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2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes
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TOME 2
(page
248) Quatre années se placent entre l'avènement du troisième ministère et
le jour où Guillaume 1er, vaincu par les murmures et les résistances de son
peuple, plus encore que par l'épuisement de ses ressources, se vit enfin forcé
de reconnaître l'indépendance politique des Belges. Peu importantes par leur
durée, dépourvues de ces événements éclatants qui agissent sur l'imagination du
vulgaire, ces quatre années n'en laisseront pas moins une trace ineffaçable
dans nos annales. Elles furent témoin d'un travail intellectuel dont les effets
se feront probablement sentir dans les luttes de plus d'une génération ; elles
développèrent les germes de cet esprit de discorde, de ces défiances
excessives, de ces haines implacables, qui, avec l'anéantissement de l'union
patriotique de 1830, amèneront le règne des clubs et l'intronisation d'une
politique exclusive.
On voudrait en vain se le
dissimuler : deux partis politiques, aujourd'hui profondément divisés, se
partagent les sympathies de la nation. Ce n'est pas, comme en Angleterre, une
lutte entre l'aristocratie et les classes moyennes, entre les détenteurs du sol
et les représentants de l'industrie nationale ; ce n'est pas non plus, comme
en Allemagne et dans quelques contrées de l'Italie, un combat plus ou moins
ouvert entre l'absolutisme et la liberté, entre les défenseurs du passé et les
partisans de la république ou de la royauté constitutionnelle ; ce n'est pas,
surtout, cette guerre de tous les jours, de toutes les heures, entre l'anarchie
et l'ordre, entre la civilisation moderne et les rêves d'une démagogie en
délire. Quand on analyse (page 249) les éléments qui composent, en
Belgique, les partis qu'on désigne, à tort ou à raison, sous les dénominations
de catholique et de libéral, on y découvre des nuances diverses, des
aspirations contraires, des intérêts et des passions momentanément coalisés ;
mais la source réelle de cette grande division politique, sa raison d'être, le
mobile qui fait agir les masses, en un mot, les bases mêmes des deux partis présentent
un caractère de permanence et de stabilité impossibles à méconnaître. Ces
bases, larges et fermes, parce qu'elles ont pour assises la conscience et la
liberté morale de l'homme, ce sont les croyances religieuses. On se trompe
soi-même et l'on égare les autres, quand on s'imagine que l'intérêt politique
est seul en cause; la lutte a une source plus élevée, des proportions plus
vastes, des tendances plus redoutables. Chaque jour cette vérité ressort de nos
débats parlementaires.
La coexistence de ces deux
partis puissants sera longtemps encore le fait dominant de notre histoire. En
Angleterre, deux siècles de travail et de lutte ont modifié les tendances
primitives des whigs et des torys ; mais, après cent alternatives de succès et
de défaite, ils sont toujours en présence, pour se disputer le pouvoir et les
influences qu'il traîne à sa suite. En France, un demi-siècle de déceptions
cruelles n'a pas amorti l'ardeur des partisans de la république ; debout en
face de leurs vainqueurs, ils sont assez puissants pour nécessiter une
surveillance incessante, appuyée sur les baïonnettes d'une armée formidable.
Quatre révolutions victorieuses n'ont pu déraciner la foi monarchique des
légitimistes ; l'œil fixé sur l'avenir, ils attendent le retour des descendants
de Louis XIV avec le drapeau de l'ancien régime. Les partis que séparent des
intérêts puissants ne meurent pas en un jour; la défaite les irrite,
l'oppression les retrempe, la persécution les exalte, et leurs haines comme
leurs espérances ne deviennent que trop souvent héréditaires. Il en est surtout
ainsi quand des intérêts religieux se trouvent au fond des problèmes débattus à
la tribune et dans la presse.
Dans les pays de peu
d'étendue, où les chefs des camps rivaux se trouvent toujours face à face, où
les défaites parlementaires se transforment inévitablement en rancunes
personnelles, cette vitalité des partis, cette persistance des passions
politiques, ces victoires presque toujours suivies de défaites, imposent au
gouvernement des devoirs (page 250)
rigoureux, des précautions infinies, qu'un homme d'État ne saurait
négliger sans se rendre indigne de présider aux destinées de sa patrie. Épouser
aveuglément les passions d'un parti; user du pouvoir pour élever les uns et
humilier les autres ; faire du cabinet du ministre le centre de toutes les
intrigues, le réceptacle de toutes les rancunes ; en un mot, introniser une
politique haineuse et exclusive, ce serait condamner l'administration à marcher
éternellement de réaction en réaction et de chute en chute; ce serait installer
le trouble, la vengeance et la haine, là où doivent régner l'ordre, la vérité,
la justice, c'est-à-dire, l'appréciation loyale et sans arrière-pensée des
besoins et des intérêts de la nation tout entière (Voy. le remarquable écrit de M. de Decker, intitulé: L'esprit de parti et l'esprit national
(1852)).
Cette politique pleine de
périls n'était pas celle du cabinet installé le 4 Août 1834. Par sa
composition, où les libéraux et les catholiques trouvaient des représentants en
nombre égal ; par ses actes, qui portaient la double empreinte de l'amour de
l'ordre et du respect de la liberté ; par son impartialité dans la collation
des emplois publics, rendus accessibles à toutes les opinions honnêtes ; en un
mot, par sa fidélité scrupuleuse au programme de l'Union, il offrait des garanties
suffisantes à tous les partisans d'un progrès sage, à tous les amis
désintéressés de la cause nationale. Acceptant l'existence des partis comme une
conséquence naturelle des institutions parlementaires, mais respectant les
droits constitutionnels de tous, il plaçait le gouvernement au-dessus des
luttes politiques et des rancunes personnelles. Ajoutons que les chefs des
deux camps lui tenaient compte de cette attitude patriotique; sans abdiquer
leur indépendance, sans voter aveuglément en faveur des propositions faites par
les ministres, ils accordaient à ceux-ci un appui loyal et ferme, dans les
questions capitales où l'existence même du cabinet se trouvait en cause.
Malheureusement, d'autres tendances
distinguaient la fraction dissidente de l'opinion libérale qui, déjà sur les
bancs du Congrès, avait manifesté ses prétentions à une suprématie exclusive.
Elle continuait, avec une infatigable persévérance, cette polémique de dénigrement
et de haine, ces attaques audacieuses et sans trêve, qui feront toute son
histoire, jusqu'au jour où, renforcée des orangistes, (page 251) des
démocrates et des transfuges du libéralisme modéré, la tête haute et la menace
sur les lèvres, elle entrera au palais de
Parmi les moyens que cette phalange de
libéraux exclusifs, chaque jour plus nombreuse, mit en œuvre pour égarer les
uns et passionner les autres, les envahissements du clergé figuraient en
première ligne: « L'Église veut absorber l'État ; l'autel aspire à se placer
sur le trône. Le clergé s'empare de toutes les avenues du pouvoir; ses
prétentions grandissent ; les ministres sont prosternés à ses pieds ; il marche
audacieusement à la toute-puissance.» Tel était le thème favori des orateurs et
des journalistes du parti ; ils le développaient avec une abondance d'autant
plus inépuisable qu'ils trouvaient des harangues toutes faites dans les
journaux et les pamphlets du règne de Charles X.
C'est en vain que
l'historien impartial cherche la trace de ces envahissements du clergé
catholique. Avait-il brusquement répudié les nobles traditions du Congrès
national ? Réclamait-il le rétablissement des privilèges politiques et
judiciaires dont il jouissait sous l'ancien régime ? Avait-il reproduit les
prétentions du haut clergé de 1814?
Voulait-il former un Ordre dans l'État ? Invoquant l'exemple de l'Angleterre,
demandait-il pour les prélats un banc privilégié dans la première de nos
Chambres ? Travaillait-il au rétablissement de la censure ? Exigeait-il
la suppression du salaire alloué aux ministres des cultes dissidents ?
Appelait-il le législateur à son aide pour rendre obligatoire le repos du
dimanche et des fêtes légales ? Demandait-il le rétablissement des tribunaux
ecclésiastiques ? Supportait-il avec impatience l'obligation de prendre sa part
des impôts et des contributions publiques ? Cherchait-il, au moins, à se
procurer une dotation fixe, en échange d'un modeste salaire annuellement
subordonné à l'assentiment des trois branches du pouvoir législatif ?
Envahissait-il les conseils de la commune et de la province ? A toutes ces
questions l'histoire répond négativement. Soumis aux lois, satisfait du régime
qui le plaçait sous l'empire du droit commun, le clergé respectait (page 252)
toutes les libertés garanties par
Ces faits étaient
évidents ; mais qu'importe l'évidence aux passions qui cherchent des
prétextes à l'appui de leurs griefs imaginaires ? C'était en vain que la presse
ministérielle sommait ses adversaires de fournir la preuve de cette influence
toute-puissante de l'Église dans les régions du pouvoir politique. « Cette
influence, disait-elle, ne peut se manifester que de deux manières : dans la
confection des lois et la collation des emplois publics. Indiquez les lois qui
portent atteinte à la liberté de conscience, aux garanties consacrées par
Mais cette influence occulte
avait elle-même besoin de preuves. Pour rendre l'accusation plausible, pour
faire pénétrer ces soupçons dans les masses, pour les transformer en armes
politiques, il fallait sortir des abstractions de la théorie et chercher un
appui dans les faits de la vie sociale. Cette nécessité fut promptement
comprise. L'exercice des (page 253) facultés les plus inoffensives,
l'application des principes les plus élémentaires, la revendication des droits
les plus incontestables, devinrent autant de preuves de la marche envahissante
de l'élément théocratique, autant d'indices des péri1s qui menaçaient la
liberté civile, autant de manifestations de l'influence occulte. .
Pendant les interminables
discussions de la loi communale, l'un des ministres (M. de Theux) avait
manifesté le vœu de placer parmi les prérogatives du conseil le droit
d'interdire les représentations théâtrales contraires aux mœurs. Ce n'était pas
aux délégués du clergé, aux représentants des évêques, mais uniquement aux élus
de la commune que le ministre voulait accorder cette prérogative ; et l'on
sait que les régences des villes où se trouvent les théâtres ne se distinguent
guère par une complaisance excessive envers l'autorité religieuse. L'Église et
ses prêtres étaient complètement hors de cause. Mais il fallait des prétextes,
et l'occasion fut saisie des deux mains. Toutes les feuilles libérales
accueillirent la proposition comme une preuve irrécusable de la tyrannie
sacerdotale. A Bruxelles, le public réclama la représentation du Tartuffe et
couvrit d'applaudissements frénétiques tous les vers renfermant des allusions
aux intrigues des dévots, aux manœuvres des hypocrites. Pendant deux années, la
censure théâtrale fit les frais de la polémique, et les clameurs
devinrent tellement vives que la proposition, deux fois admise par
Bientôt ce fut
le tour du ministre de
L'accusation s'étendit
jusqu'aux Chambres législatives.
Au mépris d'une
obligation solennellement contractée par l'État, Napoléon 1er avait imposé aux fabriques
d'église, et à leur défaut aux communes, le traitement des vicaires (Note de bas de page : Voy. la loi du 2 Novembre 1789 et le décret du 30 Décembre
1809).
Ce
système avait été maintenu sous le gouvernement des Pays-Bas ; mais, depuis la
mise en vigueur de
Quand
la législature avait voté, à la demande du ministre de l'Intérieur, une somme
suffisante pour salarier convenablement le culte israélite, pas une voix ne
s'était élevée pour se plaindre (Note de bas de âge : Il n'est peut-être pas inutile de
rappeler que ce fut précisément M. de Theux qui, le premier, fit ta proposition
de salarier les ministres du culte juif). II en (page 255) fut autrement dans la
circonstance actuelle, où l'influence sacerdotale se vit encore une fois
appelée à la barre de la presse politique. En améliorant le sort des rabbins,
le gouvernement usait d'un droit, bien plus, il s'acquittait d'une obligation
sacrée ; en accordant à des ministres du culte catholique un salaire inférieur
au traitement d'un douanier de troisième classe, il travaillait à la
résurrection du régime théocratique, il obéissait à l'influence du pouvoir
occulte (Note de bas de
page : La loi qui alloue un traitement aux vicaires fut promulguée le 9
Janvier 1837)
Le même accueil attendait
tous les actes qui n'étaient pas hostile à l'Église.
Par une
contradiction étrange, mais dont l'histoire des luttes religieuses offre plus
d'un exemple, une foule d'hommes politiques, ayant sans cesse les mots de
tolérance et de liberté sur les lèvres, ne pouvaient se résoudre à tenir compte
.des vœux et des prérogatives de: populations catholiques. Il ne leur suffisait
pas d'exercer librement leurs droits de citoyen ; pour les satisfaire, il eût
fallu que l'exercice des droits d'autrui rencontrât partout des entraves dans
l'hostilité du pouvoir et les tracasseries d'une législation intolérante.
Chaque fois qu'un catholique obtenait un emploi de quelque importance, ses
titres étaient discutés dans les colonnes des feuilles politiques, avec un
incroyable ardeur de dénigrement et de haine. Et cependant, si les catholiques
méritaient un reproche, c'était de ne pas revendiquer avec une énergie
suffisante, la part d'influence et d'action due à leur nombre, à leur position
sociale, aux services qu'ils avaient rendu à la cause de l'indépendance et de
la liberté. Les ministres de
A ces exagérations, à ces
soupçons, à ces commentaires passionnés des faits les plus irréprochables, on
joignait une accusation générale, embrassant tous les actes et toutes les
tendances des ministres du culte catholique. « Le clergé ne se contente pas,
disait-on, d'asservir le pouvoir civil, de réclamer le monopole des emplois et
des honneurs pour ses créatures ; il rêve l'anéantissement de
Ici
encore l'imagination des journalistes s'était chargée de recueillir des
preuves.
Au premier rang figurait
toujours l'encyclique de Grégoire XVI. C'était en vain que les catholiques,
partout où se manifestait leur action politique, à la commune, à la province,
dans les comices électoraux, au sein des Chambres, se montraient les partisans
et les défenseurs de
(page 258) A côté de
l'encyclique, dont on ne comprenait pas les termes, dont on exagérait
singulièrement la portée, se plaçait le sophisme banal et usé de la soi-disant
omnipotence de la cour de Rome. Le prêtre, disait-on, est avant tout le sujet
du Pape ; il est Romain avant d'être Belge ; il préfère les ordres du Vatican
aux décrets du pouvoir législatif de sa patrie. Puis venaient les empereurs
destitués par les souverains pontifes, les peuples déliés de leur serment de
fidélité, les Guelfes et les Gibelins, les guerres religieuses et les
souverainetés ecclésiastiques ; et tout cela pour prouver que l'Église était
l'ennemie de l'indépendance des peuples ! Pas un catholique n'avait manifesté
le désir de rendre au Saint-Siége un seul des
privilèges admis dans le droit public du moyen âge. Pas un évêque n'avait conçu
l'idée d'étendre la suprématie du souverain pontife au delà du domaine des
intérêts exclusivement religieux. Pas un décret de l'Église ou des Papes ne
réclamait l'obéissance des fidèles dans la sphère des intérêts temporels.
Depuis trois siècles, ce n'était plus la suprématie de « la cour de Rome» qui
se manifestait dans les annales des nations européennes! Charles-Quint était
catholique, quand ses armées faisaient la guerre à Clément VII et pillaient
les églises de la ville éternelle. Louis XIV était catholique, quand il forçait
les ambassadeurs du Pape à venir s'humilier au pied du trône de Versailles.
Joseph Il se disait catholique, quand il imposait à l'Église un système
disciplinaire empreint du double esprit du protestantisme et de la philosophie
moderne. François Il était catholique, quand ses diplomates s'entendaient avec
le général Bonaparte, pour dépouiller le Saint-Siége
d'une part de son patrimoine séculaire. Napoléon était catholique, quand ses
soldats brisaient les portes du Quirinal et s'emparaient de la personne sacrée
du chef de l'Église. Mais tous ces faits n'existaient pas pour la presse
ultra-libérale ; uniquement préoccupée des besoins de sa polémique, elle
choisissait ses exemples dans l'histoire du moyen âge. Elle poussait des cris
d'alarme, elle dénonçait la politique envahissante de la « cour de Rome;» elle
proclamait la nécessité d'affranchir l'État de l'influence occulte qui
travaillait audacieusement à la résurrection des abus de l'ancien régime ! (Note de bas de page : Nous ne
nous arrêterons pas à justifier l'intervention des Papes dans les luttes du
moyen âge. Des savants du premier ordre ont fait justice de toutes les
calomnies que l'ignorance et la mauvaise foi, surtout au dix-huitième siècle,
ont débitées à l'adresse du Saint-Siége).
(page 258) Ces
craintes simulées, cette mise en suspicion de l'Église amenaient, comme
conséquence nécessaire, une guerre implacable à toutes les influences du
catholicisme.
Sous prétexte de protéger le
régime constitutionnel, on déniait au clergé l'exercice de ses droits les plus
incontestables. Tout en se proclamant le défenseur incorruptible de la liberté
la plus illimitée des cultes, on criait à l'asservissement du pouvoir civil, à
l'oppression des consciences, quand un prélat disait aux fidèles de son
diocèse: « Telle doctrine n'est pas conforme à la foi catholique, tel acte
est condamné par l'Église.» Il ne lui était pas même permis d'appeler l'attention
du clergé sur les erreurs commises dans le domaine des croyances religieuses !
Ayant appris que
des fidèles croyaient pouvoir se faire affilier aux loges maçonniques, sans
manquer à leur foi, les évêques prièrent les curés de rappeler à leurs
paroissiens les condamnations dont les souverains pontifes avaient frappé les
sociétés secrètes. Les prélats ne demandaient pas que la liberté d'association
fût restreinte au détriment de l'ordre maçonnique ; ils ne faisaient aucun
appel à l'intervention du législateur temporel ; ils savaient bien que les
incroyants, loin d'écouter leur voix, s'empresseraient de propager la
maçonnerie avec une ardeur nouvelle ; chargés d'éclairer la conscience de leurs
ouailles, ils se contentaient de leur dire: « Vous ne pouvez être à la
fois membre d'une loge et enfants fidèles de l'Église. » On se demande
vainement en quoi ce langage, dicté par un devoir impérieux, pouvait menacer
les institutions conquises en 1830. Les évêques ne prononçaient aucune condamnation
nouvelle à charge de la maçonnerie indigène ; ils se bornaient à rappeler les
décisions des souverains pontifes, obligatoires pour l'Église universelle. A
moins d'admettre que la liberté des cultes consiste dans l'obligation de se
taire en présence des aberrations religieuses, les premiers pasteurs de nos
diocèses avaient usé d'un droit incontestable. Leur circulaire n'en devint pas
moins un odieux abus de pouvoir, une tentative audacieuse, une atteinte aux
garanties constitutionnelles, une déclaration de guerre au grand principe de la
liberté individuelle !
(Note de bas de page : Voici le texte de celte circulaire qui occupe,
aujourd'hui encore, une large place dans la polémique ultra-libérale : «
Messieurs, nous avons appris avec peine que, parmi les fidèles confiés à notre
sollicitude pastorale, il y en a qui croient qu'ils peuvent, sans blesser leur
conscience, se faire recevoir dans les associations des francs-maçons, et eu
fréquenter les réunions. - Comme il est de notre devoir d'empêcher qu'une
erreur aussi nuisible au salut des âmes ne se propage, nous venons vous prier,
Messieurs, de porter à la connaissance de vos paroissiens, en publiant notre
présente circulaire au prône, que les associations de francs-maçons, qui
existent dans nos diocèses, sous quelque dénomination que ce soit, tombent sous
les défenses expresses et les condamnations portées par les souverains
pontifes. D'où il résulte qu'il est rigoureusement défendu d'y prendre part, ou
de les favoriser d'une manière quelconque, et que ceux qui le font sont indignes
de recevoir l'absolution, aussi longtemps qu'ils n'y ont pas sincèrement
renoncé. - Vous continuerez vous-mêmes, Messieurs, à tenir ce principe pour
règle invariable de votre conduite dans les fonctions du saint ministère. Vous
profiterez avec prudence des occasions que ces fonctions vous offriront, pour
exhorter vivement et supplier même en notre nom ceux de vos paroissiens qui ont
eu le malheur de prendre part à ces associations illicites, de revenir
promptement sur leurs pas ; vous leur direz que rien ne peut les dispenser
d'obéir à la voix de leur pasteur, de leur évêque, et surtout du souverain
pontife, chef suprême de l'Église de Jésus-Christ, aux décisions duquel on doit
se soumettre, en tout ce qui regarde le salut, si l'on veut être vrai chrétien
; car celui qui n'écoute pas l'Église, dit le Sauveur, doit être regardé
comme un païen et un publicain. Matth. 18, v. 17..
- Donné en Décembre 1837.» (Signé) Engelbert,
archevêque de Malines ; Corneille, évêque de Liége ; François, évêque de Bruges
; Gaspard-Joseph, évêque de Tournay ; Nicolas-Joseph, évêque de Namur ; pour Mgr. l'évêque de
Gand, G. de Smet, vic.-gén., L. Sonneville,
vic.-gén)
(page
259) Dans l'examen des actes politiques du clergé, on rencontrait les mêmes
exagérations, le même dédain de la justice et de la vérité.
L'administrateur, le
notaire, le médecin, le fonctionnaire le plus infime, le dernier des artisans
possédait le droit d'éclairer ses concitoyens sur les opinions et les desseins
des candidats qui briguaient leurs suffrages. Le prêtre seul devait garder le
silence, il était l'ilote du régime parlementaire.
L'argument à l'aide duquel
on justifiait cette thèse était de nature à produire une vive impression sur
les esprits superficiels. Le prêtre, disait-on, ne doit pas souiller sa robe
dans l'arène des passions politiques ; ministre du ciel, son devoir consiste à
prêcher les dogmes et la (page 260) morale de son culte ; défenseur des
intérêts spirituels, son action ne doit pas franchir le cercle des matières
religieuses confiées à sa garde ; interprète de l'Évangile, il ne doit avoir
que des paroles de concorde et de paix sur les lèvres.
Il ne faut pas être doué de
beaucoup de pénétration pour s'apercevoir que, sous le régime parlementaire,
un immense intérêt religieux se trouve mêlé au choix des représentants de la
nation. Sans doute, nous sommes loin des jours agités du Bas-Empire, où le souverain
et ses ministres, en présence des barbares prêts à briser le trône de
Constantin, se mêlaient aux querelles des théologiens et formulaient des
décisions obligatoires pour le peuple ; nos Chambres n'ont pas à s'occuper des
dogmes enseignés par l'Église, ni même des questions qui se rapportent à sa
discipline intérieure. Mais s'ensuit-il que les intérêts les plus élevés de la
religion se trouvent à l'abri de toute atteinte ? L'ignorance et la passion
peuvent seules répondre affirmativement. Jetez un regard sur le sort de
l'Église dans les deux hémisphères, et partout vous trouverez l'action hostile
du législateur, l'influence délétère d'institutions funestes au catholicisme.
Pour ne citer qu'un exemple, les intérêts de la religion ne se trouvent-ils pas
intimement liés à la législation de l'enseignement, de la bienfaisance et du
temporel du culte ? On voulait que le clergé assistât, immobile et muet, aux
triomphes de ceux qui, dès les premières séances du Congrès, étalèrent la
prétention d'asservir l'Église à l'État, l'autorité spirituelle à la puissance
politique (Voy. t. 1, p. 281). On voulait que, par une lâche abstention, il se fît le
complice moral de ceux qui, dès 1832, s'étaient écriés: « Nous voulons
combattre le catholicisme » (Voy t. 1, p. 283). Ah! si le clergé n'avait
écouté que les intérêts de la terre, il se serait bien gardé d'ouvrir la bouche
en faveur des candidats recommandables par leurs croyances religieuses. Pour
obtenir des éloges et des faveurs, il possédait un moyen infaillible : il n'avait
qu'à rester spectateur indifférent de la lutte. Tout en votant des lois
hostiles à l'Église, on aurait considérablement amélioré le sort temporel de
ses ministres. Imitant la politique des czars, on leur aurait forgé des chaînes
d'or.
Le prêtre, il est vrai, ne
doit pas souiller sa robe dans l'arène (page 261) politique. Il ne lui
est pas permis d'employer les armes déloyales qui font trop souvent les frais
de la lutte électorale. Il lui faut à la fois beaucoup de prudence, de
modération et de dignité. Mais les chefs du clergé n'avaient pas un instant
perdu de vue cette vérité importante. Deux fois, en 1834 et en 1837, le
vénérable archevêque de Malines avait rappelé aux ecclésiastiques la limite où
devait s'arrêter l'exercice de leurs droits électoraux. « A la veille des
élections qui vont avoir lieu dans notre diocèse, disait le prélat, nous avons
jugé qu'il était de notre devoir de renouveler les instructions que nous vous
avons données il y a quatre ans. 1° Nous venons vous prier de faire connaître à
vos paroissiens leur obligation d'implorer, dans une circonstance si grave, le
secours du ciel, afin que les choix tombent sur des personnes dont la capacité
et le dévouement donnent l'assurance qu'ils travailleront efficacement au
bonheur et à la tranquillité du pays et au maintien de la liberté de notre
sainte religion. 2° Vous ferez comprendre à ceux qui ont le droit de voter,
qu'ils sont obligés en conscience d'assister aux élections, puisqu'un bon choix
peut dépendre d'une seule voix, et qu'il est du devoir d'un bon chrétien de
concourir au bonheur de sa patrie, de faire à cet effet le sacrifice de son
repos, de suspendre le soin de ses affaires, de s'exposer même à des
désagréments, lorsque le bien général l'exige. - Mais si nous excitons votre zèle
pour cet important objet, nous vous engageons aussi à user de beaucoup de
prudence et de circonspection, afin que notre saint ministère ne soit pas blâmé
(2 Cor. 6). Vous ne vous occuperez donc point dans la chaire de discussions
politiques, vous vous abstiendrez de toute insinuation odieuse, de tout ce qui
peut offenser qui que ce soit ; vous vous bornerez à rappeler à vos
ouailles les devoirs que nous venons de vous indiquer, dans le seul but
d'assurer le bien de la religion, le repos et le bonheur du pays » Note de bas de page : Journal
hist. et litt., t. IV, p. 148. - La circulaire
est datée du 22 Mai 1837). Croira-t-on que ces nobles paroles, où brille la double
ardeur du patriotisme et de la foi, où le cœur de l'évêque se montre à côté de
l'intelligence élevée du citoyen ; croira-t-on que cet appel à la modération, à
la prudence, à la charité, devînt lui-même l'objet d'un nouveau concert de
plaintes acerbes, de clameurs étourdissantes? Cette fois
Parfois
l'esprit de dénigrement, le besoin de trouver de nouveaux griefs, étaient
poussés jusqu'aux derniers degrés du ridicule, Le 20 Janvier 1836, une feuille
libérale crut devoir dénoncer au ministre de
Un autre jour, les feuilles
libérales publièrent gravement des correspondances étrangères annonçant un pacte
conclu entre Grégoire XVI et les jésuites, pour arriver à la destruction du
régime constitutionnel établi en Belgique. Les jésuites avaient reçu la mission
de ramener
(page 263)
Rien de plus mesquin, de plus misérable que la polémique habituelle de
quelques journaux de l'époque ! Au lieu de ces débats sérieux, de ces
discussions larges et graves, qui, alors même qu'elles ne sont pas entièrement
exemptes d'exagération, éclairent le gouvernement et le peuple, on dépensait
son temps, on usait ses forces à de petites questions de détail, à de
pitoyables querelles de personnes et de noms propres. Des insinuations, des
calomnies, des procès de tendance, des injures: voilà les éléments à l'aide
desquels on voulait régénérer un pays à peine revenu à l'autonomie politique.
En allant au fond des
choses, on s'aperçoit que toutes ces clameurs étaient destinées à détourner
l'attention publique du but final de la guerre qui se faisait aux catholiques.
En réalité, ce qu'on déniait à ceux-ci, c'était l'exercice loyal et fécond des
libertés constitutionnelles.
Après un demi-siècle de
bouleversements politiques, entremêlés de persécutions religieuses, le
catholicisme se montrait de nouveau plein de sève et de vie sur le sol belge.
Dépouillé de ses richesses, privé de ses privilèges historiques, placé sous le
régime du droit commun, le clergé trouvait dans ses vertus, dans ses lumières,
dans sa pauvreté même, une source d'influence et d’action qui triomphait de
tous les efforts du scepticisme. Ces monastères, ces congrégations religieuses,
sentinelles avancées de l'Église, qu'on croyait à jamais anéantis,
reparaissaient dans toutes les villes et trouvaient des novices dans toutes les
classes. Ces chaires à la fois religieuses et scientifiques, renversées sous la
domination étrangère, se relevaient dans toutes les provinces. Ces vieilles
doctrines, qu'on disait ensevelies sous les traits de la philosophie du
dix-huitième siècle, retrouvaient des défenseurs éloquents, des apologistes
éclairés, appelant la science moderne au secours de la vérité chrétienne. Ces
autels, naguère témoins d'un culte sacrilège, voyaient à leurs pieds tout un
peuple d'adorateurs fidèles.
La jeunesse recevait encore
une fois un enseignement religieux, la vieille foi multipliait de nouveau ses
miracles ! Voilà les scènes auxquelles les yeux des adversaires du
catholicisme avaient peine à s'habituer en plein dix-neuvième siècle.
Érasme reprochait aux
protestants d'aimer la liberté pour eux et de la détester chez les autres (Lettre à l’évêque de Rochester (Epist. 812, E.F.)). Depuis l'avènement du ministère (page 264) de
Theux - Ernst, cette tendance était à tous égards celle de la fraction libérale
exclusive.
Quand on considère l'inanité des griefs,
l'injustice de l'attaque, l'intolérance manifeste du langage et des actes, on
s'étonne que la propagande ultra-libérale ait pu trouver un seul auxiliaire
parmi les hommes dévoués à la cause nationale. Et cependant ses déclamations
étaient prises au sérieux, son influence et ses forces grandissaient avec son
audace ! Chaque jour des centaines de recrues venaient grossir les rangs d'une
minorité d'abord impuissante.
Au sein des Chambres, les
principes de l'Union conservaient toujours une majorité considérable. Voyant
les ministres à l'œuvre, examinant de près la marche loyale et
constitutionnelle de l'administration, les libéraux modérés, membres du
parlement, repoussaient toute pensée d'hostilité systématique. Les clameurs de
la presse venaient expirer au seuil du palais de
(page 265) Mais il
n'en était pas de même dans les masses. L'influence électorale du libéralisme
exclusif augmentait sans cesse ; il était visiblement appelé à devenir une
puissance redoutable.
Ce succès imprévu tenait à
plus d'une cause.
Confiants dans le bons sens
traditionnel des Belges, les catholiques n'avaient pas assez compris le besoin
de se faire représenter dans la presse ; ils ne savaient pas que les
accusations les plus déloyales, les calomnies les plus absurdes, les sophismes
les plus grossiers, répétés chaque jour sous une forme nouvelle, finissent
toujours par trouver accès dans la foule ; ils ignoraient que, sous peine de
marcher vers une défaite inévitable, un parti politique, quelque puissant qu'il
puisse être, doit avoir ses organes dans toutes les sphères où s'agitent les
influences électorales et parlementaires. A peine un journal sur vingt prenait
leur défense et répondait aux attaques de leurs adversaires. Les feuilles
libérales, chaque jour plus nombreuses, pénétraient dans les lieux publics,
dans les ateliers, dans les salons du riche, dans les demeures de la classe
moyenne, semant partout des préjugés religieux et politiques, jetant dans
toutes les têtes la pensée d'une domination sacerdotale qui n'existait que dans
les rêves des ennemis de l'Église. Au milieu d'une foule de publications
hostiles ou indifférentes; un seul journal catholique existait dans la capitale
: il mourut faute de souscripteurs ! (Note de bas de page : L'Union cessa de paraître
le 16 Juin 1837 (V. Warzée, Essai sur les journaux
belges, p. 102)).
Une autre erreur politique,
non moins grave peut-être, consistait dans l'indifférence avec laquelle les
catholiques assistaient à la composition des administrations communales.
Satisfaits d'être convenablement représentés dans la législature et dans le
pouvoir central, convaincus de l'impartialité des Chambres et des ministres,
ils oubliaient que la majorité parlementaire résulte d'une coalition d'influences,
d'une réunion d'intérêts et de forces, dont le point d'appui se trouve à la
base, et non pas au faîte de l'édifice constitutionnel. Chaque jour plus
nombreux dans les conseils des communes et des provinces, leurs adversaires
s'emparaient avec adresse de toutes les (page 266) influences
gouvernementales laissées en dehors de la centralisation administrative.
Apathiques, craintifs,
poussant l'amour de la paix jusqu'à ce degré où l'inaction se transforme en
duperie, ils ne montraient nulle part l'intelligence des besoins politiques
créés par l'introduction du régime parlementaire. Au sein des Chambres, la
plupart d'entre eux, croyant qu'il suffisait de voter en faveur des ministres,
ne se mêlaient que rarement à ces luttes ardentes de la tribune, où l'audace
est malheureusement une des conditions du succès. « La majorité catholique,
dit un de nos historiens les plus distingués, affectait un système de
neutralité étrange à l’égard des ministres, qui n'a pas peu contribué à la
perdre. Elle laissait les membres de l'opposition se relayer pour harceler
jusqu'à extinction l'homme du pouvoir, et elle assistait, l'arme au bras, à ces
luttes inégales. » (Note
de bas de page : De Gerlache, Essai sur le mouvement des partis; OEuv. comp. t. VI, p. 18).
Victorieux au scrutin, le
cabinet n'en était pas moins frappé dans sa force morale. Les journaux reproduisaient
les discours des orateurs de l'opposition, une foule d'électeurs envisageaient
comme irréfutables tous les arguments restés sans réplique, et le pouvoir, en
apparence abandonné par ses amis mêmes, recevait chaque jour une atteinte
nouvelle.
On doit ajouter que la
polémique libérale employait de plus en plus un langage plein de séduction pour
les esprits superficiels. Revendiquant pour ses adeptes le monopole des
lumières, du progrès et de la science, elle parlait avec un dédain superbe de
la faiblesse, de la timidité, de l'asservissement des esprits fidèles aux
préceptes du Christianisme : comme si la foi chrétienne avait étouffé le génie
des Bossuet, des Fénelon, des Leibniz, des Newton et de tant d'intelligences
vigoureuses qui font à juste titre l'orgueil de l'Europe moderne ! Dénaturant
l'histoire, mentant à l'expérience des siècles, elle transformait en ennemi du
progrès, en propagateur de l'ignorance, ce culte sublime qui sauva dans ses
monastères et ses temples, en même temps que les trésors de l'antiquité, toutes
les prérogatives et toutes les dignités de l'espèce humaine. Il n'est pas
nécessaire de signaler les conséquences de ces déclamations et de ces
bravades. Une partie de la jeunesse se sépara des catholiques, parce qu'elle
croyait ainsi se placer sous la bannière du progrès, de l'indépendance, de la
raison et de la liberté !
(page 267) Mais la
cause la plus active des succès croissants du libéralisme se trouvait dans le
souvenir de la puissance de l'Église sous l'ancien régime. Formant le premier
Ordre de l'Étal, propriétaire d'une portion considérable du sol, investi de
larges privilèges judiciaires, allié par ses chefs à toutes les maisons
influentes, le clergé possédait, il est vrai, un pouvoir redoutable pour ses
adversaires. Mais en était-il de même en 1836 ? Spolié de ses biens, soumis au
droit commun, justiciable des tribunaux ordinaires, vivant sous un régime où
l'ordre civil et l'ordre religieux ont cessé d'être étroitement unis,
subsistant en grande partie d'un salaire voté par les Chambres, le clergé ne
possédait plus l'ombre du pouvoir politique. Confondant les époques, les hommes
et les choses, on n'en parlait pas moins, avec une terreur simulée, de la
puissance sacerdotale qui pesait sur
Les gouvernements
constitutionnels offrent ce phénomène étrange, mais incontestable, que le
pouvoir devient à la longue une cause de faiblesse pour ceux qui l'exercent. La
coalition des ambitieux et des mécontents grandit sans cesse ; elle appelle
toutes les passions à son aide, et tôt ou tard les ministres sont contraints
d'abandonner le champ de bataille. Au milieu des circonstances que nous venons
de rappeler, ce travail de désorganisation devait nécessairement s'opérer avec
une rapidité peu commune. Les ministres comptaient chaque jour quelques amis de
moins et quelques ennemis de plus. Le personnel de l'enseignement donné aux
frais de l'État et des villes, menacé de la concurrence de l'enseignement
religieux, fournissait à l'opposition une phalange de défenseurs d'autant plus
infatigables que leurs intérêts matériels se (page 268) trouvaient en
cause. Les loges maçonniques, irritées du blâme qui était venu les atteindre,
multipliaient leurs ramifications dans les classes supérieures. La presse
libérale, influente par le nombre de ses organes, redoutable par son énergie
audacieuse, étendait sans cesse le cercle de son action. Le cabinet conservait
la confiance de la représentation nationale, mais ses ennemis s'emparaient des
provinces, des communes, des feuilles quotidiennes, de toutes les influences
électorales. Mille symptômes de faiblesse future se révélaient au regard de
l'observateur attentif. Il ne fallait pas être doué du don de prophétie pour
prédire le triomphe plus ou moins prochain du libéralisme exclusif. Au moment
où les catholiques possédaient encore une majorité considérable dans les deux
Chambres, un de leurs publicistes les plus distingués s'écriait avec douleur: «
Qu'arrivera-t-il finalement ? L'expérience est déjà là pour nous répondre. Il
arrivera finalement, si les catholiques ne se réveillent et ne s'unissent plus
étroitement qu'ils ne l'ont tait jusqu'à présent, que toutes nos libertés se
dissiperont en fumée !» (Journ. hist. et litt., 1838, p. 23).