’obligeant à
délibérer deux fois au lieu d’une sur le budget du département de la guerre.
M. Lardinois.
- Messieurs, du jour où j’ai vu que le traité des 21 articles nous était
imposé, et que, soumis à l’acceptation de la législature, elle crut devoir y
adhérer, je me suis dit que nous subissions la loi du plus fort et que nous
aliénons notre indépendance.
Après cet acte de faiblesse, le gouvernement n’avait
plus, ne pouvait plus avoir de politique à lui ; il devait suivre l’impulsion
des puissances qui s’intéressaient encore à nous, et dont les vues
s’accommodaient de notre existence comme nation. Les discussions diplomatiques
qui ont eu lieu depuis six jours, vous ont-elles révélé autre chose que cette
triste vérité, que nous ne pouvons nous mouvoir sans le consentement de la
France et de l’Angleterre ?
Quelque déplorable que soit cette position, nous ne
pouvons nous en affranchir sans compromettre les destinées du pays, et je pense
que, si le cabinet était composé des hommes les plus énergiques de cette
chambre, ils seraient obligés, comme tout ministère quelconque, de manœuvrer
sous l’influence de la volonté des deux puissances prépondérantes dont nous
avons accepté l’alliance salutaire.
Nous sommes sans crainte en présence de la Hollande
seule ; nous sommes faibles en présence de la Hollande soutenue par les
puissances du Nord ; et pour rétablir l’équilibre en notre faveur, nous devons
avoir pour alliés l’Angleterre et la France, Quel est l’insensé qui voudrait
rompre cet équilibre ? La proposition de l’honorable M. de Robaulx a-t-elle
pour but cette rupture, messieurs, ainsi qu’on vous l’a dit hier ? Non. Eh quoi
! depuis dix-huit mois nous subissons, avec une bonne foi et une patience
admirables, le traité du 15 novembre, et ce serait un acte d’hostilité envers
nos alliés que de chercher à sortir de ce statu quo, espèce de pugilat qui consiste
à savoir qui, de la Belgique ou de la Hollande, sera le plus tôt ruinée ! La
justice, la loyauté, les principes sont de notre côté ; en les invoquant, nous
n’attentons aux droits de personne, et trois mois de délai doivent être plus
que suffisants pour que les puissances garantes nous procurent l’exécution
entière et parfaite de ce traité ou pour qu’elles nous délient de notre
acceptation.
Ce n’est pas seulement Lillo
et Liefkenshoek qui nous manquent, c’est la paix ; car, sans elle, notre
révolution n’est pas terminée. Vainement nous nous serons donné une
constitution et un roi ; tant que nous n’aurons pas le repos après lequel la
nation soupire, l’Etat n’est pas fondé, rien n’est assumé, et tout ce qui nous
est cher reste en question et peut périr dans une nouvelle commotion qui ne
manquerait pas d’arriver si on méditait le partage de la Belgique !
Ainsi donc, intérêts politiques, intérêts moraux,
intérêts matériels, nous convient à provoquer une fin de nos affaires. N’en
reculons pas le terme indéfiniment, et que la chambre, par son attitude, fasse
comprendre que si, dans l’intervalle à déterminer, le pays n’a pas obtenu
justice, elle forcera le gouvernement à prendre le parti qui conviendra le
mieux à notre émancipation politique. J’appuie, dans ce sens, l’amendement de
M. de Robaulx ; son adoption ne nous empêchera pas de continuer la discussion
du budget de la guerre.
M. Milcamps.
- Messieurs, en prenant la parole dans cette discussion, je n’ai pas la
prétention d’y répandre de nouvelles lumières ; mon but est uniquement
d’exprimer les motifs qui me détermineront à voter le maintien de l’armée sur
le pied de guerre et le budget amendé par la section centrale, et conséquemment
à voter contre l’amendement de M. de Robaulx.
Quant au maintien de l’armée sur le pied de guerre, il
ne paraît pas y avoir dissentiment dans les membres de cette assemblée ; je ne
pense pas qu’il existe une seule opinion qui y soit contraire.
Comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes en
état de guerre avec la Hollande. Il n’y a pas d’apparence que cet état cesse
bientôt.
Assurément il ne finira pas par la voie de la
diplomatie.
La Hollande considère le traité du 15 novembre,
surtout en ce qui concerne la libre navigation de l’Escaut et la liberté de
commerce avec l’Allemagne, comme lui étant désastreux.
La Belgique regarde toute modification, surtout en ce
qui concerne la libre navigation de l’Escaut et la liberté de commerce avec
l’Allemagne, comme ruineux pour elle.
S’il en est aussi, messieurs, comment espérer que la
diplomatie puisse parvenir à concilier des intérêts si opposés ?
La diplomatie a ses règles. « Lorsqu’il s’agit de
traités diplomatiques, les conventions doivent être réciproques, ou au moins
balancées par d’autres dispositions, et leur justice ne saurait être appréciée
par les règles ordinaires de la vie civile : ce qu’un gouvernement a droit de
stipuler ne saurait être contre son avantage, et c’est dans ce cas qu’il est
fondé, non pas à méconnaître les droits de la justice, mais à aller, si c’est
son intérêt, même au-delà de ce qui est juste. »
Tels sont, messieurs, les principes qui dirigent les
gouvernements qui traitent diplomatiquement.
Aussi je pense que la Hollande n’acceptera jamais, et
sans y être contrainte, le traité du 15 novembre. J’ai la confiance que la
Belgique, de son côté, n’acceptera jamais des modifications qui en détruisent
l’essence. Et dans ce conflit je ne m’attends pas que la conférence, comme
assemblée politique, prenne jamais une résolution commune pour terminer cette
difficile affaire.
Dans de semblables conjonctures il y a nécessité pour
nous de maintenir l’armée sur le pied de guerre, et de voter le budget pour
l’année.
Mais qu’adviendra-t-il, messieurs ? Il n’est pas
facile de répondre à cette question.
Prenons les faits tels qu’ils existent.
Cinq puissances avaient pris, par leurs ambassadeurs,
à tâche d’amener l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité du 15
novembre, et en avaient garanti l’exécution,
Les souverains de deux Etats ont ratifié ce traité
purement et simplement.
Les souverains des trois autres Etats ne l’ont ratifié
qu’avec des réserves.
Ici messieurs, je ne puis être de l’avis de plusieurs
honorables membres de cette chambre qui ont cru pouvoir appliquer à la
ratification des traités les règles du droit civil, relatives aux engagements
que l’on contracte par procureur. A la vérité, c’est le sentiment de Grotius ;
mais les publicistes qui ont écrit depuis, entre autres Mably, et je pourrais
en citer deux autres qui me paraissent avoir des idées plus justes que Grotius,
enseignent qu’un traité n’acquiert toute sa force que par la ratification des
puissances, et ils ajoutent qu’il est de l’intérêt de chaque nation d’adopter
cette jurisprudence pour ne pas risquer de se trouver la victime de la
présomption, de l’infidélité ou de la corruption d’un ambassadeur.
Aussi je ne sache pas que dans les chambres anglaise
et française, on ait fait aux trois puissances dont il s’agit un grief d’avoir
mis des réserves à leurs ratifications. Ne convient-il pas d’imiter leur
prudence ?
Ajouterai-je que l’échange de toutes les
ratifications, tant pures et simples qu’avec réserves, a eu lieu entre les cinq
cours ?
Mais c’est dans cet échange même de ratification que
j’aperçois la grande difficulté d’arriver à une solution de nos affaires. Je
réclame votre attention
J’en déduis cette conséquence que la France et
l’Angleterre comme garantes, peuvent contraindre la Hollande à exécuter le
traité du 15 novembre dans tous les points non réservés, mais qu’à l’égard des
réserves qui portent sur les articles 9, 12, et 13, elles ne peuvent agir. Les
points sur lesquels des réserves ont été faites doivent être l’objet de
nouvelles négociations. (Voir le protocole n°58 du 4 mars 1832.)
Que la France et l’Angleterre forcent les deux parties
à évacuer les territoires respectifs qui ne leur sont pas attribués ; qu’elles
les contraignent à exécuter toutes les autres dispositions du traité sur
lesquelles il n’a point été fait de réserves, c’est très bien : la France et
l’Angleterre sont dans leur droit ; mais elles violeraient le traité lui-même
si elles agissaient au-delà. Il faut qu’elles en réfèrent aux autres
puissances. Je regrette de le dire, mais tel est le droit.
De là, la réquisition que nous pourrions faire à la
France et à l’Angleterre, ce n’est pas d’en finir avec la Hollande. Cette
réquisition ne pourrait avoir pour objet que de provoquer l’exécution du traité
dans les points non réservés. S’il s’agit de sommer la France et l’Angleterre
de faire exécuter le traité dans toute sa plénitude, c’est demander à ces
puissances une chose qui n’est pas en leur pouvoir d’opérer : une pareille
sommation devrait être faite, non à la France et à L’Angleterre seulement, mais
aux trois autres puissances également.
Sans doute le gouvernement
belge a le droit de se dégager des liens qui l’enchaînent.
Mais, avec ces principes, où en sommes-nous ?
Messieurs, je l’ignore. Pour moi, je ne vois pas de terme possible à la
solution de nos affaires que le jour où la France et l’Angleterre diront aux
autres grandes puissances : La prise de la citadelle d’Anvers, le blocus des
côtes de Hollande n’ont pu vaincre l’obstination du roi de ce pays ; il se
refuse à l’exécution du traité même dans ses dispositions sur lesquelles il n’y
a point de réserve. L’intérêt de la France et de l’Angleterre commande d’autres
mesures ; nous allons les employer. Ce que répondront les puissances, il est
difficile de le prévoir ; mais, ce que chacun de nous peut prévoir, c’est qu’il
n’y a de repos possible pour nous et pour l’Europe que dans l’accord et
l’énergie de nos deux puissants alliés.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - -
Messieurs, le statu quo politique où nous nous trouvons depuis 18 mois, et dont
vous vous plaignez avec tant de raison, ce provisoire si nuisible à tous les
intérêts, vous allez l’introduire dans l’administration de la guerre, si vous
accordez à ce département trois nouveaux mois de crédits provisoires, et si
vous ajournez votre vote sur la fixation de chacun des articles qui composent
son budget. Il ne me sera point possible de régulariser les diverses parties du
service d’après les nouvelles prévisions qui résultent du travail de la section
centrale, ou de celles que j’ai présentées. Cette incertitude dans les chiffres
du budget va produire une perturbation générale que l’on peut, quoique avec
peine, supporter pendant les trois premiers mois de l’année, mais qu’il est
impossible de pousser jusqu’à six mois, sans s’exposer aux plus fâcheuses
conséquences.
Je dois vous déclarer, messieurs, et avec la même
sincérité dont j’ai déjà donné des preuves, que je ne puis accepter la
responsabilité d’un service aussi important que celui du département de la
guerre sans budget fixe et sans être autorisé, par la loi qui le règle, à faire
toutes les réductions qui doivent en ressortir.
Voilà huit jours que ce budget est en discussion, et
c’est au moment où l’on devrait passer à celle des articles, qui ne peut être
longue, puisque je suis d’accord sur presque tous les points avec votre section
centrale, qu’on propose d’accorder trois mois de crédits provisoires, et
d’ajourner la discussion des articles, qui est la chose positive et le résumé
de toute discussion !
Je ne puis donc consentir à ce nouveau provisoire de
trois mois, qui me jetterait dans d’inextricables difficultés, et devant
lesquelles je suis obligé de reculer.
Je demande donc, messieurs, que la chambre veuille
bien donner la priorité à la proposition du gouvernement pour le crédit
provisoire demandé pour le mois d’avril seulement, et qui pourra recevoir la
sanction du sénat avant sa séparation prochaine, et s’occuper immédiatement de
la discussion des articles du budget, pour qu’elle puisse être terminée avant
que la chambre ne prenne ses vacances.
Il sera loisible à la chambre, après avoir fixé le
chiffre du budget à 66,000,000, par exemple, de prendre ou non en considération
la proposition qui lui est soumise en ce moment, de n’accorder des fonds que
pour le service des six premiers mois.
Mais, je le répète, messieurs,
ce crédit provisoire de 3 mois que je ne demande pas, jettera l’administration
et les finances dans une perturbation dont il sera difficile de se tirer, et je
vous rappellerai à cet égard que c’est à pareil jour de l’année dernière (29
mars), que le budget de la guerre a été publié en forme de loi.
Nous eûmes déjà assez de difficultés pour aligner
l’arriéré des trois premiers mois passés sans budget, pour ne vouloir pas me
charger du second de six mois.
Il est donc instant, dans l’intérêt même de l’Etat,
que le budget de la guerre soit fixé dans chacun de ses articles, quelle que
soit la détermination que prendra la chambre sur les crédits provisoires.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, dans la position où la chambre se trouve placée par la
proposition incidente de M. le ministre de la guerre, je crois que l’adhésion à
l’amendement de M. de Robaulx est de nécessité pour nous.
Dans quelle position nous trouvons-nous en effet ? Le
sénat est à la veille de se séparer ; la chambre elle-même est dans la
nécessité de suspendre incessamment ses travaux : dans ces circonstances,
devons-nous nous borner à accorder au ministre de la guerre un mois de crédit
provisoire, et continuer la discussion du budget définitif ?
La discussion de ce budget doit nous mener beaucoup
plus loin que nous ne pensons : voilà six jours que la discussion générale est
commencée, et elle n’a pas encore fait un pas.
Bien loin d’être en mesure de régler définitivement le
budget de la guerre avant l’ajournement du sénat, nous ne pourrons pas même
terminer notre tâche avant le moment où nous serons obligés de nous séparer
nous-mêmes.
Quand les chambres se réuniront, quelque court que
soit le congé qu’elles prendront, nous serons à la fin d’avril, et force sera
de voter encore un crédit provisoire.
Dans cette position, il n’y a qu’un parti à prendre,
c’est d’assurer le service pour un laps de temps assez long pour être dispensé
d’en revenir à des crédits provisoires.
La proposition de M. de Robaulx remplit cet objet.
Contentons-nous d’assurer le service, et remettons le règlement définitif au
budget de ce département jusqu’à l’époque que nous pourrons régler celui de
tous les autres ministères.
La discussion de tous les budgets, quel que soit le
zèle que la chambre pourra y mettre, ne commencera réellement que vers la fin
d’avril ; l’ouverture du crédit d’un douzième serait insuffisant ; deux
douzièmes même pourraient devenir insuffisants.
Pour éviter l’inconvénient de l’entassement de toutes
ces demi-mesures, votons, messieurs, trois douzièmes, et nous pourront espérer
qu’enfin ce sera pour la dernière fois que la chambre se verra réduite à la
nécessité de recourir à l’expédient.
A nos yeux, les considérations politiques doivent être
sans influence dans l’adoption : le seul motif qui doit nous guider, c’est la
position des deux chambres ; c’est l’impossibilité de régler définitivement,
avec connaissance de cause, le budget de la guerre.
Tous les budgets ne forment qu’un ensemble qu’il
serait dangereux de rompre, pour isoler chacune de ses parties, afin de les
considérer abstractivement les unes des autres. C’est un tout qu’il faut
embrasser dans son ensemble, pour maintenir dans leurs justes proportions ses
diverses parties. La nécessité et une nécessité pressante peut seule nous
autoriser à nous écarter de cette marche, et doit seule nous déterminer à
morceler le travail du budget. En appuyant l’amendement de M. de Robaulx, je ne
fais que me montrer conséquent à une opinion que j’ai eu l’honneur de vous
soumettre précédemment. Au mois de décembre, on est venu vous dire qu’il
fallait régler bien vite le budget des voies et moyens ; j’ai proposé alors de
se borner à proroger pendant six mois la perception de tous les impôts existants.
Ma proposition a été écartée, et il en est résulté que nous avons fait huit ou
dix fragment de loi, sans avoir nullement réglé le budget des voies et moyens,
et sans avoir en réalité déjà entamé la discussion du budget des dépenses qui
doit précéder celui-là.
Messieurs, il est temps que la chambre se mette en
état de régler définitivement l’un et l’autre budget, et pour cela commençons
par assurer tous les services du premier semestre en ouvrant au département de
la guerre un crédit provisoire de 15 millions et même plus.
Alors nous pourrons nous
livrer avec suite, maturité et sans inquiétude à l’examen du règlement des
budgets de l’exercice. Si par une loi antérieure vous n’aviez pas, messieurs,
ouvert un crédit indéterminé quant au temps, mais bien circonscrit par la
nature des dépenses, maintenant il aurait fallu aviser à l’ouverture d’un
nouveau crédit provisoire pour les autres départements ministériels ; mais,
grâce à ce mode, vous vous êtes épargné l’embarras d’assurer leur marche sans
nouvelle mesure provisoire. La première suffira : faisons la même chose pour le
département de la guerre à l’occasion du troisième crédit provisoire qu’on nous
demande cette année.
J’insiste beaucoup pour que l’on accorde trois mois de
crédit au ministère de la guerre, le principal département après le ministère
des finances lequel, dans tout Etat, est le pivot du gouvernement tout entier :
ce dont nous ne paraissons pas nous douter en Belgique, au moins à en juger
d’après le triste abandon où on le laisse.
M. Marcellis.
- Je crois, messieurs, que nous devons voter les deux amendements proposés ;
pour la proposition de la section centrale, et continuer la discussion du
budget pour l’année intégrale. Je le crois, parce que prendre une marche contraire,
c’est adopter une marche insolite, et qui, par suite, doit accroître le malaise
de notre pays. Un mécontentement réel existe. Il ne faut donc pas le provoquer,
mais au contraire chercher à le calmer, et on peut y parvenir par les mesures
énergiques qu’on prendra. En adoptant le budget intégral, vous aurez plus de
force au-dehors, et c’est ce que nous demandons à notre diplomatie ; vous aurez
aussi au-dedans une force plus réelle. Je m’en rapporte à cet égard aux
déclarations de l’honorable général, ministre de la guerre. Laissons donc des
moyens proposés avec de bonnes intentions, mais qui hors de cette enceinte
auront un air factice.
L’honorable M. Desmanet a fait une objection très
spécieuse, très fondée même, mais en partie seulement ; il importe donc de lui
répondre. La Hollande, dit-il, s’enrichit quand nous nous appauvrissons, car la
Hollande fait les emprunts chez elle. Je conviens que les capitalistes
hollandais gagnent dans ces emprunts un intérêt plus élevé, c’est la
conséquence naturelle d’une nouvelle demande de capitaux ; mais si ces
capitalistes gagnent sur l’intérêt, le pays perd les capitaux. Assurément un
homme aussi éclairé que M. Desmanet ne dira pas que les sommes consommées en
frais d’habillement, de nourriture, d’équipement ne soient pas perdues pour la
Hollande.
Nous, d’autre
part, qui jusqu’ici avons fait nos emprunts au-dehors, et cela finira, puisque
les bons du trésor ont été placés dans l’intérieur du pays, au moins en partie
malgré leur émission vicieuse ; nous, dis-je, nous n’empruntons que le moitié
des capitaux qu’emprunte la Hollande pour ses armements. Notre position peut
donc se tenir devant elle.
Je voterai donc contre les amendements, pour le projet
de la section centrale, et pour un budget de toute l’année. Je repousse les
amendements, non comme mesure d’argent, mais comme mesure politique.
M. de Brouckere. - Messieurs, ce qu’on dit plusieurs honorables orateurs à l’appui de
la proposition de M. de Robaulx me dispense d’entrer dans de longs
développements, mais je déclare que je l’appuie de toutes mes forces, parce que
je la crois nécessaire dans la position où nous sommes. Mais ce qui doit
surtout rendre inutile tout nouvelle discussion, c’est que nous sommes d’accord
avec le ministre de la guerre ; en effet il consent à ce qu’on vote des fonds
pour six mois ; seulement il craint, si on ne continue pas la discussion du
budget, si on ne le dégage de toute incertitude sur les allocations, d’être
arrêté par des difficultés inextricables. Ces difficultés, je suis loin de les
croire aussi graves qu’il le prétend, et pour les éviter, il y a un moyen
auquel il ne s’oppose pas, c’est de passer au vote du crédit de trois mois ; ce
crédit, M. le ministre le répartira entre les divers articles du budget, sauf
régularisation ultérieure. Je ne pense pas que cette marche renferme un seul
inconvénient.
Un honorable membre qui a parlé avant moi, le même qui
nous avait appris avant-hier qu’il était du juste milieu (on rit), a déclaré qu’il voterait contre tous les amendements
présents, passés et futurs, parce qu’il y avait un germe de mécontentement dans
le pays…
M. Marcellis.
Prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu’à nous.
M. de Brouckere. - Je vous prie de ne pas m’interrompre par des paroles désagréables,
inconvenantes ; je vous engage même pour votre intérêt à ne pas les répéter
tout haut. (Mouvement.)
M. Jullien.
- Contez-nous cela !
M. de Brouckere. - Je ne le répéterai pas, ce serait trop au
désavantage de M. Marcellis.
Le préopinant a donc déclaré qu’il voterait contre
tous les amendements parce qu’il y avait du mécontentement dans le pays contre
la marche des affaires et contre le système du ministère. C’est ce
mécontentement qui précisément m’engage à voter pour la proposition de M. de
Robaulx, parce qu’elle obligera le ministère à changer de marche. Si au bout
des trois mois, il n’a pas changé de système, nous serons maîtres alors de lui
refuser tout subside et nous le forcerons à se retirer.
M. le ministre de la guerre (M.
Evain). - - Messieurs, je n’ai point dit que je consentais
à la proposition de M. de Robaulx ; je me suis borné à dire : « qu’il
serait toujours loisible à la chambre, après avoir fixé le chiffre du budget,
de prendre ou non en considération la proposition qui lui est soumise en ce
moment de n’accorder des fonds que pour le service des six premiers
mois. »
Plusieurs membres.
- C’est cela ; nous sommes d’accord. (Hilarité.)
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je me proposais d’appuyer l’amendement de mon honorable
collègue M. de Robaulx tendant à n’accorder qu’un crédit de trois mois au lieu
du budget de la guerre ; mais l’opinion que vient d’émettre M. le général Evain
me déterminera à voter dans le sens du ministère, c’est-à-dire un mois de
crédit provisoire et le budget sur pied de guerre pour toute l’année, mais à la
condition expresse que le gouvernement ne pourra disposer que d’un crédit de
six mois. Quant aux dépenses provisoires d’un mois demandé pour faire face aux
dépenses urgentes d’avril, je pense que nous devons les voter sans délai,
d’autant plus que le sénat va se séparer jusqu’au 23 avril. On a signalé,
messieurs, de graves inconvénients à propos de l’amendement de M. de Robaulx ;
on a surtout fait valoir dans la discussion le mauvais effet que cette mesure
produirait sur le moral de notre armée. Outre cette conséquence fâcheuse qui
n’est pas bien prouvée, j’en remarque actuellement une beaucoup plus forte : si
nous votons in globo une somme de 15 millions, le contrôle de la cour des
comptes sera neutralisé.
Vous connaissez tous,
messieurs, l’inconvénient des longs crédits provisoires, et dans maintes
circonstances vous l’avez signalé dans cette enceinte : de plus, vous n’ignorez
pas que les crédits temporaires autorisent en quelque sorte des transferts
tandis qu’un budget voté par article est un lien que l’on ne peut rompre
qu’avec l’autorisation de la législature. Outre la licence administrative que
je viens de signaler, on pourrait en citer une foule d’autres. Le but de M. de
Robaulx, de mettre en demeure le ministère, est certes un bon moyen politique,
mais après avoir mûrement examiné le pour et le contre, je pense, messieurs,
que nous pourrons également l’exécuter plus tard tout en votant le budget.
Laissons encore agir les diplomates pendant un trimestre, et si nos affaires ne
sont pas terminées pour cette époque, il ne nous faudra que peu de jours pour
renverser un ministère qui n’aura pas osé réclamer l’exécution du traité, d’un
traité qui nous a été imposé le poignard diplomatique sur la gorge.
M. Nothomb.
- J’ai besoin, messieurs, d’appeler votre attention sur le caractère qu’a pris
aujourd’hui l’amendement de M. de Robaulx, surtout après les observations que
vient de faire M. d’Elhoungne. Lorsque l’honorable M. de Robaulx fit sa proposition,
il rattachait cet amendement au système politique et c’était rationnel ;
voulant s’opposer à la marche du ministère, pour chercher à le mettre dans
l’impossibilité de marcher encore, il a voulu créer un obstacle.
Aujourd’hui c’est tout différent. Il ne rattache
aucune condition politique à sa proposition, et dès lors je vous avoue qu’il
m’est difficile de m’en expliquer le but ; je recherchais les raisons de
l’honorable M. de Robaulx, sans avoir pu les découvrir lorsque M. d’Elhoungne
vous les a présentées. Suivant ce dernier orateur, l’amendement ne se rattache
à aucune condition politique ; il le rattache aux circonstances particulières
dans lesquelles se trouvent les chambres, circonstances telles qu’il y a impossibilité
pour elles de se livrer à l’examen approfondi d’un budget définitif.
Ainsi, d’un côté, l’honorable auteur de l’amendement
qui le rattachait depuis quelques jours à des conditions politiques qui
repoussaient le système du ministère, l’en détache aujourd’hui complétement.
(Signes négatifs de M. de Robaulx.)
D’un autre côté, M. d’Elhoungne vient de dire qu’il
n’entendait pas émettre un vote politique, mais que cependant il appuie la
proposition parce qu’on ne pourrait faire en ce moment un budget définitif ; il
a beaucoup insisté sur cette idée, qu’il faut renvoyer la discussion du budget
de la guerre à la discussion générale du budget. Il veut par cela vous faire
revenir sur la décision que vous avez prise il y a quinze jours ou un mois,
alors que vous avez décidé que, par dérogation au système que nous suivrons dès
que nous pourrons mettre de la régularité dans nos finances, l’on s’occupera
préalablement aux autres budgets, de la discussion du budget de la guerre.
Après que vous avez formellement déclaré que vous vouliez scinder la loi des
budgets, M. d’Elhoungne demande aujourd’hui que vous les réunissiez ; c’est là
son argument le plus fort : quant à la prétendue impossibilité, je ne l’admets
point. Il est du devoir des chambres de se livrer aux travaux qu’elles ont
commencés, en se conformant aux décisions qu’elles ont prises.
Je vous demande, messieurs,
si, après une discussion de plusieurs jours, si après avoir déclaré, par
dérogation à un principe que je reconnais, que vous discuteriez le budget de la
guerre séparément des autres ; je vous le demande, que penserait le pays, si
tout à coup, nous allions déclarer l’ajournement de cette discussion et
accorder des crédits provisoires qui ne sont fondés ni sur la nécessité, ni,
suivant l’honorable auteur de la proposition, sur aucune considération
politique ?
M. de Robaulx. - Je nie ce fait-là !
M. Nothomb,
continuant. - Je crois cependant vous
avoir bien entendu, et ce qui le prouve, c’est l’observation de M. Fallon qui a
dit que si la motion eût été subordonnée à une notification à faire, il aurait
voté contre ; mais que, maintenant qu’elle n’aura plus ce caractère, il votera
pour.
Plusieurs voix. - Non ! non
! c’est inexact.
M. Nothomb.
- On veut accorder un crédit provisoire qu’on ne demande pas et qui n’est pas
nécessaire, et on veut retarder le vote d’un budget définitif. Messieurs, il ne
faut pas de demi-confiance : si le système ne vous convient pas, dites-le ;
quant à moi je ne puis admettre ce juste-milieu que propose l’orateur. (Hilarité.)
Essayons maintenant une autre hypothèse, rattachons
des conditions politiques au vote. Cette condition sera-ce la guerre immédiate
? Personne ne le soutient ; tout le monde comprend que les mesures coercitives
que nous avons provoquées nous placent dans une position particulière. La
condition politique imposée au gouvernement consistera-t-elle dans une
notification aux deux puissances exécutrices ?
Cette notification ne pourrait avoir d’autre but que
d’engager les puissances à renforcer les mesures coercitives, maintenant où
elles peuvent avoir le plus d’effet, parce que c’est l’époque des nouveaux
arrivages et des nouveaux départs. Le ministère nous a promis d’employer tous
ses efforts pour agir sur nos alliés ; nous avons ses engagements et ce qui est
plus, son intérêt.
Mais pouvons-nous fixer un délai ?
Cette question n’est pas nouvelle. Dans la discussion
mémorable de l’adresse, M. de Muelenaere disait que la garantie était un droit,
mais qu’en l’exigeant on ne pouvait stipuler tel ou tel mode, tel ou tel terme
d’exécution ; c’est ce que M. Jullien a de nouveau démontré hier.
Il faudrait donc fixer un terme dans lequel le
commerce de la Hollande perdrait patience, dans lequel la Hollande se rendrait
presque à discrétion. Je vous demande s’il n’est pas impossible de fixer ce
terme. Calculer approximativement ne dépasse pas les prévisions humaines, mais
fixer un terme d’une manière absolue, cela sort totalement des règles de la
prudence de la plus ordinaire : car qu’on dise quelle serait la position du
gouvernement, huit jours, quinze jours avant l’échéance du terme qu’il aurait
fixé ?
Ainsi, messieurs, si je considère l’amendement proposé
sous le point politique, toutes les conditions que j’ai examinées démontrent
qu’il n’y a aucun motif.
Reste la position que nous ne puissions voter un
budget définitif : il faudrait pour cela la nécessité, et même cette condition
vient à manquer.
On a cherché à créer une position dans laquelle notre
armée serait appelée à concourir aux mesures coercitives ; à cet égard on a
oublié les actes en vertu desquels ont lieu les mesures coercitives.
Le jour où nous déclarerions aux puissances qui
agissent par mer, que notre intention est de nous associer par terre à leurs
mesures ; ce jour-là, soyez-en convaincus, les mesures coercitives viendraient
à cesser. Ne perdons pas de vue que le territoire de la Hollande a été regardé
par les puissances comme inviolable, et sous ce rapport, si nous nous associions
à elles, nous devrions admettre cette inviolabilité ; les puissances ne
pourraient par personne interposée faire ce qu’elles ne peuvent exécuter
elles-mêmes. Cette condition mixte est impossible d’après moi.
Messieurs,
en terminant, je me demanderai si constitutionnellement nous pouvons nous
refuser à voter sur le budget définitif qui nous a été soumis par le
gouvernement, alors qu’il n’y a pas nécessité de déroger à cette obligation que
nous impose l’article 115 de la constitution ; je réponds négativement et je
pense qu’il n’y a pas d’alternative alors qu’un budget définitif est demandé,
et que le temps ne s’oppose pas impérieusement à son examen.
M. le président.
- La parole est à M. Brabant.
M. de Robaulx. - Je l’avais demandée pour rétablir les faits.
M. Brabant.
- Messieurs, la section centrale ne vous a présenté qu’un travail de chiffres ;
elle n’a pas cru devoir le convertir en loi et le diviser en articles, parce
qu’elle s’est souvenue de la marche suivie l’année dernière et qu’elle a pensé
que vous l’adopteriez cette année ; alors il y avait un projet de loi qui
portait : « Art. 1er. Le budget de la guerre sur pied de guerre est fixé à
la somme totale de … » « Art. 2. Cette somme sera répartie par
douzièmes, etc. » « Art. 3. Aucun transfert ne pourra être fait d’un
chapitre à l’autre du budget. »
Je crois, messieurs, que l’amendement de M. de Robaulx
eût bien mieux trouvé sa place lorsque nous aurions été appelé à voter sur ces
articles : on peut fait une disposition législative destinée à régler le temps
pour lequel on accorderait le budget. Aujourd’hui le gouvernement demande cinq
millions ; pendant qu’il consommera ces cinq millions, nous aurons le temps
d’examiner les spécialités du budget de la guerre ; le sénat aura également le
temps de les voter, et nous ajouterons à ces spécialités une disposition ainsi
conçue : « Jusqu’à autorisation nouvelle, le ministre directeur de la
guerre ne pourra disposer que de la moitié de la somme. » Les six mois écoulés
ou approchant, le gouvernement viendra vous demander l’autorisation de disposer
de la dernière moitié, et, discussion politique à part, un projet de cette
nature ne pourra nécessiter de longs débats.
Je conçois, en effet, qu’un
homme aussi consciencieux que M. le ministre de la guerre décline la
responsabilité de 33 millions et demi ; des dépenses sont contestées, elles
peuvent n’être pas allouées, et un homme timoré ne veut pas les ordonner avant
d’être fixé ; ainsi à l’article 1er du chapitre 6, il est porté une somme de
660 mille fr. pour le matériel de l’artillerie et les achats d’armes ;
croyez-vous que le ministre peut donner des ordres pour la confection des
objets, dans la possibilité d’un refus de crédit ? Non certainement. Il me
semble qu’il faut voter les cinq millions demandés, ensuite nous livrer à
l’examen des articles proposés par la section centrale ou de ceux du projet du gouvernement
; c’est après cela que nous pourrons insérer une disposition dans l’article 3
de la loi. (Appuyé ! Appuyé !)
M. de Robaulx. - Comme auteur de la proposition, je demande la parole sur la motion
d’ordre faite par M. Brabant.
M. Brabant. - Ce n’est pas une motion d’ordre que j’ai faite ; cependant ce que
j’ai dit peut être considéré comme tel.
M. de Robaulx. - C’est bien évidemment une motion d’ordre, puisque le but est
d’ajourner le vote sur mon amendement.
Messieurs, quand je propose de donner au ministre
trois plus qu’il ne demande, pourquoi est-ce, si ce n’est pour raisons
politiques ? C’est ce que chacun a entendu, sauf M. Nothomb qui a ses deux
oreilles et qui n’entend pas. (On rit.)
J’ai fait cette proposition pour que le vote définitif du budget soit différé
jusqu’au 6ème mois de l’année, où alors nous jugerions le ministère et son
système ; mais si le ministre qui s’est rallié à ce que je demandais, si
l’honorable rapporteur de la section centrale désirent qu’on vote les articles
du budget, je me rallierai volontiers à cette proposition ; on peut voter les
cinq millions demandés, et quand nous aurons voté les articles, on votera ma
proposition. (Appuyé !)
M. le ministre de la guerre (M.
Evain). - J’ai besoin, messieurs, de donner une
explication sur le passage de mon discours que l’on paraît avoir inexactement
interprété.
Je déclare que je n’ai nullement entendu donner mon consentement
à la proposition de l’honorable M. de Robaulx, et que dans mon opinion, les
fonds doivent être soldés pour l’année, si l’on vote tous les articles du
budget ainsi que j’en ai fait la demande expresse.
Ce que j’ai demandé est que la chambre donnât la
priorité à la proposition du gouvernement pour le crédit provisoire du mois
d’avril, et qu’elle s’occupât de la discussion des articles du budget de la
guerre. (Interruption.)
M. Gendebien. - Il faudrait cependant, messieurs, que l’on
s’arrêtât à quelque chose, car nous ne savons plus où nous en sommes.
M. de Robaulx. - Il s’agit de renvoyer le vote de mon amendement
après le budget ; la chambre fera comme elle voudra ; quant à moi je suis peu
tranquille pour ma proposition, les ajournements n’ont jamais été favorables
aux motions patriotiques.
M. Osy. - Je crois
que tout cela n’est pas suffisant ; je demande que le ministre de la guerre
s’engage à ne demander des fonds que pour 6 mois.
Plusieurs voix. - Appuyé !
Non ! non ! C’est impossible !
M. le ministre de la guerre (M.
Evain). - - Je répondrai à l’honorable baron Osy que je
ne puis prendre un pareil engagement ; le rapporteur de la section vient de
vous dire qu’il y avait des dépenses qui nécessitaient un vote pour l’année, le
chapitre 6 par exemple : c’est aussi que j’ai commandé 4,000 fusils à la
manufacture de Liège, 120 voitures à l’arsenal d’Anvers, des bouches à feu à la
fonderie ; il est impossible de scinder ces dépenses et de les mettre
aujourd’hui en rapport avec un budget d’un semestre.
M. Gendebien.
- Je regrette que M. le ministre de la guerre ait cédé à l’influence dont je
parlais tout à l’heure, puisqu’il avait dit nettement qu’il consentait. (Non ! non !) Il a dit qu’il serait
loisible à la chambre de ne voter que pour six mois ; or, s’il y a des
inconvénients, il n’est donc pas loisible, il aurait dû dire qu’il s’y
opposait. En vérité je ne sais ce que tout cela signifie.
M. le ministre de la guerre (M.
Evain). - - J’ai dit, il est vrai, que ce serait
loisible à la chambre, parce qu’elle peut faire ce qu’elle voudra.
M. Gendebien.
- Mais consentez-vous ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - Non sans
doute.
M. Dumortier.
- Les observations faites par le rapporteur du budget de la guerre méritent
d’être prises en sérieuse considération, quoique pour ma part j’eusse préféré
qu’on donnât immédiatement suite à la proposition de M. de Robaulx, d’autant
plus que ce qu’a dit le ministre de la guerre pouvait s’accorder très bien avec
le vote de cette proposition. En effet qu’est-ce qu’on demande ? D’accorder
trois douzièmes provisoires au lieu d’un ; et quand le ministre a demandé et
obtenu un douzième provisoire, il le fait plus tard régulariser : rien ne
s’opposerait donc à ce qu’il fît régulariser les trois douzièmes qu’on propose
de voter, comme il devra faire régulariser ceux qui déjà lui ont été accordés.
Je sais que sous le congrès on n’était pas si
difficile ; des millions ont été accordés et on n’a pas eu d’armée ; mais avec
M. le général Evain de tels abus ne sont pas à craindre : d’ailleurs il faudra
toujours régulariser.
L’opinion de M. Brabant, que le ministre aurait de la
répugnance à effectuer certaines dépenses, n’est pas fondée ; car le ministre
nous a dit qu’il avait déjà commandé.
En adoptant la proposition de M. de Robaulx, on
pourrait après voter les chiffres du budget, et par là on éviterait une seconde
discussion.
Un motif, messieurs, c’est que le ministère s’est
constamment refusé de répondre aux interpellations qui lui ont été adressées,
aux explications qu’on lui a demandées.
On a demandé au ministre s’il consentirait à faire
rester longtemps encore notre armée l’arme au bras. Le ministère répond qu’elle
est utile à la diplomatie, qu’elle a une grande influence sur les affaires de
la diplomatie.
A cela moi je répondrai : Si elle n’est utile qu’à la
diplomatie, si elle n’a d’influence que sur la diplomatie, il n’est pas
nécessaire qu’elle soit aussi forte, réduisez-la. A cet argument le ministère
dit qu’il faut qu’elle serve à la défensive ; mais elle est trop formidable
encore pour la défensive.
On demande au ministère quand est-ce que nous ferons
nos affaires nous-mêmes. Le ministère répond qu’on peut se tranquilliser en
voyant le zèle avec lequel nos intérêts sont défendus par la France et
l’Angleterre.
Demande-t-on
s’il souffrira une troisième intervention ?
Il répond qu’aucun fait ne motive une pareille
question. (Réclamations.) Le
ministère vient nous dire qu’il ne consentira pas à une intervention dans le
but spécial de la citadelle d’Anvers ; voilà comme on nous répond, comme s’il y
en avait une seconde à prendre. Certes de cette manière la chambre ne peut être
satisfaite des explications du ministère ; je vous laisse à juger d’une
conduite aussi étrange envers la représentation nationale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier), avec force. - Je demande la parole.
M. Dumortier.
- Un des honorables préopinants, M. d’Huart a présenté comme un obstacle très
grand que le vote d’un crédit provisoire découragerait l’armée. Non, messieurs,
l’armée ne sera point découragée quand elle saura que nous ne voulons pas subir
une troisième intervention. Je suis convaincu que l’armée saura montrer de
l’élan et du patriotisme dès qu’elle verra que nous voulons une solution pour
le 1er juillet prochain.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Après six jours de discussion, s’il faut
considérer comme l’opinion de la chambre celle que vient d’émettre M.
Dumortier, je dirai : Si le ministère actuel ne mérite pas la confiance du
pays, vous devez dès aujourd’hui même vous prononcer à son égard. Cette espèce
de latitude, ce trimestre de confiance que vous lui accordez, je ne sais à quel
titre il le mériterait. L’honorable M. Dumortier accuse le ministère actuel de
ne pas montrer d’énergie, de déshonorer l’armée, de ne point satisfaire aux
besoins, aux désirs du pays : mais alors pourquoi accorder trois mois à un
pareil ministère ? Refusez-lui dès aujourd’hui tout crédit, et il saura à quoi
s’en tenir. Mais il ne veut pas de votre délai de trois mois.
La position qu’on lui ferait ne serait pas
supportable. Cette demi-confiance que l’on consentirait à lui accorder
temporairement, elle ne lui suffit pas. Je vous le demande : Est-il, ministre
prédestiné ou non prédestiné, pour peu qu’il fût doué de la prudence la plus
vulgaire, qui osât prendre sur lui de gouverner à de telles conditions ?
M. le ministre de la guerre vous a dit : Je ne puis
pas continuer à faire des dépenses non limitées par la chambre ; vous voulez
m’accorder un crédit provisoire de trois mois, je ne puis accepter cette espèce
de confiance, il faut que je puisse dire à l’armée : Votre sort est fixé, votre
solde est arrêtée de telle et telle manière.
Il faut en un mot que chaque
allocation soit réglée définitivement et légalement.
Abordez donc, messieurs, immédiatement la discussion
des détails du budget de la guerre, et quand vous aurez voté sur l’ensemble, vous
discuterez, si bon vous semble, la question de savoir si les dépenses sur pied
de guerre doivent être autorisées pour six mois ou pour toute l’année.
M. Gendebien. - Mais il n’y a pas d’opposition.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - M. Dumortier s’y oppose.
- On demande la clôture ; elle est mise aux voix et
adoptée.
M. de Robaulx. - Il faut bien s’entendre sur l’ajournement.
M. Brabant.
- On vote sur l’ajournement de votre proposition ; après que les chiffres du
budget seront adoptés, on votera pour savoir s’il ne faut accorder que six mois
; il y aura alors les avantages de votre proposition plus ceux de la
spécialité.
M. de Robaulx. - Comme je crains que cet ajournement ne soit
funeste à ma proposition, je déclare que je m’y oppose : quand viendra la
proposition de M. Brabant, alors je voterai pour. (Agitation.)
M. Marcellis.
- Je dois demander la parole pour un fait personnel. J’ai dit que je voterais
contre deux amendements ; l’honorable M. de Brouckere me fait dire que je
voterai contre tous les amendements présents, passés et à venir. C’est
dénaturer la parole de son antagoniste pour se donner beau jeu ensuite ; c’est
une marche très habituelle chez l’honorable membre ; c’est une marche trop
utile au barreau, et j’ai pu même dire à demi-voix que c’était une marche de
procureur. L’honorable membre n’eût, je pense, appris rien de plus à la
chambre, s’il se fût montré moins discret.
M. de Brouckere. - Il est vrai que c’est là à peu près ce que m’adressait tout à
l’heure le préopinant, et ce qui m’a forcé à l’engager à se taire. Je lui dirai
maintenant qu’au café des Mille Couronnes il peut être reçu de reprocher à
quelqu’un qui dit des choses dont on n’est pas satisfait, qu’il parle comme un
procureur ; dans une chambre de représentants ; cela ne se tolère point,
parce que cela n’est point parlementaire. Je ne suis pas fâché de pouvoir
donner cette leçon à M. Marcellis, et de la lui pouvoir donner tout haut.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix l’ajournement.
- Il est adopté.
Vote sur l’article unique du projet de loi portant des
crédits provisoires au budget du département de la guerre pour l’exercice 1833
Vient l’article unique du projet de crédit ainsi conçu
:
« Il est ouvert au ministre-directeur de la guerre
un crédit provisoire de la somme de cinq millions, pour faire face aux dépenses
urgentes de l’armée sur le pied de guerre pendant le mois d’avril 1833. »
On procède à l’appel nominal.
Il donne le résultat suivant :
71 membres ont répondu à l’appel.
66 ont répondu oui.
5 ont répondu non.
Ont voté pour : MM. Boucqueau
de Villeraie, Brabant, Coghen, Cols, Coppens, Corbisier, de Brouckere, de
Haerne, de Laminne, Deleeuw, Dellafaille, de Meer de Moorsel, de Mérode, de
Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Huart,
Donny, Dubus, Dumont, Dumortier, Ernst, Fallon, Fleussu, Fortamps, Goblet,
Hye-Hoys, Jonet, Julien, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Levae, Liedts, Marcellis,
Mary, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Osy, Pirson,
Polfvliet, Poschet, Raikem, Raymaeckers, C. Rodenbach, Rogier, Rouppe,
Speelman, Teichmann, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Verdussen,
Verhaegen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Watlet.
Ont voté contre : MM. Angillis, de Renesse, Domis,
Gendebien, Vergauwen.
M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande l’impression des nouveaux protocoles
déposés sur le bureau, et de toutes les autres pièces, dans le format ordinaire
des rapports de la chambre. (Appuyé !)
- L’impression est ordonnée.
M. Fleussu.
- M. le président, dix membres demandent la clôture de la discussion générale
sur le budget de la guerre.
La clôture est prononcée.
La séance est levée à 4 heures.