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2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes
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TOME 1
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303) Le 8 Juin 1832, le comte Félix de Mérode, ministre d'Etat, agissant
par ordre du roi, déposa sur le bureau de
Ce projet, en tant qu'il instituait un Ordre civil, devint aussitôt l’objet de critiques nombreuses. Les distributions impopulaires des décorations néerlandaises, surtout pendant les deux années qui précédèrent la révolution, avaient jeté sur les Ordres civils un discrédit mérité.
On y voyait la récompense de la servilité,
le salaire de l'intrigue, le prix de l'apostasie, la monnaie des corruptions électorales.
D'un autre côté, les principes d'égalité politique et civile, si largement
appliqués dans
(page
305) Bientôt surgit une objection plus grave: le projet fut attaqué comme
une atteinte directe à l'esprit et à la lettre de
L'article 76 du pacte fondamental charge le
roi de conférer les Ordres militaires, et l'article 78 porte que le chef de
l'État n'a d'autres pouvoirs que ceux qui lui sont attribués par
A l'appui de cette thèse, on invoquait les discussions du congrès national. Plusieurs membres de l'assemblée constituante avaient proposé d'accorder: au roi la faculté de conférer les Ordres civils et militaires. Or; le rapporteur de la section centrale avait repoussé cette prétention dans les termes suivants: « Des sections ont proposé d'attribuer au chef de l'État le droit de conférer les titres de noblesse et les Ordres civils et militaires. La section centrale a partagé l'avis de ces sections quant aux titres de noblesse, à la majorité de huit voix contre trois. Relativement aux Ordres de chevalerie, la section centrale a adopté, à l'unanimité, leur avis quant aux Ordres militaires, mais elle l'a rejeté, aussi à l'unanimité, quant aux Ordres civils. » A la suite de ce rapport, pas une voix ne s'était élevée au sein de l'assemblée pour demander la création d'un Ordre civil (Huyttens, t. II, p. 156).
Ces controverses, d'abord agitées dans les journaux, dans les cercles politiques et dans une foule de pamphlets, ne tardèrent pas à se reproduire à la tribune des Chambres.
Les sections de
Dans la séance du 29 Juin, M. Dumortier fit connaître le résultat des délibérations de la section centrale. Après de longs débats, la constitutionnalité d'un Ordre civil avait été admise par cinq voix contre deux. Un amendement, tendant à exclure les Belges de l'Ordre civil et à réserver celui-ci pour les diplomates étrangers, avait été écarté par trois voix contre trois. Ces deux points étant résolus, les autres controverses avaient promptement reçu leur solution. La section centrale proposait de substituer à la dénomination d'Ordre de l'Union, celle d'Ordre de Léopold. Pour le surplus, elle admettait le projet du gouvernement, en y ajoutant quelques restrictions destinées à prévenir les abus. D'une part, elle voulait que toute nomination eût lieu par un arrêté royal, indiquant les motifs et inséré textuellement au bulletin des lois; d'autre part, elle soumettait à la réélection les membres des Chambres décorés à un autre titre que pour services militaires.
La discussion s'ouvrit dans la séance du 2 Juillet. Dès son début, il devint évident que l'avis de la section centrale n'avait pas dissipé les préventions des adversaires de l'Ordre civil.
Persistant à envisager le projet comme
inconstitutionnel, M. Liedts s'écria qu'il ne voulait pas se souiller d'un
parjure. Rappelant les discussions de la section du Congrès national dont il
avait fait partie, il s'efforça de prouver que ses collègues et lui, en
formulant le texte de l'article 76 de
Le projet trouva des défenseurs habiles dans MM. de Mérode, de Gerlache et Nothomb. Le premier invoquait, d'une part les précédents historiques, de l'autre les faiblesses de l'âme et du cœur de l'homme, qui a besoin d'être provoqué par l'appât d'une récompense pour franchir les limites du dévouement ordinaire. Le second rappela que les décorations sont des signes, et rien de plus: signes glorieux, si elles sont données au vrai mérite; signes d'infamie, si elles sont le fruit de l'intrigue ou de honteux services; signes ridicules, si elles brillent sur la poitrine de la nullité prétentieuse, Le troisième fit ressortir le caractère peu rationnel d'un système qui perdait de vue tous les services civils, pour s'attacher uniquement aux services militaires: distinction d'autant moins admissible qu'elle serait aisément éludée dans un pays où une grande partie de la population fait partie de la garde civique.
Cependant ces arguments furent loin de triompher des résistances et des craintes des adversaires du projet. Après deux jours de discussions, un amendement de M. Leclercq, tendant à limiter la prérogative royale à la collation d'un Ordre militaire, fut adopté par 58 voix contre 55.
Mais le gouvernement ne se tint pas pour
battu. Plusieurs (page 308)
amendements introduits dans le projet rendaient nécessaire un deuxième vote, et
Ainsi, au sein de
L'institution reçut un accueil plus favorable au sein du Sénat. Un seul orateur, M. Lefebvre-Meuret, critiqua la création d'un Ordre civil comme inconstitutionnelle, inopportune et dangereuse. Cette voix isolée ne trouva point d'écho. Après un débat sans importance, le projet fut adopté par 52 voix contre 2.
Plus d'un homme sincèrement dévoué à la
cause nationale regretta ces votes, comme un premier pas en arrière vers les
traditions monarchiques de l'ancien régime. Ces craintes étaient exagérées.
Sans doute, les Ordres civils donnent lieu à des abus; mais quelle est
l'institution humaine qui en soit exempte? Dans un pays où la presse est libre
et où la vie politique a pour infaillible effet de placer deux partis en
présence, la partialité des ministres trouve dans la surveillance jalouse et
incessante de l'opposition un correctif, sinon toujours efficace, au moins
toujours présent et redoutable. Instituer un Ordre militaire et proscrire
l'Ordre civil, c'eût été se rendre coupable à la fois d'injustice et
d'inconséquence. Le courage civil exige des qualités qui l'égalent au courage
militaire. Si les services rendus par l'homme de guerre sont dignes d'être
constatés par des signes extérieurs, de quel droit proscrirait-on ces mêmes
signes de la poitrine de J'homme d'État qui veille au salut de ses
compatriotes, de l'administrateur qui développe les sources de la prospérité
nationale, du magistrat qui se distingue dans l'accomplissement de ses nobles
fonctions, du savant qui illustre sa patrie? A cet égard le comte de Mérode
disait avec autant d'éloquence que de raison; « Il est bon d’accoutumer
les hommes à considérer autre chose que ces actions éclatantes dont les yeux du
vulgaire sont facilement éblouis. Le militaire, vainqueur du bon droit,
instrument passif d'une hideuse (page
309) oppression, a risqué sa vie clans les combats comme le soldat de la
liberté; il porte sur sa poitrine la décoration du brave. Et dans un pays libre
on aurait l'imprudence de n'accorder ces marques distinctives qu'à la valeur et
aux talents militaires! Le médecin, le magistrat, qui exposent avec
désintéressement leur santé, leur vie même, qui s'épuisent de fatigue au milieu
des ravages d'une épidémie; l'ouvrier qui arrache aux entrailles de la terre de
nombreux infortunés destinés à périr, ne jouiront jamais d'un privilége
exclusivement réservé à l'uniforme! Le riche industriel, le propriétaire, qui
consacrent une part de leur fortune et de leur temps au soulagement de la
misère, à l'administration gratuite des établissements publics, le savant,
l'artiste, ne participeraient point à l'émulation, qu'il conviendrait
d'entretenir dans les rangs de l'armée ! » (Moniteur du 5 Juillet) Il
fallait ou admettre un Ordre civil, ou rejeter en même temps l'Ordre civil et
l'Ordre militaire; c'est-à-dire, qu'il eût fallu priver la royauté belge d'un moyen
de prestige et d'action que possèdent toutes les autres monarchies européennes.
Quant au reproche d'inconstitutionnalité adressé au projet, il était évidemment
mal fondé, L'article 76, il est vrai, ne range pas au nombre des prérogatives
royales celle de conférer les Ordres civils; il est même certain que
l'institution de ces Ordres n'entrait pas dans les vues des membres de la
section centrale du Congrès national; mais, par contre, on cherche en vain dans
Quoi qu'il en soit, la loi instituant
l'Ordre civil et militaire de Léopold fut promulguée le 11 Juillet 1832. Un
arrêté royal du 9 Août suivant détermina la forme des insignes (Note de bas de
page : Art. 1er. Il est créé un Ordre
national destiné à récompenser les services rendus à la patrie. Il porte le
titre d'Ordre de Léopold. - Art. 2. Le roi est grand maître de l'Ordre.- Art.
La loi du 28 Décembre
Arrêté royal du 9 Août 1832 : Art. 1er. La décoration
de l'Ordre consistera en une croix blanche émaillée, portant une guirlande de
laurier et de chêne entre chacune des quatre branches, et ayant d'un côté, au
milieu, un écusson noir émaillé entouré d'un cercle rouge entre deux petits
cercles en or, avec le chiffre du roi composé de deux L. L. et deux R. R. et au
revers les armes du royaume, avec la devise prescrite par la loi, en lettres
d'or, en exergue; le tout surmonté d'une couronne royale. - Art. 2. Le ruban
sera ponceau moiré).