« La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes
d’histoire contemporaine », par J.J. THONISSEN
2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters,
1861, 3 tomes
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TOME 1
CHAPITRE VII - LE TRAITÉ DU 15 NOVEMBRE. LES
RATIFICATIONS. LE SYSTÈME DE PERSÉVÉRANCE (Novembre 1831 - Mai 1832)
7. 1. L’adhésion de la Belgique
(page
215) Avant de souscrire aux vingt-quatre articles, le ministère belge,
fidèle aux engagements pris envers les Chambres, chargea son plénipotentiaire
de faire une dernière démarche auprès des représentants des cinq puissances.
Le 12 Novembre, M. Van de Weyer remit à la Conférence deux notes
tendant à obtenir des modifications au protocole du 14 Octobre, sous le triple
rapport des limites, des dettes et de la navigation (Note de bas de page :
En prenant pour base de ses
opérations financières les tableaux fournis par les plénipotentiaires
hollandais, la Conférence
avait déclaré qu'elle se réservait le droit d'effectuer un changement
proportionnel dans ses calculs, si les tableaux renfermaient des inexactitudes
essentielles. M. Van de Weyer se prévalait de cette déclaration pour demander
que la Belgique
fût admise à discuter ce point contradictoirement. Quant à la ligne des
frontières, il témoigna le désir de la voir rectifier partout où, selon le
tracé adopté par les vingt-quatre articles, il fallait séparer les usines
métallurgiques du minerai nécessaire à leur exploitation. Il réclamait encore
pour les habitants des deux parties du Luxembourg le libre accès à la Moselle et la navigation
de cette rivière, etc. (V. Papers relative to the affairs of
Belgium, A, p. 158. Recueil
de pièces diplomatiques, t. II, p. 129 à 134 ).- Déjà plusieurs tentatives verbales
avaient été faites dans le même sens auprès de lord Palmerston et du prince de
Talleyrand (V. Le dernier des protocoles, par un diplomate français, p. 150)).
La Conférence
fut inflexible. Par une note du même jour, elle répondit que « ni le fond ni la
lettre des vingt-quatre articles ne pouvaient désormais subir de modification,
et qu'il n'était plus même au pouvoir des cinq puissances d'en consentir une
seule (Note de bas de page : Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 161. Dans son Mémoire du
4 Janvier 1832, cité ci-après, la
Conférence avoue cependant elle-même que des erreurs graves
avaient été commises au détriment de la Belgique. Elle y
déclare que la part de la
Belgique ne se montait en nombres ronds qu'à la somme
annuelle de 5,800,000 florins. Nous copions textuellement la phrase suivante: «
Cette somme a été élevée à 8,400,000 florins; Toute la différence de 2,600,000
florins de rente annuelle allége donc d'autant le fardeau de l'ancienne dette
hollandaise." On le voit: l'aveu est on ne peut plus formel !))
(page
216) Repoussé de ce côté, M. Van de Weyer, se conformant toujours aux
instructions qu'il avait reçues, essaya d'obtenir au moins l'assurance que le
roi des Belges serait immédiatement reconnu. Il demanda que, par un acte
séparé, les vingt-quatre articles reçussent la forme et la sanction d'un traité
définitif entre les cinq puissances et le roi des Belges, afin que la Belgique et son souverain
pussent immédiatement prendre place dans le cercle des gouvernements reconnus (Note du 14 Décembre 1831 (Papers
relative to the affairs of Belgium, A, p.162)).
Cette dernière demande fut accueillie sans
rencontrer une seule objection. Dès lors il ne restait plus qu'à céder à la
force. Le 15 Novembre 1815, le sacrifice s'accomplit.
L'adhésion de la Belgique se fit en termes
empreints d'une noble douleur. Les ministres avaient compris que leur dignité
personnelle, aussi bien que l'honneur national, leur prescrivait de décliner, à
la face de l'Europe, les raisons qui avaient triomphé de leurs résistances.
« Le soussigné, disait M. Van de Weyer, en
transmettant à Leurs Excellences les plénipotentiaires des cinq cours
l'adhésion de Sa Majesté le roi des Belges aux vingt-quatre articles, ajoutera
qu'il a reçu du roi les ordres les plus positifs pour exprimer à la Conférence, que Sa
Majesté considère qu'il est de son devoir et de sa dignité de déclarer, de la
manière la plus formelle, d'abord que Sa Majesté avait lieu d'attendre des bases
beaucoup plus favorables, et, en second lieu, que jamais ces conditions de
séparation n'eussent obtenu son adhésion, si la Conférence n'eût pas
annoncé qu'elles étaient finales et irrévocables, et que les cinq puissances
étaient d'un commun accord résolues à en amener elles-mêmes l'acceptation
pleine et entière et à user de tous les moyens en leur pouvoir pour obtenir
l’assentiment de la
Belgique. - Sa Majesté, désirant épargner à son. peuple tous
les malheurs qu'entraînerait à sa suite l'exécution forcée de ces vingt-quatre
articles, et ne voulant pas exposer l'Europe à une guerre générale, cède à la
loi impérieuse de la (page 217) ,
adhère aux conditions dures et onéreuses qui sont imposées à la Belgique par la Conférence de Londres.
Il a fallu toutes ces considérations; il a fallu enfin une force majeure, à
laquelle rien ne saurait résister, pour que Sa Majesté pût se résigner à
abandonner des populations généreuses, qui l'ont saluée à son avénement comme
leur libérateur et leur soutien, et qui, pendant quinze mois, se sont imposé
toutes les privations et ont montré un dévouement à toute épreuve pour le
soutien d'une cause et d'un État dont une nécessité cruelle leur impose la loi
de ne plus faire partie. Sa Majesté fait à la paix générale et au bonheur du
peuple belge le sacrifice de ses affections et de ses droits les plus
incontestables » (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 137 et 138 -
Papers relative to the affairs of Belgiun, A, p. 162).
Le traité fut conclu le 15 Novembre. Après
avoir littéralement reproduit les vingt-quatre articles, cet acte important se
terminait par les dispositions suivantes:
« Art. 25. Les cours d'Autriche, de France,
de la Grande-Bretagne,
» de Prusse et de Russie garantissent à S. M. le roi des Belges l'exécution de
tous les articles qui précèdent.
« Art. 26. A la suite des
stipulations du présent traité, il y aura paix et amitié entre S.M. le roi des
Belges d'une part, et Leurs Majestés l'empereur d'Autriche, le roi des
Français, le roi du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et
d'Irlande, le roi de Prusse et l'empereur de toutes les Russies de l'autre
part, leurs héritiers et successeurs, leurs États et sujets respectifs, à
perpétuité.
« Art. 27. Le présent traité sera
ratifié et les ratifications en seront échangées à Londres, dans le terme de
deux mois, ou plus tôt si faire se peut »
Le roi des Belges était ainsi formellement
reconnu par les grandes puissances. L'indépendance, le territoire et la
neutralité de la Belgique
se trouvaient garantis par l'Europe. Il ne restait plus qu'à opérer l'échange
des ratifications du traité.
7.2. Le retard apporté à l’échange des ratifications
La Belgique pouvait et devait attendre cet échange
avec une confiance entière. Ce n'était pas elle, c'était l'Europe qui avait
dicté les conditions qu'on venait de convertir en traité définitif. Comment
soupçonner (page 218) l’ajournement
d’une ratification pure et simple, alors que les plénipotentiaires des cinq
cours se déclaraient eux-mêmes impuissants à consentir à une seule
modification ? A Londres et à Bruxelles, on n’y voyait qu’une formalité
diplomatique. Dans un rapport fait aux Chambres le 19 Novembre, M. de
Meulenaere avait eu raison de dire : « Le traité a été conclu par des
ministres munis de pleins pouvoirs, qui ont été échangés et trouvés en bonne et
due forme, l’échange des ratifications et la ratification elle-même ne sont
plus que de simples formalités diplomatiques. Le traité est dès à présent
définitif et irrévocable. »
Cependant les deux mois fixés pour l'échange
des ratifications s’écoulèrent sans amener le résultat désiré. De commun
accord, le terme fut prorogé jusqu’au 31 Janvier 1832 (Note de bas de
page : La négociation
principale s'était compliquée par la question des forteresses, dont nous
parlerons dans un chapitre suivant. Tous les plénipotentiaires, y compris M.
Van de Weyer, consentirent à la prorogation (V. le protocole du 11 Janvier
1832. - Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 189)).
Lorsque, à cette dernière date, les
plénipotentiaires d'Angleterre et de France proposèrent l'échange des
ratifications à leurs collègues d'Autriche, de Prusse et de Russie, ceux-ci
répondirent qu'ils n'avaient pas encore reçu les ordres définitifs de leurs
cours. La prorogation du terme avait donc été infructueuse, et la question
prenait ainsi une face nouvelle et imprévue dont l'importance ne pouvait
échapper à l'attention des gouvernements de France et d'Angleterre. Depuis
plusieurs jours, la presse antiministérielle de Paris et de Londres faisait de
cet ajournement l'objet d'un débat passionné. Déjà l'absence de ratification à
la date du 15 Janvier, terme extrême fixé par le traité du 15 Novembre, avait
vivement alarmé tous les amis des Belges. On disait hautement que les ministres
français et anglais, cédant aux sollicitations de l'absolutisme, allaient
imposer de nouveaux sacrifices au peuple belge, pour le punir de s'être doté
d'un gouvernement indépendant et libéral. A Bruxelles, les feuilles de
l'opposition ébranlaient le cabinet, en publiant de longues tirades sur la perfidie
des monarques absolus, les manœuvres des diplomates et la faiblesse des
ministres. Il est évident que, dans cet état de choses, les plénipotentiaires
de France et d'Angleterre né pouvaient consentir à proroger, encore une fois,
le délai fixé. Ils procédèrent séance tenante à l'échange des ratifications
avec (page 219) M. Van de Weyer,
tout en déclarant que le protocole resterait ouvert pour leurs collègues des
autres cours. Ils ne voulaient pas, disaient-ils, qu'un nouvel ajournement vînt
jeter des doutes sur la loyauté de leurs intentions et propager des
incertitudes propres à compromettre la paix générale (Note de bas de
page : Protocole du 31
Janvier 1832. Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 190. - M. Van de
Weyer consentit à ce que le protocole restât ouvert).
Le 5 Avril, lord Palmerston et le prince de
Talleyrand firent une nouvelle démarche auprès de leurs collègues d'Autriche,
de Prusse et de Russie. Ceux-ci répondirent qu'ils attendaient toujours les
ordres de leurs cours ! (Note
de bas de page : Protocole du 5 Avril 1832. Papers relative to the affairs
of Belgium, A, p. 191).
On devine sans peine les embarras, les
récriminations et les outrages dont ces retards devenaient la source,
non-seulement pour nos ministres, mais aussi pour tous les membres des deux
Chambres qui avaient voté l'adoption du protocole du 14 Octobre. En donnant
leur assentiment aux vingt-quatre articles, ils avaient agi dans la ferme
persuasion que le roi Léopold serait immédiatement reconnu. Or, après plusieurs
mois de négociations et de démarches pressantes, la reconnaissance se faisait
toujours désirer. Ces ajournements successifs, qu'ils n'avaient pas prévus,
qu'ils ne pouvaient pas prévoir, étaient imputés à crime à tous les partisans
du traité. Au sein des Chambres comme dans les colonnes des journaux, on leur reprochait
amèrement la confiance qu'ils avaient accordée aux promesses de la diplomatie
européenne.
La Belgique pouvait se plaindre à juste titre; mais
il ne faut pas cependant s'exagérer les torts de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie. Ces puissances
désiraient franchement que le traité des vingt-quatre articles reçût son
entière exécution; mais, fidèles aux traditions monarchiques et voulant au
moins sauver les apparences, elles désiraient tout aussi vivement que
l'initiative partît de La Haye, Pendant que leurs plénipotentiaires retardaient
l'échange des ratifications au sein de la Conférence de Londres, d'autres négociateurs se
livraient à des démarches actives auprès de Guillaume ler pour obtenir
l'assentiment préalable de ce prince. Tout en admettant que désormais le
maintien du royaume des Pays-Bas était impossible, les trois cours désiraient
s'éviter le reproche d'avoir elles-mêmes dépouil1é leur allié des trois quarts
de ses États (Note de bas de page : Les membres de la Conférence de Londres avaient constamment
manifesté de grands
égards pour les susceptibilités du gouvernement hollandais. Aussitôt qu'ils
furent informés de l'assentiment du gouvernement belge, ils offrirent aux
plénipotentiaires hollandais l'initiative de la signature des vingt-quatre
articles. « La Conférence
de Londres, disaient-ils, attacherait le plus haut prix à voir Messieurs les
plénipotentiaires des Pays-Bas accepter l'initiative de la signature qu'elle
s'empresse de leur offrir." (Papers relative to the affairs of Belgium, A,
p. 161)).
7.3. Le « Système de persévérance »
(page
220) Malheureusement, avec le caractère inflexible de Guillaume 1er, ce
calcul était chimérique. Pendant que les diplomates des cours du nord
prodiguaient les conseils et les instances, le monarque hollandais, déjouant
toutes les prévisions de la
Conférence et des Belges, inventa son célèbre Système de Persévérance, dont les suites
furent si funestes à la Hollande.
Guillaume avait commis de déplorables
erreurs; mais, ayant toujours agi avec des intentions droites et pures, la voix
de sa conscience ne lui indiquait aucun motif de sacrifier les droits de sa
maison aux exigences de ceux qu'il appelait des rebelles égarés. Nourri des
doctrines politiques d'un autre âge, il ne comprenait ni les causes, ni la
portée, ni les conséquences inévitables des mouvements révolutionnaires de
1830. Abandonné par les monarques de la Sainte-Alliance,
contraint de renoncer à l'emploi de la force, il prit pour système d'opposer
une résistance à la fois passive et opiniâtre à tout acte tendant à dépouiller
sa couronne des belles provinces que les traités de 1815, avaient unies à la Hollande.
Après l'adoption des vingt-quatre articles
par la Belgique,
ce système de résistance à tout prix devint manifeste. L'esprit du roi le
rendait éminemment propre à ce rôle. Sans être doué d'une intelligence hors
ligne, Guillaume 1er possédait au plus haut degré l'art de trouver et
d'échelonner des moyens dilatoires. Son caractère inflexible se raidissait
contre les obstacles. Les conseils, les raisons, les prières et les menaces
étaient également impuissants à le faire revenir sur ses pas, alors surtout que
ses prérogatives royales ou ses intérêts dynastiques se trouvaient en cause.
Élevé dans les traditions monarchiques, allié par lui-même et par les siens aux
premières familles souveraines de l'Europe, il ne comprenait pas que
l'Autriche, la Prusse
et la Russie
pussent s'unir à l'Angleterre et à la
France pour raffermir le trône révolutionnaire de Bruxelles.
Étranger à l'esprit de son siècle, il ne voyait que des erreurs passagères dans
le (page 221) système que les vœux
de l'opinion publique, la faiblesse des gouvernements absolus, la lassitude des
esprits et la crainte de la guerre avaient fait prévaloir à Londres.
Admirablement servi par sa diplomatie, il opposait l'adresse à la force, la
ruse au droit, le sophisme à la raison, la chicane aux chiffres. Un homme qui,
pendant vingt-cinq années, a vécu dans l'intimité du roi, le comte Van der Duyn
de Maasdam, au sortir d'une audience où les vingt-quatre articles avaient fait
le sujet de l'entretien, écrivit sur ses tablettes: « Délayer, finasser, et
puis comme un mur! Impossible de le faire revenir sur rien et de déplacer une
idée dans cette tête de fer.» A part l'inconvenance du langage, le portrait est
fidèle (Notices et souvenirs biographiques, etc., p. 252).
Jugé par ses résultats, le système de
persévérance a été l'objet de critiques aussi acerbes que dédaigneuses. Il
était loin cependant d'être absurde et ridicule, au moment où Guillaume le mit
en pratique. Les seuls gouvernements sympathiques aux Belges étaient la France et l'Angleterre. Or,
dans les calculs et les prévisions du monarque néerlandais, trois événements
étaient, sinon inévitables, au moins dans l'ordre des probabilités ordinaires:
l'avénement d'un ministère tory à Londres, le succès d'une révolution
républicaine à Paris, et par suite une nouvelle coalition européenne contre la France. Ces espérances
étaient des illusions; mais les faits postérieurs, et surtout la facilité avec
laquel1e le trône de Juillet a disparu de la scène, suffisent pour prouver que
ces illusions pouvaient, en 1831 , germer dans la tête d'un homme d'État. En
Angleterre, le triomphe des whigs était loin d'être définitif; en France,
l'opposition orageuse des Chambres, les troubles de l'Ouest et les conspirations
incessantes des républicains autorisaient les doutes sur la stabilité de la
loyauté nouvelle.
La guerre, il est vrai, pouvait amener le
soulèvement de l'Allemagne et de l'Italie, le réveil des peuples, le triomphe
de la France
et l'incorporation de la
Belgique à une seconde République. Mais ce danger n'était pas
de nature à faire fléchir la ténacité de Guillaume. Aux appréhensions de ses
serviteurs les plus dévoués, il répondait invariablement: « Je vous accorde le
danger de voir la Belgique
conquise par la France...
Ne peut-elle pas être reprise? Ne l'avons-nous pas vu à
Waterloo? » (Notices et souvenirs biographiques, etc., p. 264). Ajoutons que
cette résistance inflexible (page 222)
offrait un caractère de dignité, une apparence de grandeur qui devait sourire
au descendant du Taciturne. Quand l'esprit de révolte ébranlait tous les
trônes; quand les monarques de la Sainte-Alliance, naguère les maîtres absolus de
l'Europe, commençaient à trembler en face de leurs peuples frémissants, le roi
des Pays-Bas, l'un des derniers venus dans la famille des têtes couronnées,
restait invariablement fidèle à la glorieuse devise de sa famille: «.Je
maintiendrai!» A cette résistance systématique, qui formait le fond de la
pensée du roi, ses ministres joignaient une attitude adroitement calculée pour
s'attirer les sympathies de la nation hollandaise. Pendant que tous ses vœux et
tous ses efforts tendaient à une restauration pure et simple, le cabinet de La
Haye affectait de repousser les propositions de la Conférence par le seul
motif d'une prétendue atteinte aux intérêts, aux droits, à la dignité, à
l'indépendance de Hollande. Les ministres ne voulaient pas, disaient-ils, que
la révolte vînt dicter des conditions déshonorantes au peuple des provinces. .
Cette tactique dénotait une habileté peu
commune. Dans les arrangements territoriaux et financiers de la Conférence de Londres,
tous les avantages étaient du côté de la Hollande, tous les sacrifices du côté de la Belgique. Loin de
sacrifier la plus faible partie de son territoire, la Hollande acquérait
plusieurs districts qu'elle n'avait jamais possédés.
La Belgique, outre la perte du dixième de son
territoire, était grevée d'une partie considérable de l'ancienne dette
hollandaise. Privée du commerce des colonies, exclue du partage de la flotte
construite à frais communs, elle devenait encore la tributaire de sa rivale!
Pour que le peuple hollandais ne se contentât pas de ces avantages manifestes,
il fallait lui parler d'honneur compromis, de dignité méconnue, d'existence
nationale menacée, d'humiliations imposées au glorieux drapeau de la patrie.
Les ministres de La Haye connaissaient la légitime fierté de leurs
compatriotes; ils savaient qu'il suffisait de faire vibrer certaines cordes
pour surexciter le patriotisme et s'attirer les sympathies chaleureuses et
unanimes de .la nation. Avouer qu'on nourrissait toujours l'espoir de ressaisir
la Belgique,
c'eût été s'exposer aux murmures des contribuables. M. Verstolk et ses
collègues eurent le talent de faire peser sur la Conférence la responsabilité
d'un retard uniquement imputable à l'attitude hautaine de leurs représentants à
Londres.
(page
223) L'article IX du traité du 15 Novembre garantissait aux Belges la
navigation de l'Escaut et celle des eaux intermédiaires entre ce fleuve et le
Rhin. L'article XII leur accordait, outre le libre passage par Maestricht et
Sittard, la faculté de prolonger une route ou un canal à travers le Limbourg
hollandais jusqu'aux frontières de l'Allemagne. L'article XIII, qui prescrivait
la liquidation du syndicat d'amortissement, admettait les Belges au partage
éventuel de l'actif de cette institution, tout en les dispensant de contribuer
à ses dettes.
Ces trois points furent exploités avec autant
d'adresse que de persévérance.
Pour les ministres, les diplomates et les
journalistes de la Hollande,
la navigation des eaux intermédiaires entre le Rhin et l'Escaut devint le sujet
d'un thème inépuisable. Assurer à une nation étrangère la copropriété des eaux
intérieures de la Hollande,
c'était, disait-on, démembrer la souveraineté de celle-ci au profit des
rebelles; c'était infliger au peuple fidèle un outrage jusque-là sans exemple
dans l'histoire.
L'Europe perdait de vue les glorieuses
traditions de la Néerlande;
elle dépouillait les habitants des Provinces-Unies de leurs prérogatives de
nation souveraine, si chèrement conquises par leurs ancêtres; elle abusait
lâchement de la force pour imposer aux provinces septentrionales des Pays-Bas
une concession attentatoire à l'honneur national; elle sacrifiait aux exigences
des rebelles les droits et les intérêts d'un pays qui n'avait pas abaissé sa
bannière devant les armées de l'Espagne, les flottes de l'Angleterre et les
régiments de Louis XIV. La mort était préférable à cette flétrissure! Toute
l'Europe retentit des cris d'indignation poussés par le cabinet de La Haye.
Ces plaintes bruyantes, nous le verrons,
manquaient de base; mais, exploitées avec une habileté persévérante, elles
produisirent une sensation profonde, non-seulement en Hollande, mais encore en
Allemagne et en Angleterre. Dans ce dernier pays, la question des eaux
intérieures de la Hollande
figurait à toutes les pages des journaux de l'opposition. Oubliant que les
vingt-quatre articles accordaient aux Hollandais des avantages nombreux et
considérables, on accusait le ministère Grey d'avoir perfidement écarté les
premières bases de séparation. On imputait à la Conférence le crime
d'avoir violé des engagements solennels, à l'instigation du ministère anglais
et à la honte de la
Grande-Bretagne (Note de bas de page : Ces accusations passionnées ont été
recueillies dans un pamphlet curieux: A brief Exposition of the British Foreign Policy towards
Holland; in reply to the recent (uncalled for) JUSTIFICATION. By T. O. D.
London, W. Molineux, 1853. A
cette occasion M. Van de Weyer a dit avec beaucoup d'esprit; « Toute l'Europe a
retenti des cris d'indignation factice poussés par le cabinet de La Haye contre
la clause relative à la navigation des eaux intérieures. C'était une clause
inouïe, monstrueuse, et qui remplissait d'une diplomatique horreur les
adversaires du ministère Grey. Pendant six mois, et plus, l'opposition a vécu sur ces eaux intérieures; elle s'y
plongeait avec délices, dans l'espoir d'y entraîner le cabinet réformateur et
de l'y noyer de ses belles mains. " (La Hollande et la Conférence, p. 53.)
(page
224) En réalité, cette indignation tumultueuse s'appuyait sur un grief
imaginaire. Le système de navigation consacré par les vingt-quatre articles
était très-inoffensif. Les États riverains du Rhin avaient récemment conclu
avec la Hollande
un traité relatif à la navigation de ce fleuve. Or, par un protocole signé à
Mayence le 30 Mars 1831, ils s'étaient expressément réservé la faculté de
communiquer avec Anvers et la
Belgique par les eaux intermédiaires. Que fit la Conférence? En échange
d'une dette de plusieurs millions de florins de rente, elle imposa à la Hollande l'obligation
d'étendre à la Belgique
un avantage déjà concédé à tous les États riverains du Rhin. Les stipulations
de la Conférence
n'étaient donc pas sans exemple, puisque l'exemple se trouvait sous la main.
Six mois auparavant, la Prusse,
la France, la Bavière, le Grand-Duché de
Bade, la Hese
Grand-Ducale et le Duché de Nassau avaient réclamé le même
privilège, sans soupçonner en aucune manière que cette demande impliquât
l'anéantissement de l'indépendance de la Hollande. La clause
qu’on invoquait tant d'indignation n'était au fond que l'application loyale du
principe introduit dans le droit des gens par l'acte général du Congrès de
Vienne, qui avait proclamé la libre navigation des rivières, du point où elles
deviennent navigables jusqu'à leur embouchure. La seule innovation véritable
consistait dans le droit accordé à la Belgique de concourir au pilotage, au balisage et
à l'entretien des passes de l'Escaut en aval d'Anvers. Mais, d'une part, la Hollande avait plusieurs
fois parlé de la fermeture de l'Escaut; d'autre part, la Conférence avait été
avertie que, faute d'entretien des balises, la navigation des passes de ce
fleuve commençait à devenir difficile et même dangereuse. Il fallait donc
prendre ici des précautions spéciales et extraordinaires. Le repos des deux
peuples et les intérêts du commerce universel l'exigeaient à l'évidence.
(page
225) On ne doit. pas prêter plus d'attention aux récriminations qui
surgirent à l'occasion de la route et du canal que les Belges étaient autorisés
à construire sur la rive droite de la
Meuse, il travers le canton de Sittard. Non-seulement les
vingt-quatre articles attribuaient à la Hollande, sur la rive droite, un territoire
considérable qu'elle n'avait jamais possédé, mais encore, par le fait même de
cette attribution, les habitants du Limbourg belge étaient privés de la libre
communication avec l'Allemagne dont ils jouissaient depuis des siècles.
En offrant à la Hollande les districts de
la rive droite de la Meuse
qui ne lui appartenaient pas en 1790, la Conférence aurait commis une injustice révoltante
si, en détachant ces districts de la Belgique, elle avait de plus privé celle-ci de
tous les moyens de communication et de commerce qu'ils lui offraient avec les
provinces riveraines du Rhin.
En échange de quatre villes et de cent
quarante-six villages enlevés aux Belges, on concédait à ceux-ci le droit de
construire une route ou de creuser un canal sur le territoire dont on les
dépouillait. Évidemment il n'y avait pas là de quoi légitimer cette
indignation, ces reproches et ces plaintes. On peut en dire autant du droit de
transit par Maestricht. Ce passage n'infirmait en aucune manière les mesures de
défense et de sécurité applicables aux forteresses, Strasbourg, Metz, Mayence,
Lille, Coblence, Erfurt, Magdebourg et cent autres places fortes sont
traversées par des routes ouvertes au commerce, sans que les puissances
auxquelles ces forteresses appartiennent aient cru leur sécurité compromise. La Conférence n'entendait
pas priver la Hollande
du droit de fermer Maestricht en temps de guerre; car la guerre constitue un
cas d'empêchement majeur qui a toujours été excepté. C'était même en vue de
cette éventualité que la libre communication par Sittard avait été stipulée en
même temps que le transit par Maestricht.
Les plaintes provoquées par ]a clause
relative au syndicat d'amortissement n'étaient pas mieux fondées. Dans les
tableaux fournis par les plénipotentiaires hollandais, figuraient des emprunts
contractés par le syndicat. Ces emprunts, qui constituaient le passif de
l'institution, avaient été compris dans les 8,400,000 florins de rente imposés
à la Belgique. Les
diplomates hollandais disaient: « En principe, il est impossible de se
représenter une liquidation comme profitable à l'une des parties et onéreuse à
l'autre, Une semblable stipulation est contraire à l'essence de toute
liquidation.» En thèse générale, le (page
226) raisonnement était fondé, mais, dans les circonstances actuelles, il
n'était qu'un sophisme. La
Belgique étant déjà grevée de sa part dans le passif, il ne
restait plus qu'à partager l'actif (Note de bas de page : La Conférence répondit victorieusement à toutes les objections. V. le
Memorandum du 4 Janvier 1832. Papers relative to the affairs of Belgium, A, p.
175..Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 175).
Mais une prétention bien plus extraordinaire
fut mise en avant. Renversant brusquement la base de tous les travaux de la Conférence, et cela au
bout de seize mois de négociations, les ministres hollandais chargèrent leurs
plénipotentiaires de déclarer que, jusque-là, ils n'avaient jamais attribué à
l'indépendance de la Belgique
un autre sens que celui d'une indépendance administrative. La question de la
souveraineté politique était restée intacte!
Il est vrai que les représentants de la
politique hollandaise à Londres, pas plus que les membres du cabinet de La
Haye, n'avaient jamais reconnu en termes explicites l'indépendance politique de
la Belgique. Bien
plus, à diverses reprises, ils avaient mis en réserve les droits de
souveraineté de la maison d'Orange. Mais ces réserves avaient été implicitement
annulées dans le cours des. négociations. En consentant à la dissolution du
royaume des -Bas, en débattant le partage de la dette et du territoire, en
réclamant la fermeture de l'Escaut et la résurrection du traité de Munster, en
laissant passer sans protestation des protocoles où les plénipotentiaires des
cinq cours s'occupaient de la recherche des conditions à imposer au futur
souverain de la Belgique,
en répondant officiellement à des notes remises par le plénipotentiaire belge
après l'avénement du roi Léopold, les ministres néerlandais s'étaient
évidemment placés sur un terrain bien plus large que celui de la séparation
administrative des provinces méridionales. Après seize mois de négociations
laborieuses, c'était ramener la question à son point de départ (Note de bas de
page : Déjà le 10 Juillet 1831, M. Verstolck de
Soelen avait produit cette prétention dans un Mémoire en réponse aux dix-huit
articles. Le ministre y disait que, si le roi voulait consentir à
l'indépendance politique de la
Belgique, ce ne serait que moyennant de justes équivalents
(Recueil de pièces diplomatiques, t. l, p. 258). - Après l'adoption des
vingt-quatre articles par la
Belgique, le cabinet de La Haye invoqua l'appui de l'empereur
de Russie pour faire prévaloir cette interprétation nouvelle. En réponse, la
chancellerie russe envoya à La Haye un long Mémoire, résumant, en quelque sorte
jour par jour, les actes de la
Conférence et les déclarations du gouvernement hollandais. La
conclusion de ce travail, fait avec un soin extrême, était que la prétention du
ministère hollandais se trouvait « en opposition manifeste avec les faits ainsi
qu'avec la lettre et l'esprit des déclarations émises de sa part, soit à la Conférence de Londres,
soit à l'assemblée des États Généraux de Hollande. » (V.
Papers relative to the affairs of Belgium, B, 2, p. 63). Le Mémoire russe forme douze pages
in-folio du recueil anglais)
(page
227) Du reste, toutes ces prétentions étaient la suite naturelle de
l'attitude que le roi Guillaume et ses ministres avaient adoptée depuis la
reprise du débat diplomatique.
7. 4. Le refus hollandais de ratifier le traité des
24 articles
Pour l'observateur intelligent, le doute
devint impossible lorsque, par une note du 30 Janvier 1852, le gouvernement de
La Haye transmit à la
Conférence un contre-projet de traité élaboré dans le cabinet
du roi. Tout en se maintenant dans les bornes d'une séparation simplement
administrative, le ministère hollandais réclamait cette fois tout le duché de
Luxembourg et toute la province de Limbourg, moins le canton de Tongres et
l'arrondissement de Hasselt; encore défalquait-il de cet arrondissement la
commune populeuse de Lommel. Il exigeait en outre la capitalisation des
8,400,000 fi. de rente imposés aux Belges, d'après le cours moyen de la dette
au mois de Juillet 1830. Il retranchait les articles relatifs aux eaux
intérieures et au passage commercial par le Limbourg, sur la rive droite de la Meuse. Il proposait
d'assimiler la navigation de l'Escaut à celle du Rhin, en privant la Belgique du droit
d'intervenir dans le pilotage et le balisage du fleuve. Il demandait que la
liquidation du syndicat d'amortissement n'eût lieu qu'à titre d’opération
d'ordre, sans qu'il pût en résulter une charge nouvelle pour la Hollande. Quant à
l'indépendance politique des Pays-Bas méridionaux, il n'en était guère
question. On le voit, c'était à peu près le système déjà produit le 5 Septembre
1831 et rejeté par la
Conférence ((Note de bas de page : V. ci.dessus, p. 172 et suiv.- Le
projet hollandais du 30 Janvier se trouve dans les Papers relative to the
affairs of Belgium , A , p. 206).
Le 31 Janvier 1832 était le jour fixé pour
l'échange des ratifications.
En faisant ces propositions la veille de
l'expiration du terme, la
Hollande, déjà assurée d'obtenir un délai de la part de
l'Autriche, de la Prusse
et de la Russie,
se flattait de pousser au même parti les deux autres pays représentés à la Conférence. On le
sait déjà, cette tactique adroite fut complétement déjouée. Les représentants
de la France
et de l'Angleterre passèrent outre, en laissant le protocole ouvert pour leurs
collègues des autres cours.
(page
228) Il serait fastidieux d'analyser les notes, les circulaires et les
propositions qui furent produites dans le cours des négociations. Conseils,
instances, prières, menaces, tout vint échouer contre l'inflexibilité réfléchie
de Guillaume 1er et de ses ministres. De temps à autre, on manifestait des
idées conciliantes, on se montrait disposé à faire des concessions; mais
bientôt après on en revenait énergiquement au système de persévérance. Poussé
dans ses derniers retranchements, Guillaume Ier répondait invariablement qu'on
avait violé à son préjudice les bases de séparation admises par le protocole du
20 Janvier 1831 (1). .
Cependant les semaines et les mois
s'écoulaient, et M. Van de Weyer ne cessait de réclamer des plénipotentiaires
d'Autriche, de Prusse et de Russie l'échange des ratifications du traité du 15
Novembre. Cet état d'incertitude devait avoir un terme.
L'Autriche et les deux cours du Nord, mieux
informées de l'état réel des choses, ne partageaient pas les illusions de
Guillaume à l'égard (page 229) de
l'instabilité des gouvernements de France et d'Angleterre. Forcés d'opter entre
la dissolution du royaume des Pays-Bas et la guerre générale, les cabinets de
Berlin, de St-Pétersbourg et de Vienne préféraient abandonner la Hollande au sort que
seize années d'imprudences et d'erreurs lui avaient fatalement préparé. Toute
la difficulté consistait pour eux à dissiper les illusions de la cour de La Haye.
A cette fin, l'empereur Nicolas fit une
dernière et solennelle démarche.
7. 5. La tentative du comte Orloff de faire
abandonner le système de Persévérance
Le 23 Février 1832 , le comte Alexis Orloff,
adjudant-général de l'empereur, arriva à La Haye et remit à M. Verstolk de
Soelen une note destinée à faire connaître la marche qui serait désormais
suivie par la Russie. Le
comte Orloff offrait l'appui énergique de son souverain pour faire ajouter aux
vingt-quatre articles des amendements relatifs à la navigation des eaux
intérieures, au balisage et au pilotage de l'Escaut, à la servitude de route et
de canal par le canton de Sittard, à la liquidation du syndicat d'amortissement,
à la capitalisation de la rente imposée aux Belges; mais le diplomate russe
exigeait comme condition sine qua non l'indépendance politique de la Belgique, la
reconnaissance du prince Léopold et la signature du traité des vingt-quatre
articles en même temps que celle des amendements indiqués dans sa note.
Le lendemain, le comte Orloff fut reçu par le
roi. Quoique l'entretien fût confidentiel, il ne tarda pas à être conclu dans
tous ses détails. Guillaume en parla à ses conseillers, Orloff fit des
confidences aux ambassadeurs de Prusse et d'Autriche, et bientôt les hommes
influents de la cour et du corps diplomatique connurent toutes les phrases
échangées entre le roi et l'adjudant-général.
Le comte Van der Duyn, alors gouverneur de La
Haye, a consigné le récit de cette entrevue dans une lettre intime adressée au
baron de Grovestins. « Après que le roi, dit M. Van der Duyn, se fut plaint,
comme à son ordinaire, de ce qu'on ne se servait pas pour lui de la même mesure
que pour les autres, etc., etc., le comte Orloff lui dit qu'il n'était
nullement venu ici pour nier la justice de ces plaintes, mais qu'il était
chargé par l'.empereur, son maître, de représenter au roi que c'était
l'inévitable suite des circonstances, et qu'il fallait se soumettre à l'inévitable
loi de la nécessité; que l'empereur était toujours animé des mêmes sentiments
d'amitié et d'affection pour le roi et sa famille, ce dont il croyait n'avoir
cessé de donner des preuves; (page 230)
mais qu'avant tout il se devait à la
Russie et ne pouvait, sous ce rapport, laisser un libre cours
aux sentiments de son cœur; que l'empereur en conséquence l'avait chargé (lui,
OrIoff) d'engager le roi à accepter préalablement les vingt-quatre articles;
que, si le roi s'y prêtait, il (comte Orloff) se rendrait à Londres et y
ferait, au nom de son maître, tous ses efforts pour porter la Conférence à y apporter
telles modifications que le roi pourrait désirer et que lui, comte Orloff,
aurait jugées admissibles, sous le triple rapport du territoire, de la navigation
intérieure et de la capitalisation des sommes à payer par la Belgique aux termes des
vingt-quatre articles; qu'il était chargé de prier le roi de lui faire part de
son ultimatum; qu'il tâcherait d'obtenir les meilleures conditions possibles,
et que, si l'ultimatum n'était pas accepté, le roi ne serait pas tenu par
l'assentiment qu'il aurait donné (Note de bas de page : Cette phrase est obscure et pourrait
induire en erreur sur la nature des conditions offertes par la Russie. M. Van der Duyn
lui-même semble l'avoir compris; car, un peu plus loin, il ajoute: « Le roi
commençant par donner son assentiment aux vingt-quatre articles et par
reconnaître l'indépendance de la
Belgique, il serait convenu que, simultanément avec l'échange
des ratifications des vingt-quatre articles et celui d'un vingt-cinquième
stipulant la conclusion d'une convention additionnelle, il serait signé, entre la Hollande et la Belgique, sous les
auspices de la Conférence
et la garantie des cinq puissances, un traité qui contiendrait les
modifications obtenues ». Telles étaient en effet les offres du comte
Orloff); qu'au surplus il devait lui faire observer qu'il n'était pas
venu ici pour négocier, mais pour donner au roi un conseil; qu'il dépendait
entièrement de Sa Majesté d'accepter ou de refuser; que, dans la seconde de ces
alternatives , il n'y aurait rien de changé aux relations de l'empereur avec le
roi, mais que, dans ce cas, l'empereur devait laisser les conséquences de ce
refus pour le compte du roi et de son peuple, et la responsabilité pour le
compte du roi … Il ajouta que, si le roi n'acceptait pas, ses instructions lui
enjoignaient de proposer à la
Conférence, de concert avec les plénipotentiaires de Prusse
et d'Autriche, les mesures nécessaires pour donner exécution aux vingt-quatre
articles
Ce langage était net, énergique et sévère;
mais il n'en échoua pas moins contre l'inflexible persévérance de Guillaume
1er. Avouant franchement que son unique désir était de réduire les rebelles à
l'obéissance, en leur accordant tout au plus une séparation administrative, il
s'étonnait, (page 231) disait-il,
que l'empereur Nicolas couvrît de sa protection les révolutionnaires de
Bruxelles, tandis qu'il étouffait la révolution polonaise dans le sang de ses
apôtres. Le comte Orloff s'inclina sans répondre.
Le diplomate russe dîna à la cour. Ici nous
rendrons la parole à M. Van der Duyn de Maasdam : « Après le dîner, dit-il, le
roi, suivant son usage, prit le comte à part et, revenant sur la conversation
du matin et les communications officielles de l'adjudant-général russe, se
répandit de nouveau en plaintes et en récriminations. Le roi se monta peu à peu
au point de se permettre de dire: Non, j'aimerais mieux périr que de consentir
à de telles conditions. Aussitôt le comte Orloff se retira de trois ou quatre
pas, et faisant au roi une profonde révérence, eut l'air de dire: C'est
entendu, ma mission est finie, je n'ai plus qu'à m'en retourner. Ce mouvement
d'admirable présence d'esprit et d'une convenance parfaite fut tellement marqué
et à pro pos, que le roi ne s'y trompa pas un moment; aussi, se rapprochant de
son côté, s'empressa-t-il de dire : Non, Monsieur le comte, ce n'est pas là ma
réponse à votre communication, et la conversation fut interrompue sur ce sujet
» (Notice et souvenirs du comte
Van der Duyn de Maasdam, etc, p. 315).
Malgré ses efforts, ses conseils et ses
remontrances, le comte Orloff échoua dans sa mission. Le roi lui avait fait, à
la vérité, quelques concessions importantes; mais toute l'éloquence du
diplomate russe avait été impuissante à obtenir du monarque néerlandais une
adhésion pure et simple aux propositions de l'empereur Nicolas. Dans l'ordre
politique, Guillaume offrait de reconnaître l'indépendance de la Belgique et la royauté du
prince Léopold; dans les arrangements territoriaux relatifs au Limbourg, il
déclarait se contenter de la limite du Zuid-Willemsvaart, avec les communes
bordant ce canal à l'ouest et un rayon nécessaire pour la sûreté de Maestricht;
dans le différend relatif à la capitalisation de la dette, il proposait de
prendre pour base un taux plus équitable que la cote du mois de Juillet 1830 ;
mais là s'arrêtaient les concessions. Pour le Luxembourg notamment, le roi
continuait à réclamer une indemnité territoriale complète, si la Belgique tenait à
conserver le Grand-Duché.
Ces offres s'écartaient déjà considérablement
des propositions du (page 232) comte
Orloff. Mais M. Verstolk déclara de plus, dans une note du 4 Mars, que son
gouvernement repoussait la forme même de la convention proposée par l'adjudant-général.
Orloff demandait la signature simultanée des vingt-quatre articles et d'un
traité additionnel énumérant les modifications indiquées par l'empereur de
Russie. « Le roi des Pays-Bas,» répondait le ministre hollandais, a déclaré à
la nation et à l'Europe ne pouvoir souscrire aux vingt-quatre articles. Sa
dignité ne lui permet pas davantage la signature de ces articles au moment où
l'on arrêterait un acte diplomatique destiné à les modifier dans leurs
stipulations essentielles » (Recueil
de pièces diplomatiques, t. III, p. 15.).
Ce résultat avait été prévu à St-Pétersbourg.
Le 22 Mars, avant de quitter La Haye, le comte, obéissant aux ordres de
l'empereur, répéta ses assertions et ses conseils dans une déclaration
officielle. Ce document historique, qui produisit une sensation profonde en
Hollande et à l'étranger, attestait solennellement que tous les moyens de
persuasion avaient été vainement épuisés. Le diplomate russe disait au nom de
son maître: « Sa Majesté impériale ne saurait se dissimuler, et nous le disons
avec un profond sentiment de peine, que le cabinet néerlandais a perdu sans
retour une dernière occasion de terminer l'affaire belge d'une manière conforme
à ses vrais intérêts, et que ses alliés, la Russie surtout, chercheraient vainement encore à
lui être utiles... L'empereur a loyalement rempli envers Sa Majesté le roi des
Pays-Bas les devoirs d'une amitié franche et sincère; mais il ne saurait
oublier ceux que lui impose l'alliance européenne... Quelque périlleuse que
soit la position où le roi vient de se placer, et quelles que puissent être les
conséquences de cet isolement, Sa Majesté impériale, faisant taire, quoique
avec un regret inexprimable, les affections de son cœur, croira devoir laisser la Hollande supporter seule
la responsabilité des événements qui peuvent résulter de cet état de choses...
Après avoir épuisé tous les moyens de persuasion et toutes les voies de
conciliation pour aider Sa Majesté le roi Guillaume à établir, par un
arrangement à l'amiable et conforme tout à la fois à la dignité de sa couronne
et aux intérêts des sujets qui lui sont demeurés fidèles, la séparation des
deux grandes divisions du royaume des Pays-Bas, l'empereur ne se connaît plus
la (page 233) possibilité de lui
prêter désormais aucun appui ni secours.» Le comte Orloff ajoutait: « Fidèle à
ses principes, S. M. ne s'associera pas à l'emploi de moyens coercitifs qui
auraient pour but de contraindre le roi des Pays-Bas par la force des armes à
souscrire aux vingt-quatre articles. Mais considérant qu'ils renferment les
seules bases sur lesquelles puissent s'effectuer la séparation de la Hollande d'avec la Belgique (sauf les
arrangements admissibles dans un traité final entre les deux pays), S. M.
impériale reconnaît comme juste et nécessaire que la Belgique reste dans la
jouissance actuelle des avantages qui résultent pour elle desdits articles, et
notamment de celui qui stipule sa neutralité, déjà reconnue en principe par S.
M. le roi des Pays-Bas elle-même. Par une conséquence nécessaire de ce principe,
S.M. impériale ne saurait s'opposer aux mesures que prendrait la Conférence pour
garantir et défendre cette neutralité si elle était violée par une reprise des
hostilités de la part de la Hollande... L'empereur abandonne à la sagesse du
cabinet néerlandais de considérer les conséquences d'un état de choses qu'une
amitié sincère et désintéressée aurait voulu éviter » (Recueil de pièces diplomatiques, t. III, p. 17 et suiv.)
Cette déclaration solennelle acquit un
nouveau degré d'importance par l'intervention officielle des ambassadeurs
d'Autriche et de Prusse accrédités à La Haye. Après avoir adhéré au manifeste du comte
Orloff, ils déclarèrent, dans une note identique remise à M. Verstolk, que
« leurs souverains éprouvaient un vif regret de voir la cour des Pays-Bas,
par son refus obstiné d'adhérer aux propositions du comte Orloff, les priver de
tous les moyens de servir ses intérêts, et renoncer elle-même à ceux qu'on lui
offrait pour terminer une longue et pénible négociation » (Voy., pour les incidents de la
mission du comte Orloff, le Recueil de pièces diplomatiques publié à La Haye,
t. ln, p. 12 à 30).
Il eût été difficile de montrer plus de
condescendance pour les susceptibilités de la Hollande, plus de dédain
pour les droits et les intérêts de la Belgique. Les représentants des cinq puissances
nous avaient garanti l'exécution entière des vingt-quatre articles; ils avaient
pris l'engagement d'obtenir l'adhésion pure et simple du gouvernement de La
Haye: et voici que la Russie,
d'accord avec l'Autriche et la
Prusse, offre au roi Guillaume de nous priver à la fois de
l'actif du (page 234) syndicat et de
tous les avantages commerciaux garantis par le traité du 15 Novembre!
Quoi qu'il en soit, cette condescendance
devint elle-même inefficace en présence de l'inflexibilité raisonnée de
Guillaume 1er. Abandonné par l'Autriche, la Prusse et la Russie, réduit à ses propres forces en face de
l'Angleterre et de ]a France qui se déclaraient prêtes à procéder à l'exécution
du traité, le monarque néerlandais reprit stoïquement son rôle de victime et
attendit des circonstances plus favorables.
Le système de persévérance continua à
triompher à la cour de La Haye.
Une circulaire envoyée aux agents
diplomatiques de la Hol1ande,
quelques jours après le départ du comte Orloff, attesté que les ménagements des
puissances avaient produit sur l'esprit du roi le seul résultat de lui faire
espérer des avantages plus considérables (Note de bas de page : Cette circulaire renfermait la phrase
suivante : « Le roi aime à croire que les succès, déjà obtenus à la faveur de
la médiation efficace des hauts alliés, leur offriront un nouveau motif de
continuer à réunir leurs efforts, afin de terminer d'une manière équitable une
négociation à laquelle ont présidé, dans les derniers temps, de si heureux
auspices, et dont l’issue intéresse à la fois le bien-être du royaume et la
paix de l'Europe. » (Recueil de pièces diplomatiques, t. III, p. 29.))
7. 6. Les réserves émises par les puissances du Nord
lors de l’échange des ratifications
Désespérant d'obtenir des concessions
nouvel1es, les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse procédèrent à Londres,
le 18 Avril, à l'échange des ratifications. Le plénipotentiaire russe en fit
autant]e 4 Mai. Mais la
Belgique eut encore une fois à se plaindre.
Tout en ratifiant le traité du 15 Novembre,
les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie prirent une attitude éminemment
propre à encourager la
Hollande dans ses projets de résistance.
En présentant aux Chambres belges le traité
de novembre, M. de Muelenaere, ministre des Affaires étrangères, avait dit :
«Le traité ayant été conclu par des plénipotentiaires munis des pleins
pouvoirs, qui ont été trouvés en bonne et due forme, 1'échange des
ratifications et la ratification elle-même ne sont plus que de simples
formalités diplomatiques. » Telle est, en effet, la marche qu'on a toujours
suivie dans les transactions internationales Si l'ambassadeur a agi dans les
limites de ses pouvoirs, on ratifie ses actes; s'il a outre-passé ses instructions,
on le désavoue. Il n'y a pas de milieu possible.
Par une innovation on ne peut plus dangereuse
pour les droits des faibles, les choses se passèrent d'une autre manière au
sein de la (page 255) Conférence de
Londres. Tout en ratifiant les actes de leurs plénipotentiaires, tout en
avouant que ceux-ci avaient agi dans le cercle de leurs instructions, les
gouvernements de Berlin, de St-Pétersbourg et de Vienne n'en firent pas moins
des réserves en faveur du roi des Pays-Bas et de la Confédération germanique.
La ratification de J'empereur d'Autriche est
datée du 21 Mars 1832. Elle porte que le traité est pleinement ratifié, mais
sous la réserve des droits de la Confédération germanique quant aux articles qui
concernent l'échange d'une partie du Limbourg contre une partie du Luxembourg
(« Reservatis tamen juribus serenissimœ Confederationis germanicœ intuitu
eorum articulorum qui concessionem et permutationem partis magniducatus
Luxemburgensis concernunt »). De plus, le plénipotentiaire autrichien fit
insérer au protocole la déclaration suivante: « En ratifiant le traité du 15
Novembre 1831, et prenant en considération la nécessité d'une négociation
ultérieure entre le gouvernement de Sa Majesté le roi des Pays-Bas et celui du
royaume de Belgique, pour la conclusion d'un traité comprenant les vingt-quatre
articles, avec les modifications que les cinq puissances auront jugées
admissibles, Sa Majesté impériale propose de déclarer, et déclare pour sa part,
que les arrangements stipulés de gré à gré entre les deux parties susdites,
sous les auspices de la
Conférence, auront la même force et valeur que les articles
du traité du 15 Novembre et seront également confirmés et ratifiés par les
cours signataires du traité.»
La ratification prussienne porte la date du 7
Janvier 1852. Elle est pure et simple dans ses termes; mais, en procédant à
l'échange, M.de Bulow fit insérer au protocole une déclaration témoignant des
vives sympathies de son gouvernement pour celui de La Haye. Il avait,
disait-il, reçu l'ordre de faire connaître à la Conférence les vœux
légitimes ct la juste attente de sa cour. Ces vœux et cette attente étaient
formulés dans les termes suivants: « Que les ministres des puissances
signataires s'occupent avant tout des modifications en faveur de la Hollande qui, sans porter
atteinte à la substance des vingt-quatre articles, pourraient y être apportées,
et qui, si la Conférence
en tombait d'accord, et si le nouveau souverain de la Belgique consentait à les
accepter, pourraient être érigées en articles explicatifs ou supplémentaires et
avoir ainsi même force et même valeur que les (page 236) autres.» Le plénipotentiaire prussien adhéra en outre à
la réserve faite par l'Autriche en faveur des droits de la Confédération germanique.
La ratification russe, datée du 18 Janvier,
renfermait une réserve encore plus importante. L'empereur Nicolas disait: «
Après avoir suffisamment examiné ce traité, nous l'avons signé et nous le
confirmons et ratifions, sauf les modifications et amendements à apporter, dans
un arrangement définitif entre la
Hollande et la
Belgique, aux articles IX, XII et XIII, promettant sur notre
parole impériale, pour nous et nos successeurs, et sous la réserve énoncée
ci-dessus, que tout ce qui a été stipulé dans ledit traité sera observé et
exécuté irrévocablement.» Les articles IX, XII et XIII du traité, relatifs à la
navigation, aux routes commerciales et au syndicat d'amortissement, étaient
précisément ceux que le cabinet de La Haye invoquait pour légitimer ses
résistances (Note de bas de page : Pour bien comprendre l'attitude prise par la Russie, il faut rapprocher
les termes de la ratification de l'extrait suivant du protocole du 4 Mai 1832,
no58 : « A l'ouverture de la
Conférence, les plénipotentiaires de Russie ont annoncé avoir
reçu les ordres définitifs qu'ils attendaient de leur cour relativement au
traité du 10 Novembre 1831, et ont déclaré être prêts à procéder à l'échange
des ratifications de ce traité. - Ils sont autorisés par leurs instructions il
déclarer de plus que l'arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, dont il est
question dans la réserve que l'enferme l'acte de Sa Majesté impériale, doit
être, à ses yeux, un arrangement de gré à gré.» Les actes de ratification se
trouvent au Recueil de pièces diplomatiques, t. III, p. 37 à 45).
Fallait-il accepter ces actes de ratification
dans les termes où ils étaient conçus? Ne convenait-il pas d'exiger une
adhésion pure et simple?
La question se présenta d'abord pour
l'Autriche et la Prusse.
Dans les discussions qui précédèrent le vote
des vingt-quatre articles, la ratification pure et simple des cours n'avait pas
été révoquée en doute. En présentant le protocole à la Chambre des représentants,
M. de Muelenaere avait dit que les dispositions de cet acte diplomatique
étaient finales et irrévocables. Les réserves des deux puissances allemandes
pouvaient, dans ces conditions, causer des embarras sérieux à nos ministres. M.
Van de Weyer procéda néanmoins à l'échange des ratifications; mais il fit
ajouter au protocole la note suivante: « Le plénipotentiaire belge, ayant eu
connaissance de la (page 237)réserve
faite par les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse, en ce qui concerne les
droits de la
Confédération germanique, s'en réfère purement et simplement
à la garantie donnée à la Belgique
par les cinq puissances, garantie dans laquel1e le plénipotentiaire belge a une
pleine confiance, fondée sur les engagements contractés par le traité du 15
Novembre 1831 » (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 194).
Ce parti était en définitive le plus sage.
Malgré leur forme insolite, les ratifications de l'Autriche et de la Prusse étaient, en réalité,
pleines et entières pour ces deux puissances. L'une et l'autre manifestaient,
il est vrai, le vœu de voir disparaitre les griefs allégués par Guillaume Ier
pour justifier son refus; mais les ratifications n'étaient pas subordonnées à
l'accomplissement de ce vœu diplomatique. Comme les modifications devaient
avoir lieu de gré à gré, le refus de la Belgique suffisait pour conserver à celle-ci tous
ses avantages. Les déclarations de l'Autriche et de la Prusse n'étaient au fond
qu'un acte d'imprudente courtoisie envers le roi Guillaume. La réserve des
droits de la
Confédération germanique était plus sérieuse, sans cependant
offrir un danger réel pour la
Belgique. Les plénipotentiaires de Prusse et d'Autriche
avaient reçu de la
Confédération les pouvoirs nécessaires pour traiter au nom de
celle-ci; mais, en échangeant les ratifications de leurs souverains, ils
n'étaient pas obligés de produire en même temps l'assentiment de la diète de
Francfort. L'échange des ratifications n'était pas un acte indivisible. La
question n'offrait d'ailleurs qu'une importance secondaire. Le traité existant
dans toute sa force vis-à-vis des deux puissances prépondérantes de la Confédération,
l'assentiment ultérieur de celle-ci ne pouvait être sérieusement révoqué en doute.
Ce n'était que par rapport à la Russie que la question
offrait une importance réelle.
Les réserves de l'empereur Nicolas avaient
une portée immense. La ratification était incomplète. Les plénipotentiaires
russes déclaraient que les modifications aux articles IX, XII ct XIII du traité
devaient avoir lieu de gré à gré; mais l'adhésion de leur gouvernement, et par
suite la reconnaissance de l'indépendance politique des Belges, étaient en
quelque sorte subordonnées à l'admission des changements indiqués. En acceptant
une ratification de cette espèce, M. Van de Weyer (page 238) outre-passait ses instructions. M. de Muelenaere s'était
attendu à une ratification conditionnel1e de la Russie, et, fidèle aux
engagements pris envers les Chambres, il avait transmis à notre
plénipotentiaire l'ordre d'exiger une ratification pure et simple. M. Van de
Weyer n'en crut pas moins pouvoir accepter la ratification conditionnel1e de la Russie, dans les termes
suivants: « Le plénipotentiaire belge, ayant pris connaissance de la réserve
insérée dans l'acte de ratification produit par les plénipotentiaires de la Russie, déclare que, sans
contester que les vingt-quatre articles renferment des points sur l'exécution
desquels la Belgique
et la Hollande
peuvent s'entendre de gré à gré et consulter leurs intérêts réciproques, il
s'en réfère néanmoins, et en tout cas, aux engagements pris envers la Belgique par les cinq
puissances » (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 195)
7. 7. Les réactions belges aux réserves émises lors
de l’échange des ratifications
Quel fut le mobile de la conduite de M. Van
de Weyer? A-t-il cédé aux sollicitations de lord Palmerston et du prince de
Talleyrand? A. t-il cru que cette ratification partielle suffisait pour
rassurer la Belgique?
Connaissant la situation embarrassée du ministère Grey, voulait-il mettre le
traité du 15 Novembre à l'abri des fluctuations ministérielles ? (Note de
bas de page : Le 8 Mai une
crise ministérielle éclata en Angleterre). Ce qui est malheureusement
certain, c'est que l'acceptation d'une ratification incomplète ne tarda pas à
devenir le thème d'un débat passionné à la tribune et dans la presse:
circonstance d'autant plus fâcheuse que la défaveur jetée sur la ratification
de la Russie
s'étendit rapidement aux ratifications de l'Autriche et de la Prusse.
Les engagements contractés dans l'enceinte
des Chambres plaçaient nos ministres dans une position difficile. Parmi les
hommes sincèrement dévoués à la cause nationale, il y en avait plusieurs qui
réclamaient le désaveu de M Van de Weyer et la restitution immédiate des
ratifications, aussi bien à l’Autriche et à la Prusse qu'à la Russie.
Ce parti violent ne pouvait être accueilli.
Restituer les ratifications aux deux premières de ces puissances, c'était se
mettre en hostilité avec elles, c'était déchirer en quelque sorte une partie
des titres de l'indépendance nationale. Quel parti eût-on pris si l'Autriche et
la Prusse se
fussent opposées à ce nouvel échange de documents diplomatiques ? Mieux
valait conserver les avantages acquis. Quatre grandes puissances (page 239) avaient reconnu
l'indépendance nationale et la royauté du prince Léopold. Malgré la
manifestation de quelques vœux imprudents et le silence de la Confédération
germanique, ce résultat n'était pas à dédaigner.
Mais ne convenait-il pas de restituer au
moins la ratification russe? Cette mesure insolite aurait encore offert des inconvénients
de plus d'une espèce. Il eût été puéril de songer à faire reculer la Russie devant les exigences
des Belges. La restitution n'aurait produit d'autre résultat que de nous
attirer l'hostilité patente de l'empereur Nicolas. D'ailleurs, nonobstant ses
réserves, l'acte de ratification de la Russie offrait une importance qui n'avait pas
échappé à l'attention des hommes d'État. En bornant ses réserves aux articles
IX, XII et XIII du traité, l'empereur admettait en principe la dissolution du
royaume des Pays-Bas et la nécessité d'attribuer aux Bolges les prérogatives de
nation indépendante. C’était une renonciation formelle aux prescriptions des
traités de 1815, et, en tout cas, les autres puissances n'en restaient pas
moins liées.
Le ministère crut que dans ces circonstances
le parti le plus sage était d'accepter sans murmure les faits accomplis (Note
de bas de page : Il
fallait, d'ailleurs, tenir compte des embarras intérieurs de la France et de l'Angleterre.
Le gouvernement belge avait compris cette nécessité. Dans son rapport du 12
Mai, M. de Muelenaere disait à la
Chambre des représentants: « Si nous nom sommes abstenus
d'user de tous nos droits, c'est que les circonstances politiques, et notamment
les embarras intérieurs des deux grandes puissances qui se sont associées à
notre cause, nous prescrivaient de grands ménagements. »)
Bientôt il fallut défendre ce système devant
la représentation nationale.
Une violente tempête parlementaire éclata
dans les deux Chambres, lorsqu'elles apprirent que trois puissances
représentées à la
Conférence avaient fait des réserves dans la ratification du
traité. En acceptant les conditions onéreuses imposées par l'Europe, les
membres qui avaient voté l'adoption du protocole du 14 Octobre croyaient avoir
atteint les dernières limites des sacrifices compatibles avec l'existence d'une
Belgique indépendante. La
Conférence de Londres, aussi bien que nos ministres, avait
constamment déclaré que les stipulations des vingt-quatre articles étaient
définitives et irrévocables. L'indignation des représentants de la nation était
toute naturelle, au moment où l'Autriche, (page
240) la Prusse
et la Russie
parlaient de nouvelles concessions à faire aux exigences de la Hollande.
L'attitude de M. de Muelenaere fut aussi
habile que digne. Appelé au sein de la Chambre des représentants ,il n'eut pas de peine
à, prouver que les réserves de l'Autriche et de la Prusse. n'étaient pas de
nature à motiver la restitution des actes de ratification. Quant aux réserves
de la Russie,
le ministre avoua franchement que M. Van de Weyer avait outre-passé ses
instructions. « Le plénipotentiaire belge, disait-il, n'était pas autorisé à
recevoir des ratifications conditionnelles; je regrette qu'il n'ait pas voulu
courir les chances d'un nouveau retard en en référant au gouvernement; il a été
dominé sans doute par cette idée qu'il importait au plus tôt de mettre le
traité du 15 Novembre à l'abri de toutes les fluctuations ministérielles, et il
a cédé probablement à des nécessités que, par sa présence sur les lieux, il
était peut-être plus à même que le gouvernement d'apprécier » (Rapport du 12
Mai, Moniteur du 14). Le ministre fit ensuite ressortir l'importance que la
ratification russe, nonobstant ses réserves, offrait dans les circonstances où
l'Europe se trouvait placée. Pour la
Russie, la question belge n'était ni dans les limites ni dans
la dette. Il s'agissait avant tout de savoir si la destruction du royaume des.
Pays-Bas serait sanctionnée, si l'indépendance de la Belgique et sa dynastie
nationale seraient. reconnues. A ces questions capitales la Russie avait répondu
affirmativement. En présence de ce fait essentiel, des réserves portant sur des
intérêts secondaires perdaient beaucoup de leur importance. Après avoir
habilement développé cette thèse, M. de Muelenaere termina son discours en
prenant, au nom du gouvernement belge, l'engagement formel de s'opposer à toute
concession ultérieure et de réclamer l'évacuation complète du territoire comme
préliminaire indispensable d'une négociation nouvelle.
Une série de motions violentes succédèrent au
discours du ministre.
« Si la conduite de M. Van de Weyer n'est pas
désavouée, s'écriait M. Dumortier, les Belges n'ont plus de patrie. » -
«Nous nous attendions , ajoutait M. Henri de Brouckere, à un désaveu du gouvernement,
au renvoi de la ratification russe. Nous nous trompions: c'est de nouveau
l'hésitation, de la faiblesse, des atermoiements qu'on nous annonce. Il est
temps de couper court à tant de tergiversations. (page 241) Si le ministère ne veut pas prendre des mesures
énergiques, c'est à nous à les provoquer... Nous avons été joués par la
diplomatie. Le temps est venu de prendre une attitude digne du peuple belge,
digne de l'honneur national outragé.» - L'œil enflammé, la voix vibrante, le
geste menaçant, M. Gendebien en appelait des décisions des rois au tribunal des
peuples. « Les souverains, disait-il, sentent bien qu'ils règnent contre
nature, Ils craignent que le tableau d'un peuple heureux et libre ne fasse
surgir chez eux des imitateurs: ils veulent étouffer la révolution.» M. Leclerq
fit un appel aux armes. « Si vous voulez être une nation, disait cet orateur,
il faut agir comme une nation, ne pas vous laisser déshonorer, ne pas vous
laisser fouler aux pieds. Si vous voulez être une nation, il ne faut pas
continuer ce système bâtard qui nous rend la risée de l'Europe... Si vous ne
pouvez exister par vous-mêmes, je n'hésite pas à le dire, réunissez-vous à une
nation assez puissante pour vous protéger.» - Et toutes ces paroles ardentes
provoquaient des applaudissements enthousiastes sur les bancs de la Chambre et dans les
tribunes. Les motions énergiques étaient d'autant mieux accueillies que
l'attitude des puissances faisait naître l'appréhension de nouveaux sacri1ices
pour la Belgique,
de nouveaux avantages pour la
Hollande. «Voyez, s'écriait M. Destouvelles , voyez la Prusse et l'Autriche se
charger de la question du Luxembourg, la Russie se réserver celle de la navigation, du
chemin de Sittard et de la dette. La distribution des rôles est parfaite. Et
qui est la victime de ce drame? C'est la Belgique! » La séance se termina par la
nomination d'une commission de sept membres, chargée de rédiger un projet
d'adresse, au roi (Note de bas de page : La commission était composée de la manière suivante: M. de
Gerlache, président, Leclercq, rapporteur, H. de Brouckere (auteur de la
proposition), Destouvelles, Lebeau, Devaux et H. Vilain XIIII).
La
commission fit son rapport dans la séance du 14 Mai, et l'adresse suivante fut
votée à l'unanimité des suffrages.
« Sire, la Chambre des représentants croit ne pouvoir
s'abstenir de répondre par une manifestation éclatante de ses sentiments aux
communications qui lui ont été faites de la part de Votre Majesté sur l'état.de
nos relations extérieures.
» L'union des peuples et de leurs
gouvernements fut toujours la force des uns et des autres. Cette union ne
manquera pas à la Belgique
(page 242) dans la position où l'ont placée la marche des événements et les
négociations avec la
Conférence de Londres.
« Une loi a autorisé le gouvernement à
souscrire au traité du 15 Novembre 1831. Les sacrifices cruels auxquels ce
traité soumettait les Belges n'ont été acceptés par eux que dans la prévision
des calamités qui menaçaient l'avenir de l'Europe; la paix générale était d'une
valeur inestimable; les cinq puissances signataires du traité avaient
unanimement déclaré, dans les notes adressées au plénipotentiaire de Votre
Majesté, que cette paix était attachée à ce traité, que rien ne pouvait y être
changé sans qu'elle fût à l'instant compromise. La nation belge, en reprenant
son rang dans la grande famille des peuples, n'a pas voulu que ce fût à ce
prix, elle s'est résignée et la paix n'a pas été troublée.
« Après avoir rendu cet éminent service
aux nations; après avoir fait pour elles cette entière abnégation de ses plus
chères affections et de ses plus pressants intérêts; après s'être laissé
imposer une dette énorme qu'elle n'avait pas contractée; après avoir poussé le
désir de la paix jusqu'à l'abandon d'une partie de ceux qui avec elle avaient
secoué le joug de la Hollande;
après avoir reçu des ministres des cinq puissances la déclaration solennelle
que le traité était final et irrévocable, que ni la. lettre ni l'esprit ne
pouvaient subir la moindre altération, et que leurs gouvernements se
chargeraient d'amener la
Hollande à y accéder, la nation belge avait droit de croire qu'elle
pouvait enfin se remettre des secousses d'une révolution et ne plus penser
désormais qu'à l'affermissement d'institutions qui, toutes nouvelles qu'elles
sont, ont déjà poussé d'assez fortes racines pour que, depuis une année, elle
offre à l'Europe, comme un nouveau gage de tranquillité, le spectacle inouï
d'un peuple qui, au sortir d'un bouleversement politique complet, vit dans la
paix la plus profonde, soumis aux lois, docile à la voix de ses magistrats, et
ne ressentant d'autre agitation que celle que la vue des armes et l'idée de son
indépendance menacée peuvent lui faire éprouver.
« Cette attente ne peut être trompée.
Des réserves ont été jointes aux ratifications du traité du 15 Novembre 1831
par quelques-unes des puissances signataires; mais elles n'ont pas désavoué
leurs plénipotentiaires, elles n'ont point allégué qu'ils eussent excédé leurs
(page 243) pouvoirs; ces pouvoirs
avaient d'ailleurs été vérifiés et trouvés en bonne et due forme. Nous pensons
en conséquence que ces réserves ne peuvent porter aucune atteinte au traité,
qu'aujourd'hui il est notre droit, que les ratifications doivent être pures et
simples, qu'il doit être exécuté tel qu'il a été conclu; que ce n'est qu'après
cette exécution qu'il pourrait être question d'ouvrir les négociations dont
parlent les réserves, que ces négociations doivent dépendre du libre
consentement des peuples belge et hollandais, et laisser subsister le traité,
s'ils ne parviennent pas à s'entendre.
« Le gouvernement, comme le pays, n'a pu
le comprendre autrement; toute interprétation différente serait contraire à la
loi, qui seule a pu autoriser la signature du traité du 15 Novembre, et qui ne
l'a autorisée que dans les termes mêmes du traité; la nation d'ailleurs a pu
faire des sacrifices, mais la somme en est épuisée; une nation ne peut être
offerte en holocauste aux autres nations; et si de nouveaux sacrifices
pouvaient encore être demandés, il n'y aurait plus rien de sacré dans les
conventions humaines. La
Belgique ne pourrait même plus compter sur l'issue des
négociations qui, ainsi terminées, pourraient recommencer ensuite sans qu'il
fût possible à personne de leur assigner un terme.
« Sire, ce langage serait inutile pour
Votre Majesté. Elle connaît trop bien ses devoirs; mais la Chambre des représentants
a cru nécessaire de protester de l'union intime de vue et de sentiments qui lie
le peuple belge au roi qu'il s'est choisi; elle a cru qu'elle devait cette
manifestation à l'Europe, dans un moment où peut-être les ennemis de la paix
des nations voudraient, pour accomplir leurs desseins, s'emparer des réserves
jointes aux ratifications du traité. Elle a foi aux engagements contractés. Le
traité sera exécuté, notre territoire sera évacué. Mais si notre confiance
pouvait être trompée, si la
Hollande persistait à repousser les engagements qui lui sont
proposés, si elle continuait des actes d'hostilité, des violations de
territoire, si surtout elle refusait de réparer sans délai l'attentat commis
sur un de nos concitoyens, sur un membre de la représentation nationale (Note
de bas de page : M. Thorn,
gouverneur du Luxembourg, arrête dans le voisinage de la forteresse);
si, ce qu'à Dieu ne plaise, des événements (page 244) venaient troubler l'Europe et rendre vains tant de
sacrifices faits à la paix, alors, Sire, nous nous souviendrions qu'aucune
charge, aucun effort ne doivent coûter à un peuple, quand il s'agit de sa vie
et de son honneur.
« Heureuse d'être l'organe du vœu
national, certaine de parler à un roi qui, en s'associant à nos destinées, a
fait de l'honneur belge son honneur propre, la Chambre des représentants
manquerait à ses devoirs si elle n'élevait aujourd'hui la voix pour assurer
Votre Majesté du dévouement d'un peuple qui attend de la fermeté, autant que de
la prudence de son gouvernement, la fin d'un état d'incertitude qui ne s'est
déjà que trop prolongé. »
Une députation de douze membres, nommée
séance tenante, se rendit le lendemain au palais du roi. Sa Majesté répondit: «
Je reçois avec plaisir l'expression des sentiments unanimes de la Chambre des représentants.
Je crois avoir acquis des droits à la confiance de la nation; cette confiance,
je saurai toujours la justifier. La
Belgique sait que je suis dévoué à ses destinées. Ses
intérêts sont les miens.
« Je me félicite de pouvoir vous
annoncer que la marche des négociations indiquée par la Chambre des représentants
est entièrement conforme à celle que j'ai prescrite à mes ministres et que j'ai
exposée à la Conférence,
avant de vous faire donner communication des derniers actes.
« Le plus sûr moyen d’arriver
promptement à une solution des difficultés qui subsistent encore, c’est de
convaincre l’Europe que la
Belgique est restée jalouse de son antique réputation, et
qu’en alliant la prudence à la fermeté, elle saura au besoin, avec le secours
de la Providence,
soutenir ses droits par la force des armes.
« Je vois avec une bien douce
satisfaction que la Chambre
a compris la position du pays et qu’elle pense qu’aucune charge, aucun effort
ne doivent coûter à une nation quand il s’agit de son existence et de son
honneur. Cette opinion, je la partage, et je donnerai des ordres pour qu’il
soit soumis instamment à vos délibérations des projets de loi qui tendront à atteindre
le but que la chambre se propose.
Le 21 Mai, le Sénat vota, par trente voix
contre deux, une adresse conçue dans le même sens. La réponse royale
reproduisit les assurances déjà données à la Chambre des représentants.
(page
245) M. de Muelenaere s'était franchement associé aux démarches des
Chambres. Depuis plusieurs jours, il avait chargé notre plénipotentiaire
d'exiger l'évacuation de la citadelle d'Anvers et des forts de l'Escaut, comme
condition préalable de la reprise des négociations ultérieures.
Le traité du 15 Novembre renfermait des
dispositions de deux espèces: les unes susceptibles d'une exécution immédiate;
les autres, sujettes à des négociations ultérieures. M. de Muelenaere avait
chargé M. Van de Weyer d'exiger l'exécution des premières, avant d'ouvrir une
négociation au sujet des secondes. L'attitude des Chambres vint ajouter au
langage du ministre le poids d'une manifestation solennelle de la volonté nationale.
En définitive les ratifications ne furent pas
restituées. M. Van de Weyer conserva son poste à la cour de Londres; mais le
général Goblet lui fut adjoint comme plénipotentiaire belge près la Conférence.
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