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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 26 mars
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (département de la justice). Etablissements pénitentiaires
(d’Elhoungne, Ch. de
Brouckere, de Theux, Bourgeois,
Coghen, de Muelenaere, d’Elhoungne, Raikem), sûreté de
l’Etat (Leclercq, Tiecken de
Terhove, A. Rodenbach, de
Theux, d’Huart, Raikem, Destouvelles, Leclercq, Lebeau, A. Rodenbach, Dubus, Destouvelles, d’Elhoungne, A. Rodenbach)
3) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (département de la marine). Lutte contre le choléra (art
de guérir) (de Muelenaere, Bourgeois,
de Muelenaere, Bourgeois,
Coghen), traitement des officiers de marine (de Muelenaere), bâtiments de guerre et lutte contre
la fraude (service de la douane) (Tieken de Terhove, de Muelenaere)
4) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (budget de la dette publique). Partage de la dette
belgo-hollandaise et retard apporté aux ratifications au traité des 24 articles
(H. de Brouckere, Milcamps,
Verdussen, Leclercq, d’Elhoungne, de Muelenaere,
Fallon)
(Moniteur belge n°88, du
28 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, le procès-verbal
est lu et approuvé.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Lebègue analyse ensuite
quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. Osy s’excuse de ne pouvoir
assister à la séance.
M. Rogier s’excuse également de ne
pouvoir se rendre à son poste à cause d’affaires de son administration qui
réclament sa présence, et annonce qu’il reviendra le plus tôt possible.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1832
(DEPARTEMENT DE LA JUSTICE)
L’ordre du jour est la suite de la
discussion des articles relatifs aux prisons, portés au budget de l’intérieur,
et qui doivent être transférés à celui de la justice.
Discussion des articles
Chapitre VII. - Administration des prisons
Article 4
« Art. 4. Achat de matières
premières pour les ateliers des grandes prisons, en paiement des salaires : fl.
500,000. »
M. d’Elhoungne
pense que le nouveau mode de régie des prisons proposé par M. H. de Brouckere
mérite tout l’attention du gouvernement ; mais il signale un exemple déplorable
qui a eu lieu à la maison de Vilvorde, sous l’administration de M. Doulcet,
alors que le système d’adjudication était en vigueur, c’est qu’on a vu alors le
chiffre des décès des prisonniers augmenter de 85 p. c. Il faut donc bien
réfléchir avant d’introduire ce nouveau régime qui, d’ailleurs, ne peut
s’opérer instantanément. Il consent à affecter 500,000 fl. pour les matières
premières des grandes prisons, mais il exige une réduction de compte, et à cet
égard il propose un amendement tendant : 1° à ce que le ministre présente, avec
son budget de 1833, l’état de situation des magasins et des ateliers des
prisons, tant en matières premières qu’en objets confectionnés à la date du 20
septembre 1831, et du 31 décembre de cette même année ; 2° les comptes apurés
de 1830 et de 1832 pour les examiner ; 3° et à ce que pour l’avenir le ministre
soit tenu de soumettre à la chambre, avec son budget, les états de situation
des prisons accompagnés des comptes qui seront apurés.
M. Ch. de Brouckere.
- Avant d’exprimer mon opinion sur l’allocation de 500,000 fl. demandée, je
dirai quelques mots sur l’amendement que vient de vous proposer l’honorable M. d’Elhoungne.
Il me semble qu’il y a dans cette proposition une confusion complète, car je ne
conçois pas comment l’on veut mettre dans le budget de 1832 que le ministre
sera tenu de vous donner des pièces et des tableaux avant que vous ne discutiez
le budget de 1830. Si l’assemblée a besoin de ces documents et de ces tableaux
avant la délibération du budget de 1833, elle pourra les exiger dans les
renseignements que demande l’honorable membre, relativement à l’état des
magasins et des prisons ; il pourra les réclamer avant la loi des comptes. Je
reviens maintenant à l’article 4. Je croyais, lorsque j’ai demandé la remise de
la discussion, que la somme de 500,000 fl. donnée à titre d’avance au trésor
pouvait disparaître du budget des dépenses ; mais, d’après les explications
obtenues du ministre, il résulte de cette manière d’établir la comptabilité
plus de régularité ; mais alors aussi la loi des recettes est incomplète, car
au lieu de 500,000 fl. qui y figurent, et sont la reproduction de l’avance
faite en 1831, il faut majorer cette somme de 170,000 fl., bénéfice déjà
effectué sur les fabricants et qui viennent de prouver que j’avais raison de
trouver les dépenses des prisons exagérées d’après les chiffres que présentait
le budget. Cette double somme doit être renseignée en 1832, parce qu’elle ne
l’a pas été en 1831 ; mais de plus, il faut porter à la loi des recettes de
1832 700,000 autres florins pour restitution de la somme
que nous allons ordonner ; et, pour les bénéfices de fabrication obtenir pendant l’année, les règles de la
comptabilité exigent qu’il en soit ainsi ; le budget ne comprend pas les
dépenses et recettes effectuées pendant un exercice ; mais toutes celles
affectées à l’exercice. Ainsi donc, la loi des recettes donnera sur les revenus
des prisons une plus-value de 121,000 fl., produit de 1830 non encore
renseigné.
Ces données, bien claires, diminuent
le déficit apparent d’un million de florin. Cette somme eût été renseignée plus
tard ; mais j’ai cru qu’il était important de vous désigner, dès aujourd’hui,
un article qui grossira le budget des recettes.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Tout ce que vient de
vous dire M. Ch. de Brouckere suffit pour repousser l’amendement de M.
d’Elhoungne ; aussi, si je prends la parole, ce n’est pas pour le combattre,
mais pour répondre à une observation qu’on a faite et qui tendrait à faire
croire que l’administration des prisons pourrait inspirer des inquiétudes.
Quant à moi je dois déclarer que je n’ai aucune inquiétude ; car, outre les
antécédents de l’administrateur, en qui j’ai la plus grande confiance, les
chiffres que vient de vous présenter le préopinant prouvent qu’il y a, pour
1831, 700,000 fl. à porter à la loi des recettes. Quant à la reddition des
comptes, ce ne peut être que vers la fin du premier semestre de cette année
qu’on pourra avoir les comptes de 1831.
M. Bourgeois.
- M. d’Elhoungne a dit que, sous M. Doulcet, et lorsque la maison de Vilvorde était
régie par le système d’adjudication, les décès s’étaient multipliés dans une
progression effrayante ; mais il a oublié que cette année il y a eu une maladie
épidémique, et que c’est par suite de cette maladie que la mortalité a augmenté
d’une manière aussi considérable : le médecin et le chirurgien de la maison de
Vilvorde y ont succombé. J’ai dit déjà que je n’étais pas partisan du mode
d’entreprise pour l’entretien, la nourriture et le couchage des prisonniers ;
mais pour les travaux je pense que peut-être ce système serait avantageux quant
à la comptabilité ; les registres ne font mention de la perte éprouvée par
l’administration que dans le cas où la matière première est altérée ; mais pour
le reste les pertes ne sont pas constatées.
M. le ministre des finances (M.
Coghen). - Messieurs, répondant à l’honorable M.
Ch. de Brouckere, je dirai que nous sommes, à ce que je crois, parfaitement
d’accord dans le budget des voies et moyens ; je n’ai porté comme recette que
500,000 fl., je ne pouvais y porter davantage parce que le produit de la
main-d’œuvre n’est pas encore connu. La recette provenant des prisons pour
l’exercice de 1830 est portée sur ce même exercice ; les sommes reçues et
celles à recevoir pour 1831 seront aussi portées sur le compte de cette année.
Ces dernières sommes doivent contribuer à diminuer le déficit qui existe pour
l’exercice de 1831.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere).-
Je pense que les règles d’une bonne comptabilité veulent que l’on continue le
mode qui a été suivi jusqu’à présent, c’est-à-dire que, d’un côté, l’on porte
les dépenses pour matières premières, et de l’autre, les recettes provenant de
la vente des produits des prisons. La vérification est plus facile et plus
exacte. En suivant une autre marche, il faudrait créer un fond spécial sur
lequel seraient pris les achats des matières premières. Il en résulterait que
la cour des comptes n’exercerait plus sa surveillance sur ces dépenses. Je crois
que les reproches dirigés contre l’administration des prisons ne sont pas
fondés. Indépendamment de la probité et du zèle de l’administrateur, les faits
sont là pour prouver que la gestion est bonne. Sur 1830 et 1831, une somme de
plus de 800,000 fl. sera versée dans le trésor. Déjà 120,000 fl. y ont été
versé de ce chef, et je sais que l’Etat est débiteur d’une livraison de 720,000
fl. Quant au renseignement d’état de situation que demande M. d’Elhoungne, ce
n’est pas le cas d’en faire mention dans le budget des dépenses. Le
gouvernement prendra acte des observations de l’honorable membre, et la chambre
pourra demander les documents qu’elle désirera avant 1833.
M. d’Elhoungne.
- Je retire ma proposition. La déclaration de M. le ministre me donne
l’assurance que le but que je me proposais sera rempli. Toutefois je ne pense
pas comme les préopinants qu’il faille s’abstenir de demander des
renseignements dans le budget. C’est par des propositions semblables qu’en
France on a force le ministère à rendre des comptes sur la dotation de la
couronne et plusieurs autres objets. Mais, je le répète, la déclaration de M.
le ministre me suffit, et la chambre de son côté prendra acte de ses paroles.
M. le ministre de la justice (M. Raikem)
présente encore quelques observations en faveur de l’administration des
prisons. Cette administration, dit-il, a le plus grand intérêt à bien gérer, et
c’est ce qu’elle fera pour écarter tout reproche et tout soupçon.
- L’article 4 est mis aux voix et
adopté sans changement.
On passe ensuite au chapitre de la
sûreté publique, qui doit être également transféré du budget de l’intérieur à
celui de la justice.
Chapitre VIII. - Administration de la sûreté
publique
Article unique
« Art. unique. Frais de police,
mesure de sûreté publique : fl. 30,000. »
A cette allocation primitivement
demandée par M. le ministre de l'intérieur, M. le ministre de la justice a
proposé une augmentation de 10,000 fl. qui a été approuvée par la section
centrale.
M. Leclercq.
- J’ai dit, dans une précédente séance, que je ne pensais pas qu’il y eût lieu
de diminuer des frais de police ; mais je croyais qu’on nous donnerait des explications
sur les dépenses de l’année dernière ; or, nous n’en avons eu aucune. Le
ministre de l’intérieur, du département duquel dépendait la police, a dû
s’appuyer sur certaines bases pour estimer les sommes nécessitées par la police
à 30,000 fl., tandis que ce dernier propose de porter l’allocation à 40,000 fl.
Il fallait au moins donner à la section centrale des renseignements qui
justifiassent cette augmentation, et c’est ce qu’on n’a pas fait. En
conséquence, nous ne pouvons ainsi accorder cette allocation, à moins que nous
ne veuillions voter en aveugles. Les dépenses de la police, messieurs, sont des
espèces de dépenses de guerre, et sont toujours vues de mauvais œil par le
public ; pour que le peuple les paie sans murmure, il faut qu’il sache que ses
représentants ont des renseignements sur l’emploi de ces fonds.
M. Tiecken de Terhove.
- Je ne sais d’où est venue, à la commission, cette affection pour
l’administration de la police, au point de consentir à une majoration de 10,000
fl. demandés par M. le ministre. D’une part, je ne conçois pas les motifs de la
demande, puisque le ministère nous assure tous les jours que nos affaires sont
près de se terminer d’une manière favorable, ni les motifs de la commission,
puisque la seule faction qui s’agitait quelquefois, aujourd’hui abattue,
impuissante, ne se montre plus nulle part, et cache, dans l’ombre, son
désespoir. Jamais le pays n’a été plus tranquille, plus paisible ; aucun
symptôme alarmant ne se manifeste. D’autre part, j’ai entendu élever mainte
fois la voix, dans cette enceinte, pour accuser cette administration d’actes
qui sortent de ses attributions, d’actes arbitraires enfin, qui ne devraient
pas provoquer la sollicitude de la commission ni de la chambre ; que d’ailleurs
la grande majorité de celle-ci paraît d’accord pour ne lui laisser de durée que
jusqu’à la paix. Si cette administration a pu marcher jusqu’à
présent avec les crédits qui lui ont été alloués dans des temps plus
difficiles, elle le pourra bien mieux aujourd’hui, avec le crédit demandé
primitivement par M. le ministre, et instantanément majoré par lui. Comme nous
n’avons remarqué nulle part l’insuffisance de ce service, il me paraît qu’elle
pourra très bien marcher avec cette somme. Si cette majoration était appuyée
par des motifs puissants, j’y donnerais certainement mon assentiment ; car
certes la sécurité de l’Etat avant tout, et alors aucun sacrifice ne doit
coûter ; mais ces motifs, je ne les vois nulle part. D’ailleurs, comme nous ne
sommes pas près de finir encore la session actuelle, rien n’empêcherait, si des
circonstances difficiles surgissaient, d’ouvrir alors un crédit spécial pour
cet objet ; mais je le répète, comme on nous donne des assurances de paix, je
ne vois pas les motifs qui militent en faveur de cette majoration. Comme
quelques-uns de nos honorables collègues ont été attaqués, depuis trois ou
quatre jours, de la fièvre des majorations, tâchons de nous préserver de la
contagion, et n’allons pas enfler sans motifs, comme sans nécessité, un budget
qui est hors de toute proportion avec nos moyens et d’une ampleur telle qu’à
mes yeux, il a des formes monstrueuses. Je voterai donc contre la majoration
demandée.
M. A. Rodenbach.
- Je suis grand partisan des économies, parce que c’est le peuple belge qui a
pris la plus glorieuse part à notre révolution et que c’est lui qui doit plus
que personne profiter des diminutions d’impôt. Mais, en cette circonstance, il
s’agit de police ; notre existence peut en dépendre. Loin de trouver
l’allocation de 40,000 fl. trop forte, je voudrais la voir majorée de 20,000
fl., et je demanderai à M. le ministre de la justice si, dans son âme et
conscience, il croit la somme proposée par la section centrale assez forte pour
pouvoir répondre de la sûreté publique. Il est parvenu à ma connaissance qu’il
existe des comités secrets à Bruxelles et ailleurs.
De son côté, la
Hollande envoie des agents titrés, des comtes et des barons pour intriguer et
espionner. Pourquoi donc refuser quelques milliers de florins quand il s’agit
de soudoyer deux compagnies de police qui ont rendu d’éminents services et qui
coûtent plus de 2,000 fl. par mois ? Outre cette dépense, le ministre a besoin
de fortes sommes pour envoyer des agents en Hollande, à Aix-la-Chapelle et même
à Lille où il existe également un comité secret : en conséquence, je voterai
pour le chiffre dont je viens de parler.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Un préopinant a dit que
je n’avais demandé que 30,000 fl. dans mon budget pour l’article en discussion
; sans doute, messieurs, quand j’ai fixé le budget, je ne prévoyais pas que les
circonstances graves où nous nous trouvions alors dureraient aussi longtemps.
Mais leur prolongation a déterminé,
avec raison, M. le ministre de la justice à demander une augmentation de 10,000
fl. ; car, ainsi que l’a dit notre honorable collègue M. Rodenbach, il faut que
le gouvernement soit mis à même de surveiller ces sociétés secrètes et les
mouvements des agents extérieurs. Ce n’est pas que je veuille soutenir la
police sous un régime de paix, mais, au milieu des circonstances où nous sommes
placés, je pense que l’allocation est indispensable.
M. d’Huart. - Messieurs, je
ne donnerai pas mon assentiment à la proposition de la section centrale,
tendant à majorer de 10,000 fl. le crédit de 30,000 fl. demandé primitivement
par M. le ministre de l'intérieur pour la police, parce que cette dernière somme
me paraît déjà fort élevée, et que l’augmentation n’est d’ailleurs justifiée
par rien.
Ennemi de toutes les dépenses
occultes et dont l’utilité est contestée, je restreindrai toujours autant que
possible les allocations du budget qui y seront relatives.
Je suis de l’avis de ceux qui croient
que, dans un pays comme la Belgique, dont les habitants sont éminemment
paisibles et soumis aux lois, on peut facilement gouverner sans le secours de
l’espionnage, qui ordinairement n’a d’autre effet que de jeter la défiance
parmi les citoyens. Partout, comme on sait, la police préventive, pour se
rendre importante, invente des complots terribles contre la sûreté de l’Etat :
tantôt c’est une machine infernale préparée contre les jours d’un haut
personnage, tantôt c’est un projet d’enlèvement, etc. , grâce aux soins, à
l’activité de cette même police, tout a été déjoué. Je sais bien que ces
mensonges ridicules finissent par exciter la pitié, mais il n’en est pas moins
vrai que d’abord ils ont causé de l’inquiétude dans le pays et produit à
l’étranger une impression nuisible.
Messieurs, je suis persuadé que la
police répressive est la seule qui convienne aux mœurs de la Belgique et à
l’esprit de ses nouvelles institutions constitutionnelles ; si je ne rejette
pas aujourd’hui tout espèce d’allocation sous le titre de sûreté publique,
c’est par concession à l’opinion de ceux qui pensent que la police préventive
peut servir à quelque chose durant l’état de guerre où nous nous trouvons ;
aussi, en accordant mon vote à une somme de 30,000 fl. pour cet objet, c’est à
condition qu’il ne nous sera plus rien demandé de ce chef dès que nous aurons
la paix.
En terminant, je
demanderai, ainsi que l’a fait l’honorable M. H. de Brouckere dans la séance de
samedi dernier, que M. le ministre de la justice veuille bien fixer son
attention sur les abus de pouvoir qui ont pu être commis par l’administration
de la police, et dont on a plusieurs fois parlé dans cette enceinte. Il importe
que de pareils abus ne prennent pas racine et que les étrangers ne soient pas,
sur de simples préventions, expulsés du sol belge : nos loirs et l’esprit
hospitalité de la nation s’y opposent trop directement.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem). - Je crois aussi, comme M. Rodenbach,
que la somme de 40,000 fl. pour la police dans les temps où nous vivons, loin
d’être trop forte, n’est pas suffisante. Quand l’ennemi emploie tous les moyens
pour intriguer dans le pays, il faut que le gouvernement soit à même de
surveiller ces manœuvres, et il ne faut pas qu’il rende compte des mesures
qu’il prend pour les prévenir, car le mettre au grand jour ce serait en
paralyser l’effet. Je ferai observer que l’année dernière la compagnie des
gardes de sûreté dépendait du ministre de l’intérieur jusqu’en 1831 ; mais
aujourd’hui que cette garde est payée sur les fonds de la police, il y a lieu
d’accorder la majoration demandée. Quant aux abus de pouvoir de la police, je
ferai remarquer qu’il se glisse des erreurs dans toute administration, et
surtout dans celle de la police. Je me suis aperçu de quelques-unes, et je me
suis empressé de les faire corriger. Au surplus, personne ne peut dire que la
gravité des circonstances ait cessé. Quand la paix sera venue, je concevrai
qu’on s’oppose à cette dépense ; mais aujourd’hui elle est de toute nécessité.
M. Destouvelles.
- Plusieurs orateurs se sont étonnés que la section centrale ait adopté la
majoration proposée par M. le ministre de la justice, sans indiquer les motifs
de cette majoration ; mais ces motifs ont été indiqués tels qu’ils devaient
l’être. Il est dit dans le rapport de M. Dubus : « Les circonstances
nécessitent des dépenses plus fortes. Le besoin peut survenir de faire ces
sortes de dépenses dans les provinces. » Messieurs, en matière de police
secrète, il est impossible de donner des raisons plus explicites. MM. les
ministres viennent de suppléer à ce que ce rapport laisse à désirer ; je dis
« laisse à désirer, » seulement pour abonder dans le sens des
préopinants, car il suffit que la section centrale ait vu la nécessité de
l’allocation pour l’accorder, ces dépenses n’étant pas de nature à être rendues
publiques.
M. Leclercq.
- Messieurs, je ne conteste pas qu’il faille donner au gouvernement les moyens
de se mettre en garde contre les manœuvres employées contre lui, mais je
n’approuve pas que l’on puisse accorder ces moyens sans aucune explication :
or, aucune explication n’a été fournir à l’assemblée ni à la section centrale.
Je sais qu’on ne pouvait dire que très peu de choses en séance publique, mais
la section centrale pouvait demander tous les renseignements convenables. Le
gouvernement représentatif, messieurs, est un gouvernement de défiance, et dont
les actes sont soumis au contrôle des chambres : si ces dernières ont besoin
d’explications et que ces explications ne peuvent pas être publiques, elles
nomment une commission pour les recevoir. On a dit que, quand le budget a été
arrêté, on ne prévoyait pas que l’état où l’on se trouvait alors se
prolongerait ; mais il paraît que MM. les ministres ne se sont pas concertés
ensemble, car M. le ministre de la justice a donné un autre motif de la
majoration : c’est que la garde de sûreté était maintenant adjointe à la
police. Dans tous les cas, M. le ministre de l'intérieur savait bien, quand il
a fait son budget, ce que coûtait cette garde ; je ne pense pas que cet
argument soit fondé.
M. Lebeau. - Ce que vient de dire
l’honorable préopinant relativement aux gouvernements représentatifs est
exacte, mais sa proposition n’est pas complète. Le gouvernement représentatif
est en effet un gouvernement de défiance, mais c’est aussi un gouvernement de confiance dans toutes les positions
exceptionnelles. C’est ainsi qu’en France la chambre des députés a accordé un
million et demi pour les dépenses secrètes de la police, et cependant on
n’était pas en guerre avec une puissance voisine. D’ailleurs, je ferai remarquer
qu’un ministère ne peut exister sans la confiance de la représentation
nationale. Il y a de la part de la section centrale une explication extrêmement
simple à donner, c’est qu’il est évident que le retard des ratifications a
prolongé l’état d’incertitude où l’on se trouvait, et que d’un autre côté il
faut empêcher les manœuvres de la dynastie déchue. Nous savons d’ailleurs
combien M. le ministre de la justice a mis de parcimonie dans la fixation de
son budget, et ses antécédents nous sont un sûr garant qu’il n’a pas demandé
sans motifs une augmentation. Remarquez bien que les dépenses de la police sont
toutes éventuelles. Une émeute est dans les cas possibles : il ne s’agit pas de
machine infernale, mais une émeute peut survenir et exiger instantanément un
grand déploiement de forces. Or, si le gouvernement prévient les désordres par
son attitude, l’argent aura été bien employé. Si l’on peut s’étonner de quelque
chose, c’est que, comme l’a dit M. A. Rodenbach, l’allocation que l’on réclame
de ce chef ne soit pas plus élevée.
M. A. Rodenbach.
- Il est impossible que le ministre puisse donner des détails sur l’emploi des
fonds dont il a besoin pour la police secrète ; il ignore lui-même les
événements futurs. La preuve, c’est que, lorsque la bande à Tornaco s’est
abattue dans le Luxembourg, la police a dû envoyer 10,000 fl. environ au
gouverneur. Je sais qu’on a également envoyé à Anvers et à Gand. Mon honorable
collègue, M. Lebeau, a dit que la chambre française venait de voter 1,500,000
fr. pour la police. J’ajouterai qu’outre cela la police perçoit un million sur
les maisons de jeu.
M.
Dubus, pour justifier la section centrale, dit
qu’elle n’a pas procédé sans aucune base ; mais aussi elle a beaucoup accordé à
la confiance, car elle a senti qu’en matière de police, où il faut refuser les
fonds, ou les accorder en s’en remettant au ministre sur leur destination. Du
reste, il déclare que la section centrale a admis la majoration à l’unanimité.
M. Destouvelles.
- M. le ministre de la justice s’est rendu au sein de la section centrale et
lui a donné tous les renseignements pour montrer la nécessité possible de
l’allocation. Du reste, on ne peut indiquer d’une manière précise la
destination de cette somme.
M. d’Elhoungne.
- M. Lebeau est convenu que le gouvernement représentatif est un gouvernement
de défiance ; mais il a ajouté que c’était aussi un gouvernement de confiance
dans les cas exceptionnels. Je pense, messieurs, que ce raisonnement se détruit
pas lui-même. Il a dit en outre qu’un ministère n’existe pas sans confiance ;
oui, est-ce sans contrôle que les chambres accordent leur confiance à ce
ministère ? Non, messieurs ; ce n’est qu’à la condition de vérifier tous ses
actes.
Je pense, messieurs, que ce qu’ont
dit MM. Dubus et Destouvelles ne prouve pas que la section centrale ait reçu
tous les renseignements. On a dit que la parcimonie et les antécédents du
ministre répondaient du bon emploi des fonds ; mais c’est là un raisonnement
fallacieux, c’est faire une question de personne d’une question de principe.
Pour moi, je ne puis voter pour les dépenses de la police, parce que depuis 40
ans elle n’est jamais intervenue sans qu’on ne s’en soit ressenti d’une manière
fâcheuse.
M. A. Rodenbach
déclare retirer sa proposition de majorer l’allocation jusqu’à concurrence de
60,000 fl.
- La majoration de la section
centrale est mise aux voix et adoptée.
On passe ensuite au chapitre des
dépenses imprévues.
Chapitre IX. - Dépenses imprévues
M. le ministre de la justice (M. Raikem)
annonce qu’il est convenu avec M. le ministre de l'intérieur de transférer du budget
de ce dernier dans le sien une somme de 3,000 fl.
- Ce transfert est adopté.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1832
(DEPARTEMENT DE LA MARINE)
M. le président.
- Nous allons passer maintenant aux articles du budget de la marine qui avaient
été renvoyés à la section centrale.
Après un léger débat, dans lequel
quelques membres émettent l’avis d’attendre que le rapport que devait présenter
M. Dumortier sur cet objet soit imprimé, la chambre décide qu’elle passera
outre à la discussion.
Chapitre II. - Titre à retrouver
Articles 1 et 2
« Art. 1er. Service de sports et
des côtes : fl. 2,450. »
Cet article est adopté sans discussion,
ainsi que l’article 2 en ces termes :
« Art. 2. Matériel : fl.
2,873. »
Article 3
« Art. 3. Frais de la
quarantaine : fl. 19,780. »
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere).
- Messieurs, dans une séance précédente j’ai eu l’honneur de faire observer à
la chambre que cet article avait été majoré de 7,280 fl. pour l’établissement
de deux barques stationnaires dans l’Escaut, et de 8,000 fl. pour deux autres à
établir dans la suite, si cela était jugé nécessaire. Cette demande de ma part
a été provoquée par une lettre de M. le ministre de l'intérieur, qui me
prévenait que le bourgmestre et le président de la commission sanitaire
d’Anvers étaient d’avis qu’il fallait prendre de nouvelles précautions contre
l’invasion du choléra-morbus ; c’est pour cela que je vous ai demandé d’un côté
5,280 fl. pour les frais de deux barques stationnaires, et de l’autre 2,000 fl.
pour mettre le gouvernement à même de faire face aux dépenses nécessaires pour
réparer les avaries et les pertes qui pourraient avoir lieu. Quant aux 8,000
fl. pour l’établissement éventuel de deux nouvelles barques, j’ai été d’accord
avec la section centrale sur la suppression de cette somme, sauf à la prendre
plus tard, s’il était nécessaire, dans les fonds portés au chapitre VI pour les
dépenses imprévues.
M. Bourgeois.
- Je suis assez satisfait des explications que vient de nous donner M. le
ministre ; mais, au lieu des barques stationnaires dont il vient de parler,
n’eût-il pas été plus profitable d’employer à cet usage, comme un honorable
membre l’a fait précédemment remarquer, les canonnières qu’on a fait
construire. C’est là-dessus que j’eusse désiré avoir quelques explications ; je
demanderai aussi à M. le ministre si on a fait l’expertise dont parlait M. Osy
à une précédente séance, pour savoir si les canonnières étaient en état de
tenir la mer.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - En effet, l’observation que vient
de faire l’honorable préopinant avait été déjà produite par M. Osy. J’ai donné
à cet égard, à la section centrale, toutes les explications désirables, il en
est résulté la preuve qu’il y avait urgence à établir des barques stationnaires
; il en est résulté encore que le retard apporté à l’armement des brigantins et
canonnières ne pouvait être imputé au gouvernement. Ces canonnières ne
pourraient dans aucun cas être prêtes avant un mois ou six semaines, et nous
avons besoin de barques actuellement ; au lieu que dans deux mois, quand les
canonnières auraient été prêtes, nous n’en aurons plus besoin. Quant à
l’expertise pour savoir si les canonnières pourraient tenir la mer et si elles
pourraient être armées en guerre, vous sentez que depuis avant-hier il a été
impossible d’y faire procéder ; mais, des informations prises auprès
d’officiers expérimentés, il résulte que non seulement les canonnières
pourraient tenir la mer, mais qu’elles peuvent très bien être armées en guerre
sans danger pour l’équipage ; toutefois nous devons encore faire procéder à une
nouvelle vérification.
M. Bourgeois fait à demi voix une
observation qui n’arrive pas jusqu’à nous.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - D’ailleurs, il ne pourrait
résulter de la mise en mer des canonnières que l’économie du loyer des barques
; mais à Ostende elles ont été concédées au gouvernement par l’administration
du pilotage : à Anvers, j’espère qu’il en sera de même, en sorte qu’il ne
restera que les frais de l’équipage, qui seront moins élevés que ne le seraient
ceux de l’équipage des canonnières.
M. le ministre des finances (M. Coghen).
- Je ferai d’ailleurs observer que les canonnières ne pourraient servir comme
barques stationnaires, car le commandant de la citadelle ne les laisserait pas
naviguer dans l’Escaut.
- On met aux voix l’article 3.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). Fait observer qu’il y a eu erreur
dans le chiffre, et qu’au lieu de 19,780, il faut dire 20,180 fl.
Ce dernier chiffre est adopté.
Chapitre III
Article unique
« Art. unique. Traitement
effectif des officiers de marine : fl. 16,220. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Le chiffre de cet article, porté
d’abord à 5,820 fl., a subi une majoration, parce qu’un officier de marine
ayant rang de lieutenant-colonel avait été mis sous les ordres du ministre de
la guerre, et que celui-ci m’a fait observer qu’il fallait le faire reporter
sur les contrôles de la marine ; il y avait ensuite deux lieutenants de
vaisseau en disponibilité, qui ont été remis en activité de service ; enfin il
a fallu porter au budget la solde d’un officier belge revenu des Indes, qui,
jusqu’ici, n’a pas touché son traitement faute de fonds. La section centrale a
reconnu que ces officiers avaient des droits acquis, et elle n’a pas hésité à
voter les fonds nécessaires au paiement de leur solde.
- L’article est mis aux voix et
adopté.
Chapitre IV. - Armement et équipement des
bâtiments de guerre
Article premier
« Art. 1er. Personnel des deux
brigantins : fl. 20,740. »
M. Tiecken de Terhove. - M. le ministre nous demande une somme de 60,537 fl.
pour l’armement de deux brigantins, qui servirait à empêcher la fraude sur nos
côtes. Si j’ai la mémoire bonne, on leur a reproché des défauts de
construction, et on a élevé des doute même si ces bâtiments pourraient tenir la
mer. Avant d’accorder cette allocation, je désirerais savoir jusqu’à quel point
ces reproches sont fondés. D’autre part, je pense qu’ils ne pourront être
utilisés pour ce service qu’en cas de paix ; car, si nous avons la guerre, il
n’est pas présumable qu’ils puissent rendre ce service sans être exposés à être
enlevés par l’ennemi, dont la marine est si supérieure en nombre et en
expérience. Si la guerre éclate, peut-être pourrait-on les employer utilement
dans les eaux intérieures, et dans ce cas j’engage M. le ministre de hâter,
autant que possible, l’armement de ces bâtiments. Quant aux 100,000 fl. que M.
le ministre demande pour armement imprévu des canonnières, j’y donnerai
volontiers mon assentiment, si cet armement, en cas de guerre, peut être
effectué en temps utile, de manière qu’ils puissent servir à augmenter nos
moyens de défense ; car nous ne devons nous refuser à aucune dépense, qui doit
tendre à mettre le pays à l’abri de toute invasion, et rien, j’espère, ne sera
négligé par le gouvernement pour nous mettre à temps dans un état de défense
respectable. Je désire donc savoir de M. le ministre combien de temps il lui
faudra pour armer ces canonnières, et s’il a les marins nécessaires pour former
leurs équipages. Je me permets de lui adresser cette question pour savoir si,
en cas d’attaque, on pourra utiliser cette somme au but qu’on se propose, et au
moment du besoin. Si telle ne pouvait ou ne devait pas être sa destination, je
ne pourrais consentir à l’allocation d’une somme aussi considérable qui, en cas
de guerre, pourrait être employée plus utilement ailleurs. Dans une séance
précédente, on nous a dit qu’il était indispensable de nous créer une marine.
Mais une marine ne s’improvise pas, d’autant plus que nous manquons de
tous les éléments nécessaires ; car je cherche vainement parmi nous des hommes
spéciaux dans cette partie. Je ne sais non plus si nous avons de bons
constructeurs, des marins, enfin tout ce qu’il faut pour créer une marine ; et,
ce qui nous manque sans doute, c’est l’argent : bornons-nous donc, pour le
moment, au simple nécessaire, et ne donnons pas dans le rêve de vouloir créer
une marine comme par enchantement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- J’ai eu l’honneur, dans une précédente séance, de faire observer à la chambre
que j’avais fait connaître à la section centrale les motifs du retard de
l’armement des deux brigantins et des deux canonnières. Ces motifs sont
entièrement personnels à l’administration ; ils ont donné lieu à de graves
difficultés, et le gouvernement a même été, à cette occasion, entraîné dans un
procès. D’ailleurs, messieurs, vous sentirez qu’il n’est pas facile de marcher
vite dans un pays où il n’y a ni arsenal, ni chantier maritime. Du reste,
d’après les informations que j’ai prises, les brigantins pourront être armées
dans 15 jours, et les canonnières dans un mois.
- L’article est
mis aux voix et adopté.
Article 2
« Art. 2.
Matériel des deux brigantins : fl. 49,797. »
- Cet article est
adopté sans discussion, ainsi que les deux articles du chapitre VI ainsi conçu
:
Chapitre
VI
Articles 1 et 2
« Art. 1er.
Secours aux marins infirmes ou blessés au service de l’Etat : fl. 2,000. »
« Art. 2.
Armement imprévu des canonnières et dépenses imprévues : fl. 100,000. »
Le budget de la
marine se trouve ainsi voté entièrement.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1832 (BUDGET
DE LA DETTE PUBLIQUE)
Amendements
M. H. de Brouckere propose à la chambre de revenir sur le titre de la
dette publique, et de discuter les amendements proposés par M. d’Elhoungne,
Leclercq et Fallon (voyez la séance du 17 mars).
La
discussion est ouverte sur les amendements ; celui de M. d’Elhoungne est ainsi
conçu : « Néanmoins, le ministre ne disposera des crédits formant les
trois premiers articles de la dette publique, que jusqu’à concurrence de ce qui
sera effectivement dû à la Hollande, après déduction faite des dédommagements
qui reviendront à la Belgique pour les retards que le roi de Hollande met à
l’exécution du traité. »
L’amendement de M.
Leclercq est moins impératif, et celui de M. Fallon l’est encore moins que
celui de M. Leclercq ; en voici les termes : « Les sommes mentionnées aux
trois articles qui précèdent ne sont allouées que sous réserve des droits du
gouvernement à des dommages du chef des retards que le roi de Hollande apporte
à la ratification du traité, et sans qu’on puisse tirer de ces allocations
aucune conséquence préjudiciable. »
M. Milcamps. - Messieurs, je viens m’opposer à l’adoption des
amendements proposés aux trois premiers articles de la dette publique du budget
de 1832. Il me paraît, messieurs, qu’en introduisant dans la loi du budget l’un
ou l’autre de ces amendements, nous posons une cause de guerre ou nous portons
atteinte aux prérogatives de la couronne. Au premier abord, cela pourra vous
paraître paradoxal ; mais veuillez m’écouter.
Le pouvoir
législatif a autorisé le Roi à traiter avec la conférence ; le Roi a accepté et
signé le traité du 15 novembre 1831 ; par cet acte, le pays s’est obligé à
payer annuellement à la Hollande 8,400,000 fl. ; l’obligation de pays ne peut
résulter que de l’acceptation pure et simple de ce traité par la Hollande. Si
le roi de Hollande accepte, si les cinq cours représentées à la conférence
ratifient, c’est une affaire terminée.
Les honorables
auteurs des amendements, dont les vues sont louables sans doute, pour éviter
que la Hollande ne tire avantage des allocations pures et simples du budget, ou
plutôt pour donner de l’appui au gouvernement belge, proposent :
L’un, M.
d’Elhoungne, « de n’autoriser le ministre à disposer des crédits que
jusqu’à concurrence de ce qui sera effectivement dû à la Hollande, après
déduction faite des dédommagements qui reviendront à la Belgique pour les
retards que le roi de Hollande met à l’exécution du traité. »
L’autre, M.
Leclercq, « de n’allouer les sommes qu’à la charge par le gouvernement de
faire valoir les droits de la Belgique à la réparation des dommages que lui
occasionne la continuation de l’état de guerre, par suite des retards apportés
par la Hollande à la signature du traité de paix. »
Enfin, le
troisième, M. Fallon, « de n’allouer ces mêmes sommes que sous la réserve
du gouvernement à des dédommagements du chef des retards que le roi de Hollande
apporte à la ratification du traité, et sans qu’on puisse tirer des allocations
aucune conséquence préjudiciable. »
Je ne sais si je
me trompe ; mais il me semble que, en admettant dans la loi du budget l’un ou
l’autre de ces trois amendements, nous entendons que le gouvernement belge
n’exécutera le traité, ne paiera que sous la condition, ou la charge, ou la
réserve, exprimée dans la loi. Mais si le roi de Hollande ne veut pas souscrire
à cette condition, charge ou réserve, s’il exige l’exécution pure et simple du
traité, en ce qui concerne les 8,400,000 florins (et il ne manquera pas de
raisons, ne fût-ce que celle résultant du retard des trois puissances à
ratifier), voilà une source de difficultés ; voilà l’exécution du traité, et, disons-le,
le traité lui-même remis en question ; voilà une cause de guerre. Je ne
conteste pas aux chambres le pouvoir de mettre des conditions au subside
qu’elles accorderont, ni même celui de refuser le subside pour le paiement des
8,400,000 fl. ; mais je dis que, dans ce cas, c’est évidement provoquer la
guerre.
L’on me répondra
que les amendements ne tendent pas, d’une manière absolue, à l’inexécution du
traité en ce qui concerne l’acquittement des 8,400,000 fl., qu’on ne conteste
point ; mais qu’il ne s’agit que de prévenir toute exception, toute fin de
non-recevoir que la Hollande pourrait tirer de l’allocation pure et simple au
budget des sommes dues en vertu du traité ; qu’il n’est question que de
réserver les droits du gouvernement belge à des dédommagements résultant du
retard apporté par la Hollande à l’exécution des 24 articles. Mais vous
entendez donc, messieurs, qu’on va ouvrir des négociations à cet égard. Eh bien
! c’est justement là que je vois une atteinte à la prérogative royale : c’est
justement là que j’aperçois la confusion des pouvoirs.
Il s’agit,
dites-vous, d’ouvrir des négociations ; mais dans tous les gouvernements
connus, absolus ou constitutionnels, ce sont les ministres plénipotentiaires
qui négocient et signent les traités ou conventions entre puissances, et qui
attendent la ratification de leurs souverains respectifs pour en faire
l’échange. Ici les chambres sont incompétentes pour prendre part à des
négociations, à moins que les traités à conclure n’aient pour objet de grever
l’Etat, de diminuer ou d’augmenter les droits de douane, de stipuler une
cession ou un échange de territoire. Lorsque nous avons autorisé le Roi à
signer le traité du 15 novembre, nous aurions pu insérer dans l’autorisation
telle condition, telle charge ou telle réserve que nous aurions trouvée
convenable. Mais ce que nous pouvions alors, nous ne le pouvons plus
aujourd’hui qu’il s’agit de l’exécution d’un traité, qu’il s’agit d’entrer dans
des négociations au sujet du dédommagement à prétendre à la charge de la
Hollande, tous objets qui rentrent dans les attributions du pouvoir royal.
Représentons-nous la position de notre gouvernement en présence de la Hollande.
Notre ministre plénipotentiaire devra dire à celui de Hollande : « Mon
gouvernement ne peut exécuter le traité du 15 novembre, payer les sommes dues
en vertu de ce traité, que sous telle condition, sous telle
charge, sous telle réserve. Il ne le peut, parce que la loi s’y oppose. Mon
souverain, bien qu’il ne s’agisse que de l’exécution d’un traité, ne peut agir
proprio motu, mais en vertu des pouvoirs de la loi. » En vérité,
messieurs, je ne pourrai jamais consentir à placer notre gouvernement dans une
position semblable. Suivant la constitution anglaise (je cite ici les paroles
d’un grand orateur), « l’intervention du parlement est nécessaire dans les
traités, quand le roi stipule des subsides à payer. Depuis que les Anglais ont
adopté le système moderne des
« appropriations, » le roi de la Grande-Bretagne n’a plus entre ses
mains la libre disposition des fonds publics. Lorsque le parlement passe des
actes en conformité des subsides promis à une autre puissance, il n’entretient
aucune relation directe avec les princes étrangers, et il se borne à voter les
subventions convenues. » Agissons de même ici, messieurs, bornons-nous à
voter purement et simplement les subsides promis à la Hollande. Mettre à ce
vote des conditions, des charges ou des réserves, c’est contrevenir à la
constitution.
M. Verdussen. - Les amendements proposés tendent évidemment à
entraver la marche du gouvernement ; celui de M. d’Elhoungne est beaucoup trop
absolu, et celui de M. Leclercq ne l’est guère moins.
M. Leclercq. - Je renonce à mon amendement et me rallie à celui de
M. Fallon.
M. d’Elhoungne. - Moi de même.
M. Verdussen
combat celui de M. Fallon, et propose lui-même un amendement, tendant à réunir
les trois premiers articles de la dette publique en un seul, qui serait ainsi
conçu : « Montant approximatif de la somme à payer en exécution des 27
articles du traité de Londres du 15novembre : fl. 18,000,000. »
- Cet amendement
n’est pas appuyé.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, on s’est mépris sur le sens et l’esprit
de l’amendement de notre honorable collègue M. Fallon. On prétend qu’il ne
servirait qu’à entraver les négociations ; rien de semblable ne résulte de la
teneur de l’amendement. C’est une simple protestation de non-préjudice, qui ne
peut ni embarrasser le gouvernement, ni amener une rupture. Cet amendement
n’impose au ministère qu’une obligation morale, plutôt qu’une obligation
positive et déterminée. Mais alors, dira-t-on, à quoi cela servira-t-il ?
Messieurs, jusqu’ici nous nous sommes tenus dans une position extrêmement
humble vis-à-vis des puissances. Nous avons eu toujours l’air de leur dire :
« Que voulez-vous ? Parlez, nous sommes prêts à souscrire à vos désirs. »
Aujourd’hui, que fait-on ? La représentation nationale, appuyant le ministère,
veut faire sentir au roi Guillaume que le temps des concessions est passé, et
que les retards qu’il apporte à l’acceptation du traité peuvent, en définitive,
tourner à son désavantage, puisque des dommages et intérêts lui seront demandés
pour les préjudices résultant de ces retards.
L’orateur termine par quelques autres considérations peu importantes, et par un amendement relatif au
livre de la dette auxiliaire.
- Cet amendement
n’est pas appuyé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Je remercie l’honorable M. d’Elhoungne d’avoir renoncé à son premier
amendement ; sans cela j’eusse dû le combattre de toutes mes forces, parce
qu’il était de nature à embarrasser le gouvernement et à entraver les
négociations. Quant à celui de M. Fallon, je vous avoue qu’il me semble d’une
nature toute différente ; mais il est entièrement inutile, si même il n’est pas
dangereux. Je crains que nos ennemis ne s’en emparent pour refuser de coopérer
à la conclusion définitive de nos affaires : voilà comment l’amendement me
semble dangereux. Il est inutile, car M. d’Elhoungne convient lui-même qu’il ne
lie pas le gouvernement, et qu’il ne contient qu’une obligation morale. Mais,
messieurs, cette obligation morale existe déjà pour le gouvernement, et il l’a
remplie en partie, en représentant à la conférence de Londres le préjudice
immense que nous souffrons dans notre commerce, notre industrie, notre bien-être
intérieur, et en faisant valoir auprès des puissances les droits que nous avons
à une juste indemnité.
J’ai
prouvé que l’amendement était dangereux et inutile ; cela suffit pour le faire
écarter. Mais l’honorable membre veut, dit-il, donner une nouvelle force au
ministère, afin qu’il se montre plus énergique et qu’il fasse paraître que nous
ne serons plus disposés à souscrire à tout ce que les puissances voudront
ordonner. Messieurs, vous avez tous applaudi aux paroles que j’ai prononcées
naguère dans cette enceinte. L’appui patriotique, noble et généreux que vous
leur avez donné, a dû convaincre les puissances que ce serait en vain qu’elle
voudrait imposer à la Belgique des conditions attentatoires à son honneur. (Bravo ! bravo !) J’espère que la chambre
rejettera l’amendement.
M.
Fallon. - Je retire mon amendement.
Par suite du
retrait de l’amendement, il n’y aura rien à change au titre de la dette
publique déjà adopté.
La séance est
levée à quatre heures.