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2e
édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3
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TOME 3
(page
146) Toujours guidé par le désir de
rallier au gouvernement une fraction importante du libéralisme modéré, le roi,
immédiatement après le départ de M. Van de Weyer,
offrit encore une fois à M. Rogier la mission de reconstituer le ministère.
Prenant pour lui-même le portefeuille de l'Intérieur, M. Rogier se choisit
aussitôt des collègues dans toutes les nuances du parti libéral. M. Delfosse
aurait pris les Finances; M. Henri de Brouckere, les Affaires étrangères; M.
d'Hoffschmidt, les Travaux publics; le général Chazal, la Guerre; M. de Bavay,
procureur général à la cour d'appel de Bruxelles, la Justice. On le voit :
toutes les fractions de l'opinion libérale obtenaient un représentant dans le
conseil des ministres. Une seule nuance du parlement était dédaigneusement
oubliée : c'était celle qui possédait la majorité (Nous verrons
bientôt que, même au sein de la Chambre des Représentants, les catholiques
possédaient encore la majorité. Quant au Sénat, il avait à peu près conservé sa
composition de 1840) ! L'homme
d'État, qui se met au-dessus des exigences du régime parlementaire, se condamne
à chercher sa force et son appui en dehors de l'influence que procure
l'exercice normal des fonctions ministérielles.
(page 147) Cette vérité politique ne tarda pas à se présenter à l'esprit de M.
Rogier. Obligé de comparaître devant une majorité inquiète, humiliée, justement
blessée de l'ostracisme dont on voulait la frapper, le député d'Anvers arriva
naturellement à des exigences peu compatibles avec la dignité des Chambres et
les prérogatives constitutionnelles de la couronne. Dans un rapport au roi, il
formula ses prétentions dans les termes suivants:
« 1° Indépendance respective du pouvoir
civil et de l'autorité religieuse. Ce principe, en harmonie avec le texte et
l'esprit de la Constitution, doit dominer toute la politique. Il trouverait
notamment son application dans la loi sur l'enseignement moyen. Rien ne serait négligé
pour assurer, par voie administrative, aux établissements laïques le concours
de l'autorité religieuse.
« 2° Jury d'examen. Le mode actuel
de nomination du jury devra subir les modifications indiquées comme nécessaires
par l'expérience et conformes à l'esprit de la Constitution.
« 3° Le nombre des représentants et
des sénateurs devrait être mis en rapport avec l'accroissement de la
population, conformément à l'article 49 de la Constitution.
« 4° Retrait de la loi de fractionnement,
et avis conforme de la députation permanente pour la nomination du bourgmestre
en dehors du conseil.
« 5° Moyens défensifs contre
l'hostilité éventuelle des fonctionnaires publics.
« 6° Jusqu'aux élections de 1847,
dissolution éventuelle des Chambres, 1° en cas d'échec sur les propositions
indiquées ci-dessus » sub n° 1 à 4, sur une question de confiance
ou le vote d'un budget; 2° s'il arrivait que, par une opposition journalière et
combinée, la marche du ministère fût entravée au point qu'il ne pût plus rester
sans compromettre la considération du pouvoir ou les intérêts du pays. »
En présentant ce programme, M. Rogier
croyait échapper au reproche de porter atteinte aux prérogatives du trône.
Cette fois encore, il exigeait éventuellement le pouvoir de dissoudre les
Chambres; mais, à son avis, cette demande, faite en vue de certains cas (page 148) déterminés et prévus
d'avance, se trouvait à l'abri de toutes les critiques que M. Van de Weyer avait dirigées contre le programme officieux de
l'année précédente. Il n'est pas nécessaire de faire ressortir l'inanité de
cette distinction subtile, peu digne de l'intelligence, du caractère et des
antécédents de son auteur. Quatre points étaient indiqués avec précision, et
sous ce rapport la demande éventuelle de la dissolution n'offrait rien
d'exorbitant, ni pour le fond, ni pour la forme. Mais les prétentions de M.
Rogier allaient bien plus loin! Il prévoyait le cas d'un vote de confiance,
vote que les ministres ont toujours le moyen de provoquer, quelle que soit la
nature ou la portée des mesures soumises à l'appréciation de la législature. Il
prévoyait encore le cas d'une opposition journalière et combinée, en d'autres
termes, l'hypothèse d'une opposition systématique. Mais que faut-il pour que
l'opposition prenne ce caractère? Suffit-il qu'elle devienne incommode ou
gênante pour les ministres? Les hommes politiques sont plus ou moins
susceptibles, plus ou moins irritables, plus ou moins prompts à qualifier
sévèrement les résistances qu'ils rencontrent dans la représentation nationale.
Exiger du roi la promesse de dissoudre les Chambres, le jour même où les
ministres cesseraient de disposer à leur gré des votes de la majorité,
n'était-ce pas, à la dernière évidence, se placer en dehors de l'hypothèse d'un
conflit nettement prévu, clairement défini d'avance? Quel que fût l'objet du
débat, l'importance du litige ou la nature des motifs allégués par la majorité,
il eût toujours suffi de provoquer un vote de confiance, pour forcer la main au
roi et mettre les Chambres en demeure de se prononcer sur leur propre
dissolution! Et qu'on ne dise pas que cette condition exorbitante du programme
eût cessé d'exister après les élections de Juin 1847. L'assignation d'un terme
n'atténuait en rien le caractère des exigences du député d'Anvers. Les
prérogatives de la royauté sont essentiellement fixes et permanentes; elles ne
peuvent être suspendues ni aliénées, pas plus pour une année que pour un quart
de siècle. Or, dans le système du programme, le chef de l'État eût
indirectement aliéné, jusqu'aux élections de 1847, l'un des privilèges les plus
importants de la couronne! C'était en vain que la presse libérale se prévalait
de ce que M. Rogier ne demandait en définitive autre chose qu'un appel au pays
légal. Le Congrès a voulu que l'opinion publique se manifestât par degrés dans
les résultats du scrutin. En admettant le système du renouvellement des
Chambres par moitié, l'assemblée constituante a eu précisément pour but
d'éviter les secousses trop brusques, les modifications trop profondes qui sont
les conséquences ordinaires d'un renouvellement intégral. Éclairé par
l'histoire des États qui nous ont devancés dans les voies du régime parlementaire,
le Congrès a placé la dissolution parmi les mesures exceptionnelles ; et ce
n'est pas à l'appréciation plus ou moins partiale des ministres, mais au
pouvoir modérateur, permanent et désintéressé de la couronne, qu'il a réservé
l'usage de ce remède extrême.
Interprétés et appliqués dans cet esprit
de prudence et de modération que l'homme d'État ne doit jamais abandonner, les
quatre premiers points du programme de M. Rogier étaient admissibles. Les
catholiques voulaient, eux aussi, l'indépendance du pouvoir civil dans le
cercle de ses attributions réelles. Ils n'attachaient pas une importance
extrême au maintien de quelques lois administratives votées sous le ministère
de M. Nothomb. Ils étaient disposés à consentir à l'augmentation du nombre des membres
de la législature. En matière d'enseignement, ils étaient prêts à accueillir le
projet de 1834, que M. Rogier lui-même avait déposé sur le bureau de la Chambre
et dont il avait plus d'une fois proclamé l'excellence. Mais ces quatre points,
qualifiés de bases fondamentales, étaient suivis d'une double menace, l'une à
l'adresse de la représentation nationale, l'autre à l'adresse des
fonctionnaires publics, et c'était surtout à cette espèce de contrainte morale
que l'auteur du programme attachait de l'importance. Non seulement il voulait
paralyser l'action des fonctionnaires catholiques par la crainte incessante
d'une destitution; mais, aspirant à dominer les Chambres elles-mêmes, il avait
conçu le projet de les rendre humbles, dociles, complaisantes, jusqu'au jour où
l'alliance du libéralisme et de l'administration réussirait à briser la
majorité traditionnelle de 1830. M. Rogier lui-même avoua hautement ce double
projet à la tribune de la Chambre des Représentants. « Appelés à apporter au
pays une politique nouvelle, dit-il, nous allions nous trouver en présence de
deux Chambres, dont l'une avait renversé, il y a cinq ans, une administration
libérale, sans avoir subi depuis des modifications dans son personnel ; dont
l'autre avait aussi fourni depuis cinq ans une majorité numérique au système
que nous venions remplacer. Quel était notre droit incontestable? De réclamer
pour une politique nouvelle des Chambres nouvelles (Annales parlementaires, 1845-1846, p. 1071) ! » L'aveu est on ne peut plus explicite; il restera comme un trait
caractéristique des idées hautaines et intolérantes qui régnaient dans le camp
du libéralisme modéré. La postérité y verra de quel côté se trouvaient le respect
de la majorité, la modération des idées, l'esprit de conciliation, la fidélité
au drapeau de 1830.
Comme condition de son entrée au
pouvoir, M. Rogier avait le droit de réclamer la dissolution des Chambres dans
l'éventualité d'une dissidence nettement déterminée d'avance; il pouvait, après
l'acceptation du portefeuille de l'Intérieur, demander l'éloignement des
fonctionnaires qui refuseraient d'obéir à ses ordres; mais rien ne l'autorisait
à dire indirectement au roi : « Jusqu'aux élections de Juin 1847, le cabinet
disposera de l'exercice d'une double prérogative attachée à votre couronne;
jusqu'aux élections de Juin 1847, le conseil des ministres sera de fait le roi
constitutionnel des Belges . » (Nous respectons le caractère de M. Rogier, et nous ne révoquons
nullement en doute la loyauté de ses intentions; mais il doit nous être permis
de signaler nettement les conséquences de ses doctrines politiques). Ses prétentions à l'égard des fonctionnaires publics n'étaient pas
plus admissibles que ses menaces à l'adresse des Chambres. C'est au roi que la
Constitution accorde le droit de destituer les agents du pouvoir exécutif.
Cette prérogative ne peut être aliénée ni pour une ni pour deux sessions; elle doit
constamment rester libre, indépendante, entière (Discours de M. de Theux. Annales parlementaires, p. 1071). Le roi
ne peut agir sans le contreseing d'un ministre responsable; mais, chaque fois
que le ministre réclame le concours de la royauté, il doit exposer ses motifs
et faire un appel aux lumières du chef de l'État; et si cet appel n'est pas
entendu, le ministre conserve son indépendance et sa dignité par l'abandon de
son portefeuille. De cette manière, le pouvoir passager et souvent passionné des
ministres trouve son contrepoids dans le pouvoir permanent, modérateur et
désintéressé de la couronne. Puisque M. Rogier ne demandait que des moyens de
défense contre l'hostilité présumée de quelques fonctionnaires, il ne pouvait
raisonnablement supposer que ces moyens lui seraient refusés par le chef de
l'État, aussi longtemps qu'il inspirerait à celui-ci assez de confiance pour
être maintenu à la tête de l'administration nationale (Ici encore M. Rogier croyait écarter toutes les
objections en affirmant qu'il était prêt à renoncer à la dissolution, si le roi
avait consenti à lui fournir un moyen équivalent.
Mais si le moyen eût été équivalent,
la prérogative royale se fût trouvée amoindrie au même degré! Quoi qu'il
en soit, voici les paroles de M. Rogier : « ... Je fais remarquer que le cabinet n'avait pas même posé comme
condition absolue la dissolution éventuelle ; le cabinet demandait à S. M. tout
autre moyen équivalent d'où fût résulté pour le pays la preuve que le cabinet,
en entrant aux affaires, était assuré du concours du roi.» Ann. parl., p. 1072.)
(page
151) Obligé de défendre les prérogatives du trône, le roi refusa de
souscrire à ces conditions exorbitantes; mais, persistant dans son projet
d'offrir le pouvoir à la nuance libérale modérée, il fit un appel au dévouement
de MM. d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier, qui, de même
que M. Rogier, appartenaient au libéralisme gouvernemental. Il leur donna l'autorisation
de former un cabinet, soit exclusivement libéral, soit mixte avec l'élément
libéral prédominant. Il ne leur posa qu'une seule condition, celle de ne pas
demander la dissolution éventuelle des Chambres. Certes, en présence d'un
parlement où les catholiques possédaient la majorité, il n'était pas possible
d'aller plus loin, et cependant, le croira-t-on? Pas un homme marquant de la
gauche ne consentit à entrer dans une combinaison ministérielle ainsi
organisée. Non seulement tout projet de ministère mixte était rejeté avec
dédain, mais pas un député jouissant de la confiance de ses collègues ne voulut
faire partie d'une administration purement libérale, formée en dehors de
l'influence et du programme de M. Rogier. Le parti tout entier semblait s'être
inféodé au député d'Anvers. Réduits à l'isolement le plus complet, MM.
d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier furent obligés de
déposer le mandat qu'ils tenaient de la confiance royale.
La situation pouvait se résumer en
quelques mots : impossibilité absolue d'organiser un ministère mixte;
impossibilité de former un cabinet libéral, sans lui faire des concessions
incompatibles avec les droits de la couronne, l'indépendance et la dignité des
Chambres.
Jusque-là les ministres démissionnaires
étaient restés complétement étrangers aux incidents de la crise. Ils connurent
à la fois le programme de M. Rogier, le rejet de ce programme et l'avortement
de la mission confiée à MM. d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier.
Les conférences entre le roi et les aspirants à la succession ministérielle
avaient eu lieu en dehors de toute influence étrangère et à l'abri de toute
espèce d'entraves. Placé dans l'alternative de subir les exigences de M. Rogier
ou de (page 152) s'adresser à la
droite, le roi prit conseil des ministres démissionnaires; et ceux-ci, tout en
regrettant l'abstention du libéralisme modéré, l'engagèrent à avoir recours au
comte de Theux. Ce fut là le terme de la crise. Les arrêtés qui réorganisaient
le cabinet furent signés le 31 Mars. M. de Theux devint ministre de
l'Intérieur. M. de Bavay, secrétaire général du département des Travaux publics
, remplaça M. d'Hoffschmidt. Le lieutenant-général baron Prisse reçut le
portefeuille de la Guerre. Les autres membres du cabinet précédent restèrent à
leur poste. Le comte de Muelenaere et le baron d'Huart continuèrent à être
membres du conseil avec voix délibérative ((L'appel de M. de Theux avait été précédé de l'avortement
d'une combinaison qui occupe une large place dans la polémique de l'époque.
Comme les feuilles libérales renferment à ce sujet les détails les plus
erronés, nous croyons devoir rétablir les faits dans toute leur intégrité. Dans
cette combinaison, la plupart des ministres restaient à leur poste. Le prince
de Chimay prenait le portefeuille des Affaires étrangères, et M. Dechamps celui
de l'Intérieur. M. Louis Orban remplaçait M. d'Hoffschmidt aux Travaux publics.
Toutes les mesures étaient prises , le roi avait donné son approbation , les
arrêtés étaient prêts à paraître au Moniteur;
il ne s'agissait plus que d'obtenir l'assentiment de M. Orban. Le refus
de celui-ci fit tout manquer. Loin d'ambitionner un portefeuille, ainsi que le
disent les journaux du temps, l'honorable député de Marche déclara nettement
que, tout en approuvant l'esprit dans lequel le cabinet était formé, il ne
croyait pas pouvoir accepter les offres qui lui étaient faites. Il allégua,
d'une part, son insuffisance personnelle et son arrivée récente à la Chambre,
de l'autre, les susceptibilités que sa nomination n'aurait pas manqué
d'éveiller chez quelques membres de la droite , plus anciens et plus accrédités
parmi leurs collègues. Le prince de Chimay et M. Dechamps qui, en leur qualité
d'anciens présidents de la députation permanente du Luxembourg, avaient appris
à connaître la valeur du jeune député, l'engagèrent vainement à ne pas se
constituer lui-même juge de son importance personnelle: il demeura
inébranlable. - On le voit, M. Orban joua dans cet incident ministériel un rôle
tout différent de celui que lui assignent les feuilles libérales. Si nous
entrons dans ces détails, ce n'est que dans l'intérêt de la vérité historique,
et nullement pour mettre M. Orban à l'abri de fades plaisanteries qui ne
sauraient l'atteindre. Les sarcasmes d'une presse ennemie ne l'empêcheront pas
d'unir à la force et à la noblesse du caractère l'autorité d'une science réelle
et l'éclat d'un remarquable talent oratoire).
Puisque la gauche modérée se retirait,
la tâche de diriger l'administration centrale revenait naturellement aux chefs
de la droite. Il ne leur était pas permis de reculer devant l'accomplissement
de cette mission; ils ne pouvaient laisser la couronne en face des exigences de
M. Rogier, sans méconnaître en même temps leurs devoirs envers (page 153) la royauté constitutionnelle,
envers eux-mêmes et envers le parti qu'ils avaient l'honneur de représenter.
Renoncer au pouvoir à l'heure où l'on possède encore la majorité, déserter le
champ de bataille avant le triomphe de l'ennemi, c'est douter de l'honneur du
drapeau , c'est repousser toute pensée d'avenir, c'est se suicider comme parti
politique. Ni M. de Theux ni les hommes qui s'associaient à sa fortune ne se
faisaient illusion sur les progrès incessants du libéralisme. Ils comprenaient
les signes du temps; ils étaient trop éclairés pour ne pas prévoir le résultat
de l'entraînement des passions qui se glissaient de toutes parts dans les rangs
du corps électoral ; mais , profondément dévoués à nos institutions, et suivant
avant tout la règle austère du devoir, ils voulaient maintenir la royauté dans
les voies du régime parlementaire, en lui fournissant le moyen de ne pas subir
les exigences de la gauche, avant le jour où la gauche serait devenue la
majorité.
C'était la première fois que les
catholiques se trouvaient en présence d'une administration centrale
exclusivement composée d'hommes appartenant à la droite. Sous ce point de vue,
la formation du cabinet du 31 Mars s'écartait complétement des traditions
parlementaires qui avaient toujours obtenu leur assentiment et leur appui. Mais
il importe de ne pas oublier que ce retour aux cabinets homogènes était le
résultat nécessaire, inévitable, forcé, de l'attitude prise par leurs
adversaires. En 1831, en 1832, en 1833, ils avaient accordé leur confiance à
des cabinets exclusivement libéraux. Plus tard, appréciant d'une manière plus
saine les exigences du régime constitutionnel, ils avaient réclamé le partage
du pouvoir et donné leur appui à des ministères mixtes. C'était cette dernière
combinaison qu'ils avaient voulu faire prévaloir en 1846; ils n'auraient pas
même repoussé un cabinet purement libéral, qui se fût présenté devant les
Chambres avec des idées conciliantes et vraiment gouvernementales. Le refus
obstiné de leurs antagonistes, les prétentions excessives des amis de M.
Rogier, l'ostracisme dont on voulait frapper la majorité parlementaire, telles
étaient les seules causes de la formation du ministère du 31 Mars. Placés dans
l'alternative de prendre le pouvoir ou de subir le joug de leurs ennemis
politiques; sommés de consentir à une abdication qui, pour les partis
politiques, équivaut à un suicide, ils se présentèrent encore une fois sur la
brèche, résolus à (page 154) faire
prévaloir dans leurs actes les idées conciliantes que la persistance hautaine
de leurs adversaires ne leur permettait pas de réaliser dans la composition du
ministère.
Ajournée depuis le 25 Mars, la Chambre
des Représentants reprit ses travaux le 20 Avril, et la question politique fut
aussitôt portée à la tribune.
Le comte de Theux fit connaître
l'attitude loyale et modérée que le cabinet se proposait de prendre. « Si le
ministère du 31 Mars, dit-il, est plus homogène dans sa composition, il ne doit
cependant pas son origine à un sentiment d'exclusion; déterminé par les
nécessités de la situation, il s'est formé en vue de maintenir la politique de
modération qui a dirigé le gouvernement depuis 1830. » (Annales parlementaires, p. 1069). Mis dans l'impossibilité de suivre les précédents de l'Union dans le
choix de leurs collègues, les ministres voulaient du moins honorer ses
doctrines et appliquer ses principes dans leurs actes. Fidèles jusqu'au bout à
la bannière de 1830, ils se proposaient de pratiquer la politique mixte à
l'aide d'une administration homogène. Les débats, roulant en grande partie sur
l'admissibilité du programme de M. Rogier, se distinguèrent cette fois par un
symptôme dont la gravité n'a guère besoin d'être signalée. Les droits de la
couronne, la personne même du roi furent mêlés aux reproches et aux accusations
que se renvoyaient les amis et les adversaires des ministres. M. Rogier ne
craignit pas de s'écrier : « L'opinion libérale, par sa seule présence aux
affaires, aurait émancipé la royauté du joug que, dans l'opinion du pays, elle
subit aujourd'hui.» A l'entendre, les catholiques
étaient non pas les défenseurs, mais les exploitateurs
de la prérogative royale (Séance du 20 avril, Annales parlementaires, p. 1073). Et les tribunes, toujours remplies d'une jeunesse ardente,
applaudissaient bruyamment ces paroles imprudentes , si dangereuses pour le
prestige du trône, si peu dignes d'un ancien ministre devenu, en quelque sorte,
la personnification des idées gouvernementales du libéralisme! Un jeune député
de Gand fut plus explicite encore. « Qu'est-ce donc, dit-il, qui écarte le
parti libéral du pouvoir?... C'est cette influence funeste qui pèse sur la couronne;
c'est cette influence qui entoure, qui circonvient, qui obsède la couronne;
c'est cette influence qui, s'étayant des souvenirs de deux révolutions , menace
encore, alors qu'elle se proclame dans cette enceinte la gardienne des
prérogatives de la royauté... » De nouveaux et chaleureux applaudissements éclatèrent
dans les tribunes; et l'orateur, s'adressant pour ainsi dire au roi lui-même,
ajouta : «Si, en ce moment, je n'hésite pas à signaler avec énergie le mal de
la situation, le véritable mal qui ruine le pouvoir et l'avilit, qui jette dans
le pays des ferments de discorde, de mécontentement, d'irritation, c'est qu'en
homme modéré avant tout j'ai dû signaler au pilote, si haut qu'il soit assis,
l'écueil qui menace le navire de l'État, afin qu'il l'arrête ! » (Séance du 21 avril, Annales
parlementaires, p. 1079).
Un député de Tournay, que ses opinions
républicaines éloignèrent plus tard du parlement belge, affirma qu'une
puissance occulte avait continué de gouverner pendant l'interrègne ministériel
(p. 1085).
Poussant, comme toujours, les erreurs de ses amis à leurs conséquences
dernières, M. Verhaegen dit audacieusement qu'il n'était pas permis au roi de
choisir dans les rangs des libéraux un ministère réunissant des conditions de
vitalité (Séance du 22
avril, p. 1094). Ainsi le grief absurde et banal de
l'influence occulte acquérait de jour en jour des proportions plus imposantes.
De MM. d'Huart et Ernst il s'était étendu à M. Nothomb; de celui-ci à M. Van de
Weyer, et de ce dernier au roi lui-même! Et
cependant, on l'a vu, le roi avait si peu tenu à conserver le pouvoir aux mains
des catholiques; il était si loin d'avoir montré de la répugnance à l'égard des
chefs du parti libéral, qu'il avait successivement donné à M. Rogier, à M.
Dolez, à M. d'Huart et à M. d'Hoffschmidt l'autorisation de former un cabinet
exclusivement composé d'éléments libéraux : et cela en présence d'un parlement
où la majorité appartenait incontestablement aux catholiques! Il n'avait posé à
l'avènement de la gauche qu'une seule condition , celle de ne pas réclamer la
dissolution éventuelle des Chambres!
Ces tristes, ces incroyables
exagérations de l'esprit de parti produisirent un résultat auquel leurs auteurs
étaient loin de s'attendre. Recueillies et commentées dans les bas-fonds de la
politique et de la presse, elles servirent de prétexte à d'ignobles attaques
contre le chef de l'État; et bientôt il fallut demander aux chambres (page 156) une loi sévère pour réprimer
les offenses envers le roi et les membres de la famille royale (Loi du 6 avril 1847). On comprend sans peine que cette absence de scrupules à l'égard de la
royauté devait avoir pour complément des attaques pleines de violence dirigées
contre les ministres. Un seul exemple suffira pour caractériser la polémique
parlementaire de l'époque.
Un receveur des contributions nommé Retsin avait été condamné à cinq ans d'emprisonnement du
chef de soustraction. Malgré de hautes et puissantes influences, sa requête en
grâce avait été rejetée, sur le rapport du ministre de la Justice; seulement,
comme la santé du coupable était trop altérée pour qu'on pût le soumettre au
régime de la maison centrale de St-Bernard, il reçut l'autorisation de subir sa
peine à la prison de Bruxelles. Plus tard on lui permit d'en sortir
momentanément pour se faire soigner dans un hospice, parce que, suivant un
rapport de l'administrateur des prisons, l'épuisement de ses forces réclamait
ce changement de régime; mais, toujours préoccupé des intérêts de la vindicte
publique, le ministre posa pour condition que le temps passé à l'hospice ne
compterait pas dans la durée de la peine. Les précédents administratifs
autorisaient cette mesure. Le baron d'Anethan se bornait à faire en faveur d'un
condamné correctionnel ce que ses prédécesseurs avaient fait en faveur
d'individus frappés de peines afflictives et infamantes. Malheureusement, au
lieu d'entrer sans retard à l'hospice qu'on lui avait désigné, Retsin se rendit à Mons, où il eut l'air de narguer les
magistrats qui l'avaient condamné. Informé de cet abus de confiance, de cet
inconcevable oubli des conditions apposées à sa mise en liberté, le ministre de
la Justice fit immédiatement arrêter le coupable, qui fut déposé à la prison de
Turnhout. Tous ces faits étaient accomplis, lorsque M. Verhaegen, dans la
séance du 22 Avril, crut devoir en faire l'objet d'un long et virulent
réquisitoire contre l'administration centrale. Cachant ses sentiments et ses
actes sous des dehors séduisants, Retsin avait réussi
à s'attirer la bienveillance d'une foule de personnes influentes. Ayant passé
quelques années au service d'un nonce, il se vantait d'entretenir des relations
avec les dignitaires les plus éminents du (page
157) clergé. Il est constant que, guidé par ses passions cupides, il
exploitait, peu de temps avant sa condamnation, une sorte de commerce de
fausses reliques. Croira-t-on que l'opposition eut le triste courage de grouper
ces faits, de se prévaloir de ces antécédents, d'exploiter ces mensonges, pour
transformer cet homme «si adroit, si
jésuite » (expression
de M. Verhaegen, séance du 22 avril, p. 1165) en
enfant chéri du parti catholique? On accusa le ministre de la Justice d'avoir
agi sous la pression du pouvoir occulte, en accordant à Retsin
une faveur dont il était indigne; on s'empara des manœuvres de ce malheureux pour
faire planer d'odieux soupçons sur la moralité d'une grande opinion nationale.
«Retsin, s'écria M. Castiau, c'est l'incarnation de
tout un système de mensonge et d'hypocrisie. C'est Tartuffe qui ressuscite,
mais le Tartuffe du dix-neuvième siècle, Tartuffe avec un nouveau
perfectionnement d'hypocrisie. Voilà les hommes que l'on protége
aujourd'hui, voilà les hommes que le pouvoir
occulte fait arriver à tous les avantages et à toutes les faveurs.
Aujourd'hui, comme du temps de Molière, il n'y a de protection, de chances d'avancement
que pour ceux qui font de la dévotion métier et marchandise.... Voilà sous quels auspices a été inaugurée la
morale administration qui nous gouverne ! » (p. 1165).
Malgré les explications les plus
complètes et les plus péremptoires que M. d'Anethan s'empressa de fournir à la
Chambre, malgré l'ordre d'arrestation qu'il avait donné à une époque où rien ne
présageait que cet incident administratif dût être porté à la tribune, malgré
l'évidence accablante des faits, plusieurs séances de la Chambre des
Représentants furent absorbées par les développements de ce thème. La majorité
commit une grande faute en s'abstenant de passer immédiatement à l'ordre du
jour. Dans un pays voisin, où une accusation analogue se produisit sous le
ministère de M. Martin (du Nord), l'assemblée n'avait pas même voulu que le
chef du département de la Justice prît la parole pour se défendre. Il ne suffit
pas de parler et de voter en faveur des ministres; on compromet la dignité du
pouvoir en permettant que l'un de ses représentants soit traité à la tribune
«comme un filou en police correctionnelle, parce qu'il a permis à un malheureux
atteint d'une maladie mortelle de sortir pendant quelques instants de sa prison
pour respirer au dehors (page 158) un
air plus salubre. » (Expression de M. de Gerlache; Essai
sur le mouvement des partis, p. 19, en note. Oeuvres.
Complètes, t. VI). C'était un triste spectacle que cette
phalange d'hommes honorables et graves, s'acharnant pendant huit jours contre
le chef d'un département ministériel, parce qu'il avait, d'après eux , montré
trop de condescendance envers un condamné malade! L'avenir ne tarda pas à
justifier la conduite de l'administration centrale. Trois mois après ces
déplorables débats, Retsin mourut en prison des suites
de la maladie qui avait motivé sa mise en liberté provisoire. Mais l'effet
était produit, et cet incident, malgré ses proportions mesquines, avait
alimenté pendant plusieurs semaines la polémique des feuilles libérales (Voyez les Annales parlementaires, 1845-1846, p. 1098 et suivantes. M.
d'Anethan prononça dans cette discussion quatre discours qui résument
clairement et consciencieusement les faits. L'un de ces discours énumère tous
les précédents administratifs. Voyez aussi le discours de M. Malou , ibid., p. 1099. Sous le dernier
ministère , les attaques de l'opposition étaient principalement dirigées contre
M. Nothomb; sous le ministère du 31 Mars, ce privilège était dévolu à
l'honorable ministre de la Justice. Dans la séance du 13 Janvier 1847, M.
Verhaegen souleva un débat digne de figurer à côté de l'incident Retsin. Le député de Bruxelles affirma que M. d'Anethan,
dans le dessein de rendre récusables quelques membres de la Cour de cassation,
les avait consultés sur une question de mainmorte décidée par la Cour de
Bruxelles dans un sens contraire aux sympathies du gouvernement. « Inutile de
dire, s'écria M. Verhaegen, que les membres consultés sont indépendants de toute
influence cléricale...; mais il fallait les écarter et les empêcher de prendre
part à la décision du pourvoi : c'est un abus que je ne puis assez flétrir et
contre lequel je proteste de toute la force de mon âme. » Le ministre
s'empressa de repousser cette accusation; il somma M. Verhaegen de lui faire
connaître les noms des conseillers
consultés, et le député de Bruxelles promit de faire la désignation
après la séance. La séance levée, le baron d'Anethan exigea l'accomplissement
de cette promesse. A sa grande surprise, M. Verhaegen
finit par lui dire qu'il ne se rappelait qu'un seul nom, celui du conseiller Peteau. Malheureusement le
prétendu grief, même réduit à un seul nom, n'avait jamais existé que dans
l'imagination de ceux qui avaient prié M. Verhaegen de porter cette accusation
à la tribune. Dans la séance du 15 Janvier 1847, le ministre donna lecture
d'une lettre de M. Peteau, où celui-ci déclarait nettement ne pas avoir été
consulté sur cette question de droit, ni
directement ni par intermédiaire d'un tiers (Ann. parl., p. 493). Cet exemple
caractérise l'opposition de l'époque. Contentons-nous de dire que M. d'Anethan
repoussa toujours victorieusement tous les faits articulés à sa charge (Fin de
la note de bas de page)).
Ces
discussions irritantes et stériles se terminèrent, dans la séance du 29 Avril,
par un vote de confiance, qui fournit au cabinet une majorité de dix voix. Tous
les libéraux, à l'exception d'un seul (M. Albéric (page 159) Dubus), votèrent avec l'opposition, et parmi eux se
trouvaient un gouverneur de province et deux procureurs du roi. Un catholique
(M. Dedecker) s'était abstenu (M. Dedecker crut devoir motiver son abstention dans les termes suivants:
« Je n'ai pu, en conscience, voter en faveur du ministère , parce que je trouve
qu'il n'est pas la conséquence logique des événements qui se sont passés depuis
cinq ans ; il est donc un
anachronisme, si même il n'est un défi... (Annales parlementaires, p.
1178.) » Le mot fit fortune dans les journaux de la gauche, mais produisit une
pénible impression dans les rangs des coreligionnaires de l'orateur. Il n'y a
pas d'anachronisme à prendre le pouvoir à des conditions honorables,
constitutionnelles, rassurantes pour tous les partis. Il n'y a pas de défi à
lever la bannière d'une opinion loyale et modérée, qui possède la majorité dans
les Chambres. A la suite des difficultés qui avaient
précédé la formation du cabinet et dont M. Dedecker connaissait tous les
détails, il y avait peu de générosité à jeter cette boutade à la tête des
hommes que leur dévouement seul amenait au banc des ministres).
La majorité était certes peu
considérable; mais , dans le célèbre vote du 2 Mars 1841, le ministère libéral
n'avait pas obtenu une majorité plus forte, et cette fois le Sénat, au lieu
d'être ouvertement hostile, était prêt à donner à M. de Theux un appui
énergique. Les feuilles de l'opposition , en s'efforçant de prouver qu'une
majorité de dix voix était insuffisante pour diriger les affaires du pays dans
les voies de l'ordre et du progrès, manquaient à la fois de mémoire et de
logique; puisque, cinq ans plus tôt, elles avaient dépensé des flots d'encre à
l'appui de la thèse contraire. En tout cas, le vote actuel, quelle que fût son
importance ou sa faiblesse, attestait la présence d'une majorité catholique ,
et par suite le droit de celle-ci au partage du pouvoir et des influences
officielles.
Mais il importe de remarquer que le vote
du 29 Avril n'était pas le dernier mot des hommes modérés du libéralisme
constitutionnel. Dans une deuxième discussion politique, ouverte à l'occasion
de l'adresse en réponse au discours du trône , le cabinet obtint, le 20
Novembre, une majorité de 52 voix contre 34. Il avait donc gagné bien du
terrain depuis son avènement. Ce progrès s'expliquait par la modération, la
franchise et la loyauté que tous les ministres apportaient dans l'exécution de
leur programme, même quand il s'agissait des intérêts du parti libéral.
La condescendance du cabinet pour les
vœux équitables du libéralisme s'était surtout manifestée dans le problème
législatif de l'enseignement (page 160)
moyen, qui avait amené la dislocation du ministère précédent et le départ de M.
Van de Weyer. Loin de se retrancher derrière les
aveux de quelques chefs de la gauche et de reproduire mot pour mot le projet de
1834, M. de Theux déposa, dans
la séance du 3 Juin, plusieurs amendements qui élargissaient considérablement
l'action administrative de l'État. Au lieu de trois athénées royaux, nombre
jugé suffisant par le cabinet libéral de cette époque, le gouvernement
proposait cette fois de fonder une institution de ce genre au chef-lieu de
chaque province et dans la ville de Tournai, ce qui portait leur nombre de
trois à dix. M. de Theux plaçait ces établissements sous la direction exclusive
de l'État. Il voulait que l'enseignement religieux fût donné par les ministres
du culte de la majorité des élèves; mais, pour calmer les susceptibilités les
plus exagérées, il eut soin d'ajouter : « Le gouvernement se concertera avec
les autorités ecclésiastiques pour régler le mode et les conditions du concours
des ministres du culte. Si les conditions de ce concours étaient reconnues par
le gouvernement incompatibles avec les principes de la présente loi,
l'enseignement de la religion serait suspendu. » En dehors des athénées de
l'État, il respectait la liberté communale dans l'organisation des écoles
moyennes; mais il eut soin de stipuler que tout collège communal recevant un
subside de l'État serait astreint aux conditions suivantes : soumission au
régime d'inspection établi par la loi, participation aux concours généraux,
acceptation d'un programme déterminé par le gouvernement, approbation
ministérielle du budget et des comptes. C'était une nouvelle et considérable
extension des pouvoirs du gouvernement; car la loi de 1834, présentée par M.
Rogier, exigeait que les écoles moyennes communales, alors même qu'elles
recevaient des subsides de l'État, fussent librement administrées par les
communes. On avouera que M. de Theux ne pouvait aller plus loin sans anéantir
la liberté des autorités locales, sans admettre une omnipotence administrative
que M. Lebeau, M. Rogier et tous leurs collègues libéraux avaient repoussée en
1834 (Voyez les amendements déposés par M. de Theux, aux Annales parlementaires de 1845-46, p.
1689).
Cet esprit de conciliation, cette
loyauté politique, ce désir sincère d'enlever tout grief sérieux aux défenseurs
de l'opinion libérale , se (page 161)
manifestèrent de nouveau dans un projet de loi relatif à l'augmentation du
nombre des membres des deux Chambres. La Constitution porte que le nombre des
Représentants ne peut excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants,
et que celui des sénateurs doit être de la moitié des membres de l'autre
Chambre. Un tableau qui répartissait sur ces bases la représentation nationale,
entre les divers arrondissements du royaume, avait été dressé en 1831; mais le dernier
recensement attestait que la population s'était considérablement accrue dans
quelques districts, et la presse libérale réclamait énergiquement
l'augmentation du nombre de leurs délégués dans les Chambres. Ici encore, il
eût été facile d'éviter l'application d'un système qui ne pouvait avoir d'autre
résultat que d'accroître considérablement l'influence électorale des grandes
villes, presque toutes acquises au libéralisme; il eût suffi de dire que la
Constitution, loin d'exiger un député par 40,000 habitants , indique ce nombre
comme une limite que le législateur ne peut jamais dépasser. Mais les membres
du cabinet étaient trop équitables pour ne pas avouer que l'accroissement de la
population dans certaines provinces réclamait la révision du tableau annexé au
décret du 3 Mars 1831. Prenant pour base les résultats du dernier recensement,
ils soumirent à la sanction des Chambres un projet de loi élevant de 102 à 108
le nombre des représentants, et de 51 à 54 le nombre des sénateurs (La Chambre adopta le projet à
l'unanimité des suffrages; le Sénat, par 28 voix contre 2. Loi du 31 Mars 1847).
Les principes de l'Union, pratiqués avec
cette loyauté scrupuleuse, dissipèrent bien des préjugés, et plus d'un membre
de la législature regretta sincèrement le vote hostile par lequel il avait
accueilli les débuts de l'administration nouvelle. L'opposition resta forte et
passionnée; mais ses attaques, quoique fréquentes, n'empêchaient pas les
ministres de rendre des services signalés au pays. Le reste de la session de
1845-1846 se distingua par une longue série de travaux utiles. Pour en fournir
la preuve, il suffit de citer les lois sur la comptabilité de l'État et sur
l'organisation de la Cour des comptes, le remaniement de la législation sur les
sucres, le vote de plusieurs ouvrages d'utilité publique, les conventions
commerciales avec la France, les États-Unis et les Pays-Bas. On peut en dire
autant de la session suivante. Indépendamment des mesures réclamées par la
crise des subsistances (Nous parlerons plus loin de la crise des subsistances et des mesures
promptes et énergiques que prirent les ministres. Nous en ferons autant pour
les finances et les travaux publics), elle se fit remarquer par
l'adoption des lois sur les irrigations, sur le défrichement des terrains
incultes, sur la création d'une monnaie d'or, sur la position des princes dans
l'armée, sur le règlement définitif des comptes du trésor de 1836 à 1840, sur
les offenses envers la famille royale ; et si le vaste programme d'affaires
conçu par le gouvernement ne fut pas complétement rempli, si les Chambres
négligèrent d'aborder l'examen de plus d'un projet déposé par les ministres, ce
n'était ni aux lumières ni à l'activité du pouvoir que le pays pouvait adresser
des reproches.
Un fait digne d'être remarqué, c'est que
le cabinet du 31 Mars, malgré le nombre, l'ardeur et l'habileté de ses
adversaires, parvint à l'époque des élections de 1847, sans avoir subi le
moindre échec, sans qu'un seul projet de loi eût été rejeté ou amendé par
l'opposition. Constamment fidèle aux principes de modération et d'ordre qui
constituent l'essence du pacte constitutionnel de 1830, il opposa des faits
irrécusables aux accusations d'insuffisance et d'incapacité qui lui furent
prodiguées au début de sa carrière. Tandis qu'on le représentait comme
l'incarnation de l'ancien régime, comme une contrefaçon maladroite du ministère
Polignac, il se montrait plein de dévouement aux intérêts du pays, plein
d'ardeur dans la réalisation du progrès, plein de respect pour toutes les
libertés constitutionnelles. A l'époque où nous
sommes parvenus, ce n'était pas sous un verdict des Chambres que pouvait
succomber cette politique loyale et franchement unioniste. La triste et
redoutable tâche d'inaugurer une politique exclusive était réservée aux
entraînements du corps électoral.
Cette œuvre de démolition, ces progrès
incessants du libéralisme anti-unioniste, cette guerre implacable aux principes
qui faisaient la force et qui font aujourd'hui la gloire du Congrès national,
forment une page éminemment instructive de nos annales. Nous leur consacrerons
un chapitre spécial. et énergiques que prirent les ministres.
Nous en ferons autant pour les finances
et les travaux publics.
163
CHAPITRE
XXXVII. MOUVEMENT POLITIQUE. — LE CONGRÈS LIBÉRAL. (1838 — 1847.) Quinze années
se sont écoulées depuis le jour mémorable où les membres du Congrès, entourant
le trône du premier roi des Belges, proclamèrent l'achèvement de leur t&che patriotique, aux applaudissements de tout un
peuple qu'ils venaient de doter des institutions les plus libérales de
l'Europe. Fière de son indépendance noblement reconquise, forte de l'union de
tous les hommes dévoués à la cause nationale, la Belgique rentrait dans les
voies constitutionnelles avec l'espoir et la volonté de s'affranchir à jamais
de ces luttes dangereuses qui, à moins d'un demi-siècle de distance, avaient
remplacé les élans du patriotisme par les querelles des partis , la victoire
par la défaite , l'indépendance par la conquête étrangère (1). Quelques voix
discordantes disaient que l'Union de 1830 était une trève
passagère, une ligue sans avenir, un accident produit par la domination
hollandaise et destiné à disparaître avec elle; mais ces protestations isolées
, sans écho dans les masses, rencontraient une réprobation à peu près unanime
dans toutes les classes ralliées à la royauté constitutionnelle. Catholiques et
libéraux , citoyens et soldats , magistrats et peuple , tous voyaient dans
l'alliance des deux grands partis nationaux un progrès marquant dans la vie
politique des Belges. A l'époque où nous sommes
parvenu, le regard de l'historien rencontre un tout autre spectacle! A la
tribune , dans la presse, dans les villes, dans les campagnes, dans
l'administration, dans l'armée, partout se manifestent les symptômes d'une
lutte acharnée et sans relâche. Un parti puissant, actif, plein de vigueur et d'audace,
se lève à la fois
(l) On
n'a qu'à se rappeler les querelles des partisans de Vonck
et de Van der Noodt, qui amenèrent la triste issue de
la révolution du dernier siècle. contre le gouvernement et contre l'Église.
Enhardi par les succès incessants de sa propagande, le libéralisme réclame
hautement la possession exclusive du pouvoir et le vasselage politique de ses
adversaires. Le lecteur connaît déjà la nature et l'importance de la propagande
ultra-libérale, depuis la dissolution du Congrès jusqu'au jour où Guillaume Ier
fit notifier son adhésion aux Vingt-quatre Articles. Un moment oubliée au
milieu de nos différends avec la Hollande et avec l'Europe, la lutte ne tarda
pas à renaître avec tous les caractères qui la distinguaient avant la
conclusion de cette espèce de trève diplomatique. A peine débarrassés de la crainte d'une guerre étrangère,
les adversaires des catholiques reprirent les armes avec d'autant plus de
confiance et d'ardeur que, depuis le commencement de 1840, ils avaient trouvé
un appui considérable et inespéré dans la publication de la Revue nationale. De 1840 à 1847, un
immense travail politique se manifeste dans toutes les provinces. Le grand
parti de l'Union se fractionne en deux camps hostiles. Des doctrines
inconciliables avec les principes fondamentaux de la Constitution se propagent
dans les classes supérieures et moyennes. Les germes d'irritation semés pendant
les dix dernières années se développent avec vigueur et prennent des
proportions redoutables. Les influences se déplacent, le corps électoral se
prononce en faveur d'une politique nouvelle, et la minorité de 1831 devient la
majorité de 1847. Les causes de cette transformation politique sont nombreuses
et variées ; mais, on peut le dire sans exagération et sans injustice, la part
la plus large revient à la Revue
nationale. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les journaux de
l'époque, pour apercevoir les théories et les arguments de M. Devaux au fond du
langage de tous les défenseurs de l'opinion libérale (1). Laissant à la presse
quotidienne les attaques de détail, le directeur de la Revue affectait de se placer sur le terrain du droit, des
principes, de la dignité du pouvoir et de la sincérité du régime
constitutionnel. Initié à tous les détails des luttes politiques de
l'Angleterre et de la
(i) Nous
avons déjà entretenu nos lecteurs des attaques dirigées par la Revue contre tous les cabinets qui se
sont succédé depuis 1841. Nous allons examiner ici les doctrines générales de
ce recueil, dont l'influence fut prédominante dans la polémique libérale,
jusqu'au moment de la réunion du Congrès de 1846. France, habile à rapprocher
et à présenter comme identiques des situations en réalité très-distinctes, il
s'était imposé la tâche de jeter le trouble dans l'esprit de cette foule de
libéraux modérés qui, toujours fidèles à l'Union, croyaient que les catholiques
, après avoir contribué à l'affranchissement du pays, avaient le droit de
participer à la direction des affaires nationales. L'honorable député de Bruges
réussit au delà de l'attente de ses amis et de ses
partisans. Chaque jour sa parole grave et didactique ralliait quelques
influences électorales à la bannière du libéralisme exclusif. En tacticien
habile, M. Devaux dirigea ses premières batteries contre le chef de l'armée
ennemie. Appréciant toute la valeur de M. "Nothomb, il cherchait à
l'écarter du pouvoir et à ruiner son influence, sauf à s'en prendre plus tard
aux nuances parlementaires ralliées à la politique du ministre. Le thème favori
du directeur de la Revue consistait
à prétendre que le système du député d'Arlon était une cause permanente
d'abaissement pour le pays, de faiblesse pour le gouvernement, de dégradation
pour les âmes. Sa modération habituelle disparaissait de ses idées et de son
langage, aussitôt que les noms des ministres, et surtout celui de M. Nothomb,
se présentaient sous sa plume. Le cabinet de 1841 était à ses yeux une espèce
de monstruosité parlementaire, «où l'immoralité politique d'une » part et la
nullité administrative de l'autre se prêtaient un mutuel » appui (1).» Issu
d'une hypocrisie déloyale, la tendance continue et forcée de ce cabinet était
«la démoralisation des partis et l'abais» sèment des
caractères (2). » M. Nothomb spéculait « sur la faiblesse » des caractères et
sur l'absence de moralité politique (3). » Le symptôme le plus marqué dans la
situation, c'était «cet abaissement inces» sant de l'esprit du gouvernement, cette immoralité presque
avouée » des moyens, cette absence si peu déguisée de respect de soi et de »
conviction dans les hommes (4). » Le rôle de l'administration dans les débats
parlementaires se réduisait «à renoncer à toute conviction, à » se mettre à la
piste de la volonté flottante de la majorité (5).» A
cet (1) Revue nationale, t. VII
( 1842 ), p. 275. (2) Ibid., p.
289. (3) Ibid., t. VIII ( 1843),
p. ISO.
(4) Ibid., p. 357. (5) Ibid.,
1844, p. 139 (t. X).
édifice
à proportions imposantes, à franches et nobles lignes, fondé par la
Constitution belge, le successeur de M. Rogier voulait «substi»
tuer une étroite construction à l'usage des ambitions vulgaires, repo» sant sur les petits mensonges, les petites hypocrisies, les
petites » corruptions (1).»
Pour les partisans de M. Nothomb, «l'esprit de » nationalité était une espèce
de hors-d'œuvre frivole, une plante de » luxe, dont l'homme d'État, quand elle
existe, tire parti comme de » tous les préjugés populaires, mais dont la
culture n'a aucun droit à » le préoccuper et peut, sans plus de souci, être
abandonnée aux » déclamateurs de la presse et aux rêveurs de la politique sentimen» taie (2). » Être au pouvoir, rester au pouvoir,
faire à ce but tous les sacrifices d'opinions, d'antécédents, de dignité,
passer par tous les expédients, se servir de tous les hommes, les gagner par
tous les appâts, semer l'indifférence du bien public dans les masses, exciter
l'intérêt cupide et ambitieux chez les individus: voilà les moyens de
gouvernement de M. Nothomb (3)! Abaissé, déconsidéré, méprisé, le ministère
semblait dire à tous les partis : « Je me résigne à me laisser » mépriser,
résignez-vous à me laisser vivre (4)!» Pour sauver son existence, il n'était
pas d'opprobre, pas de degré d'abaissement qu'il n'acceptât sans répugnance! Il
prétendait régir les intérêts de la nation « en prenant les individus par leurs
intérêts isolés et honteux (5). » Tous les instincts corrompus de la société
moderne, toutes les passions cupides qui souillent la civilisation
contemporaine, la soif des jouissances matérielles, l'amour de l'or,
l'ambition, l'égoïsme, toutes ces misères et tous ces vices étaient le produit
d'une politique qui propageait le culte de l'intérêt personnel. «Le dévouement,
le patriotisme » désintéressé, les instincts nobles et généreux étaient
refoulés dans » les âmes (6). » Et tout cela parce que M. Nothomb, placé à la
tête d'un ministère de conciliation, tenait compte des résistances, des vœux et
des intérêts qu'il rencontrait aujourd'hui sur les bancs de la gauche et demain
sur les bancs de la droite! Comme si la politique de concilia(1) Revue nationale, t. X, p. 212. (2) Ibid., 1844, p. 177 (t. XI).
(3) Ibid., p. 183.
(4) Ibid., p. 184. (5) Ibid.,
p. 195.
(6) Ibid., t. XII, p. 300
tion ne deviendrait pas inévitablement
une politique exclusive, le jour même où les ministres planteraient franchement
leur bannière dans l'un des camps rivaux! L'ambition, l'égoïsme et l'amour de
l'or envahissaient les âmes; les dévouements profonds, les convictions fortes
et généreuses, les croyances vives, les pensées viriles, les caractères
noblement trempés devenaient chaque jour plus rares. Sous ce rapport, le
directeur de la Revue pouvait à
bon droit se plaindre du présent et s'inquiéter de l'avenir. Mais de quel droit
faisait-il remonter à M. Nothomb la responsabilité des maladies morales qui
ravageaient tous les États de l'Europe? M. Devaux n'avait qu'à porter ses
regards au delà de nos frontières. Est-ce que le
désintéressement, l'abnégation et l'esprit de sacrifice brillaient parmi les
populations françaises? Et cependant, depuis la révolution de Juillet, le
libéralisme doctrinaire régnait sans partage sur les rives de la Seine! Là
aussi le gouvernement était accusé de semer la corruption à pleines mains, et
cependant ce n'était pas une politique mixte, mais une politique exclusivement
et largement libérale qui se trouvait personnifiée dans le cabinet des
Tuileries. Quoi qu'il en soit, commentés par l'enthousiasme des feuilles libérales,
reproduits et développés sous toutes les formes, répétés dans les salons,
discutés dans les lieux publics, pénétrant rapidement dans toutes les communes
du royaume, ces réquisitoires implacables, ces attaques virulentes et sans trève, se succédant pour ainsi dire de mois en mois,
produisaient une impression d'autant plus vive qu'ils émanaient d'un homme qui,
pendant dix années, au milieu des circonstances les plus difficiles, avait
constamment prêté à la cause de l'ordre et du pouvoir un concours énergique et
désintéressé. On ne tenait pas assez compte de l'irritation que la chute du
ministère de 1840, composé de ses amis, organisé sous ses auspices et vivant de
ses doctrines, avait jetée dans l'âme de M. Devaux. On oubliait que l'abandon
de la politique unioniste par une fraction considérable du libéralisme modéré,
fraction conduite, animée, dirigée par le député de Bruges, devait avoir
profondément modifié ses idées et ses tendances. On ne scrutait pas assez le
mobile qui dirigeait sa plume, les espérances qui animaient sa verve, les
rancunes qu'il nourrissait à l'égard de M. Nothomb. On acceptait comme autant
d'axiomes les exagérations d'un publiciste écrivant dans l'ardeur de la lutte.
Mais il ne suffisait pas de lancer des traits acérés contre le ministère et
contre son chef. La retraite de M. Nothomb n'aurait pas réalisé toutes les
espérances de M. Devaux. Pour lui comme pour ses amis politiques, il s'agissait
avant tout d'amener les Chambres à prêter leur appui à un cabinet purement
libéral. Le Congrès national a pris soin de fournir aux électeurs des moyens
plus que suffisants pour maintenir la représentation nationale en harmonie avec
les idées, les vœux et les besoins du pays. De deux en deux ans, la moitié de
la Chambre populaire subit le contrôle du scrutin; de sorte qu'une période de
quatre années suffit pour opérer au besoin le renouvellement intégral de la
partie active et réellement influente de la législature. C'est au pays
lui-même, et non pas à un ou à plusieurs chefs de parti, que la Constitution
reconnaît le droit de dire si le parlement a conservé ou perdu la confiance du
corps électoral. M. Devaux n'avait garde de se placer
sur ce terrain. Doué d'un remarquable talent d'écrivain, il se donnait des
peines infinies pour défendre et faire accepter une thèse dont on chercherait
en vain des traces dans les annales des gouvernements parlementaires. Il
voulait que la majorité, abandonnant le pouvoir aux chefs de la minorité, se
condamnât elle-même avant d'être condamnée par le pays légal! «Résignez le pou»
voir, contentez-vous d'un rôle secondaire, devancez les redoutables » arrêts du
corps électoral, confiez la direction de vos intérêts les plus » chers à la
loyauté de vos adversaires politiques. Ils seront géné»
reux, à condition d'être les maîtres. Demain
peut-être on vous » imposera des conditions plus onéreuses. Le temps presse :
soumettez» vous de bonne grâce. » Nous avons déjà dit que telle était, réduite
à sa plus simple expression, la doctrine constitutionnelle de la Revue nationale (1).
(l)
Pour qu'on ne nous accuse pas d'avoir inventé cet étrange langage, il suffira
de transcrire textuellement quelques lignes de la Revue, « .... Il n'y a » qu'un moyen de diminuer l'ardeur de la
lutte, c'est de changer le fond même » de la situation, c'est d'ôter d'une
manière décisive à l'opinion catholique la » prépondérance qu'elle exerce. La
querelle des deux partis ne fera que s'aigrir » et s'animer de plus en plus,
tant que l'opinion libérale ne sera pas enpos»
session de l'influence prédominante, tant
que l'opinion catholique ne sera pas » convaincue par les faits qu'elle doit se résigner au rôle de minorité (
t. VIII, » p. 290 ). i II nous
serait facile de reproduire plusieurs fragments où cette pensée se révèle avec
la même franchise. Voy. Rev. nat. t. II, p. 284 et 371 j t. IV,
p. 86 et 87; t. VI, p. 313 et suiv.; t. VIII, p. 286;
t. XIII, p. 307. Ce langage était tellement étrange, tellement en dehors des
fictions légales du régime parlementaire, que M. Devaux lui-même, sans le
savoir, fournissait à ses adversaires des arguments irréfutables pour combattre
sa théorie de la prépondérance nécessaire du parti libéral. A l'heure même où
il voulait que les catholiques, pleins de confiance dans les libertés conquises
en 1830, cédassent le pouvoir aux représentants de l'opinion libérale, il
s'efforçait de prouver que les constitutions les plus explicites, les plus
généreuses, ne seront jamais qu'une barrière impuissante contre les
empiétements des ministres qui disposent de la majorité des Chambres. «Chez
nous, » disait-il, «les Chambres, si elles » le voulaient, pourraient anéantir
nos plus précieuses garanties sans » se heurter à la lettre de la Constitution.
La Chambre des Représen» tants
ne pourrait-elle supprimer ou rendre illusoire le traitement des » magistrats,
et rendre ainsi l'administration de la justice impossible? » Ne pourrait-elle,
étendant la mesure aux fonctionnaires amovibles, » annuler le pouvoir exécutif?
Ne pourrait-elle, en soumettant chaque » feuille imprimée à un timbre de dix
francs, confisquer la presse? Ne » pourrait-elle supprimer la liberté des
industries qui n'est écrite nulle » part, en les soumettant toutes à une
autorisation préalable (1). » Si M. Devaux avait voulu se donner la peine
d'allonger cette liste, il aurait facilement trouvé des solutions analogues
pour toutes les libertés chères aux catholiques. Que deviendrait la liberté de
l'enseignement, si l'État, puisant à pleines mains dans les coffres du trésor
public, multipliait et favorisait ses propres établissements au point de rendre
toute concurrence impossible? Que deviendrait-elle si, au sortir de l'école, du
collége et de l'université, le gouvernement forçait
l'élève à se présenter devant un jury composé d'adversaires de l'enseignement
libre? Que deviendrait la liberté de la charité, si l'État, substituant sa
volonté à celle des testateurs, s'emparait des fonds légués et plaçait l'action
froide et monotone du pouvoir administratif, là où les bienfaiteurs des pauvres
auraient placé l'influence vivifiante de l'autorité religieuse? Et cependant le
publiciste éminent qui traçait ces lignes ne pouvait comprendre que les
catholiques , peu rassurés par le texte de la Constitution , voulussent
conserver une part d'influence au sein du cabinet et des Chambres! Sans doute,
M. Devaux et la plupart de ses amis (1) Revue
nationale, t. IV ( 1840), p. 284 et 285. étaient animés d'intentions
généreuses; ils voulaient être justes et impartiaux à l'égard des catholiques;
ils se seraient contentés de l'installation définitive du libéralisme au
pouvoir central. Mais pouvaientils répondre de la
modération de leurs alliés et de leurs successeurs? Les catholiques avaient le
droit de tenir aux libéraux le langage que M. Rogier adressait à ses
adversaires, dans la séance du 23 Avril 1846. «Nous négocions en ce moment avec
la Hollande,» disait le député d'Anvers... «Je suppose que, par aventure, les
ministres de S. M. » néerlandaise viennent trouver les nôtres et leur tiennent
à peu près » ce langage : «Eh ! bonjour, MM. les ministres belges. Nous sommes
» animés pour vous des meilleures intentions. Les intérêts belges ne » peuvent
être confiés à de meilleures mains que les nôtres. Chargez» nous de ces
intérêts ; nous les règlerons pour votre plus grand bien.» » Nos ministres
n'auraient pas, sans doute, la bonhomie decédera » ce
beau langage et de lâcher leurs droits. Ils répondraient sans détour » à de
telles avances : « Merci de vos services. Vous êtes trop bons » Hollandais pour
régler les intérêts belges ; nous sommes décidés à » les régler nous-mêmes. »
Eh bien ! Messieurs , à notre tour, et sans » vouloir porter aucune atteinte à
votre caractère, nous vous dirons: » « Merci de vos services. Ce n'est pas à
vous que nous voulons confier » le règlement de nos intérêts. Vous êtes trop
bons catholiques pour » cela (1). » Qu'on dise libéraux là où M. Rogier disait catholiques, et son discours sera la réfutation péremptoire de
la théorie fondamentale de M. Devaux. Le directeur de la Revue nationale avait raison quand il
affirmait que le cabinet et les Chambres devaient largement tenir compte des
droits et de l'influence de l'opinion libérale. Un parti, qui dispose de la
majorité des villes et qui compte dans ses rangs une foule d'hommes honorables
et distingués, doit être respecté dans les limites de ses droits et dans la
mesure de son importance. Méconnaître cette vérité, placer le parti libéral
parmi ces coteries impuissantes qu'on peut impunément rejeter de toutes les
sphères où s'agitent les influences officielles, ce serait s'engager dans une
voie pleine de mécomptes pour soi-même, pleine de périls pour l'avenir de la
monarchie constitutionnelle, pleine de redoutables éventualités pour
l'indépendance du pays. Mais les catho
(i) Ann. pari., p.
1109.
liques ne se rendaient point coupables de cette faute politique, de ce déni de
justice parlementaire , puisqu'ils se contentaient du partage des
portefeuilles. M. Devaux, qui reprochait à ses adversaires de ne pas priser
assez haut l'influence des idées libérales, commettait précisément cette erreur
à l'égard des idées catholiques. Le caractère distinctif des théories de la Revue nationale, n'était-ce pas cette
persistance à réclamer le pouvoir pour soi, l'obéissance et la résignation pour
les autres?On a vu que le pays refusa d'abord de
ratifier cet ostracisme politique. L'opinion libérale était incontestablement
en progrès, mais les élections de 1843 n'en laissèrent pas moins au
gouvernement une majorité considérable. Malgré les efforts chaque jour plus énergiques
de toutes les nuances de l'opposition, celle-ci réunissait rarement, dans les
circonstances les plus favorables, une phalange de 25 votants. Sous peine de
méconnaître les principes les plus élémentaires du régime constitutionnelle
cabinet et la majorité du parlement étaient donc en droit d'attendre le verdict
électoral de 1845. Tel n'était pas l'avis du directeur de la Revue nationale. Impuissant à
contester la quantité, il se
mit résolument à discuter la qualité de
la majorité gouvernementale (1). Mettant habilement à profit les succès
électoraux obtenus par ses partisans dans quelques centres populeux, il fit une
distinction injuste et blessante entre les députés des villes et ceux des
districts agricoles. «Les représentants libéraux,» disait-il, «ne succombent
que dans les petites localités, où manque » la vie politique, où l'on prête peu
d'attention aux affaires du gou» vernement,
où la presse locale est nulle. C'est, au contraire, dans » les centres les plus
éclairés, où les affaires générales du pays » préoccupent le plus les esprits,
où toutes les questions de choses » et d'hommes sont contradictoirement
discutées chaque jour par » des journaux de couleur diverse, c'est là que
l'opinion catholique » échoue. » Le tableau n'était pas tracé avec une
exactitude rigoureuse. La lutte électorale n'existait pas précisément entre
l'opinion catholique et l'opinion libérale, mais bien plutôt entre les
partisans (1) Cependant, même au sujet de la qualité, M. Devaux commit parfois des erreurs singulières. Dans
un article consacré au résultat des élections de 1843, il rangea MM. de
Corswarem et le prince de Chimay parmi les partisans de ses doctrines ( Revue nationale, 1843, l. IX, p.
t,7).
de la
majorité mixte, personnifiée dans le cabinet, et les partisans d'une majorité
libérale homogène, représentée par les défenseurs du cabinet de 1840. Or, si
quelques candidats du gouvernement avaient échoué dans les villes les plus
importantes du pays, d'autres y avaient obtenu un nombre considérable de
suffrages. A Tournai, MM. Dumortier et Goblet; à
Bruxelles, MM. Van Volxem, Meeûs
et Coghen; à Gand, MM. Desmaisières, Kervyn et de Saeger; à Namur, MM. Garcia et Brabant, avaient été élus en
parfaite connaissance de cause. Et quand même toutes les villes importantes se
fussent coalisées pour repousser les candidats du ministère, était-ce une
raison suffisante pour établir à leur bénéfice le vasselage politique des
districts ruraux? Était-il juste et légal de s'emparer de ce fait pour effacer
le texte de la Constitution qui proclame que chaque député représente la nation
entière, et non pas seulement l'arrondissement qui lui accorde la majorité des
suffrages? Ainsi qu'on devait s'y attendre, la presse quotidienne s'empara de
l'opinion de M. Devaux, pour la commenter avec son ardeur et son adresse
habituelles. Comme les élections de Bruxelles, de Gand et de Liége prenaient de
plus en plus une teinte libérale, tandis que les arrondissements moins
importants par leurs richesses restaient fidèles aux traditions du Congrès, les
feuilles libérales proclamèrent audacieusement la suzeraineté électorale des
villes populeuses. Les électeurs de ces villes étaient représentés comme
formant le pays intelligent, tandis
que tout district électoral accordant sa confiance aux catholiques était
dépeint comme un bourg pourri soumis
à l'influence abrutissante du pouvoir occulte. Attribuant aux grandes villes le
monopole de l'intelligence, des lumières et du tact politique, on arrivait
naturellement à prétendre que leurs élus devaient posséder le pouvoir, alors
même qu'ils se trouvaient en présence d'une majorité hostile! C'était proclamer
l'asservissement des deux tiers des colléges
électoraux; c'était miner le régime parlementaire par sa base! Cependant, à l'heure
où ces étranges doctrines étaient professées à la tribune belge, l'Angleterre
et la France voyaient les sommités de leurs parlements sortir, non pas des
capitales de ces grands pays, mais de quelques bourgs perdus sur l'immensité de
leur territoire. En Angleterre, les districts secondaires envoyaient au
parlement les Palmerston, les Stanley, les Graham, les Robert Peel. En France,
M. Guizot, le chef avoué du parti conservateur, était le député de Lisieux; M.
Thiers , le chef avoué de l'opposition, représentait la petite ville d'Aix; M.
Dupin , le président de la Chambre élective, était le candidat du bourg de
Clamecy : tandis que Paris, confiant ses intérêts à des hommes dont
l'opposition inintelligente amena la catastrophe de Février, préludait, sans le
savoir, au choix des Caussidière, des Louis Blanc,
des Pierre Leroux, des Eugène Sue. Qu'on place, aujourd'hui encore, les
destinées de la France aux mains des électeurs de Paris et de Lyon, et
l'expérience sera bientôt faite! L'homme d'État est obligé de tenir compte de
l'opinion des grandes villes, alors même que l'erreur les domine et que la
passion les égare; mais elles n'ont pas le droit d'aspirer au monopole de
l'influence politique. Si leurs murs renferment plus de lumières scientifiques,
plus d'activité industrielle, plus de richesses, elles abritent aussi plus de
corruption, plus d'immoralité, plus de passions cupides. Par cela même que les
électeurs s'y trouvent dans l'impossibilité de s'entendre , de se concerter, de
se connaître, le choix des représentants y dépend presque toujours de deux ou
trois hommes qui réussissent à se placer à la tête d'une association politique.
En fait, on ne doit pas seulement tenir compte de la qualité des électeurs,
mais aussi des idées et des lumières de l'élu; en droit, il convient de se
rappeler le texte de la Constitution qui accorde à tous les membres de la
législature le même titre et les mêmes prérogatives. Pour couronner sa tâche,
pour dissiper les derniers scrupules de ses amis politiques, M.'Devaux se livrait à de longues dissertations sur la
nécessité de placer désormais l'union des catholiques et des libéraux parmi les
utopies parlementaires. Sans doute, il eût été puéril de nier l'existence de
deux partis profondément divisés; sans doute, bien des amitiés s'étaient
brisées dans la lutte, et la majorité mixte avait subi des changements notables
dans le personnel de ses membres; sans doute encore, les circonstances qui
avaient amené la coalition des deux grands partis nationaux avaient disparu le
lendemain de la victoire du peuple. Mais si la nation était désormais
affranchie du joug de l'étranger, était-ce une raison pour rompre un pacte
librement et loyalement conclu en présence de l'ennemi commun? Si la passion,
la haine et l'esprit de vengeance se glissaient dans le corps électoral; si les
croyances et les intérêts devenaient la source d'une lutte acharnée; si les
TOME III. 16 rivalités des partis prenaient des proportions alarmantes,
était-il équitable et prudent de s'en prévaloir pour ériger en axiome la
domination permanente des uns, le vasselage éternel des autres? Ne fallait-il
pas, au contraire, s'efforcer de maintenir le pouvoir dans une sphère
supérieure aux passions déchaînées? N'était-il pas mille fois préférable de
confier les rênes de l'État à des hommes choisis dans les nuances modérées des
deux camps rivaux? N'y avait-il pas un incontestable avantage à calmer les
consciences inquiètes, à rassurer toutes les opinions honnêtes, à résoudre dans
un esprit de condescendance mutuelle les problèmes parlementaires qui
attendaient leur solution? L'organisation de la commune et de la province, la
loi sur l'enseignement supérieur, la loi sur l'instruction primaire,
l'établissement du chemin de fer, l'adoption du traité de paix, tous ces grands
problèmes résolus par une majorité mixte prouvaient assez que la politique de
l'Union ne devait pas être appelée «une politique de fantômes (1). » Puisque la
Constitution elle-même était l'œuvre de l'Union, le produit des efforts des
centres coalisés, pourquoi les nobles et fécondes traditions du Congrès
devaient-elles être proscrites, lorsqu'il ne s'agissait plus que de l'examen de
questions relativement secondaires? La polémique alimentée par M. Devaux, tout
en partant d'un fait vrai, l'existence des partis, ne pouvait avoir d'autre
résultat que de rendre la lutte plus ardente, les convoitises plus âpres, les
haines plus implacables. Le directeur de la Revue s'était lui-même chargé d'en fournir la preuve, lorsqu'il
écrivit ces lignes significatives : « Nous demanderons si c'est eu décla» rant une opinion puissante
indigne du pouvoir, en n'opposant à » ses progrès qu'un aveugle dédain et une
injuste proscription, qu'on » espère la modérer (2)?» Comme conclusion de
toutes ces prémisses, M. Devaux prétendait que les catholiques devaient se
laisser gouverner par les libéraux modérés. «La querelle des deux partis, »
disait-il, «ne fera que » s'aigrir de plus en plus, tant que l'opinion libérale
ne sera pas en » possession de l'influence prédominante, tant que l'opinion catholique
» ne sera pas convaincue par les faits qu'elle doit se résigner au rôle de »
minorité (3). » Il
en concluait que les catholiques, dans l'intérêt de la
(l) Expression de M. Devaux ( Rev. nat., t.
XII, p. 314 ). (3) Revue nationale, t.
XII, p. 313. —Voy. sur la dissolution de l'Union la Rev. val., I. XIII, p. 235 et suiv. (3) Ibid., t.
VIII ( 1843), p. 290. paix, dans l'intérêt du pays, dans leur intérêt propre,
n'avaient rien de mieux à faire que de mettre les portefeuilles à la
disposition des amis de la Revue
nationale. Mais si ce langage étrange était conforme aux exigences du
régime constitutionnel; si une grande opinion devait renoncer au pouvoir, par
cela seul qu'elle trouve en face d'elle des adversaires bruyants et passionnés,
il faudrait en déduire cette singulière conclusion, que le gouvernement d'un
pays revient de droit au parti le plus remuant, le plus audacieux, le plus
intraitable! Que répondrait M. Devaux aux démocrates qui, le lendemain de
l'anéantissement du parti conservateur, viendraient dire aux libéraux modérés:
« Cédez le pouvoir de bonne grâce; des symptômes d'agitation se » manifestent
dans toutes les provinces; cette agitation prendra chaque » jour des
proportions plus redoutables, jusqu'à l'heure où vous serez » enfin convaincus
que le libéralisme modéré doit se résigner au rôle » de minorité?» Il leur
répondrait sans doute que, fidèle à ses antécédents et à ses principes, il
resterait sur la brèche aussi longtemps qu'il croirait défendre le droit,
l'équité, l'intérêt bien entendu du pays. Il leur citerait ce passage de la Revue nationale : «Existe-t-il dans
le » monde politique un seul homme d'une opinion sincère, qui ne désire » pas
que son opinion exerce de l'influence sur les affaires de son » pays?
Non-seulement il le désire, mais, s'il a la moindre confiance » dans ses
convictions, il l'espère. En exprimant ce désir, cette espé»
rance, que disons-nous de plus que ce que pense tout homme poli» tique, quel
que soit son parti, quelle que soit la nuance de ses » idées (1)?» Les catholiques
ne disaient, n'espéraient rien dèplus! Sans doute,
une irritation vive et profonde se manifestait dans une partie du pays; mais la
responsabilité de cette situation anormale ne devait pas être imputée à ceux
qui, fidèles au pacte de 1830, persistaient à tendre loyalement la main à leurs
adversaires politiques. On reprochait aux ministres, et par conséquent à ceux
qui leur servaient d'appui, d'envisager « l'esprit de nationalité comme une
espèce de » hors-d'œuvre frivole, comme une plante de luxe (2). » On
représentait le pouvoir comme vivant dans une atmosphère de corruption et
d'intrigues ; on lui reprochait de tarir toutes les sources de la vie natio nale, de flétrir tous les
germes de grandeur et de gloire que renfermait la Belgique; on l'accusait de
faire la chasse aux consciences, de se livrer à des manœuvres sataniques contre
la dignité de ses adversaires; on lui attribuait le rôle infâme d'inoculer à la
jeune Belgique « les » vices de la décrépitude ; » on annonçait que l'esprit
qui soufflait autour de lui pouvait conduire à la démolition des forteresses et
au remplacement de l'armée «par une économique gendarmerie (1); » on humiliait
le pays en disant qu'il avait à sa tête une administration puisant toute sa
force dans « cette ressource des petits expédients dans » l'emploi de laquelle
un pouvoir sans dignité et sans conviction est » destiné à s'abaisser chaque
jour d'un degré, jusqu'à ce que l'homme » d'État soit descendu à la hauteur du
funambule de la foire (2). » Puis, quand l'irritation, grâce à ces paroles
imprudentes, se manifestait dans les classes lettrées, dans la bourgeoisie,
dans la hiérarchie administrative, dans la jeunesse, et même dans une partie de
l'armée, les amis de M. Dcvaux se fondaient sur cette
irritation même pour déclarer la politique unioniste impossible!Ce
n'est pas que M. Devaux partageât à l'égard des catholiques les passions et les
haines qui distinguaient un grand nombre de ses coreligionnaires politiques.
Son intelligence élevée lui faisait apprécier les éléments de moralisation, de
conservation et d'ordre qui se trouvaient représentés au sein de la majorité
parlementaire. Il ne désirait pas «un triomphe absolu, exclusif, brutal,
oppresseur (3).» Il ne voulait pas exclure les catholiques des fonctions
lucratives de l'État; il craignait même de voir décroître leurs forces au delà d'une certaine mesure (4). De temps en temps, il se
relâchait de la rigueur de ses prétentions, pour déclarer qu'il ne verrait pas
d'inconvénient à leur donner une position secondaire au sein du ministère (5).
Un jour, rendant aux catholiques un hommage précieux sous sa plume, il écrivit
ces lignes significatives : « L'opinion catholique a rendu de » très-grands
services à la révolution et par conséquent au pays et (1) Revue nationale, t. XI, p. 187, 189
et 192. (2) Ibid., tom. IX, p.
56. (3) Tom. IV, p. 88. (4) T. XII, p. 125 et 126; t. XIII, p. 305. — M. Devaux
a plusieurs fois protesté contre l'imputation de vouloir exclure les
catholiques des emplois publics. T. VIII, p. 286; t. X,p.
146. (5) T. VIII (1843), p. 214; t. XII, p. 306.
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