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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 février 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget du
département de la guerre pour l’exercice 1832 (Brabant)
3) Fixation de l’ordre des travaux de la
chambre. Budget de la guerre (de Robaulx, Fleussu, Delehaye), marché
Hambrouck (Jullien), biens des fabriques d’église (de Robaulx)
4) Réponse aux questions posées en relation avec
la communication diplomatique du gouvernement, notamment ratifications finales
et évacuation d’Anvers) (Gendebien, de Muelenaere, Osy, Gendebien, Jullien, Osy, de Robaulx, Osy,
Nothomb, Seron, Osy,
de Robaulx, de Haerne, Gendebien, de Haerne, de Muelenaere, Gendebien, de Robaulx)
(Moniteur belge n°42, du 11 février 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est
ouverte à une heure et demie.
M. Dellafaille fait l’appel nominal et lit le procès-verbal, qui est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Lebègue analyse plusieurs pétitions qui sont renvoyées à la
commission.
PROJET DE LOI PORTANT
LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’EXERCICE 1832
L’ordre du jour
est le rapport de la commission chargée de l’examen du budget de la guerre.
M.
Brabant, rapporteur. -
Messieurs, je viens au nom de la commission que vous avez chargée de l’examen
du budget de la guerre, vous présenter le rapport sur ses opérations. Des réductions
de crédit s’élevant à une somme de 1,877,078 florins sont le résultat de son
travail ; et, si l’économie n’a pas été poussée plus loin, c’est que, dans
l’état actuel des choses, nous avons craint de laisser le service en
souffrance. J’arrive aux détails. (Note
du webmaster. Ce détail n’est pas repris dans la présente version numérisée).
M. le président. - Il me semble que la chambre doit fixer le jour de
la discussion.
M. de Robaulx. - Il est nécessaire
d’attendre tous les rapports, et qu’une discussion soit ensuite ouverte sur
tous les budgets.
M. Fleussu. - Je ferai remarquer à notre
collègue que le budget de la guerre est une loi particulière, indépendante des
autres budgets.
M. Delehaye insiste pour qu’il y ait une discussion générale sur
tous les budgets.
- En conséquence,
la chambre ordonne seulement l’impression et la distribution du rapport.
M. Jullien. - Je demande la parole pour
une motion d’ordre. Il y a trois semaines, j’avais fait une proposition
relative au marché Hambrouck. Vous l’avez renvoyée à l’examen des sections.
Cependant je ne m’aperçois pas qu’on s’en soit occupé ; j’attribue cela à ce
qu’elle n’a pas été portée sur le bulletin de l’ordre du jour fixé pour nos
délibérations. Toutefois, messieurs, comme il résulte de cette proposition, si
elle est fondée, que la nation perd plusieurs mille florins par jour, je
demande qu’elle soit examinée dans les sections.
M. le président. - Elle viendra après les budgets.
M. Jullien. - M. le président ne m’a pas
bien compris ; je demande que les sections s’occupent dès demain de l’examen de
ma proposition.
M. de Robaulx. - Nous avons reçu deux
mémoires de la part des fabriques sur la question soulevée par les propositions
de MM. Brabant et Dubus. Dans la discussion sur la prise en considération, on a
dit que cette question était extrêmement grave ; et qu’il s’agissait d’une
interprétation. Eh bien ! si c’est un objet aussi important je demande que le
gouvernement nous dise, par l’organe de M. le ministre des finances, quels sont
les motifs qui l’ont engagé à exercer des poursuites contre les fabriques, et
quel sont ses moyens de poursuites ? Je désire que M. le ministre des finances
nous fournisse de son côté un mémoire explicatif.
M. Jullien. - Je ne comprends pas
pourquoi, à l’occasion d’une motion sur le marché Hambrouck, on vient nous
parler des fabriques… (on rit.)
M. de Robaulx. - C’est une autre motion
d’ordre que je fais.
M. Jullien. - Mais il n’est question en
ce moment que de la mienne. Je demande que M. le président consulte la chambre
pour savoir si elle entend adopter ma motion, tendante à ce que la proposition
que j’ai faite, il y a trois semaines, soit examinée, dès demain, par les
sections.
La chambre,
consultée, se prononce pour l’affirmative.
M. de Robaulx. - Comme M. le ministre des
finances est absent, je n’insiste pas sur ma motion. Je crois que, quand il
saura ce que je viens de demander, cela suffira pour qu’il y satisfasse.
La suite de
l’ordre du jour appelle les explications de M. le ministre des affaires
étrangères sur les questions qui lui ont été posées par MM. Gendebien et Osy.
M. Gendebien donne lecture des quatre questions qu’il avait
adressées dans la séance du 21 novembre dernier (voyez plus bas le discours de
M. le ministre des affaires étrangères), et il ajoute : Telles sont les
questions que j’avais adressés à M. le ministre, il y a trois mois. Sentant
qu’il y avait de l’inconvénient à exiger alors une réponse catégorique, je les
ai ajournées à un temps plus opportun ; je crois maintenant que ce temps est
arrivé.
M. le ministre des affaires étrangères
(M. de Muelenaere). - Messieurs, vous venez d’entendre les interpellations
que m’adresse M. Gendebien ; il me demande : 1° de déposer les deux notes
remises par le plénipotentiaire belge à la conférence, tendantes à obtenir des
modifications aux 24 articles.
Le texte de la
première de ces notes se trouve textuellement à la page 122 du rapport que j’ai
eu l’honneur de vous faire le 14 janvier dernier. La seconde, exclusivement
relative à la dette française n’a pas été publiée. Elle est assez longue ;
mais, si la chambre ou M. Gendebien le désire, je la déposerai sur le bureau.
M. Gendebien me
demande : 2° les demandes et prétentions ou modifications adressées à la
conférence par le roi de Hollande, et au sujet desquelles une réponse a été
faite par la conférence dans les termes identiques employés à l’égard du
ministre belge.
Messieurs, deux
notes ont été adressées par le gouvernement à la conférence pour obtenir des
modifications sur les 24 articles ; ni l’une ni l’autre n’ont été l’objet des
délibérations de la conférence, parce qu’elle a répondu que le traité du 15
novembre était final et irrévocable. Dès lors ces notes n’ont pas été
communiquées à la partie adverse. Mais, depuis, les prétentions de la Hollande
ont été longuement développées dans le mémoire du 14 décembre, qui se trouve à
la page 2 de mon mémoire. Si, en outre, on désire connaître toutes les
prétentions de la Hollande, on peut consulter le mémoire de la conférence du 4
janvier, qui se trouve à la page 21 de mon rapport, et de plus la dernière note
de la Hollande, que j’ai fait insérer dans le Moniteur et que je déposerai, si l’on veut, sur le bureau.
3° M. Gendebien
demande des explications sur le sens dans lequel on doit entendre la
ratification et l’échange à faire dans le terme de deux mois.
J’ai déjà eu
l’honneur de vous dire, dans mon rapport du 19 novembre, que l’échange des
ratifications n’est qu’une simple formalité diplomatique, dès qu’il est
constant que les plénipotentiaires des cinq cours s’étaient renfermés dans les
limites de leurs pouvoirs. Je persiste encore dans cette opinion. Ainsi, un
refus de ratification ne pourrait être motivé que sur un excès de pouvoir
commis par les plénipotentiaires respectifs des puissances ; car les
mandataires ont évidemment engagé les mandants par leur signature. On me dira :
mais à quoi tient donc le retard de trois des puissances ? Je crois qu’il tient
à des prétendues convenances politiques, aux liens étroits de famille qui lient
le roi Guillaume avec un monarque du nord, et qui font employer auprès de lui
tous les efforts pour l’engager à accéder au traité.
4° Enfin, M.
Gendebien demande quelles seraient les conséquence d’un refus de ratification
des cinq puissances ou de l’une d’elles. Heureusement le premier cas ne peut
plus se présenter : la France et l’Angleterre ont ratifié. Quant à l’Autriche,
à la Prusse et à la Russie, les conséquences de leur refus me semblent en
dehors des prévisions humaines. Chacun peut faire là-dessus telles conjectures
que bon lui semble. Quant à moi, je déclare qu’il m’est impossible d’en prévoir
le résultat. Mais il est bon, outre sa propre opinion, de consulter celle des
autres, et de savoir comment on envisage la ratification de l’Angleterre et de
la France dans les autres pays.
En Angleterre, à
la séance de la chambre des communes du 3 février, lord Palmerston, interpelé à
l’occasion de ce traité, s’est textuellement exprimé ; ainsi il a dit qu’un
traité signé par les plénipotentiaires des rois de l’Europe, et ratifié par le
roi d’Angleterre, devenait un « engagement de tout point complet et
obligatoire pour toutes les parties. » Vous voyez, que, dans l’opinion du
gouvernement britannique, il suffit que le traité ait été signé par les
plénipotentiaires de puissances, et même que le roi d’Angleterre l’ait signé
seul, pour qu’il soit définitif et obligatoire, non seulement vis-à-vis de l’Angleterre
et de la Hollande, mais encore pour toutes les autres parties. (Sensation.)
Lord
Palmerston, interpelé de nouveau sur la possibilité d’une refus de la part des
autres puissances, a dit encore « qu’il entretenait l’espoir le mieux
fondé que les ratifications des autres puissance arriveraient aussi. » Je
le répète, il est libre à chacun, tant que les faits ne sont pas accomplis, de
s’attendre à une issue différente.
Quant à moi, je
pense que, depuis le 31 janvier, nos affaires ont fait un pas immense, et que
les ratifications de la France et de l’Angleterre sont d’un heureux augure pour
la conclusion prochaine et définitive du traité.
M. Osy. - je demande que M. le
ministre veuille bien s’expliquer aussi sur la question que je lui ai posée
relativement à l’évacuation d’Anvers.
M. le ministre des affaires étrangères
(M. de Muelenaere). - M. Osy m’avait, en effet, adressée une demande dans
une de nos dernières séances ; mais je l’avais prié, ainsi que M. Gendebien, de
la déposer sur le bureau, et la chambre l’avait elle-même ordonné. M. Osy
n’ayant pas satisfait à cette formalité, j’ai cru qu’il se désistait de sa
demande. Il est vrai pourtant qu’il m’a fait parvenir ce matin une petite note,
par laquelle il renouvelle cette question. Dans cette position, je pourrais me
dispenser d’y répondre ; mais, si M. Osy le désire et si la chambre le permet,
je veux bien m’expliquer en quelques mots ; ce ne sera pas long.
L’exécution
du traité du 15 novembre est garantie par les puissances. Jusqu’à présent la
France et l’Angleterre seules ratifient le traité. Le roi de Hollande persiste
à refuser d’y accéder, et il est probable qu’il est confirmé dans son
obstination par le retard des puissances du Nord. Comme il se trouve en
possession de la citadelle d’Anvers, ce n’est que par la force seule qu’il
pourrait être contraint à l’évacuer. En droit, je crois que nous pourrions
invoquer l’appui de la France et de l’Angleterre pour cette évacuation ; mais,
vous le savez, le siège de la ville, qui a été retardé jusqu’ici par
considération pour ses habitants, les exposerait aux malheurs d’un bombardement
; il s’agit de savoir non ce qu’on est en droit de faire, mais ce qu’il
convient de faire. Dans cette situation, je demande à M. Osy s’il est d’avis de
procéder par la force, ou s’il ne vaut pas mieux attendre le résultat des
négociations pacifiques qui ont lieu entre les puissances.
(Supplément au Moniteur belge non daté et
non numéroté) M. Gendebien. - Messieurs, depuis un an, on
nous annonçait que le rôle de la diplomatie serait très court. Lors de 18
articles, on nous dit que nos affaires avaient fait un pas immense, et on l’a
répété aujourd’hui. Vous pouvez juger du pas immense que nous avions fait alors
par les 24 articles qui sont venus ensuite. S’il en est de même aujourd’hui, il
nous en arrivera encore douze, et d’ici à dix années, en faisant toujours des
pas immenses, nous arriverons à un traité définitif, si toutefois nous ne périssons
pas auparavant de consomption.
Je commence par
remercier le ministre des affaires étrangères d’avoir déposé sur le bureau la
note du gouvernement belge remise par notre plénipotentiaire à Londres ;
seulement, je regrette qu’il ne l’ait fait plus tôt. Quant à celle du
gouvernement hollandais, M. le ministre a dit qu’il l’allait fait insérer dans
le Moniteur. Il ne me reste qu’une
seule question à lui faire, c’est celle de savoir si cette note est exactement
conforme à celle remise par le plénipotentiaire hollandais à la conférence, ce
dont j’aime à ne pas douter.
J’ai demandé, dans
le temps, des explications sur le sens dans lequel on devait entendre la
ratifications et l’échange à faire par les puissances, parce que l’article 3
additionnel du traité, qui en est le 27ème, ne me paraissait pas clair. Cet
article est ainsi conçu : « Le traité sera ratifié et les ratifications en
seront échangées dans le terme de deux mois, ou plus tôt si faire se
peut. » Ce texte, dis-je, ne me paraissait nullement clair : l’explication
est arrivé trois mois après ; les événements ultérieurs prouveront si je
l’avais bien interprété. Par ces mots « le traité sera ratifié, »
j’ai compris que les plénipotentiaires des puissances n’avait traité que sauf
ratification, et j’en tirai la conséquence qu’il ne portait rien de définitif :
l’expérience a démontré que je ne m’étais pas trompé. C’est dans ce sens qu’un
ministre prudent eût entendu la chose, et il se serait abstenu de donner à la
nation de fausses espérances. (Ici l’orateur lir la dernière phrase du rapport
de M. de Muelenaere, dans laquelle le ministre dit que le traité est
irrévocable, et que l’échange des ratifications n’est plus qu’une simple
formalité.) Le ministre, ajoute-t-il, persiste encore dans cette opinion, bien
que trois mois d’attente nous aient fait voir que ce n’est pas ainsi qu’on
entendait l’article 27.
Eh ! messieurs,
rappelez-vous que lorsque le traité fut signé à Londres le 15 novembre, le
ministre vous disait qu’il avait été arrêté un mois auparavant, c’est-à-dire le
15 octobre ; et il vous faisait remarquer que, puisqu’il s’était écoulé assez
de temps entre ces deux époques pour que les puissances eussent envoyé leurs
instructions à chacun de leurs représentants, il s’ensuivait que leur signature
était une véritable ratification ; Je faisais observer, moi, que si un mois
avait suffi pour que les puissances prissent connaissance du traité et fissent
parvenir leurs intentions à leurs plénipotentiaires, il était étonnant que l’on
demandât encore deux mois pour l’accomplissement de ce qu’on n’appelait qu’une
simple formalité. Je faisais observer en outre que c’était un piège, et l’on a
donné dans ce piège. Eh bien ! au bout de trois mois nous voyons que ma
prévision est confirmée : seulement nous avons donné le temps aux puissances
d’organiser leurs forces.
On vous a dit
aussi qu’un refus de ratification ne pouvait être motivé que sur un excès de
pouvoir des plénipotentiaires représentant les puissances à Londres. C’est une
erreur grave, messieurs : il ne peut pas y avoir d’excès de pouvoir, puisque le
traité a été fait après l’échange des pouvoirs. Disons-le nettement, le refus
d’adhérer au traité n’est que la conséquence de ce traité lui-même, et, si le
ministère avait voulu y voir, il ne serait pas tombé dans l’erreur et n’aurait
pas trompé la nation ; il aurait reconnu que le traité n’était définitif
qu’avec les ratifications.
M. le ministre est
venu nous annoncer que les causes du retard que mettaient les puissances à
ratifier étaient de certaines convenances politiques ; mais ces prétendues
convenances n’existaient-elles pas il y a trois mois comme aujourd’hui ?
Pourquoi donc nous dire que le traité est irrévocable ? Vous voyez que cette
réponse n’a pas plus de force aujourd’hui qu’elle n’en avait il y a trois mois.
Depuis lors, de raves événements ont eu lieu. La Pologne a été écrasée. Malheur
aux peuples maintenant qui n’auront pas la force de se défendre, et qui
continueront à suivre la carrière bourbeuse de la diplomatie !
J’ai demandé
ensuite quelles seraient les conséquences d’un refus de ratification de la part
des cinq puissances ou de quelques-unes d’elles. Le ministre n’a pas hésité à
répondre que le traité était obligatoire pour toutes les puissances. C’est se
perpétuer volontairement dans une erreur grossière ; car, encore une fois,
lisez l’article 27, et vous verrez que leur ratification est nécessaire. La
France et l’Angleterre ont ratifié, mais elles pourront toujours venir dire :
Il fallait l’adhésion de toutes les puissances ; et, comme nous ne sommes que
deux qui donnons cette adhésion, le traité est non avenu. Voilà pourquoi
j’avais demandé que la nation se mît en mesure de repousser la force par la
force, qu’elle comptât sur elle-même, et non sur les fallacieuses promesses de
la diplomatie. Eh bien, on s’est soumis à tout ce qu’a prescrit la conférence,
et nous sommes toujours dans le même état !
Relativement
à la question qu’avait faite M. Osy, M. le ministre a demandé s’il était bien
sage de contraindre par la force le roi de Hollande à évacuer Anvers, et l’on
nous a représenté les malheurs d’un siège. Mais, en abondant dans le sens de M.
de Muelenaere, puisque le ministère anglais et le nôtre pensent que le traité
est désormais obligatoire pour tous, je ne vois pas pourquoi il serait besoin
de faire le siège et d’incendier Anvers afin de parvenir à l’évacuation. Dès
lors, nous n’avons qu’à déplorer les sacrifices honteux que nous avons faits,
puisque nous ne sommes pas plus avancés et que nous sommes toujours dans la
même nécessité de recourir à la force.
Je sais faire la
part de la position du ministère, je sais qu’elle est pénible ; mais je
regrette qu’il n’ait pas senti plus tôt qu’il était dans l’erreur, et qu’il
avait eu tort de faire une promesse trompeuse ; je regrette qu’il n’ait pas réalisé
le désir que j’exprimais de le voir se mettre en mesure.
M. Jullien. - Messieurs, il est
difficile, après avoir entendu les communications données par M. le ministre
des affaires étrangères, de ne pas se sentir humilié du rôle que nous fait
jouer ici la conférence de Londres, avec ses 55 protocoles. (Hilarité.) Il est temps cependant,
messieurs, que tout le monde sache que, si notre bonne foi est extrême, notre
crédulité du moins a des bornes ; il est temps de repousser les déceptions, de
quelque part qu’elles viennent, et de cesser d’abuser le pays en nous abusant
nous-mêmes. Nous avons appris à nos dépens jusqu’où peut mener une aveugle
confiance : ne nous exposons pas à une seconde surprise, car elle pourrait être
mortelle ; et puisque le passé est la leçon de l’avenir, invoquons un instant
nos souvenirs, et examinons avec calme, sans récriminations, sans prévention,
quelle est notre position actuelle, où nous sommes, où nous allons.
Pour prendre la
diplomatie en flagrant délit, je n’aurai pas besoin de remonter au-delà des 18
articles. Rappelez-vous seulement le langage qu’on vous tenait alors. « Si
vous refusez, vous disait-on, vous déchaînez la guerre avec tous ses fléaux,
vous allumez l’incendie qui menace d’embraser le monde, tandis qu’en acceptant,
vous consolidez la paix générale, vous assurer à jamais votre indépendance
; » et, comme si les plus chers intérêts de la patrie n’eussent pas suffi
pour vaincre vos résistances, on vous faisait crier par une voix polonaise :
« Le sort de la Pologne est dans vos mains ; Belges, sauvez la Pologne
! » (Mouvement.)
Eh bien ! ces 18
articles, vous les avez acceptés, et la question de la paix s’est compliquée
d’un protocole de plus (nouvelle hilarité),
et votre indépendance est devenue plus précaire que jamais, et vous savez si la
Pologne a été sauvée !
Pendant qu’on vous
adressait ces paroles trompeuses, on préparait à ce peuple héroïque de
sanglantes funérailles, dont l’Europe est destinée à porter longtemps le deuil.
Cette combinaison
ainsi épuisée, une autre devait lui succéder. Les 24 articles furent livrés à
vos discussions ; pour cette fois, c’était l’arrêt du destin ; les conditions
étaient finales, irrévocable, et il nous fut déclaré, de par la conférence, que
les cinq puissances étaient résolues à en amener elles-mêmes l’acceptation
pleine et entière, et à user de tous les moyens en leur pouvoir pour obtenir
notre assentiment.
C’est alors que,
pour soutenir le grand œuvre, vous avez vu accourir le ban et l’arrière-ban de
notre diplomatie, chargée de vous révéler, dans le secret de nos délibérations,
les hautes pensées qui semblaient avoir animé le grand aéropage.
Je ne vous
rappellerai point de pénibles souvenirs ; nos débats sont encore présents à
votre mémoire, et, si les intentions de la minorité ont été méconnues et ses
prévisions dédaignées, on vous rendra du moins la justice de dire que, tout en
acceptant les 24 articles, vous avez protesté à la face du monde que vous ne
cédiez qu’à la contrainte et à l’impérieuse loi de la nécessité. Vous n’avez
pas oublié sans doute l’anxiété avec laquelle on attendit le résultat de
l’acceptation, jusqu’à ce qu’on vous eût annoncé le traité du 15 novembre ; et
alors, chose bizarre !, peu s’en fallut qu’à la différence du grand peuple qui
n’allait au capitole rendre grâces aux dieux que dans des jours de triomphe,
que nous ne fussions en corps entonner un Te Deum, et remercier le
Tout-Puissant de ce que la conférence avait daigné agréer le traité
qu’elle-même nous avait imposé et nous avait contraints d’accepter un mois
auparavant.
Ce traité,
augmenté de trois articles, porte, article 27, qu’il sera ratifié ; et les
ratifications en seront échangées dans le terme de deux mois, ou plus tôt si
faire se peut.
Après tant de combinaisons,
tant de lenteurs calculées, tant d’espérances trompées, le terme paraissait
bien long ; mais comment douter de la sincérité de la conférence ! Ecoutez
plutôt notre diplomatie ; c’est elle qui va parler : « Le traité ayant été
conclu par des ministres munis de pleins pouvoirs qui ont été échangés et
trouvés en bonne et due forme, l’échange des ratifications et la ratification
elle-même ne sont plus que de simples formalités diplomatiques ; le traité est
dès à présent définitif et irrévocable. » Ainsi le traité devait être
échangé au plus tard le 15 janvier dernier ; mais, au lieu de ratifications,
c’est un protocole du 11 janvier, portant le numéro 54, qui nous annonce que le
délai est prorogé au 31. Du reste, pas le moindre embarras dans la diplomatie ;
les choses sont toujours à la même place, et c’est seulement la difficulté des
communications, à cette époque de l’année, qui est la cause du retard.
Enfin, le 31
janvier arrive, et avec lui le protocole du même jour, n°55 ; plus les
ratifications de S. M. le roi des Français et de S. M. britannique ; et, quant
aux ratifications des trois autres puissances, les distances et les
explications dont le traité du 15 novembre a été suivi n’ont point laissé à ces
cours le temps de les expédier à leurs plénipotentiaires ; mais on a l’espoir
fondé qu’elles viendront, et, en attendant, ces plénipotentiaires ont demandé
que le protocole restât ouvert, et la conférence a décidé que le protocole
resterait ouvert. (Hilarité.)
Vous ne me
demandez pas, sans doute, de commentaires sur toutes ces déclarations : les
faits parlent, et vous pouvez facilement les apprécier ; mais je proposerai ce
dilemme :
Ou bien les
plénipotentiaires des cinq grandes puissances étaient munis de pleins pouvoirs
échangés et trouvés en bonne et due forme ;
Ou bien ces
plénipotentiaires ne pouvaient traiter que sous l’approbation de leurs cours.
Dans le premier
cas, notre gouvernement a eu raison de nous dire que l’échange des
ratifications et les ratifications elles-mêmes n’étaient plus que de simples
formalités de chancellerie.
En effet,
messieurs, c’est un principe du droit civil et qui n’est pas méconnu, que je
sache, par le droit des gens, qu’on est censé faire par soi-même ce qu’on fait
par son mandataire.
Si donc les
plénipotentiaires étaient munis de pleins pouvoirs en bonne et due forme, il
est incontestable qu’en signant le traité du 15 novembre ils ont obligé
irrévocablement leurs souverains.
Dans le second
cas, et si notre gouvernement nous avait induits en erreur, c’est à lui que nous
devrions nous en prendre ; mais la justice veut que je dise que le traité même
semble détruire cette supposition, puisqu’on y lit que c’est après avoir
échangé leurs pleins pouvoirs trouvés en bonne et due forme que les
plénipotentiaires ont arrêté et signé les articles qui suivent.
Maintenant,
messieurs, j’examine dans quelle position nous placent les ratifications de la
France et de l’Angleterre, ce qu’elles nous laissent à craindre ou à espérer.
Tout à fait
étranger à la diplomatie, c’est vous dire assez que je ne mettrai dans cet
examen que simplicité et bonne foi.
Ne perdez pas de
vue que, d’après l’article 24 du traité du 15 novembre, ce n’est qu’après
l’échange des ratifications du traité à intervenir entre la Hollande et la
Belgique que nous pouvons espérer l’évacuation de notre territoire ; et,
d’après l’article 25, ce sont les cours d’Autriche, de France, de la
Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, qui garantissent à S. M. le roi des
Belges l’exécution de tous les articles du traité.
Or, le roi des
Français n’a fait autre chose, par l’acte déjà signé depuis le 24 novembre, que
ratifier le traité conclu entre l’Autriche, la France, la Grande-Bretagne, la
Prusse et la Russie d’une part, et S. M. le roi des Belges qui s’est
« associé aux intentions des cours ci-dessus mentionnées. » Faites
bien attention à ces expressions.
Que ratifie, à son
tour, S. M. britannique par l’acte portant la date du 6 décembre ? Elle ratifie
le même traité entre elle et ses bons frères l’empereur d’Autriche, le roi des
Français, le roi de Prusse et l’empereur de toutes les Russies d’une part, et
son bon frère le roi des Belges d’autre part ; et elle l’exécutera dans tout
son contenu, « pour autant qu’il est en son pouvoir. »
Il paraît donc
évident, quoi qu’on en dise, que, bien loin de se séparer des trois autres
puissances, ces deux cours restent unies avec elles dans les liens du même
traité ; ce qui veut dire qu’aussi longtemps que ces trois puissances n’auront
pas ratifié, ce traité restera incomplet, et aucune des parties contractantes
ne sera pas plus obligée qu’elle ne l’était le 15 novembre au jour de la
signature.
Toute la
différence qu’il y a, c’est qu’alors des délais étaient fixés pour la
ratification, tandis qu’à présent le protocole est ouvert.
Voilà, messieurs,
notre position telle que je peux la comprendre ; je ne demande pas mieux qu’on
nous la présente sous un plus beau jour ; mais, de quelque manière qu’on
cherche à l’expliquer, c’est au gouvernement à réclamer, avec toute l’énergie
que donne le bon droit, l’exécution du traité. S’il est, comme on l’a dit,
définitif et irrévocable, qu’il ne craigne pas de rappeler à des rois cette
belle maxime d’un de leurs pareils, que : « Si la bonne foi était bannie
de la terre, c’est dans le cœur des rois qu’elle devrait se retrouver. »
Si nous ne pouvons
pas déployer une grande force, montrons au moins de la dignité.
Qu’avons-nous
gagné jusqu’à présente à nous abaisser, à nous humilier devant les puissances ?
Voyez, comparez et jugez.
La Hollande a compris
que c’en était fait de l’indépendance d’un peuple quand il souffrait qu’on
intervînt jusque dans son administration intérieure, et qu’on lui dictât des
lois avant de l’avoir vaincu. Elle n’a pas voulu reconnaître le jugement
d’arbitres qu’elle ne s’était pas donnés, et le roi Guillaume a fait, le 14
décembre, des remontrances énergiques à la conférence.
Aussi, voyez, par
la réponse du 4 janvier, comme la conférence lui parle chapeau bas, avec quelle
attention délicate, quelles paroles flatteuses on réfute ses arguments, comme
on craint de blesser sa susceptibilité, avec quelles protestations de
considération, de respect, on termine la note en des termes que je ne peux
m’empêcher de reproduire :
« Loin de
vouloir faire descendre le roi des Pays-Bas du haut rang qu’il occupe en
Europe, les cours représentées à la conférence n’ont eu en vue que de l’y
maintenir dans toute sa dignité, dans toute son influence, dans toute sa
considération. »
Voilà,
messieurs, ce qu’obtiennent la fermeté et le courage, tandis que nous,
véritable partie lésée, c’est à peine si on a daigné répondre, de la manière la
plus sèche, qu’il n’y avait rien à changer ni à modifier aux 24 articles.
Dites-moi maintenant, messieurs, si nous devons croire très rapprochée l’époque
où les grandes puissances, ensemble ou séparément, emploieront des moyens
coercitifs contre leur bon frère le roi des Pays-Bas.
Messieurs, ce
n’est pas en se mettant à genoux qu’on obtient grâce ; et l’exemple d’un ennemi
est quelquefois bon à suivre. J’espère que les ministre m’entendront, et qu’ils
feront bientôt cesser cet état d’inquiétude et d’anxiété dans lequel la nation
gémit et s’épuise depuis longtemps.
(Moniteur belge n°42, du 11 février 1832)
M. Osy. - M. le ministre des affaires étrangères a éludé la
question que je lui avais faite, en nous parlant des malheurs qui résulteraient
d’un siège pour la ville d’Anvers. Je crois qu’il serait très embarrassé de
nous dire si la France et l’Angleterre sont décidées à faire exécuter le traité
; mais il me semble qu’en tous cas la nation ne devrait pas continuer de se
laisser traîner à la remorque de la conférence, et prendre d’autres moyens pour
contraindre la Hollande. Nous avons fait ce qui nous a été prescrit, et
cependant nous n’en sommes pas plus avancés. Eh bien ! maintenant, parlons-lui
d’une manière énergique et non plus chapeau bas, comme le disait tout à l’heure
M. Jullien ; déclarons-lui qu’à dater du 15 janvier nous déduirons de la dette
hollandaise les frais du pied de guerre auxquels nous force l’obstination du
roi Guillaume ; vous savez tous que ce serait une somme considérable ; il ne
s’agirait de rien moins que de 15 millions. Voilà ce qu’il faut faire. Si nous
n’avons un ambassadeur à Londres que pour rester dans l’antichambre de la
conférence, c’est inutile. Parlons enfin avec fermeté. (Appuyé ! appuyé !)
M. de Robaulx. - Je n’ai jamais aimé la
diplomatie, et je proteste contre tous ses actes ; mais j’éprouve le besoin de
faire ici une observation. Dans le temps, lorsqu’il y avait dans le peuple une
énergie révolutionnaire, lorsque nos volontaires marchaient en avant, je
demandais la guerre. Eh bien ! M. Osy et compagnie m’ont répondu : « Que
voulez-vous faire ? Voyez quelle sera la position déplorable des villes
d’Anvers et de Maestricht ! » Mais aujourd’hui je viens de voir M. Osy
prendre une attitude belliqueuse… (Hilarité
générale.)
M. Osy. - Je demande la parole.
M. de Robaulx. - Eh bien ! moi je réponds : C’était avant qu’il
fallait demander la guerre ; mais aujourd’hui qu’il n’y a plus d’énergie, et
que, par votre décision pusillanime, vous avez découragé les patriotes, vous
n’avez plus le droit de prendre cette attitude martiale ! Le ministère, que
vous voulez faire agir aujourd’hui par la force, a été chargé par vous d’un
rôle tout contraire. Oubliez-vous donc que vous avez envoyé un ambassadeur à
Londres pour rester dans l’antichambre de la conférence, qu’il est là le complice
involontaire de la mystification qu’on vous y prépare, et qu’il arrive, quand
tout est fini, pour dire Amen ? (On rit.)
Voici ce que je réponds à ceux qui veulent la guerre aujourd’hui. Je dis : Le
mouvement de l’Europe aura lieu, et vous subirez la conséquence de votre
honteuse décision. Grâce à Dieu, je n’ai point eu l’ignominie d’y prendre part
! mais la prudence aujourd’hui veut que nous ne nous lancions pas seuls dans la
guerre. La France est là ! C’est à elle qu’est confiée la cause des résolutions.
Nous nous réunirons à elle quand il en sera temps.
M. Osy. - M. de Robaulx dit que je
veux la guerre. Non, messieurs, je ne la veux pas ; loin de là ; je crois que
nos affaires s’arrangeront sans la guerre. Je désire seulement, pour hâter
cette conclusion, que l’on déclare à la conférence et à la Hollande qu’à dater
du 15 janvier nous déduirons le pied de guerre du pied de paix sur la dette qui
nous est imposée, puisque c’est pas l’entêtement de Guillaume que nous sommes
forcés de faire des dépenses extraordinaires.
M. Nothomb. - Messieurs,
il se passe parmi nous des choses bien singulières, je pourrais même dire une
chose inouïe dans les fastes parlementaires : nous voyons d’intervalle en
intervalle, d’époque en époque, quelques hommes faire le procès, non pas au
gouvernement, mais à la majorité, flétrir ses décisions, révoquer en doute, non
pas les doctrines, mais des faits qui sont de notoriété en Europe. Les orateurs
que vous venez d’entendre ont parcouru toutes les phases de la diplomatie ; ils
n’y ont vu que des actes honteux et déshonorants, des décisions désastreuses.
Si un étranger nouveau venu parmi nous, ignorant l’histoire de notre
révolution, assistait à cette séance, il pourrait croire que nous sommes encore
dans le provisoire, qu’il n’y a pas de Belgique ; qu’après avoir parcouru un
cercle fatal nous sommes arrivés, de désappointement en désappointement, à ce
moment où l’on se voir arrêté par l’impossible. Eh bien ! il n’en est rien. La
Belgique existe, elle s’est constituée pacifiquement avec un roi de son choix ;
et ici, messieurs, j’aborde la discussion qui a été si inopinément soulevée. Je
regrette que celui qui a parlé immédiatement avant moi ait quitté cette
enceinte.
M. Seron. - Il va revenir. (On rit.)
M.
Nothomb. - J’aurais pris son opinion pour point de départ.
M. Seron. - Je vais le chercher.
L’honorable membre
se lève en effet, et se dirige vers la salle des conférences. (Hilarité générale. Interruption.)
MM. Seron et de
Robaulx rentrent immédiatement.
M.
Nothomb poursuit ainsi. -
Je dois rendre hommage, non pas au système de l’honorable préopinant, mais à sa
marche conséquente, mais à la persistance qu’il a mis à la suivre. Il a compris
qu’il y avait deux systèmes : celui de la propagande et de la guerre générale,
le système pacifique et de négociations. C’est entre ces deux systèmes que
l’Europe s’est trouvée partagée dès la révoluton de juillet. Il y a des hommes
qui se sont placés tour à tour dans l’un ou l’autre, suivant leurs préjugés ou
leurs intérêts du moment, réduits ainsi à blâmer alternativement ce qu’ils
avaient précédemment adopté, à louer ce qu’ils avaient auparavant rejeté. Je
comprends donc l’indignation qui animait tout à l’heure l’honorable préopinant,
lorsqu’il vous signalait la position équivoque et contradictoire de ces hommes.
Messieurs, la
diplomatie comme la guerre a ses marches et ses contremarches ; mais je vois
souvent un progrès là où les honorables préopinants ne voient que des
mouvements rétrogrades ; C’est ainsi que je regarde les 18 articles comme un
grand progrès ; et les événements sont là pour me justifier. Rappelez-vous dans
quelles circonstances les préliminaires ont été, non pas imposés au congrès,
mais librement acceptés par lui. Il fallait trouver une transaction telle que
l’avènement du roi choisi par nous fut possible sans rompre avec l’Europe.
C’est cet acte sagement adopté par nous qui a rendu une Belgique possible et
une royauté possible en Belgique ; et en effet, effacez pour un moment cet acte
qui vient se placer si heureusement entre les premières bases de séparation et
le traité définitif ; la Pologne, dont je déplore les malheurs autant qu’un
autre, la Pologne n’en aurait pas moins péri ; notre révolution aurait eu le
même sort : le point d’arrêt qui devait nous rattacher au système européen nous
eût manqué. La France se serait trouvée dans l’alternative, ou de nous
conquérir, ou de nous abandonner : de nous conquérir, en entreprenant une
guerre générale ; de nous abandonner, en consentant à une restauration.
L’Italie, la Pologne ont succombé, parce qu’elles n’ont pas eu le bonheur, comme
nous, de pouvoir, par la diplomatie, concilier leur révolution avec les
exigences d’une politique européenne. Je suis presque confus, messieurs,
d’entrer dans tous ces détails, qui ne sont ignorés de personne, et qui, pour
un moment, ont semblé effacés du souvenir des préopinants.
Un
des grands défauts de leurs discours est le manque de conclusion. Je leur
demanderai ce qu’ils veulent, où ils vont ? Je leur poserai de nouveau cette
éternelle question de la paix ou de la guerre ? Dites-le, et de grâce concluez
une fois. Voulez-vous la guerre ? Dites-le, et de grâce concluez une fois.
Voulez-vous le système pacifique ? Parlez, et dès lors félicitez-vous avec nous
du dernier résultat que nous venons d’obtenir, de cette double ratification qui
implicitement opère entre l’Angleterre et la France cette alliance appelée par
les vœux de tous les amis des libertés constitutionnelles. Je vous disais que
les discours auxquels je réponds manquent de conclusions : je me trompe. M. Osy
a conclu. Il vous a dit : Déclarons à la conférence de Londres que, pour chaque
jour de retard apporté à la ratification par le roi de Hollande, nous
décompterons, du total de la dette, une somme égale à la dépense que nous
occasionne le maintien de l’armée sur pied de guerre. Cela me rappelle qu’à
l’époque de la discussion des 18 articles, un honorable préopinant proposait au
congrès d’obtenir l’évacuation de la citadelle d’Anvers, en déclarant au
général hollandais que, si à tel jour elle n’était pas évacuée, la garnison
serait passée au fil de l’épée. (On rit.)
Cette déclaration n’est pas plus ridicule que celle que vous propose M. Osy.
Quel moyen coercitif avez-vous, en effet, hors la guerre, contre le roi de
Hollande ? Or, M. Osy ne veut pas la guerre. (Rire et agitation.) Pour donner quelque valeur à cette déclaration,
il faut la faire suivre d’une autre qui serait une inconséquence dans le
système pacifique. Il faudra ajouter, si le roi de Hollande ne consent pas à
supporter cette espèce d’amende : Nous l’y forcerons, nous lui ferons la
guerre. M. Osy, qui avait jusqu’ici voulu la paix, prend donc maintenant une
attitude belliqueuse. (Nouveau rire.)
M. Osy. - Je demande la parole.
M. Nothomb. - Je
crois n’avoir rien dit de trop. Votre volonté ne suffit pas pour vous délier de
vos engagements quant à la dette. S’il suffisait de dire : Je ne paierai pas,
il y a longtemps que nous l’aurions dit. Ce n’est que par la force que nous
pourrions soutenir cette prétention injuste en elle-même. Je ne reviendrai pas
sur les autres faits qui ont été dénaturés par les préopinants. Depuis le
premier acte diplomatique, quinze mois se sont écoulés ; en terminant, je
demanderai à mon tour : Qu’avons-nous gagné ? L’existence que nous n’aurons
jamais eue par la guerre générale ; car cette guerre nous eût rendus à la
Hollande ou à ce qu’on appelle la grande nation.
M. Osy. - Je suis étonné que, malgré
la déclaration que je viens de faire, M. Nothomb ait persisté à dire que je
voulais la guerre. Je le répète, je suis loin de vouloir la guerre ; mais je
demande que l’on fasse à la conférence une déclaration ferme et énergique.
M. de Robaulx. - je n’ai pas quitté la salle
pour éviter d’entendre l’honorable membre auquel, d’ailleurs, je rends justice.
Il a reconnu que mon système était le meilleur…
M. Nothomb. - Non pas ;
j’ai reconnu que vous aviez été conséquent dans votre système.
M. de Robaulx. - Tandis que beaucoup
d’autres ne l’étaient pas.
M.
Nothomb. - Précisément. (On
rit.)
M. l’abbé de Haerne demande si, dans le cas où les trois puissances du Nord refuseraient
leur ratification, le traité serait encore indissoluble et obligatoire pour
nous.
M. Gendebien. - On vous a dit qu’il y avait
dans la chambre, comme dans le congrès, deux systèmes différents. On nous a
interpelés pour savoir si nous voulions la guerre immédiate. Je vous prie de
remarquer, messieurs, que c’est toujours la même accusation : ici ce n’est à
vrai dire qu’une insinuation. Chaque fois que dans le congrès nous prédisions
ce qui arrive aujourd’hui, on nous répondait : Vous voulez la guerre ; Eh bien
! j’ai déclaré plusieurs fois que je n’étais pas d’avis de faire la guerre,
parce que nous n’étions pas en mesure. Aujourd’hui je ne pense pas que nous
soyons abattus. Quand on cessera de renier la révolution, quand on cessera
d’être injuste envers ceux qui ont conquis notre indépendance, et que les
patriotes ne seront plus renvoyés sans pain, on verra alors que la nation ne
manque pas d’énergie ; il manque des hommes de talent pour en tirer parti. Mais
il ne faut pas effrayer les citoyens par des paroles pusillanimes ; c’est un
langage même qu’il faut tenir au peuple, et surtout à un peuple brave comme le
nôtre. On a beaucoup parlé contre la guerre de principe et de propagande. Eh
bien ! si la France avait voulu, le drapeau brabançon flotterait en ce moment
sur les rives du Rhin et du Waels.
Aujourd’hui, les puissances laissent tomber leur
masque ; car il n’est plus douteux qu’il existe une dissidence au sein de la
conférence. Si elles ne sont plus d’accord, ce que nous avions prévu est près
de se réaliser, c’est-à-dire la guerre générale, où la France et la Belgique
auront à lutter contre toute l’Europe. Eh bien ! n’effrayez plus la nation, et
soyez sûrs que, quand vous ne refuserez plus au peuple le fruit qu’il a voulu
retirer de la révolution, il fera son devoir, croyez que la France et la
Belgique se montreront dignes d’elles, quand elles auront leur honneur et leur
indépendance à défendre.
Je me résume. Je
regarde comme calomnieuse toute assertion qui tend à faire croire que je vous
dise autre chose que ceci : Préparez-vous à la guerre, car la guerre est
proche.
M. de Haerne
répète sa question à M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre
des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il me semble qu’il y a une
confusion d’idées relativement à ce qui a été dit sur l’obligation du traité.
J’ai dit qu’il ne suffisait pas d’avoir son opinion personnelle, mais qu’il
importait surtout de savoir l’opinion des autres puissances de l’Europe ; et
j’ai eu l’honneur de citer les paroles de lord Palmerston à la séance de la
chambre des communes du 3 février, desquelles il résulte qu’il considère le
traité obligatoire pour toutes les parties. Je prie M. de Haerne de ne pas
insister, parce que je désirerais ne pas exprimer mon opinion personnelle avant
que les négociations soient terminées.
M. de Haerne. - Je regrette de ne pouvoir me rendre à l’invitation de
M. le ministre. Mais, puisqu’il n’ose pas dire que les clauses du traité soient
indissolubles et irrévocables pour nous, j’en conclus qu’elles ne le sont pas
non plus pour l’Angleterre.
M. Gendebien. - Si M. le ministre croit
devoir se taire en raison de la publicité de la séance, je demanderai que la
chambre se forme en comité général.
M. le ministre
des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je n’ai aucun renseignement
ultérieur à donner à la chambre, car je me suis empressé de lui faire connaître
tous ceux qui me sont parvenus. Je ne pourrais répondre à M. de Haerne que
suivant mon opinion personnelle, et je ne pense pas que M. Gendebien tienne à
la connaître.
M. Gendebien. - Ce n’est pas comme membre
de la chambre, mais comme ministre, que je désire savoir si M. de Muelenaere
peut nous fournir d’autres explications.
M. l’abbé de Haerne se lève pour parler.
M. de Robaulx. - On ne peut pas forcer
quelqu’un de parler quand il ne le veut pas.
De toutes parts. - la clôture !
M. le président. - Il n’y a rien à mettre aux voix. Nous allons
passer à la suite de l’ordre du jour, qui est le renouvellement des sections.
- La chambre
procède au tirage des sections.
La séance est
levée à 4 heures.