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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23
novembre 1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative à la mobilisation de la garde civique (de
Robaulx, Ch. de Brouckere)
2) Projet de loi portant organisant des cours et
des tribunaux (Liedts, Fleussu, de Robaulx)
3) Commission d’enquête sur les causes et les
auteurs des revers de la campagne militaire du mois d’août 1831. Moyens de mise
en œuvre des travaux de cette commission, notamment octroi de compétences
judiciaires à la chambre des représentants au moyen d’une loi (Dumortier, H. de Brouckere, Gendebien, H. de Brouckere, Leclercq, Le Hon, Lebeau,
d’Elhoungne, Leclercq, Dewitte, Dumortier, Nothomb, H. de Brouckere, Van Meenen, Le Hon, Devaux, de Robaulx, Leclercq, Raikem, Nothomb, Dumortier, Devaux, de Robaulx, H. de Brouckere)
4) Projet de loi accordant des crédits
provisoires pour l’exercice 1831. Budget du département de la guerre (Dumortier, Ch. de Brouckere)
5) Commission d’enquête sur les causes et les
auteurs des revers de la campagne militaire du mois d’août 1831. Moyens de mise
en œuvre des travaux de cette commission, notamment octroi de compétences
judiciaires à la chambre des représentants au moyen d’une loi (Gendebien, Ch. Vilain XIIII)
6) Projet de loi portant le budget du
département de la guerre pour l’exercice 1832. Présentation générale
notamment : causes de la débacle d’août 1831 et mesures de restructuration
soutenue par le ministre de la guerre (lévée des miliciens de 1826, fournitures
d’armées, garde civique, marchés des vivres de subsistance (marché Hambrouk),
etc.) (Ch. de Brouckere)
(Moniteur belge n°163, du 25 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte
à une heure moins un quart.
M.
Jacques fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Dellafaille lit le
procès-verbal. Il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Lebègue analyse quelques pétitions, parmi lesquelles
nous remarquons celle de M. Emeriau, d’Ath, qui réclame contre l’inconstitutionnalité
d’un arrêté du gouverneur de la province du Hainaut. Elles sont renvoyées à la
commission.
- M. de Rottigny,
éditeur du tableau représentant l’entrée du Roi à Bruxelles, en fait la
dédicace à la chambre, ainsi que d’un autre qui représentera l’inauguration à
la Place Royale.
La chambre accepte la
dédicace, et mention en sera faite au procès-verbal.
M.
de Robaulx demande la parole sur la pétition de M. Emeriau,
d’Ath, et il s’exprime ainsi. - Messieurs, M. Emeriau, d’Ath, capitaine des
gardes civiques, réclame contre l’arrêté du gouverneur du Hainaut comme était
inconstitutionnel. Je crois devoir dire un mot à l’égard de cette pétition. On
avait demandé la mobilisation des quatre bataillons de la garde civique de la
province du Hainaut. Quand il s’est agi de mettre cet ordre à exécution, il
s’est rencontré un obstacle. Les gardes civiques de telle compagnie ont dit qu’ils ne voulaient pas faire partie de cette mobilisation
plutôt que ceux de telle autre compagnie. Alors, M. le gouverneur a trouvé un
moyen nouveau, c’est le tirage au sort des soldats et des officiers qui devront
composer ces bataillons. Outre plusieurs inconvénients qui résulteront de cette
mesure, il s’ensuivra que les gardes civiques de Tournay, par exemple, seront
commandés par un officier de Mons et ceux de Mons par un officier de Charleroy,
etc. Ainsi, tout se trouvera désorganisé, et les gardes civiques qui ne seront
pas tombés au sort passeront sous le commandement d’officiers étrangers. C’est
là une violation manifeste de la loi sur la garde civique, qui veut que les
compagnies ne soient commandées que par des officiers de leur choix. Vu
l’urgence et les protestations qui se sont élevées contre ce tirage, il faut
que la chambre intervienne par une décision. Je demande donc qu’en revoyant la
pétition à la commission, on décide qu’il en sera fait un rapport vendredi
prochain.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Quant aux ordres du
ministre de la guerre tendant à mobiliser 4 bataillons, ils sont déjà exécutés,
et ces 4 bataillons se trouvent à Anvers. Quant au tirage au sort, il s’est
fait sous ma participation ; car, ne connaissant pas l’habilité des gardes
civiques qui étaient le plus propres à faire partie de ces corps, j’en laissai
le choix aux autorités locales. Du reste, on vient de m’apprendre une chose
toute nouvelle pour moi, c’est le tirage au sort des officiers. Je croyais que
cette mesure n’avait été appliquée qu’aux simples gardes civiques.
M. le président. - Il me semble que le rapport de la pétition
viendra tout naturellement vendredi prochain, car la commission des pétitions
est au courant.
M.
de Robaulx insiste sur sa proposition.
- Personne ne s’y
opposant, la pétition est renvoyée à la commission et sera rapportée vendredi
prochain.
________________
M. Ullens demande un
congé de 4 jours.
- Accordé.
M.
Jamme demande aussi un
congé dont il ne peut fixer le terme.
-
Il est également
accordé.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DES COURS ET DES TRIBUNAUX
M. le président. - L’ordre du jour est la présentation du
budget de la guerre de 1832, mais nous devons avant entendre les rapports de
MM. Liedts et Dumortier.
M.
Liedts
monte à la tribune pour faire un rapport sur l’organisation judiciaire, et
s’exprime ainsi. - Messieurs, la loi qui établit la hiérarchie des tribunaux détermine
l’étendue de leurs fonctions, les entoure de tout ce qui est nécessaire à
l’exercice de leur action, règle leurs rapports avec les autres pouvoirs, fixe
les conditions et le mode de la nomination des juges, et assure leur
indépendance, est sans contredit l’une des plus importantes de toutes celles
dont la législature actuelle aura à s’occuper ; et il n’en est aucune qui
mérite d’être examinée avec une prudence plus inquiète, une précaution plus
scrupuleuse.
Pénétrée de cette
vérité, la chambre a cru devoir appeler, sur le projet d’organisation
judiciaire qui lui est soumis, les méditations et les critiques de tous les
magistrats et du barreau de la Belgique.
Cet appel n’a pas été
fait en vain.
Outre les deux cours
supérieures et les barreaux de Liége et de Bruxelles, 23 tribunaux de première
instance se sont occupés de ce projet, et ont transmis à la chambre le fruit de
leurs lumières et de leur expérience.
La chambre ne s’est
pas bornée à cette seule mesure, et dans le but de retirer de ces observations
toute l’utilité possible, elle a institué une commission de neuf membres,
chargée de lui présenter, à la suite des observations des deux cours, une
analyse comparée de celles des tribunaux et du barreau.
La commission,
convaincue des inconvénients et des lenteurs qu’aurait entraîné la division de
ce travail entre neuf personnes, a bien voulu me la confier en entier ; la
commission a consacré plusieurs séances à le revoir, et elle a l’honneur de
vous le soumettre aujourd’hui, tel qu’il a été approuvé par elle. Voici,
messieurs, la marche qui a été suivie : comme la commission n’avait à remplir
que l’office de rapporteur, et n’était pas appelée à substituer ses opinions à
celles des tribunaux et du barreau, elle a conservé religieusement, et autant
que possible, les termes mêmes dans lesquels les observations étaient conçues,
sans en omettre ou modifier aucune, de quelque faible importance qu’elle pût
être.
Cependant, lorsque,
dans le développement des changements réclamés, elle a aperçu des répétitions, elle
n’a pas hésité à les retrancher ; de même, lorsque les critiques, au lieu
d’être présentées dans un style simple et serré, l’étaient dans un style
évidemment trop délayé, elle s’est permis de les soumettre à une fidèle
analyse.
Quelquefois des
tribunaux faisaient sur un article les mêmes remarques que d’autres tribunaux
avaient crues mieux placées sous un autre article ; et alors, pour éviter des
redites, ces remarques ont été fondues et placées à l’endroit auquel elles ont
le plus de rapport. Souvent aussi plusieurs tribunaux demandaient les mêmes
changements, en s’appuyant sur les mêmes motifs, exprimés cependant en des
termes différents ; et, dans ce cas, on a comparé leurs observations et
conservé celles qui paraissaient rendre le mieux l’opinion de tous.
Enfin, quand les
observations des barreaux ou des tribunaux rentraient tout à fait dans celles
développées par l’une des deux cours, on s’est borné à indiquer cette
circonstance par une note.
La difficulté, s’il y
en a, ne consistait pas, comme l’on voit, à tout lire, mais à coordonner, à
comparer, à classer le tout avec méthode. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage du
barreau et des tribunaux a été réduit à peu près de deux tiers, sans qu’aucune
des considérations qu’ils font valoir à l’appui de leurs opinions ait été
négligée ou omise.
La commission, messieurs, croit avoir satisfait
ainsi à la mission dont elle avait été chargée, et espère que son travail ne
sera pas sans utilité pour l’examen approfondi du projet.
- La chambre dispense
le rapporteur de donner lecture du travail de la commission et en ordonne
l’impression et la distribution à tous les membres.
M.
Fleussu demande que toutes les pièces et renseignements
joints aux rapport soient renvoyés au ministre de la justice.
M.
de Robaulx. - Il ne pourra jamais lire tout cela ! (On rit.)
Après une légère
discussion, M. Fleussu retire sa proposition.
COMMISSION D’ENQUETE SUR
SUR LES CAUSES ET LES AUTEURS DES REVERS DE LA CAMPAGNE MILITAIRE DU MOIS
D’AOUT 1831
M. Dumortier monte à la tribune
et s’exprime ainsi. - Messieurs, votre commission d’enquête ; après s’être constituée,
a dû s’occuper d’abord des moyens d’exécution du mandat que vous lui avez
confié.
Le droit d’enquête,
conféré à chacune des chambres par l’article 40 de la constitution, est l’une
des plus importantes prérogatives dont puisse être investie la représentation
nationale. Par lui, les députés d’une peuple libre peuvent connaître les
véritables besoins de l’Etat ; ils peuvent s’assurer de l’origine des maux qui
pèsent sur la patrie et préparer les moyens de les réparer. Ce droit résume à
lui seul toutes les garanties de la souveraineté nationale inscrite dans
l’article 25 de la constitution, et sert de palladium à la liberté. Il importe
donc d’en établir l’exercice, de manière que dans aucun cas il ne puisse être
rendu illusoire ; et c’est pour y parvenir que votre commission vous présente
le projet de loi que j’ai l’honneur de déposer en son nom sur le bureau.
L’article 40 de la
constitution, en accordant aux deux chambres le droit d’enquête, s’est borné à
en établir le principe, laissant à la représentation future le soin d’y donner
les développements nécessaires et de tracer la marche à suivre en cette
circonstance.
En Angleterre, le
parlement exerce en matière d’enquête un pouvoir illimité. Sur un ordre de ses
commissions, toute personne mandée, de quelques partie que ce soit du royaume,
est tenue de se présenter au bureau de la commission, et d’y exhiber les
livres, registres, contrats, papiers ou écrits qu’ils demandent. En cas de
refus, les commissaires font saisir le récalcitrant, et cela sans autre
formalité que leur ordre : c’est d’ailleurs ce qui est réglé par les lois soit
les titres 43, Georges III, et 16 et 45, Georges III. Si la personne mandée
pour information refuse de se rendre au jour fixé, il en est fait part au
président, qui ordonne au sergent d’armes de la chambre d’aller saisir le
délinquant et de l’enfermer dans sa prison ; celui-ci se sauve-t-il pour éviter
d’être pris, le président provoque une proclamation du roi pour promettre une
récompense à quiconque en fera l’arrestation. Ce n’est pas tout : la chambre
peut condamner le défaillant aux frais, dépens et à l’amende qu’il lui plaît de
prononcer ; elle peut même l’obliger de recevoir sa sentence à genoux, à la
barre de son bureau ; et sa rigueur, lorsqu’il s’agit de son autorité, est
telle que l’on a calculé que, depuis 1547 jusqu’à nos jours, elle a fait
incarcérer près de mille personnes.
Telle est la règle du
parlement anglais en matière d’enquête. Les chambres, sentant toute
l’importance de ce droit précieux, ont reconnu qu’il deviendrait illusoire,
s’il était loisible au pouvoir exécutif de venir à chaque instant l’entraver.
C’est aussi ce qui a frappé votre commission dans l’examen qu’elle a dû faire
des moyens coercitifs indispensables pour arriver à un résultat certain.
Votre commission a
pensé qu’en matière d’enquête elle exerçait un pouvoir judiciaire, et qu’à ce
titre d’enquête elle devait être investie des attributions qui appartiennent à
l’exercice de ce pouvoir : tels sont le droit de lancer des mandats d’amener et
celui de comminer des amendes. La constitution, qui a voulu la fin, a dû
vouloir les moyens, et ces moyens n’existeraient pas si les commissions
d’enquête n’étaient pas investies du pouvoir nécessaire, pouvoir qui par
conséquent résulte de la nature des choses.
Toutefois votre commission a pensé qu’il était
convenable de régulariser, une fois pour toutes, et par une loi également
applicable pour les deux chambres, les attributions des commissions d’enquête ;
et c’est pour arriver à ce résultat qu’elle a cru devoir vous présenter le
projet de loi suivant.
L’orateur lit deux
articles du projet. Pendant qu’il commence la lecture du troisième, M. H. de
Brouckere demande la parole pour un rappel au règlement.
M. H. de Brouckere. - Ce n’est pas un
rapport que nous présente M. Dumortier, c’est un projet de loi. Or, d’après
l’article 35, il doit être renvoyé préalablement dans les sections. Je m’oppose
donc à la lecture immédiate.
M. Dumortier. - Cette objection, messieurs, n’a rien de
nouveau pour nous, et nous l’avions prévue. Mais l’honorable membre qui l’a
faite aurait dû se rappeler que, quand une commission présente un projet de
loi, elle n’est pas astreinte à cette formalité ; c’est ainsi que nous avons
procédé relativement aux crédits provisoires.
M.
Gendebien. - On a parlé de l’article 35 du règlement ;
mais c’est l’article 63 qu’il s’agit d’appliquer ici. Il est ainsi conçu :
« Les rapports des commissions seront imprimés et distribués au moins
trois jours avant la discussion en assemblée générale, si la chambre n’en
décide autrement. »
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je
persiste à soutenir que M. Dumortier donne lecture non d’un rapport, mais d’un
projet de loi ; et d’abord je défie qu’on puisse citer un antécédent en faveur
du cas qui se présente aujourd’hui. Jamais commission n’a présenté un projet de
loi à la chambre, à moins qu’elle n’en ait reçu la mission spéciale. On dit que
ce n’est pas l’article 35, mais l’article 63 qui est seul applicable ici ;
c’est une erreur, messieurs (l’orateur lit l’article 63.) Si la commission
d’enquête, ayant terminé sa mission, venait nous soumettre ses conclusions,
alors nous nous en rapporterions à l’article 63. Mais, je le répète, ce n’est
pas un rapport et des conclusions que vient nous présenter la commission, c’est
un projet de loi. Je ne lui conteste pas le droit de proposer un projet de loi,
puisque chacun de ses membres a ce droit comme représentant ; mais je soutiens
qu’il fait se soumettre aux règles posées par l’article 35.
M.
Leclercq. - Messieurs, on dit qu’il n’y avait pas
d’antécédent pour le cas qui se présente ; mais, s’il n’y a pas d’antécédents,
c’est qu’il ne pouvait y en avoir, car il y a très peu de temps que le
règlement a été voté. On ne peut donc tirer un argument de cette circonstance.
L’honorable orateur
auquel je réponds a dit aussi que la commission n’était pas chargée
spécialement de présenter un projet de loi sur le mode de l’enquête. Cela est
vrai ; mais vous lui avez donné la mission de prendre toutes les mesures
convenables et de faire tous les actes nécessaires pour cette enquête. Or, le
projet de loi dont il s’agit entrait dans les mesures, dans les moyens qu’elle
devait prendre pour arriver au but que vous avez en vue, et remplir la mission
dont vous l’avez chargée. Il faudrait prouver que ce projet n’entre
pas dans sa mission, et cela est impossible ; car il est évident qu’elle ne
pouvait procéder à la recherche des causes de nos désastres sans en avoir les
moyens, et elle nous les demande par le projet de loi. On ne peut donc
appliquer à ce projet les raisonnements généraux qui s’appliquent aux
propositions faites par un simple membre. Le règlement a voulu seulement, en
admettant le renvoi aux sections, éviter une perte de temps, dans le cas où la
proposition serait oiseuse ou inutile. Mais la commission que vous avez nommée
est chargée d’atteindre un but ; le projet de loi qu’elle nous soumet est
nécessaire, tout le monde le reconnaît, pour atteindre ce but. Dès lors, c’est
une mesure qui rentre dans sa mission. Cependant, la commission n’entend pas
que la proposition soit soustraite à l’examen des sections. Elle pense
seulement n’avoir pas besoin d’obtenir la permission de la lire.
M. le Hon. - Messieurs, le cas
est assez nouveau et assez important pour être traité avec toute la maturité
possible. L’article 35 est écrit dans un sens général ; il veut, d’une manière absolue,
que toute proposition faite par un membre de la chambre passe par les sections,
qui en autorisent ou qui en refusent la lecture. On ne disconviendra pas,
quoique l’article 35 ne parle que de la proposition faite par un membre, que si
5 ou 6 membres se réunissaient pour faire une proposition, elle ne dût tout
aussi bien être soumise aux sections avant la lecture ; et ce serait jouer sur
les mots que de vouloir restreindre l’article 35 à l’individualité d’un seul
membre. Il y a deux genres de propositions de lois : celles qui viennent du
gouvernement ou du sénat, et celles qui émanent d’un membre de la chambre
exerçant son initiative. Eh bien ! quelle est la position dans laquelle se
présente devant nous la commission d’enquête ? Elle nous présente un projet de
loi, parce que, dit-elle, il lui est nécessaire de remplir sa mission. Eh bien
! je soutiens qu’elle se trouve dans les termes du règlement comme les membres
qui prennent l’initiative. Sa proposition doit être soumise à la règle
générale, parce qu’elle ne peut être discutée sans formalité. Au fond, la
question est extrêmement grave, messieurs : car il ne s’agit de rien moins que
d’accorder une espèce de dictature à une commission en lui donnant un droit
extraordinaire d’investigation, au moyen duquel elle pourrait tout bouleverser
dans l’Etat.
Je sais bien que les
honorables membres qui composent la commission n’abuseraient pas d’un pareil
pouvoir, mais il n’en est pas moins vrai que la proposition doit être examinée
préalablement, en raison même de son importance ; car, si vous agissiez
autrement, vous établiriez un funeste précédent qui ferait loi par la suite.
On
dit qu’une commission doit toujours être entendue quand elle fait un rapport,
et sous ce prétexte, on veut même qu’elle puisse présenter un projet de loi.
Messieurs, cet argument porte à faux. Car ceci n’est pas le rapport final de la
commission, ni le terme du but vers lequel elle se dirige. C’est une
proposition qu’elle croit devoir faire avant d’aller plus avant. Elle en a le
droit sans doute, mais en se conformant aux dispositions du règlement. (manque quatre ou cinq mots) de suivre la
marche ordinaire, et j’en fais la demande formelle.
M.
Lebeau. - La question n’est pas de savoir si la
commission d’enquête avait le droit de présenter un projet de loi ; nous sommes
tous d’accord sur ce point : il s’agit simplement de savoir si elle se trouve
dans une position exceptionnelle. Or, il est bien évident qu’elle n’a pas été
chargée par la chambre de la mission spéciale de présenter un projet de loi.
Elle se trouve absolument dans les mêmes termes que les diverses commissions
dont il est parlé à l’article 56 de votre règlement, c’est-à-dire la commission
des finances et celle d’industrie et de commerce. Eh bien ! si les commissions,
exerçant l’initiative que chacun de nous a le droit de prendre, présentaient
des projets de loi, ils devraient être soumis aux mêmes formalités que ceux
proposées par de simples membres. Voyez ce qui arriverait si vous en décidiez
autrement. Le ministère qui, en présentant un projet de loi, exerce un droit
collectif, ne pourrait échapper aux obligations
prescrites par le règlement, tandis qu’une commission qui, pour remplir la
mission dont vous l’auriez chargée, proposerait la loi la plus importante qui
eût été encore soumise à cette chambre, pourrait s’exempter des formalités
auxquelles est astreint le gouvernement lui-même. Il me semble que la
commission d’enquête est tout au moins dans le cas des commissions permanentes
des finances, de l’industrie et du commerce. Or, si une de ces commissions vous
présentait un projet, vous le soumettriez aux règles ordinaires. Il doit en
être de même pour celui dont il est question en ce moment : vous ne jugerez pas
à propos, sans doute, de l’affranchir des formes protectrices du règlement. Je
demande donc qu’il soit déposé sur le bureau et renvoyé aux sections.
M. d’Elhoungne. - Je partage
pleinement l’avis de notre collègue M. Lebeau, relativement à ce qu’il a dit :
que la commission d’enquête se trouve régie par les mêmes termes du règlement
que les commissions dont il est parlé à l’article 56. Mais si elle se trouve
régie par les mêmes termes, je demande si les propositions que ces commissions
ont à soumettre à la chambre doivent subir les mêmes formalités que celles
émanées d’un membre de la chambre. Pour trancher la difficulté, il suffit de
lire l’article 59 du règlement. Il porte, entre autres choses : « Les deux
commissions permanentes sont chargées de présenter des conclusions motivées sur
les propositions. » Or, soumettre à la chambre un projet de loi avec un
rapport, est-ce autre chose que des conclusions motivées ? Il ajoute :
« de préparer à la chambre des projets de résolutions. » Eh bien !
n’est-ce pas ici un projet de résolution qui doit échapper aux formalités d’une
simple proposition émanée d’un membre de l’assemblée ? Est-ce à dire pour cela
que la proposition ne sera pas soumise aux formes protectrices du règlement ?
Non, messieurs, elle ne sera pas astreinte à l’autorisation préalable pour la
lecture.
M. Leclercq. - Messieurs, j’avais
l’intention de faire valoir les mêmes observations que notre honorable collègue
M. d’Elhoungne. Dès qu’on place la commission d’enquête sur la même ligne que
les commissions permanentes, il serait absurde de dire qu’elle est astreinte à
obtenir la permission de lire sa proposition. On a dit qu’elle était de la plus
haute importance, et que pour cela même elle devait être soumise à l’examen ;
mais nous n’avons jamais entendu autre chose. De ce que nous croyons pouvoir
lire la proposition sans recourir à l’autorisation préalable, nous ne voulons
point pour cela qu’elle soit votée sans examen.
M. Dewitte. - Il me semble que
le rapport et la proposition de la commission sont parfaitement en harmonie
avec les termes du règlement.
L’orateur lit
l’article 63, et dit qu’on n’est pas obligé de discuter immédiatement. La
chambre ordonnera l’impression et la distribution, et la proposition aura le
temps d’être examinée.
M. Dumortier fait remarquer que,
depuis huit jours, on suit la marche que la commission a adoptée, et qu’on vote
sur les crédits provisoires proposés par une commission. Et qu’on ne dise pas
que la commission a reçu une mission spéciale pour présenter ces projets ; car,
si elle avait été investie de ce droit pour les crédits des ministère, il est
dit dans le procès-verbal : « à l’exception du ministère de la
guerre. » D’ailleurs, nous sommes loin de demander que notre proposition
ne soit pas examinée.
M. Nothomb. - Je crois qu’il eût été plus exact d’assimiler
la commission d’enquête à une commission ordinaire, entre autres la commission
des pétitions. Or, croyez-vous que la commission des pétitions ait le droit de
présenter une loi à l’occasion des pétitions qui lui sont soumises ? Si elle
avait ce droit exorbitant, celui que veut exercer la commission d’enquête ne
pourrait être contesté. Mais je ne puis admettre ce droit, pas plus pour l’une
que pour l’autre. Sans cela, messieurs, qu’arriverait-il ? Sur les plaintes qui
seraient soumises à la commission des pétitions relativement aux douanes, elle
pourrait proposer une loi sur les douanes. S’il s’agissait de plaintes sur un
ministre, elle pourrait présenter une loi sur la responsabilité ministérielle.
Le règlement a eu en vue, au contraire, de fixer la spécialité des commissions.
Prenons pour exemple la commission des pétitions. Si une pétition lui est
renvoyée, sa mission spéciale est d’en faire le rapport, et si un membre de
cette commission juge à propos de présenter un projet de loi à cet égard, il
sort momentanément de la commission et rentre dans le droit commun. Si donc la
commission avait le droit de proposer une loi sur l’enquête, elle pourrait, par
la même raison, en présenter une sur la responsabilité ministérielle.
Je soutiens que la
proposition, quoique n’étant pas faite par un seul membre, n’en est pas moins
astreinte aux formalités du règlement.
Si
la commission croit que les moyens lui manquent pour poursuivre sa mission,
elle doit constater ce fait à la chambre, mais s’arrêter là, et rentrer dans le
droit commun.
La discussion se
prolonge. On entend encore M. H.
de Brouckere, M. Van Meenen, M. le Hon et M. Devaux, qui parlent contre
la lecture, et M. de Robaulx et M. Leclercq qui parlent pour. (La clôture ! la clôture !)
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je m’oppose à la clôture,
parce qu’il s’agit d’une question très grave. Je désire donc qu’elle soit
éclaircie avant de fermer la discussion.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
On demande l’appel
nominal.
M. Nothomb. - Je demande la parole sur la position de la
question. La question doit être ainsi posée : « Le rapport de la
commission pourra-t-il être lu à l’instant, oui ou non ? »
M. Dumortier combat cette
proposition.
M. Devaux. - Je demande, au
contraire qu’on pose ainsi la question : « La proposition de la commission
sera-t-elle lue avant d’être renvoyée aux sections, aux termes de l’article 35
du règlement ? »
M.
de Robaulx.- Je m’oppose à ce que la questions soit ainsi
posée, car ce serait interpréter l’article 35 du règlement. « Lira-t-on
immédiatement la proposition, ou ne la lira-t-on pas ? » Voilà la seule
chose qu’il s’agit de décider.
Après un léger débat
auquel prennent part M. Devaux, M. de Robaulx et M. H. de Brouckere, la question est
ainsi posée : « Lira-t-on la proposition ? »
On procède à l’appel
nominal, dont voici le résultat : 44 ont voté contre la lecture, et 36 pour.
Ont voté pour : MM.
Dams, Dautrebande, Davignon, de Haerne, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de
Robaulx, Desmet, Dewitte, de Woelmont, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus,
Dumortier, Fleussu, Gendebien, Goethals, Helias d’Huddeghem, Jaminé, Jullien,
Lardinois, Lebègue, Leclercq, Osy, Pirmez, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier,
Seron, Tiecken de Terhove, Vergauwen, Vuylsteke, Watlet, Zoude, Berger et
Corbisier.
Ont voté contre : MM.
Ch. De Brouckere, H. de Brouckere, de Foere, Delehaye, Dellafaille, F. de
Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Desmanet, de
Terbecq, Devaux, Dugniolle, Duvivier, Hye-Hoys, Jacques, Jonet, Lebeau,
Lefebvre, Le Hon, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers,
Polfvliet, Poschet, Raikem, Raymaeckers, Serruys, Thienpont, Ullens,
Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Verdussen, Verhaegen, Ch. Vilain XIIII, H.
Vilain XIIII, Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Bourgeois, Brabant, Cols,
Coppieters, de Gerlache.
L’ordre du jour est
la discussion sur les crédits provisoires à accorder au ministre de la guerre.
M. Dumortier. - Ce serait agir
contradictoirement à ce que vous venez de décider que d’examiner les crédits
qui ne vous ont été proposés que par la commission.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Pour prouver que la
commission n’a pas pu présenter un projet de loi sur les crédits de la guerre,
l’honorable membre a lu tout à l’heure un passage du procès-verbal où il est
dit qu’on s’occupera des crédits à accorder à tous les ministères, « à
l’exception du ministère de la guerre. » Or, il est certain que c’est sur
ma proposition même que l’on a effacé ces mots.
COMMISSION D’ENQUETE
SUR SUR LES CAUSES ET LES AUTEURS DES REVERS DE LA CAMPAGNE MILITAIRE DU MOIS
D’AOUT 1831
M.
Gendebien. - Il faut savoir ce qu’on fera du rapport de la
commission d’enquête.
M. le président. - J’ai consulté la chambre là-dessus, on a
répondu rien. (Hilarité générale et
prolongée.)
M. Ch. Vilain XIIII fait observer que si
la lecture du projet de la commission est autorisé, le rapport en sera comme
l’exposé des motifs. (Appuyé !)
PROJET DE LOI PORTANT
LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’EXERCICE 1832
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) Demande à présenter
le budget de son département pour l’année 1832 ; il monte à la tribune et fait
cette présentation.
Nous donnerons son
discours, dont la lecture a duré une heure et demie, et qui est très
remarquable par les détails et les renseignements qu’il contient sur l’état de
l’armée. (Note du webmaster : ce discours
n’a pas été retrouvé. Il est néanmoins possible de la retrouver sur google.be,
d’où est extrait le texte qui suit : )
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - L'état de crise où la Belgique s'est trouvée, par
suite d'évènements qui l'ont maîtrisée dans les derniers jours de 1830, et de
la confiance aveugle qui a succédé à l'acceptation de l'armistice, n'est pas
encore entièrement terminé. La paix n'est pas encore conclue avec la Hollande,
et cependant je viens soumettre à vos délibérations un projet de budget pour
les dépenses du ministère de la guerre, calculé pour le pied de paix.
Il est inutile que je vous dise, messieurs, que
j'eusse désiré que le sort des armes eût pu décider de nos querelles avec la
Hollande. Confiant dans l'armée, convaincu que sa force numérique, son
instruction, son moral, nous étaient garants du succès, j'aurais voulu venger
notre honneur mal à propos compromis à l'étranger, et conquérir les parties de
territoire qu'on nous dispute. Cette politique a toujours été la mienne ; elle
a facilité ma tâche comme ministre, en me montrant un but conforme à mes désirs,
à mes inclinations.
En travaillant, messieurs, à assurer le succès de nos
armes, je ne pouvais toutefois m'isoler de la politique générale, perdre de vue
tant d'autres intérêts, vouloir compromettre l'avenir du pays. Vous connaissez,
messieurs, notre position vis-à-vis des autres puissances de l'Europe ; vous
savez quelles conditions de paix elles nous ont imposées ; jusqu'à quel point
elles ont lié nos mouvements. Néanmoins, jusqu'à ce jour, le gouvernement a
redoublé d'efforts pour augmenter la force physique aussi bien que la force
morale de l'armée.
Une décision prompte de paix ou de guerre avec la
Hollande est désirable ; l'incertitude de l'avenir fatigue, épuise le pays ;
une conclusion prochaine parait d'ailleurs être une nécessité politique
comprise par les grandes puissances européennes : le traité du 15 de ce mois en
est garant. Les probabilités de paix et le besoin que la nation a de savoir que
les sacrifices qu'elle s'impose sont momentanés, dépendent de l'état de guerre,
ont porté le gouvernement à vous proposer d'abord le budget du département de
la guerre calculé sur le pied de paix ; il vous en sera présenté un second pour
faire apprécier les dépenses en cas de guerre.
La Belgique a déjà
fait de grands sacrifices pour soutenir une cause sacrée, pour conquérir ses
droits de nation, son indépendance ; il lui en est encore demandé de nouveaux
pour terminer l'exercice de 1831. Cependant,
messieurs, les dépenses de la guerre sont bien faibles si vous voulez tenir
compte de la pénurie de matériel de tout genre : c'est en effet sans armes,
sans magasins, sans soldats, que la Belgique a obtenu en 1830 des succès
miraculeux !
Enivrés de nos
victoires, nous avons eu trop de confiance dans notre supériorité, nous avons
trop présumé du courage individuel, perdu de vue les véritables éléments de
force des armées. Des fautes ont été commises par tous les pouvoirs. La
législature se montra parcimonieuse, parce que l'expérience des affaires
manquait à ceux qui étaient chargés de lui renseigner les besoins de l'armée ;
la presse, cédant à l'exaltation patriotique, suscita des jalousies en tenant
trop peu compte de la position des officiers de l'ancienne armée, des
habitudes, des préjugés ou des lois de l'honneur militaire ; le gouvernement
les entretint par l'impossibilité où il se trouvait d'apprécier dans des
moments de fermentation le mérite, les droits de chacun. De là, messieurs, le
découragement chez les uns, une ambition démesurée chez les autres.
Ce triomphe qui
exaltait nos esprits, produisit un effet tout contraire sur l'ennemi. Il ne
pouvait se voir froidement enlever une vieille réputation dont il vivait depuis
des siècles ; plus nous rehaussions nos victoires, plus il se sentait humilié,
plus il nourrissait des idées du vengeance. Il avait une administration
organisée depuis longues années, les cadres de presque tous les régiments de
l'ancienne armée, des arsenaux pourvus d'armes et de munitions ; l'habitude de
se recruter d'étrangers n'était pas encore détruite chez lui. Et pendant que
nous, confiants dans l'armistice, puis dans les engagements des puissances
représentées à la conférence de Londres, nous demeurions presque oisifs, il mit
tout en œuvre pour organiser une armée nombreuse, il doubla ses légions de
vieux soldats allemands.
Après l'élection du
Roi, après l'adoption des 18 articles de paix, nous fûmes attaqués à
l'improviste. D'Anvers à Maestricht nous n'avions pas vingt mille hommes à
opposer à l'ennemi, et encore notre force était divisée sur les deux points
extrêmes, sans aucune communication entre les parties. Cependant les premiers
combats furent tous à notre avantage : à Turnhout, à Merkxem, à Houthalen, à
Kermpt, nous résistons à des forces décuples ; nous repoussons l'ennemi.
L'imprévoyance dans les moyens de subsistance, l'hésitation dans l'exécution
d'un ordre démoralisent le soldat sur un point, il cède le terrain sans être
battu ; ailleurs, la politique intervient, et pour éviter de répandre du sang
inutilement, pour prévenir le bombardement d'une ville, on conclut une
suspension d'armes, pendant que douze mille hommes étaient en marche pour
joindre la division qui s'était battue à Bautersem, et pouvait se défendre dans
Louvain.
L'évacuation de cette
ville n'eut lieu que par suite d'une armistice, et seulement pour hâter la
marche rétrograde d'une division ennemie ; dès le onze août, on connaissait au
quartier-général les instructions données par le Roi de Hollande pour faire
replier son armée dès qu'elle serait en contact avec l'armée française.
Messieurs,
j'éprouvais le besoin d'expliquer les faits antérieurs à mon administration
comme je les ai vus, comme je les ai compris ; non pour défendre
l'imprévoyance, la confiance aveugle ou l'inexpérience administrative de
quelques hommes, quoiqu'elle ne soit pas étonnante chez un peuple nouveau,
traité pendant quinze ans en ilote, et privé de tous moyens de produire ses
capacités, parce que toute étude pratique lui était interdite. Quelque douleur
que me cause le passé, je crois qu'il faut user d'indulgence sur les fautes commises
dans un temps dont je ne parle que pour rectifier autant qu'il est en mon
pouvoir, des jugements portés de loin et basés sur les bravades des journaux
hollandais. C'est ainsi que, le 30 septembre 1830, après avoir abandonné leurs
canons à Sainte-Walburge, les Hollandais rentrèrent en triomphe à Maestricht,
étalant un guidon pour attester de leurs hauts faits.
En réclamant
indulgence pour le passé, je suis le premier à reconnaître qu'elle doit avoir
un terme : je ne demande rien de personnel, je me soumets volontiers à un
contrôle rigoureux. Non, messieurs, que je me croie supérieur à ceux qui m'ont
précédé ; mais éclairé par les évènements du mois d'août, j'ai vu, comme vous
tous, où était le mal, quelles étaient les fautes. Je dirai plus, avant ces évènements
malheureux je n'eusse pas assez préjugé de mes forces pour accepter le
portefeuille de la guerre.
Maintenant que ma
pensée est claire, personne ne m'imputera à mal d'expliquer dans quel état j'ai
repris les affaires.
Les gardes civiques
avaient à peine rejoint l'armée le 12 août, elles n'avaient reçu aucune
organisation, aucune instruction ; le plus grand nombre même était arrivé sans
armes, sans linge, sans chaussure. Des corps de volontaires avaient été formés
dans le mois de mai, je ne doute pas de leur courage, mais j'ai été témoin de
l'indiscipline qui régnait dans les cantonnements et dans les marches ; des
bataillons entiers s'étaient débandés les 15 et 16 août.
Plusieurs corps
avaient abandonné leurs bagages ; le soldat indiscipliné avait déposé le sac
pour se battre. Les armes étaient en mauvais état, les objets de campement
n'avaient jamais été fournis à l'armée.
Les régiments de
cavalerie n'avaient pas leur complet de chevaux, leur force était d'ailleurs
dans une disproportion effrayante avec celle des autres armes ; l'artillerie de
campagne était également trop faible comparativement à l'infanterie ; il
manquait de matériel pour la compléter et de chevaux pour l'atteler, pendant
qu'il y avait absence complète de chevaux et de voitures pour la formation d'un
parc.
Les hôpitaux, étaient
encombrés par les fièvres d'automne et partout les lits et les fournitures
manquaient.
Les liens de la
discipline étaient relâchés, la plupart des régimes n'avaient jamais manœuvré
réunis. Quelques bataillons étaient dépourvus de tout vêtement, d'autres
n'avaient que la veste ou la capote pour entrer en campagne.
Il y avait manque
d'officiers généraux, et encore une partie en était reléguée dans des
commandements de division territoriale. Il nous manquait des capitaines
expérimentés ; nous n'avions hérité de l'infanterie de l'ancienne armée que 170
lieutenants sur 538, et 157 sous-lieutenants sur 424 ; tant était grande la
partialité hollandaise !
Si je vous fais
entrevoir l'énormité de la tâche que j'avais entreprise, c'est pour justifier
les demandes de crédits que je vous soumets, pour m'acquitter d'un devoir
constitutionnel imposé à tout ministre qui réclame des subsides. Loin de tirer
vanité du bien que je puis avoir fait, je déclare, si toutefois mon administration
est honorée de votre approbation, devoir le succès aux hommes que j'ai trouvés
à la tête des différentes divisions du ministère, et à quelques capacités
militaires qui ont bien voulu m'aider de leurs conseils et de leur travail.
S'il entrait dans les usages parlementaires de citer des noms propres, je vous
nommerais celui du général qui, dès les premiers jours qu'il arriva en
Belgique, n'a cessé de coopérer activement à tout ce qui a été fait de bien, et
allège encore aujourd'hui considérablement ma tâche : mais déjà son nom est sur
vos lèvres.
Le gouvernement du
Roi, usant de la latitude accordée par un décret du Congrès, avait réclamé les
services de quelques officiers généraux français ; par suite de la loi du 22
septembre, il reçut dans les rangs de l'armée et prit au service de la Belgique
deux chefs de bataillons, 40 capitaines d'infanterie, et quatre d'artillerie
française ; je me hâte de citer les chiffres pour répondre à des calomnies
soutenues même à des tribunes étrangères sur la composition de l'armée belge.
Un petit nombre d'officiers étrangers a été de plus admis momentanément au
service ; mais parmi ceux-ci aucun officier supérieur, aucun capitaine n'est
entré ou ne fait service dans les régiments de l'armée.
Je reprends l'ordre
des opérations ; dès les derniers jours du mois d'août, les régiments
rentrèrent en garnison pour se refaire ; les divisions territoriales furent
supprimées, l'armée embrigadée, des inspections ordonnées dans tous les corps,
la hiérarchie établie sur de nouvelles bases dans l'artillerie et le génie, le
corps d'administration militaire réorganisé, la liquidation de l'ex-intendance
générale dévolue au ministère de la guerre.
Pendant le même temps
les gardes civiques regagnèrent leurs foyers, et furent licenciés aussi bien
que les tirailleurs francs ; les bataillons de chasseurs réunis en trois
régiments.
Onze régiments
d'infanterie de ligne étaient organisés, le 12ème le fut sur le même pied et
sans fixation de complet. Cette organisation et celle des chasseurs ont excité
des plaintes et des murmures. Inflexible dans l'accomplissement de mon devoir,
désireux de reconnaître tous les services rendus à la révolution, j'ai institué
une commission d'examen, j'ai confié au chef du personnel la mission d'entendre
toutes les réclamations, de vérifier les titres ; je puis dire que pendant 2
mois il n'a cessé d'employer tous les jours plusieurs heures à s'acquitter
consciencieusement de cette mission : de mon côté j'ai poussé le scrupule
jusqu'à consacrer les moments que je pouvais dérober à d'autres travaux à
contrôler les examens de titres et de connaissances, et j'ose en appeler à ceux
même dont j'ai froissé les intérêts, détruit les illusions, pour rendre
témoignage de mes procédés et des soins que j'ai mis à faire placer ailleurs,
ou à donner les moyens de reprendre leur ancienne profession, à ceux dont
l'incapacité militaire était évidente.
Les états de
situation présentaient au commencement d'août un effectif de 64,000 hommes, y
compris neuf bataillons de tirailleurs francs, formant à peu près 4,000 hommes
; les compagnies sédentaires, le dépôt des étrangers qui étaient sans armes,
et plutôt traités comme prisonniers de guerre que comme soldats, toute la
gendarmerie ce qui formait 2,000 hommes ou chargés du service de la police, ou
nuls à la guerre. Les tirailleurs francs furent licenciés ; mais les hommes
valides reprirent presque tous service dans les corps réguliers ; les officiers
qui avaient montré de l'aptitude. et dont la conduite avait été ferme et
loyale, furent soumis à des examens, puis placés dans l'armée. Près de 500
hommes du dépôt des étrangers furent également incorporés dans la ligne.
Dans l'effectif se
trouvaient également portés par quelques chefs de corps les miliciens de 1826
congédiés dès le mois de juin, et qui jamais n'avaient figuré que sur les
contrôles ; ailleurs, on avait inscrit tous les miliciens sans
s'enquérir de leur position nouvelle : ainsi dans un régiment 300 hommes
comptaient, comme absents, dans l'effectif, tandis qu'ils avaient été incorporés
réellement dans un autre corps ; ainsi dans un régiment plus de 800 hommes
appartenant à la levée de 1826, n'avaient pas été définitivement rayés des
contrôles.
Il nous fut
impossible d'évaluer même approximativement la force de l'armée ; un nouveau mode
de situation fut prescrit, et en attendant, nous prîmes pour point de départ la
force des hommes sous les armes, renseignée à 41,700 ; nous y ajoutâmes la
levée de 1831, ce qui formait un
effectif de 50,000 indépendamment des hommes à admettre à la réforme et des
cadres des dépôts.
Cependant les
maladies et les autres causes d'absence momentanée devaient considérablement
réduire le nombre des combattants. La levée de 1831 était à peine vêtue, elle
n'avait pas l'instruction nécessaire au soldat, l'âge requis pour supporter
toutes les fatigues de la guerre ; le gouvernement se proposa d'y suppléer par
un nouvel appel aux hommes de la levée de 1826. En attendant il s'occupa des
mesures propres à équilibrer les différentes armes de l'armée. Mille chevaux de
cavalerie et 1432 chevaux de trait et d'artillerie furent adjugés, les
harnachements achetés et fournis pour ce surcroît ; 200 voitures de parc
entreprises et livrées. En outre, il a été construit dans les arsenaux de
l'État 44 affûts de campagne avec avant-train, et 113 caissons pour compléter
le nouveau matériel de l'artillerie. Le nombre des bouches à feu attelées fut
porté de 66 à 94 ; les approvisionnements augmentés et les batteries pourvues
de munitions d'infanterie. Ainsi une division en campagne avait avec elle et
sous la direction du commandant d'artillerie un approvisionnement complet ;
ainsi devint possible la formation d'un parc de réserve propre à pourvoir à
tous les besoins ; 1,000,000 de florins fut affecté à ce matériel. Le service
de santé de l'armée subit aussi des modifications ; des rouages inutiles furent
supprimés ; des abus corrigés ; le personnel réduit à ses limites véritables ;
mais l'achat des objets de couchage et d'habillement emporta une somme assez
considérable.
Pendant que les corps
se refaisaient dans les garnisons, pendant que tous les ateliers étaient en
activité, le gouvernement songea aux moyens de réunir les troupes, de former un
camp pour les habituer au service de guerre, les faire manœuvrer en ligne et
affermir la discipline, trois éléments constitutifs de la force des armées. Il
fallait prendre une position propre à couvrir le pays en cas de nouvelle
agression : Diest fut choisi et le 25 septembre 20,000 hommes étaient présents
au camp. La saison était avancée, l'automne était là ; mais il n'y avait pas à
hésiter : le baraquement et les vivres occasionnèrent des dépenses
extraordinaires.
Le 22 septembre la
loi de rappel sous les drapeaux des miliciens fut publiée ; le même jour les
arrêtés d'organisation et de fixation de force des régiments d'infanterie et de
cavalerie furent signés.
Il parut au
gouvernement que le meilleur parti à tirer des anciens militaires était de les
incorporer dans les régiments ; la supériorité de la levée de 1826 devait
suppléer à l'inexpérience de celle de 1831
; les 12 régiments de ligne furent portés à un effectif de 3,800 hommes,
répartis en quatre bataillons et un dépôt organisé de manière à former les
recrues et à débarrasser les bataillons de guerre des hommes inutiles, et qui
jamais n'entrent dans les rangs ; les régiments de chasseurs furent portés à
2,900 hommes divisés en 3 bataillons : ce qui donne un effectif d'infanterie
régulière de 54,300 hommes. Le 15 septembre, par suite de la fusion des corps
francs, et en tenant compte des erreurs non encore rectifiées, la force de
l'infanterie était de 47,000 hommes environ ; depuis malgré l'incorporation des
anciens canonniers et cavaliers dans leur arme, malgré la radiation des hommes
impropres au service, la force des régiments réunis s'est élevée à 54,000
hommes par le recrutement et la rentrée de la classe de 1826. Le nombre diffère
bien peu du complet fixé par les arrêtés d'organisation.
L'artillerie se
recruta dans une proportion plus forte encore ; l'effectif fut porté de 4,670 à
6,160 ; la cavalerie reçut aussi une augmentation de force par le recrutement,
les mutations de l’une arme à l'autre, la rentrée de miliciens ; elle compte
5,200 cavaliers, y compris trois escadrons de gendarmerie.
La gendarmerie avait
rejoint l'armée au mois d'août, mais ces escadrons réunis à la hâte, formés
d'hommes qui avaient perdu l'habitude du service actif, d'officiers étrangers
aux manœuvres de cavalerie, ne furent presque d'aucune utilité, leur
réorganisation et leur réunion en régiment de grosse cavalerie, depuis le mois
de septembre, les soins donnés à l'instruction, en ont fait un véritable corps
d'élite.
A l'exception de la
gendarmerie, tous les hommes nouvellement incorporés durent être équipés et
armés à neuf. Plus de 12,000 hommes étaient dans cette catégorie, pendant que
des milliers d'autres n'avaient reçu avant le 20 août que les objets de petit
équipement, pendant qu'une partie d'armes devait être renouvelée.
L'activité fut si grande
dans les préparatifs de réorganisation que les miliciens rappelés par la loi du
22 septembre rejoignirent leurs corps du 1er au 5 octobre, furent habillés,
équipés et armés dès le lendemain. L'organisation des 4 bataillons était
achevée à la même époque ; j'assistais dès les 6 et 8 octobre aux manœuvres des
4ème bataillons des 5ème,10ème et 11ème régiments.
En suivant la marche
progressive de la réorganisation et du recrutement de l'armée, j'ai négligé des
faits qui se rapportent à des dates plus reculées : j'y reviens.
Aucune ligne de
défense n'avait été établie sur nos frontières, dégarnies de places fortes sur
plusieurs points importants ; depuis notre séparation de la Hollande, on
n'avait pas remédié à ce vice ; à peine quelques travaux de défense entrepris
après la reprise des hostilités étaient-ils achevés, lorsque j'arrivai au
ministère de la guerre. J'ai eu l'honneur de vous le dire, quelques officiers
du génie furent chargés de l'assiette d'un camp ; d'autres eurent la mission de
mettre à profit toutes les difficultés du terrain, de défendre les points de
passage de nos rivières et d'augmenter les obstacles qu'elles présentaient
naturellement ; d'autres encore mirent nos places fortes en état de défense.
Depuis le mois de septembre il a été ordonnancé ou demandé 322,079 florins pour
travaux de campagne, et 283,238 pour mise en état de défense ; il est à
présumer qu'une somme de 50,000 florins sera encore nécessaire pour achèvement
de travaux. Ce sont là des dépenses extraordinaires et indépendantes de
l'entretien régulier des places de guerre et de quelques réparations estimées à
300,000.
Le manque d'armes de
guerre s'était fait sentir depuis longtemps : les magasins étaient épuisés, si
j'en excepte 15,000 fusils, la plupart impropres au service de la guerre,
funeste présent que l'Allemagne avait fait à mes prédécesseurs, et qui arriva
au milieu des évènements du mois d'août, dans un moment où de toute part on
réclamait des fusils ; dans un moment où tout contrôle était impossible.
Je le déclare, dans
l'intérêt de la vérité, le ministre qui a siégé avec moi pendant plusieurs mois
dans le conseil du Régent avait usé de tous les moyens pour procurer des armes
au pays ; des marchés important avaient été passés ; mais il ne put parvenir à
les faire tous exécuter. Je fus plus heureux sans être plus zélé.
Je fis revivre avec
quelques changements, un contrat qui devait procurer 30,000 fusils sans nuire
aux fabrications existantes ; je compte qu'il en sera fourni de 20 à 25,000 sur
ce marché, dont la fourniture expire à la fin de l'année. J’eus le bonheur
d'obtenir ailleurs 25,ooo fusils dont les 4/5 sont du modèle 1777 corrigés en
1816, ou en d'autres termes semblables à ce qu'on fabrique de mieux dans le
pays.
Cette bonne fortune
me permit de devenir plus difficile sur la fabrication intérieure ; les
fournitures faites à Liége et à Bruxelles me donnèrent les moyens d'échanger
les armes défectueuses et de compléter l'armement de la garde civique.
Ceux qui voulurent
bien nous céder des armes, nous proposèrent en même temps des délais pour le
paiement ; les dépenses pour cet objet figurent au budget de 1832 pour les 4/5
; mais depuis le mois de septembre, il a été fourni 24,746 fusils et 5,000
sabres, il sera encore livré avant le 1er janvier prochain 35,000 fusils
indigènes, dont le paiement se fait au comptant. Messieurs, j'estime qu'ainsi
l’Etat sera en possession de 200,000 fusils de munition, et que le gouvernement
peut dès lors rendre au commerce des armes la liberté dont il a été privé dans
l'intérêt du pays.
J'arrive, Messieurs,
à un nouvel élément de force publique que le gouvernement ne pouvait perdre de
vue. La garde civique, bien organisée, était appelée, malgré les vices nombreux
de la législation, à rendre d'éminents services ; rien ne fut négligé pour
l'utiliser.
Les ambiguïtés de la
loi, la confusion des expressions « mobilisés
et mis en activité » employées l'une pour l'autre, avaient donné
lieu à des conflits d'attributions. D'accord avec mon collègue le ministre de l'intérieur,
nous tranchâmes toutes les difficultés, simplifiâmes le travail en chargeant
l'un de nous de l'organisation, de l'armement et de la mobilisation des gardes
civiques. Cette milice citoyenne ne pouvait fournir que des fantassins et des
artilleurs, et cependant l'arme de la cavalerie était en apparence celle qui
réclamait le plus de surcroît de force. Messieurs, il eût fallu s'écarter des
règles en usage dans les armées européennes, se soumettre à la nécessité, si le
genre de guerre que nous avions à soutenir, la situation topographique du pays,
n'avaient pas favorisé une dérogation : nos places fortes réclamaient surtout
de l'infanterie et de l'artillerie ; toute la gauche de notre ligne est
impropre à l'action de la cavalerie. Dès le Ier octobre, 10,000 hommes de garde
civique étaient sous les armes, avaient quitté leurs foyers et tenaient
garnison ou occupaient la ligne de défense des Flandres. Aujourd'hui ce nombre
est doublé, tous les bataillons font le service avec zèle ; plusieurs peuvent rivaliser
d'instruction avec l'infanterie de ligne. A mesure de la mise en activité, les
hommes furent armés, les mauvais fusils échangés. Il a été délivré ainsi à la
garde civique et à la ligne 30,000 armes à feu de bonne qualité.
Par suite du rejet
d'une proposition du gouvernement, les gardes furent habillés aux frais de
l'Etat. Le dénuement de tous les bataillons, l'urgence de pourvoir aux
vêtements, forcèrent le gouvernement à généraliser les fournitures, à pourvoir
à l'habillement de tous indistinctement. Il n'avait pas le temps de différer la
mise en activité : l'armistice devait expirer le 10 octobre : il n'avait pas
les documents nécessaires pour distinguer le pauvre de l'homme aisé ; il ne
pouvait laisser le soldat dépourvu de linge ou de chaussure en attendant les
décisions des conseils communaux ; et d'ailleurs, messieurs, ces
décisions eussent entraîné une confusion, parce que la loi n'était plus
applicable. Dès que l'habillement n'était pas une charge communale pour les
gardes indigents, il ne pouvait être une obligation personnelle pour les autres
gardes.
De ce chef, il a été
fait déjà des fournitures pour 300,000 florins, et cependant l'équipement est
incomplet, et le besoin de capotes se fait vivement sentir ; les dépenses pour
cet objet exigeront encore une somme égale à celle employée jusqu'ici.
Indépendamment des
troupes dont je viens de parler, un bataillon de mineurs et sapeurs était
organisé depuis longtemps, sa force s'élève à 1,064 hommes. Le Gouvernement
jugea utile la création d'un régiment étranger, vous me permettrez de ne pas
m'étendre sur les motifs de cette détermination. Il comprit également le besoin
de former un corps de partisans peu nombreux, mais composé d'hommes de
résolution. Ce corps compte déjà 500 hommes. Le régiment étranger se recrutera
plus lentement, les conditions mises à l'admission en sont la cause unique.
L'énumération qui
précède vous livre le secret gardé jusqu'ici sur notre véritable force. Le
gouvernement belge n'a rien à redouter de la publicité quand il vous compte
87,000 hommes sous les armes, indépendamment des compagnies sédentaires et de
la gendarmerie chargée de la police intérieure ; au moment même où il a mis à
la réforme les hommes impropres au service ; quand il a devers lui les moyens
d'augmenter en quelques heures, la force active de 2,000 à 3,000 hommes
instruits ; quand il peut disposer pour le service des places de plusieurs
autres mille hommes de garde civique.
Je ne terminerai pas,
messieurs, ce qui concerne la force de l'armée, sans dire un mot des gardes
civiques à cheval d'Anvers et de Liége ; depuis la rupture de l'armistice, ils
font avec zèle et désintéressement le service de cavaliers.
Il me reste,
messieurs, à vous entretenir d'une branche essentielle du service, celui des
subsistances. Le passé nous avait donné une cruelle leçon, aussi je n'eus ni
paix ni repos avant que le service des vivres ne fût assuré de manière à
procurer sur tous les points une nourriture saine au soldat, sans lésion pour
le trésor public.
J'ai été l'objet
d'accusations assez graves pour les marchés que j'ai conclus ; avant
d'expliquer les faits, je vous déclare, messieurs, que j'ai traité directement
et seul tout ce qui concerne cet objet. L'importance de la chose ne fut pas la
cause unique de ma sollicitude, elle était plutôt excitée par le besoin
d'imposer silence à la calomnie, d'éviter jusqu'au plus léger soupçon des
envieux et des jaloux. Plein de confiance dans les chefs du service
administratif, je crus néanmoins devoir agir sans leur intermédiaire, parce que
j'étais placé dans une position favorable, ma vie ayant été plus publique que
la leur.
Précédemment l'on
avait tenté infructueusement d'adjuger publiquement les vivres de campagne ;
l'on en était revenu forcément à traiter de gré à gré : les essais comme les
marchés furent partiels, chaque fournisseur était circonscrit dans les limites
d'une province. Dans le Brabant, le service n'était pas assuré ; dans le
Limbourg il ne l'avait été que pour la formation d'un camp à partir du 10 août. Cet état de choses compliqua
singulièrement notre position ; non-seulement il devait en résulter une extrême
difficulté de se procurer des vivres au moment de l'entrée en campagne, mais
encore celle d'établir ex abrupto un service régulier de transport et de
distribution. Les résultats de ces embarras dans le Limbourg vous sont connus,
dans le Brabant on parvint à traiter avec l'entrepreneur d'Anvers, au moment
même où une division passait de l'une province à l'autre.
Des Flandres il ne
s'éleva aucune réclamation ; la nature des opérations militaires, la fertilité
du sol y rendaient le service plus facile. Au moment où j'entrai au
ministère, on soumit à mon approbation un contrat de subsistance pour la
Flandre Occidentale. Il renfermait une clause à laquelle je ne pus souscrire ;
celle d'avertir l'entrepreneur quinze jours d'avance du terme de la
distribution des vivres de campagne. Je fus forcé de ne donner qu'une
approbation conditionnelle parce que dès lors je ne comptais plus laisser le
soldat dans les cantonnements. Celte clause d'ailleurs était illusoire, parce
que le marché était passé pour un nombre d'hommes indéterminé, pour les
brigades mobiles dans la Flandre Occidentale. Ces brigades pouvaient être
réduites à rien par suite de mutations ; elles l'eussent été infailliblement
par les fièvres des Polders, qui accablaient les 6ème et 8ème régiments.
Cependant pour éviter tout froissement d'intérêt, je laissai continuer le
service de l'entrepreneur jusqu'au 1er septembre. A cette époque, toutes les
troupes rentrèrent en garnison.
Le sieur De Visser
Vanhove, entrepreneur de la province d'Anvers, avait dans un moment difficile,
fourni des vivres au gros de l'armée ; je lui offris de continuer le service au
camp sur le pied de son contrat, du moins provisoirement ; il insista pour une
augmentation de prix, mais pressé par le besoin d'évacuer ses magasins, il
souscrivit à mes propositions et continua la fourniture à raison de 26 75/100
la ration complète.
Toutefois j'avais la
conviction que le sieur De Visser ne consentirait pas à étendre les clauses de
son marché ; qu'il était impossible qu'au prix stipulé il s'engageât à fournir
des approvisionnements de réserve, à suivre les mouvements d'une armée en
campagne ; je nourrissais d'ailleurs l'idée de passer un marché général, seul moyen
d'assurer les subsistances toutes les fois que l'armée se meut.
Le peu de succès des
tentatives antérieures d'adjudication publique, le besoin d'une spécialité,
d'un homme habitué à ce genre de service, enfin la nécessité de tenir le
munitionnaire au courant des mouvements de l'armée, me firent abandonner tout
essai d'adjudication publique, et me déterminèrent à faire un marché de gré à
gré.
Je priai le sieur De
Visser Vanhove de se rendre à Bruxelles, je lui fis des propositions et
l'engageai à me donner ses conditions par écrit. L'expérience qu'il avait
acquise et le bas prix de son entreprise me firent d'abord recourir à lui.
Les différents
marchés antérieurs avaient été conclus aux conditions ci-après :
27.c. 49 à Namur ;
bois et vinaigre non compris ;
30 c. dans le Hainaut
ration complète ;
27 c. 40 dans la
Flandre orientale ;
27 c. dans la Flandre
occidentale ;
26 c. 75 à Anvers et
postérieurement dans le Brabant.
Je ne parle pas de l'entreprise
pour le camp de Zonhoven ; la ration était calculée à raison de 26 cents, mais
à part le chauffage ; cette ration était plus élevée de 0 c. 5o que celle du
sieur Vanhove ; ce contrat n'était d'ailleurs conclu que pour des troupes
concentrées dans un camp.
Le sieur De Visser,
celui qui avait fourni jusque-là les subsistances au plus bas prix, et même
dans des localité moins riches de grains et de bestiaux que d'autres, me fit
une soumission, le 26 septembre, à raison de 31 1/4 de cents la ration : j'ai
produit la pièce originale à votre commission.
Je fis les mêmes
propositions au sieur Renier Hambrouk ; ancien agent des subsistances de
l'armée française, munitionnaire des armées étrangères qui nous envahirent en
1814, qui occupèrent la Belgique en
1815, il avait une réputation bien établie, les connaissances et l'activité
nécessaires. Il soumissionna à raison de 28 50.
Ce prix me parut
avantageux, attendu l'importance du service, les approvisionnements immenses à
réunir, l'obligation de suivre tous les mouvements de l'armée. Cependant je
revis encore le premier soumissionnaire, je cherchai à obtenir d'autres
conditions ; il accéda à une diminution d'un cent et fixa définitivement son
prix à 30 c. 25, protestant des pertes énormes qu'il faisait à son marché
antérieur.
Les plaintes se
succédaient déjà sur le service des vivres au camp, je me hâtai de conclure,
convaincu que le seul moyen de procurer au soldat des vivres sains, était une
augmentation de prix : le sieur Hambrouk devint entrepreneur général. Il n'y
avait d'ailleurs pas de temps à perdre, les hostilités pouvaient recommencer le
10 octobre ; le service devait être assuré avant cette époque, les magasins
établis, les places fournies d'approvisionnements de siège.
Messieurs, je
m'applaudis tous les jours d'avantage du marché que je suis parvenu à conclure
: tous les rapports attestent que depuis le 10 octobre, les subsistances ont
été assurées d'une manière régulière sur tous les points, que jamais armée n'a
été mieux nourrie. Du 26 septembre au 10 octobre, au contraire, les plaintes
étaient journalières sur la qualité des vivres. Je m'applaudis d'avoir obtenu
un prix qui, en promettant des bénéfices raisonnables, ne permet de supposer ni
dilapidation ni prodigalité ; à cet égard, j'ai recueilli des preuves
authentiques, et puis donner officieusement tous les apaisements désirables.
Messieurs, je viens
de vous exposer fidèlement les faits. Je ne puis donc concevoir comment on a pu
supposer que des offres avaient été faites à raison de 23 cents par ration, à
moins qu'une fourniture extraordinaire d'un jour de durée, n'y ait donné lieu.
Antérieurement à mon
administration, dans un moment d'urgence, on invita un entrepreneur à fournir
10,000 rations ; engagé par d'autres contrats, il voulut faire preuve de
bonne volonté, et fournit ce qu'on lui avait demandé à raison de 22 c. 75, non
compris le riz, le vinaigre et le bois qui eussent porté le prix à 26 c. 50 ;
et depuis, l'entrepreneur m'a déclaré qu'il avait fait une perte considérable
sur cette entreprise d'un jour.
Telles sont,
messieurs, les mesures prises pour réorganiser l'armée et la mettre sur un pied
capable, non seulement d'en imposer à l'ennemi, mais d'assurer la victoire ;
telles les mesures pour l'établissement d'un système de défense, et l'action
régulière de tous les services.
Leur énumération
justifiera, je l'espère à vos yeux, la demande du crédit supplémentaire ; l'économie
apportée dans les changements introduits dans la fixation des soldes des
officiers promus à de nouveaux grades, m'autorise à réclamer un nouvel acte de
confiance. Oui, messieurs, le gouvernement réclame la confiance de la
législature, il en a besoin pour accomplir sa mission ; il en a plus
spécialement besoin pour régulariser et liquider les exercices de 1830 et 1831 . Il y a en effet des dépenses non
renseignées au ministère, des comptes qui ne lui ont jamais été soumis. Tous
les jours encore des communes présentent des états de logement et de
fournitures faites à la troupe en 1830, tandis que le ministère, de son côté,
n'a pas encore obtenu ses apaisements sur l'emploi de fonds confiés, dans les
premiers mois de la révolution, à plusieurs officiers de l'armée.
Toutefois, Messieurs,
pour éclairer la discussion, je joins ici l'état des dépenses faites pour les
10 premiers mois par nature de service (le relevé de ces dépenses n’est pas
repris dans la présente version numérisée) A ce relevé, messieurs, il
faut ajouter les crédits du mois d'octobre, ouverts trop tard pour être payés
avant le 1er novembre ; le crédit pour solde, vivres, etc., du mois de novembre
; les demandes de paiement faites et non ordonnancées, et déjà renseignées à
l'état qui vous a été fourni à l'appui de la demande de crédit ; enfin toutes
les autres sommes qui figurent sur le même état, ce qui forme un total de
34,763,247 fl. 94 c., tandis qu'il est demandé un crédit à concurrence de f 34,800,000.
Cette différence provient encore des crédits du mois d'octobre. En effet,
messieurs, d'après les renseignements que vous possédez, il ne serait resté disponible
au 1er novembre que 5,181,100 florins sur des crédits qui s'élèvent ensemble à
52,000,000 fl. ; ou en d'autres termes, il aurait été disposé de 26,819,000 fl.
soit en ordonnances, soit en crédits ouverts, mais pour le mois d'octobre il a
été ouvert un crédit supplémentaire de 840,000 ; savoir, le 24 octobre 350,000
fl. le 27 octobre, 190,000 fl et le 3 novembre 300,00 fl.
Les deux dernières
parties ne peuvent être portées en dépense par les administrateurs du trésor
qu'en novembre ; il doit en être de même pour quelques mille florins sur le
crédit primitif. Ainsi donc la nouvelle manière de vous présenter les chiffres,
confirme l'exactitude des calculs qui ont servi de base à la demande de
2,800,000 florins, et vous donne un moyen de les vérifier approximativement.
L'examen rapide du
budget que j'ai l'honneur de vous présenter sera, je m'en flatte, un titre de
plus à votre confiance. Mais avant le budget, le gouvernement soumet à votre
approbation un projet de loi qui fixe le contingent de l'armée pour l'année
1832.
Ce projet est dicté
par le même esprit que la loi des dépenses ; il prévoit d'abord l'état de paix.
Le contingent de
l'armée est divisé en trois catégories : les hommes sous les drapeaux, les
miliciens en congé et ceux en réserve.
La réserve se compose
de la levée de 1832, elle est évaluée à 12,000 hommes, sauf à n'appeler plus
tard sous les armes que les hommes nécessaires au service. Le mode de fixer un maximum
présente l'avantage de pouvoir passer plus vite du pied de paix au pied de
guerre. Il correspondrait à une force de 80,000 hommes, si toutes les levées
avaient été fixées de la même manière.
Le pouvoir législatif
est substitué par l'article 119 de la constitution au pouvoir que le Roi
exerçait en vertu de l'article 11 de la loi du 8 janvier 1819. Les
inconvénients de la fixation annuelle se sont fait sentir dans l'exécution de
cet article, depuis que nous sommes en état de guérie. Les contingents
n'avaient été portés qu'aux 3/4 des limites fixées par la loi, et, chose
étonnante, celui de 1831 ne dépasse guère la moitié, ou 1 homme sur 600.
Il eût fallu une
interprétation judaïque pour revenir sur le passé, instituer des conseils de
milice pour examiner tous les cas d'exemption des hommes appelés
complémentairement ; la fixation du maximum remédie à cet inconvénient,
sans entraîner l'obligation d'appeler plus d'hommes sous les armes.
Je m'explique : les
hommes propres au service sont, après examen des conseils de milice, les uns
désignés pour le service, les autres pour suppléer aux mutations, et tous
renvoyés dans leurs foyers. Les hommes désignés pour le service sont
nominalement incorporés jusqu'à l'appel sous les armes, et s'il survient après
l'incorporation des motifs d'exemption, il y est fait droit chaque année à une
époque fixe, en vertu de l'article 21 de la loi du 8 janvier 1817 ; tandis que
les hommes non désignés, dans le principe, font valoir leurs réclamations,
constater leur nouvelle position au moment où ils sont appelés par suite de
mort, de désertion au d'autres causes de mutation. Il résulte de là que dans le
dernier cas, il faudrait procéder aux longues opérations des conseils de
milice, pour appeler au service tous les hommes non désignés si le contingent
primitif n'était pas porté au maximum ; tandis que dans le premier cas,
l'opération de la révision se fait à époque fixe, et que d'un jour à l'autre on
peut appeler tous les hommes d'une levée sous les drapeaux ou bien telle
fraction que le gouvernement juge utile. En divisant le maximum en
plusieurs parties suivant l'ordre des numéros du tirage au sort et de la
population des cantons, il ne résulterait aucun préjudice pour les individus,
parce que chacun connaîtrait le degré de probabilité qu'il a de servir
activement.
Le contingent en
congé illimité est formé de l'excédant des miliciens de 1830, 1829, 1828 et
1827, après la formation des cadres au complet de paix ; la levée de 1827 n'y
figure que pour une partie de l'année. Le nombre d'hommes de cette catégorie
est indéfini, il dépend du nombre de volontaires qui se trouveront sous les
armes au 1er janvier, et de toutes les mutations à intervenir avant cette
époque.
Enfin le contingent
réel est fixé à 27,000 sous-officiers et soldats.
Ce nombre, dont les
tableaux à l'appui du budget expliquent la composition, paraîtra peut-être trop
élevé au premier aperçu, mais il ne représente pas un pied de paix définitif.
Il exprime un état transitoire, le passage du pied de guerre au pied de paix.
Vous partagerez sans doute l'opinion qu'il est impossible de désarmer
brusquement ; un licenciement est à la fois impolitique et dangereux.
Le projet ne fait pas
mention du rappel des hommes en congés ; le gouvernement ne compte pas
assujettir aux exercices d'automne les hommes dont la présence au corps n'a pas
été interrompue depuis la révolution. Il attendra la révision des lois sur la
milice pour régler ce point, et profitera de l'intervalle pour l'instruction
théorique et pratique des cadres.
Enfin., l'art. 4 du projet
fixe le contingent du pied de guerre. Il est déterminé d'après la force
actuelle, plus la levée de 1832.
Messieurs,
l'imperfection du projet tient au mode du recrutement établi ; le gouvernement
du Roi comprend qu'il doit être mis en harmonie avec la constitution, il
s'occupe de l'étude des différents systèmes en vigueur chez les peuples de
l'Europe, afin de vous présenter un projet qui réunisse l'économie à la
facilité d'arriver promptement à mettre l'armée sur le pied de guerre, qui se
prête à former le plus grand nombre de soldats en blessant le moins possible
les intérêts domestiques.
Le budget que j'ai
l'honneur de vous présenter est basé sur le projet qui fixe le contingent ;
après vous avoir expliqué les motifs de celui-ci, je vais parcourir successivement
les différentes parties de celui-là.
(Note du webmaster : le ministre de la guerre poursuit son exposé en
détaillant les crédits demandés : cette partie de son discours n’est pas
reprise dans la présente version numérisée. Il termine ainsi : )
Messieurs, le
gouvernement soumet avec confiance à votre investigation et à votre approbation
le budget des dépenses du Ministère de la Guerre ; il est persuadé que vous
trouverez dans les détails minutieux qui le justifient la preuve de son désir
de suivre franchement les voies constitutionnelles, de travailler au grand
jour, et d'agir dans l'intérêt bien entendu de la nation Belge.
Pour moi, messieurs,
heureux de pouvoir vous donner une nouvelle preuve de loyauté et de dévouement,
j'espère avoir concilié les intérêts du trésor de l'Etat avec ceux de la brave
armée dont le Roi a bien voulu me confier l'administration ; citoyen et soldat,
je n'oublierai jamais ni ce que je dois au pays, ni ce que je dois à l'armée.
(Moniteur belge n°163, du 25 novembre 1831) La séance est levée à 4
heures et un quart.
Noms des
représentants absents sans congé à la séance du 23 novembre 1831 : MM.
Angillis, Blargnies, Coppens, Domis, Dumont, Gelders.