Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12
octobre 1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
2) Vérification des pouvoirs des membres
nouvellement élus (Polfvliet, Pirson,
Duvivier, Mary)
3) Projet de loi relatif au conseil des mines
(+conseil d’Etat)
4) Nomination du greffier de la chambre
5) Projet de loi relatif à l’indemnité
parlementaire (Coghen, Legrelle,
de Muelenaere, Devaux)
6) Projet de loi relatif à la sûreté de l’Etat
(notamment droit des étrangers, garantie de la liberté individuelle) (de Robaulx, H. de Brouckere,
Seron, Fallon, de
Nef, Jullien, Raymaeckers,
H. Vilain XIIII, d’Huart)
(Moniteur belge
n°121, du 14 octobre 1831)
(Présidence
de M. Destouvelles.)
La
séance est ouverte à une heure.
M. Dellafaille lit le procès-verbal qui est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à
la commission.
-
Un congé de huit jours est accordé à M. de Gerlache.
VERIFICATION DES
POUVOIRS DES MEMBRES NOUVELLEMENT ELUS
Sur
la proposition de M. de Terbecq, rapporteur de la commission
chargée de la vérification des pouvoirs, et de M. Fleussu, autre rapporteur,
MM. Polfvliet de Malines et Pirson de la province de Namur, sont nommés membres
de la chambre des représentants.
M. Devaux, rapporteur de la commission de la vérification
des pouvoirs, pour la province du Hainaut, propose l’admission de MM. Auguste
Duvivier, et Edouard Mary, député de Soignies, qui sont également proclamés et
qui prêtent serment, ainsi que M. Polfvliet.
PROJET DE LOI RELATIF
AU CONSEIL DES MINES
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere) présente un projet de loi, tendant à accorder au conseil
des ministres les attributions du conseil d’Etat, en ce qui concerne
l’exécution de la loi du 21 avril 1810, et des autres lois et règlements sur
les mines.
M. le président consulte la chambre sur la question de savoir
si ce projet de loi sera imprimé et distribué ou seulement inséré au Moniteur ; la chambre ordonne
l’impression et la distribution en la forme ordinaire.
NOMINATION DU
GREFFIER DE LA CHAMBRE DES REPRESENTANTS
L’ordre
du jour est la nomination du greffier de la chambre.
M. le président tire au sort trois bureaux de scrutateurs :
Premier
bureau : MM. Jonet, Poschet de Chimay, Coppieters et Helias d’Huddeghem.
Deuxième
bureau : MM. Leclercq, Dugniolle, Boucqueau de Villeraie et d’Hoffschmidt.
Troisième
bureau :MM. C. Rodenbach, Delehaye, Domis et Van Innis.
Un
huissier fait courir l’urne ; on procède ensuite au dépouillement du scrutin,
dont voici le résultat : M. G. Leclercq a obtenu 18 suffrages ; MM. Cols, 15 ;
Renoz, 12 ; Peeters, 10 ; Bourcier, 7 ; Brandener, 3 ; Bosquet, 2 ; Boisseau 2,
et Lelièvre, 1.
M. le président. - Aucun des membres n’ayant obtenu la
majorité, on va procéder à un second tour de scrutin.
Voici
le résultat du second tour de scrutin : M. G. Leclercq obtient 26 suffrages ;
M. Cols, 23 ; M. Peeters, 9 ; M. Renoz, 6 ; M. Bourcier, et M. Derasse, 1.
Aucun
des candidats n’ayant encore obtenu la majorité, on procède à un scrutin de
ballotage entre MM. Leclercq et Cols.
Après
le dépouillement du scrutin, M. Leclercq annonce que M. G. Leclercq a obtenu 36
suffrages, et M. Cols 35.
En
conséquence, M. G. Leclercq est nommé greffier de la chambre. Il prêtera
serment entre les mains de M. le président.
PROJET DE LOI RELATIF
A L’INDEMNITE PARLEMENTAIRE
M. le ministre des finances (M. Coghen) présente un projet
de loi qui fixe l’époque à laquelle commence à courir l’indemnité mensuelle allouée
aux représentants, en vertu de l’article 52 de la constitution. Voici le tetxe
du projet :
« Léopold,
roi des Belges ;
« A
tous présents et à venir, salut.
« De
l’avis de notre conseil des ministres, nous avons chargé notre ministre des
finances de présenter aux chambres le projet de loi dont la teneur suit :
« Art.
unique. L’indemnité mensuelle, fixée par l’article 52 de la constitution,
commence à courir :
« pour
les députés élus avant la session, à dater du jour de l’ouverture des chambres,
s’ils prêtent serment dans les huit jours qui suivent la vérification de leurs
pouvoirs ; s’ils ne prêtent le serment dans ce délai, l’indemnité ne court qu’à
dater du jour de la prestation du serment ;
« pour
les députés élus pendant la durée d’une session, l’indemnité leur est due à
dater de la prestation de leur serment.
« Donné
à Bruxelles, le 12 octobre 1832. »
M. le président consulte l’assemblée pour savoir si on veut que
ce projet soit imprimé et distribué, ou si elle veut le discuter sur-le-champ.
Quelques voix. - L’impression !
M. Legrelle. - Je m’oppose à la
discussion immédiate ; c’est une affaire qui nous est personnelle ; on pourrait
trouver notre empressement intéressé. (Rires
et réclamations diverses.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Le projet est très simple et peut être
discuté sur-le-champ. Ce n’est pas d’ailleurs une question personnelle, comme
l’a dit le préopinant.
M. Devaux. - Je crois qu’il ne
faut jamais dévier de l’ordre du jour qui a été fixé, à moins qu’il n’y ait
urgence, et ici je ne crois pas qu’il y ait urgence. (On rit.)
-
L’assemblée décide que le projet ne sera pas discuté immédiatement.
PROJET DE LOI RELATIF
A LA SURETE DE L’ETAT
Discussion générale
L’ordre
du jour est la discussion du projet de loi relatif à la sûreté de l’Etat.
La
discussion est ouverte sur l’ensemble.
M. de Robaulx. - Messieurs, s’il
est vrai que la révolution belge ait procuré au pays une constitution très
libérale, il ne l’est pas moins que, depuis quelques temps, on s’étudie à paralyser
la mise en pratique de ses plus belles théories, et à profiter de prétendues
circonstances extraordinaires pour organiser un effrayant arbitraire.
C’est,
en effet, sous de pareils prétextes que le gouvernement a demandé et obtenu une
loi qui, malgré l’esprit de nos institutions, remet au caprice du pouvoir le
sort de l’armée et des officiers ; c’est en invoquant les circonstances
extraordinaires que les ministres ont fait voter une loi qui leur permet, par
des mesures fiscales et vexatoires, de procéder au désarmement du pays, dans un
moment où chaque citoyen peut être dans le cas de défendre ses loyers et son
indépendance.
C’est
en invoquant les circonstances extraordinaires que, depuis dix mois, on nous
fait voter de confiance, sans examen ni comptes rendus, des crédits, des
contributions, et des emprunts forcés, tandis que les articles 111 et 113 de la
constitution en vigueur exigent que chaque année, les chambres arrêtent la loi
des comptes et votent le budget.
C’est
encore au moyen de ces mots magiques qu’un ministre, homme de la légalité s’il
en fut jamais, vient aujourd’hui réclamer des dispositions préventives,
antipathiques à nos mœurs, une loi de proscription contre tous les étrangers
qui ne plairont pas aux ministres, une loi des suspects contre les étrangers et
les Belges eux-mêmes ; et, pour compte de malheur, il semble que l’on se soit
étudié à rendre cette mesure plus odieuse, en en confiant l’exécution à un chef
de police. Pauvre liberté individuelle, en quelles mains vas-tu être livrée !
Le
projet de loi en discussion mérite toute l’attention de la chambre,
principalement sous trois points de vue : l’expulsion des étrangers,
l’abrogation des garanties de la liberté individuelle à l’égard des Belges
eux-mêmes, et la création d’attributions extraordinaires et
inconstitutionnelles en faveur d’un chef de police.
L’article
3 permet au gouvernement d’expulser du sol belge, et sans forme de procès, tous
les étrangers, ou, s’il le préfère, de les soumettre à une surveillance
spéciale avec assignation de résidence.
Cette
disposition est, selon M. Raikem, toute rassurante ; car, suivant lui,
« les étrangers véritablement attachés à la cause belge n’en doivent
concevoir aucune alarme : le gouvernement a le plus grand intérêt à les retenir
en Belgique. » Mais le ministre ne nous dit pas quelle garantie auront ces
étrangers contre le caprice et l’arbitraire du ministère, lorsqu’il voudra user
plus largement de cet article 3 qui ne fait aucune distinction.
Il
poursuit : « Ceux appartenant à des puissances qui ont des agents
diplomatiques dans notre royaume trouvent des moyens de protection dans ces
agents ; et, quant aux autres, on ne peut admettre indistinctement leur
résidence sur notre territoire : c’est une mesure de sûreté que les nations ont
toujours prise dans des circonstances extraordinaires. »
Remarquez,
messieurs, la futilité de pareils motifs, je dirai plus, de pareils prétextes.
Notre constitution, qui accorde protection et résidence aux étrangers, a-t-elle
fait une différence entre ceux protégés par des agents diplomatiques et ceux
qui n’ont pas pareille protection ? D’ailleurs, combien d’agents étrangers
avons-nous ? En existe-t-il plus de deux en Belgique ?
Ainsi
les Espagnols, les Portugais, les Polonais, les Italiens, et tant d’autres qui
n’ont pas attendu qu’on les pendît par application du principe de
non-intervention de Casimir Périer, seront forcés d’aller se livrer à leurs
bourreaux ou de chercher d’autres pays plus hospitaliers que le nôtre, et ce
sous le bon plaisir du grand policier de la Belgique, qui commencera par les
faire emprisonner avant de les faire conduire à la frontière ! Il n’est pas
même dit si la victime pourra choisir l’endroit de la sortie !
Une
pareille loi est contraire à votre constitution ; elle blesse les lois de
l’humanité.
La
proposition ministérielle ne se borne pas à constituer l’arbitraire contre les
étrangers, elle menace les Belges du même régime ; elle leur enlève la
privilège constitutionnel de ne pouvoir être arrêtés qu’en vertu de
l’ordonnance motivée du juge, sauf le cas de fragrant délit (article 7 de la
constitution.) La liberté individuelle n’est plus garantie à ceux que le
gouvernement ou le chef de police considérée comme suspects d’intelligence avec
les ennemis ou leurs agents (article 8 du projet.)
Voulez-vous
savoir pourquoi le ministère nous convie à déchirer l’article 7 de la
constitution qui garantit la liberté individuelle ? Ecoutez les motifs que
donne M. Raikem ! « Lorsqu’il s’agit d’intelligence avec l’ennemi ou ses
agents, celui qui se place dans cette position abdique, par le fait même, la
qualité de Belge. » C’est-à-dire que, dès que le gouvernement suspectera
un Belge d’intelligence avec l’ennemi ou ses agents, celui-ci perdra la qualité
de Belges et les garanties constitutionnelles ; il sera mis hors la loi.
Bien
raisonné, MM. les ministres ! Sous la terreur, on ne se servait pas d’autre
argument pour envoyer à l’échafaud les suspects d’intelligence avec les
factions de Coblentz ; mais où avez-vous trouvé cette manière d’abdiquer la
qualité de Belge ; et qui vous a permis de renouveler de pareilles maximes ? Il
n’y a que la panique ou des intentions douteuses qui puissent faire raisonner
ainsi.
Un
troisième défaut du projet consister à investir le chef de la police de
prérogatives exorbitants ; c’est de conférer à un agent ministériel les
attributions qui n’appartiennent qu’à des magistrats dont l’indépendance et une
garantie pour les citoyens. C’est en effet violer la constitution que de
permettre l’arrestation sur l’ordonnance d’un agent de police, lorsque la
constitution exige l’intervention d’un juge. Outre l’emprisonnement des
citoyens, le projet consacre et légitime la plus odieuse violation du domicile
et du secret des familles. Je ne parle pas du secret des lettres, il n’était
déjà pas observé, je tiens en main la preuve de ce que j’avance ; le fait m’est
personnel. L’ensemble de la loi proposée tend à suspendre plusieurs points
capitaux de la constitution, par la création d’une sorte de dictature d’autant
plus dangereuse qu’elle serait exercée par un agent subalterne. Il faut bien
que telle soit l’intention du ministre, puisqu’il appuie son projet de
l’exemple « du peuple-roi, qui créait une dictature dans des circonstances
difficiles, et défendait sa liberté en se plaçant momentanément dans une
dépendance absolue. » Sans examiner si le peuple romain s’est donné des
dictateurs ou si on lui en a imposé, toujours est-il que l’exemple est mal
choisi ; car les chambres n’exercent pas en Belgique la plénitude de la souveraineté,
comme le faisait le peuple-roi ; il est même impossible à la législature de
suspendre ou de changer ce que le pouvoir constituant a décrété par l’article
130 de la charte belge.
Mais,
en supposant qu’’un pareil projet puisse être du domaine des chambres, on se
demande en vain quelles sont les circonstances extraordinaires tant vantées ?
Où sont les traitres ? De quels complots s’agit-il ? On n’en a point vu
jusqu’aujourd’hui. A cette occasion, je me souviens qu’un membre du
gouvernement provisoire (M. Charles Rogier) est venu, l’hiver dernier,
entretenir le congrès de prétendues conspirations et de complots qu’il
attribuait aux orangistes, au parti français et aux républicains. Je me
souviens que, dans le comité secret où ces graves révélations venaient d’être
faites, un membre (M. Devaux), qui siège encore ici, trouva l’occasion propice
pour faire créer une espèce de dictateur. Eh bien ! messieurs, le congrès ne
crut pas aux complots, le dictateur fut désappointé ; l’on épargna au pays les
dangers d’une pareille administration, et tout se passa fort tranquillement :
j’espère qu’il en sera encore de même aujourd’hui. Ce que je regrette le plus,
c’est de voir reparaître de tels projets. Le ministère les croit utiles dans sa
faiblesse ; car tout gouvernement qui est réduit à demander un semblable appui,
sera de courte durée.
Peut-être
renouvellera-t-on l’allégation qu’il y a des orangistes qui trament en secret
pour nous ramener à la restauration. Je répondrai que ceux qui travaillent
sérieusement à la restauration ne peuvent être atteints par la loi proposée. Le
mal existe, je le crois flagrant ; mais il se trouve dans la conférence de
Londres, dans l’obstination aveugle que le gouvernement belge a mise à faire de
la diplomatie quand il fallait agir, dans le système du juste milieu du
ministère français, dans le système du juste milieu du ministère français, qui,
n’ayant su se mettre à la hauteur de la position, a laissé et laisse encore
former contre la France un orage qu’il pouvait dans le temps facilement dissiper,
et qui menace aujourd’hui toutes les libertés en Europe et l’existence du trône
de Louis-Philippe. Mais, quant aux orangistes, je ne les crois pas assez
dangereux pour nécessiter le vote d’une loi qui serait une arme à deux
tranchants, bien funeste au pays si elle tombait en de mauvaises mains.
Si on voulait appliquer aux vrais coupables les
lois qui existent, on n’aurait pas besoin d’effrayer le pays par l’apparition
d’une loi de suspects et de proscription : le code pénal suffit. Veillez à
épurer la magistrature et à faire nommer de bons juges, et l’on ne verra plus
les patriotes poursuivis quand on acquitte les restaurateurs à main armée.
Ces
motifs me déterminent à refuser mon suffrage à toute loi d’exception, et
conséquemment à celle-ci.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, dans
les circonstances graves et difficiles où nous nous trouvons, et lorsque des
événements encore récents nous ont donné la preuve que notre pays renferme dans
son sein des ennemis non moins redoutables que ceux qui le menacent à la
frontière, je ne disconviens pas que le gouvernement doit déployer, pour
assurer la sécurité de l’Etat, une fermeté, une énergie, une sévérité même,
qu’en d’autres temps nous taxerions d’inutiles et d’excessives. Aussi, messieurs,
il n’est personne de nous, je pense, qui ne se sente disposé à seconder ses
efforts, à protéger sa marche. Mais, quelle que soit à cet égard notre
incontestable bonne volonté, il est deux choses que nous ne devons jamais
perdre de vue, sous peine de voir un jour tourner contre nous-mêmes les armes
que nous aurions aveuglément confiées au gouvernement : d’abord, le respect à
la constitution, respect que rien ne doit nous faire oublier, même
momentanément ; en second lieu, le soin de ne jamais sanctionner de
dispositions ouvrant un champ trop vaste et trop facile à l’arbitraire, ou
inutilement vexatoires, soit pour tous les citoyens en masse, soit pour l’une
ou l’autre classe exceptionnelles.
Si
le projet que nous allons discuter pèche sous un de ces rapports, force nous
sera bien de le rejeter ; et, il faut le dire, il est impossible de lui faire
subir un examen mû et impartial, sans reconnaitre qu’il réunit les différents
vices que je viens de signaler, vices qu’il nous faut, quoiqu’il nous en coûte,
écarter à jamais de notre législation.
Quelques
mots vont prouver ce que j’avance.
L’article
premier est relatif à ceux qui auraient entretenu avec une puissance ennemie ou
ces agents des intelligences, ou qui auraient donné aux sujets d’une telle
puissance des instructions qui, dans l’un ou l’autre cas, auraient pour but de
nuire à la situation militaire ou politique de la Belgique
Quel
est celui de vous qui, à la première lecture de cet article, n’a pas été tout
d’abord arrêté par le vague effrayant qu’il renferme ? Jusqu’ici, il faut
l’avouer, le code pénal de l’empire avait paru à tous les hommes éclairés et de
bonne foi renferme, dans son premier chapitre du livre III, des dispositions
tellement prévoyances, tellement élastiques, tellement sévères, que l’on
regardait comme presque impossible qu’en leur présence un seul fauteur de
troubles pût échapper à la justice. Aujourd’hui cependant on veut que vous les
déclariez impuissantes pour atteindre les coupables, et l’article premier qu’on
vous présente est une véritable supplément aux articles 77 et 78 du code pénal.
L’orateur
s’élève avec force contre le vague des termes de l’article premier, qu’il
trouve plus grand que le vague des articles du code pénal. Celui-ci exige au
moins qu’un fait soit constaté pour que la loi puisse l’atteindre ; l’article
premier de la loi ne punit ni un fait ni une tentative (car on sait ce qui
constitue la tentative en matière criminelle), mais l’intention, la volonté
qu’on nous impose.
L’orateur
combat aussi avec vigueur les articles 2 et 3, relatifs aux étrangers. Il
analyse ces articles ; il en expose l’esprit et les conséquences, et il ajoute
: Ah ! messieurs, il était d’autres moyens pour soumettre les étrangers à une
surveillance particulière, sans avoir recours à des mesures aussi vexatoires et
aussi odieuses. Si vous les autorisez ces mesures, ne vous aveuglez pas :
bientôt tout étranger qui se respecte quittera une terre où il ne pourrait
vivre un instant en repos et sans être exposé à toutes les humiliations, à toutes
les vexations qui pourrait imaginer une police ombrageuse comme sont toutes les
polices.
Je
passe sous silence l’article 4 ; il est le corollaire des précédents, et tombe
avec eux.
J’arrive
aux articles 5 et suivants ; ils tendent particulièrement à confier à
l’administrateur de la sûreté publique (si toutefois vous croyez qu’il est bon
qu’une loi décrète ainsi, en passant, l’existence d’un semblable
fonctionnaire), à lui confier des attributions plus étendues que n’en a eu
jusqu’ici le chef de la police. Quant à moi, je consens à ce qu’il exerce les
fonctions d’officier de police judiciaire dans toute l’étendue de
l’arrondissement de Bruxelles ; à ce qu’il puisse, dans tout le royaume,
requérir les officiers de police judiciaire de faire tous les actes nécessaires
à l’effet de constater les crimes, délits et contraventions, et d’en livrer les
auteurs aux tribunaux chargés de les punir ; à ce qu’il puisse, dans les cas
prévus par la loi, et avec les précautions qu’elle établir, procéder à des
visites domiciliaires.
Mais
je ne consentirai jamais à ce qu’il soit autorisé à délivrer des mandats
d’amener dans tous les cas et contre tous les individus, et il me suffit pour
cela que l’article 7 de la constitution statue que : « hors de cas de flagrant
délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du
juge. »
Je ne consentirai jamais à ce qu’il soit
autorisé à décerner des mandats de dépôt, même contre des étrangers, et à les
détenir trois jours, avant de les envoyer au juge d’instruction, parce que ce
pouvoir est exorbitant, et qu’il serait dangereux de le lui confier.
En
résultat, je voterai contre la loi, à moins qu’elle ne subisse de nombreuses et
importantes modifications. Si des lois d’exception sont vraiment devenues une
nécessité, je ne leur refuse pas mon vote ; mais il faut qu’elles ne dérogent
point à la constitution, et ne dépassent point les bornes de cette nécessité
bien établie. N’oublions pas, messieurs, ces paroles remarquables, citées il y
a peu d’années, à propos de semblables lois : « Les lois d’exception
sont des exubérances qui sortent du sein des révolutions. Elles appauvrissent
les Etats. C’est une lèpre qui s’attache aux corps les mieux constitués, et
finit par opérer leur ruine. »
M. Seron. - Messieurs, mon
dessein, en prenant la parole, n’est pas d’examiner sous tous ses points de vue
l’importante question qui vous est soumise ; j’aurais trop à faire, et je veux
me borner à présenter quelques observations.
Le
ministre de la justice vous dit : « L’état de guerre exige des mesures
plus rigoureuses que l’état de paix. Ce qui serait un prétexte de vexation en
temps de paix est un moyen de protection et de sécurité en temps de guerre. A
propos de la publication des lois, on a parlé dans cette enceinte des lois
romaines. Souvenez-vous de l’exemple du peuple-roi. Lorsqu’il créait un
dictateur dans les circonstances difficiles, il ne voulait pas porter atteinte
à sa liberté ; il voulait au contraire la défendre, en se plaçant momentanément
dans une dépendance absolue. »
Pour
moi, messieurs, il me semble que l’état de guerre exige plutôt des mesures
vigoureuses que des mesures rigoureuses, et que les vexations sont un grand mal
dans tous les temps. Quant au peuple romain que l’antiquité a nommé si
gratuitement le peuple-roi, ou j’ai mal lu son histoire, ou je suis fondé à
dire que ce n’était ni par sa volonté, ni à sa demande, ni dans son intérêt,
que les aristocrates, sous le joug desquels il demeura courbé, nommaient un dictateur
chargé de le mener à la guerre, et de le contraindre, en l’éloignant de la
place publique, à renoncer au projet de devenir libre ou d’améliorer sa
condition. Je demanderais volontiers en quoi notre situation actuelle ressemble
à la situation de ce peuple esclave et barbare, et ce qu’il peut y avoir de
commun entre le dictateur Cincinnatus et M. l’administrateur de la sûreté
publique.
J’avoue
que je regarde celui-ci comme un simple employé du ministère de l’intérieur, et
constitutionnellement parlant, je doute qu’il puisse recevoir d’autre
qualification. Cependant on le transforme en officier de police judiciaire,
même en juge, en lui permettant de lancer des mandats d’amener et des mandats
de dépôt. On va plus loin ; on l’autorise à procéder à des visites
domiciliaires. Croyez-vous, messieurs, que ces dispositions ne choquent en rien
les principes posés comme base de nos travaux par la constitution ?
Mais
quel sera le but de ces visites domiciliaires ? De faire la perquisition des
papiers, effets, et généralement de tous les objets qui seraient relatifs à la
connaissance des crimes et délits commis contre la sûreté intérieure et
extérieure de l’Etat. Et contre qui seront décernés les mandats d’amener et les
mandats de dépôt ? Contre toute personne inculquée (remarquez bien le mot)
d’entretenir des intelligences avec l’ennemi ou avec ses agents. Dans toute
affaire criminelle les poursuites n’ont lieu que lorsqu’il existe un corps de
délit. Mais tel n’est pas le système de la loi nouvelle. Si je ne me trompe,
pour être inculpé, il suffira d’être dénoncé par un individu aux gages de la
police ; et pour être visité, il suffira d’être soupçonné. Que sais-je ? Par
une conséquence nécessaire de l’article 12, peut-être même sera-t-il permis de
violer le secret des lettres, c’est-à-dire de commettre un crime pour acquérir
la preuve d’un autre crime ?
Est-ce
sérieusement qu’on nous propose de confier à la police de pareils pouvoirs ? Ne
ressemblent-ils pas trop à ceux dont la convention nationale avait investi ses
comités ? Sommes-nous donc de taille à imiter cette assemblée célèbre, et les
circonstances où nous nous trouvons nécessitent-elles les mesures de 1793 et de
1794 ?
Il
est vrai que les raisonnements que nous avons entendus ont assez l’air
d’appartenir à cette terrible époque « Le projet, nous a-t-on dit,
n’accorde pas indistinctement à l’administrateur de la police le droit de
décerner des mandats de dépôt ; il ne peut en faire usage que dans des cas
exceptionnels ; il ne peut en décerner contre toute personne que lorsqu’il
s’agit d’intelligence avec l’ennemi. Celui qui se place dans cette position
abdique, par le fait même, la qualité de Belge. » Il abdique la qualité de
Belge ! Mais le ministre oublie que, pour être inculpé, on est présumé innocent.
En 1794 on envoyait au tribunal révolutionnaire, c’est-à-dire à l’échafaud, les
malheureux inculpés de conspiration contre la république et d’intelligences
avec l’étranger. On dirait que les formes préservatrices n’étaient pas faites
pour les ennemis de la liberté. Ne vous semble-t-il pas, messieurs, qu’avant de
les livrer à ce tribunal exceptionnel il eût fallu du moins s’assurer qu’ils en
étaient réellement justiciables, en faisant juger la nature du délit ou la
question de compétence par un tribunal ordinaire ?
Alors
aussi c’était au nom du saut public que les mesures acerbes, suivant
l’expression du temps, étaient provoquées et décrétées. Voyez les fruits qu’on
en a recueillis ; elles ont fait craindre et même haï la liberté ; elles ont
peut-être retardé d’un siècle la marche de l’esprit public. J’ignore quel
résultat auront celles qu’on vous propose ; mais, je le demande, quand les
agents de la police auront arrêté et emprisonné un citoyen ; quand, pour
compulser ses papiers et fouiller dans les secrets de sa famille, ils auront
violé son habitation ; si les recherches inquisitoriales ont été infructueuses,
s’il n’existe contre celui qui en a été l’objet aucune trace, aucun indice de
culpabilité, quelle réparation va-t-on lui offrir ? Les dispositions qu’on vous
soumet sont muettes sur ce point. Lui dira-t-on : « Tu étais inculpé
? » Est-ce ainsi qu’on croit faire des partisans à la révolution ?
Chose
étrange ! tandis qu’aujourd’hui, en France, le ministère lui-même propose des
améliorations considérables aux lois pénales ; tandis qu’il provoque
l’abolition de la déportation, du carcan, de la mutilation du poing, de la
marque, ici, dans la Belgique, terre classique, dit-on, de la liberté, où l’on
se vante d’entendre cette liberté d’une manière plus large que partout ailleurs
; ici, dis-je, on trouve insuffisants les deux codes barbares de Bonaparte, qui
y sont encore en pleine vigueur ! On vous propose d’y ajouter des mesures
préventives et des peines ! Et pourquoi ? Parce que « tout doit coïncider,
dit-on, avec l’état de guerre dans lequel il est incontestable que nous nous
trouvons. »
Je
ne nie pas l’état de guerre, mais je dis que ce n’est point parce que nous
manquions de lois préventives et de lois pénales que nos armées ont essuyé des
revers ; je dis que, dans tous les temps et dans tous les pays, les lois
d’exception, de même que les coups d’Etat, ont toujours été funestes à la
société. Certes, il existe des mécontents puisque dans toutes les révolutions,
il y a des intérêts froissés ; mais les lois d’exception n’en diminueront pas
le nombre ; au contraire, elles ne pourront que l’augmenter. Voulez-vous faire
évanouir des espérances coupables ? Voulez-vous tuer l’orangisme et assurer le
triomphe de la liberté ? Que les emplois publics ne soient confiés qu’à des
mains habiles, désintéressées, probes, qu’à de véritables amis de la patrie ;
répandez l’instruction parmi le peuple qui en a soif, en
réorganisant et en payant les écoles primaires si négligées aujourd’hui dans la
plupart des communes rurales : l’instruction est une dette de la société envers
tous ses membres, et c’est elle surtout qui peut multiplier les bons citoyens.
Protégez le commerce et l’industrie, qui font vivre les masses ; soyez
économies de l’argent des contribuables ; réduisez les gros appointements ; que
votre système financier se simplifie et ne soit plus un dédale, que votre
système d’impôts soit en harmonie avec la raison, afin que chacun contribue en
proportion de ses facultés, et que la classe moyenne ne soit pas imposée
au-delà de ses forces. Surtout battez l’ennemi extérieur. Cela ne sera pas
difficile ; car les Hollandais, quelque bonne opinion qu’ils aient maintenant
d’eux-mêmes, seront encore des Hollandais quand vous les opposerez une
véritable armée, et c’est ce que vous pouvez faire.
Je
conclus. La loi proposée est inutile, dangereuse, inconstitutionnelle. Je
n’aurai pas à demander pardon à Dieu et aux hommes de l’avoir adoptée ; je vote
le rejet.
M.
Fallon. - Messieurs, le
projet de loi que le ministère a soumis à nos délibérations porte une
accusation grave contre le pays.
Voici
le résumé de cet acte d’accusation :
Le
code impérial de 1810, si docile aux exigences du pouvoir, ne suffit plus à
l’action de notre gouvernement.
Il
existe avec une puissance ennemie des intelligences nuisibles à l’Etat. Les
lois existantes sont impuissantes pour les réprimer. Ces intelligences sont
tellement subtiles, qu’elles échappent à la vigilance ou aux capacités des
nombreux agents du pouvoir exécutif. Il faut établir une haute police : un seul
homme peut assurer le salut de l’Etat.
Des
étrangers peuvent venir corrompre le bon sens du peuple belge. Il faut détruire
le régime hospitalier d’un pays qui a proclamé les principes les plus libéraux.
Il faut qu’il ne puissent plus reposer en paix sur le sol de la liberté, sans
une autorisation du gouvernement et sous peine d’être exportés sans jugement.
Le
Belge comme l’étranger ne pouvaient être arrêtés qu’en vertu d’une ordonnance
du juge. Il faut pour le moment les priver de cette garantie ; il faut même
plus que cela, il faut qu’ils puissent être provisoirement emprisonnés, même
pendant huit jours.
Il
faut que l’arrondissement de Bruxelles soit plus spécialement placé hors du
droit commun.
Il
faut dépouiller les grands corps judiciaires de l’Etat de leur autorité sur la
police judiciaire ; il faut que les magistrats de la police judiciaire soient
asservis à un administrateur de sûreté publique ; il faut que des destitutions
puissent atteindre ceux de ces magistrats qui seraient par trop peu serviles.
Il
faut que le domicile soit ouvert à l’inquisition la plus arbitraire sur les
plus intimes secrets des relations et correspondances du gouvernement
domestique.
Il
faut enfin que la constitution soit mise en état de siège.
J’ignore où sont les
causes d’une situation aussi alarmante ; j’aime à croire que le ministère s’est
créé des chimères, et que nous ne sommes pas réduits à dépopulariser à ce point
notre révolution.
Mais fût-il vrai
qu’il existât des motifs d’appréhension, l’état de guerre ne me déterminerait
jamais à répudier, même temporairement, les principes les plus libéraux de
notre constitution, et à placer mon pays dans un état d’interdiction
déshonorante.
On savait fort bien,
lorsque l’on s’est occupé d’asseoir nos libertés publiques sur des bases
stables et solides, que l’Etat pouvait se trouver en état de guerre, que le
pays pouvait se trouver divisé par des partis, et que des agents du
gouvernement déchu pouvaient y fomenter des intrigues et y conserver des intelligences.
On le savait d’autant mieux, que l’on était précisément dans une semblable
situation lorsqu’on élaborait la constitution.
On connaissait, alors
comme aujourd’hui, cette maxime si souvent funeste aux libertés publiques, si
souvent le subterfuge du despotisme et de la tyrannie : « Le salut de
l’Etat est la loi suprême. »
Enfin, bien loin d’en
décorer le frontispice du nouvel édifice politique, on y a placé cette autre
maxime moins élastique et beaucoup plus rassurante : « La constitution ne
peut être suspendue, en tout, ni en partie. »
Je repousse donc de
toutes mes forces le système du projet ministériel, et je l’accuse à mon tour
d’être tout à la fois antinationale et inconstitutionnel.
Où sont d’abord les
causes qui placent l’Etat dans un péril tel qu’il ne puisse plus exister avec
le régime ordinaire de ses lois et de la constitution ?
L’état de guerre,
dit-on, et les sourdes menées des ennemis de la révolution.
Mais cet état
existait, et la situation du gouvernement provisoire était bien autrement
difficile et périlleuse ; et cependant ce gouvernement s’est bien gardé de
proposer des mesures aussi exorbitantes et aussi odieuses. Il a bien trouvé le
moyen de marcher avec le code impérial, malgré que la plupart de ses
dispositions fussent si peu en harmonie avec le régime de liberté.
Comment se fait-il
donc qu’en passant du provisoire à l’ordre définitif, l’action du gouvernement
se soit embarrassée et se soit affaiblie ?
Les articles 1er et 2
du projet n’ont pas pour but, dites-vous, d’aggraver les dispositions du code
pénal contre les intelligences nuisibles à l’Etat ; vous voulez au contraire
les adoucir dans les cas où elles paraissent avoir un moindre degré de gravité.
Si c’était là votre
but, nous eussions trouvé quelque chose de plus simple et de plus clair dans
les articles 1er et 2 du projet. Il eût suffi de les réduire à ces expressions
: « Les peines comminées par les articles 76, 77 et 78 du code pénal
pourront, suivant les circonstances, être remplacées par un emprisonnement de 6
mois à 2 ans. »
C’est donc autre
chose que l’on veut, et voici en effet cet autre chose.
On veut qu’alors que
le code n’a déjà laissé que trop à l’arbitraire en ne définissant pas les cas
où le fait sera considéré comme nuisible à la situation militaire ou politique
de l’Etat, on puisse appliquer une peine correctionnelle dans tous autres cas
moins définis encore, en donnant ainsi au code une portée beaucoup plus large.
On veut qu’alors que
le juge ne trouverait pas matière à l’application de la peine comminée par le
code, et par conséquent où le fait défini par le code ne lui paraîtrait pas
constant, il puisse sortir du code pour n’appliquer qu’une peine
correctionnelle.
S’il n’existe des
intelligences nuisibles à l’Etat que dans les cas prévus par le code, ces cas sont
trop graves pour faciliter au juge le moyen de réduire la peine. S’il existe
des intelligences d’une autre nature, il faut se conformer aux plus simple
notions du droit criminel, même pour les punir seulement d’une peine
correctionnelle : sinon, les relations commerciales ou domestiques pourront
être arbitrairement incriminées.
Le système des
articles 3 et 4 est une offense à la générosité du caractère national ; il
détruit complètement le régime hospitalier de la Belgique ; il souille le sol
de la liberté, et s’il n’est pas en révolte ouverte contre les termes de la
disposition de l’article 128 de la constitution, il en tue tout au moins
l’esprit.
Je sais que cet
article permet d’établir des exceptions à la règle ; mais on sait aussi que, là
où la règle es fondamentale, il n’est pas permis de l’étouffer par l’exception,
et l’on sait encore que là où il n’est permis d’établir l’exception que par une
loi, il n’est jamais permis de concevoir la loi exceptionnelle de manière à
corrompre le principe de la règle et à la livrer à l’arbitraire du pouvoir
exécutif.
Sans doute, il ne
faut pas ouvrir en Belgique un asile au crime, ni permettre qu’on vienne y
abuser de l’hospitalité, au point de troubler l’ordre intérieur ou de
compromettre la sûreté de l’Etat ; et l’on peut ainsi, par une loi
exceptionnelle, restreindre la protection que la constitution garantit à
l’étranger.
Mais nos pouvoirs
constitutionnels ne vont pas jusqu’au point de nous permettre de remplacer la
loi par l’exception.
Il faut donc que la
loi exceptionnelle soit spéciale ; il faut qu’elle définisse les cas et les
seuls cas où il sera permis de réfuter à l’étranger la protection que lui
garantit la constitution ; sinon, ce n’est plus une loi exceptionnelle que vous
faites, c’est le principe constituant que vous remplacez par une loi. Et en
effet, alors que la constitution ne subordonne pas le droit d’asile à une
autorisation du gouvernement, n’est-ce pas dénaturer le principe que de
déclarer que ce droit d’asile ne sera plus désormais accordé que par
ordonnances ?
Enfin, il n’est pas
possible de s’y méprendre. Si, en l’absence de toute loi qui spécifie les cas
d’exclusion et sans aucune intervention des tribunaux, le gouvernement peut
arbitrairement, et sans même en faire connaître les motifs, repousser
l’étranger du sol de la Belgique ou le parquer où il lui plaira, l’article 128
sort tout entier de la constitution pour entrer dans les attributions du
pouvoir exécutif : et nous ne donnerons pas sans doute l’exemple d’une
violation aussi contagieuse de notre loi fondamentale.
Je passe à une
conception non moins désolante, et qui n’épargne pas plus le régnicole que
l’étranger.
Que pour renforcer
l’action de la police dans l’arrondissement de Bruxelles, on propose de créer
un nouvel officier de police, je n’ai rien à opposer à la dénomination qu’on
lui donnera, le mot ne faisant rien à la chose.
Mais on ne crée pas
un nouvel état-major de police, sans ouvrir en même temps une dépense à l’Etat
; et il me semble qu’on devrait bien, tout au moins, commencer par nous
démontrer la nécessité de cette dépense.
Une autre nécessité
qui serait encore à expliquer, c’est celle de ressusciter l’odieux système de
la haute police, et de décharger le ministère d’une partie de sa responsabilité
pour la placer dans les mains d’un fonctionnaire non responsable.
Le nouvel officier de
police que vous demandez serait plus puissante que la loi commune ; ce serait
un grand inquisiteur pour qui les libertés publiques ne seraient plus qu’un
vain mot, puisqu’il pourrait à son gré, ou plutôt au gré du pouvoir exécutif,
délivrer des mandats d’amener, nous placer sur la sellette pour y subir la
question, nous emprisonner provisoirement, violer impunément nos domiciles, et
prendre inspection de nos plus intimes secrets domestiques et commerciaux.
Peut-on calomnier
d’une manière plus outrageante la magistrature belge ?
Qu’ont donc fait nos
procureurs-généraux, nos procureurs du Roi et nos juges d’instruction, pour
qu’on les constitue les très humbles valets du grand inquisiteur ?
De quelle explosion
sommes-nous donc menacés pour qu’on mette hors la loi l’indépendance judiciaire
?
Voici maintenant
celle du peuple.
L’article 7 de la
constitution lui garantit qu’il ne pourra être arrêté qu’en vertu de
l’ordonnance du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou,
au plus tard, dans les vingt-quatre heures.
Ici aucune exception,
aucune dérogation n’est permise, et cependant le grand inquisiteur sera plus
puissance que la constitution ; il pourra commencer par vous emprisonner préalablement.
L’article 19 de la
constitution donne aux Belges le droit de s’assembler paisiblement et sans
armes ; et il aura le droit de troubler à son gré la paix de ces assemblées, de
les emprisonner provisoirement en mase, et d’inspecter leurs actes chaque jour
et à toute heure.
L’article 22 veut que
le secret des lettre soit inviolable ; et, pour mystifier le principe, il sera
à l’affût à la poste, il suivra chez vous la lettre qui vous sera adressée, et
là il pourra à son aise en prendre inspection.
Si l’Etat ne peut
être sauvé que par des moyens semblables, dites tout bonnement que l’on s’est
trompé lorsqu’on a voulu faire de la Belgique le régime modèle de la liberté,
et ne pensez pas trouver une excuse dans l’état de guerre ; car c’est bien
assez pour le pays d’avoir à supporter les calamités de l’état de guerre avec
ses ennemis, sans le placer encore en état de révolution contre ses propres
institutions.
Une autre
considération qui ne m’affecte pas moins vivement, c’est que j’aperçois dans
les mesures proposées le funeste effet d’affaiblir considérablement la force
d’action de nos relations extérieures et de déconsidérer notre révolution et
notre indépendance.
Vous n’en doutez pas,
messieurs, le gouvernement hollandais n’est pas le seul qui soit hostile à
notre révolution ; les puissances du nord sont attentives à relever tout ce qui
peut servir à jeter un vernis odieux sur le régime démocratique, et
l’aristocratie anglaise, qui ne veut pas de la réforme, a besoin, pour
conserver son influence, de saisir toutes les occasions de justifier son
opposition à toute concession populaire.
Or, dans les
circonstances graves où se trouve notre diplomatie et qui deviennent chaque
jour plus embarrassante, adopter les mesures proposées, c’est fournir aux
ennemis de notre révolution les éléments les plus propices à la calomnie ;
c’est proclamer que la Belgique ne peut plus vivre avec son régime
constitutionnel, qu’elle est intérieurement déchirée, et qu’à raison de l’état
de guerre, son gouvernement n’est plus capable d’assurer l’ordre intérieur et
la sécurité de l’Etat, sans recourir à des moyens extrêmes et sans livrer ses
libertés les plus chères à l’arbitraire d’une haute police. C’est plus encore
que provoquer ces outrages, c’est insinuer à nos ennemis que, si l’état de
guerre est pour nous un état aussi convulsif, leur intérêt doit les engager à
nous y contenir le plus longtemps possible.
Evitons que la
situation de notre pays soit aussi faussement appréciée, et, en rejetant la loi
proposée, apprenons à nos ennemis qu’en état de guerre comme en temps de paix,
la Belgique sait exister sans se priver de ses institutions libérales.
Je me plairais à
croire que le projet ministériel serait entièrement étouffé dans la section
centrale ; il n’en est sorti, à la vérité, qu’en lambeaux, mais dans ces
lambeaux je retrouve encore cette extension d’arbitraire aux dispositions du
code impérial. J’y vois encore que l’on établit une peine correctionnelle pour
les cas qui n’y sont pas prévus, et sans qu’aucun de ces cas soit défini.
J’y vois encore le régime hospitalier constitutionnel
complètement dénaturé.
J’y vois enfin le
rétablissement odieux du système de haute police et d’inquisition.
Je voterai donc
contre le projet de la section centrale.
M. de Nef. - Ennemi de
l’arbitraire, je ne voterai jamais pour des lois exceptionnelles en temps
ordinaires ; mais dans la position où se trouve le pays, je pense que les
mesures les plus énergiques sont les meilleures. Dans cette conviction, je
voterai pour le projet de loi en discussion, amendé par la section centrale, et
qui n’aura force que jusqu’à la paix.
Il est constant que le gouvernement hollandais
démontre un rigorisme outré contre les patriotes belges, tandis que l’on abuse
bien souvent de notre indulgente confiance.
Tout en respectant
les étrangers paisibles, il me semble qu’il est nécessaire et urgent même, pour
la sûreté de l’Etat, que l’espionnage et les abus des entretiens avec l’ennemi,
aussi multipliés que nuisibles, soient réprimés. Unissons-nous, messieurs, de
cœur et d’esprit, pour le bien de notre chère patrie ; qu’il n’y ait parmi
nous, dans ces moments graves, d’autre opposition que ceux qui nous donnera le pouvoir
de vaincre nos ennemis.
M. Jullien.. - Messieurs, celui
qui oserait dire que la constitution est aujourd’hui une vérité dirait à coup
sûr un mensonge ; et en effet, messieurs, si nous avions déjà toutes ces lois
d’urgence, lois de circonstance, que nous avons votées depuis quelques jours,
le projet qui nous est soumis suffirait seul pour justifier ce que je dis.
En parlant sur
l’ensemble de la loi, je n’entreprendrai pas, messieurs, d’en relever toutes
les imperfections ; la tâche serait longue et difficile. Je me bornerai donc à
signaler les vices les plus saillants, et, si mes idées se rencontrent avec
celles qui ont déjà été émises, c’est qu’il n’est guère possible de ne pas voir
du même œil les grandes difformités.
Le principal
caractère de ce projet, c’est le vague et l’arbitraire : le vague, car il ne
définit rien, l’arbitraire, car il foule aux pieds toutes les garanties
constitutionnelles, et livre la liberté individuelle à la merci de la haute et
basse police.
Cependant je dois le
dire : tel qu’il a été amendé par la section centrale, le projet a l’avantage
d’avoir perdu quelque chose de sa pureté native ; mais cela prouve seulement
qu’avec les meilleures intentions, il est possible de faire quelque chose de
bien de ce qui est essentiellement mauvais.
Je passe à l’examen
rapide des articles.
L’article premier,
dans lesquels on a fondu les deux premiers articles du projet primitif, ne
serait, à mon avis, qu’une malheureuse imitation de l’article 78 du code pénal,
une complication inutile, et par conséquent toujours dangereuse, si dans la
pensée ministérielle il n’avait pas une plus haute portée. A ce sujet,
messieurs, je vous prie de m’excuser si je suis obligé de faire avec vous une
légère incursion dans le code pénal.
Ici l’orateur lit les
articles76 et 77 du code pénal, et ajoute :
Il est évident que le
législateur a voulu concilier dans ces dispositions tout ce que peut exiger de
rigoureux la sûreté de l’Etat, le secret des lettres, dont la violation est
aussi un crime puni par nos lois.
Rapprochons
maintenant de toutes ces dispositions l’article premier du projet, et vous
allez vous convaincre, messieurs, que tout cet article n’a d’autre but que de
donner à la police le droit d’arrêter qui bon lui semble, nationaux et
étrangers, sur le plus vague soupçon, le plus frivole prétexte, et sans aucune
espèce de formalité.
L’orateur lit
l’article premier et ajoute : Ainsi il ne s’agit plus de ces intelligences
criminelles clairement définies par l’article 77 du code pénal, telles que de
faciliter l’entrée de l’ennemi sur le territoire du royaume, ou de lui livrer
des villes et forteresses, ou enfin de tous les autres cas mentionnés dans
l’article.
Il ne s’agit plus
d’une simple correspondance avec des sujets d’une puissance ennemie, dont le
résultat a été de fournir à l’ennemi des instructions nuisibles, comme dans le
cas prévu par l’article 78.
Il s’agit tout
uniment d’intelligences avec une puissance ennemie ou ses agents, ou
d’instructions qui, dans l’un ou l’autre cas, auraient pour but de nuire à la
situation militaire ou politique de la Belgique.
Or, je vous le
demande, messieurs, concevez-vous rien de plus vague, de plus insaisissable que
des intelligences avec une puissance ennemie ou ses agents, qui auraient pour
but de nuire à une situation militaire ou politique ?
Combinez maintenant,
messieurs, cet article premier avec l’article 4 qui dispose que
l’emprisonnement préalable pourra toujours avoir lieu dans les cas prévus par
la présente loi et, la main sur la conscience, dites si la liberté individuelle
n’est pas livrée à la merci du dernier des limiers de la police.
L’orateur, après
s’être élevée avec non moins de force contre les dispositions des articles 2 et
3 relatifs aux étrangers, ajoute :
Que pourrais-je vous
dire maintenant, messieurs, de cet administrateur de la sûreté publique, crée
par l’article 5, espèce de grand inquisiteur qui, du chef-lieu où sera établi
le saint office, pourra, sur les rapport de ses suppôts, attendre au fond de
leurs provinces des citoyens qu’il ne connaît pas, et les jeter au préalable
dans les prisons ?
Lisez, messieurs,,
les attributions que lui donnent les articles 5, 6, 7, 8, 9 et 10 du projet, et
si vous les adoptez, déchirez tout au moins les articles 7, 8, 10 et 128 de la constitution,
car tout cela ne peut exister maintenant.
Maintenant,
messieurs, j’abandonne le projet à sa destinée ; mais qu’il me soit permis
d’adresser quelques mots au ministère, et de chercher dans son exposé les
motifs de cette étrange mesure.
Il nous
dit « que l’état de guerre exige des mesures plus rigoureuses que
l’état de paix. »
Ah ! sans doute,
l’état de guerre ne ressemble pas à l’état de paix ; je ne connais pas de
vérité plus vraie que celle-là.
Mais qu’a de commun
l’état de guerre avec nos droits constitutionnels ? Dans la vie des Etats,
messieurs, la guerre n’est qu’un accident ordinaire, comme est la maladie dans
la vie des hommes.
Et, parce que nous
sommes menacés d’une guerre avec la Hollande, faut-il jeter un voile sur notre
constitution ? Faut-il mettre hors la loi tous les citoyens ? Et serions-nous
descendus si bas qu’il nous faille recourir à une espèce de terreur pour
organiser notre défense ? J’aurais honte de la penser.
On nous cite encore
l’exemple du peuple-roi, lorsqu’il créait un dictateur dans les temps
difficiles. Que signifie ce langage ? Voudrait-on nous accoutumer peu à peu à
nous passer de nos lois, et à chercher nos garanties dans les aménités d’une
haute police ? Ou bien, les ministres se sentent-ils de taille à porter la
dictature ?
Si c’est là qu’on en veut venir, qu’on nous le dise,
et nous aviserons : à un peuple franc, il faut une position franche. Mais
dormir sous la foi d’institutions qui proclament la liberté pour tous, et ne la
trouver pour personne, se croire un homme libre, et n’être pas sûr de coucher
dans son lit, compter sur un juge naturel, et ne rencontrer pour juges que des
policiers ; croire à l’inviolabilité de son domicile, et le voir à chaque
instant envahi par des sbires ! Non, messieurs, ce n’est pas ainsi que
j’entends, pour mon compte du moins, la liberté. Je voterai contre le projet.
M. Raymaeckers. - Messieurs, je ne
me dissimule point que les circonstances graves où le pays se trouve provoquent
quelques mesures extraordinaires pour réprimer les relations coupables qu’on
continue encore d’entretenir avec les ennemis de la Belgique. C’est par ce
motif que je ne balancerai pas à donner mon suffrage aux deux premiers articles
du projet présenté par M. le ministre de la justice, ces deux articles,
confondus aujourd’hui en une seule disposition, par suite de la nouvelle
rédaction de la section centrale, établissent des peines correctionnelles
contre ceux qui entretiennent, avec une puissance ennemie, des intelligences,
ou donnent des instructions qui ont pour but de nuire à la situation politique
ou militaire de la Belgique. Les dispositions du code pénal étaient
insuffisantes à cet égard ; elles ne punissent les attentats contre la sûreté
de l’Eta que lorsqu’ils résultent d’une correspondance ou qu’ils sont
accompagnés de plusieurs circonstances aggravantes, déterminées par le code. Il
fallait nécessairement étendre les pénalités ; car celui qui, dans l’état
actuel des choses, entretient des intelligences ou donne même de simples
instructions verbales, qui ont pour but de nuire à la Belgique, se constitue en
état d’hostilité contre le pays : son intention coupable ne peut être révoquée
en doute ; car si ses actes n’ont encore produit aucun résultat, cela ne peut
être que par un effet indépendant de sa volonté ; il doit dès lors rester
soumis aux pénalités portées par la loi ; les juges doivent nécessairement être
arbitres pour juger sur l’intention du prévenu ; si ses relations avec
l’ennemi sont dégagées de tout caractère criminel il sera acquitté. Il
devenait, au surplus, d’autant plus urgent de rappeler, dans une loi spéciale,
les disposition du code pénal relativement aux crimes et délits contre la
sûreté extérieure ou intérieure de l’Etat, qu’on sait qu’une cour d’assises vient
d’acquitter un individu déclaré coupable d’avoir formé un complot dont le but
était de détruire ou de changer le gouvernement de ce pays, sous prétexte que
les dispositions de l’article 87 du code pénal ne concernent que le
gouvernement établi au moment où cette disposition pénale a été publiée.
D’après cette jurisprudence, qu’il ne m’appartient point de censurer, il
n’existe sous le gouvernement actuel, pas plus que sous le gouvernement
précédent, aucune disposition répressive des attentats contre la sûreté de
l’Etat.
Mais aussi, tout en
sentant la nécessité d’adopter la disposition principale, je me trouve
cependant obligé de refuser mon vote à l’ensemble du projet ; les autres
dispositions qu’il renferme me paraissent soit inutiles et contraires aux
règles générales en matière de législation pénale, soit inconstitutionnelles et
attentatoires à la liberté individuelle.
L’orateur s’attache,
dans de lumineux développements, à prouver le vice de la loi, par rapport aux
dispositions qu’elle contient contre les étrangers, et surtout en ce qu’elle
confie à un administrateur de police un pouvoir exorbitant qu’on ne peut lui
confier sans danger.
On ne manquera pas
non plus de me faire observer que, si le projet s’écarte des dispositions
ordinaires, il présente une garantie suffisante dans la responsabilité
ministérielle.
Mais, messieurs, cette responsabilité est un moyen
extrême, dont on ne fera usage que dans des cas extrêmement graves. J’ai, au
surplus, messieurs, la plus grande confiance dans les ministres actuels ; je
désire ardemment, pour le bien-être de mon pays, qu’ils restent longtemps aux
affaires. S’ils pouvaient personnellement surveiller l’exécution du projet, je
ne balancerai pas d’y souscrire ; mais je ne connais pas les agents qu’ils
emploieront ; nos magistrats ordinaires m’inspirent plus de garantie. Ce n’est
point, du reste, dans la conduite ou la responsabilité de tel ou tel autre
fonctionnaire que les citoyens doivent trouver leurs garanties ; les garanties
doivent être tracées dans la loi même.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, il
faut que des circonstances bien graves aient été révélées au gouvernement,
qu’il soit lui-même entouré de bien grands dangers, pour qu’au sortir d’une
révolution faite tout entière au profit de la liberté, vis-à-vis d’une chambre
dont la plupart des représentants n’ont mérité l’estime publique que par la
haine qu’ils ont vouée à l’arbitraire du gouvernement déchu, on vienne
solliciter une loi toute d’arbitraire et d’exception, on vienne demander de
suspendre l’exercice des libertés les plus chères, celle du domicile, celle de
l’individu, et propose l’érection d’une magistrature suprême et unique, à qui
serait confié le périlleux mandat de ravir une partie des droits du citoyen
pour le salut général !
Jusqu’à ce jour le
ministère ne nous a pas fait confidents des nouveaux sujets de crainte qui
l’agitent, et si autour de lui la malveillance des partis et les trames de nos
adversaires prennent un tel degré d’audace qu’il faille recourir à une
législation inhospitalière aux étrangers et inquiétante aux Belges, à des
mesures coercitives qu’une seule loi, celle de l’impérieuse nécessité, peut
justifier. Dans l’exposé de ses motifs, le ministère n’a que faiblement
démontré cette nécessité. L’état de guerre, dit-il, exige une armée plus forte
qu’aux temps ordinaires et un pouvoir plus étendu, pour combattre les ennemis
tant du dehors que du dedans ; mais, messieurs, voilà près d’un an que cet état
de guerre subsiste, et je ne vois pas que le gouvernement n’ait pu, tout faible
qu’il était, déjouer tous les projets subversifs de la restauration. Il est
vrai que ce n’est ni par son adresse ni par sa vigueur que souvent il a
renversé les tentatives contre-révolutionnaires, mais bien par l’aide d’un auxiliaire
puissant, l’opinion publique et le bon sens des masses ; cette opinion lui
est-elle moins acquise dans ce moment, et l’indépendance nationale ne
trouve-t-elle plus de sympathie dans les rangs du peuple ? Je ne le crois pas.
Notre glorieuse révolution n’a point perdu de ses prosélytes, et, pour en être
convaincu, il suffit d’entendre les acclamations dont est salué chaque jour, et
toujours plus unanimement, le souverain de notre choix.
Il faut donc croire
que l’audace de nos adversaires est si grande, leurs tentatives si criminelles
et si multipliées, qu’elles trouvent le pouvoir impuissant à les réprimer.
Qu’on nous le dise ; qu’on nous dévoile en partie, et autant qu’une sage
réserve le permet, les conspirations découvertes ou près d’éclore qui justifient
la voie d’exception où l’on veut nous engager. Si ces motifs impérieux me sont
démontrés, alors seulement j’accéderai à une mesure qu’en tout autre temps je
n’envisagerais qu’avec répugnance et dégoût.
En effet, que nous
veut-elle cette loi ? Elle tend à placer les étrangers sous l’arbitraire de
l’autorité, et à régler le droit d’asile par des ordonnances spéciales.
L’étranger, dans cette Belgique que naguère encore on nommait la terre
classique de la liberté (par dérision sans doute) trouvera au contraire partout
gêne et sujétion. Une ville, un canton lui sera désigné pour résidence, et
toute contravention punie du bannissement. Ni le soin de ses intérêts privés,
ni ses urgentes occupations, d’autre part, ne pourront l’exempter de cette
demeure permanente ; il ne pourra pas même s’en éloigner avec une permission de
l’autorité locale. Les condamnés mis sous la surveillance de la haute police
avaient jusqu’à ce jour cette faculté ; les étrangers ne l’auront pas, et un
administrateur général de la sûreté publique sera là pour surveiller toutes
leurs démarches. Cet administrateur aura droit de décerner des mandats d’amener
et de dépôts : il est autorisé à procéder à des visites domiciliaires, tant
chez ces étrangers que chez les Belges eux-mêmes, à inventorier leurs papiers,
à saisir enfin tout ce qui pourrait à ses yeux compromettre la sûreté de
l’Etat. En outre, le gouvernement s’attribue le pouvoir de nommer et de
révoquer les commissaires de police, en ravissant ainsi aux communes une de
leurs plus précieuses prérogatives. Voilà, en résumé, les dispositions
impérieuses de la loi nouvelles ; et je ne mets pas en doute que leur exécution
donnera au gouvernement tous les moyens de combattre ses ennemis et même ses
amis. Mais ces moyens n’auraient-ils pu être puisés dans les vieilles lois de
la république française et dans les articles si rigoureux du code pénal ? On
s’est plaint que toute licence était accordée à nos ennemis de parcourir la
Belgique en tous sens, que l’étranger sans papier pouvait, sans être molesté,
entrer et sortir de nos villes, que les aubergistes ne tenaient pas de
registres de voyageurs, et que la Belgique enfin ressemblait à une vaste plaine
où chacun allait et venait sans surveillance comme sans entraves ! Mais à qui
la faute ? Est-ce aux lois ? Est-ce aux hommes chargés de les exécuter ? Notre
constitution n’a pas, il me semble, aboli la loi des passeports ; elle n’a pas
défendu aux municipalités d’atteindre les voyageurs à déclarer leurs noms,
leurs demeures, leur destination, et d’obliger les aubergistes, sous peine
d’amendes, à recevoir ces déclarations. Si toutes ces formalités, dont
l’accomplissement est indispensable dans tout Etat bien gouverné, ne
s’observent pas, si leur oubli met l’Etat en péril, ce n’est pas l’absence de la
loi, je le répète, qui cause ces dangers, mais bien plutôt la négligence
coupable des autorités subalternes. Le gouvernement a-t-il trouvé dans ces
autorités de la résistance ou de l’éloignement à lui prêter main-forte ?
Rencontre-t-il de l’embarras à recueillir près d’elles des renseignements et
des secours nécessaires à l’exécution pleine et entière de ses mesures de
précaution ? Alors je conçois de nouveau que le ministère, privé de sa force
d’action et à défaut d’armes assez redoutables, nous demande une mesure plus
énergique ; mais, avant toute chose, il faut qu’il nous prouve plus
explicitement qu’il ne l’a fait l’urgence de ses besoins, qu’il nous signale si
le bon vouloir de quelques villes lui a manqué, si le patriotisme de quelques
autorités à failli.
J’attendrai les explications du ministère pour décider
mon vote, et si ces explications sont franches, claires et sans ambiguïtés, je
l’accorderai. Cependant ce n’est qu’à l’imminence d’un danger bien démontré, à
l’approche du moment qui doit décider de notre révolution, que je me croirai
alors obligé de faire le sacrifice momentané de mes opinions politiques. Ce
n’est pas par des lois d’exception, messieurs, que je compte fonder
l’indépendance nationale et jeter les bases de sa prospérité future ; ce n’est
pas en repoussant les étrangers que je compte faire de la Belgique une terre de
refuge et de protection. Un ancien a dit que les honnêtes gens étaient parents,
et que les méchants seuls devaient être réputés étrangers : cette législation
doit être la nôtre. Notre constitution doit servir de palladium à toutes les
grandes infortunes politiques du monde. La Belgique, par ses lois protectrices
et bienfaisantes, doit être le rendez-vous général où tous les peuples de
l’Europe viendront librement échanger leurs richesses et trafiquer de leurs
besoins. C’est ainsi que, dans une époque prochaine, je conçois la Belgique
indépendante ; c’est ainsi que, dans cette nouvelle atmosphère de liberté, je
prévois pour elle prospérité et bonheur.
M. d’Huart. - Messieurs, c’est
pour motiver en peu de mots mon vote négatif à l’égard du projet de loi soumis
en ce moment à vos délibérations, que j’ai demandé la parole.
Je suis autant que
personne disposé à donner au gouvernement les moyens de sauver l’Etat ; j’ai
admis avec empressement ses demandes d’hommes et d’argent ; mais lorsque, sans
nécessité bien constatée, le ministère vient proposer d’anéantir les parties
les plus essentielles de notre constitution et de détruire ce que nous avons
acquis de plus précieux par la révolution, je repousse de toutes mes forces de
telles mesures que mon mandat ne me donne pas le pouvoir d’accepter, et dont la
proposition seule fait naître un sentiment d’effroi chez le plus indifférent.
Le projet de loi dont
il s’agit ne tend à rien moins qu’à fouler aux pieds l’article 7 de la
constitution, qui garantit la liberté individuelle, et à rendre illusoire le
droit d’hospitalité établi par l’article 128. Pour créer une pareille loi, il
faudrait donc suspendre en partie la constitution, et l’article 130 s’y oppose
formellement.
Messieurs, j’ai dit
que la nécessité de la loi qu’on vous propose n’était pas constatée ; et en
effet, où sont donc les trames contre le gouvernement, les complots contre la
sûreté de l’Etat. Nulle part. Jamais l’on n’a été plus tranquille sous ce
rapport. Ne nous laissons pas circonvenir par des soupçons imaginaires, et
craignons que l’adoption de mesures arbitraires et vexatoires ne produise, en
aigrissant les esprits, précisément ce que l’on voudrait éviter.
Et d’ailleurs les
lois actuellement en vigueur sont suffisantes, et la police peut trouver assez
d’aliments pour son inquiète et farouche activité, en usant du pouvoir que leur
confère le code pénal, et au moyen de la stricte exécution des lois sur les
passeports.
Les changements que
la section centrale propose de faire subir au projet ministériel sont
insignifiants et le laissent intact quant au fonds ; les moyens vexatoires
conférés à l’administrateur de la sûreté publique restent en entier, et ni la
possibilité d’arrestations arbitraires, ni les visites domiciliaires, dont le
résultat pourrait être souvent d’enlever aux familles des secrets de la plus
haute importance pour leur tranquillité, rien n’a paru trop illibéral.
Pour moi, messieurs,
je recule devant l’inconstitutionnalité du projet de loi qu’on vous propose
d’adopter ; son utilité et son opportunité ne sont point évidentes à mes yeux,
et la responsabilité ministérielle, dont on parle comme d’une garantie contre les
abus, me paraît insuffisante dans l’espèce pour réparer le mal d’une
arrestation arbitraire, ou le tort qui peut résulter pour les citoyens des
visites domiciliaires.
Je voterai donc
contre la loi proposée.
- La liste des
orateurs inscrits sur l’ensemble de la loi est épuisée ; la suite de la
discussion est renvoyée demain.
La séance est levée à
quatre heures et demie.