« La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes d’histoire contemporaine »,
par J.J. THONISSEN
2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters,
1861, 3 tomes
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TOME 1
CHAPITRE V - LA CONFÉRENCE DE
LONDRES PENDANT ET APRES L'INVASION - LES VINGT-QUATRE ARTICLES (4 Août - 15
Octobre 1831)
5. 1. La première réaction de la Conférence à l’invasion
hollandaise
(page
153) Après avoir imposé aux deux peuples une suspension d'armes illimitée, la Conférence de Londres
menaça de la vengeance de l'Europe le gouvernement qui se permettrait de
recourir aux armes. Ce fait ressort à l'évidence de toutes les communications
diplomatiques qui précédèrent l'arrivée du roi des Belges. « Les cinq
puissances, disait le protocole du 17 Novembre 1830, ont jugé utile de rendre
l'armistice indéfini; elles le considèrent comme un engagement pris envers
elles et à l'exécution duquel il leur appartient désormais de veiller »
(Huyttens, t. IV, p. 204). Le 25 Juillet 1831, les ambassadeurs d'Angleterre,
d'Autriche, de France, de Prusse et de Russie ajoutaient, dans une dépêche
adressée au ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas: « Garantes de la
suspension d'armes qui a eu lieu dès le mois de Novembre, les cinq cours sont
tenues par des engagements solennels, qui subsistent dans toute leur force, de
prévenir une reprise d’hostilités» (Recueil de pièces diplomatiques, publié à La Haye, t. ler, p. 263. -
Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 75).
On sait que le roi des Pays-Bas ne tint pas compte de
ces menaces. Sans dénoncer la suspension d'armes, il fit envahir le territoire
de ses voisins.
Celui qui viole ses engagements supporte les
conséquences de ses actes et répare le préjudice causé: telle est la loi de
tous les peuples civilisés. Les cours alliées ne pouvaient, sans blesser la
justice, sans méconnaître les notions les plus élémentaires de l'équité
politique, écarter ce principe des protocoles de leurs mandataires. Confiante,
(page 154) loyale, fidèle à ses
engagements, la Belgique
avait eu foi à la parole des représentants de l'Europe. Celle-ci devait
réaliser les promesses faites en son nom.
Un autre système prévalut. parmi les diplomates de
Londres. Revenant sur des concessions acquises à la Belgique, oubliant les
garanties stipulées en faveur du prince Léopold, ils traitèrent la Hollande avec une faveur
marquée et lui sacrifièrent les intérêts de sa rivale!
Le 2 Août, les troupes hollandaises avaient franchi
nos frontières; le 5 du même mois, la Conférence se plaignit de la violation de la
parole donnée. Dans une dépêche collective adressée au baron Verstolk, ministre
des Affaires étrangères à La Haye, nous lisons: « Par la lettre que Votre
Excellence nous a fait l'honneur de nous adresser le ler Août, elle veut bien
nous prévenir qu'il entre dans les intentions du roi, son auguste maître,
d'appuyer par des mesures militaires les négociations que ses plénipotentiaires
sont chargés d'ouvrir à Londres. Nous aurions pensé que ces mesures ne seraient
adoptées que dans l'intérieur de la
Hollande, si le bruit public ne nous apprenait qu'elles ont
été étendues au delà de ses frontières, que les hostilités ont été reprises
contre les Belges d'après les ordres du roi, et que l'armistice, qui avait été
établi à Anvers, venait d'être dénoncé. N'ayant pu obtenir des
plénipotentiaires hollandais aucune explication de ces faits, nous nous
refusons encore à croire que le roi, au moment même où il nous faisait
communiquer son intention de négocier un traité de paix définitif, ait pris la
résolution de rallumer la guerre.... Votre Excellence connaît les motifs
d'intérêt général qui ont porté les cinq puissances, dès le mois de Novembre, à
établir une suspension d'armes entre la Hollande et la Belgique. Elle
connaît les engagements qui existent à ce sujet entre les cinq cours.... Ces
motifs et ces engagements sont les mêmes aujourd'hui. Le repos de l'Europe s'y
rattache. Nous espérons qu'il suffira de les rappeler ici, et que Votre
Excellence ne manquera pas d'obtenir du roi les ordres nécessaires pour que les
hostilités cessent sans aucun délai et pour que les troupes de S. M. rentrent
dans les frontières de son territoire.... Ces demandes, fondées sur nos
engagements et sur les besoins de l'Europe entière, seront sans doute
favorablement accueillies par S. M. » (page 155) La dépêche se terminait par la demande d'une réponse
prompte et satisfaisante (Note de bas de page : Moniteur Belge du 19 Août 1831. La
dépêche était signée Esterhazy, Wessemberg, Tal1eyrand, Palmerston, Bulow,
Lieven, Matuszewic. - Papers relative to the affairs of Belgium, A, p.
80).
La Conférence se réunit de nouveau le lendemain, 6 Août.
Le plénipotentiaire anglais ouvrit la séance en
déclarant que le ministère britannique, en apprenant la reprise des hostilités,
avait donné à une division de la flotte l'ordre de se rassembler aux Dunes,
afin d'être à portée de concourir au rétablissement de l'armistice garanti par
les cinq puissances; il ajouta que, depuis l'expédition de cet ordre, le roi
des Belges avait réclamé l'assistance des cinq puissances, et spécialement le
secours naval de la
Grande-Bretagne.
L'ambassadeur de France, prince de Talleyrand, fit une
déclaration plus explicite. Il annonça que le roi Louis-Philippe, sur les
instances du nouveau souverain de la Belgique, avait fait marcher un corps d'armée
pour refouler les troupes hollandaises sur leur territoire; mais en même temps
il donna l'assurance formelle que son gouvernement, repoussant toute idée de
conquête, ne voulait faire servir ses forces qu'à l'exécution des engagements
pris par les cinq puissances au sujet du maintien de l'armistice entre la Hollande et la Belgique.
Pas un membre de la Conférence n'éleva la
voix pour protester contre les mesures prises par l'Angleterre et la France. Tous, au
contraire, s'empressèrent d'avouer que la marche de l'armée française avait
lieu pour assurer l'exécution des engagements contractés par les cinq
puissances. Ils se contentèrent d'exiger que les troupes françaises ne
franchissent pas les anciennes frontières de la Hollande; que leurs
opérations se bornassent à la rive gauche de la Meuse; que, dans aucune
hypothèse, on ne procédât à l'investissement des places de Maestricht et de
Venloo, trop rapprochées de la
Prusse pour devenir le théâtre de la guerre sans
inconvénients pour l'Allemagne; enfin, que les troupes françaises se
retirassent dans les limites de la
France dès que l'armistice aurait été rétabli tel qu'il
existait avant la reprise des hostilités. Le plénipotentiaire français accepta
ces conditions. Quant à l'intervention éventuelle de la marine anglaise, il fut
stipulé (page 156) que la flotte mouillée aux Dunes n'agirait que pour
l'accomplissement des mêmes vues et d'après les mêmes principes (Recueil de pièces diplomatiques, t.
l, p. 287. - Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 82).
On le sait
déjà: ces décisions des plénipotentiaires, pas plus que leur dépêche du 5 Août,
n'eurent pour effet d'arrêter les mouvements de l'armée hollandaise. A toutes
les instances, à tous les ordres, à toutes les menaces de la Conférence, M. Verstolk
de Soelen répondait, sans sourciller, que les mouvements des troupes
hollandaises, loin d'être dictés par des motifs d'ambition ou de vengeance,
avaient pour seul but d'appuyer les négociations et de hâter la signature d'un
traité définitif. M. Verstolk ajoutait: « La conclusion de ce traité, dont Sa
Majesté espère le moment très-rapproché, va immédiatement mettre un terme aux opérations
militaires. » C'était joindre la dérision à l'oubli des engagements
contractés envers l'Europe. Il fallut qu'une armée française vînt arrêter le
prince d'Orange à quatre lieues de Bruxelles (Note de bas de page : Recueil de pièces diplomatiques, t.
l, p. 284. - En lisant les actes diplomatiques que nous avons transcrits, on
aura remarqué la phrase où la
Conférence déclare n'avoir appris la reprise des hostilités
que par le bruit public. La sincérité de cette déclaration a été révoquée en
doute. On s'est demandé comment la signification des préparatifs militaires de la Hollande avait échappé à
l'attention de l'ambassadeur britannique accrédité à La Haye. On a imaginé je ne
sais quelle combinaison machiavélique consistant à préparer une humiliation sanglante
aux révolutionnaires de Septembre, sauf à prier la France .d'accourir à leur
aide aux portes de Bruxelles. Ces soupçons sont le produit de l'imagination
populaire. Le langage de la
Conférence était sincère. A Londres comme à Bruxelles, on
connaissait les préparatifs de la
Hollande; mais on se refusait à croire à la rupture d'une
suspension d'armes garantie par les grandes puissances et acceptée par
Guillaume Ier. On ne s'attendait pas surtout à une reprise d'hostilités sans
déclaration préalable. Depuis longtemps, il est vrai, Guillaume avait pris la
résolution d'envahir la
Belgique, ou premier moment favorable; mais l'exécution de ce
dessein fut brusquement résolue en Juillet, par suite du dépit causé à La Haye
par l'élection du prince Léopold. Nous avons puisé ces renseignements à bonne
source).
5. 2. L’attitude partiale de la Conférence
Dès lors, pour tout homme impartial, le rôle de la Conférence était tracé.
Ainsi que l'a dit un publiciste anglais, la violation seule de la suspension
d'armes par le roi des Pays-Bas était suffisante pour annuler les articles
antérieurement stipulés en sa faveur. Le monarque néerlandais ayant été réduit
à l'obéissance par les armes de la
France agissant au nom des cours alliées, les puissances
avaient le droit de prendre, (page 157)
au détriment de la Hollande,
toutes les mesures qu'elles jugeraient propres à accomplir désormais le grand
objet de leurs efforts communs, la paix de l'Europe (Note de bas de page: V. A justification of the Foreign
Policy of Great-Britain towards Rolland, p.27. London, Ridgway, 1853. – La Hollande et la Conférence, par Gobau
de Rospoul (M. Van de Weyer), p. 12.)
Pourquoi la Conférence n'a-t-elle pas suivi cette ligne de
conduite? Pourquoi, au lieu de punir la Hollande d'une infraction manifeste au droit des
gens, a-t-elle aggravé les conditions imposées à la Belgique? Il ne faut pas
s'imaginer que les diplomates de Londres aient cédé à la pression de l'opinion
publique. En Angleterre , en France et même dans une grande partie de
l'Allemagne, la presse était à peu près unanime à blâmer l'agression brutale de
la Hollande. Partout
on signalait à la justice de l'Europe la violation d'un engagement solennel,
contracté sous la garantie des grandes puissances.
A Paris, des protestations énergiques s'étaient fait
entendre à la tribune des Chambres. « Nos armées, disait l'adresse en réponse
au discours du trône, votée par la
Chambre des Députés, nos armées marchent au secours de la Belgique, et la France applaudit avec
transport à ce mouvement généreux » (Moniteur universel du 10 Août 1831).
Et l'adresse votée par la Cour
des Pairs ajoutait: « La marche de notre armée a répondu à 1'urgence des
circonstances. Votre Majesté ne pouvait pas différer de faire respecter des
engagements pris de commun accord avec les grandes puissances. Toute la France applaudira avec nous
à cette célérité et au courage des deux princes vos fils, qui, suivant les
exemples de Votre Majesté, vont aussi consacrer leurs premières armes à !a
défense de l'indépendance et de la liberté » (Note de bas de page : Le Roi Louis-Philippe répondit aux
Pairs: «.J'étais sûr d'être approuvé par mon pays en prenant des mesures
promptes et vigoureuses, pour soutenir l'indépendance et faire respecter la
neutralité d'une nation amie que tant de liens attachent à la France, et que tant de
souvenirs lui rendront toujours chère.» (Moniteur belge du 16 Août 1831)).
A Londres, la rupture de l'armistice avait produit une
impression analogue. Pendant que les sommités des torys, reculant devant
l'évidence des faits, osaient à peine hasarder quelques explications timides et
embarrassées, les organes des whigs dénonçaient le gouvernement de (page 158) La Haye à l'indignation du
peuple anglais. « Pendant les douze mois qui viennent de s'écouler, disait le
Times, la conduite de notre ancien allié donne plutôt l'idée du triste état
d'un insensé que du caractère d'un prince qui, pendant quinze années, a reçu de
nous tant de marques de confiance et d'estime » (Times du 5 Août. Moniteur
universel du 9 Août). Dans la séance de la Chambre des Lords du 9 Août, lord Brougham blâma
la conduite de Guillaume 1er dans les termes les plus énergiques. Au milieu des
applaudissements d'une partie de l'assemblée, il poussa l'ardeur de la critique
au point d'accuser le monarque hollandais d'avoir cédé à l'impulsion d'un
égoïsme monstrueux et sanguinaire (V. l'article du Morning Chronicle, reproduit par le Moniteur
belge du 15 Août 1831).
L'attitude de la Conférence s'explique par les sentiments peu
sympathiques de la majorité de ses membres envers un gouvernement issu des
commotions populaires de 1830. La
Russie combattait la révolution en Pologne. L'Autriche
luttait contre la révolution en Italie. La Prusse trouvait la révolution à Neufchâtel et aux
bords du Rhin. Les ambassadeurs de ces cours ne pouvaient approuver à Bruxelles
les actes que leurs maîtres punissaient d'exil ou de mort à Varsovie, à Milan ,
à Aix-la-Chapelle et dans les vallées de la Suisse. Ils avaient, à
la vérité, donné leur assentiment à des protocoles qui admettaient comme point
de départ l'indépendance future de la Belgique; mais cette condescendance, loin de
fournir une preuve décisive de leurs sympathies personnelles, avait pour mobile
unique la crainte de jeter l'Europe dans les souffrances et les hasards d'une
guerre générale. Cette crainte seule les avait déterminés à sacrifier
momentanément les prérogatives de la légitimité aux exigences de l'insurrection
victorieuse.
Aux yeux des diplomates réunis à Londres, les intérêts
particuliers de la Belgique
et de la Hollande
formaient un côté très-accessoire de la question. Le différend avait pris, dès
son début, une couleur européenne. Une lecture même superficielle des actes de la Conférence suffit pour
en acquérir la preuve manifeste. – « Le maintien de la paix générale
constitue le premier intérêt, comme il forme le premier vœu des puissances
réunies en conférence à Londres » (Protocole du 20 Janvier 1831. Huyttens, t. IV, p. 240) - « Les questions qu'il
s'agit de résoudre donnent lieu à des décisions dont les (page 159) principes, loin d'être nouveaux, sont ceux qui ont régi
de tout temps les relations réciproques des États » (Protocole du 27 Janvier
1831. Huyttens, t. IV, p. 251) - « Les puissances n'ont en vue que d'assigner à
la Belgique
dans le système européen une place inoffensive » (Même protocole. Huyttens,
ibid., p. 254).- « Chaque nation a ses droits particuliers; mais l'Europe a
aussi son droit; c'est l'ordre social qui le lui a donné. Les traités qui
régissent l'Europe, la
Belgique les trouve faits et en vigueur; elle doit les
respecter et ne peut pas les enfreindre. Les événements qui font naître en
Europe un État nouveau ne lui donnent pas plus le droit d'altérer le système
général dans lequel il entre, que les changements survenus dans la condition d'un
État ancien ne l'autorisent à se croire délié de ses engagements antérieurs »
(Protocole du 19 Février 1831. Ibid., p. 267 et s). Telles étaient les maximes
professées au Foreign-Office. Si les sympathies personnelles des ambassadeurs
avaient seules servi d'impulsion aux actes de la Conférence, la dynastie
de Nassau règnerait encore à Bruxelles. La Russie, la Prusse et l'Autriche défendaient ouvertement les
intérêts du monarque hollandais; l'Angleterre, la France elle-même, avaient
longtemps borné leurs vœux à l'érection d'un trône belge où se fût assis le
prince d'Orange. Il est certain que, plus d'un mois après le décret d'exclusion
de la maison déchue, au moment où le Congrès allait procéder à l'élection du
souverain, les cinq Puissances usèrent de toute leur influence auprès du roi
Guillaume, pour obtenir son assentiment à des démarches qu'elles se proposaient
de renouveler en faveur de son fils aîné. Si les cours alliées tournèrent
brusquement leurs vues d'un autre côté, c'est que Guillaume, nourrissant
toujours l'espoir d'une restauration complète, leur répondit avec aigreur: «
J'aimerais mieux voir de Potter sur le trône des Belges » (Note de bas de
page : La Hollande et la Conférence, par M. Van
de Weyer, p. 19. Le cabinet prussien avait envoyé à son plénipotentiaire les
instructions suivantes: «Employez tous vos efforts à replacer la Belgique sous le sceptre
du roi Guillaume; si vous ne pouvez y réussir, essayez d'ériger ce pays en
royaume indépendant pour le prince d'Orange; si vous échouez, consentez à ce
que le prince de Cobourg devienne roi des Belges, puisque sa position envers
nous peut offrir les garanties dont nous ayons besoin. » (Noch
ein Wort ûber die Hollandisch-Belgische Frage, par M. de Stockmar, Hamburg,
1832). On aura remarqué que, même au mois d'Août 1831, l'empereur Nicolas
était prêt à sanctionner (page 160)
les résultats de l'agression déloyale de la Hollande. Mais
revenons aux faits accomplis.
5. 3. La renégociation du traité des 18 articles
Quelles que fussent les vues individuelles des membres
de la Conférence,
le protocole du 26 Juin 1831 avait offert à la Belgique les conditions
suivantes, connues sous les dénominations de Préliminaires de paix et de Dix-huit
articles:
- La fixation des limites de la Hollande, telles qu'elles
étaient en 1790 (Art. 1er).
- La remise à la Belgique de tout le reste des territoires qui
avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815
(Art. 2).
- Le maintien du statu quo dans la province de
Luxembourg, pendant la durée des négociations à ouvrir par le roi des Belges
avec le roi de Hollande et la
Confédération germanique, au sujet de la possession
définitive du duché (Art. 3).
- Un arrangement équitable entre les deux peuples au
sujet de la souveraineté indivise de Maestricht (Art. 4).
- Un arrangement analogue au sujet des enclaves que la Hollande et la Belgique possédaient, en
1790, sur leurs territoires respectifs (Art. 5).
- La neutralité perpétuelle de la Belgique, sous la
garantie des cinq puissances (Art. 9).
- Le partage des dettes, de manière à faire retomber
sur chacun des deux pays la totalité de celles qui pesaient sur son territoire
avant la réunion, et à diviser, dans une juste proportion, les dettes contractées
en commun (Art. 12).
- L'application des dispositions des articles 108 à
117 de J'acte général de Vienne (libre navigation des fleuves et rivières) aux
eaux qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge (Art. 7)
(Note de bas de page : D'autres stipulations étaient relatives à l'écoulement des eaux des
Flandres, à la navigation du Rhin et des eaux intérieures de la Hol1ande, etc. Le texte
complet des dix-huit articles se trouve à l'Appendice (L. K.)).
Ces conditions,
offer.les à la Belgique,
avaient été de même présentées au prince Léopold, pour le déterminer à monter
sur le trône des Belges; en d'autres termes, il y avait une relation directe
entre l'acceptation des dix-huit articles et l'avénement du prince. Aux yeux de
la Conférence,
comme aux yeux de la Belgique
et de son futur souverain, l'un de ces faits était la conséquence de l'autre.
Le (page 161) protocole du 21 Mai,
destiné à faciliter l'adhésion de la Belgique aux vues de la Conférence, dit
positivement que les plénipotentiaires, en préparant la voie aux dix-huit
articles, ont pour but « d'aplanir les difficultés qui entraveraient
l'acceptation de la souveraineté de la Belgique par le prince Léopold de Saxe-Cobourg,
dans le cas où, comme tout porte à le croire, cette souveraineté lui serait
offerte » (Note de
bas de page : Huyttens, t. IV, p. 280. C'est le premier acte de la Conférence où il est
fait mention du prince Léopold).
Un mois plus tard, le prince disait, à son tour, à la
députation du Congrès chargée de lui offrir la couronne: « J'accepte l'offre
que vous me faites, bien entendu que ce sera au Congrès des représentants de la
nation à adopter les mesures qui seules peuvent constituer le nouvel État, et
par là lui assurer la reconnaissance des États européens. » Le même jour,
il écrivit au Régent: « Aussitôt que le Congrès aura adopté les articles que la Conférence de Londres
lui propose, je considèrerai les difficultés comme levées pour moi, et je
pourrai me rendre immédiatement en Belgique » (Note de bas de page : Ibid., t. IV, p. 163 et 164). De la part de l'Europe,
les dix-huit articles constituaient un engagement solennel envers le prince
Léopold et envers la
Belgique. C'est un point capital qui ne doit pas être perdu
de vue dans l'examen des négociations ultérieures (Note de bas de page : On peut consulter à ce sujet le ch.
XI de l' Essai sur la révolution belge, de M. Nothomb; cette lecture dissipera
tous les doutes. – M. White (Rév. belge, t. III, p. 18(;) rapporte un épisode
qui prouve que les plénipotentiaires russes eux-mêmes n'avaient pas autrement
interprété les actes de la
Conférence. Le 12 Juillet, les représentants des cinq cours
étaient réunis à MalboroughHouse, résidence du prince Léopold. Le prince leur
dit: « La volonté des grandes puissances est-elle de me reconnaître
immédiatement ? Leur volonté est-elle de me reconnaître, si je me rends en
Belgique sans attendre l'adhésion du roi de Hollande? » - « Oui, quand même,
répondit le comte Matuszewic, et, s'il refuse, nous trouverons le moyen de le forcer
à consentir.» - On dit qu'un autre diplomate russe, le prince de Lieven,
n'était pas moins explicite.- Il est permis de douter de la sincérité de ce
langage; mais il prouve au moins que, dans les idées des membres de la Conférence, les
dix-huit articles étaient un engagement solennel de l'Europe envers le prince
Léopold.)
Le Congrès national accepta les dix-huit articles, par
son décret du 9 Juillet 1831. La
Hollande, au contraire, les repoussa de ses forces.
La Conférence fit un nouvel effort (25 Juillet). Nourrissant
toujours (page 162) l'espoir que des
négociations ultérieures, poursuivies sous les auspices des cinq cours,
pourraient amener la conclusion d'un traité définitif, elle engagea les deux
gouvernements à munir leurs représentants à Londres des pouvoirs nécessaires
pour discuter et signer ce traité (Papers relative to the affairs of Belgium,
A, p. 76). Cette fois, ce fut la
Belgique qui refusa. Le ministre des Affaires étrangères, M.
de Meulenaere, répondit que les dix-huit articles, réciproquement adoptés,
devaient, aux termes du protocole du 26 Juin, être convertis en traité
définitif. Il ajouta que la
Conférence elle-même avait envisagé ces articles comme
préliminaires de la paix, et que dès lors l'envoi d'un nouveau plénipotentiaire
serait sans objet aussi longtemps que la Hollande n'aurait pas accédé, de son côté, à des
conditions qui avaient été purement et simplement acceptées par le Congrès
belge (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 5).
La Hollande, prête à envahir la Belgique, tint un autre
langage. Dans une dépêche du 1er Août, M. Verstolk de Soelen disait à la Conférence: « Sa
Majesté (Guillaume Ier), qui n'a cessé de donner des preuves de son désir
sincère de coopérer à un arrangement, et d'assurer ainsi, autant qu'il dépend
d'Elle, le bienfait de la paix à l'Europe, étant toujours animée des mêmes
sentiments, m'a chargé de munir ses plénipotentiaires des pouvoirs et
instructions nécessaires pour discuter, arrêter et signer avec vos Excellences
elles-mêmes un traité définitif » (Recueil de pièces diplomatiques, t. l, p.
265).
Au moment de l'invasion de notre territoire, la
situation diplomatique était donc celle-ci : la Belgique, avant d'entamer
des négociations nouvelles, exigeait de la part de sa rivale l'acceptation des
dix-huit articles; la
Hollande, tout en protestant contre les dix-huit articles,
offrait de débattre, sous les auspices de la Conférence, les
conditions d'un traité définitif.
Après la désastreuse campagne d'Août, la Belgique, subissant la
loi des vaincus, se montra moins sévère. Renonçant à exiger du cabinet de La
Haye l'acceptation préalable des dix-huit articles, elle consentit à reprendre
les négociations par l'intermédiaire des cinq cours. Le 22 Août, le roi remit
ses pleins pouvoirs à M. Van de Weyer.
On a dit que cette concession fut une faute; mais on
oublie que le (page 163) protocole
du 26 Juin n'indiquait que les bases d'un traité, et que des questions de la
plus haute importance restaient à résoudre. Le différend hollando-belge pouvait
chaque jour amener une conflagration générale; des intérêts immenses étaient en
souffrance, et l'Europe, qui voulait la paix, ne se serait pas arrêtée devant
une fin de non-recevoir alléguée par les Belges puisque notre sort allait être
remis en question, le parti le plus sage était de ne pas se faire juger par
contumace. D'ailleurs la
Conférence elle-même s'était attachée à dissiper les craintes
du cabinet de Bruxelles. Dans une note du 25 Juillet, les plénipotentiaires des
cinq cours s'étaient déclarés directement intéressés dans les négociations,
comme ayant garanti à la
Belgique sa neutralité, son indépendance et l'intégrité de
son territoire (Papers
relative to the affairs of Belgiun, A. p. 76).
Quoi qu'il en
soit, des négociations nouvelles s'ouvrirent à Londres.
Le 5 Septembre, la Conférence engagea les
plénipotentiaires belge et hollandais à lui communiquer leurs idées sur les
moyens de résoudre dans un traité définitif les trois points suivants :
1° La démarcation des limites entre la Hollande et la Belgique;
2° Les arrangements relatifs au grand-duché de
Luxembourg;
5° La nature de la transaction qui pourrait intervenir
relativement au partage des dettes (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 24)
La démarcation
des limites, la possession du Luxembourg et le partage de la dette étaient, en
effet, les points culminants du litige.
Ces trois problèmes résolus, la navigation des fleuves
et des rivières ne pouvait donner lieu à un désaccord prolongé.
Chacun des trois points signalés par la Conférence devint l'objet
d'un débat animé entre celle-ci et les agents diplomatiques des deux peuples.
5. 4. La démarcation des limites entre la Hollande et la Belgique
Dans le système présenté par le gouvernement belge, il
est fréquemment question d'enclaves
territoriales, de villages de Rédemption et de souveraineté indivise de
Maestricht. Avant d'exposer les phases successives des négociations, il est
indispensable d'indiquer la portée réelle de ces termes.
En 1790, le pays qui, sous le gouvernement des
Pays-Bas, formait la province de Limbourg et le nord de la province de Liége,
était en quelque sorte parsemé de communes hollandaises enclavées dans son
territoire.
(page 164)
En vertu de divers traités, les Hollandais possédaient, à la fin du dernier
siècle, la ville de Venloo, le comté de Vroenhove, une partie du comté de
Fauquemont et de la seigneurie de Rolduc, les villages dits espagnols sur la rive droite de la Meuse, une partie du comté
de Daelhem, l'Ammanie de Montfort et la forteresse de Stevensweert avec ses
dépendances. Ces communes étaient au nombre de quarante-quatre, y compris la
ville de Venloo; elles comptaient, en 1850, une .population globale de 48,659
âmes. Avant l'invasion française, les Hollandais les désignaient sous la
dénomination de Pays de la généralité,
parce que, conquises après l'Union d'Utrecht, par les efforts réunis de la
nation hollandaise, elles étaient administrées dans l'intérêt de la généralité
des Provinces-Unies (Note de bas de page : Voy. à l'Appendice le tableau de ces communes avec les
explications nécessaires (L. L.). M.. Nothomb n'a pas présenté cette situation
d'une manière rigoureusement exacte; car il affirme que la Hollande possédait
cinquante-trois communes enclavées dans le sol belge, dont treize situées sur
la rive gauche et quarante sur la rive droite de la Meuse (V. Essai historique
et politique sur la révolution belge, chap..XI). On devrait, à la rigueur,
ajouter à notre liste le village de Lommel, détaché du Brabant septentrional
par la loi du 18 Novembre 1818, pour être incorporé à la province de Limbourg;
mais, par contre, le Brabant septentrional s'était enrichi du village
limbourgeois de Luiks-Gestel, et le gouvernement de La Haye ne semblait pas
disposé, en 1831 , à revenir sur cet échange).
A côté des Pays
de la généralité, appartenant à la
Hollande en toute souveraineté, se trouvaient sept villages
sur lesquels les États Généraux n'exerçaient qu'un droit de protectorat.
C'étaient les villages de Rédemption,
ainsi nommés parce que, moyennant une rétribution annuelle irrévocablement
fixée, ils s'étaient rédimés de toute autre imposition existante ou future. En
1790, ils rapportaient aux Provinces-Unies un revenu global de 2,652 florins de
Brabant (francs 4,810,84). Ce tribut était à peu près le seul signe de leur
dépendance de la
Hollande. L'intervention de celle-ci dans leur administration
intérieure se réduisait à un petit nombre d'ordonnances d'intérêt général à
observer par les seigneurs et leurs officiers. Les délégués des États Généraux
ne pouvaient s'immiscer ni dans le gouvernement local, ni dans la nomination
des fonctionnaires. En réalité, ainsi que nous l'avons dit, ce n'était qu'un
simple protectorat (Note de bas de page : V. le Recueil des règlements pour la seigneurie de
Russon, imprimé à Maestricht en 1749 (92 pages in-4°). - Ordinairement on
attribue à la Hollande
huit villages de Rédemption. C'est une erreur. La huitième commune, celle de
Hermalle, avait été cédée à l'Autriche par le traité de Fontainebleau. La Hollande ne la possédait
donc plus en 1790 (V. la liste des villages de Rédemption à l'Appendice). Le
comte de Neny (Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, p.
257) dit que les villages de Rédemption payaient également une contribution aux
souverains du Brabant. La
Hollande a aussi formé des prétentions sur les villages
composant les Bancs de St. Servais. C'était un oubli de l'histoire et du droit.
Ces communes étaient des terres immédiates de l'Empire germanique appartenant
au chapitre de St.-Servais à Maestricht (V. le Mémoire de M. Cudell, cité
ci-après)).
(page 165)
En ajoutant à ces deux catégories de possessions la souveraineté indivise de
Maestricht, on aura un tableau complet des enclaves hollandaises.
La possession de Maestricht avait été l'objet de
longues discussions entre les Ducs de Brabant et les Princes-Évêques de Liége.
Après une foule de traités successifs, tantôt violés par la force, tantôt
modifiés par des concessions volontaires, les deux rivaux avaient fini par se
reconnaître réciproquement une moitié indivise dans la souveraineté de la
forteresse. Le gouverneur prêtait serment de fidélité aux deux souverains; la
défense de la ville était une charge commune; les impôts devaient être établis
par assentiment réciproque; bref, l'indivision de la souveraineté était tellement
complète qu'on avait pris la maxime suivante pour fondement du droit public de
la cité: Trajectum neutri domino, sed paret utrique ((Note de bas de
page : Dans les
archives de la ville on trouve souvent les maximes suivantes: Un Seigneur.,
point Seigneur.; deux Seigneurs, un Seigneur. Een Heer, geen Heer; twee Heeren,
een Heer).
Ce singulier gouvernement fonctionnait depuis quatre
siècles lorsque, par la capitulation du 22 Août 1632, les droits du Brabant (et
rien de plus) furent transférés aux États Généraux. La Hollande n'obtint pas la
souveraineté absolue de la place. La capitulation constatait et réservait
expressément les droits des Princes-Évêques de Liége. Son article 6 portait que
les États Généraux devaient se contenter du pouvoir qui appartenait au roi
d'Espagne comme duc de Brabant, et que « à l'evesque de Liége demeureroit pro
indiviso la juridiction commune, et son domaine entier, comme ainsi que
d'ancienneté et jusqu'à présent.» L'article 7 ajoutait : « Lesdits Seigneurs
Estats gouverneront, avec ledit Prince-Evesque de Liége, ensemble la ville et
appendice (page 166) comme un Estat
et province séparée des provinces autres de chacun desdits seigneurs, comme
cy-devant les evesques et roys d'Espagne l'ont gouvernée, tant en matière de
justice, ressort et police». Des traités postérieurs confirmèrent ces
dispositions.
La Hollande demeura fidèle à ses engagements. L'administration
commune se perpétua jusqu'à la prise de Maestricht par Louis XIV, en 1673.
Maintenue par ce prince à l'égard de l'évêque de Liége, elle reprit son cours
après le départ des Français, en 1676, et subsistait encore en 1794, A l'entrée des
soldats de la république française, les écussons réunis de l'évêque et des
Etats ornaient tous les édifices publics (Note de bas de page : La souveraineté indivise de
Maestricht et la question des enclaves ont donné lieu à plusieurs publications.
L'écrit qui nous paraît le plus remarquable est la Notice historique et
monumentale sur la ville de Maestrich, publiée par un anonyme dans l'annuaire
du duché de Limbourg de 1846 (Jaerboek voor het hertogdom Limburg. Maestricht,
1846, in-18). On peut aussi consulter avec fruit les opuscules suivants: 1° De
la souveraineté indivise des évêques de Liége et des Etats Généraux sur
Maestricht, par Polain. Liége, 1831, in-8o; 2° La Belgique et les
vingt-quatre articles, par Dumortier. Bruxelles, 1838, in-8°; 3° De la question
territoriale entre la
Hollande et la
Belgique (par M. Cudell, juge de paix à Hasselt). Liége,
1838, in-8°; 4° Notice sur Maestricht, 12 pp. in-8°. Paris, Gœtschy et Cie
(sans date). Cet opuscule a été publié en 1831; 5° La ville de Maestricht, ses
droits, etc., par Mancel, Bruxelles, 1838; 6° Dissertatio de origine et
principatu urbis Trajecti ad Mosam. Auct. V. Hennequin. Lov. 1829. - On peut
consulter encore: Belgii confederati respublica (Elz. 1630, in-32), p. 331).
5.5. La position particulière du grand-duché de
Luxembourg
Un autre point qui doit être préalablement éclairci,
c'est la situation du Luxembourg au moment où cette province adhéra à la
révolution de 1830.
Le Luxembourg formait, dès le dixième siècle, un Etat
à part, gouverné par une dynastie indigène. En 1444, la descendance mâle de la
famille régnante s'étant éteinte, Guillaume de Saxe et Elisabeth de Gorlitz
cédèrent leurs droits au duc de Bourgogne Philippe-le-Bon, et celui-ci se fit
reconnaître par les Etats du pays.
A partir de ce moment, le Luxembourg partagea le sort
des provinces belges. Sous les maisons de Bourgogne, d'Espagne et d'Autriche,
de même que sous la souveraineté particulière d'Albert et d'Isabelle, il
appartenait à la Belgique
au même titre que le comté de Flandre et le duché de Brabant. A part quelques
différences secondaires résultant des privilèges locaux, les gouverneurs
autrichiens, à la fin du dix-huitième siècle, exerçaient dans les communes du (page 167) Luxembourg la même
juridiction qu'à Bruxelles. Les États de la province envoyaient leurs députés
aux États Généraux, et les ordonnances d'administration générale y étaient
obligatoires comme dans les autres parties du pays. Avec toutes nos provinces,
le Luxembourg avait été compris dans le cercle de Bourgogne.
Avant la révolution de 1830, ces vérités historiques
n'avaient jamais été révoquées en doute, ni par la Belgique, ni par la Hollande, ni par
l'Europe. Le traité d'Utrecht du 11 Avril 1713, qui céda les provinces belges à
la maison d'Autriche, comprit le Luxembourg sous la dénomination générale de
Pays-Bas. En 1790, les volontaires de l'armée belge commandée par Vander Merch
réclamèrent officiellement le concours de leurs frères du Luxembourg. « Unis
avec vous depuis des siècles par les mêmes destinées, disaient-ils, nous
croirions avoir peu fait pour notre bonheur, si nous n'étendions pas jusqu'à
vous l'ouvrage heureux de la liberté » (Adresse des volontaires de l'armée
belgique aux habitants de la ville et province de Luxembourg. Bruges, 1790, p.
2). C'est comme province belge que, le 9 Vendémiaire an IV (1er Octobre 1795),
le Luxembourg fut incorporé à la république française. C'est encore comme
province belge que le Luxembourg se vit compris dans les traités de
Campo-Formio et de Lunéville (17 Octobre 1797 et 9 Février 1801).
Avant sa réunion à la France, le Luxembourg était
donc incontestablement une province des Pays-Bas autrichiens. Tous les traités,
tous les documents historiques et politiques, toutes les cartes attestent cette
vérité. Aussi, de même que les actes diplomatiques antérieurs, le traité de
Londres du 20 Juin 1814, qui joignit nos provinces à la Hollande pour former avec
elles le royaume des Pays-Bas, comprit le Luxembourg sous la dénomination
générale de Belgique. Guillaume Ier agit de même dans sa proclamation du 16
Mars 1815, par laquelle il s'attribua le titre de roi. «Nous déclarons par ces
présentes, disait-il, que tous les pays appartenant à la Belgique et à la Hollande forment le
royaume des Pays-Bas, pour être possédés par nous et par nos légitimes
successeurs, d'après le droit de primogéniture, et nous prenons, pour
nous-mêmes et les princes qui monteront après nous sur le trône, la dignité
royale et le titre de roi, en ajoutant
cependant à ce dernier celui de duc de Luxembourg, à cause des relations que
cette province est destinée à avoir avec l'Allemagne (Pasinomie, 2e série,
t. II, p. 1).
(page 168)
Ces derniers mots font al1usion à un projet qui fut réalisé par les traités de
1815 et qui doit ici spécialement fixer l'attention.
En 1814, la famille d'Orange-Nassau possédait en
Allemagne les petites principautés de Nassau-Dillenbourg, Siegen, Hadamar et
Dietz, avec une population de 120,000 habitants, sur une surface de 45 milles
carrés. Par les traités de Vienne du 31 Mai et du 9 Juin 1815, Guillaume céda
ces principautés à la Prusse;
mais, voulant conserver le titre et les droits de prince allemand, il fit stipuler
que le Luxembourg servirait de compensation à cette cession, et que le roi des
Pays-Bas, sous le titre de Grand-Duc de Luxembourg, ferait partie de la Confédération
germanique. Après avoir constaté l'acceptation de ces conditions, l'article 67
de l'acte général de Vienne ajoutait: « La faculté est réservée à S. M. le Roi
des Pays-Bas de faire relativement à la succession dans le Grand-Duché (de
Luxembourg) tel arrangement de famille entre les princes ses fils qu'elle
jugera conforme aux intérêts de sa monarchie et à ses intentions paternelles.»
Le Luxembourg devint ainsi un Grand-Duché de la Confédération
germanique et son chef-lieu fut transformé en forteresse fédérale, De plus,
Guillaume Ier obtint la faculté de transmettre la souveraineté de la province
au puîné de ses fils, à l'exclusion de l'aîné, que la Loi Fondamentale
appelait au trône des Pays-Bas.
De 1815 à 1830 se présente ainsi pour le Luxembourg
une période nouvelle; mais, par contre, les événements de ces quinze années
attestent, d'une manière irréfragable, que le roi Guillaume, tout en
souscrivant à l'article 67 du traité de Vienne, n'avait jamais eu l'intention
de démembrer son royaume par l'érection du Luxembourg en État particulier. Son
but unique consistait à s'attribuer éventuellement les avantages attachés au
titre de membre de la
Confédération germanique. Le roi n'avait pas d'autre dessein.
Mille faits se groupent pour en fournir la preuve.
La Loi Fondamentale de 1815 plaça le Luxembourg
parmi les provinces méridionales du royaume. Son article 2 portait: « Le
Grand-Duché de Luxembourg, étant placé sous la même souveraineté que le royaume
des Pays-Bas, sera régi par la même Loi Fondamentale, sauf ses relations avec la Confédération
germanique.» Pendant les quinze années qui précédèrent la révolution, le
Luxembourg eut les mêmes institutions, les mêmes lois et la même administration
que les autres (page 169) provinces.
A part le séjour d'une garnison allemande dans la forteresse, le Luxembourg ne
fut jamais soumis à aucune des obligations militaires ou civiles dérivant du
pacte fédéral. Aux États Généraux des Pays-Bas, quatre députés du Luxembourg
siégeaient parmi les cinquante-cinq représentants assignés aux provinces
méridionales. Les emplois publics étaient indistinctement conférés aux Hollandais,
aux Belges et aux Luxembourgeois. Les belles forêts du Duché furent vendues au
profit du trésor général du royaume. La fusion administrative, politique,
militaire, religieuse, était complète: la communauté était parfaite. Et comment
eût-il pu en être autrement? Aux termes de l'article 29 de la Loi Fondamentale,
le roi ne pouvait porter deux couronnes. Si le Luxembourg avait formé un État
distinct, Guillaume eût violé la Constitution de son royaume en prenant le titre
de grand-duc (Note de bas de page : Au lieu de prendre pour objet de l'échange la province de
Luxembourg, les diplomates de Vienne auraient pu indiquer tout aussi bien les
provinces de Liége, d'Anvers et de Brabant. Il y a plus, au lieu de se
contenter d'une seule province, on aurait pu étendre la convention à la Belgique entière; et ce
dernier projet n'est pas une hypothèse gratuite. Schœll (Congres de Vienne,
tom. l , p. 17) s'exprime de la manière suivante : «On a proposé de faire
entrer dans la
Confédération germanique la Belgique, et peut-être
les Pays-Bas en général, et cette idée paraît excellente; si on y donnait
suite, ce pays devrait former un nouveau cercle de Bourgogne dont le prince
souverain des Pays-Bas serait le chef. » - Et si ce projet s'était réalisé,
suffirait-il pour interdire à jamais à la Belgique tout changement dans son régime
intérieur?).
Ces faits suffiraient pour fixer la position du
Luxembourg à l'époque de la révolution de Septembre; mais il existe un acte
législatif qui dissipe tous les doutes: Guillaume Ier avait lui-même déclaré
les destinées du Luxembourg inséparables des destinées des autres provinces.
Aux termes d'un pacte de famille du 4 Avril 1814, les
quatre principautés nassauviennes devaient passer au prince Frédéric, au moment
où son frère, le prince d'Orange, serait parvenu à la souveraineté des
Provinces-Unies. Le Luxembourg ayant été, deux mois après, substitué à ces
principautés patrimoniales, par suite de la cession de celles-ci à la Prusse, i] en résultait que
le prince Frédéric était destiné à devenir possesseur du Grand-Duché, au moment
où son frère aîné deviendrait roi des Pays-Bas. C'était même à ce pacte de
famille que le traité de Vienne faisait allusion en autorisant le roi à changer
arbitrairement, à l'égard du Luxembourg, les droits successifs de ses
descendants.
Qu'arriva-t-il? Guillaume Ier renonça solennellement à
la faculté que (page 170) lui
laissait l'article 67 de l'acte général de Vienne. Imitant cet exemple, le
prince Frédéric renonça, lui aussi, à ses prétentions au Grand-Duché, moyennant
un revenu net de 190,000 florins (frs 402,116,38) en biens domaniaux, Par suite
de cette double renonciation, une loi du 25 Mai 1816 annexa irrévocablement le
Luxembourg aux Pays-Bas (Note de bas de page : Les termes de cette loi sont conçus
de manière à dissiper tous les doutes (V. Pasinomie, 2e série, t. III, p. 89).
En fait et en
droit le Luxembourg était donc, en 1830, une province belge. Le prince
Frédéric, qui seul eût été fondé à réclamer, avait aliéné ses droits à titre
onéreux. Vis-à-vis de la
Hollande, toute controverse était dès lors impossible. Elle
le comprit si bien que, peu de semaines après les événements de Septembre, elle
exclut des États Généraux les députés luxembourgeois, comme étant devenus
étrangers à la Hollande
(Note de bas de page : MM. d'Anethan, Maréchal et Pescatore, tous trois députés du Luxembourg
aux États Généraux, s'étant rendus à La Haye pour la session ordinaire du mois
d'octobre 1830, furent renvoyés comme devenus étrangers à la Hollande (V. La Belgique et les
vingt-quatre articles, par M. Dumortier, 5e éd., p. 31, en note).
Quant à la Confédération germanique, il faut l'avouer, la
question ne se présentait pas absolument dans les mêmes termes. Si, pendant
quinze années, la
Confédération avait gardé le silence sur les obligations
fédérales imposées à la province, les traités de Vienne n'en restaient pas
moins debout. Mais la
Belgique s'était empressée d'aplanir à l'avance toutes les
difficultés politiques et administratives, en se déclarant prête à respecter les
relations du Luxembourg avec l'Allemagne. Le 18 Novembre 1830, le Congrès
national, à l'unanimité de ses membres, avait proclamé l'indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération
germanique. L'article 1er de la Constitution avait rangé le Luxembourg parmi les
provinces belges, sauf ses relations avec la Confédération
germanique. Les droits de la diète de Francfort se trouvaient donc parfaitement
reconnus, et ces droits n'étaient, en aucune manière, incompatibles avec la
souveraineté territoriale de la Belgique. Dans l'acte constitutif de la Confédération du 8
Juin 1815, l'empereur
d'Autriche et le roi de Prusse interviennent pour celles de leurs possessions
qui ont anciennement appartenu à l'empire germanique. A-t-on jamais prétendu
que ces possessions aient cessé d'appartenir à l'Autriche et à la Prusse, depuis leur
accession à la confédération de 1815? Pourquoi (page 171) donc le Luxembourg ne pouvait pas, tout en restant belge,
conserver ses rapports militaires avec l'Allemagne? Les puissances allemandes
n'ignoraient pas l'existence de la loi du 25 Mai 1816. Elles avaient gardé le
silence, lorsque Guillaume Ier avait incorporé le Grand-Duché au royaume des
Pays-Bas. Pendant quinze années, elles avaient fermé les yeux sur la violation
du pacte fédéral. Était-il équitable de punir les Luxembourgeois d'avoir pris
ce silence significatif pour un assentiment de la Diète ?(Note de bas de
page : La France, il est vrai, n'aurait pas consenti
à l'entrée du souverain de la
Belgique dans la Confédération germanique; mais il y avait un
moyen très simple de concilier tous les droits et toutes les exigences des
cabinets de Paris el de Bruxelles. Pendant quinze années l'Allemagne n'avait
réclamé d'autre prérogative que la faculté de mettre une garnison allemande
dans la forteresse. Ne pouvait-elle pas s'en contenter pour l'avenir ? De
celte manière le roi des Belges n'eût pas été nécessairement membre de la Confédération
germanique. Quoi qu'il en soit, le principe de l'incorporation du Luxembourg
était tellement passé dans le droit public que, dans le traité de limites
conclu avec la Prusse
en 1816, on attribue au royaume des Pays-Bas le village d'Oberbillig et deux
petites îles dépendant des communes de Remichen et d'Echternach (V. Nothomb,
Essai, p. 414, 3e éd.). « La
Belgique, dit M. Nothomb, a pris les choses dans l'état où
les avait mises le roi grand-duc; elle n'a point opéré la réunion du Luxembourg
à la Belgique;
elle l'a maintenue. »)
On a dit que Guillaume Ier et son fils, le prince
Frédéric en se désistant de leurs prétentions, avaient agi en dehors de la
prévision des événements de 1830; que c'était aux Pays-Bas, et non à la Belgique, qu'ils avaient
voulu définitivement unir le Luxembourg. En droit strict cette considération pouvait
être écartée. Quel que fût le mobile des contractants, le Luxembourg se
trouvait définitivement incorporé aux provinces méridionales; la Constitution de 1815
elle-même lui assignait cette place. Province belge, le Luxembourg avait
participé au mouvement général de la Belgique, et à ce point de vue la question
luxembourgeoise était la question belge tout entière. !l est vrai que ce
raisonnement, inattaquable en droit, ne répondait pas, en fait, à toutes les
exigences de l'équité, Mais, ici encore, la Belgique était allée au-devant de toutes les
objections. Elle s'était déclarée prête à payer, soit à la Hollande, soit à la
maison d'Orange, une indemnité supplémentaire; tandis que le gouvernement de La
Haye, oubliant dédaigneusement les faits accomplis, voulait conserver à la fois
et le Luxembourg et l'indemnité que le prince Frédéric avait reçue en échange
(Note de bas de page : On a fait plusieurs autres objections. La maison allemande de Nassau est
divisée en deux branches: la cadette occupe le trône des Pays-Bas; l'aîné règne
en Allemagne. En 1783, un pacte de famille a établi entre les deux branches un
droit réciproque de succession, d'après la loi salique. On s'est prévalu de
cette convention pour revendiquer en faveur des princes allemands de Nassau un
droit actuel d'intervention dans la
question luxembourgeoise, et par suite déclarer nulle la renonciation du prince
Frédéric. Ce raisonnement est plus spécieux que solide. La branche ainée
n'avait pas protesté contre la loi du 2 Mai 1816, et cette loi était, en 1830,
un fait accompli. D'ailleurs, ces princes n'avaient qu'un droit éventuel,
qu'une simple expectative, Toutes les relations politiques et sociales seraient
bouleversées, si chacun était en droit de prendre les armes pour défendre
l'héritage qui pourrait lui échoir, un jour. Comme Guillaume Ier et le prince
Frédéric avaient renoncé à deniers comptants, il ne pouvait être question de
payer une seconde indemnité aux princes de Nassau, - Ou a dit encore: « Si
Guillaume perd le Luxembourg, il faut qu'il récupère les quatre principautés
nassauviennes; les puissances qui ont consenti à l'échange sont obligées de
droit à garantir le roi des Pays-Bas de toute éviction. » La réponse est
facile. Comme possesseur des principautés, Guillaume n'était garanti par
personne contre les risques d'une révolution intérieure. Comme souverain du
Luxembourg, il n'avait donc pas droit à une garantie qu'il ne possédait pas
avant l'échange, Il ne faut pas transporter dans le droit des gens les règles
du droit civil. - D'autres publicistes se sont prévalus de ce que les biens
assignés au prince Frédéric sont situés dans le Brabant hollandais; ils
oublient que la Hollande,
en réservant ces domaines à l'un de ses princes, fit vendre pour 94 millions de
florins de domaines belges.
La question luxembourgeoise a donné lieu à plusieurs
publications intéressantes. Outre la brochure déjà citée de M. Dumortier, on
peut consulter avec fruit: 1° Le mémoire du comité diplomatique, communiqué au
Congrès dans sa séance du 13 Décembre 1830 (Huyttens, t. IV, p. 225) 2° Du
Grand-Duché de luxembourg. Paris, Gœtschy, 1831, in-8°. 3° Des vingt-quatre
articles et du Luxembourg, par M. F. Dubois. Arlon, 1839, in-8°)
5.6. La résolution des questions territoriales par la Conférence
(page 172)
Après ces digressions il convient de reprendre le récit des négociations.
Par une note du 5 Septembre, les plénipotentiaires
hollandais communiquèrent à la
Conférence les vues de leur gouvernement à l'égard de la
question territoriale. Depuis la mer jusqu'aux limites du Limbourg, ils
proposaient le maintien des frontières des Provinces-Unies en 1790; mais,
arrivés au village de Valkenswaard, ils en faisaient partir, dans la direction
du midi, une 1igne laissant Peel et Tongres à l'ouest, Achel, Hamont, Bree et Bilsen
à l'est, et allant aboutir, au nord de Visé, à la limite de la province de
Liége. Tout le territoire situé à l'est et au nord de cette ligne devait, à
leur avis, appartenir à la Hol1ande;
de manière que celle-ci, tout en ne cédant pas un pouce de terrain dans la Flandre, s'attribuait les
trois quarts du Limbourg avec une population de plus de 224,000 âmes. (page 173) Quant au Luxembourg, les
plénipotentiaires le revendiquaient en entier, en admettant toutefois la
possibilité d'une indemnité territoriale complète, mais en repoussant
énergiquement toute indemnité pécuniaire (Recueil de pièces diplomatiques,
publié à La Haye, t. II, p. 33 à 38. Papers relative to the affairs of Belgium,
A, p. 107).
Ces prétentions étaient exorbitantes, surtout par
rapport au Limbourg. En 1790, la
Hollande possédait dans cette province la ville de Venloo, la
moitié de la ville de Maestricht et quarante-trois communes rurales. Ces
enclaves avaient en 1830 une population globale de 59,718 âmes. Or, sous
prétexte d'obtenir la contigüité de ces possessions, la Hollande s'adjugeait la
ville de Maestricht tout entière, les villes de Maeseyck, de Ruremonde, de
Venloo et de Weert, plus cent quatre-vingt-neuf communes rurales; c'est-à-dire
cinq villes au lieu d'une et demie, cent quatre-vingt-neuf villages au lieu de
quarante-trois, 224,455 âmes au lieu de 59,718. La population totale de la
province étant de 328,286 âmes, les anciennes communes hollandaises y entraient
pour deux onzièmes, tandis que le cabinet de La Haye en réclamait à peu près
les trois quarts (Note de bas de page : Pour le chiffre de la population, nous avons consulté
l’Annuaire de la Province
de Limbourg, rédigé par la
Société des amis des sciences, lettres et arts, établie à
Maestricht (1829, in-8° ). Il se peut que la population fût un peu plus
considérable en 1831; mais, comme les mêmes chiffres ont servi de base à
l'examen des prétentions des deux parties, les proportions que j'indique n'en
seraient pas moins exactes).
Qu'on le remarque bien: ces avantages n'étaient pas
les seuls que la combinaison proposée devait procurer au gouvernement
néerlandais! Maître du cours de la
Meuse, il fortifiait considérablement ses frontières du midi;
possesseur de la rive droite du fleuve, il interceptait les communications du
Limbourg belge avec l'Allemagne; propriétaire de Maestricht, il avait une
forteresse du premier ordre à quatre lieues de Liége, à vingt lieues de
Bruxelles. Aussi n'est-il pas possible de prendre au sérieux les réflexions
dont ce projet se trouvait accompagné dans la note des diplomates hollandais. A
les entendre, ce n'était « qu'une addition peu importante en elle-même,
comprenant, en grande partie un terrain peu fertile, et ne pouvant être regardé
par les cinq Puissances comme un accroissement réel.» La Hollande déclarait, à la
vérité, céder en retour les villages de (page
174) Houpertingen, de Fologne, de Russon, de Paifve, de Falais, de
Koninxheim, de Grand-Looz et de Zepperen; mais les trois dernières communes,
placées jadis sous le protectorat du prince de Liége, n'avaient jamais
appartenu à la Hollande,
et les cinq autres, qui n'avaient qu'une population totale de 2,897 âmes,
étaient des villages de Rédemption sur lesquels les Provinces-Unies
n'exerçaient qu'un droit de patronage, dont tous les bénéfices se résolvaient
en une rente de quelques centaines de florins. Encore les plénipotentiaires se
réservaient-ils de traiter ultérieurement de la possession de la principauté de
Liége et des dix cantons détachés de la France en 1815, après la seconde invasion des
alliés.
Ces propositions ne pouvaient être accueillies par le
gouvernement belge. Le 23 Septembre, son plénipotentiaire, M. Van de Weyer,
présenta à la Conférence
un contre-projet en dix-huit articles (Recueil de pièces diplomatiques, publié
à La Haye, t. II, p. 51).
Quoique la nature et l'importance des enclaves
hollandaises ne fussent pas exactement connues à cette époque, le diplomate
belge en savait assez pour faire ressortir l'inadmissibilité des exigences
néerlandaises à l'égard du Limbourg; mais, à son tour, il forma des prétentions
qui devaient être repoussées par la Conférence.
De même que les dix-huit articles, le protocole du 20
Janvier 1831 , plus connu sous la dénomination de bases de séparation, avait
attribué à la Hollande
le territoire qu'elle possédait en 1790; aux termes du même protocole, la Belgique devait être
composée de tous les territoires qui avaient été annexés à la Hollande pour former le
royaume des Pays-Bas.
Or, en 1790, le sol du Brabant septentrional était pour
ainsi dire parsemé d'enclaves allemandes. On y rencontrait le marquisat de
Berg-op-Zoom, la principauté de Ravestein, la commanderie de Gemert, les
seigneuries de Biervliet, de Boxmeer, d'Oploo, d'Oeffelt, d'Oirschot,
d'Hilvarenbeek, etc. En outre, la
Hollande ne possédait pas, en 1790, plusieurs communes des
Quartiers de Thiel, d'Arnheim et de Zutphen, provenant de l'ancien duché de
Clèves et incorporées à la province de Gueldre, à la suite des traités du 11
Janvier 1800 et du 14 Novembre 1802.
Le diplomate belge affirmait que l'incorporation de
ces possessions allemandes avait procuré à la République de 1790 un
accroissement de (page 175)
population au moins équivalent au nombre des habitants de toutes les enclaves
limbourgeoises.
En fait, cette affirmation était conforme à la vérité;
mais il n'en résultait pas que la
Belgique eût le droit de s'adjuger des enclaves allemandes et
de les offrir à sa rivale en échange des enclaves hollandaises. C'est ce
qu'elle fit cependant; car elle réclama une partie de la Flandre zélandaise, la
ville de Venloo, la moitié indivise de Maestricht et tous les villages de la
généralité, en compensation des « enclaves que la Belgique possède dans la Hollande et dont cette
dernière se verrait dotée, avec une superficie de quatre-vingt-dix mille
hectares, neuf mille maisons et plus de quarante-six mille habitants» (Recueil de pièces diplom., t. II, p. 61.-
Papers relative to the affairs of Belgiun, A, p. 108-113). Il est vrai qu'on
offrait à la Hollande
la pointe du Limbourg, située au nord d'une ligne de démarcation, partant de la
limite du Brabant septentrional à Meyel et allant aboutir au territoire
prussien, au delà de Venloo.
La Belgique avait emprunté ce système à M. Nothomb. Les
protocoles du 20 Janvier et du 26 Juin assignaient à a Hollande le statu quo de
1790. M.
Nothomb en avait conclu que tout ce qui était en dehors de ce statu quo devait
appartenir à la
Belgique. L'interprétation était conforme au sens littéral du
texte des protocoles: mais elle était manifestement contraire à l'intention de
leurs rédacteurs. Si les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie
avaient voulu, le 20 Janvier 1831, dépouiller la Hollande des communes
allemandes que, postérieurement à 1790, elle avait acquises à titre onéreux, ce
n'eût pas été pour en faire don au gouvernement révolutionnaire de Bruxelles.
Tous les actes émanés de la
Conférence, et entre autres les dix-huit articles, s'occupent
d'enclaves hollandaises et d'enclaves belges, et nullement d'enclaves
allemandes étrangères à la
Belgique. Mêler aux graves débats de la Conférence un
raisonnement de plaideur aux abois, c'était commettre une faute; c'était
fournir aux diplomates de Londres l'occasion de se prévaloir des prétentions
outrées des parties, pour trancher le nœud de la question avant d'avoir réuni
les renseignements nécessaires. En 1790, il n'y avait dans le Brabant
septentrional d'autres enclaves belges que le bourg de Meghen et les villages
de Haren, de Macharen , de Teeffelen et de Bockhoven. Les quatre premières communes
(page 176) composaient le comté de
Meghen, fief de la cour féodale du Brabant à Bruxelles; la cinquième, dont le
nom n'a pas été cité par nos diplomates, appartenait au ci-devant comté de Looz
.
En échange des enclaves hollandaises, le plénipotentiaire
belge n'offrait donc en réalité d'autre compensation que cinq villages et la
pointe du Limbourg au nord de Venloo; mais il concédait aux cinq puissances
représentées à la
Conférence le droit de garnison dans Maestricht. Ces
prétentions n'étaient pas plus admissibles que celles du cabinet de La Haye.
Si la
Conférence avait accueilli le projet belge, la Hollande se serait
trouvée, à la dissolution de la communauté, dans un état de possession
territoriale moins favorable qu'au moment de la réunion. En retour de la partie
insignifiante du Limbourg située au nord de Venloo, elle ne pouvait être
dépouillée de la moitié de Maestricht, de la forteresse de Venloo et des
villages de la généralité, outre Philippine, Sas-de-Gand, l'Écluse et leurs dépendances.
La Belgique
avait sans doute un immense intérêt à posséder une partie de la Flandre zélandaise; mais la Conférence n'avait
cessé de déclarer que la
Hollande devait récupérer ses limites de 1790, et à cette
époque la Flandre
zélandaise appartenait aux Provinces-Unies. Le jour où la Belgique avait accepté
l'intervention de la diplomatie européenne, elle avait implicitement, et malgré
ses protestations, renoncé à la rive gauche de l'Escaut. Les réclamations
ultérieures étaient tardives.
Les propositions de notre gouvernement relatives au
Luxembourg étaient plus rationnelles. A l'Allemagne, il offrait de maintenir
les traités et de laisser au chef-lieu de la province son caractère de
forteresse fédérale. Au roi des Pays-Bas et à ses successeurs, dans l'ordre du
pacte de famille de 1783, il offrait à titre d'indemnité une rente annuelle de
cent quatre-vingt dix mille florins (frs. 402,116,38). Ainsi (page 177) que nous l'avons vu, c'était
l'évaluation à laquelle le gouvernement néerlandais s'était lui-même arrêté en
1816, dans la prévision de la séparation éventuelle du Grand-Duché. Il importe
d'ailleurs de remarquer que l'adjonction du Luxembourg eût augmenté la portion
à supporter par la Belgique
dans les anciennes dettes et dans les dettes communes.
5.7. Le partage de la dette hollando-belge
Mais les dissentiments relatifs à la question
territoriale n'étaient pas seuls à diviser les deux peuples. Le désaccord
n'était pas moins tranché à l'égard de la question financière.
Dans les dix-huit articles, la Conférence avait
proposé la base suivante: « Chacun des deux pays supportera les dettes
qu'il avait contractées avant l'établissement du royaume des Pays-Bas; les
dettes contractées en commun, depuis l'établissement de ce royaume, seront
divisées dans une juste proportion.» En principe, le gouvernement belge
admettait ce système de la
Conférence. Dans un projet annexé à sa note du 25 Septembre,
M. Van de Weyer offrait de prendre à notre charge, outre les anciennes dettes
de nos provinces, la moitié des dettes légalement contractées depuis
l'établissement du royaume des Pays-Bas jusqu'au ler Octobre 1830; mais, en
même temps, il demandait qu'il fût tenu compte des dépenses faites par le
trésor des Pays-Bas dans l'intérêt exclusif de la Hollande, des sommes consacrées
à l'amortissement d'une partie des dettes personnelles à celle-ci, des
nombreuses aliénations de biens domaniaux faites en Belgique, ainsi que des
objets existants, au moment de la révolution, dans les arsenaux, les chantiers
de constructions, les fonderies de canons et les autres établissements
militaires. II exigeait encore le partage de la flotte construite à frais
communs, la liquidation des sommes trouvées dans les caisses publiques, le
remboursement des sommes versées par les Belges dans la caisse des
consignations, la restitution des cautionnements fournis par des comptables
belges, une part des sommes votées par la France pour la liquidation de l'arriéré français
et la dotation de la légion d'honneur, plus un compte exact des opérations du
syndicat d'amortissement. Il terminait son message par une demande en
réparation des dommages causés par le bombardement d'Anvers, la rupture des
digues de l'Escaut et l'invasion du mois d'Août (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 112
et 113).
(page 178)
Quoique la plupart de ces demandes fussent fondées en raison et en équité, les
plénipotentiaires hollandais leur opposaient une résistance insurmontable.
Les premières propositions du cabinet de La Haye,
formulées dans une note du 5 Septembre, consistaient à dire à la Belgique: « Chargez-vous
de 16/31 parts de toutes les dettes du royaume des pays» Bas, tant de celles
originairement contractées par la
Hollande que de celles contractées en commun. En
considération de ce partage, nous vous accorderons la jouissance de la
navigation et du commerce aux colonies hollandaises, sur le même pied, avec les
mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande» (Recueil de
pièces diplomatiques, t. II, p. 58 et 59).
Ces propositions n'étaient pas sérieuses. Lors de la
réunion des deux pays, la
Hollande avait à sa charge 575,153,530 florins de dette
active et 1,146,507,061 florins de dette différée (Compte officiel du 2 Octobre
1815). Pendant les quinze années de la réunion, la Belgique avait annuellement
fourni une somme de sept millions de florins pour le paiement des intérêts de
l'ancienne dette hollandaise. Elle avait en outre contribué à l'amortissement
de 2,830,000 florins de dette active et de 565,000 florins de dette différée.
Ces sacrifices devaient suffire. Les obligations jadis contractées par sa
rivale lui étaient désormais étrangères.
M. Van de Weyer répondit avec raison que les Belges ne
pouvaient consentir à sacrifier annuellement plusieurs millions de florins en
échange d'un droit de commerce et de navigation dont la Hollande seule réglerait
l'exercice. En effet, les Hollandais étant exclusivement en possession de
l'administration civile et militaire des colonies, il dépendait d'eux de rendre
illusoires les droits accordés aux Belges, soit par des tracasseries
administratives, soit en accordant à d'autres nations des avantages analogues
(Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 70).
Les
plénipotentiaires hollandais comprenaient eux-mêmes que leur projet n'était pas
de nature à recevoir un accueil favorable. Le 26 Septembre, revenant sur leurs
pas, ils firent à la
Conférence la proposition. suivante: « Que les deux parties
se retirent avec ce qu'elles ont apporté dans la communauté, et qu'elles
supportent dans une juste proportion (par exemple celle de la population) les
dettes faites en commun. »
A l'égard des dettes originairement contractées par
chacun des deux pays, ce nouveau projet était inattaquable; mais, pour les
dettes contractées depuis l'établissement du royaume des Pays-Bas, il
s'écartait des notions les plus élémentaires de la justice distributive. La
population de la Belgique
étant à peu près double de celle de la Hollande, le projet mettait en réalité les deux
tiers de la dette des Pays-Bas à notre charge; tandis que les colonies, les
travaux publics et les besoins exclusifs de la Hollande avaient absorbé
les sept huitièmes des emprunts levés en commun. D'ailleurs, ici encore on
oubliait que, pendant quinze années, la Belgique avait supporté sa part du fardeau
écrasant de l'ancienne dette hollandaise.
Ainsi, là où M. Van de Weyer proposait un partage par
moitié, les plénipotentiaires néerlandais proposaient un partage en rapport
avec le chiffre de la population. Mais cette dissidence n'était pas la seule.
Le désaccord existant pour les bases mêmes de la répartition se retrouvait dans
les détails. Les plénipotentiaires hollandais s'élevaient avec force contre
l'insertion du mot « légalement » dans les propositions de M. Van de
Weyer: « Vouloir entrer dans des spécialités, disaient-ils, disséquer, pour
ainsi dire, une administration de quinze années, rechercher ce qui paraît légal
ou non, et cela pour des faits accomplis à la suite de votes libres des députés
de la nation, ce serait viser à un but impossible à atteindre; ce serait
heurter toutes les notions du gouvernement représentatif, et remettre en
discussion tous les budgets et toutes les mesures administratives et
financières qui ont formé, pendant quinze années, le régime économique du
royaume »(Recueil de pièces diplomatiques, t. Il, p. 51).
Ils
admettaient la nécessité d'une liquidation pour les sommes déposées à la caisse
des consignations, pour les cautionnements fournis par les Belges, pour les
charges imposées aux caisses de retraite, pour les sommes trouvées dans les
caisses publiques au moment de la séparation; mais, pour tous les autres chefs
de demande, ils s'opposaient formellement à une transaction quelconque. Quant
aux indemnités réclamées pour les inondations des polders, l'incendie d'Anvers
et les pertes causées par l'invasion, ils répondaient que la Hollande « serait plutôt
(page 180) fondée à demander des
indemnités pour les inondations morales que la révolte en Belgique avait
exercées sur la valeur des effets publics et des propriétés, diminuée de plus d'un
tiers » (Recueil de
pièces diplomatiques, t. II, p. 60. - Paper's relative to the affairs of
Belgium, A, p. 115).
5. 8. Le traité des 24 articles
Il serait aussi fastidieux qu'inutile d'analyser plus longuement
les notes, les mémoires, les projets et les articles présentés de part et
d'autre à l'appui du système qu'on cherchait à faire prévaloir. Pour la
délimitation du territoire, de même que pour le partage des dettes, les agents
des deux gouvernements étaient chaque jour plus loin de s'entendre. « La Hollande disait: je veux
reprendre mes anciennes limites et ne veux pas reprendre mes anciennes dettes
en entier. La Belgique
disait: je veux m'approprier une partie de l'ancien territoire hollandais, et
ne veux rien supporter dans les anciennes dettes hollandaises. La Hollande voulait le
partage des territoires sur le pied de 1790, le partage des dettes sur le pied
de 1830; la Belgique,
le partage des territoires sur le pied de 1830, et celui des dettes sur le pied
de 1790. Dans le partage des dettes, la Hollande prétendait représenter les provinces
septentrionales (du royaume des Pays-Bas); dans le partage des territoires,
l'ancienne république. Dans le partage des dettes, la Belgique voulait
représenter les Pays-Bas autrichiens; dans le partage des territoires, les
provinces méridionales... Il y avait de part et d'autre vice de logique (2) »
(Nothomb, Essai, p. 202, 3e éd). De plus, il régnait dans la correspondance des
plénipotentiaires des deux peuples un ton d'aigreur et d'irritation qui ne
permettait pas d'espérer un rapprochement.
Que devait faire la Conférence? Par des
prodiges d'adresse et un concours heureux de circonstances, la paix de l'Europe
avait été maintenue; mais le différend hollando-belge pouvait chaque jour
amener un désaccord entre les puissances, et par suite une conflagration
générale.
La Conférence le savait, et cette conviction lui imposait le devoir
de prendre un parti définitif. Mais lequel ?
Fallait-il se contenter du rôle de médiateur et.
permettre aux deux parties de débattre indéfiniment leurs prétentions
contradictoires'! C'eût été consentir à un ajournement illimité.
Fallait-il autoriser les gouvernements rivaux à s'en
rapporter au (page 181) sort des
armes? Ce moyen eût directement amené le dissentiment des puissances et la
guerre générale.
Fallait-il tenter un dernier effort auprès du roi des
Pays-Bas, pour obtenir son assentiment aux préliminaires de paix (dix-huit
articles)? L'expérience n'avait que trop prouvé que toute tentative de ce genre
était inutile; et d'ailleurs cet assentiment même n'eût pas résolu les
questions importantes que les dix-huit articles réservaient à une négociation
séparée entre les deux peuples.
Il faut bien en convenir, la Conférence de Londres,
sous peine de faillir à sa mission et à l'attente de l'Europe, devait elle-même
résoudre les difficultés, en offrant aux deux parties un projet de traité
complet. Ce fut le parti qu'elle prit dans sa séance du 26 Septembre.
Dans le protocole de ce jour, les plénipotentiaires
déclarèrent que, désespérant de voir les propositions des deux gouvernements se
rapprocher sur un seul point, et ne voulant pas, au détriment des intérêts
généraux, prolonger indéfiniment un état d'hostilité et de malheur, la Conférence avait
reconnu la nécessité de puiser dans ses propres informations les éléments d'une
série d'articles qui pussent servir de base à un traité définitif, satisfaire à
l'équité et sauvegarder les intérêts de l'Europe. Le projet devait être arrêté
dans une prochaine séance.
Le parti était sage; mais, en assumant cette immense
responsabilité, la
Conférence s'imposait à elle-même l'obligation de s'entourer
des lumières nécessaires et de se rappeler ses engagements antérieurs. Plus la
sphère où siège le tribunal est élevée, plus ses décisions présentent
d'importance, et plus il doit se mettre en mesure de rendre sa sentence en
parfaite connaissance de cause. En choisissant, eu plein dix-neuvième siècle,
le rôle d'une sorte de tribunal amphictyonique, la Conférence avait pour
premier devoir de conformer ses arrêts à toutes les exigences de la justice
distributive. Il s'agissait de l'honneur, des intérêts et de l'avenir de deux
peuples libres, l'un et l'autre dignes de toutes les sympathies de l'Europe.
Les plénipotentiaires réunis à Londres dédaignèrent de
se placer à cette hauteur.
Dans la question du territoire, ils oublièrent les
engagements contractés envers le prince Léopold et le peuple belge par le
protocole du 26 Juin 1831 ; dans le partage des dettes, ils acceptèrent
purement et simplement les renseignements erronés et incomplets fournis par les
plénipotentiaires hollandais.
(page 182)
Ce fut ainsi que, dans sa séance du 14 Octobre 1831, la Conférence formula un
projet de traité devenu célèbre sous le nom de Vingt-Quatre Articles.
Les conséquences de ce projet furent tellement
importantes pour]a Belgique, elles exercèrent sur la constitution territoriale
et financière du jeune royaume une influence tellement décisive, qu'il est
indispensable d'entrer dans tous les détails des opérations et des calculs de la Conférence.
Les questions à résoudre se classaient en deux grandes
catégories.
Les unes étaient relatives au partage des dettes, les
autres concernaient le territoire.
5. 9. La résolution de la question de la dette
hollando-belge
Depuis le mois de Décembre 1830, la Conférence avait
plusieurs fois réclamé du plénipotentiaire belge des renseignements positifs
sur les dettes du royaume des Pays-Bas; elle n'avait jamais obtenu que des
données vagues ou imparfaites. Voulant mettre un terme au débat, elle prit le
parti de réclamer des agents du cabinet de La Haye les informations officielles
que le représentant du gouvernement belge n'était pas en état de lui fournir
(Note de bas de page : Depuis la publication de la première édition, les sept lignes qui
précèdent et qui ne sont que le résumé des protocoles de la Conférence ont été
vivement contestées par M. Lion, ancien secrétaire général du département des
finances. (Voy. à l'Appendice, L. M, l'intéressante lettre que M. Lion a daigné
nous adresser)).
Par une lettre
du 30 Septembre, la
Conférence invita les plénipotentiaires hollandais à lui
communiquer des renseignements officiels dont ils pussent garantir
l'exactitude:
1° Sur le montant et l'intérêt des diverses dettes
contractées, depuis la réunion de la Belgique à la Hollande, par le Royaume-Uni des Pays-Bas, en
vertu de lois consenties par les États Généraux;
2° Sur le montant des charges du service de la dette
totale du Royaume-Uni des Pays-Bas, d'après les derniers budgets consentis par
les États Généraux (Note de bas de page : Annexe an protocole du 30 Septembre 1831).
En réponse à cette invitation, MM. Falck et de Zuylen
de Nyvelt adressèrent à la
Conférence les deux tableaux suivants, dont ils
garantissaient l'exactitude.
(page 183)
N° 1. - TABLEAU DES DETTES CRÉÉES DEPUIS LA FORMATION DU ROYAUME
DES PAYS-BAS JUSQU'EN 1830.
(A) Inscriptions
au grand-livre à 2 1/2 pour cent.
Pour réclamations particulières liquidées à la charge
du trésor. . . . . . fl. 14,136,836
(« Il y a lieu de croire que ces réclamations, connues sous
le nom d' arrière des Pays-Bas (Nederlandsche Achterstand) provenaient à peu
près par parties égales des provinces du nord et de celles du midi, mais cela
peut être ultérieurement vérifié.» (Note des plénipotentiaires hollandais.))
En vertu de la loi du 31 Décembre 1819……………………………..
fl. 23,083,000*
En vertu de la loi du 24 Décembre
1820……………………………...fl. 7,788,000*
En vertu de la loi du 22 Août 1822……………………………………fl.
56,902,000*
En vertu de la loi du 27 Décembre 1822………………………………fl.
67.292,000*
En vertu de la loi du 3 Mai 1825……………………………………….fl.
12,605,000*
(* : Déduction faite des sommes déjà amorties)
Sur quoi il faut déduire, pour l'annulation ordonnée
par la loi du 24 Décembre 1829 : fl. 14,000,000
Reste : fl. 181,806,836.
(B) Obligations
du syndicat d'amortissement, à 4 1/2 pour cent.
En vertu de la loi du 27 Décembre 1822 :
……………………………..fl. 110,000,000
(« N. B. Les rentes remboursables sur les domaines, créées
par la même loi (Domein losrenten), étant susceptibles de liquidation en
rapport avec cette hypothèque spéciale, sont ici portées pour mémoire. »
(Note des mêmes.) )
(C) Obligations
du syndicat d'amortissement, à 3 1/2 pour cent
En vertu de la loi du 27 Mai 1830………………………………………fl.
30,000,000
N° 2. - TABLEAU DES CHARGES DE LA DETTE PUBLIQUE DU
ROYAUME DES PAYS-BAS.
Intérêts de la dette à 2 1/2 pour cent :
………………………………….fl. 19,272,275
(« Dans cette somme les intérêts des 167,806,836 fl. de dettes
à 2 1/2 pour cent, contractés pendant la réunion, figurent pour une somme de
rente de 4,195,145 fl. » (Note des mêmes) )
Syndicat d'amortissement à 4 1/2 pour
cent…………………………….fl. 4,950,000
Obligations à :3 1/2 pour cent …………………………………………..fl. 1,050,000
Fonds d'amortissement…………………………………………………..fl.
2,500,000
Total : ……………………………………………………………………fl. 27.772,275
(page 184)
Tout en reproduisant assez exactement les chiffres, ces tableaux étaient
dressés de manière à faire commettre à la Conférence les erreurs les plus préjudiciables à la Belgique.
L'emprunt de 30 millions de florins, à 1/2 %, autorisé
par la loi du 27 Mai 1830, n'était que la conversion d'un emprunt de 35
millions, à 4 1/2 %, contracté pour les colonies des Indes-Orientales. Les
véritables débitrices étaient ces colonies; la mère-patrie n'avait rempli que
le rôle de caution. Cette dette n'avait jamais figuré au budget général du
royaume des Pays-Bas. Les colonies restant à la Hollande, la Belgique ne pouvait être
grevée de la moitié de leurs dettes. Or, dans les tableaux fournis par M. Falck
et de Zuylen, ces trente mimons de florins (63,492,060,00 fr.) étaient indiqués
comme dette de la communauté (Note de bas de page : Voy. les lois du 23 Mars 1826, du 22
Mars 1827, du 27 Décembre 1828 et du 27 Mai 1830, et l'arrêté royal du 1er Juin
1830. - Dumortier, Observations complémentaires sur le partage des dettes des
Pays-Bas, p. 57 à 60. - Rapport fait à la Chambre des représentants et au Sénat, par le
ministre des Affaires étrangères (Comte de Theux), le 1er et le 2 Février 839,
p. 111)
L'emprunt de 110 millions, à 4 1/2 %, contracté par le
syndicat d'amortissement des Pays-Bas, en vertu de la loi du 27 Décembre 1822,
n'était qu'une opération financière ayant pour but de convertir l'ancienne dette
hollandaise (dette différée) en emprunt du syndicat. Or, comme une dette ne
change ni de nature ni d'origine quand elle subit une conversion, ces 110
millions .représentaient évidemment une valeur équivalente de l'ancienne dette
hollandaise : ce n'était pas, une dette contractée depuis la formation du
royaume des Pays-Bas. Et cependant, dans les tableaux des plénipotentiaires
hollandais, ces 110 millions (232,804,220 fr.) figuraient également comme dette
de la communauté ! (Note de bas de page : Ici tout était inexact et erroné dans les prétentions
de M. Falck et de Zuylen. Pas plus que l'emprunt pour les colonies, cette dette
n'avait jamais figuré ni au budget de l'État, ni dans le tableau officiel de la
dette du royaume. L'emprunt avait été contracté, non par l'Etat, mais par le
syndicat d'amortissement. C'était le syndicat et non l'État qui en soldait les
intérêts. Si la Hollande
avait quelques prétentions à faire valoir de ce chef, elle pouvait les produire
dam la liquidation du passif du syndicat. D'ailleurs, en 1830, on avait émis
tout au plus 87 millions, et non pas 110 millions de florins. Voy. le Rapport
du ministre des Affaires étrangères, cité ci-dessus, et Dumortier,
Observations, etc., p. 49 à 27.
M. Dumortier a victorieusement répondu à toutes les
objections des défenseurs de la
Hollande.)
(page 185)
Ce n'est pas tout. Parmi les inscriptions au grand-livre, à 2 1/2 %, MM. Falck
et de Zuylen plaçaient un emprunt de 67,292,000 florins (142,226,453 fr.),
décrété par la loi du 27 Décembre 1822. Cette somme de. 67,292,000 fl. était
destinée au payement des pensions et autres dépenses extraordinaires du trésor;
mais la loi du 27 Décembre 1822 avait exigé que l'émission de l'emprunt ne fût
effectuée qu'au fur et à mesure des besoins. Or, 25 millions tout au plus
avaient été émis au moment de la séparation des deux pays. A cette date, 42
millions non négociés se trouvaient dans la caisse du syndicat d'amortissement.
Un emprunt n'étant consommé qu'au jour de son émission, ces 42 millions
devaient évidemment être décomptés du capital. Et cependant les 67,292,000 fl.
figuraient en totalité dans le tableau des capitaux et dans le tableau des
rentes dressés par les négociateurs de La Haye (Note de bas de page : Rapport du ministre des Affaires
étrangères, p. 102 et suiv. - Dumortier, Observations, p. 38 à 48. - De la
politique du moment en Belgique, suivie de la question de la dette hollandaise,
par J. Meeus, p. 56 et suiv. D'autres réflexions critiques se présentent à
l'occasion du chiffre de 14,136,836 fl., indiqué du chef de réclamations
particulières liquidées à charge du trésor. Ce chiffre représentait la dette
connue sous le nom d'arriéré des Pays-Bas (Nederlandsche achterstallen).
L'arriéré se composait, pour les neuf dixièmes au moins, de dettes contractées
par la Hollande
avant sa réunion à la
Belgique. Il est vrai que, dans une note jointe à leur
tableau, MM. Falck et de Zuylen admettaient une liquidation ultérieure (V.
Rapport du ministre des Affaires étrangères, p, 100 et 101).
Le
plénipotentiaire belge a-t-il eu connaissance des documents produits par ses
adversaires? S'est-il empressé de signaler à la Conférence toutes les
erreurs commises par MM. Falck et de Zuylen ? A-t-il protesté contre
l'admission de cette somme énorme de 438,522,733 francs, indûment placée au
nombre des dettes contractées par le royaume des Pays-Bas? A-t-il eu avec les
membres de la Conférence
des communications verbales, en dehors des explications consignées dans les
documents diplomatiques? Ce qui est malheureusement incontestable, c'est que la Conférence, en
procédant à son arbitrage, admit que les dettes de la communauté présentaient
les totaux suivants:
Dettes à 2 1/2…………………. fl. 167,806,836
Dettes à 3 1/2…………………..fl. 30,000,000
Dettes à 4 1/2…………………..fl. 110,000,000
(page 186)
Les notions de la
Conférence à l'égard des dettes originairement contractées
par la Belgique
n'étaient ni plus exactes ni plus complètes. L'ancienne dette constituée des
provinces belges, en y comprenant la valeur de la dette différée, représentait
500,000 fl. (634,920,60 fr.) de rente. A cette dette, incombant
incontestablement à la
Belgique, la
Conférence ajouta 450,000 fl. de rente (952,380,95 fr.), pour
la dette liquidée à charge du trésor des Pays-Bas sous le nom de dette
austro-belge. Mais celle-ci n'était pas d'origine belge ! C'était une dette
personnelle de l'Autriche, contractée jadis dans nos provinces pour subvenir
aux besoins des États autrichiens de l'empereur d'Allemagne, engagé dans une
guerre coûteuse avec les Turcs. Elle n'avait été ni contractée par la Belgique ni hypothéquée
sur son sol. La France,
par les traités de Lunéville et de Campo-Formio, avait formellement écarté tout
ce qui concernait la dette austro-belge. Si le roi des Pays-Bas, par une
convention du 11 Octobre 1815, avait pris cette dette à charge des finances de
son royaume, ce n'a pu être qu'à titre de dette nouvelle provenant de
l'application des traités, et nullement à titre de dette ancienne d'un des pays
soumis à sa souveraineté. La dette austro-belge était tout au plus un fait de
la communauté, et par suite la
Belgique ne devait en supporter que la moitié, ou 225,000 fl.
de rente. En ajoutant à cette dernière somme la rente de 500,000 fl.,
représentant la dette exclusivement belge, on arrivait à 5215,000 fi. de rente.
Or, comme nous le verrons plus loin, la Conférence nous attribua une rente de 750,000 fl.
(Rapport précité, p. 115
et suiv.)
Dans les calculs de la Conférence, on voit
aussi figurer, à la charge exclusive de la Belgique, 2,000,000 fl. (4,252,804,23 fr.) de
rente provenant du grand-livre de l'Empire français. C'était encore une erreur
grave. Au moment de la révolution de 1830, aucune dette de ce genre ne pesait
sur la Belgique. Aucun
des budgets présentés aux États Généraux des Pays-Bas, aucun des tableaux
officiels de la dette nationale n'en fait mention. En 1830, la dette belge
inscrite au grand-livre de l'Empire français se trouvait, depuis plusieurs
années, éteinte par des remboursements opérés au moyen de compensations
diverses. En fait, cette dette n'existait plus que dans l'imagination des
membres de la Conférence
(Rapport précité, p.
116. - Dumortier, La Belgique
et les vingt-quatre articles, p. 45. Le même, Observations complémentaires, p.
69 à 79).
(page 187)
Tous ces faits si graves sont attestés par le protocole du 6 Octobre 1831, que
nous allons analyser.
Après avoir constaté que les plénipotentiaires des
Pays-Bas garantissaient l'exactitude des tableaux qu'ils avaient fournis, et
que par conséquent, si ces tableaux se trouvaient inexacts malgré cette
garantie formelle, les cinq cours seraient par là même en droit de regarder
comme non-avenus les résultats des calculs auxquels ces documents auraient
servi de base, la
Conférence rend compte des opérations du partage dans les
termes suivants:
« ... La
Conférence a jugé équitable que les dettes contractées
pendant la réunion du royaume des Pays-Bas fussent partagées entre la Hollande et la Belgique dans la
proportion de 15/30, ou par moitié égale pour chacune.
« La rente annuelle de la totalité des dettes
susdites se montant en nombres ronds à 10,100,000 florins des Pays-Bas, il
résulterait de ce chef un passif pour la Belgique de 5,050,000 florins.
« De plus, la dette austro-belge ayant appartenu
exclusivement à la Belgique
avant sa réunion avec la
Hollande, il a été également jugé équitable que cette dette
pèse exclusivement sur la
Belgique à l'avenir. .
« L'intérêt à 2 1/2 pour cent de la partie dite
active de cette dette, ainsi que le service de l'amortissement de la partie
dite différée, étant évalués en nombres ronds à 750,000 florins des Pays-Bas de
rente annuelle, la Belgique
aurait à supporter de ce second chef un autre passif de 750,000 florins de
rentes.
« La Conférence, procédant toujours d'après les règles
de l'équité, a trouvé qu'il rentrait dans les principes et les vues qui la
dirigent, qu'une autre dette, qui pesait originairement sur la Belgique avant sa réunion
avec la Hollande,
savoir, la dette inscrite pour la
Belgique au grand-livre de l'Empire français, et qui, d'après
ses budgets, s'élevait par aperçu à 4 millions de francs ou 2 millions de
florins des Pays-Bas de rente, fût mise encore maintenant à la charge du trésor
belge. Le passif dont la
Belgique se chargerait de ce troisième chef serait donc de 2
millions de florins des Pays-Bas de rente annuelle.
« Enfin, eu égard aux avantages de commerce et de
navigation dont la Hollande
est tenue de faire jouir les Belges, et aux sacrifices de (page 188) divers genres que la séparation a amenés pour elle, les
plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté aux trois
points indiqués ci-dessus une somme de 600,000 florins de rente, laquelle
formerait, avec ces passifs, un total de 8,400,000 florins des Pays-Bas.
« C'est donc d'une rente annuelle de 8,400,000
florins, que la Belgique
doit rester définitivement chargée, par suite du partage des dettes publiques
du Royaume-Uni des Pays-Bas, d'après l'opinion unanime de la Conférence.
« D'autre part, les plénipotentiaires des cinq
cours ont observé que, le syndicat d'amortissement institué dans le royaume des
Pays-Bas ayant contracté des dettes dont les intérêts ont été portés pour
moitié à charge de la
Belgique, mais ayant aussi, d'après la nature même de son
institution, des comptes à rendre, et un actif pouvant résulter de ces comptes,
la Belgique
devait participer à cet actif, dès qu'il serait établi moyennant une
liquidation, dans la proportion dans laquelle elle avait participé à
l'acquittement des contributions directes, indirectes et accises du royaume des
Pays-Bas.
« Ce qui a achevé de déterminer la Conférence dans cette
occasion, c'est que, fondant ses décisions sur l'équité et considérant le
montant des charges du service de la dette totale du Royaume-Uni des Pays-Bas,
elle trouve que ce montant s'élève en nombres ronds à 27,700,000 florins de
rente, et que, par conséquent, la
Belgique, pendant la réunion, a contribué à l'acquittement de
cette rente dans la proportion de 16/31, c'est-à-dire pour 14 millions de
florins; que maintenant, avec le bénéfîce de la neutralité, elle n'aura à
acquitter pour sa part que 8,400,000 florins de rente; et que, d'un autre côté,
par suite du mode de payement adopté par la Conférence, la Hollande elle-même
obtient un dégrèvement considérable, qui peut servir à satisfaire aux diverses réclamations
qu'elle a élevées » (Note de bas de page: Papers relative to the affairs of Belgium , A, p. 130.
Le dernier aliéna de ce manifeste est encore le produit d'une erreur. Ce
n'était pas à 27,000,000 fl. de rente, mais à 17,265,267 fl. que s'élevait le
service de la dette des Pays-Bas).
On le voit: la Conférence avait pris pour système de faire
supporter à chaque pays ses dettes originaires, plus la moitié des dettes de la
communauté. Or, d'après cette base de répartition, la Belgique ne devait être
chargée que de 2,215,000 fl. de rentes, savoir:
(page 189)
Ancienne dette des provinces méridionales………….. fl. 300,000
Moitié de la dette austro-belge…………………………………….fl.
225,000
Moitié des dettes réelles de la communauté (déduction faite
des capitaux amortis et de la partie non émise de l'emprunt de 67,292,000
fl.)……………………………………………….fl. 1,690,000
Total : ………………………………………………………………fl. 2,215,000
En ajoutant même à cette somme les 600,000 florins de
rente que la Conférence
imposait à]a Belgique, en retour des avantages commerciaux accordés à nos
compatriotes, on n'arrivait qu'au chiffre de 2,815,000 florins, tandis que la Conférence, induite en
erreur par des renseignements incomplets et vicieux, nous imposait une rente de
8,400,000 florins, c'est-à-dire de 17,777,777 francs. Mais l'adjonction de ces
600,000 florins était encore une injustice. Faciliter les relations
commerciales des deux peuples, ce n'était pas imposer un sacrifice à la Hollande. Nous ne
sommes plus au temps où il était nécessaire de prouver que les relations de
cette nature produisent inévitablement des avantages réciproques (Note de bas
de page : Voy, les
calculs de la commission belge instituée par le ministre des Finances, le 9
Juin 1833, pour l'examen des questions financières en rapport avec le traité
des vingt-quatre articles. La commission, était composée de MM. d'Huart,
Fallon, Ch. De Brouckere, Dumortier et A. Du Jardin, - Le rapport de la
commission se trouve annexé au rapport précité du ministre des Affaires étrangères).
5. 10. La résolution finale de la question
territoriale
Dans la solution du problème territorial, la Conférence ne fut ni
plus heureuse ni plus juste. Elle nous enlevait la partie la plus belle et la
plus fertile du Luxembourg, et l'autre ne nous était laissée qu'à titre
d'échange contre une partie bien plus considérable et plus riche du Limbourg.
Si la
Conférence ne voulait tenir compte ni de la loi du 25 Mai
1816, ni des offres d'indemnité pécuniaire faites par la Belgique ; si, à ses
yeux, la famille d'Orange-Nassau devait conserver une partie du Luxembourg en
échange des quatre principautés cédées à la Prusse, il fallait du moins opérer l'échange sur
le pied d'une égalité. Les petits Etats de Nassan-Dillenbourg, Hadamar, Siegen
et Dietz avaient une population de 120,000 habitants; tandis que les
vingt-quatre articles transformaient en sujets hollandais 170,296
Luxembourgeois. C'était (page 190)
déjà un excédant de plus de 50,000 âmes. Pourquoi donc ajouter à la meilleure
partie du Luxembourg la meilleure partie du Limbourg? Pourquoi mutiler l'une de
nos provinces pour nous laisser quelques cantons d'une autre? On dira peut-être
que le Luxembourg tout entier avait été donné en échange des principautés de
Nassau. Mais qu'on se rappelle que l'adjonction des provinces belges à la Hollande avait eu lieu
par le traité de Londres du 20 Juin 1814, et que si, l'année suivante, par
l'article 57 du traité de Vienne, Guillaume fut créé grand-duc de Luxembourg,
c'était moins comme prince de Nassau que comme souverain des provinces belges
dont le Luxembourg faisait partie, Nous l'avons déjà dit: au lieu de prendre
pour objet de l'échange la province de Luxembourg, les diplomates de Vienne
pouvaient indiquer tout aussi bien le Hainaut, le Brabant, la Belgique entière. Quant
aux droits du prince Frédéric, la
Conférence n'avait pas à s'en occuper; le prince y avait
renoncé à deniers comptants, et les Belges offraient même de doubler la somme.
Dans le Limbourg, l'injustice des procédés de la Conférence n'était pas moins
manifeste. Les enclaves hollandaises renfermaient tout au plus une population
de 59,718 âmes; c'étaient en général des communes peu importantes. Or, sous
prétexte d'arriver à la contigüité du territoire et d'accorder au roi grand-duc
une indemnité complémentaire, la
Conférence joignait à la Hollande un pays magnifique, la forteresse de
Maestricht et une population de 200,000 âmes! La population totale de la
province était de 528,286 âmes; les possessions de la Hollande y entraient pour
deux onzièmes, tandis que la
Conférence lui adjugeait plus de la moitié! On nous laissait,
il est vrai, quelques villages de Rédemption; mais la Hollande conservait dans
le Brabant septentrional le comté de Meghen et la seigneurie de Bockhoven, dont
l'importance était au. moins égale (Note de bas de page : Nous avons dit que les vingt-quatre
articles attribuent à la
Hollande la meilleure partie du. Luxembourg. Le protocole du
15 Octobre donne à la
Hollande un territoire de 261,784 hectares,
avec une population de 170,296 âmes, y compris la ville de Luxembourg; il
accorde à a Belgique un territoire de 438,053 hectares
avec une population de 164,878 âmes. Ces chiffres ne détruisent pas notre
affirmation. La Belgique
obtient, il est vrai, une population à peu près égale, avec un territoire
presque double; mais il importe de remarquer que la partie belge du Luxembourg
comprend l'ancien duché de Bouillon, qui n'avait pas été attribué au roi
Guillaume en compensation de ses propriétés nassauviennes, et qui n'avait pas
été destiné en 1814 à entrer dans la Confédération germanique (art. 67 du Iraité de
Vienne). Il y a donc de ce chef une population de 15,657 âmes à décompter du
lot de la Belgique.
Quant à la superficie territoriale, si la part attribuée à
Belgique est plus étendue, celle donnée à la Hollande est infiniment
plus fertile et plus riche. M. Dubois a recueilli à ce sujet des renseignements
statistiques irrécusables (Les vingt-quatre articles et le Luxembourg, p. 50 et
s.).
5. 11. Conclusion générale
(page 191)
Tels étaient les arrangements financiers et territoriaux que la Conférence formula en
vingt-quatre articles, annexés à son protocole du 14 Octobre 1831 (V. le texte complet des vingt-quatre
articles à l’Appendice).
En comparant ces vingt-quatre articles au protocole du
26 Juin (dix-huit articles), on s'aperçoit qu'un pas immense a été fait au
détriment de la Belgique.
Les dix-huit articles admettaient, sous la médiation
des cinq cours, une négociation séparée entre la Belgique et la Hollande. Ils
proclamaient la libre navigation de l'Escaut. Ils se référaient aux règles de
la justice et de l'équité pour le partage des dettes et l'échange des enclaves.
Ils n'écartaient en aucune manière l'offre d'une indemnité pécuniaire pour la
conservation du Luxembourg et de la ville de Maestricht.
Dans les vingt-quatre articles, tous les points en
discussion sont tranchés au préjudice de la Belgique. Notre
territoire est odieusement mutilé, et plus de 350,000 de nos concitoyens sont
replacés sous la domination hollandaise. L'Escaut n'est déclaré libre qu'à
charge de payer une redevance à la Hollande. La Belgique est chargée de la somme
énorme de huit millions quatre cent mille florins des Pays-Bas de rentes. Ses
réclamations relatives à la flotte et aux autres richesses acquises en commun
sont rejetées. Toute indemnité lui est refusée pour les dégâts de la guerre et
le bombardement d'Anvers. La
Nouvelle-Guinée et les îles avoisinantes, acquises pendant la
réunion, restent à la
Hollande. On impose à la Belgique la moitié des dettes contractées pour
les colonies néerlandaises, sans même lui garantir le libre accès de ces belles
et riches possessions. On lui impose la moitié des charges de la communauté, et
l'on abandonne tout l'actif de cette même communauté à la Hollande! Le seul avantage
positif que la Belgique
conserve dans les vingt-quatre articles, c'est sa neutralité perpétuelle sous
la garantie des puissances.
(page 192) En transmettant les vingt-quatre articles
aux plénipotentiaires belges et hollandais, les membres de la Conférence y ajoutèrent
deux notes qui méritent une attention spéciale; l'une et l'autre sont datées du
15 Octobre.
Dans la première, les représentants des cinq cours
débutaient par l'énumération des motifs qui les avaient guidés. Ne pouvant
abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la solution
immédiate était devenue un besoin pour l'Europe; forcés de résoudre ces
questions sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre
générale, ils n'avaient fait, disaient-ils, que respecter la loi suprême d'un
intérêt européen du premier ordre. Ils ajoutaient qu'ils n'avaient fait que
céder à une nécessité de plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions
d'un arrangement définitif que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en
exiger la prolongation, avait cherché en vain dans les propositions chaque jour
plus inconciliables des deux nations rivales. Aussi, en invitant notre
plénipotentiaire à signer les vingt-quatre articles, annexés au protocole, lui
firent-ils remarquer: 1° que les vingt-quatre articles auraient toute la force
et la valeur d'une convention solennelle entre le roi des Belges et les cinq
puissances; 2° que les cinq puissances en garantissaient l'exécution; 3° qu'une
fois acceptés par les deux parties, ils seraient insérés mot pour mot dans un
traité direct entre la
Belgique et la
Hollande; 4° que ce traité, signé sous les auspices de la Conférence de Londres,
serait placé sous la garantie formelle des cinq puissances; 5° que les
vingt-quatre articles formaient un ensemble et n'admettaient pas de séparation;
6° que ces articles contenaient les décisions finales et irrévocables des cinq
puissances, d'un commun accord, étaient résolues à amener elles-mêmes
l'acceptation pleine et entière desdits articles par la Hollande, si celle-ci
venait à les rejeter (Note de bas de page : Recueil de pièces diplomat. , t. II, p. 92 et suiv.)
La seconde note, tout en renouvelant implicitement ces
déclarations, avait surtout en vue de prévenir le renouvellement des
hostilités. Les membres de la
Conférence y proclamaient que « les cinq cours avaient pris
la ferme détermination de s'opposer par tous les moyens en leur pouvoir au
renouvellement d'une lutte qui, devenue sans objet, serait pour les deux pays
la source de grands malheurs et (page 193)
menacerait l'Europe d'une guerre générale, que le premier devoir des cinq cours
était de prévenir » (Recueil
de pièces diplom., t. II, p. 95). Que les plénipotentiaires des cinq puissances, désespérant
d'obtenir des Belges et des Hollandais des propositions concordantes, aient cru
devoir eux-mêmes arrêter les bases d'un traité définitif, on le comprend sans
peine, et il y aurait de l'injustice à les en blâmer.
Mais, nous l'avons déjà dit, il ne s'ensuit pas qu'ils
fussent en droit de fouler aux pieds les exigences de la justice et les
engagements contractés envers le prince Léopold et envers la Belgique. Les
notions les plus élémentaires de l'équité politique exigeaient que la Hollande ne pût tirer
parti d'une guerre entreprise au mépris du droit des gens et malgré les menaces
de la Conférence.
Il n'y a donc rien qui doive surprendre dans les cris
d'indignation qui accueillirent les vingt-quatre articles en Belgique. Il
suffit de passer ces articles en revue pour avoir la conviction que les
intérêts belges avaient été largement sacrifiés.
La Hollande, il est vrai, n'avait pas obtenu les provinces belges
à titre gratuit: elle s'était imposé plus d'un sacrifice. L'Angleterre avait
retenu le cap de Bonne-Espérance, Démerari, Essequebo et Berbice. Mais ces cessions
de territoire n'étaient pas le fait de la Belgique. Celle-ci
ne devait pas, à l'aide de son or, de son sol et de ses enfants, indemniser la Hollande des richesses
coloniales qu'elle avait abandonnées à l'Angleterre. D'ailleurs, ainsi que M.
Nothomb l'a fait observer, l'Angleterre n'avait pas garanti la Hollande contre les
révolutions intérieures. Si les habitants de Démerari, du Cap, de Berbice et
d'Essequebo avaient conquis leur indépendance, la Grande-Bretagne
n'eût certainement pas sommé la
Hollande de l'indemniser de ses pertes. La révolution belge
était le fruit naturel de l'administration imprudente et partiale de Guillaume
Ier. Et cependant la
Conférence elle-même avoue que les sacrifices de 1814. ont
été pris en considération pour aggraver les charges imposées aux Belges ! (Note
de bas de page : Memorandum
du 7 Octobre 1831 (Recueil de pièces diplomat., t. II, 89). V. ci-dessus, p.
187-188)
La Conférence avait étrangement oublié les termes de sa note du 25
Juillet (V.. ci-dessus, p. 163)
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