« La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes
d’histoire contemporaine », par J.J. THONISSEN
2e édition. Louvain, Vanlinthout
et Peeters, 1861, 3 tomes
Chapitre
précédent
Chapitre
suivant
Retour
à la table des matières
TOME 2
CHAPITRE XVII. - CONVENTION
DU 21 MAI 1833. - DISSOLUTION DE LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS (Janvier – Mai 1833)
17.1. La reprise des négociations diplomatiques
(page 100) Après
l'expédition d'Anvers, l'Angleterre et la France avaient maintenu le blocus des côtes de la Hollande. Les
rigueurs de l'embargo (page 101)
continuaient à peser sur les navires saisis, et la garnison néerlandaise de la
citadelle était détenue comme prisonnière de guerre.
Une même préoccupation se
manifesta dans toutes les chancelleries de l'Europe ; partout on se demandait
si Guillaume, privé de ses illusions par l'abstention des armées du Nord, se
montrerait enfin disposé à donner une adhésion complète aux bases des
vingt-quatre articles.
Depuis le 30 Juin, le
problème diplomatique avait beaucoup perdu de son importance primitive. L'indépendance
politique des Belges, la part de la
Belgique dans la dette du royaume des Pays-Bas, la délimitation
du territoire des deux pays, n'étaient plus des questions controversées. La
liquidation du syndicat d'amortissement, les droits de navigation sur l'Escaut,
les droits de transit à percevoir sur les routes du Limbourg, étaient les
seules difficultés réelles qui n'eussent pas reçu leur solution.
Les Belges occupaient les
cantons du Limbourg et du Luxembourg assignés à la Hollande, et ne payaient
pas les 8,400,000 florins de rentes mis à leur charge. La flotte
anglo-française bloquait les ports et enchaînait le commerce de la Hollande, tandis que le
flanc gauche des Belges, jusque-là toujours menacé par la citadelle d'Anvers et
par la flotte, se trouvait complètement dégagé. Il n'était pas probable que le
cabinet de La Haye, au lieu de céder à la force, voulût continuer à subir les
inconvénients de cette situation anormale. Ajoutés aux frais que nécessitait
l'entretien de l'armée sur le pied de guerre, les sacrifices inhérents à cet
état de choses étaient tellement considérables, qu'un retard de quelques mois
suffisait pour annihiler tous les avantages que la Hollande pouvait espérer
de l'admission de ses prétentions financières.
Aussi longtemps que les
Hollandais occupaient une portion quelconque du territoire belge, l'Angleterre
et la France
ne pouvaient complètement abandonner les mesures coercitives, sans méconnaître
à la fois l'esprit et la lettre de la convention du 22 Octobre. Mais le
maintien de l'embargo et la continuation du blocus n'étaient pas un obstacle à
la reprise des négociations interrompues par le siége d'Anvers.
Deux partis s'offraient au
choix des cabinets de Paris et de Londres. D'un côté, ils avaient le droit
d'exiger l'acceptation immédiate et entière des vingt-quatre articles ; de
l'autre, ils pouvaient se contenter d'une convention provisoire, stipulant la
cessation indéfinie des hostilités et fixant l'attitude respective des
Hollandais et des Belges pendant la (page
102) négociation d'un traité
définitif. Le premier système n'eût pas été exempt d'inconvénients, ni même de
dangers réels. Au retour du printemps, il eût fallu remplacer la convention du
22 Octobre par une véritable déclaration de guerre, envahir le sol hollandais,
mécontenter de plus en plus les puissances du Nord et compromettre la paix de
l'Europe ; et cela avec d'autant moins d'avantages, que la signature immédiate
du traité n'en eût pas moins exigé de nouvelles négociations, pour tous les
articles dont l'exécution réclamait le concours des deux peuples. Ce fut avec
raison que lord Palmerston et le prince de Talleyrand donnèrent la préférence à
l'idée d'une convention provisoire. Le 30 Décembre, six jours après la
reddition de la citadelle d'Anvers, ils transmirent aux représentants de leurs
cours à La Haye un projet de traité préliminaire.
Ce projet, que le ministre des Affaires étrangères, M.
Verstolk de Soelen, reçut
le 2 Janvier 1833, renfermait les bases d'un arrangement provisoire entre la Hollande d'une part, la France et l'Angleterre de
l'autre. Ces deux puissances demandaient l'évacuation des forts de Liefkenshoek
et de Lillo, la libre navigation de la
Meuse avec application provisoire du tarif de Mayence, la
libre navigation de l'Escaut, le passage commercial par le Limbourg sans autre
entrave que le paiement d'un droit modéré de barrière, l'amnistie pour les
habitants des districts du Limbourg et du Luxembourg cédés à la Hollande, et enfin la
réduction de l'armée hollandaise sur le pied de paix, En retour, elles
s'engageaient à obtenir du gouvernement belge la réduction de ses forces
militaires et l'abandon du Luxembourg allemand et de la rive droite de la Meuse. Elles
offraient de plus la levée de l'embargo, la restitution des navires saisis, la
cessation des mesures coercitives et le renvoi des militaires hollandais
détenus en France (Note de bas de page : Papers relative to the
affairs of Belgium, B,
1re partie, p, 179. - Le prince de Talleyrand avait d'abord voulu proposer à la Hollande d'établir, soit
comme mesure provisoire, soit comme mesure définitive, un droit de tonnage d'un
florin sur l'Escaut, en laissant à une négociation future le soit de régler les
autres points en litige. M. Van de Weyer, à qui ce projet avait été
officieusement communiqué, s'empressa de le combattre de toutes ses forces. Il
n'y avait, en effet, que deux partis auxquels on pût raisonnablement avoir
recours : il fallait ou faire accepter purement et simplement la partie du
thème de lord Palmerston relative à la navigation de l'Escaut, on maintenir
provisoirement l'état de la navigation tel qu'il existait avant le siége de la
citadelle, c'est-à-dire, sans paiement d'un droit quelconque. Nous en verrons
plus loin les motifs).
A la réception
de ce projet, la première pensée du cabinet de La Haye (page 103) fut d'exiger la suspension préalable des mesures
coercitives, la réunion immédiate de la Conférence de Londres, et par suite la reprise
des négociations sous les auspices de toutes les puissances signataires du
traité du 15 Novembre. Mais cette résolution fut bientôt abandonnée, grâce aux
instances des ambassadeurs d'Autriche, de Prusse et de Russie. Aux yeux des
représentants de ces trois cours, la démarche des gouvernements alliés dénotait
des intentions pacifiques et conciliantes ; la Hollande, à leur avis, ne
pouvait mieux faire que de répondre sans retard à ces ouvertures.
Suivant ce conseil, M. Verstolk
présenta, le 9 Janvier, un contre-projet en six articles. Le ministre
hollandais acceptait les propositions relatives à l'évacuation réciproque du
territoire, à la navigation de la
Meuse et à l'amnistie générale demandée en faveur des
habitants des cantons cédés ; mais il réclamait un droit de tonnage pour la
navigation de l'Escaut, un droit de transit pour le passage commercial du
Limbourg et le paiement annuel des 8,400,000 florins de rentes imposés à la Belgique. M. Verstolk proposait, en outre, de s'entendre immédiatement
sur la révocation des mesures maritimes ; tandis que, pour la réduction de
l'armée sur le pied de paix, sa dépêche contenait la phrase suivante, dont nous
ferons plus loin ressortir l'importance: « Ce projet ne fait point mention de
la mise des armées sur le pied de paix, par le motif que cette mesure, qui
d'ailleurs ne rencontrerait point de difficulté chez Sa Majesté après la conclusion
d'une convention, tant d'une nature plutôt politique que matérielle, semble se
prêter davantage à être stipulée alors par un échange de notes » (Papers relative to the
affairs of Belgium, B,
Ire partie, p. 183 et suiv).
17.2. La question de la libre navigation sur l’Escaut
Sur ces
entrefaites, la navigation de l'Escaut avait fait naître un incident grave. Le
5 Janvier, le brick autrichien Radislow, sorti
des bassins d'Anvers pour se diriger vers la mer, fut arrêté à Lillo par une
canonnière ennemie et obligé de rebrousser chemin. Le capitaine s'était en vain
prévalu de sa qualité de sujet autrichien ; le commandant de la canonnière lui
avait répondu que désormais aucun bâtiment, quelle que fût sa nationalité, ne
serait admis à remonter ou à descendre l'Escaut. Six jours plus tard, un autre
navire autrichien, le Prince de Metternich, (page
104) fut arrêté à Flessingue et ne reçut l'autorisation de se rendre
à Anvers qu'après avoir donné caution du paiement des droits qui pourraient
être exigés par la Hollande.
Ces actes, aussitôt dénoncés à notre gouvernement,
avaient une importance qu'il n'est pas nécessaire de signaler. Le 16 Novembre,
le roi des Pays-Bas, usant de représailles, avait interdit l'accès des eaux
hollandaises aux navires anglais et français ; mais cette décision laissait
subsister le statu quo pour la marine des nations neutres. L'arrestation
des navires autrichiens dénotait ainsi des exigences nouvelles et excessives :
c'était l'anéantissement de la navigation du fleuve ; c'était l'application
d'une théorie inconciliable avec les principes qui avaient constamment présidé
aux résolutions de toutes les puissances représentées à la Conférence de
Londres.
La Belgique ne pouvait rester paisible spectatrice de cet outrage
: Aussitôt que l'arrestation du Radislow fut
connue à Bruxelles, le conseil des ministres émit à l'unanimité l'avis
d'intercepter par la force les communications des forts de Lillo et de
Liefkenshoek avec la Hollande,
si les commandants des canonnières n'étaient pas immédiatement désavoués par leur
gouvernement. Deux membres du conseil, allant beaucoup plus loin, voulurent
même que la Belgique
eût recours à une attaque générale, ou du moins à l'investissement de
Maestricht, pour obtenir, par l'emploi de la force, une solution que la Hollande semblait
s'attacher à rendre impossible ; mais les uns et les autres consentirent à
attendre l'effet des représentations que l'Angleterre et la France ne manqueraient pas
de faire au gouvernement néerlandais.
En effet, lord Palmerston et le prince de Talleyrand
avaient si bien compris l'importance de cet incident imprévu qu'ils y virent un
motif de suspendre immédiatement les négociations. Dans une conférence tenue le
16 Janvier, ils déclarèrent à M. de Zuylen de Nyvelt, que toute discussion sur le projet de M. Verstolk serait ajournée, jusqu'à ce qu'ils eussent acquis
la certitude que la navigation de l'Escaut était libre et dégagée d'entraves.
L'envoyé hollandais promit de demander des explications à sa cour (Papers retative
to the affairs of Belgium. Ibid., p. 187).
Ces explications furent données dans une dépêche du 25
Janvier. Au milieu d'une foule de digressions inutiles et de phrases (page 105) équivoques, M. Versto]lk finissait par déclarer
que son gouvernement était disposé à respecter la libre navigation de l'Escaut,
et que l'arrestation des deux navires autrichiens avait eu pour seule cause les
mesures militaires que l'attaque des positions hollandaises avait momentanément
rendues indispensables.
En conséquence de ces déclarations, lord Palmerston et
le prince de Talleyrand se montrèrent prêts à reprendre les débats
diplomatiques, parce que le principe de la liberté de la navigation de
l'Escaut était maintenu. (Procès-verbal du 30 Janvier 1833. Ibid.,
p. 194). Aussi les navires neutres
furent-ils bientôt autorisés à naviguer sur le fleuve.
17.3. Les positions belges et hollandaises pendant
les négociations diplomatiques
La Belgique n'était pas officiellement mêlée à cet échange de projets,
de notes et de conférences diplomatiques ; mais, comme toute convention
préliminaire devait en dernier résultat être acceptée par elle, lord Palmerston
et le prince de Talleyrand se faisaient un devoir de communiquer immédiatement
à M. Van de Weyer tous les détails de leurs entretiens avec M. de Zuylen de Nyvelt. Dans le cours
des négociations, notre gouvernement fut ainsi constamment en mesure de faire
entendre ses observations, ses conseils et ses plaintes. C'était le seul rôle
que nos ministres pussent assumer. Avoir recours à ses propres forces, demander
la solution du problème à la violence, compromettre la paix de l'Europe, c'eût
été renoncer à l'alliance de la
France et de l'Angleterre, c'est-à-dire, au seul appui réel
de notre nationalité naissante.
Le système que M. Van de Weyer était chargé de
défendre pouvait se réduire aux termes suivants : « S'il s'agit d'un
arrangement définitif, cet arrangement doit être l'exécution intégrale du
traité du 15 Novembre 1831 ; des changements aux stipulations financières et
commerciales de ce traité ne peuvent avoir lieu que de gré à gré, d'après les
principes d'une juste compensation et moyennant l'assentiment des Chambres
belges. S'il s'agit, au contraire, d'un arrangement provisoire, il faut que
celui-ci ne soit pas de nature à favoriser le système de temporisation en
faveur à La Haye. La
Belgique n'abandonnera les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg qu'au
moment où elle sera mise en possession de tous les avantages que le traité du
15 Novembre lui accorde à titre de réciprocité, (page 106) notamment l'évacuation complète de son territoire, la
navigation de la Meuse
et les routes commerciales à travers le Limbourg hollandais. Elle ne prendra
pas à sa charge une part quelconque de la dette du royaume des Pays-Bas, aussi
longtemps qu'elle ne sera pas en possession de tous les avantages pécuniaires,
commerciaux et politiques du traité, notamment la reconnaissance du roi
Léopold, la liquidation du syndicat d'amortissement et la libre navigation de
l'Escaut » (Note de bas de page : V. le
discours du général Goblet prononcé dans la séance de la Chambre des Représentants
du 23 Mars 1833).
Ces lignes suffisent pour prouver que le contre-projet
hollandais ne pouvait être favorablement accueilli ni à Bruxelles ni à Londres.
Sous ce rapport, lord Palmerston et le prince de Talleyrand partageaient
complètement les vues de M. Van de Weyer.
Le cabinet de La Haye voulait être autorisé à
percevoir un droit de tonnage sur l'Escaut, sans entrer dans aucune des
obligations dépendant de ce droit, telles que le pilotage et le balisage du
fleuve ; il exigeait même que ce droit fût perçu à Flessingue ou à Bathz, mesure qui aurait entravé la navigation par des
retards considérables. Il demandait un droit de transit sur les routes
commerciales du Limbourg, tandis que le traité du 15 Novembre avait garanti ce
passage aux Belges, sans autre charge qu'un droit modéré de barrière. Il
exigeait que les Belges fussent astreints à payer annuellement les 8,400,000
fl. de rentes que les vingt-quatre articles avaient mis à leur charge, tandis
que cette portion écrasante de la dette leur avait été assignée comme partie
intégrante d'un arrangement final et en échange de plusieurs avantages
commerciaux, outre la reconnaissance formelle du roi Léopold et l'adhésion
expresse de la Hollande
à la délimitation territoriale fixée par la Conférence de
Londres. En d'autres termes, la
Hollande réclamait pour elle tous les avantages et laissait
aux Belges toutes les charges du traité du 15 Novembre. Cette prétention était
d'autant plus inadmissible qu'elle dénotait chez le gouvernement de La Haye le
dessein d'ajourner indéfiniment la signature du traité définitif. En effet, si
les ministres hollandais étaient dirigés par des vues conciliantes, pourquoi
fallait-il stipuler des paiements annuels dans une convention provisoire
? Par suite des concessions auxquelles le plénipotentiaire hollandais s'était
prêté avant l'emploi des mesures coercitives, il ne (page 107) restait plus que deux ou trois problèmes à résoudre. La
signature du traité définitif ne pouvait donc être éloignée, si la Hollande partageait
sincèrement le désir d'arriver au terme du litige. La seule pensée de stipuler
la condition d'un paiement annuel ne révélait que trop le désir de se ménager
les avantages pécuniaires du traité, pour se mettre d'autant plus facilement en
mesure d'entraver son exécution entière et définitive.
Mais si le contenu du contre-projet hollandais prêtait
à des objections sérieuses, d'autres objections non moins graves se
présentaient pour ses lacunes.
M. Verstolk voulait que la levée
de l'embargo et la réduction de l'armée ne fissent pas l'objet d'une clause
formelle du traité préliminaire. Il proposait de révoquer les ordres maritimes
à la suite d'un simple échange de notes et sans attendre la ratification d'une
convention provisoire ; et bientôt les explications verbales de son représentant
à Londres fournirent la preuve que le cabinet de La Haye cherchait à
subordonner la réduction de ses forces militaires à l'éventualité d'un
désarmement général en Europe, tandis que l'Angleterre et la France voulaient faire
dépendre cette réduction du seul fait d'un désarmement simultané en Belgique.
En effet, comme la convention préliminaire du 30 Décembre prenait pour point de
départ l'évacuation réciproque du territoire, suivie d'un armistice indéfini,
le meilleur moyen de prévenir la reprise des hostilités était de calmer
l'irritation résultant de l'attitude menaçante des armées des deux peuples (Note de bas de page : Nous
résumons les termes d'une dépêche collective du prince de Talleyrand et de lord
Palmerston au baron de Zuylen, en date du 14 Février
1833, citée ci-après).
La forme même des contre-propositions hollandaises
pouvait être justement critiquée. Comme matière d'un arrangement provisoire,
elles allaient beaucoup trop loin, puisque le partage de la dette et la
question des droits à payer sur l'Escaut devaient, par leur nature même, faire
l'objet d'un arrangement final et complet. Au contraire, envisagées comme
bases d'un traité définitif, les propositions de M. Verstolk
péchaient par l'excès contraire ; car elles gardaient le silence sur plusieurs
points essentiels, notamment la reconnaissance de l'indépendance politique des
Belges et le règlement des avantages commerciaux qui leur étaient garantis par
le traité du 15 Novembre.
(page 108) Dans les premiers jours de Janvier, le ton conciliant de
la dépêche de M. Verstolk, et surtout l'empressement
avec lequel il avait consenti à reprendre les négociations, sans exiger la
levée préalable des mesures coercitives, avaient fait naître l'espoir d'une
solution satisfaisante et prochaine. C'était mal connaître le caractère et les
vues de Guillaume Ier. La défense de la citadelle
d'Anvers, malgré l'abstention de la
Prusse et sans autre résultat possible que la mort de
quelques centaines de braves soldats ; puis le refus de rendre deux forts
inutiles en échange de deux demi-provinces, par la
seule crainte de sanctionner de fait les bases fondamentales du traité du 15
Novembre, tous ces symptômes d'une politique inflexible rendaient manifeste la
persistance des illusions qui régnaient à la cour de La Haye. Guillaume
n'avait aucunement renoncé à l'attente d'une conflagration générale, et plus
d'un dignitaire de la couronne encourageait avec obstination toutes les
espérances chimériques de son maître. Dans les cercles intimes de la cour,
l'état de choses existant en Belgique, en France et en Angleterre, était représenté
comme purement provisoire. Au commencement de Février, un général russe avait
parcouru nos provinces sous un nom supposé, avec la mission secrète d'étudier
l'esprit public et de constater l'opinion de la majorité des Belges sur la
durée du régime issu de la révolution de Septembre. Or, dans un rapport adressé
à son gouvernement, cet ambassadeur déguisé, qui prétendait avoir tout vu et
tout examiné, s'était efforcé de prouver que la monarchie nouvelle, repoussée
par la noblesse, la propriété et le haut commerce, avait pour seul appui le bas
peuple fanatisé par les prêtres. Aux yeux du général moscovite, la lutte
naissante entre les libéraux et les catholiques devait être envisagée comme un
symptôme irrécusable d'une dissolution prochaine (Note de bas de page : Nous
pouvons attester ce fait avec une certitude entière). Pour la cour de La Haye,
c'en était assez pour ne pas désespérer d'une contre-révolution à Bruxelles !
Les mêmes illusions et la même crédulité présidaient à l'appréciation de tous
les événements extérieurs. Les moindres indices de désordre à Paris étaient
transformés en présages d'une révolution imminente, tandis que les plaintes de
quelques marchands de la cité de Londres, lésés dans leur commerce par l'interruption
des relations directes avec la
Hollande, annonçaient la chute de lord Palmerston et
l'avènement d'un ministère réactionnaire. L'idée (page 109) seule de subordonner la réduction de l'armée à la
coïncidence d'un désarmement général en Europe attestait suffisamment la
vitalité du système de persévérance (Voy. dans les Souvenirs du comte Van
der Duyn, les fragments datés du 9 et du 10 Juin
1832 (p. 317 et suiv.)).
Quoi qu'il en soit, la ténacité avec laquelle
M. de Zuylen maintenait ses propositions avait
modifié les idées des plénipotentiaires de France et d'Angleterre ; ils
craignaient maintenant qu'ils ne dussent renoncer à l'espoir de signer une
convention préliminaire. Toutefois, faisant un nouvel effort, ils remirent à M.
de Zuylen deux projets subsidiaires, l'un et l'autre
datés du 1er Février. Le premier reproduisait littéralement le texte des
propositions du 30 Décembre, sauf une disposition additionnelle stipulant la
reconnaissance de la neutralité de la
Belgique, et par suite l'acceptation d'un armistice entre
les deux peuples, jusqu'à la signature du traité définitif. Le second projet
avait pour but de combiner les avantages d'une convention provisoire avec ceux
d'un arrangement définitif. On se serait entendu sur tous les points qui
restaient en litige ; on aurait annexé cet arrangement à une convention
préliminaire stipulant la cessation des hostilités et la reprise des rapports
commerciaux; puis on aurait convoqué les plénipotentiaires des grandes
puissances, pour imprimer à ces actes le caractère d'un traité européen (Papers relative to the
affairs of Belgium, ibid.,
p. 204).
Cette nouvelle tentative
échoua comme la précédente. Inébranlable dans ses idées de résistance, M. de Zuylen répondit qu'il était sans pouvoirs pour accueillir
l'une ou l'autre de ces propositions. Malgré cette attitude inflexible du
plénipotentiaire néerlandais, lord Palmerston et le prince de Talleyrand
placèrent encore une fois le débat sur un terrain nouveau.
Les conventions préliminaires qu'ils avaient jusque-là
proposées étaient basées sur l'évacuation réciproque du territoire. Cette fois,
dans un quatrième projet portant la date du 5 Février, ils offrirent de laisser
aux deux parties, jusqu'à la signature du traité définitif, la possession des
territoires qu'elles occupaient respectivement. Lillo et Liefkenshoek devaient
rester provisoirement aux mains des Hollandais, tandis que le Limbourg
hollandais et le Luxembourg allemand auraient continué à être occupés par les
Belges. L'obligation de réduire l'armée sur le pied (page 110) de paix n'était plus stipulée. L'établissement d'un
armistice et la reconnaissance de la neutralité de la Belgique étaient
envisagés comme des garanties suffisantes du maintien de la paix. On réclamait
l'ouverture de la Meuse
et la continuation de la libre navigation de l'Escaut ; mais, comme
l'évacuation réciproque du territoire était retardée, les dissidences
relatives à l'amnistie et aux routes commerciales du Limbourg étaient réservées
pour le traité définitif (Ibid., p. 206).
Ce troisième essai fut à son tour infructueux. Au lieu
d'accueillir les propositions de l'Angleterre et de la France, M. de Zuylen de Nyvelt présenta, le 5
Février, un nouveau projet complètement inadmissible. Il réclamait la levée de
l'embargo et le retour des militaires détenus en France, tandis que, pour toute
concession, la Hollande
se serait contentée, sur l'Escaut, de la perception des droits de péage et de
visite établis en 1814 ; c'est-à-dire, que la Hollande, au lieu de
faire la moindre concession, exigeait des droits de navigation qui n'avaient
plus été perçus depuis le mois de Janvier 1831, et de plus la faculté de soumettre
les navires à des visites dont ils étaient exempts depuis deux années, et qui
seules auraient suffi pour entraver le commerce maritime des Belges (Note de bas de page : Dans le
cours des négociations, il est parlé à diverses reprises des droits perçus sur
l'Escaut en 1814. A
cet égard, le gouvernement belge s'est donné de grandes peines pour découvrir
un protocole secret que, dit-on, Guillaume 1er aurait signé avant son
avènement, et par lequel il se serait engagé à laisser la navigation de
l'Escaut entièrement libre, pour les bâtiments de toutes les nations. Le
protocole ne fut pas produit, mais le doute subsiste encore. Dans leur note du
14 Février 1833, citée ci-après, lord Palmerston et le prince de Talleyrand
disaient déjà: « Les soussignés ont de fortes raisons de croire qu'aucuns
droits n'ont été légalement levés, ni aucunes visites de bâtiments légalement
faites sur l'Escaut dans l'année 1814, avant l'union de la Belgique et de la Hollande.» En
fait, aucun droit n'avait été perçu ni aucune visite exercée en 1814).
Ainsi, depuis
deux mois, les négociations n'avaient produit d'autre fruit qu'un nouvel
échange de projets et de notes diplomatiques !
17.4 Le manifeste du 14 février 1833
Dans le dessein d'appeler une dernière fois
l'attention du cabinet de La Haye sur les conséquences de sa conduite, et aussi
pour mettre leur propre responsabilité à l'abri de tout reproche, les
plénipotentiaires d'Angleterre et de France
rédigèrent, le 14 Février, une note énergique, offrant plutôt les apparences
d'un manifeste que d'une simple communication diplomatique. Après avoir rappelé
tous les incidents des (page 111)
dernières négociations, ce document se terminait par les mots suivants :
« Les soussignés ont épuisé tous les moyens d'amener M. le baron de Zuylen de Nyvelt à tomber
d'accord sur un arrangement, soit préliminaire, soit définitif ; et en
l'invitant, comme ils le font, à transmettre cette note à La Haye, pour
l'information de son gouvernement, ils sentent qu'ils se doivent à eux-mêmes et
aux gouvernements pour lesquels ils agissent, de déclarer qu'ils rejettent sur M.
le plénipotentiaire hollandais, et sur le gouvernement par les instructions
duquel il est guidé, la responsabilité de toutes les conséquences qui peuvent
sortir de la non-réussite des efforts sincères et persévérants des soussignés
pour effectuer un arrangement pacifique. » La note fut immédiatement
livrée à la publicité, afin que, dans toutes les parties de l'Europe, l'opinion
publique pût se prononcer entre la
Hollande et ses adversaires » (Note de page : Papers relative
to the affairs of Belgium, B, Ire partie, p. 200. - Le
cabinet belge ne fut pas étranger à la rédaction de cette note, car on y trouve
plusieurs phrases empruntées mot pour mot aux discours prononcés par le général
Goblet le 21 et le 23 Novembre (V. Nothomb, Essai hist. et pol.,
3e édit. p. 344)).
Mais ce n'était
pas seulement à la France
et à l'Angleterre que le système de persévérance suscitait des
embarras et des obstacles.
Tandis que les incidents
diplomatiques se succédaient à Londres, des difficultés d'un autre genre se
multipliaient à Bruxelles.
17.5. L’opposition parlementaire
Au moment où les intentions et les actes du cabinet
hollandais étaient dénoncés aux gouvernements et aux
peuples, le ministère belge rencontrait dans la Chambre des Représentants
une opposition vigoureuse, à laquelle l'ajournement successif du problème
diplomatique servait de base. Faisant encore une fois abstraction des intérêts
européens mêlés aux intérêts belges, perdant de vue tous les succès obtenus
depuis le jour où la Russie
avait ratifié le traité du la
Novembre, procédant toujours avec cette inexpérience des
affaires qui caractérisait le parlement belge de cette époque, l'opposition
attribuait à la faiblesse, à la pusillanimité des ministres, l'absence d'une
solution définitive.
La discussion du budget de la Guerre de 1833 fit naître
un orage parlementaire, qui amena la démission du ministère et la dissolution
de 1a Chambre des Représentants.
Malgré le maintien des mesures coercitives par
l'Angleterre et la France,
la Belgique
ne pouvait songer à réduire les cadres de son armée, (page 112) avant le jour où une détermination analogue serait prise
par sa rivale. Au moment où le danger d'une guerre européenne, quoique peu
probable, n'avait pas complètement disparu, la réduction de nos forces
militaires eût été une mesure impolitique et dangereuse. Depuis le 25 Octobre
1831, aucun armistice formel ne nous garantissait contre une attaque de la Hollande. Il eût été
absurde de mettre l'armée sur le pied de paix, lorsque, soit pour opérer une
diversion, soit même dans le seul dessein d'amener un conflit entre la France et l'Allemagne, le
cabinet de La Haye pouvait brusquement concevoir le projet de faire une pointe
sur Bruxelles. La France,
sans doute, se fût empressée d'accourir à notre aide ; mais le pays eût
commencé par être envahi et par subir une humiliation nouvelle. «
Voudriez-vous, disait le général Goblet, exposer la patrie à l'envahissement,
parce que, probablement, elle ne tarderait pas à être évacuée. Je ne saurais,
quant à moi, y consentir... D'autre part, il y aurait impossibilité à ce que
les puissances intervinssent à chaque instant, quand il plairait à la Hollande de porter ses
armes chez nous ; et ce serait l'y exciter que de nous mettre vis-à-vis d'elle
sur un pied d'infériorité » (Moniteur du 23 Mars, Moniteur du 25).
Plus d'une fois notre gouvernement avait dit à
l'Angleterre et à la France:
« Nous aurons recours aux armes, si les garanties promises demeurent sans effet
pour la Belgique.
» C’était même ce langage qui avait déterminé ces deux puissances à agir par
elles-mêmes, à une époque de l'année où le siége d'Anvers et le blocus des
côtes de la Hollande
rencontraient des difficultés de toute nature. Fallait-il briser cette arme aux
mains de nos ministres, précisément à l'heure où les mesures coercitives
approchaient de leur dénouement ? Dans la sollicitude des puissances pour le
maintien de la paix, c'était surtout le désarmement qu'il leur importait
d'obtenir, Il y aurait eu de la folie à aller au-devant de ce vœu, avant
d'avoir obtenu de la Hollande
des garanties suffisantes du respect de notre indépendance.
La thèse du désarmement n'en fut pas moins plaidée par
quelques orateurs de l'opposition ; mais, bientôt vaincus sur ce terrain par
les arguments irréfutables des ministres, ils changèrent de batterie et soutinrent
que les armements étaient utiles, si la Belgique voulait prendre l'offensive par terre,
pendant que la flotte anglo-française continuerait le blocus des côtes.
(page 113)
Cette seconde attaque ne fut pas plus heureuse que la première. On leur répondit
que l'intervention de l'Angleterre et de la France, agissant au nom des intérêts européens,
ne pouvait se concilier avec une action simultanée de la Belgique, luttant pour la
défense de ses intérêts particuliers, et qu'il fallait dès lors nécessairement
opter entre l'intervention des puissances et une attaque isolée par nos
propres forces. Enfin, après quatre jours de discussions confuses et
passionnées, MM. de Robaulx et Pirson, appartenant
l'un et l'autre à l'opposition extrême, proposèrent de ne voter le budget de la
guerre que jusqu'au 1er Juillet, ce terme devant suffire, à leur avis, pour
amener l'exécution d'un traité définitif (Note de bas de page : MM. Pirson
et de Robaulx avaient chacun formulé une proposition
distincte ; mais, au fond, les deux amendements étaient identiques.
L'amendement de M. Pirson portait: « Je propose à la Chambre de ne voter les
dépenses de la guerre que pour les six premiers mois de l'année. » La
proposition de M. de Robaulx était ainsi conçue: « Il
est ouvert au ministre directeur de la Guerre, un crédit de 15 millions, pour faire face
aux dépenses urgentes de l'armée sur pied de guerre, pendant les mois d'Avril,
Mai et Juin 1833.»)
Pour comprendre
toute la portée de cet amendement, il faut le placer en regard du langage que
les adversaires des ministres avaient tenu dans les séances précédentes.
Parlant des résultats produits par l'alliance anglo-française, M. Charles de
Brouckere s'était écrié: « Nous ne conservons cette alliance qu'à la condition
de nous laisser conduire aveuglément, de n'avoir point de volonté à nous, de
renoncer à défendre nos intérêts et notre honneur, lorsque, en blessant ces
intérêts et cet honneur, on n'a point blessé ceux de nos alliés..... Il est
temps que nous montrions que les Belges ont d'autres vertus que celles-là ; il
est temps qu'on en finisse avec ce système de crainte et de temporisation qui
nous ruine, nous humilie et qui finirait par nous déshonorer ; il est temps que
nous ayons une volonté à nous..... Il est temps que nous cessions d'être
Anglais ou Français, pour devenir Belges. Si l'on veut continuer à subir le
joug des autres puissances et à n'agir qu'avec leur permission, à consommer
tous les sacrifices, à subir tous les affronts, dans la crainte de se
brouiller, je consentirai difficilement à donner mon vote au budget de la
guerre, parce que notre armée est inutile ; nos protecteurs nous défendront, en
attendant qu'ils nous envahissent » (Séance du 25 Mars, Moniteur du 27). Envisagé de ce point de (page 114) vue, l'amendement de MM.
Pirson et de Robaulx était plus qu'un avertissement
donné aux puissances qui nous avaient garanti l'exécution du traité du 15
Novembre : c'était un acte de méfiance et de blâme, dirigé à la fois contre nos
alliés et contre nos ministres.
17.6. La poursuite des négociations diplomatiques
après le manifeste du 14 février 1833
Ni les uns ni les autres ne méritaient ces reproches.
Le cabinet de Bruxelles s'était constamment montré à la hauteur des
circonstances et la note du 14 Février suffisait pour prouver que l'Angleterre
et la France
n'étaient pas restées inactives.
Après la prise de la citadelle d'Anvers et la retraite
de l'armée du maréchal Gérard, nos ministres s'étaient trouvés en face de deux
négociations, l'une avec la
France seule, l'autre avec la France et l'Angleterre.
Or, dans l'une et dans l'autre, les intérêts belges avaient été énergiquement
défendus.
La première de ces négociations avait trait aux
dépenses occasionnées par l'intervention armée de la France. Plusieurs
fois cette question avait été agitée dans les régions diplomatiques, lorsque
tout à coup M. Mauguin, dans la séance de la Chambre des Députés du 8
Mars 1833, vint proposer le rejet du crédit réclamé pour ces dépenses, parce
que, selon lui, elles devaient être remboursées à la France par les Belges, au
profit et à la demande desquels elles avaient été faites.
Le jour même où la nouvelle de cette motion parvint à
Bruxelles: M. Lehon reçut l'ordre de protester
énergiquement, aussi bien pour l'expédition d'Anvers que pour la campagne de 1831.
Lorsque l'armée du prince d'Orange envahit nos provinces, les cinq puissances
s'étaient portées garantes de la suspension d'armes imposée à la Belgique. Lorsque,
l'année suivante, l'Angleterre et la
France eurent recours à des mesures coercitives, d'autres
conventions solennelles nous garantissaient l'intégrité de notre territoire.
Les deux expéditions étaient la conséquence logique, le résultat nécessaire des
garanties stipulées par les puissances qui s'étaient constituées les arbitres
de nos différends avec la
Hollande ; l'une et l'autre avaient pour objet l'exécution de
traités imposés à la
Belgique ; pour l'une et pour l'autre, la Belgique avait réclamé
l'intervention de la France,
non pas à titre de secours ordinaire, mais comme la suite naturelle et
inévitable d'obligations écrites dans les traités ; enfin, dans l'une et dans
l'autre, l'intérêt européen figurait pour le moins au même degré que l'intérêt
belge. Le général Goblet repoussa les exigences de la France avec (page 115) d'autant plus de raison et de
force, que l'Angleterre n'avait pas un instant révoqué en doute l'obligation de
supporter elle-même les frais causés par ses armements maritimes. Grâce à cette
résistance énergique, le cabinet des Tuileries ajourna ses réclamations, et la
proposition de M. Mauguin n'eut pas de suite (Note de bas de page : M. Mauguin développa sa proposition dans un long discours, où
les égards dus à une nation amie étaient constamment oubliés. L'orateur insinua
assez clairement que la France
eût dû s'emparer des cantons annexés à la Belgique en 1815, après le désastre de Waterloo
et la seconde invasion des alliés. Il poussa l'oubli des convenances au point
d'étendre à la Belgique
les maximes applicables aux contribuables retardataires. « Lorsqu'un contribuable
ne paie pas ses contributions, s'écria-t-il , le percepteur est là pour faire
saisir et vendre ses meubles.» (Moniteur universel du 12 Mars 1833, 2e
suppl.) Les négociations engagées à ce sujet
prouvent à l'évidence que le cabinet des Tuileries était lui-même convaincu du
fondement des protestations du général Goblet. S'il n'en fit pas l'aveu, c'est
qu'il craignait les attaques de l'opposition et de la presse. - L'expédition
d'Anvers avait sauvé l'existence parlementaire du duc de Broglie).
A coup sûr, l'attitude du ministère belge était ici
exempte des reproches de condescendance et d'humble soumission sans cesse articulés
à la tribune.
Les résultats avaient été moins satisfaisants dans la
négociation collective avec la
France et l'Angleterre. Après deux mois de tentatives
infructueuses, le problème diplomatique se trouvait à peu près dans la même
situation qu'au jour où le drapeau belge fut arboré sur la citadelle d'Anvers.
Mais si les armements de l'Angleterre et de la France n'avaient pas encore
triomphé de la résistance opiniâtre du cabinet de La Haye ; si les démarches et
les raisonnements de leurs plénipotentiaires n'avaient pas réussi à dissiper
les illusions de Guillaume Ier, était-ce la faute de nos ministres ? Nous
l'avons déjà dit : leur attitude était la seule qui fût compatible avec
l'intérêt bien entendu du gouvernement et de la nation. La Belgique n'était pas
seule à souffrir de ces retards. Autant que nous, l'Angleterre et la France avaient un intérêt
puissant à hâter le dénouement de la crise. Elles ne pouvaient prolonger
indéfiniment les mesures coercitives ; et cependant, dans leur note du 14
Février, les représentants des deux puissances déclaraient formellement que
ces mesures ne seraient levées qu'à la suite d'un arrangement définitif ou
provisoire agréé par les Belges.
17.7. La chute du gouvernement belge et le recours
aux élections
(page 116) La
proposition de MM. Pirson et de Robaulx était
cependant de nature à rencontrer des sympathies sur tous les bancs de la Chambre. Le public n'était
pas initié à tous les secrets des négociations diplomatiques. La nation
supportait avec une vive impatience les désavantages d'une situation provisoire
qui, après plus de deux années de souffrances et de sacrifices, semblait devoir
se prolonger encore. L'acceptation des dix-huit articles du 26 Juin 1831, celle
des vingt-quatre articles du 14 Octobre suivant, le siége d'Anvers et
l'intervention armée des deux premières puissances de l'Europe, avaient été
successivement signalés comme terme définitif du différend hollando-belge.
Toujours l'événement avait démenti les espérances ; toujours de nouveaux
échanges de notes diplomatiques avaient été, dans la pensée des masses, les
seuls résultats de l'intervention des puissances étrangères. Dans ces
circonstances, l'amendement de MM. Pirson et de Robaulx
pouvait être envisagé comme un stimulant pour nos ministres et un avertissement
pour la diplomatie étrangère. Aussi fut-il agréé par la section centrale
chargée de l'examen du budget de la guerre.
Dans l'opinion de ses auteurs, la proposition
renfermait évidemment la désapprobation de la conduite des ministres ; mais
cette même pensée de méfiance et de blâme n'avait pas dicté le vote des membres
de la section centrale. « Pour qu'on ne prenne pas le change sur les
intentions de la Chambre
des Représentants, disait son rapporteur, la section centrale a cru s'en rendre
l'interprète fidèle en exprimant ici les motifs de sa décision. La nation est
impatiente de la lenteur des négociations diplomatiques; elle veut le
dénouement de nos différends avec la Hollande. Pour arriver à cette fin, elle
souscrira encore à de nouveaux sacrifices. Ce n'est donc point pour la soulager
des dépenses qu'occasionne l'entretien de l'armée sur le pied de guerre, ce
n'est point pour réduire cette belle armée que nous avons organisée à grands frais,
que nous vous proposons de n'allouer des subsides que pour six mois ; notre but
unique (et qu'on le sache bien) n'est autre que, les six mois écoulés sans
espoir d'une conclusion prochaine, de presser le gouvernement de recourir à
des mesures énergiques propres à assurer l'indépendance de la Belgique. Dans ce
cas, loin de nous opposer à des demandes de crédits, nous augmenterons, s'il en
est besoin, (page 117) nos moyens de
coercition et nous ne négligerons rien pour assurer le triomphe de nos armes »
(Discours de M. Brabant, Séance du 2
Avril, Moniteur du 5.) Présentée de cette
manière, la proposition de la section centrale pouvait être réduite aux termes
suivants: « Nous vous accordons des crédits suffisants pour entretenir l'armée
sur le pied de guerre pendant les six premiers mois de cet exercice ; ces six
mois passés sans solution, la
Chambre subordonnera ses votes ultérieurs à la condition
d'un recours immédiat aux mesures énergiques que réclameront les
circonstances.» C'était en quelque sorte engager le gouvernement à réclamer une
solution dans un délai déterminé.
Mais ce commentaire bienveillant n'empêchait pas les
ministres d'envisager la proposition comme un acte éclatant d'hostilité dirigé
contre le cabinet, Après quelques interpellations demeurées sans résultat, ils
manifestèrent tout à coup l'intention de se retirer, si la proposition de MM.
Pirson et de Robaulx était accueillie par la Chambre. Dans un
amendement présenté par le ministre de l'Intérieur, ils se déclarèrent prêts à
adhérer à la décision qui soumettrait le budget de la guerre à une révision,
lors du vote définitif du budget général de l'État ; mais ils refusèrent de
pousser la condescendance au delà des bornes de cette mesure administrative. «
Le ministère, dit M. Rogier, ne peut accepter un vote dans lequel il ne verrait
qu'une preuve de défiance et d'hostilité... Dans cette assemblée, il est des
membres qui reprochent au ministère son peu d'énergie, son ineptie. Le
ministère a besoin de savoir si la majorité partage cette opinion. Placé sous
une telle prévention, il ne peut diriger les affaires intérieures ou
extérieures du pays avec la fermeté et la dignité convenables» (Note de bas de page : Séance du
2 Avril, Moniteur du 5.
L'amendement de M. Rogier était conçu dans les termes
suivants: « Considérant qu'il est dans l'esprit de la Constitution que les
budgets des divers départements ne forment qu'une seule et même loi de dépenses
; vu la nécessité de soumettre à une révision les diverses allocations dont se
compose le budget de la guerre en discussion, j'ai l'honneur de proposer
l'amendement suivant : Le budget de la guerre pour 1833 sera soumis à une
révision lors du vote définitif du budget général des dépenses de l'État et
fera partie de la même loi. »).
Les débats qui suivirent cette déclaration furent
pleins de confusion et de violence ; mais il en résulta néanmoins, à la
dernière (page 118) évidence, que la
section centrale n'avait voulu, en aucune manière, émettre un vote hostile au
cabinet. Son rapporteur déclara positivement que, ni dans ses termes ni dans
son esprit, la proposition ne devait être envisagée comme renfermant une
censure de la conduite des ministres. Qu'importaient dès lors les attaques
isolées de quelques membres de l'opposition ? Les ministres pouvaient prendre
acte de la déclaration du rapporteur de la section centrale et laisser à la Chambre elle-même la
responsabilité de son vote. Au point où l'Angleterre et la France étaient parvenues
dans leurs rapports avec la
Hollande, le dénouement ne pouvait être éloigné. On se
trouvait à la veille du jour où l'attitude du ministère allait être justifiée
ou condamnée par les faits. Pourquoi cette susceptibilité extrême, à une époque
où quelques semaines d'attente suffisaient pour faire justice de toutes les
exagérations ? Ainsi que l'a dit M. Nothomb, chez les peuples dont l'éducation
politique est peu avancée, c'est surtout sur l'avenir qu'il faut compter (Essai hist. et pol.,
3e édit., p. 359). A la vérité, l'amendement
était blessant pour l'Angleterre et la France qui, en ce moment même, remplissaient
loyalement les obligations stipulées dans le traité du 15 Novembre, Mais ce
n'était pas la première fois que les intentions de ces deux puissances avaient
été méconnues à la tribune belge, Pour prévenir les plaintes de nos alliés, il
suffisait que le cabinet proclamât hautement le désintéressement et la loyauté
de leur politique. Les tristes débats de Novembre n'avaient pas arrêté la
marche du maréchal Gérard ; de nouvelles imprudences parlementaires n'auraient
pas influé sur la direction des armements maritimes.
La persistance du ministère n'eut d'autre résultat que
de le conduire à une défaite éclatante. Dans la séance du 5 Avril, l'amendement
du ministre de l'Intérieur fut rejeté par 45 voix contre 28.
Après ce vote, la Chambre s'ajourna au 22.
L'échec du cabinet plaçait la couronne dans une
position embarrassante. Après les essais infructueux tentés en Novembre, il
était à peu près certain que le roi ne réussirait pas à composer une administration
nouvelle qui offrît quelques gages de stabilité ; et cependant les ministres
actuels ne pouvaient plus se présenter, sans déshonorer leur caractère, devant
une Chambre qui avait dédaigné leurs protestations et bravé leur menace de
retraite collective.
(page 119)
Le roi confia à M. de Theux la tâche de composer une administration nouvelle.
Deux combinaisons furent successivement essayées. Dans la première, le roi
avait lui-même indiqué les noms de quelques députés qu'il désirait voir entrer
dans le ministère ; dans la seconde, il avait accordé à M. de Theux les
pouvoirs les plus illimités. L'une et l'autre de ces tentatives échouèrent.
Pour la seconde fois, la Belgique
offrait ce singulier phénomène parlementaire d'une majorité imposant un système,
tout en se déclarant impuissante à le réaliser. Le chef de l'État n'avait plus
qu'un seul moyen constitutionnel à sa disposition : le remède extrême de la
dissolution du parlement.
Un arrêté royal du 19 Avril ajourna la Chambre des Représentants
au 6 Mai ; un second arrêté, daté du 28 Avril, en prononça la dissolution. La Chambre nouvelle fut
convoquée pour le 7 Juin (Note de bas de page : Les
considérants de l'arrêté indiquent les motifs de la dissolution: « Vu les
difficultés qui, depuis l'ouverture de la présente session, se sont élevées
dans les rapports de l'administration avec la Chambre des Représentants
; considérant que, par suite de ces circonstances, nos ministres nous ont, à
diverses reprises, offert leur démission, sans que l'on soit parvenu à composer
une administration nouvelle qui présentât des gages de stabilité ; considérant
que ces difficultés semblent prendre leur source dans la diversité des opinions
sur la marche des relations extérieures ; considérant que, depuis la dernière
élection générale, il s'est accompli des événements importants qui ont
contribué à l'affermissement de l'indépendance de la Belgique, et qui, sous ce
rapport, méritent d'être livrés à l'appréciation du pays ; considérant que, si
c'est un des premiers principes du gouvernement représentatif que le ministère
soit d'accord avec la majorité parlementaire, il est indispensable aussi, pour
rendre l'administration possible, que cette majorité ne soit pas incertaine ;
qu'une adhésion douteuse à la marche du gouvernement paralyse l'action de
celui-ci, sans offrir à la couronne les éléments d'une administration nouvelle
; considérant que, d'après la loi électorale, la Chambre des Représentants
devrait être renouvelée par moitié le second Mardi de Juin prochain ; que,
d'après les articles 18 et 54 de la même loi, les membres qui viendraient à
être remplacés dans cette élection partielle, vu l'impossibilité de clore
immédiatement la session, continueraient à siéger jusqu'au mois de Novembre,
qu'ainsi des représentants dont les successeurs seraient déjà nommés
influeraient, à l'exclusion de ceux-ci, sur les résolutions de la Chambre, et pourraient par
leur vote décider les questions les plus importantes ; considérant que la
dissolution de la Chambre
des Représentants obvie à cet inconvénient et assure aux électeurs, au lieu
d'un contrôle partiel, un contrôle général sur les actes de cette branche du
pouvoir législatif et sur la marche du gouvernement... »)
17.8. La convention du 21 mai 1833
Ces
complications intérieures, qui passionnaient l'opinion publique et mécontentaient
nos alliés, étaient d'autant plus regrettables que, pendant les stériles débats
de la Chambre
et de la presse, les (page 120)
négociations diplomatiques, loyalement poursuivies à Londres, marchaient à
grands pas vers un dénouement avantageux aux Belges.
On se rappelle que, dans une note du 14 Février, lord
Palmerston et le prince de Talleyrand avaient en quelque sorte dénoncé la politique
hollandaise à l'indignation de l'Europe. Pendant douze jours, le cabinet de La
Haye garda le silence. Ce ne fut que le 26 Février que M. de Zuylen répondit aux reproches des plénipotentiaires d'Angleterre
et de France, par une longue apologie des actes de la diplomatie hollandaise.
Prenant à son tour le rôle d'accusateur, il dénonçait l'intervention de l'Angleterre
et de la France
comme un attentat à la souveraineté des peuples, comme un odieux et déplorable
abus de la force. « Les derniers mois de l'année 1832, dit-il, virent
introduire, sous le nom de mesures coercitives, l'exercice d'une police dans
les rapports des nations entre elles, et mettre en pratique envers la Hollande un système
d'hostilité ouverte en pleine paix, inconnu jusqu'ici, sapant la base de
l'indépendance des peuples, bouleversant le premier principe fondamental du
droit des gens et y substituant la suprématie du plus fort.» A la suite de ce
préambule sévère, il offrit néanmoins de s'entendre immédiatement sur la levée
de l'embargo, la cessation du blocus et le renvoi des militaires détenus en
France ; mais la Hollande
ne pouvait, à son avis, consentir à ce que les procédés illégitimes employés
contre elle fussent mis dans la balance, comme un moyen de lui arracher de
nouvelles concessions. « Le gouvernement des Pays-Bas, dit-il en terminant,
accepte la responsabilité de ses actes dans toute son étendue, et lorsque les
causes des malheureuses circonstances actuelles seront pesées en dernier
ressort, il attendra avec une conscience calme la décision du tribunal suprême,
devant lequel doivent comparaître les rois et les peuples » (Papers relative to the
affairs of Belgium, B,
Ire partie, p. 215).
Mais ce langage hautain n'empêchait pas le cabinet de
La Haye de désirer vivement le terme d'un état de choses qui, non seulement
paralysait le commerce, mais interceptait les communications directes entre la
mère patrie et ses colonies. Depuis plusieurs semaines, tous les événements
politiques avaient marché à l'encontre des illusions et des espérances de la
cour. A Londres, le ministère wigh se raffermissait
(page 121) de jour en jour ; à Paris,
l'expédition d'Anvers avait considérablement amélioré la position
parlementaire du duc de Broglie ; à Berlin, à Vienne, à St-Pétersbourg,
on ne recueillait que de stériles témoignages de sympathie, toujours suivis du
conseil de céder aux exigences des puissances occidentales. En Hollande même,
les hommes modérés commençaient à plaider ouvertement la thèse de la paix, et
trouvaient dans le Handelsblad un
organe intelligent et accrédité. Ajoutons que l'envoyé d'Angleterre, en
remettant la note du 14 Février, avait parlé de rupture, et que les
cabinets des Tuileries et de St-James commençaient à
agiter la question de la vente des cargaisons hollandaises.
La note du 26 Février fut le dernier acte diplomatique
de M. de Zuylen. Le ton âpre et peu conciliant qu'il
avait pris dans les dernières conférences, et surtout ses rapports avec les
journaux de l'opposition à Londres, avaient fini par mécontenter sérieusement
l'Angleterre et la France.
Des représentations, faites en même temps à Paris et à Londres,
forcèrent le cabinet de La Haye de le rappeler. Au commencement de Mars, il fut
remplacé par M. Salomon Dedel (White, Révol.
belge, t. III, p. 274).
Précisément le jour où l'opposition belge formula ses
premiers griefs contre le budget de la guerre, le 25 Mars, M. Dedel offrit, au nom de son gouvernement, les conditions
suivantes: - Armistice entre les troupes hollandaises et belges, jusqu'au 1er
Août 1833 ; libre navigation de l'Escaut, sans visite et sans perception d'un
droit quelconque, pendant la durée de l'armistice ; navigation de la Meuse, sans autre entrave
que l'application du tarif de Mayence, jusqu'à la signature d'un arrangement
définitif ; libre communication de la garnison hollandaise de Maestricht avec
le Brabant septentrional et avec l'Allemagne ; conservation des forts de Lillo
et de Liefkenshoek par la
Hollande ; évacuation par les Belges des positions qu'ils
n'occupaient pas le 1er Novembre 1832, sur les deux rives de l'Escaut. - Le
jour de la ratification de cette convention préliminaire, l'Angleterre et la France devaient lever l'embargo
et rendre la liberté aux prisonniers hollandais (Papers relative to the
affairs of Belyium, B, 1er partie, p. 224. - Pour
comprendre toute la portée de ces propositions, il importe de se rappeler que,
depuis le départ de l'armée du maréchal Gérard, les Belges avaient occupé et
fortifié les positions militaires des deux rives de l’Escaut, jusqu’au fort La Croix.)
(page 122)
Ces propositions dénotaient un rapprochement vers les vues de l'Angleterre et
de la France;
mais elles n'en prêtaient pas moins le flanc à des objections sérieuses.
Après la reddition de la citadelle, l'un des premiers
soins des cabinets de Paris et de Londres avait été d'obtenir l'assentiment
des Belges et des Hollandais à une cessation indéfinie d'hostilités. C'était
même dans ce dessein qu'ils avaient proposé la mise des deux armées sur le pied
de paix et la reconnaissance de la neutralité de la Belgique dans les limites
tracées par le traité du 15 Novembre. Or, dans le projet communiqué par M. Dedel, non seulement la neutralité du territoire belge
n'était pas reconnue, mais la
Hollande se réservait le droit d'avoir recours aux armes
après le 1er Août de l'année courante. Lord Palmerston et le prince de
Talleyrand disaient avec raison « qu'une telle convention, loin d'être un
gage et un préliminaire de paix, annoncerait et sanctionnerait même la reprise
des hostilités » (Papers relative to the
affairs of Belgium, B, 1er partie, p. 223).
Ce n'est pas tout. La Hollande eût continué
d'occuper deux forts situés sur le sol assigné à la Belgique par le traité du
15 Novembre, tandis que les Belges eussent été forcés d'abandonner, sur les
deux rives de l'Escaut, des positions que ce même traité avait placées dans les
limites de leur pays. Enfin, la
Hollande exigeait les libres communications de Maestricht
avec le Brabant Néerlandais et la
Prusse, tandis que le projet gardait le silence sur les
communications commerciales de la
Belgique avec l'Allemagne par cette même ville de Maestricht.
Les plénipotentiaires d'Angleterre et de France formulèrent ces objections
dans une note collective du 2 Avril.
Enfin forcée de céder, la Hollande, fidèle à ses
habitudes, n'en disputa pas moins le terrain pied à pied. Dans un office du 16
Avril, M. Dedel, après avoir adressé aux deux
plénipotentiaires les compliments les plus flatteurs sur leurs vues éclairées
et conciliantes, déclara que son gouvernement était prêt à revenir, à l'égard
de l'armistice et de la navigation de l'Escaut, à l'état de choses existant
avant le 1er Novembre 1832. Mais quel était cet état de choses par rapport à
la reprise des hostilités ? Depuis le 25 Octobre 1831, l'armistice conclu le
29 Août précédent était expiré. Dans l'année qui précéda le siége d'Anvers, le
roi des Pays-Bas avait plus d'une fois déclaré qu'il n'était lié par aucun (page 123) armistice, qu'il était libre
dans ses mouvements et dans ses actes, qu'il avait le droit de reprendre les
hostilités s'il le jugeait convenable. Le cabinet de La Haye voulait donc
simplement revenir à un armistice de fait, sans autre garantie de sa
prolongation que les menaces de l'Angleterre et de la France ; tandis que ces
deux puissances exigeaient la reconnaissance expresse et formelle de la
neutralité de la Belgique,
jusqu'à la conclusion d'un traité définitif. La libre navigation de l'Escaut
n'eût pas davantage été suffisamment garantie, car, dans sa dépêche du 25 Mars,
M. Verstolk de Soelen, tout
en annonçant l'ouverture du fleuve pour les bâtiments neutres, avait insinué
que son gouvernement s'était toujours réservé la faculté de réclamer, en temps
opportun, les droits de navigation exigibles en 1814 (Voy. la dépêche du 16 Avril dans les Papers relative to the
affairs of Belgium, ibid.,
p. 232).
Repoussé encore de ce côté,
M. Dedel offrit finalement de stipuler la cessation
des hostilités en ces termes: « Tant que les relations entre la Belgique et la Hollande ne seront pas
réglées par un traité définitif, Sa Majesté néerlandaise s'engage à ne pas
recommencer les hostilités et à laisser la navigation de l'Escaut entièrement
libre » (Note du 16 Mai. Ibid., p. 240). Cette rédaction avait été
proposée par le cabinet de Berlin à celui de La Haye ; car, de même que
l'Angleterre et la France
avaient secrètement associé la
Belgique à leurs négociations, la Hollande avait eu soin de
communiquer toutes ses propositions aux représentants des puissances du Nord.
Dès cet instant, l'adoption d'un arrangement
provisoire ne pouvait plus rencontrer des difficultés sérieuses. Le 21 Mai
1833, un traité préliminaire fut conclu entre la France et l'Angleterre,
d'une part, et la Hollande
de l'autre. Toutes les parties s'engageaient à s'occuper sans délai du traité
définitif, et chacune d'elles devait inviter les cours d'Autriche, de Prusse et
de Russie à y concourir. Tant que les relations entre la Hollande et la Belgique ne seraient pas
réglées par un traité définitif, le roi des Pays-Bas s'engageait à ne point
recommencer les hostilités contre la Belgique et à laisser la navigation de l'Escaut
entièrement libre. Il consentait à ce que la navigation de la Meuse fût ouverte au
commerce, avec application provisoire du tarif de Mayence. En retour,
l'Angleterre et la France
s'engageaient à cesser les hostilités, (page 124) à lever l'embargo mis sur les
navires hollandais, à renvoyer les militaires détenus en France, à procurer à la Hollande des
communications libres et sans entraves entre Maestricht, le Brabant
septentrional et l'Allemagne. Un article additionnel étendait l'armistice aux
parties du Limbourg et du Luxembourg encore occupées par les Belges (1).
Cette convention fut ratifiée le 31 Mai. Le lendemain,
lord Palmerston et le prince de Talleyrand la notifièrent à M. Van de Weyer.
Elle fut favorablement accueillie en Belgique. La suspension
d'armes, obligatoire jusqu'au jour de la conclusion du traité définitif, était
une reconnaissance virtuelle de notre indépendance politique. L'article additionnel,
adopté à la suite d'une demande de notre gouvernement, régularisait la position
du Luxembourg allemand, dont le territoire n'avait pas été expressément compris
dans l'armistice antérieur. Autour des villes de Maestricht et de Luxembourg,
notre administration civile prenait un caractère de légalité que les
commandants de ces forteresses n'avaient jamais complètement reconnu ; et cet
avantage n'était pas à dédaigner, à cause de la sécurité qu'il assurait
désormais aux habitants des communes environnantes. La convention du 21 Mai
nous accordait en outre la jouissance de la plupart des avantages matériels
stipulés dans le traité du 15 Novembre, tout en nous dispensant provisoirement
de l'obligation de payer notre part des dettes du royaume des Pays. Bas. Nous
obtenions la libre navigation de l'Escaut et l'ouverture de la navigation de la Meuse avec le tarif du Rhin.
La Hollande,
il est vrai, restait en possession des forts de Lillo et de Liefkenshoek, mais,
par contre, la Belgique
conservait, jusqu'au traité définitif, les districts du Limbourg et du
Luxembourg assignés à sa rivale. La clause relative à la cessation indéfinie
des hostilités nous donnait la faculté de réduire nos armements, autant que le
permettaient la situation de l'Europe et la nécessité de conserver notre
influence extérieure jusqu'au jour du traité définitif ; tandis que la Hollande restait seule
chargée du poids d'une dette énorme. Enfin, l'arrangement définitif n'était pas
perdu de vue, puisque toutes les parties s'engageaient à s'en occuper dans le
plus bref délai possible (Note de bas de page : V. le
rapport du ministre des Affaires étrangères (général Goblet), fait dans la
séance de la Chambre
des Représentants, le 14 Juin 1833, p. 13 (Bruxelles, Remy, 1833)).
(page 125)
En notifiant la convention du 21 Mai, les plénipotentiaires d'Angleterre et de
France prièrent le gouvernement belge de contracter, de son côté, l'engagement
de ne pas reprendre les hostilités contre la Hollande et de laisser
libres et sans entraves les communications entre la forteresse de Maestricht,
le Brabant septentrional et l'Allemagne.
Le général Goblet adhéra à ces conditions par une note
du 10 Juin ; mais, d'une part, il eut soin d'envisager la convention du 21 Mai
comme un commencement d'exécution du traité du 15 Novembre, de l'autre, il
déclara accepter l'armistice indéfini comme la confirmation de la suspension
d'armes illimitée, à laquelle la
Belgique avait souscrit en 1830. Cette attitude avait le
grand avantage de conserver intact le système diplomatique que le gouvernement
avait constamment suivi depuis les ratifications du traité des vingt-quatre
articles. Non seulement nous conservions tous les droits acquis par le traité,
mais nous évitions de contracter des obligations nouvelles (Ibid, p. 15 et suiv).
Quand on jette un regard en arrière, pour se rappeler
les inquiétudes causées par les ratifications incomplètes du traité du 15 Novembre,
on s'aperçoit que la diplomatie belge, tout en parcourant lentement une route
semée d'obstacles, n'en avait pas moins marché de progrès en progrès, jusqu'au
jour où l'Angleterre et la
France se décidèrent à recourir à la force. Le 4 Mai 1832,
les membres de la
Conférence de Londres, y compris les plénipotentiaires de la Russie, déclarent que les
vingt-quatre articles ont irrévocablement fixé l'indépendance, la neutralité
et les limites de la Belgique
(Voy. Ci-dessus, p 1). Le 11 Juin suivant, les
représentants des cinq puissances, y compris encore une fois les deux
plénipotentiaires russes, attachent à l'évacuation respective du territoire
toutes les conditions qui faisaient le fond de la politique belge (Ibid., p 7 et 8). Le 1er Octobre, les
envoyés des cinq cours, unanimes à blâmer la conduite de la Hollande, admettent tous
la nécessité des mesures coercitives et ne diffèrent plus que sur le choix des
moyens (Ibid. p 28). Un mois plus tard,
l'Europe absolutiste assistait sans coup férir au siége d'Anvers, au triomphe
des principes issus du mouvement révolutionnaire de 1830, à l'humiliation d'un
monarque de la
Sainte-Alliance.
Chapitre suivant