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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23
novembre 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet d’adresse en réponse au discours du
trône. Exécution du traité des 24 articles, intervention de l’armée française à
Anvers, système diplomatique suivi par le gouvernement (Pirson,
F. de Mérode, Goblet, Fallon, Rogier, de Muelenaere, Goblet, d’Huart, Gendebien, de Robiano, de Brouckere, de Robiano, de Muelenaere, Jaminé)
(Moniteur belge
n°328, du 25 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
A midi et demi l’appel nominal est fait. On
constate que la chambre est en nombre.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques présente l’analyse de plusieurs pétitions
adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission spéciale.
M.
Vanderbelen demande à être compris
dans l’une des sections dans lesquelles la chambre est partagée.
M. Jacques. - Lors du tirage au sort des sections, on n’a
pas compris dans cette formation les représentants non admis.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion générale
M.
le président. - L’ordre du jour est la continuation de la
discussion du projet d’adresse en réponse au discours de la couronne.
M.
Pirson.
- Je demande la parole pour une motion d’ordre. Ce sera en même temps une
réponse d’un Lilliputien à un Pygmée.
Je pense que nous devrions fermer la discussion
sur l’ensemble de l’adresse et commencer celle des différents paragraphes.
Il n’y a qu’un seul point qui nous divise
réellement et fortement d’opinion, c’est celui relatif à l’évacuation du
territoire.
Nous y reviendrons en son lieu et place ; mais,
outre que nous avons besoin de prouver à nos commettants qu’une difficulté ne
nous arrête point tout court, il faut aussi qu’un peu de diversion et de
relâche éteigne en partie l’effet de la séance scandaleuse d’hier. L’avocat
obligé de tous nos ministères a rivalisé de sarcasmes et d’insultes envers la
chambre, et par contrecoup envers la nation belge, avec les Libry et tout ce
que la Hollande renferme de plats écrivains. (Bruit.)
En vérité on, serait tenté de croire que des
hommes certains de ne pouvoir se maintenir au poste qui, quoi qu’ils en disent,
a tant d’attrait pour eux, veuillent tout confondre et renverser dans leur
chute. (Murmures.)
M. le président. - Sur quoi
parlez-vous ? Vous ne pouvez rentrer dans la discussion.
M.
Pirson.
- J’ai été provoqué hier ; c’est un fait personnel. C’est une réponse à une
insulte, à des sarcasmes lancés contre la majorité. J ‘en ai pris ma part.
M.
le président. - On ne peut interrompre l’ordre de la discussion
que pour un fait personnel ou une motion d’ordre.
M.
Pirson.
- C’est en même temps pour une motion d’ordre et pour un fait personnel que
j’ai pris la parole.
M. F. de Mérode. - Si c’est à moi que l’on répond, je demande que
l’orateur soit entendu.
M.
Pirson
reprend la lecture de son discours. - Dans le délire de leur agonie (murmures, interruption), ils ont bafoué
cette majorité, qui a été si souvent leur dupe et qui les a maintenus jusqu’à
ce jour dans la direction tantôt publique, tantôt occulte, des affaires
politiques.
Je n’ai pas, dans cette dernière circonstance,
ma part de l’insulte. Je n’ai point voté avec cette majorité ; mais combien de
fois M. Lebeau, alors ministre des affaires étrangères, n’a-t-il point répété
les mots anarchistes, orangistes ! Par adoucissement li voulait bien ne
considérer que comme leurs dupes les membres du congrès ou de la chambre des
représentants qui votaient contre lui.
Alors, messieurs, nos grands hommes d’Etat, au
nombre desquels je compte M. Devaux, n’avaient besoin ni de mappemonde ni
d’armée : la diplomatie allait reformer ses mœurs ; ces messieurs étaient
diplomates.
Eh bien, quels étaient les plus vaniteux ? Ceux
qui, de mauvais rédacteurs de gazettes, voulaient devenir les directeurs, si
point les réformateurs de la diplomatie européenne, ou ceux qui, amants de la
liberté, croyaient à la sympathie des peuples et voulaient donner l’exemple du
courage ?
Ceux-là ne voulaient point d’armée ; leur
système a produit les désastres du mois d’août, et maintenant ils viennent en
quelque sorte les reprocher aux représentants de la nation qui n’ont cessé de
se plaindre de leur incurie.
Aujourd’hui nous avons une bonne armée, et ils
ont encore trouvé moyen de la paralyser ; mais les événements déborderont, je
l’espère, leur sotte ou perfide imprévoyance : je ne sais encore quelle
épithète est la plus appropriée. Si vous aviez ordonné l’enquête qui vous a été
demandée, messieurs, nous saurions peut-être à quoi nous en tenir.
Ce qu’il y a de certain, c’est que, si l’armée
française se retire tout bonnement après la prise d’Anvers, si après nous avoir
forcés à notre tour d’évacuer Venloo et toutes les parties du Limbourg et du
Luxembourg assignées à la Hollande sans avoir force Guillaume à reconnaître le
roi des Belges, et par conséquent notre séparation d’avec la Hollande, il faut
que nous ou le ministère, y compris ses complices, suivions l’armée française.
Le tribunal de cassation ne pourra empêcher le
départ des uns ou des autres.
Mais il n’en sera pas ainsi, messieurs ;
Louis-Philippe ne serait pas plus en sûreté que Léopold, si une restauration
avait lieu en Belgique, et si, en cas de guerre générale il se dessaisissait
des points importants de défense que lui fournit la Belgique : et croyez-moi,
messieurs, la France ne croira plus que la coalition en veut à un seul homme, à
Louis-Philippe, roi illégitime, selon elle. Elle n’a pas oublié, la France, ce
que ces mots lui ont valu au temps de Bonaparte. Il lui arriverait pis
aujourd’hui, si elle s’y laissait prendre ; elle serait comme nous morcelée en
tous sens.
Dans les actes patents relatifs à la discussion
qui nous occupe, nous ne voyons pas ce qui a été prévu pour le cas de tel ou
tel événement. Je pense qu’on a généralement cru que le roi Guillaume se
rendrait enfin à la raison d’Etat de l’Europe. Il ne cédera pas encore tout de
suite, je suppose. Eh bien ! alors comme alors, répondait certain directeur,
dans le temps, à l’une de mes prévisions.
Messieurs, je crois que tous nos grands et
petits diplomates depuis M. Talleyrand jusqu’à M. Van de Wever, marchent à la
suite des événements et ne les prévoient pas.
Si dans notre inquiétude bien motivée, nous
manifestons une prévision et indiquons une marche à suivre au cas échéant,
pourquoi donc le ministère s’y oppose-t-il ? S’il a à cœur les intérêts de la
patrie et la sûreté de l’Etat, il devrait nous savoir gré de l’aider d’avance à
réclamer en temps opportun la reconnaissance du roi des Belges par le roi de
Hollande, condition première sans laquelle ni le traité du 15 novembre ni
aucune autre ne peut exister,
Eh bien ! voilà toute la question ; il n’y avait
là de quoi se diviser, s’injurier, se menacer ; il devait y avoir unanimité,
comme il y a eu unanimité dans une autre occasion que M. de Mérode a rappelée
hier ; c’est lorsqu’il s’est agi de proposer à la Prusse de tenir garnison à
Maestricht. C’est moi qui ai provoqué la réprobation unanime de cette
proposition de M. Nothomb.
Je me croirais fort heureux si aujourd’hui j’amenais
la même unanimité, et si le ministère voulait bien reconnaître qu’il s’émeut le
plus vainement du monde : à voir ce qui se passe, je serais tenté de croire
que, pour se rendre plus importants, les ministres provoquent tout exprès de
l’opposition.
M. le président. - La parole est à
M. Fallon.
M.
Fallon.
- Il n’y a plus d’orateurs inscrits sur la discussion générale ; je pense qu’il
sera plus convenable que je parle lors de la discussion du paragraphe.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, je
crois avoir, dans la séance d’avant-hier, donné tous les éclaircissements
propres à convaincre la chambre que le ministère actuel n’a fait que suivre le
système que la représentation nationale avait recommandé à la sollicitude du
gouvernement dans ses adresses du mois de mai.
Malgré toutes les assertions contraires, il est
incontestable que ce système supposait l’exécution partielle du traité consistant
dans l’évacuation du territoire et une nouvelle discussion de quelques articles
qui réclament des développements.
D’après cela, il me paraît que l’on ne peut
adresser aucun reproche au ministère d’avoir consenti à l’évacuation ; mais
aussi il est incontestable que la chambre doit avoir le plus vif désir de
connaître quelle peut être la pensée du gouvernement, relativement aux
conséquences de ce commencement d’exécution.
Les critiques, messieurs, dont la politique
actuelle du gouvernement a été l’objet depuis quelques jours, ne portent
généralement que sur les actes qui ont suivi la sommation adressée, le 5
octobre, aux cabinets des Tuileries et de St-James.
Cet acte n’a pas eu sa part du blâme, et
j’admets qu’il a satisfait à vos exigences ainsi que tout ce qui l’a précédé.
La position dans laquelle s’est trouvée la
Belgique, à partir du 5 octobre, ne me paraît pas avoir été comprise. Je dois
donc à la chambre quelques éclaircissements à cet égard.
La Belgique, messieurs, a, le 5 octobre, réclamé
de la France et de la Grande-Bretagne l’exécution de la garantie stipulée par
l’article 25 du traité du 15 novembre 1831, conclu avec elle.
Des négociations, dont le résultat fut la
convention du 2 octobre, eurent lieu entre les deux gouvernements que nous avions
sommés de remplir leurs engagements ; la Belgique ne prit et ne pouvait prendre
part à ces négociations.
En effet, l’article 25 du traité n’avait pas
stipulé les moyens à employer pour parvenir à l’exécution de ce traité. Les
puissances garantes s’étaient donc réservé toute latitude à cet égard : c’est
ce qui résulte, d’une manière plus formelle, de l’une des notes du 14 octobre
1831 annexées aux 24 articles.
Cette latitude s’était étendue encore par le
dernier refus du cabinet de La Haye, qui avait rendu le 24ème article du traité
inapplicable.
Alors, les gouvernements français et britannique
usèrent d’un droit contestable en arrêtant, sans notre concours, les mesures
qu’ils jugeaient les plus propres à atteindre le but qu’ils se proposaient
conformément à leurs engagements. Comme un premier pas vers l’accomplissement
de ce but, ils résolurent d’exiger l’évacuation réciproque des territoires
respectifs entre la Belgique et la Hollande.
Messieurs, on a dit que l’intervention des
puissances n’aurait d’autre résultat que l’évacuation du territoire, et l’on a
cité la convention du 22 octobre à l’appui de cette assertion. Cependant voici
ce que je lis dans l’article premier de cet acte :
« S. M. le roi des Français et S. M. le roi
du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande notifieront à S. M. le roi
des Pays-Bas et à S. M. le roi des Belges, respectivement, que leur intention
est de procéder immédiatement à l’exécution du traité du 15 novembre 1831,
conformément aux engagements qu’ils ont contractés ; et comme un premier pas
vers l’accomplissement de ce but, leursdites majestés requerront, etc. »
On ne peut, ce me semble, exprimer plus
clairement ses intentions, indiquer plus nettement le but qu’on se propose. Ce
but, c’est l’exécution entière du traité, conformément aux engagements
contractés ; l’évacuation territoriale est un premier pas vers ce but. Le
préambule de la convention annonce en termes formels un concert immédiat des
mesures les mieux calculées pour remplir, sans un plus long délai, les engagements
des deux cours à l’égard de l’exécution du traité.
Les résolutions prises par les gouvernements de
la France et de la Grande-Bretagne nous furent notifiées, le 30 octobre, par
les envoyés de ces puissances ; vous savez, messieurs, en quels termes.
Le gouvernement se trouve alors placé dans
l’alternative de répondre, comme on l’exigeait, d’une manière formelle et
satisfaisante, ou bien de rendre aux deux puissances leurs engagements pour
agir par nos propres forces.
Après la démarche du 5 octobre, conséquence
rigoureuse et logique du traité proclamé notre droit, comment aurions-nous pu
justifier notre renonciation à la garantie que nous avions réclamée ?
En alléguant que nous n’avions pas été consultés
sur les mesures à prendre et que celles concertées entre les deux cabinets ne
pouvaient nous convenir ? Mais ce droit que nous nous serions alors arrogé
d’imposer le choix des moyens, où était-il écrit ?
Il n’était écrit, messieurs, comme je l’ai dit
tout à l’heure, ni dans l’article 25 du traité du 15 novembre 1831, ni, dans
les notes du 14 novembre précédent, qui sont venues se résumer dans l’article
dont je parle.
Nous avions dû nous borner à indiquer le but ;
les moyens n’étaient pas de notre compétence.
D’ailleurs, les premières mesures adoptées nous
paraissaient se concilier parfaitement avec la situation générale de l’Europe
et de l’état intérieur de la Belgique, les deux éléments principaux du problème
résolu le 22 octobre par la France et la Grande-Bretagne.
Enfin il était impossible de ne pas reconnaître
dans les déterminations de ces deux puissances l’influence des déterminations
si énergiquement exprimées par nous depuis six mois.
Dans cet état de choses, le gouvernement ne crut
pas devoir hésiter ; il consentit à faire évacuer les territoires qui, d’après
le traité du 15 novembre, ne font pas partie du royaume de Belgique, en même
temps qu’il entrerait en possession de la citadelle d’Anvers et des forts de
l’Escaut situés sur le territoire assigné à ce royaume.
Messieurs, quoi qu’en ait dit un honorable
député dans la séance d’hier, le gouvernement n’est pas sorti, en donnant ce
consentement, des limites de ses attributions ; le concours de la législature
n’était nullement nécessaire. Il ne s’agissait pas d’un traité nouveau ni de
modifications au traité existant, il s’agissait de l’exécution d’un traité
conclu avec l’autorisation des chambres, et les deuxième et troisième
paragraphes de l’article 68 de la constitution ne pouvaient trouver leur
application dans cette circonstance.
Nous avons donc consenti à l’évacuation
réciproque comme conséquence immédiate et nécessaire du traité du 15 novembre,
comme un premier pas vers l’exécution d’un traité qui, par sa nature et le mode
qu’il fallait adopter pour y arriver, ne pouvait recevoir son effet que
graduellement.
Messieurs, c’est cette marche que l’on a
qualifiée d’inusitée et d’absurde.
Inusitée ? Qu’importe ! Ce ne serait
un reproche que si réellement la marche était absurde ; c’est donc sous ce seul
rapport que je vais la considérer.
A cet égard, messieurs, je serais d’accord avec
l’honorable membre, si l’exécution du traité avait lieu par la Hollande et la
Belgique abandonnées à elles-mêmes. Ce serait, en effet, contrevenir aux règles
du simple bon sens, que d’échanger des avantages présents, quelque précaires
qu’ils fussent, contre l’espoir incertain d’avantages dont la possession ne
nous serait pas garantie.
Mais, messieurs, tel n’est pas l’état des
choses. Nous ne sommes pas face à face avec la Hollande ; entre elle et nous,
il y un intermédiaire dont la présence blesse peut-être l’amour-propre
national, mais qui n’en est pas moins là, amené par d’inflexibles nécessités
contre lesquelles nous lutterions en vain : nécessités que vous avez reconnues
en souscrivant au traité du 15 novembre, et en en faisant votre droit public.
Cet intermédiaire, messieurs, ce sont les
puissances qui, en signant avec nous, se sont très explicitement réservé, dans
les notes du 14 octobre si souvent invoquées par nous, la tâche d’en amener
elles-mêmes l’exécution.
C’est à ces puissances, ou, si l’on veut, à
celles de ces puissances qui ont converti leur garantie en faits, que nous nous
sommes engagés à remettre les territoires, places et lieux qui, d’après le
traité, doivent appartenir à la Hollande.
Craint-on que la transmission ne s’en fasse au
gouvernement néerlandais avant que celui-ci n’ait formellement accepté et pris
l’engagement de remplir les conditions attachées à leur possession par le
traité du 15 novembre ?
Non, messieurs, il serait contraire aux
stipulations renfermées dans le traité de faire remettre les territoires à la
Hollande avant que toutes ces conditions n’aient été remplies.
Si, dans certaines circonstances, le ministère
ne devait se faire une loi sévère de la discrétion la plus scrupuleuse, je
serais à même de donner, à cet égard, à la chambre, des apaisements en quelque
sorte matériels, Mais je me vois forcé de renoncer encore à ce moyen de
défense, dussé-je, messieurs, m’exposer à votre désapprobation : il n’y a rien,
selon moi, qui puisse dispenser l’homme d’Etat d’une réserve qui lui est
commandée par les intérêts dont il est chargé.
En attendant, messieurs, que la maturité des
négociations auxquelles je suis occupé me permette de confier à la publicité ce
que j’ai été à même d’en apprendre, je pense que la chambre trouvera à se
rassurer dans un acte que mon prédécesseur lui a fait connaître et auquel il a
attaché, avec raison, une grande valeur politique.
C’est de la note de la conférence, en date du 11
juin, que je veux parler. Les conditions qui, dans l’esprit des
plénipotentiaires des cinq cours, sont jointes à la possession territoriale, ne
sauraient être plus formellement et plus catégoriquement exprimées. Or,
messieurs, que nous importe-t-il de connaître ? Ce n’est pas comme je l’ai dit,
la pensée du gouvernement hollandais avec lequel nous n’avons pas affaire ;
c’est la pensée des puissances exécutrices que nos engagements ont établies
intermédiaires entre la Hollande et la Belgique.
Eh bien, messieurs, cette pensée, vous la
trouverez dans la note du 11 juin ; elle est aussi claire, aussi précise que
vous pouvez le désirer ; cet acte est sous vos yeux : il n’est pas permis de
douter que « l’évacuation complète et réciproque des territoires
respectifs entre la Hollande et la Belgique ne doive assurer immédiatement à la
Belgique la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la Meuse ainsi que
l’usage des routes existantes pour des relations commerciales avec l’Allemagne,
aux termes du traité du 15 novembre. » Telle est l’interprétation donnée à
ce traité par la conférence entière. Croyez-vous, messieurs, que nous devions
attendre moins des puissances qui ont ratifié purement et simplement ce traité
et qui se sont chargées de la tâche d’en amener l’exécution ?
« Par cette note, dit le rapport du 11
juillet, la conférence s’est placée sur la même ligne que la Belgique. »
Or, messieurs, c’est encore cette ligne que nous
suivons, et il n’entre dans la pensée d’aucun des membres du ministère que
l’évacuation territoriale réciproque entre la Belgique et la Hollande ne doive
pas être accompagnée de la jouissance par la Belgique des avantages indiqués
dans la note du 11 juin, comme conséquences nécessaires de cette évacuation,
C’est le sens et la valeur que le ministère a
attachés à son consentement à l’évacuation réciproque. Du reste, cet événement
ne peut avoir lieu sans un acte de cession qui prévoira toutes les difficultés,
pour autant qu’elles ne soient pas sujettes à négociations ultérieures.
Messieurs, les craintes que je combats avaient
leur source dans une erreur de fait : il aura suffi, je pense, de l’avoir
rectifiée pour que l’objet de ces craintes disparaisse de vos esprits. On ne
peut, je le répète, faire abstraction de l’intermédiaire placé entre la
Hollande et nous ; vous l’avez admis vous-même pour des motifs d’un ordre
supérieur, étranger à la Belgique, et qu’il n’y a pas de déshonneur à subir :
Il y aurait maintenant danger et mauvaise foi à renier les engagements que vous
avez pris alors.
N’en doutez pas, messieurs, toutes les
précautions seront prises pour donner à l’évacuation le caractère formel et
rassurant que les circonstances exigent. Le démembrement de deux de nos
provinces est un événement devenu inévitable qu’on doit déplorer, mais qu’il
faut subir. Toutefois, nous croyons pouvoir assurer que les populations de ces
provinces, qui se sont si généreusement associées à notre cause, ne seront pas
abandonnées sans garanties.
Le gouvernement a
fixé son attention sur plusieurs questions que soulève le démembrement, et
l’éventualité d’un dépôt en des mains tierces, éventualité qui se réaliserait
par le refus du gouvernement néerlandais d’accepter et de prendre l’engagement
de remplir les conditions attachées à la possession territoriale par le traité
du 15 novembre.
Que si ce cas de dépôt venait à se présenter, il
n’aura rien été négligé pour qu’au moyen d’arrangements formels et préalables,
la Belgique se soit assuré à elle-même toutes les garanties nécessaires.
M.
Fallon.
- Messieurs, en acquiesçant, sans réserves ni protestations, à l’exécution de
la convention du 22 octobre et à la sommation qui en a été la suite, le
ministère a-t-il méconnu les intentions de la chambre ?... A-t-il compromis les
droits et l’honneur de la nation ?
C’est à ces termes que je réduisis l’examen du
système politique du gouvernement dans les délibérations de votre commission de
l’adresse.
La solution de cette question n’était pas
douteuse pour moi.
Cette solution ne pouvait être qu’un blâme,
qu’un désaveu formel, dès lors que je n’avais à délibérer que sur les documents
que le rapport du ministre des relations extérieures avait mis sous mes yeux.
Mais, renfermé dans ces documents,
l’imprévoyance du ministère me paraissait tellement inconcevable, que j’aimais
encore à croire qu’une combinaison diplomatique tenait secrètement en réserve
le moyen d’esquiver l’évacuation simultanée avant l’adhésion de la Hollande au
traité.
Sans doute les termes de la convention du 22
octobre n’étaient pas de nature à me rassurer sur ce point, mais l’écriture
diplomatique ne dit pas toujours ce qu’elle comporte. Elle est ordinairement si
élastique, qu’il me semblait permis de supposer l’existence de quelque
expédient destiné à modifier cette convention suivant les circonstances.
Voilà ce qui explique la part que j’ai prise au
langage hypothétique du projet d’adresse.
Aujourd’hui, s’il faut en croire aux reproches
dirigés contre ce langage, il ne reste au ministère aucune planche de salut.
L’évacuation simultanée a bien été sérieusement stipulée et consentie sans
aucune ni la moindre réserve.
Dans ce cas, j’approuve l’opinion de ceux de mes
collègues qui ne veulent pas d’hypothèse, et je me joins à ceux qui demandent
un désaveu plus positif.
Telles sont, du reste, les considérations qui me
font persister à me tenir dans cette position.
L’impérieuse, l’inflexible nécessité avait pu
seule arracher à la Belgique une soumission au traité des 24 articles.
En faisant ce douloureux sacrifice à la paix de
l’Europe, la Belgique avait tout au moins acquis le droit d’exiger que ce
traité fût exécuté fidèlement, et de résister à tout ce qui, dans son
exécution, tendrait à rendre le fardeau plus onéreux.
Les puissances signataires du traité avaient
déclaré solennellement qu’il contenait des conditions finales et irrévocables.
Elles avaient pris l’engagement formel d’obtenir
d’abord l’adhésion de la Hollande et « de plus » (selon les termes de
l’annexe) d’en garantir l’exécution.
C’est sous la foi de ces engagements que le
gouvernement fut autorisé à se soumettre au traité.
C’est à l’exécution préalable de ces engagements
qu’il devait naturellement porter tous ses soins.
En se soumettant au traité, on s’était attendu,
à la vérité, qu’il serait ratifié purement et simplement.
Il en fut autrement : mais les réserves ne
furent pas de nature à imprimer une autre direction à la politique de notre
gouvernement.
En réservant les droits de la confédération
germanique sur le Luxembourg, l’Autriche ne portait aucune atteinte à
l’obligation de nous procurer l’adhésion préalable de la Hollande, et de
garantir, pour le surplus, l’exécution du traité.
En accompagnant sa ratification de réserves, en
ce qui regardait la navigation de l’Escaut et des fleuves, l’ouverture de la route
par le canton de Sittard et l’attribution de la portion de la dette, la Russie
ne se dégageait pas de la condition de l’adhésion préalable.
Elle contrevenait si peu à cette condition que,
dans l’acte d’échange des ratifications, les plénipotentiaires de Russie
déclarèrent que les réserves n’avaient en vue qu’un arrangement de gré à gré
entre la Belgique et la Hollande sur les points réservés, ce qui supposait
nécessairement l’adhésion préalable de la Hollande sur tous les autres points
du traité.
Les choses étaient dans cet état, lorsque, le 12
mai de cette année, le ministère communiqua aux chambres son plan de conduite.
C’est sur cette époque, messieurs, que vous
devez plus spécialement porter votre attention, parce que c’est dans les actes
de cette époque que le ministre des relations extérieures puisa les éléments du
système politique que nous avons à juger.
Il n’y avait pas alors à se méprendre et l’on ne
s’est pas mépris non plus sur ce que notre position offrait de plus avantageux
dans le statu quo.
La reconnaissance de la Belgique, de sa
souveraineté et de son indépendance, et par conséquent l’acquiescement de la
Hollande au traité, était la condition préalable à toutes négociations sur les
points renvoyés à un arrangement de gré à gré, à tout commencement d’exécution
de notre part.
En un mot, nous ne devions nous dépouiller
d’aucun des avantages du statu quo, en vertu du traité, avant que l’acceptation
de la Hollande n’ait donné ouverture à l’exécution des obligations qu’il nous
imposait envers elle.
Les réserves n’excluaient pas l’exécution
partielle, et le système d’exécution partielle s’offrit d’abord à l’attention
de notre gouvernement.
On pouvait arriver à cette exécution partielle
par trois routes différentes.
Ou par l’action des puissances signataires du
traité, ou par les armes de la Belgique, ou par le concours réciproque des deux
parties intéressées.
Dans le premier cas, l’action des puissances
signataires du traité ne pouvait atteindre que la partie récalcitrante. Elle laissait
naturellement l’autre partie dans le statu quo, puisque vis-à-vis d’elle il y
avait une obligation préalable à remplir, l’adhésion de la partie opposante.
Dans le second cas, la Belgique, agissant
elle-même, ne devait naturellement déposer les armes et évacuer ses positions
qu’après un traité de paix et par conséquent encore après cette adhésion.
Dans le troisième cas, l’adhésion était la
conséquence nécessaire de son concours à l’exécution.
De ces trois systèmes, quel fut celui dont la
chambre s’occupa à l’époque du mois de mai ?
Ce fut incontestablement du système d’exécution
partielle par le concours, par le consentement réciproque des deux parties.
Notre position alors nous y amenait tout naturellement.
Il ne s’agissait pas encore alors de sommer la
conférence à faire exécuter le traité par des moyens coercitifs ; et il ne
s’agissait d’employer nous-mêmes semblables moyens que dans le cas où le
système d’exécution partielle, par le concours volontaire des deux parties, ne
pouvait se réaliser dans un bref délai.
Il est évident que c’est bien dans ce sens, et
pas autrement, que la chambre a dû comprendre le ministre des relations
extérieures, dans son rapport du 12 mai, où il s’exprimait dans ces termes :
« Le gouvernement a arrêté son plan de
conduite : les modifications ne pouvant se faire que de gré à gré, il est
impossible qu'on négocie de nouveau sans le concours, la participation de la
Belgique ; le gouvernement refusera de prendre part à de nouvelles négociations
avant que le traité n'ait reçu un commencement d'exécution dans toutes les
parties non sujettes à négociation, c'est-à-dire qu'il exigera avant tout que
le territoire belge soit évacué.
« C'est un préalable indispensable, il en
fait une condition sine qua non. »
Or, exiger
l’évacuation du territoire belge avant toutes négociations ultérieures sur les
points contestés, c’était bien exiger que la Hollande commençât par faire acte
de soumission au traité, et ce n’était pas offrir, pour le cas où elle n’eût
pas consenti l’évacuation du territoire belge et où cette évacuation eût été
forcée, l’expropriation simultanée des territoires qui ne devaient cesser
d’être belges qu’à fin de cause, puisqu’ils étaient affectés des réserves de
l’Autriche.
Ce plan, que le
ministère plaçait sous nos yeux, ne renfermait pas la subversion des droits
acquis à la Belgique, et le droit le plus incontestablement acquis, celui qui
touchait le plus à l’honneur national, celui qui dominait tout le traité, et
qui avait été stipulé en première ligne, c’était d’obtenir de la Hollande un
premier acte de reconnaissance, l’évacuation volontaire du territoire belge.
Il n’était pas
possible de l’entendre autrement sans outrager le bon sens, car on ne conçoit pas
l’idée de traiter de gré à gré sur des modifications à quelques articles d’une
convention, avant que la partie avec laquelle on se propose de négocier n’ait
commencé à adhérer à la convention, n’ait commencé par accepter tout au moins
les points non susceptibles de négociation.
Si le ministère eût placé dans son plan ce que
l’on voudrait nous y faire apercevoir aujourd’hui, s’il vous eût dit :
« Vous n’aurez pas l’adhésion préalable de la Hollande ; tout restera avec
elle en question, même la reconnaissance de la Belgique comme Etat indépendant
; deux des puissances signataires, sans rien vous promettre, sans rien vous
garantir de plus, vous livreront la citadelle d’Anvers, moyennant qu’en échange
vous consentiriez à la destruction éventuelle de la ville d’Anvers, à
l’évacuation immédiate du Limbourg et du Luxembourg, à priver les habitants des
provinces de la sauvegarde du traité, à les livrer comme des rebelles à la
vengeance de l’ennemi, » votre indignation eût repoussé une proposition
aussi révoltante, et vous eussiez répondu que si la Belgique pouvait être
réduite à un semblable état d’abjection, ce ne pourrait être que par la
brutalité de la violence, mais jamais par consentement volontaire.
Ce n’est donc pas là le plan qui vous fut soumis
par le ministère le 12 mai, et sur lequel la chambre manifesta ses intentions
dans son adresse du i4 du même mois.
La chambre n’était pas alors frappée de
stupidité, elle n’avait pas fait abnégation de tout sentiment de dignité
nationale.
Elle parla, dans cette adresse, un langage que
le ministère ne parviendra pas à déshonorer.
Après avoir parlé des nombreux sacrifices faits
à la paix générale et après avoir rappelé cette déclaration solennelle que le
traité était final et irrévocable, que ni la lettre ni l’esprit ne pouvaient
subir la moindre altération, et que les puissances signataires s’étaient
chargées d’amener la Hollande à y acquiescer, voici comme elle s’exprime :
« Le traité sera exécuté tel qu'il a été
conclu. Ce n'est qu'après cette exécution qu'il pourrait être question d'ouvrir
les négociations dont parlent les réserves, et ces négociations doivent
dépendre du libre consentement des peuples belge et hollandais. Le gouvernement
comme le pays n’a pu le comprendre autrement… Le traité sera exécuté, notre
territoire sera évacué. »
Exiger que le traité soit exécuté tel qu’il
avait été conclu, c’était bien insister sur l’adhésion préalable, sur la
condition préalable qui dominait tout le traité.
Dire que ce n’était qu’après cette exécution
qu’il pourrait être question de traiter de gré à gré sur des modifications,
c’était bien rester dans l’hypothèse d’une exécution volontaire, et, à moins de
dénaturer le sens des termes, il faut bien qu’en demandant l’évacuation du
territoire belge, la chambre n’ait entendu parler que d’une évacuation acquiescée
par la Hollande, puisqu’elle témoignait en même temps de la volonté de faire
opérer cette évacuation par les armes belges et non par l’intervention
étrangère, en offrant au gouvernement les nouveaux sacrifices et les charges
nécessaires pour atteindre ce but.
Il ne s’agissait donc pas là d’une évacuation
opérée par le secours de l’étranger, ni, par conséquent, d’une évacuation
simultanée pour une hypothèse dont la chambre ne s’occupait nullement.
Tel fut, messieurs, notre langage. Il faut une
loi bien robuste dans les ressources des subtilités diplomatiques pour oser
entreprendre de nous faire reconnaître là le plan qui se déroule actuellement
sous nos yeux.
Aussi, voyez, messieurs, à quelles arguties on
se livre en désespoir de cause.
D’abord, par un bizarre renversement d’idées, on
veut interpréter l’adresse de la chambre du 14 mai par la fameuse note du 11
mai dont la chambre n’avait pu obtenir la communication malgré tous les efforts
de plusieurs de ses membres, et l’on se fourvoie au point de ne pas même
réfléchir que cette note est d’ailleurs parfaitement en harmonie avec les
intentions manifestées par la chambre, dans son adresse, sur le principe
d’évacuation partielle, mais volontaire, mais opérée de gré à gré.
Veuillez, messieurs, prêter votre attention au
passage suivant de cette note :
« Si le roi des Belges pouvait se montrer
disposé à ouvrir des négociations sur ces derniers points (les réserves), ce ne
pourrait être qu’après que le traité aurait reçu un commencement d’exécution
dans toutes les parties à l’abri de controverse ; ce commencement d’exécution
consisterait au moins dans l’évacuation du territoire belge ; jusque-là S. M.
ne peut prendre part à aucune négociation nouvelle. Elle doit, en outre, à la
bonne foi qui a caractérisé toutes ses relations politiques, de déclarer que,
dans les négociations qui pourraient s’ouvrir après l’évacuation du territoire,
son gouvernement ne pourrait accepter de changements à quelques dispositions du
traité que d’après les principes d’une juste compensation. »
Cette note est tout à fait dans le principe d’un
commencement volontaire d’exécution, et, à coup sûr, cette juste compensation,
si dignement réservée, n’est pas celle que le ministère a acceptée en
acquiesçant à l’exécution de la convention du 22 octobre.
Cette note est donc tout à fait déplacée dans la
défense du ministère.
Nous n’avons pas à nous arrêter davantage aux
instructions, notes et dépêches des 25 mai, 15 juin, 3 et 11 juillet, que le
ministre des relations extérieures a invoquées comme pièces justificatives de
sa conduite, puisque ces pièces ne nous ont point été communiquées et que, par
conséquent, il ne nous est pas possible d’en débattre le contenu.
Alors qu’il convient lui-même, dans son rapport,
qu’il a cru devoir dévier du système du précédent ministère, il est indifférent
de s’occuper des instructions et des directions qu’il a pu recevoir de ce
ministère. La question pour nous, n’est pas là. Elle consiste à savoir si c’est
la chambre qui a posé les bases du fatal système que nous combattons.
C’est donc exclusivement dans les actes que la
chambre a été appelée à apprécier qu’il faut resserrer la discussion.
Or, interrogez, messieurs, ces documents, et
vous n’y trouverez pas le moindre élément de la responsabilité que l’on veut
faire peser sur la représentation nationale.
Dans sa note du 1er juin, le général Goblet se
référait à la note précédente de M. Van de Weyer du 7 mai, et il ajoutait que son
gouvernement avait pris la résolution de ne participer à aucune négociation sur
les points qui font l’objet des réserves avant l’évacuation du territoire
irrévocablement acquis à la Belgique.
Ceci devait nécessairement s’entendre dans le
sens de cette note du 7 mai, à laquelle il se référait, et où il était dit :
« Avant que la citadelle d’Anvers soit remise aux autorités militaires
belges et la libre navigation rendue à la Meuse. »
A coup sûr, il s’agissait bien là encore d’un
premier acte d’acquiescement volontaire de la part de la Hollande au traité, et
non pas d’une exécution forcée qui n’emporterait pas acquiescement ; et non pas
de l’expropriation préalable et volontaire, de la part de la Belgique, de
toutes les garanties dont elle était en possession.
Obtenir de la Hollande l’évacuation volontaire
du territoire belge en exécution du traité, c’était peut-être se soumettre à
évacuer de notre part, et simultanément, les portions de territoire qui
devaient lui retourner.
Mais cette soumission n’était pas la conséquence
nécessaire d’une évacuation forcée.
Dans le premier cas, il y avait de sa part
adhésion au traité, acte formel de reconnaissance de notre souveraineté et de
notre indépendance, et il fallait alors nous exécuter envers elle.
Dans le second cas, nous ne recevions rien
d’elle et par conséquent nous n’avions encore rien à lui donner.
Cette distinction entre l’évacuation forcée et
l’évacuation volontaire de la part de la Hollande n’avait échappé à notre
ministère ni surtout au générai Goblet. Elle est en action dans sa note du 8
juin
Voici les termes de cette note :
« En demandant derechef l'évacuation
immédiate du territoire belge, le soussigné prendra la liberté d'ajouter,
d'après les nouvelles instructions reçues de sa cour, que l'impossibilité de
négociations ultérieures étant constatée par les communications des
plénipotentiaires des Pays-Bas, il y a lieu de fixer l'époque très prochaine où
le traité du 15 novembre recevra son exécution dans toute sa plénitude par
l'emploi des mesures qui résultent des engagements contractés par les notes du
15 octobre 1831, annexées au traité. »
Or, interrogeons ces annexes et elles nous
répondront que, dans aucun cas, la Belgique ne pouvait être tenue à exécuter le
traité pour partie, et encore moins pour le tout, avant que les puissances ne
nous aient procuré l’adhésion de la Hollande.
Le général Goblet restait bien là sur le terrain
du traité. Les puissances étaient sommées de satisfaire à leurs obligations, et
procurer l’adhésion de la Hollande par l’évacuation immédiate du territoire
belge, sinon de prendre les mesures, non pas pour l’exécution partielle du
traité, mais pour son exécution dans toute sa plénitude.
Lisons maintenant le protocole de la conférence
du 11 juin, et nous verrons que les puissances elles-mêmes ne l’entendaient pas
autrement,
La conférence y dit qu’elle est en instance près
de S. M. le roi des Pays-Bas :
1° Pour conduire aussitôt que possible à
l’évacuation complète et réciproque des territoires respectifs entre la
Belgique et la Hollande
2° Pour amener un état de choses qui assure
immédiatement à la Belgique la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la
Meuse, ainsi que l’usage des routes existantes pour ses relations commerciales
avec l’Allemagne aux termes du traité du 15 novembre ;
3° Pour établir, quand l’évacuation réciproque
aura été effectuée, des négociations à l’amiable entre les deux pays sur le
mode d’exécution ou la modification des articles au sujet desquels il s’est
élevé des difficultés.
A moins de vouloir contester les choses les plus
évidentes, il est impossible de ne pas reconnaître qu’il ne s’est agi là que
d’une évacuation mutuelle qui s’opérerait par le concours de la volonté des
deux parties.
Si le mot « réciproque » pouvait avoir
une autre acception, le langage du protocole la repousserait.
Etre en instance près du roi des Pays-Bas pour
conduire à l’évacuation réciproque, c’est bien dire sans doute qu’on est en
instance pour l’amener à concourir volontairement à cette évacuation,
Et puis, en supposant même que la conférence eût
entendu le mot « réciproque » dans un autre sens, c’est-à-dire pour
le cas d’une évacuation forcée, encore cette évacuation devait-elle être
immédiatement accompagnée, pour la Belgique, de la navigation de l’Escaut et de
la Meuse, ainsi que de l’usage des routes existantes pour ses relations
commerciales avec l’Allemagne aux termes du traité.
Mais c’est faire trop d’honneur à une semblable
argutie. On ne parviendra pas, messieurs à vous faire comprendre que
l’évacuation réciproque dont parle ce protocole n’est pas une évacuation
volontairement consentie par les deux parties intéressées, et que ce n’est pas
aussi dans ce sens que le général Goblet insistait sur l’évacuation réciproque
dans sa note postérieure du 7 juillet.
Voilà bien quelle était la portée et les limites
du système d’évacuation préalable que M. de Muelenaere, alors ministre des
affaires étrangères, remit de nouveau sous les yeux de la chambre, dans son
rapport du 12 juillet, en nous rappelant que ce système était le nôtre, et en
ajoutant que le gouvernement n’en dévierait point.
Il n’en déviait pas encore le général Goblet
dans la note qu’il a remise à la conférence le 30 juillet, où il disait que si
le gouvernement hollandais acceptait sans condition, le gouvernement belge,
sans égard aux retards apportés à l’exécution, se soumettrait à l’application
de l’article 24 du traité, mais que jusque-là le cabinet de Bruxelles ne
pouvait que persister dans la marche qu’il avait cru devoir adopter.
Il restait bien là encore dans les termes du
principe qu’aucune évacuation de notre part ne pouvait être exigée avant
l’adhésion de la Hollande aux bases du traité,
Comment se fait-il qu’il en a ensuite répudié
l’application ?
Je désire n’en attribuer la cause qu’à
l’imprévoyance.
La convention du 22 octobre apparaît ; il ne s’y
agit plus d’évacuation volontaire, mais d’évacuation forcée.
Il ne s’agit plus d’aucune adhésion préalable de
la Hollande aux bases du traité.
Il s’agit d’opérer par la force des armes
l’évacuation de la citadelle d’Anvers, et rien absolument de plus.
Il s’agit, pour cela faire, d’obtenir du
gouvernement belge qu’il consente à la remise éventuelle de la ville d’Anvers,
à s’exproprier sur-le-champ de Venloo, du Limbourg et du Luxembourg ;
abandonner les habitants de ces provinces, sans la sauvegarde du traité, à la
vengeance de celui qui persiste à les considérer comme rebelles et à placer
volontairement le pays dans une position bien plus funeste,
Et ce consentement est donné sans aucune ni la
moindre réserve, sans aucun ni le moindre rappel à l’exécution des engagements
contractés.
La sommation est faite, et l’on y répond par une
soumission pure et simple.
Comment donc s’est-il fait qu’au moment où le
ministère a connu la convention du 22 octobre il n’ait, pas été frappé des
funestes résultats que son exécution pouvait amener pour la Belgique ?
Comment n’a-t-il pas vu que le but unique de
cette convention était de nous livrer la citadelle d’Anvers et, rien de plus ?
Que la question pour nous n’était pas dans cette citadelle mais dans l’Escaut ?
Qu’en nous livrant la citadelle, la question ne serait que déplacée et non
résolue ? qu’elle se retrouverait naturellement à Flessingue ?
Comment ne s’est-il pas aperçu que pour un
résultat aussi stérile, il offrait éventuellement la ville d’Anvers en
holocauste à la rivalité d’Amsterdam et de Rotterdam, il dépouillait la
Belgique de toutes ses garanties territoriales, il privait les habitants du
Limbourg et du Luxembourg de la sauvegarde du traité, en les livrant à la vengeance
de l’ennemi au moment même où l’on allait exalter son irritation ?
Comment, alors que les derniers actes de la
conférence laissaient entrevoir, aux yeux les moins clairvoyants, que
l’harmonie avait cessé de régner dans cet aréopage, n’a-t-il pas calculé les
chances d’un changement de politique, et qu’après avoir placé la Belgique dans
une position beaucoup plus défavorable par le morcellement du Limbourg et du
Luxembourg, on parviendrait plus aisément à la soumettre à de nouvelles
exigences ?
Comment enfin, en présence d’aussi graves
considérations, a-t-il pu négliger de rappeler aux puissances signataires de la
convention du 22 octobre que l’évacuation forcée de la citadelle d’Anvers était
bien la conséquence de la garantie promise pour l’exécution du traité, mais non
l’exécution de l’obligation principale et préalable de procurer à la Belgique
l’adhésion de la Hollande, et que jusque-là nous avions incontestablement le
droit de rester en possession du Limbourg et du Luxembourg ?
Comment a-t-il pu garder le silence sur un point
aussi important, alors que la sommation même du 30 octobre lui ouvrait la
bouche et lui disait, en propres termes, que la convention du 22 octobre avait
pour objet, non pas seulement l’exécution du traité, mais bien l’acceptation et
l’exécution ?
C’était donc bien le cas de dire que l’on
consentait à l’exécution, et qu’aussitôt l’acceptation on évacuerait de son
côté.
Je sais que l’on peut
répondre à tout cela qu’il faut avoir confiance dans les deux cabinets qui entreprennent
l’exécution forcée du traité ; qu’ils ne se borneront pas à un simple
commencement d’exécution, et que l’adhésion de la Hollande viendra après.
Au prix de quels nouveaux sacrifices cette
adhésion nous viendra-t-elle ?... Je l’ignore. Mais vous vous direz sans doute,
messieurs, que lorsque la confiance repose sur des droits et des garanties, la
prudence exige de les conserver.
Si, pour justifier une conduite aussi
inconsidérée ; si, pour se décharger de la responsabilité des événements qui
menacent le pays, le ministère n’a pas autre chose à nous dire, sinon que
telles sont les conséquences du système politique adopté par la chambre, vous
repousserez avec indignation, messieurs, une semblable accusation ; et si le
projet d’adresse ne satisfait pas à vos vœux, ce ne sera sans doute qu’à raison
que la protestation qu’il renferme ne vous paraîtra pas assez énergique.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous nous sommes annoncés dans
cette chambre comme étant sous certains rapports les continuateurs du système
proclamé par le ministère précédent, et applaudi dans l’une et dans l’autre
chambre, Nous nous sommes déclarés les continuateurs de ce système, mais dans
ce sens que ce que le ministère précédent avait annoncé, nous l’exécutons ; que
ce qui n’était pour lui qu’un principe est par nous devenu un fait. Le
précédent ministère avait dit qu’il ne consentirait à participer à aucune
négociation avant l’évacuation préalable du territoire. Eh bien, prenez ce système
à la lettre, et de bonne foi dites si nous ne réalisons pas aujourd’hui ce que
nos prédécesseurs avaient promis, ce que M. de Muelenaere n’aurait pu annoncer
sans rencontrer ici beaucoup d’incrédules.
Peu imposte, du reste, que nous soyons ou non les
continuateurs du système, ou même les exécuteurs des vœux de la chambre ! Le
système est-il bon ? Est-il favorable aux intérêts de la Belgique ? Toute la
question est là.
Mais, avant tout, quel est ce système ? Le
voici, clairement posé. Obtenir par les puissances ou par nous-mêmes la fin du
statu quo, et, sinon l’exécution littérale du traité du 15 novembre, du moins
un état de choses conciliable avec ce traité. Voilà ce que nous avons voulu, ce
que nous avons dû vouloir. Avons-nous fléchi, biaisé dans ce système ? Non,
messieurs, et nous ne l’aurions pu, l’eussions-nous désiré. Lisez, pour vous en
convaincre, les conditions sous lesquelles le nouveau ministère s’est constitué
; et voyez comment sont conçues les instructions données par lui à nos plénipotentiaires
de France e d’Angleterre. Je ne sais, messieurs, si vous avez fixé votre
attention sur la note verbale du 23 octobre, remise au ministère du roi des
Français par l’envoyé extraordinaire du roi des Belges. Là se trouve exposé le
système tout entier du ministère. Je demande la permission de lire quelques
parties de cette note :
« Par suite d’un arrêté royal en date du 20
octobre, le nouveau ministère se compose aujourd'hui de MM. le général Goblet,
ministre des affaires étrangères, Lebeau, etc.
« Le ministère n'a pu se dissimuler combien
étaient graves et pressantes les circonstances dans lesquelles il est appelé à
prendre la direction des affaires. Il s'est formé et se constitue sous des
conditions très précises, très rigoureuses, qui ressortent comme conséquences
nécessaires de la situation du pays et du changement apporté récemment dans le
système de politique extérieure. Il a dû prendre en considération plusieurs
faits décisifs qui ont en dernier lieu nettement dessiné la position du
gouvernement belge et celle de la conférence de Londres vis-à-vis de la
Hollande.
« Le Roi, en adhérant au traité du 15
novembre, a, dans l'article 25 additionnel, accepté la garantie que les
puissances avaient offerte à la Belgique dès le 15 octobre 1831, lorsqu'elles
se réservaient la tâche et prenaient l'engagement de le faire exécuter. Il est
constant depuis lors, que les puissances ont épuisé près du cabinet de La Haye,
avec une longanimité presque sans exemple, tous les moyens d'obtenir non
seulement l'exécution de ce traité, mais même son acceptation. Une dernière
expérience vient de faire disparaître l'obstacle que le gouvernement
néerlandais avait su créer par l'offre d'une négociation directe avec la
Belgique.
« Tout espoir d'arrangement, après des
tentatives si souvent et si vainement répétées, ne seraient aujourd'hui qu'une
illusion ; tout ajournement nouveau, qu'un danger de plus.
« Le cabinet de Bruxelles, par sa note du 5
octobre, a réclamé de la France et de la Grande-Bretagne l'accomplissement de
la garantie promise. »
Remarquez bien, messieurs, que le ministre n’a
jamais demandé une demi-exécution du traité, mais qu’il en a toujours demandé
l’exécution complète. Mais encore faut-il commencer par le commencement. (On rit.) Oui, messieurs, c’est cela.
« Plein de confiance dans la haute loyauté
de ces gouvernements, et dans les assurances qu'il avait reçues, il s'est
abstenu de fixer dans cette note le terme passé lequel la Belgique, en cas
d'inaction des puissances, devait se considérer comme abandonnée à elle-même.
« Mais peu de jours nous séparent de
l'époque de l'année où l'emploi des seuls moyens efficaces de contrainte
devient impossible, et aucune mesure coercitive n'est encore commencée.
« Le nouveau ministère n'a consenti à subir
la responsabilité de sa position qu'avec la ferme résolution d'accomplir les
grands devoirs qu'elle lui impose. Le malaise intolérable du pays, la
résistance chaque jour plus prononcée du gouvernement néerlandais, et la saison
avancée à laquelle nous touchons, ne permettent plus au gouvernement belge de
laisser subsister des doutes sur le terme où commencera pour lui, à défaut de
l'intervention des puissances, l'impérieuse obligation d'employer ses propres
forces.
« C'est par ces motifs et dans ce but, que le
ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges a l'honneur de
confirmer à S. Ex. M. le duc de Broglie, la déclaration qu'il lui a faite, que
son gouvernement sera dans l'impossibilité absolue de prolonger l'attente dans
laquelle il se trouve au-delà du 3 novembre prochain ; que si ce
jour arrive, sans que la garantie stipulée ait reçu son exécution, ou au moins
un commencement d'exécution, Sa Majesté se verra dans la nécessité de prendre
possession par ses propres forces du territoire belge encore occupe par
l'ennemi.
« Telle est donc la condition d'existence
du nouveau ministère : évacuation du territoire pour le 3 novembre ou un
commencement actif d'exécution, soit par l'action des puissances, soit par
celle de l'armée nationale. Il ne peut se soutenir au-delà de ce terme si l'une
ou l'autre de ces deux hypothèses ne se réalise pas ; ce n'est là de sa part ni
une volonté arbitraire, ni un vain engagement ; c'est la loi irrésistible de sa
position ; c'est celle qu'imposent aujourd'hui en Belgique à tout ministère
quel qu'il soit l'état intérieur du pays et la force des choses. »
Ainsi vous voyez que, pour rester fidèles au
système tracé dans cette note, nous avions le choix entre deux moyens : obtenir
des puissances l’exécution ou au moins un commencement d’exécution du traité
pour le 3 novembre, ou bien faire exécuter le traité par nous-mêmes.
Les faits qui ont suivi la remise de cette note
vous sont connus. On n’a pas voulu que nous agissions par nous-mêmes, et on a
dû agir avant le 3 novembre pour suspendre l’effet de nos déterminations,
j’allais presque dire de nos menaces. La France et l’Angleterre se sont mises
en mesure de nous satisfaire la veille du jour fixé par nous comme délai fatal.
Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit possible
de faire à notre système le reproche d’être timoré. Il n’y aurait pas grand
mérite à un ministère de donner le signal des combats. Il est fort commode,
sans doute, à un ministère assis dans son fauteuil ou à un député sur son banc
de dire : Le moment est arrivé que les massacres commencent. Il n’est pas
besoin d’être très courageux pour cela. Je voudrais donc que quand des hommes
qui, d’ailleurs, ont fait leurs preuves dans l’occasion, viennent défendre les
moyens qui seuls peuvent sauver le pays, je voudrais, dis-je, qu’on supprimât
ces mots si durs à entendre, et qui font un si mauvais effet à l’intérieur et à
l’étranger, ces mots de lâcheté, astuce, perfidie.
Avant donc d’en venir aux conséquences plus ou
moins rapprochées, plus ou moins subtiles, plus ou moins probables du fait que
nous avons posé, il faut prendre ce fait en lui-même, tel que nous vous
l’apportons.
Etes-vous pour, êtes-vous contre l’intervention
armée des puissances ? Vous avez beau reculer devant la question, dire que vous
ne pouvez l’apprécier que par ses résultats, c’est toujours le fait principal,
le corps du délit, la matière de l’accusation.
Une fois l’intervention requise, les moyens
n’étaient qu’indirectement de notre domaine ; les parties intervenantes ont
déclaré qu’elles commenceraient par l’évacuation du territoire. C’est ce fait
que nous allons examiner.
Je suppose que, par une imprévoyance
inconcevable de notre part, nous eussions consenti à remettre au roi de
Hollande les territoires cédés, sans avoir obtenu des garanties pour l’exécution
des clauses du traité qui concernent ces territoires ; eh bien, je le dirai
avec franchise, en ce cas même, l’évacuation sans condition ne serait ni si
infiniment désavantageuse, ni si souverainement désastreuse que l’a dit M.
Dumortier.
La prise de la citadelle d’Anvers (et remarquez
que ce fait d’armes, qu’on traite si cavalièrement, n’est pas encore accompli),
la prise de la citadelle d’Anvers nous apporte avec elle la sécurité rendue à
la ville la plus importante de nos provinces (mouvement). Je répète le mot : « sécurité ; » car,
messieurs, il faut avoir vécu à Anvers même, s’être senti chaque jour, à toute
heure, menacé de l’incendie, de la mort, pour apprécier à sa juste valeur
l’avantage d’être à jamais délivré d’un tel tourment. C’était une position
cruelle, au point qu’aujourd’hui, par une réaction à peine concevable, les
habitants de cette malheureuse ville appréhendent moins un bombardement
prochain que le tourment de chaque jour, de chaque heure, et la crainte
perpétuelle d’un bombardement purement éventuel.
La citadelle évacuée, plus de bombardement à
redouter, plus de menaces d’incendie ; l’état de siège, que j’approuve, tant
que cette mesure exceptionnelle est nécessaire au pays, mais que je
condamnerais en thèse générale, va cesser de peser sur cette ville.
Si nous voulions, comme l’ont fait quelques
orateurs, traiter aussi le côté sentimental de la question, je vous
représenterais les deux ou trois mille arpents de terre submergés par les
Hollandais, des villages engloutis sons les eaux, des populations entières
ruinées, malheureuses, mendiantes. Pourquoi ces populations dont on a négligé
de vous entretenir, ne vous inspireraient-elles pas aussi quelque pitié ?
Faut-il que tant de propriétés riches, florissantes, soient dédaignées pour
conserver quelques mois de plus des territoires que les traites ont séparés de
nous ?
Je vous avoue que, quant à l’importance de la
citadelle d’Anvers comme position militaire, je ne peux partager l’avis d’un
honorable membre, dont au reste je ne mets nullement en doute les connaissances
stratégiques. Il me semble qu’une citadelle qui jouit en Europe de quelque
célébrité, placée au cœur du pays, à 8 lieues de la capitale, est un point dont
l’importance pour nous n’est guère contestable. Songez que du côté opposé nous
avons aussi une citadelle, qui place l’armée belge entre deux ennemis,
retranchés derrière leurs murailles. Je ne parle pas des forts de l’Escaut,
dont l’orateur auquel je fais allusion fait peu de cas, peut-être parce qu’il
possède quelque moyens miraculeux de les mettre en notre pouvoir. J’ajouterai
enfin que la citadelle occupe une partie considérable de nos forces qui
pourraient activement remplir leurs devoirs ailleurs.
Messieurs, je viens de vous exposer quels
seraient pour nous les avantages, en quelque sorte matériels, de l’évacuation
d’Anvers. Mais voyons les choses d’un peu plus haut.
Pourquoi l’Europe, depuis deux années, a-t-elle
les yeux fixés avec intérêt, avec anxiété, sur la citadelle ? Parce que la
réflexion des hommes d’Etat, aussi bien que l’intérêt des peuples a fait
comprendre aux uns et aux autres que là, c’est là que le principe de
l’absolutisme est venu se réfugier et faire face par des moyens bien dignes de
lui au principe insurrectionnel. Oui, traitez avec dédain quelques pans de
muraille, mais regardez-y bien ; c’est dans l’enceinte de ces murailles que le
duel entre les deux principes va se décider ; c’est là que l’alliance de deux
grands peuples sanctionnera les principes insurrectionnels par lesquels nous.
C’est ce que le roi Guillaume a compris beaucoup mieux que vous, le roi
Guillaume, qui maintes fois a déclaré qu’il ne serait pas assez fou pour se
dessaisir d’un tel gage.
Ce résultat est beau, me dira-t-on ; mais
pourquoi recourir à l’intervention étrangère ? Pourquoi ne pas faire les choses
par nous-mêmes ? Pourquoi nous traîner à la remorque d’un ministère doctrinaire
? Je dirai d’abord, en passant, que je ne partage pas pour le parti doctrinaire
cette répugnance que d’autres professent. Si, parce que le gouvernement belge
s’est adressé au gouvernement français pour demander l’exécution du traité, on
veut qu’il se soit mis aux pieds du ministère doctrinaire, nous le voulons bien
; ou si par-là on entend que le gouvernement belge professe pour le
gouvernement de France l’estime et la déférence que méritent des hommes qui
brillent entre les premiers de l’Europe par les talents ou le caractère, ou
bien encore, si par-là on veut exprimer que le gouvernement n’a pas plus de
raison de s’aliéner le gouvernement français, fût-il vingt fois plus
doctrinaire, que de s’aliéner le gouvernement anglais, auquel on voudra bien
cependant faire l’honneur de penser que lui ne se laisse pas traîner à la
remorque.
Au surplus, j’aime autant les doctrinaires que
nos prétendus amis du mouvement, qui professent pour nous une si grande
tendresse qu’ils nous étoufferaient, je crois, dans leurs étreintes, dussent
leurs bras s’étendre jusqu’aux frontières naturelles du grand empire. (On rit.) Au reste, si quelque chose dans
cette discussion avait droit d’étonner le ministère français, ce serait
d’entendre accuser le ministère belge de flexibilité à son égard.
Ici, vient se placer le reproche de n’avoir pas
appelé l’armée belge à coopérer aux moyens de coercition. Vous laissez vos
soldats l’arme au bras, nous dit-on, lorsque l’armée française est appelée à
cueillir des palmes sur le champ de bataille. L’armée belge est flétrie !
Messieurs, l’armée ne sera pas déshonorée parce qu’elle fera ce qu’exigent les
vrais intérêts du pays.
Il faut bien d’ailleurs, qu’on le sache : le
gouvernement belge n’a pas renoncé à la guerre ; le rôle de l’armée est tracé.
Quel est ce rôle ? De rester spectatrice d’un fait qui ne la regarde pas ; mais
de ce fait, il peut sortir mille occasions pour elle de montrer ce qu’elle
vaut. La première agression contre nous par les Hollandais, c’est notre armée
qui est chargée de la réprimer. Ceci veut dire si une seule bombe était dirigée
sur la ville d’Anvers, à l’instant nos canons répondraient à l’attaque ; si les
Hollandais mettaient le pied sur le territoire, l’armée belge se chargerait de
les refouler sur le leur.
Plusieurs
voix.
- Ils y entrent tous les jours.
M. F. de Mérode. - Quelques avant-postes ne sont pas une armée.
M.
le président. - Messieurs, n’interrompez pas l’orateur.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Cinq ou six personnes m’interpellent à la
fois ; on comprend facilement qu’il ne m’est pas possible de répondre à tous en
même temps. Que ces messieurs m’interpellent l’un après l’autre, je répondrai.
M.
Osy.
- En ce cas, je demande la parole.
M. Gendebien. - Je demande aussi la parole.
M. H. de Brouckere. - Laissez continuer
l’orateur.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Voilà, messieurs, quel sera le rôle de
l’armée belge, et je suis bien aise de le dire ici et pour elle et pour l’armée
française. Nous ne mettons pas en doute le courage de nos soldats, pas plus que
leur dévouement et leur esprit de discipline.
Jusqu’ici, messieurs, j’ai considéré
l’évacuation des territoires dans l’hypothèse la plus défavorable, celle où on
les abandonnerait à la Hollande sans condition aucune de la part de la
Belgique. Mais de ce qu’on a dit que l’exécution du traité commencerait par
l’évacuation des territoires, on n’en peut conclure que le roi de Hollande
prendrait possession de ces territoires sans avoir rempli les conditions
stipulées par le traité. On soutient que le gouvernement belge a abandonné le
sort de ces populations sans même les garantir des réactions. On se figure
qu’un ministère n’a pas sa part de responsabilité ; que, parce qu’on arrive au
pouvoir, on a renoncé à tous les nobles sentiments ; qu’on n’a plus nul souci
de l’honneur et des intérêts du pays. Venir blâmer le ministère sans savoir ce
qu’il fera, je dis que c’est là un blâme immérité. Il y aurait injustice à flétrir
même éventuellement des actes qu’on ne connaît pas.
M. Gendebien. - Lisez donc la note du 2 novembre.
M.
le président. - L’orateur ne doit pas être interrompu.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Voilà deux jours et demi que nous avons écouté
tous les orateurs avec la plus grande patience : je suis surpris qu’on nous
interrompe sans cesse. J’ai fini, au surplus ; il ne me reste plus que quelques
mots à dire. Messieurs, si on vient à douter de la dernière déclaration que je
viens de faire, et qui n’est que le résumé de ce que vous a dit M. Goblet,
qu’on veuille bien lire la note du 11 juin : je m’adresse à tous ceux qui ne
sont pas trop passionnés en ce moment, pour juger avec impartialité.
M. de Muelenaere. - Les opinions émises sur par les deux
derniers préopinants, opinions diamétralement opposées entre elles sur le sens
et l’esprit du système adopté précédemment par le gouvernement et les chambres,
m’obligent d’entrer dans quelques explications générales que j’aurais désiré
pourvoir supprimer. Toutefois je serai bref. Je ne suivrai pas dans leurs
raisonnements ceux de nos honorables collègues qui se sont débarrassés des
entraves que mettait à leurs combinaisons politiques le traité du 15 novembre.
Ce traité, à leurs yeux, n’existe pas ; la Belgique peut et doit le répudier.
Heureusement la grande majorité de cette assemblée, en abordant plus
franchement les difficultés, a reconnu que le traité du 15 novembre était
encore obligatoire pour nous, et que ce traité, pour nous servir de leurs
expressions employées dans l’adresse, était devenu le droit de la Belgique, la
constitution, la charte de notre politique extérieure.
C’est en partant de ce principe que le traité du
15 novembre existe encore dans toute sa force, que je vais examiner
successivement les conséquences qui en découlent logiquement, en tant que ces
conséquences se trouvent en rapport avec les objets traités dans cette assemblée.
Le mode et l’époque de l’évacuation du
territoire ; a-t-on dit, sont fixés par un article du traité du 15 novembre ;
le gouvernement n’a pas pu, sans l’intervention de la législature, changer ni
l’époque, ni les conditions de cette évacuation. En effet, messieurs, l’article
24 du traité du 15 novembre porte : « Qu’aussitôt après l’échange des
ratifications du traité à intervenir entre la Hollande et la Belgique, les
commandants des troupes respectives recevront les ordres nécessaires pour
l’évacuation des territoires, lieux et places qui changent de
domination. »
Voilà les mots de l’article 24.
Mais vous n’avez pas perdu de vue, messieurs,
que les articles du traité du 15 novembre, d’après les notes qui les accompagnent,
notes qui ont toujours été censées faire partie intégrante du traité même,
notes sur lesquelles sont basées et les adresses des chambres, et les
principaux actes du gouvernement ; vous n’avez pas perdu de vue que, d’après
ces notes, les articles du traité constituent une convention solennelle entre
la Belgique et les puissances.
Une fois adoptés par les deux parties, ces
articles étaient destinés à être insérés mot pour mot dans le traité entre la
Hollande et la Belgique. C’est évidemment, messieurs, de ce traité à
intervenir, c’est-à-dire, de ce traité postérieur, entre la Hollande et la
Belgique, qu’il est parlé dans l’article 24.
Je vous demanderai maintenant si c’est là la
position dans laquelle nous nous trouvons ? Il n’est pas vrai qu’en donnant à
l’article 24 une interprétation aussi rigoureuse, aussi restreinte, il en
résulterait, comme conséquence nécessaire, qu’il dépendrait du roi de Hollande
de reculer, par son refus, l’époque de toute évacuation possible du territoire
?
D’autres questions infiniment plus graves ont
été, à l’occasion de la rédaction de l’adresse, discutées dans cette enceinte.
Je vais les examiner successivement. Je vous dirai surtout de ne pas préjuger
mon opinion. Pour parvenir à leur solution, je me sens forcé de remonter à
l’époque du mois de mai dernier.
Vous savez que le gouvernement russe, à cette
époque, avait ratifié sous certaines réserves le traité du 15 novembre. La
conduite du cabinet russe avait fait concevoir au gouvernement et aux chambres
des inquiétudes sérieuses. On craignait avec raison que les puissances du Nord,
qui ont toujours eu une prédilection assez marquée pour la Hollande, on
craignait que ces puissances ne voulussent s’emparer des réserves russes pour
entraîner le gouvernement belge dans une nouvelle voie de concessions
préjudiciables aux intérêts de la Belgique. C’est cette crainte qui donna
naissance au système qui fut exposé aux chambres dans le rapport du 12 mai, et
qui fut successivement approuvé par elles dans leurs adresses respectives, Or,
messieurs, quels sont les éléments de ce système ? Nous devons tâcher de les
réduire à leur plus simple expression.
Avant tout, évacuation du territoire ; c’était
là la question sine qua non, c’était un préalable indispensable. Nous
examinerons plus tard si cette évacuation devait être volontaire, si elle
pouvait être forcée, et, dans ce cas, quelles devaient être les conséquences de
l’évacuation forcée. Je dis donc : « Avant tout, évacuation du
territoire, » condition indispensable.
La Belgique, d’après ce système, devait se
refuser obstinément à toute négociation ultérieure aussi longtemps que le
territoire belge n’aurait pas été complétement évacué. On admettait cependant
la possibilité, dans ce système ainsi que dans les adresses, les réponses du Roi,
dans tous les actes diplomatiques, on admettait la possibilité de négociations
ultérieures, mais seulement après l’évacuation du territoire et seulement sur
les articles du traité du 15 novembre qui n’étaient pas susceptibles par
eux-mêmes d’une exécution immédiate.
De crainte, messieurs, que ces négociations
ultérieures ne tournassent encore plus tard au détriment de la Belgique, vous
vous rappelez tous que le gouvernement avait déclaré d’avance, d’une manière
formelle, deux choses :
Premièrement : C’est que les négociations dont
il était parlé dans les réserves russes ne pouvaient s’entendre que de
négociations de gré à gré entre la Hollande et la Belgique.
Deuxièmement : C’est que le gouvernement belge
ne consentirait à négocier (en se basant toujours sur le traité du 15 novembre
comme étant devenu son droit irrévocable par les ratifications), c’est que le
gouvernement belge ne consentirait à négocier que d’après les principes d’une
juste compensation.
Troisièmement : C’est que le gouvernement belge,
si les propositions faites par la Hollande étaient jugées par lui non
exécutables, se réserve l’exécution pleine et entière des articles du 15
novembre.
Voilà l’exposé, brièvement, successivement
présenté, des bases principales du système qui, depuis le mois de mai jusqu’au
mois de septembre, a dirigé le gouvernement.
Depuis lors, et jusqu’au 17 septembre dernier,
le gouvernement a suivi religieusement les engagements qu’il avait contractés.
C’est surtout, messieurs, depuis la clôture de
la session des chambres que le ministère dont j’ai eu l’honneur de faire partie
s’est obstiné à suivre ce système littéralement, à le pousser, autant qu’il a
dépendu de lui, jusque dans ses dernières conséquences. Jamais il n’en a dévié
en rien. Lorsqu’enfin il a reconnu qu’il était impossible, dans l’état actuel
des choses, d’amener les puissances à l’exécution du traité du 15 novembre, par
suite de la tactique même de notre ennemi, qui ne se montrait disposé à
négocier que parce que nous nous étions placés peut-être dans l’impossibilité
d’y parvenir, le ministère s’est retiré. Nous, nous sommes retirés avec la
conscience d’avoir été fidèles à tous les engagements contractés envers les
chambres. (Adhésion). Et je défie
qu’on me cite un acte qui ne soit pas en rapport avec nos promesses et avec nos
engagements. (Adhésion générale.)
Je ne veux pas faire retomber un blâme sur la
conduite de mon successeur ; loin de là ; je sais qu’il n’a été déterminé que
par une conviction profonde et par un dévouement aux intérêts de son pays. Il
était dans une position différente de la nôtre ; il n’avait pas pris comme moi
des engagements solennels, engagements qui, dans tout pays, doivent toujours
être sacrés, et dont, en l’absence même des chambres, nous ne pouvions être
déliés. La position de mon successeur était différente parce que, sans
engagements, son action pouvait être libre en l’absence des chambres sauf à
leur demander un bill d’indemnité.
Il me reste à examiner, (et cette question ne
regarde plus l’ancien ministère, elle regarde le nouveau), il me reste à
examiner si le ministère, en adhérant à la sommation faite en vertu du traité
du 22 octobre dernier, a fait un acte virtuellement sanctionné par les
chambres. Dans le cas contraire, si l’acte d’adhésion donné par le ministère au
traité du 22 octobre n’était pas déjà virtuellement sanctionné par les
chambres, vous avez à examiner si cet acte est funeste aux intérêts, à
l’honneur, à la dignité du pays.
On doit remarquer que pour un acte de cette
nature, qui n’est qu’un acte d’exécution, le gouvernement n’avait pas
indispensablement besoin de l’assentiment des chambres. Il suffit que le
gouvernement ne se soit pas mis en opposition avec la volonté exprimée par les
chambres dans d’autres circonstances, pour qu’il puisse agir, sauf la
responsabilité ministérielle,
Quant à moi, messieurs, je ne sais pas même s’il
est prudent, s’il est sage pour les chambres de s’immiscer dans la connaissance
des actes avant leur accomplissement. Je sais qu’il est des circonstances
tellement graves, (et ces circonstances sont peut-être celles dans lesquelles
nous nous trouvons), qui font en quelque sorte un devoir aux chambres de s’en
occuper ; mais, en règle générale, je dis que c’est énerver et détruire la
responsabilité ministérielle, indépendamment de ce que cela gêne l’action du
gouvernement.
Je dis, messieurs, que l’évacuation du
territoire était la condition sine qua non, le préalable indispensable, d’après
le système de l’ancien ministère, à des négociations ultérieures. Tous les
actes qui vous ont été successivement communiqués, et les adresses mêmes des
chambres, en font foi. La chambre des représentants disait dans son adresse de
mai dernier : « La Belgique a foi aux engagements contractés ; le traité
sera exécuté, notre territoire sera évacué. » L’’adresse du sénat est
encore bien plus expressive sur ce point ; elle porte : « Sans doute, des
négociations pourraient avoir lieu entre a Belgique et la Hollande après l’évacuation
de notre territoire. »
Ainsi donc, dans tous les actes, l’évacuation du
territoire était le préalable nécessaire. Mais s’élève maintenant la question
de savoir si, dans l’esprit du système précédent, l’évacuation devait
nécessairement être volontaire.
Je ne vous dissimule pas que c’est vers ce but
qu’ont constamment tendu tous nos efforts ; que c’était mon désir, mon vœu le
plus ardent, d’arriver à une évacuation volontaire. Les avantages que présente
l’évacuation volontaire vous ont été suffisamment développés par plusieurs
orateurs, et même par des orateurs de l’opposition. Mais je ne pense pas que le
système précédent bornât là l’action du gouvernement ; je ne pense pas non plus
qu’il fût, à cette époque-là, dans l’idée de ses adversaires politiques qu’on
parvînt jamais à obtenir volontairement l’adhésion du roi de Hollande au traité
du 15 novembre.
Quelques-uns messieurs, auraient voulu que la
Belgique seule eût fait évacuer son territoire ; d’autres, et c’est le plus
grand nombre, auraient voulu que l’armée belge, du moins, eût été appelée,
conjointement avec nos alliés, à opérer l’affranchissement de notre sol.
Comme député de la nation, je déclare
franchement que j’aurais blâmé un ministre qui, autrement qu’à la dernière
extrémité, et par suite du refus formel des puissances de remplir leurs
engagements, aurait compromis le pays dans une lutte avec la Hollande, lutte
dont il est impossible de calculer tous les hasards, toutes les chances.
C’est dans cette conviction intime que l’armée,
depuis cette époque, a été considérablement renforcée et que vous avez voté
différents subsides pour le département de la guerre.
Il doit donc être vrai, car avant tout il faut
être juste, que dans certaines hypothèses l’évacuation forcée était encore une
conséquence nécessaire de votre système. Mais, quant au mode d’exécution, mais
quant aux conséquences immédiates de l’exécution forcée, ce sont là des actes
qui ne sont pas en rapport direct avec le système en lui-même ; ce sont des
suites. Ces faits peuvent varier ; il y a différentes manières de les régler ;
il y avait des précautions, des mesures à prendre avant l’exécution préalable.
C’est surtout sous ce rapport que le gouvernement a été attaqué.
En supposant que l’armée belge fût numériquement
assez forte (car je ne parle pas ici de son courage) pour faire le siège de la
citadelle d’Anvers, tout en défendant nos frontières, vulnérables de tous
côtés, contre l’armée hollandaise, quels moyens avait sa marine, sa flotte,
pour empêcher la Hollande de fermer l’Escaut, de détruire une partie du pays,
d’inonder la plus belle partie de nos provinces, de faire, en un mot, peser sur
le pays toutes les calamités ? Comment auriez-vous dans ce cas (en supposant
que la lutte eût été soutenue, car évidemment la Hollande aurait opposé à votre
attaque tous les moyens de résistance), comment auriez-vous préservé la ville
d’Anvers d’une destruction certaine ?
Mais si, par suite d’une combinaison qu’il
n’était pas possible de prévoir ; si, par suite de ce qui arrive aujourd’hui,
tous les malheurs étaient prévenus ; si la ville d’Anvers échappait aux
désastres qui la menacent encore, cette combinaison ne serait plus une
calamité, elle ne mériterait plus votre blâme.
Quant au concours de l’armée belge à
l’affranchissement du territoire, nous aurions désiré tous qu’elle eût été
appelée à s’associer aux périls et à la gloire qui attendent l’armée française,
et je suis persuadé que notre armée aurait rivalisé de courage, d’ardeur, avec
ses anciens et ses braves alliés.
Mais le ministère avait-il le droit d’imposer le
concours de l’armée belge aux puissances signataires du traité du 15 novembre ?
Non, évidemment non.
Je vous prie d’observer que c’est ici une
question de droit.
Qu’est-ce que le traité du 15 novembre ? C’est
une sentence arbitrale, c’est un jugement européen entre la Hollande et la
Belgique ; c’est un jugement dont les juges eux-mêmes s’étaient réservé de
poursuivre l’exécution.
Vous ne perdrez pas de vue que, dans les notes
dont je vous ai parlé et qui font partie du traité, il est dit que les
puissances garantissent l’exécution du traité.
Dans la première note, au n°2, on lit :
« Que les cinq grandes puissances en garantissent l’exécution. »
Au n°6 de la même note on lit : « Enfin qu’ils
contiennent (les articles du traité) les décisions finales et irrévocables des
cinq puissances, qui, d’un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes
l’acceptation pleine et entière desdits articles par la partie adverse, si elle
venait à les rejeter. »
Dans la seconde de ces notes, il est dit
positivement que les cinq cours, se réservant la tâche d’obtenir l’adhésion de
la Hollande aux articles du traité, « garantissent de plus leur
exécution, » et convaincues que ces articles, fondés sur des principes
d’équité incontestables, offrent à la Belgique tous les avantages qu’elle est
en droit de réclamer, ne peuvent que « déclarer ici leur ferme
détermination de s’opposer à tous les moyens en leur pouvoir au renouvellement
d’une lutte qui, etc.»
Vous voyez que depuis le 14 octobre les
puissances ont déclaré formellement qu’elles s’opposeraient à toute lutte ;
qu’elles-mêmes amèneraient l’entière exécution du traité ; que par conséquent
elles excluaient de l’exécution les deux parties intéressées.
Mais, a-t-on dit, l’intervention de l’armée
française sans le concours de l’armée belge déshonore le pays : non, messieurs,
l’exécution franche d’un traité accepté, la loyauté, la foi aux engagements, ne
déshonorent jamais une nation. L’armée, messieurs, connaît ses devoirs ;
l’armée elle-même comprend sa position ; elle sait que sa gloire consiste
autant dans une sévère discipline que dans la bravoure, et que sans discipline
il y a des bandes, qu’il n’y a pas d’armée. Elle attendra avec confiance les
ordres de son chef, et si le Roi fait un appel à son courage, je suis persuadé
qu’elle se montrera digne d’elle et digne de la nation.
Pour ce qui concerne les conséquences immédiates
de l’évacuation de notre territoire par la Hollande, ces conséquences sont
encore soumises à une foule d’éventualités. Et s’il était vrai que ce
territoire, qu’aux termes du traité du 15 novembre nous devons abandonner, doit
être livré immédiatement au roi Guillaume, que les populations qui les couvrent
doivent passer sous le joug de leur ancien maître avant que celui-ci ait
consenti aux arrangements territoriaux, à remplir toutes les stipulations qui
sont imposées relativement aux habitants des territoires qui changent de
domination, j’éprouverais le sentiment d’indignation qu’éprouvent nos collègues
; mais il n’en est pas ainsi, il n’en peut être ainsi ; ce serait une
stupidité.
Il
me semble, messieurs, que c’est tout à fait dans ce sens que vient de
s’expliquer M. le ministre des affaires étrangères ; s’il pouvait y avoir le
moindre doute à cet égard, je le prie de s’expliquer, parce que, moi, je ne
pourrais consentir à ce que ces populations passassent sous le joug de leur
ancien dominateur, sans condition, sans garantie.
Plusieurs
membres (au ministre des affaires étrangères). - Expliquez-vous
! expliquez-vous !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Tout à l’heure,
messieurs, je vous l’ai déclaré ; c’était l’objet spécial de mon discours.
M.
d’Huart. - Vous avez parlé de séquestre.
Plusieurs voix. - Les Prussiens
entreront dans le Limbourg et le Luxembourg ! dans Venloo !
M.
d’Huart. - Mettra-t-on ces territoires en séquestre ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet), vivement. - Je n’en
sais rien.
M. Gendebien. - Messieurs, si les circonstances n’étaient
pas aussi graves, si nous n’avions pas un pied dans le précipice, je
m’abstiendrais de parler, tellement je suis convaincu depuis deux ans de
l’inutilité de mes paroles. Depuis deux ans, messieurs, j’ai prédit tout ce qui
nous est arrivé ; et toujours, messieurs, l’intrigue, l’intérêt et l’égoïsme
ont prévalu sur la raison. Aujourd’hui que c’est pour la dernière fois
peut-être que je parle comme Belge (si tant est que je puisse prendre encore
cette qualité, car si on me demandait s’il y a encore une Belgique, je
répondrais : non ; mais jusqu’à ce que le sacrifice soit consommé, je puis
invoquer le nom belge), je me contenterai de dire peu de chose pour le moment ;
je me réserve de m’exprimer plus au long lorsque nous serons parvenus au
paragraphe 4 de l’adresse, qui a fait jusqu’ici et prématurément l’objet de la
discussion.
Je ferai remarquer à la chambre que le ministère
vient de changer de système. On avait d’abord essayé de rejeter sur la chambre
la responsabilité d’un acte que je m’abstiendrai de qualifier ; il l’a été
suffisamment. Rappelez-vous, messieurs, que lors de la présentation des 18
articles au congrès, aucun ministre n’a osé les prendre sous sa responsabilité
: deux membres du congrès seulement eurent le triste courage d’en proposer
l’acceptation.
Le traité des 24 articles, aucun ministre encore
n’a osé le prendre sous sa responsabilité ; le ministère est venu nous le
transmettre comme un objet de pure nécessité, auquel, ainsi que la chambre, il
devait se soumettre. Aujourd’hui, messieurs, on a essayé par mille détours, et
pendant trois séances consécutives, de vous forcer encore à accepter la
responsabilité du système que l’on vantait jadis sous le nom de Goblet. Mais il
paraît enfin que le ministère a viré de bord et qu’il consent à prendre sur lui
cette responsabilité, ou du moins qu’il ne tient plus autant à l’imposer à la
chambre. Dès lors la question se trouve réduite sa plus simple expression, et
il suffira de répondre quelques mots aux discours de MM. Goblet et Rogier.
Si l’évacuation préalable du territoire occupé
par 400,000 Belges devait être effectuée par nous, si nous devions restituer à
Guillaume ces 400,000 Belges avant qu’il eût adhéré au traité du 15 novembre,
ce serait une monstruosité, une absurdité, et nous pourrions être soumis au
blâme. On nous a lu de longs passages de pièces, la note adressée au
gouvernement et l’article premier du traité du 22 octobre de glorieuse mémoire,
pour nous prouver que ce n’est pas là que s’arrêterait l’intervention étrangère
et que nous ne serions pas obligés de céder la partie du territoire qui doit
retomber sous le joug de Guillaume ; eh bien ! je réponds par un acte du
ministère lui-même à ces allégations téméraires ou tout au moins bien légères.
Voici la note du 2 novembre qui adhère à ce traité. On vous a dit qu’on y était
étranger, et que c’était à la France et à l’Angleterre d’aviser aux moyens de
l’exécuter. Eh bien, je vais prouver que le ministère n’y est pas resté
étranger.
En effet, voici ce que je lis dans sa note du 2
novembre : il accuse réception de la note de Latour-Mambourg qui lui fait
connaître la détermination conclue par le roi des Français et le roi de la
Grande-Bretagne : « Il a remis, dit-il, cette note sous les yeux de son
souverain, et il a reçu l'ordre de déclarer : Que Sa Majesté le roi des Belges
consent à faire évacuer, le 12 de ce mois, et même à une époque plus
rapprochée, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que
les portions de territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique, en
même temps que le gouvernement belge entrera en possession de la citadelle
d'Anvers, ainsi que des forts et lieux situés sur les deux rives de l'Escaut,
qui font partie du territoire assigné à ce royaume par le traité du 15
novembre. »
Eh bien ! ministres imprudents, pour ne rien
dire de plus, quand vous aurez prouvé que cette note signifie tout le contraire
de ce qu’elle dit, nous pourrons encore, peut-être, ajouter foi à vos
promesses. Jusque-là, messieurs, je qualifie tout ce qui s’est fait
d’assassinat et de faiblesse la plus infâme.
- La discussion est close sur l’ensemble. On
passe à celle des paragraphes.
Discussion des paragraphes
Premier et
deuxième paragraphes
« Depuis la dernière session, les
événements ont contribué de plus en plus à affermir notre indépendance. »
M.
le président. - Deux amendements ont été proposés sur ce
paragraphe, l’un pas M. de Robiano de Borsbeek ; il est ainsi conçu :
« Sire, c’est surtout dans les crises
nationales que les grands corps de l’Etat se rallient étroitement autour du
trône. Votre majesté trouvera cet empressement dans la chambre des
représentants ; elle vient lui présenter l’hommage de son respect, de sa
reconnaissance et de son dévouement.
« Depuis la dernière session, etc. »
Et l’autre par M. Gendebien dans les termes
suivants :
« Je propose de supprimer le premier
paragraphe ou bien d’y substituer celui-ci :
« Depuis la dernière session, les
événements ont contribué de plus en plus à compromettre notre
indépendance. » (On rit.)
La parole est à M. de Robiano pour développer
son amendement.
M. de Robiano de Borsbeek. - Messieurs,
l’adresse est à mes yeux une chose de la plus haute importance, surtout dans
les circonstances graves où nous nous trouvons. Lorsqu’un pays est tranquille,
lorsqu’il n’est menacé d’aucun côté, les adresses ne sont souvent que de
simples formules qui reviennent chaque année ; mais la patrie et les étrangers
liront la nôtre avec la plus grande attention.
Or, il m’a paru qu’il s’y trouvait une lacune ; on
se propose dans cette chambre de censurer les actes du ministère, et je ne vois
pas l’expression de nos sentiments pour le Roi. Messieurs, plus cette
discussion est vive ; plus il y a de raison de nous montrer tous unis autour du
Roi. Il ne faut pas que les étrangers nous croient diviser et en désaccord,
quand il s’agit de soutenir l’indépendance du pays. D’après cela, il me semble
que quelques paroles pour montrer ce ralliement sont tout à fait nécessaires,
d’autant plus qu’il y a encore dans le pays un certain parti républicain que
rien ne peut plus convaincre, à qui il faut ôter le courage, en lui faisant
voir l’impossibilité de réussir.
En agissant ainsi, nous faisons un acte de patriotisme.
Marchons encore à un autre parti, celui de la restauration : combien nous en
sommes éloignés en nous serrant autour du Roi que nous avons choisi ! Le Roi
est le point de ralliement de tous. Quant à moi, je me suis rallié à lui
lorsque j’ai été convaincu qu’il comblait les vœux du pays.
Je pense
donc que l’énergie que nous pouvons mettre à blâmer les actes du ministère ne
doit pas être en raison des personnes, mais dans le but de montrer aux
puissances étrangères que nous ne sommes pas disposés à accepter une position
avilissante, que nous avons encore du courage et que nous sommes Belges ; notre
but doit être que le ministère trouve dans cette même énergie, manifestée par
la chambre, une ressource pour agir à l’étranger.
Il y a trois mots dans mon amendement pour
exprimer nos sentiments au Roi, ce sont ceux-ci : respect, reconnaissance et
dévouement. Quant au respect, c’est le devoir de tous. Pour la reconnaissance,
je crois que la tâche de roi est aujourd’hui une tâche très rude, et celle du roi
des Belges plus que tout autre, et je pense qu’il fera tous ses efforts pour la
remplir de son mieux ; nous devons donc en être reconnaissants. Enfin nous lui
devons notre dévouement pour le seconder dans cette tâche.
Je demande donc que l’on ajoute ce paragraphe à
notre adresse. Je le répète, dans les circonstances présentes, une adresse est
d’une haute importante. Il faut montrer à l’étranger, où nous ne sommes pas
connus et où nos affaires ne peuvent être bien appréciées, que nous sommes tous
d’accord quand il s’agit de l’intérêt commun.
Nous avons maintenant
une armée française sur notre territoire, les Français ignorent nos affaires
comme les autres. Qu’ils rapportent chez eux la sanction de ce que nous avons
fait. Une armée prussienne se rassemble sur notre frontière ; dans leur pays,
ils ne peuvent sainement juger nos affaires parce que leurs journaux les
induisent en erreur. J’y ai passé trois mois et je le sais ; on nous y traite
de révolutionnaires, de propagandistes ; on ne sait nullement que nous sommes
les amis de l’ordre et de la paix. Montrons-leur que nous ne sommes pas des
anarchistes.
C’est bien à regret que je me suis vu à mon
début de proposer des amendements, mais il me semblait nécessaire de combler
cette lacune.
- L’amendement de M. Robiano est appuyé.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je
ferai d’abord une observation, c’est que ce qu’on appelle un amendement au
premier paragraphe n’est pas du tout un amendement à ce premier paragraphe,
mais bien une proposition tendante à ce que ce même paragraphe soit précédé par
celui de M. de Robiano. Je prie M. le président de vouloir bien y faire
attention. Ainsi donc, c’est sur la proposition de M. de Robiano et non sur le
premier paragraphe que nous devons discuter.
Maintenant, je ne
m’oppose pas à ce que l’on adopte cette proposition ; je déclare même qu’elle
est l’expression de mes sentiments pour le roi. Mais aussi, je déclare que ce
n’est pas dans l’intention de faire peur aux républicains. (On rit.) Quant à moi, je n’ai pas peur
d’eux, et je crois que nul ne doit s’effrayer de ce que quelques personnes ont
cru qu’un gouvernement républicain conviendrait mieux à la Belgique que la
monarchie. Il en a été décidé autrement ; elles se sont soumises à la décision
de la majorité, et je ne vois pas qu’elles aient beaucoup remué pour renverser
notre système de gouvernement. (Nouvelle
hilarité.) Je dis donc que je ne m’oppose pas à l’adoption de la
proposition de M. de Robiano, mais je dois pourtant faire remarquer qu’une phrase
presque analogue se trouve à la fin de l’adresse, et qu’il suffirait d’y
ajouter les mots de respect, de reconnaissance et de dévouement.
M. de Robiano. - Cette observation
m’avait déjà été faite. Je ne m’y suis pas rendu parce que je trouve plus
naturel de commencer par là. Il est d’usage de commencer et de finir une
adresse par quelque chose pour le souverain ; cela est plus convenable.
M. de Muelenaere déclare qu’il votera pour la proposition de M.
de Robiano.
M. Jaminé. - Je crois pourtant qu’il est nécessaire de
relever un mot qui se trouve dans cette proposition ; c’est celui de
dévouement. Je ne sais pas comment le corps législatif qui est aussi un pouvoir
peut protester de son dévouement. (Aux
voix ! aux voix !)
- La proposition de M. de Robiano est mise aux
voix et adoptée. Elle formera le premier paragraphe de l’adresse.
Troisième paragraphe
M.
le président. - Vient maintenant le paragraphe premier du projet
qui devra être l’article. 2. M. Gendebien a la parole pour le développer.
M. Gendebien. - Avant de développer mon amendement, je dois dire
que j’ai entendu que la proposition de M. de Robiano n’était acceptée qu’avec
la modification de M. Jaminé. Chacun est libre de protester de son dévouement
au Roi, mais un corps de l’Etat doit toujours être indépendant. C’est ainsi que
j’avais compris, et j’ai cru en faire la remarque qui me servira de
protestation.
Maintenant je passe au développement de mon
amendement.
Messieurs, je demande la suppression du premier
paragraphe ou bien la substitution de celui que j’ai proposé. Je crois que
lorsque la commission a parlé de notre indépendance, elle ne la regardait pas
comme un fait accompli. Ce n’est pas quand notre territoire est occupé par
60,000 hommes, lorsqu’on nous menace de l’intervention prussienne à qui il
faudra livrer Venlon et les autres parties de territoire, que nous devons
parler d’indépendance. Il faut rester dans la vérité, quelque dure qu’elle
soit, et la vérité c’est que depuis le 18 mai nous marchons vers
l’anéantissement de notre indépendance. Je le demande aux députés du Luxembourg
et du Limbourg qu’on assassine impunément, je leur demande si ce n’est pas une
dérision de les faire concourir à la rédaction d’une semblable phrase. Soyons
humains, messieurs ; pensons à nos collègues qui auront à rendre compte de leur
conduite au roi Guillaume, qui ne pourront pas même s’appuyer sur les garanties
que leur assurait le traité du 15 novembre, et que par votre vote du 2 novembre
vous livrez pieds et poings liés à un homme qui se croit insulté, car il se
croit insulté, messieurs, et l’échauffourée du mois d’août ne l’a pas contenté
; je crois donc que ce serait une amère ironie que de faire concourir ces
honorables collègues à l’expression formelle de notre indépendance. Cette
indépendance a été perdue depuis la fameuse lettre de lord Ponsomby, dont il
est bon de nous rappeler les termes, et nous marchons, quoi qu’on en ait dit,
vers la restauration : je reviendrai plus tard sur ce point. Voici comment
s’exprimait lord Ponsomby :
(Erratum
inséré au Moniteur belge n°331, du 28 novembre 1832 : ) « La
conférence restera la protectrice des lois et des libertés contre ceux qui
voudraient se faire conquérants et contre ceux qui méconnaîtraient toute autre
loi que leur volonté et bon plaisir. » (Lettre de lors Ponsomby, datée de
Bruxelles, mai 1981). (fin de l’erratum)
Vous avez accepté au mois de mai le bon plaisir
des puissances et vous vous êtes soumis à ce bon plaisir. Vous n’avez fait
ensuite que vous enfoncer d’avantage dans ce malheureux système, et je vous
vois aujourd’hui arrivés à tout ce que j’ai prédit alors. Ne parlons donc plus
d’indépendance, c’est ce que nous pouvons faire de plus prudent. Je vous ai dit
au mois de mai dernier : Vous déshonorerez la nation, et quand vous l’aurez
déshonorée, vous marcherez à la restauration ; je vous ai dit : Vous êtes au
dernier degré d’abjection ; vous n’avez plus qu’un pas à faire et on vous
rayera du rang des nations. Eh bien ! vous l’avez fait ce pas.
Quand on a parlé de restauration, un ministre
s’est levé et a dit qu’il avait donné assez de gages de sa haine contre cette
restauration, pour qu’on crût qu’il n’y consentirait jamais. Non, messieurs, il
n’y consentira pas ; mais on y arrivera par la force des choses. Voyez ce qui
est advenu depuis le 27 mai, depuis que vous avez pris pour conseil lord
Ponsomby. Vous avez fait du roi Guillaume un grand homme, comme la France a
fait de la duchesse de Berry un grand homme ; vous avez fait d’une nation de
marchands un peuple de héros. Et nous, aujourd’hui nous sommes humiliés,
suppliants devant un Roi que nous avons humilié, devant un peuple qui fuyait
devant nos 2,500 volontaires, que vous avez payés depuis d’ingratitude, cela
devait être. Ne parlons donc plus d’indépendance. Elle a été conquise par nos
volontaires, elle a été perdue par les doctrinaires. Je demande donc qu’on
insère ma proposition dans l’adresse comme l’expression de la vérité.
M. F. de Mérode. - Je ne pense pas que le roi Guillaume soit de
l’avis de M. Gendebien. Je ne pense pas qu’il voie dans le blocus de ses ports,
de l’Escaut, et dans l’armée française, des symptômes de restauration. (On
rit.)
M. H. de Brouckere. - Vous avez sans
doute remarqué comme moi, messieurs, que dans le discours du trône il n’est
point parlé des événements qui ont affermi notre indépendance. Il ne me semble
donc pas nécessaire de conserver le paragraphe. Quant à moi, je déclare que je
voterai contre, sauf à arrondir un peu plus le suivant.
M. Meeus propose de
rédiger ainsi le paragraphe : « Depuis la dernière séance, plusieurs
événements ont contribué à affermir notre indépendance. » (On rit.)
Quelques
voix.
- C’est la même chose.
M. Meeus. - Quoique
mon amendement excite l’hilarité de quelques membres, je me permettrai
cependant de ne pas le retirer. Il me paraît, messieurs, que la rédaction du
paragraphe est trop générale ; elle préjuge même ce que vous déciderez par
rapport au cinquième paragraphe. En effet, on ne devrait pas dire les
événements. Mais il est de fait que plusieurs événements ont contribué à
affermir notre indépendance.
M. de Robiano. - Quant à moi, je crois que les événements ont
contribué à affermir notre indépendance. Mais, messieurs, vous vous souviendrez
que depuis deux ans je n’ai cessé de vous dire que l’Europe se trouvait dans la
position de ne pas empêcher notre indépendance ; je le pense encore aujourd’hui
: notre indépendance existe donc par la force des choses, et parce qu’on sait
que la guerre la plus effroyable aurait lien si l’on voulait nous restaurer.
Les puissances ne pouvaient donc l’empêcher. Voilà pourquoi je regrette qu’on
ait accepté le traité des 24 articles. Je pense que notre indépendance est un
fait européen. Beaucoup d’orateurs ont cherché à jeter du ridicule sur cette
question, disant que pouvions-nous ? Mais nous aurions trouvé de quoi résister
à la Hollande, si elle nous avait attaqués. (Aux voix ! aux voix !)
M.
le président. - M. Gendebien persiste-t-il à demander la
suppression du paragraphe ?
M.
Jullien. - Il me semble qu’il n’y a pas d’inconvénient à ce
que notre indépendance existe au moins dans l’adresse. (Hilarité générale.)
Le paragraphe est adopté avec la modification
proposée par M. Meeus.
Troisième paragraphe
On passe au troisième paragraphe, ainsi conçu :
« La Belgique a vu reconnaître successivement par les puissances le roi qu’elle
s’était choisi, et son pavillon flotte librement aujourd’hui dans la plupart
des ports étrangers.
M. de Robiano propose la rédaction suivante. - « La
Belgique a vu reconnaître successivement par la plupart des puissances le roi
qu’elle s’était choisi. Le pavillon national flotte librement aujourd’hui dans
la plus grande partie des ports étrangers. »
M.
Jullien. - J’attache peu d’importance à l’arrangement des
phrases, mais je tiens beaucoup à ce qu’elles expriment la pensée de la chambre
avec clarté et surtout avec franchise, avec bonne foi. Dans notre adresse c’est
le pays tout entier qui parle au trône ; la chambre ne doit donc pas s’avaler
son langage jusqu’à la réticence, jusqu’à la dissimulation. C’est le paragraphe
que l’on discute en ce moment qui me fournit cette observation ; on y dit que
la Belgique a vu reconnaître successivement par les puissances le roi qu’elle
s’était choisi. Je demanderai quelle est cette succession de puissances. Dans
le moment où je vous parle, il est notoire que la Russie, la Prusse et
l’Autriche protestent contre l’exécution du traité du 15 novembre par les
moyens coercitifs ; je demande si ces puissances-là nous ont toujours reconnus.
Dans la crise où nous sommes, il faut reconnaître ses amis et ses ennemis. Il
faut qu’on nous dise dans quelle position nous nous trouvons. Si les puissances
du nord protestent, si la France et l’Angleterre sont obligées de se mettre en
opposition avec elles, je demande comment on peut dire que nous avons été
reconnus successivement par les puissances.
Messieurs, on dit plus ; on dit que notre
pavillon peut se promener librement dans la plupart des ports étrangers. Je
demande combien la plupart ds ports étrangers font de ports. (On rit.) S’il
s’agissait seulement ici d’un échange de politesses avec la couronne, je ne
dirais pas un mot sur ces phrases banales. Mais aujourd’hui le discours du
trône ainsi que la réponse a une plus grande portée. C’est dans ces documents
que les intérêts matériels voient ce qu’ils ont à craindre et à espérer. Eh
bien, vous allez dire à notre petit commerce que tous les ports étrangers lui
sont ouverts ; voulez-vous qu’il parcourt toutes les mers pour voir dans quels
ports il sera accueilli et quels ports lui sont interdits. Je voudrais qu’on
déterminât les ports où il peut être accueilli et j’interpellerai M. le
ministre des affaires étrangères sur la question de savoir quelles sont les
puissances qui nous reconnaissent formellement et quels ports nous sont ouverts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goglet). - Notre pavillon
est admis dans tous les ports des puissances qui nous ont reconnus (On rit.)
Ces puissances sont d’abord les cinq grandes puissances signataires du traité,
ensuite le Danemark, la Suède, le Brésil, et d’autres que je ne me rappelle pas
maintenant. (Nouvelle hilarité.) D’ailleurs l’annonce de ces admissions a été
insérée dans le Moniteur à mesure qu’elles ont été accordées.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - M. Jullien a interpellé M. le ministre des
affaires étrangères pour connaître quels sont les ports ouverts à notre
pavillon. Qu’il me permette de lui faire à mon tour une autre interpellation,
et de lui demander dans quels ports il n’est pas admis…
M.
Jullien. - Je répondrai à M. Rogier en lui citant un exemple,
c’est qu’on ne peut pas venir d’Ostende à Anvers, sans mettre notre pavillon en
poche. (On rit.)
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ceci est très spirituel, mais ne répond
nullement à ma demande.
M.
Jullien. - D’ailleurs je n’ai pas interpellé M. le ministre
de l’intérieur, mais M. le ministre des affaires étrangères.
M.
Osy.
- Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s’il pourrait nous
dire d’où vient que quand nous avons un ambassadeur à Vienne, il n’y ait pas
d’ambassadeur d’Autriche ici. C’est une question dont la réponse me paraît
devoir être très significative.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goglet). - J’ignore
entièrement quels sont les motifs qui ont déterminé le gouvernement autrichien
à ne pas envoyer son ambassadeur.
- La rédaction proposée par M. de Robiano est
mise aux voix et adoptée.
Paragraphe 4
« L’union de V. M. avec la fille aînée de
Roi des Français a resserré nos liens avec une nation généreuse pour laquelle
nous ressentions déjà tant de sympathie. Les Belges ont partagé le bonheur de
leur Roi en voyant associer au sort de V. M. une princesse douée de si
éminentes vertus ; ils se félicitent d’une union qui contribuera de plus en
plus à l’affermissement de l’Etat, et donnera des gages nouveaux de paix et de
tranquillité. »
M. de Robiano. propose encore un amendement tendant à faire
effacer du paragraphe les mots « pour laquelle nous ressentions dejà tant de
sympathie. » (Non ! non !)
M. de Robiano. - Je suis prêt à retirer mon amendement si
l’assemblée le veut, mais je désire une explication. (C’est inutile.)
M.
le président. - Il faut que l’orateur persiste dans sa proposition
pour que je lui accorde la parole.
M. de Robiano. - J’y persiste alors. Messieurs, je n’ai pas
eu la moindre pensée de faire quelque chose de désagréable aux Français ; mais
il me semble que les 60,000 Français qui sont ici le savent d’après les
témoignages qu’ils reçoivent, ainsi que le savaient ceux qui sont venus lors de
l’affaire de Louvain. Il me semble donc qu’il suffit de dire une nation
généreuse. Les Anglais et les Allemands ont aussi notre sympathie, et il est
inutile d’en parler.
Le paragraphe 4 est mis aux voix et adopté sans
changement.
La discussion est continuée à demain à midi.
La séance est levée à 4 heures.