Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
«
2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes
Chapitre
précédent
Chapitre
suivant
Retour
à la table des matières
TOME 1
(page
113) Pendant que
Nous nous occuperons d'abord des accusations dirigées contre Daine.
Les faits relatifs à l'armée de
C'est au sein même de l'armée de
Daine que l'accusation de trahison prit naissance. Déjà le 7 Août, pendant la
marche de Houthalen sur Kermpt, les soldats murmuraient de ce qu'ils appelaient
un mouvement rétrograde. Le lendemain, l'irritation s'accrut; elle gagna même
les officiers, pendant la marche, cette fois décidément rétrograde, de Kermpt
sur Tongres et Liége. La méfiance était telle que le colonel du 11e régiment
d'infanterie prétexta une indisposition subite pour avoir l'occasion de se
rendre auprès du roi, afin de lui faire part de la situation de l'armée de
(page 114) Après
la déroute de Wimmertingen, les actes remplacèrent les murmures. L'indignation
des chefs fit explosion, la déchéance du général fut ouvertement proposée.
Pendant la halte de Cortessem, des officiers de toutes armes se rendirent
auprès du colonel L'Olivier pour l'engager à prendre le commandement de
l'armée. Si cet officier supérieur avait agréé la proposition, la sûreté
personnelle de Daine eût été sérieusement compromise; mais le colonel
connaissait trop bien ses devoirs pour adhérer à un acte de révolte. Grâce à
son refus, le général conserva le commandement des régiments dans leur marche
rétrograde sur Tongres (Note de bas de page : Réponse du colonel L'Olivier au
Mémoire du général Daine, p. 4 et 5)
Un fait grave, qui devint l'objet d'une procédure
criminelle, se passa dans cette ville.
Daine s'était proposé de prendre position à Tongres,
pour se diriger le lendemain vers l'armée de l'Escaut par Saint-Trond,
Tirlemont et Louvain. Il comptait y trouver le colonel Weusten avec le 1er
régiment de chasseurs à pied et une section d'artillerie. Malheureusement le
colonel, induit en erreur par des rapports exagérés, s'était dirigé sur Liége
avec ses troupes, la garde civique et quatorze pièces de canon (Note de bas de
page : Weuslen
avait cependant reçu l'ordre formel de défendre le poste de Borgh en avant de
Tongres, et, s'il était obligé de se retirer devant des forces supérieures, de
combattre énergiquement dans Tongres même).
Trompé dans son attente et découragé par cette
nouvelle déception, Daine, se ralliant à l'avis émis par le général de Failly,
donne à son tour l'ordre de prendre le chemin de Liége. Aussitôt, les cris à la
trahison recommencent, des menaces se font entendre, les derniers liens de la
discipline se brisent. Les habitants, qu'effraie le voisinage de Maestricht,
joignent énergiquement leurs réclamations à celles des soldats. Un grand nombre
d'officiers renouvellent auprès du colonel L'Olivier les démarches qu'il avait
déjà repoussées à Cortessem.
Tout à coup un sous-officier de cavalerie, dont le
courage avait été remarqué de l'armée, saisit un pistolet et se dirige en
courant vers l'hôtel où Daine s'était retiré. Que se passa-t-il entre cet homme
et son général? Les débats du conseil de guerre n'ont pas complètement éclairci
la question. Toujours est-il qu'une lutte s'engagea, que l'amorce du pistolet
prit feu et qu'un officier, accouru aux cris du général, dut tirer son sabre
pour séparer les combattants (Note de bas de page : Voy. à l'App. (L. 1.) l'issue du
procès et la relation du Courrier de
(page 115)
Il était huit heures du soir lorsque les troupes, après ce triste épisode, se
dirigèrent vers Liége.
Ici la position de Daine devint intolérable.
A peine arrivé, il avait convoqué en conseil tous les
officiers supérieurs de l'armée de
Informé de ce fait et concevant des craintes
légitimes, le gouverneur de la province (M. Tielemans) fit comprendre au
général que la sécurité de sa personne, le maintien de l'ordre, la défense de
la ville et le salut de l'armée exigeaient que le commandement fût confié à
d'autres mains. M. Tielemans lui dit franchement que des conspirations
s'organisaient, que les soldats proféraient des menaces, que des accusations dé
trahison trouvaient de l'écho dans les classes inférieures. Abreuvé
d'humiliations, inquiet de l'avenir, succombant sous le poids d'une
responsabilité au-dessus de ses forces, Daine finit par remettre au gouverneur
une lettre invitant le général Goethals à venir se placer à la tête de l'armée
de
Ce sort était-il mérité ? Daine avait-il réellement un
crime de trahison à se reprocher ?
Après un examen minutieux des faits, nous n'hésitons
pas à répondre négativement.
Daine a été au-dessous de sa tâche, il a commis de
déplorables erreurs, il a désobéi au roi; mais tous ces faits s'expliquent
aisément sans qu'on ait besoin de recourir à la trahison.
Débutant comme tambour, montant de grade en grade,
colonel à la fin de l'Empire, général de brigade sous le gouvernement des
Pays-Bas, Daine ne connaissait de l'art militaire que les détails matériels du
service. Le premier devoir du gouvernement était de lui adjoindre un état-major
complet et une intendance convenablement organisée. (page 116) Rien ne fut fait. On laissa le général dans un isolement
à peu absolu, et cependant sa correspondance officielle atteste que, depuis son
arrivée à l'armée de
Le 12 Juin 1831, - et ce n'était pas la première fois,
- Daine demande avec instance un chef d'état-major, des officiers d'état-major
instruits et trois généraux de brigade pour commander ses trois brigades
d'infanterie; dans la même lettre, il indique le général Duvivier pour
commander la cavalerie.
La demande n'avait rien d'exorbitant; le ministre de
Ne recevant pas de réponse, Daine se rend à Bruxelles
et renouvelle sa demande dans les bureaux du département de
Cette demande partagea le sort de celles qui l'avaient
précédée: elle fut dédaignée.
Daine fait une dernière démarche dans la nuit du 5 au
4 Août, en envoyant au ministre de
Le même système fut suivi dans l'organisation de
l'intendance et l'envoi du matériel de campagne.
Par sa dépêche du 9 Janvier 1831, Daine demande un
parc d'approvisionnement, des caissons d'infanterie, des bidons et autres
ustensiles indispensables. On ne lui répond pas ! Il renouvelle sa demande le
12 Avril, le 22 et le 24 Mai, le 5 Juin et le 20 Juillet, douze jours avant
l'invasion (Mémoire au Roi, p. 8, 36 et suivantes). Toutes ces démarches sont
infructueuses. Malgré les réclamations répétées du général, l'armée était sans
approvisionnements et sans administration, lorsque les régiments de Meyer et de
Cort-Heiligers pénétrèrent au cœur du Limbourg. Dans son Mémoire au Roi, Daine
a raison de s'écrier que le même homme ne peut être à la fois général de
division, intendant, chef de brigade et général de cavalerie (Mémoire au Roi,
p. 33).
Si Daine avait voulu trahir, il pouvait le faire sans
engager sa responsabilité personnelle. II n'avait qu'à garder une attitude
passive. Au jour du combat son armée se fût trouvée dans un état de faiblesse
et de désorganisation tellement manifeste que la possibilité de la résistance
n'eût pas même été discutée.
On a amèrement reproché à Daine l'état d'indiscipline,
l'éparpillement et la faiblesse numérique de ses troupes. Ces accusations ne
sont pas mieux fondées que celles qui se rapportent à la désorganisation de
l'état-major et du service de l'intendance.
Le 9 Avril 1831, Daine s'adresse au ministre de
Au commencement de Mai, le général renouvelle sa
demande. Il écrit au ministre: « Les bourgmestres des communes où mes troupes
se trouvent cantonnées me fatiguent de plaintes sur les embarras que leur
suscite le logement des hommes de guerre. Désirant faire droit à leurs justes
réclamations, et aussi dans l'intérêt du
soldat et de la discipline, je vous prie de proposer à M. le Régent la
formation d'un camp, sujet dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir par ma
lettre du 9 Avril. Nous atteindrions le double avantage de soulager les
habitants des campagnes d'un fardeau qui les accable depuis longtemps, de
soigner l'instruction de l'armée, d'y introduire une discipline à la fois
sévère et paternelle, discipline que l'on
ne peut obtenir que dans les camps ou les garnisons.» Redoutant les objections déduites de la
pénurie du trésor public, le général a la précaution d'ajouter: « Les frais de
campement ne seraient que peu onéreux; les 74 centimes d'indemnité que l'État
accorde par homme et par jour seraient, il me semble, suffisants, et nous
trouverions des fournisseurs qui livreraient à ce prix les rations complètes. »
Ainsi, dès le 9 Avril, Daine réclame l'établissement d'un camp. Un mois plus
tard, il renouvelle sa demande. Que fait le ministre de
L'emplacement indiqué par le ministre était on ne peut
plus défavorable. Situé à dix-huit lieues du quartier général de l'armée de (page 119) l'Escaut, il élargissait la
trouée, déjà trop considérable, qui existait dans notre ligne de défense. Daine
en fit la remarque au ministre, dans une lettre du 18 Juin. Voulant réparer
autant que possible l'erreur commise par son chef, il proposa de placer le camp
sur un plateau en avant de Zonhoven. Cet avertissement fut méprisé. Le 19
Juillet, douze jours avant l'invasion, on transmit à l'armée de
Ces dates doivent fixer l'attention. Le 9 Avril, Daine
demande l'autorisation de faire camper ses troupes. Cette autorisation ne lui
parvient que le 20 Juillet, après trois mois et demi d'attente; et, chose plus
étrange encore, on ne lui laisse que dix jours pour faire les préparatifs
nécessaires. Le 1er Août, les travaux de campement devaient être terminés.
Qu'on le remarque bien: lorsque Daine reçut cet ordre,
l'organisation de l'armée de
Daine se mit néanmoins en mesure d'obéir.
Immédiatement après la réception de l'ordre, il répondit qu'il allait presser
les préparatifs de campement de l'armée; mais, en ce qui concernait la place
assignée par le ministre, il disait dans sa lettre: « Quant à l'emplacement du
camp, je conserverai celui que j'ai choisi et dont je vous ai parlé dans ma
lettre du 18 Juin (le plateau de Zonhoven). Cet emplacement est sans doute le
plus favorable, tant sous le rapport stratégique que pour rester en
communication avec le corps du général Tieken » (Lettre du 20 juillet, Mémoire
au Roi, p. 38). Nous avons vu que la position de Zonhoven était elle-même
susceptible de critique; mais, quelle que soit l'opinion qu'on se forme à cet
égard, il est impossible de ne pas préférer l'emplacement choisi par (page 120) Daine aux bruyères arides
désignées par le ministre. Aussi le baron de Failly ne fit-il aucune
observation en réponse à la lettre du général, et celui-ci, prenant ce silence
pour un assentiment, s'empressa d'agir en conséquence. La concentration des
troupes se fit donc dans la direction de Zonhoven; elles étaient campées en
avant de ce village lorsque le 6 Août, elles aperçurent la division hollandaise
de Cort-Heiligers. Nos soldats, il est vrai, y subirent les effets d'une
véritable disette de comestibles. Le jour même du combat de Houthalen, on ne
distribua qu'un pain pour cinq hommes; mais ce fait, qui atteste l'imprévoyance
du département de
Sa correspondance officielle prouve que, malgré ses
instances, le chef de l'intendance n'était pas encore au quartier général dans
la nuit du 4 Août (Mémoire au Roi, p. 49).
Si Daine a sollicité, dès le 9 Avril , l'autorisation
de faire camper l'armée de
Il en est de même du grief relatif à l'insuffisance
numérique de l'armée.
Le 31 Mars 1831, Daine écrit au ministre de
Le même jour, afin de rendre ses réclamations plus
efficaces, Daine s'adresse directement au Régent, pour protester contre
l'abandon où le département de
Ces plaintes, il est vrai, ne furent pas entièrement
dédaignées. Pendant les mois d'Avril et de Mai, des renforts plus ou moins
considérables prirent successivement le chemin du Limbourg. Au commencement de
Juin, l'armée de
Le 12 Juin, Daine renouvelle ses réclamations; voulant
mettre sa responsabilité à couvert, il somme le ministre de
Cette nouvelle réclamation fut suivie d'une démarche
qui atteste l'impression qu'elle produisit au ministère de
A la suite de cet avertissement significatif, le
département de
Tout homme de bonne foi avouera que ces faits
incontestables écartent à la dernière évidence le grief relatif à
l'insuffisance de l'effectif de l'armée de
Le seul reproche sérieux qu'on puisse adresser à Daine,
c'est d'avoir désobéi à l'ordre du roi qui lui prescrivait un mouvement de
gauche vers l'armée de l'Escaut. Sans cette désobéissance fatale, la défaite de
l'armée et la capitulation de Louvain eussent été probablement évitées. Quand
on se rappelle les déplorables conséquences des hésitations de . Daine après le
combat de Houthalen, il est difficile, nous le savons, de (page 124) conserver
le calme et l'impartialité nécessaires au juge. A l'aspect de cette incurie qui
attire sur
Les faits que nous allons rapporter sont tellement
étranges que la reproduction intégrale des documents qui les constatent nous
semble indispensable pour former la conviction du lecteur.
On a vu que, le 1er Août 1831, le général hollandais
Chassé avait dénoncé la convention particulière conclue, le 5 Novembre 1850,
entre la garnison belge de la ville et la garnison hollandaise de la citadelle
d'Anvers. On sait encore que le gouvernement de Bruxelles ne reçut aucun avis
relatif à la convention générale conclue plus tard sous les auspices de
« Liége, le 2 Août 1831.
« Général,
« J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint copie
d'une lettre adressée par le général Chassé à M. le commandant supérieur de la
place d'Anvers. Cette dénonciation de reprise d'hostilités ne doit servir,
Général, qu'à reporter de votre côté toute votre attention sur les mouvements
qui pourraient s'opérer dans l'armée hollandaise. Vous voudrez bien faire
parvenir à Bruxelles tous les rapports que vous croirez de nature à intéresser
le gouvernement. Vous devez éviter tout ce qui peut donner lieu à une reprise
d'hostilités, en vous tenant strictement sur la défensive,.....
« Le ministre de
(page 125)
Le gouvernement belge, qui s'était hâté de dénoncer l'attitude hostile de
Aussi le département de
Le 5 Août, à onze heures du matin, Daine reçut à
Hasselt un ordre daté de la veille et ainsi conçu:
« Anvers, le 4 Août 1831.
« Général,
« Par suite des ordres de Sa Majesté, vous
prendrez de suite les dispositions nécessaires pour vous rapprocher du corps
d'armée du général de Tieken, dont le quartier général est à Schilde. Vous
laisserez une garnison suffisante à Hasselt et vous opèrerez votre mouvement en
vous dirigeant vers
« Vous adresserez à Anvers vos dépêches et vos
rapports. Une division ennemie occupe Turnhout, une autre la route de Breda sur
Anvers:
« (Signé) : Le général baron DE FAILLY. »
Daine se disposait à obtempérer à cet ordre, lorsque,
le même jour, à deux heures de l'après-midi, il reçut une seconde lettre,
également datée du 4 Août et portant, elle aussi, la signature du ministre de
« Anvers, le 4 Août 1831.
« Général,
« De nouvelles informations sur les mouvements de
l'ennemi ont déterminé S. M. à changer les ordres qu'elle m'avait chargé de
vous communiquer, ainsi que je l'ai fait par ma lettre de ce jour.
« Il paraît que deux divisions sous les ordres,
l'une du général Cort-Heiligers, l'autre du général Meyer, doivent chercher à
s'emparer de Venloo, tandis que les deux autres divisions tiennent en échec.
l'armée de l'Escaut.
(page 126)
« Vous porterez votre quartier général à Hechtel et vous concentrerez
l'armée sous vos ordres de manière à pouvoir vous porter rapidement partout où
besoin sera. Dès que vous apprendrez des démonstrations hostiles sur Venloo,
vous êtes chargé, Général, de détruire les troupes qui chercheraient à s'en
emparer, sans vous inquiéter des autres divisions qui se trouvent en présence
de l'armée de l'Escaut.....
« Vous recevrez incessamment des effets de
campement pour l'armée sous vos ordres.....
« (Signé) : » Le ministre de
Ainsi, à onze heures du matin, Daine reçoit l'ordre de
marcher vers l'armée de l'Escaut. A deux heures de l'après-midi, il reçoit une
nouvelle dépêche qui lui dit d'envisager cet ordre comme non avenu et de se
rapprocher du Brabant septentrional. II reçoit ordre et contre-ordre le même
jour, pendant le mouvement de concentration de ses troupes et au moment où son
flanc droit et ses derrières sont inquiétés par les sorties de la garnison de
Maestricht. Ce n'est pas tout: entre les deux ordres, il avait reçu une
proclamation portant la signature du comte d'Hane, ministre de
Quoi qu'il en soit, Daine s'empressa d'obéir au
dernier des ordres reçus. Le jour même, il échelonna trois bataillons et une
demi-batterie d'artillerie depuis Hechtel jusqu'à Zonhoven; il était onze
heures du soir lorsqu'il revint à Hasselt après avoir terminé le placement de
cette avant-garde.
Il consacra la matinée du lendemain, 6 Août, à
procurer du pain à ses soldats; puis il se rendit au camp de Zonhoven, vers
lequel les troupes se dirigeaient depuis vingt-quatre heures. Là il apprit que
déjà ses avant-postes étaient repoussés jusque dans le voisinage de Zonhoven.
(page 127)
Nous avons raconté les événements qui précédèrent le glorieux combat de
Houthalen. Il suffit de rappeler que ce fut pendant ce combat, à six heures du
soir, que Daine reçut un troisième ordre, révoquant le second, pour revenir à
peu près au contenu du premier. Cette fois, l'armée de
Qu'on se représente la position de Daine, Privé de
fonds pour organiser un espionnage complet, il était à peu près sans
renseignements sur les forces et les desseins du corps d'armée qu'il devait
combattre.
Il croyait lutter contre la division de Meyer, tandis
qu'il avait en face la division de l'extrême gauche commandée par
Cort-Heiligers. Les perplexités où le jetait cette ignorance devaient
naturellement s'accroître par les ordres contradictoires qu'il recevait depuis
vingt-quatre heures. Bref, le général perdit le courage et la confiance, en
même temps que la conscience de sa position. Au lieu de se retirer par
Saint-Trond et Tirlemont, ou de se jeter bravement en avant dans la direction
de Diest, il revint à Hasselt pour tenter sa malheureuse pointe sur Kermpt. On
connaît sa retraite sur Liége (Note de bas de page : J'ai appris de source certaine que,
le 8 Août, à 3 heures du matin, un aide de camp de Daine, aujourd'hui officier
général, l'engagea vivement à prendre la route de Saint-Trond, pour se diriger
de là vers Tirlemont et Louvain. Il voulait faire attaquer la division
Saxe-Weimar en front par l'armée de
C'est cette retraite qu'on a qualifiée d'acte de
trahison. On oublie que, le lendemain du combat de Kermpt, la position de Daine
sur la route de Diest n'était plus tenable. Il avait 20,000 ennemis en face et
10,000 autres sur chacun de ses f1ancs! Ce n'est pas la retraite sur Liége qui
pèse sur la mémoire du général; le seul grief réel, c'est sa négligence à
profiter de la matinée du 7 Août, pour se diriger vers l'armée de l'Escaut qui
se rapprochait de
« Bruxelles, 15 Mars 1832.
« Général,
« Pour répondre à votre lettre du 6 de ce mois, j'ai
l'honneur de vous informer que, dans mon rapport en date du 5 de ce mois, j'ai
donné connaissance au roi des résultats de l'enquête faite sur votre conduite à
l'armée de
« La seule question qui pût compéter à l'autorité
judiciaire était celle de savoir si vous aviez refusé d'obéir, ou si, sans
avoir refusé formellement, vous n'aviez pas obtempéré aux ordres de Sa Majesté.
« Votre interrogatoire, ceux des divers chefs de
corps et officiers attachés à l'état-major de l'armée de
(page 129) « J'ai
donc fait connaître à Sa Majesté que mon opinion personnelle était que le
résultat de l'enquête, faite sur votre conduite, prouve qu'il n'y avait pas eu
acte d'indiscipline, pas plus que trahison.
« Le ministre de
Les faits personnels à Daine étant écartés, il nous
reste à examiner s'il est vrai qu'une part de nos désastres doive être
attribuée à l'incurie du département de
Avant de déverser l'éloge ou le blâme sur les actes
des ministres du gouvernement provisoire et du Régent, il importe de bien
déterminer les exigences de la situation.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, l'administration du
département de
Confiée à des fonctionnaires jusque-là étrangers à sa
marche, l'administration de
(page 130)
Dans les pays voisins, on eût pu trouver au moins quelques renseignements
secondaires dans les autres départements ministériels; mais, on le sait, le
siége de la plupart des grands établissements publics avait été fixé en
Hollande. Le ministère de l'Intérieur suivait la cour, et celle-ci résidait
alternativement à La Haye et à Bruxelles; or, par une autre fatalité, la cour
et le ministère se trouvaient à La Haye en 1830.
L'expérience administrative faisait donc complétement
défaut. Tout était à créer, même les bureaux de l'administration centrale.
Ainsi que le général Goblet l'a dit à la tribune, , »le pays se trouvait
sans armée, sans force publique régulière, sans moyens administratifs ou
coercitifs pour en former une » (Voy. le rapport de M. Goblet, cité ci-après,
p. 139).On devait en quelque sorte deviner à la fois les besoins du service et
les moyens d'y faire face.
Ce fut dans ces déplorables conditions que le comité
de
Trois éléments principaux devaient entrer dans
l'organisation des forces défensives de la nation: les volontaires, l'armée
régulière et la garde civique. Ils fixèrent successivement l'attention du
comité.
Dès le 5 Octobre
Dans l'intervalle, une intendance avait été établie
sous la direction de M. Chazal. Nommé munitionnaire général, le 1er Octobre
1830; transformé en ordonnateur en chef, le 15 du même mois; élevé au rang
d'intendant général, le 14 Novembre suivant, M. Chazal déploya sous tous ces
titres une activité, une vigueur et, surtout, une habileté peu communes.
Bravant les résistances, surmontant les obstacles et imprimant au service toute
la régularité compatible avec les circonstances, il réussit à pourvoir aux
premiers besoins des volontaires.
(page 131)
L'extrême mobilité de l'effectif des corps francs rendait cependant la tâche de
l'administration aussi rude que compliquée. Nous ne citerons qu'un seul fait.
Le 1er Novembre, à une revue générale passée à Anvers, le nombre des
volontaires présents s'élevait à 521 officiers et 8,177 sous-officiers et
soldats; des distributions de vivres, de vêtements et d'armes furent faites en
conséquence. Or, le 6 du même mois, à une seconde revue des mêmes corps, on ne
trouva plus que 542 officiers et 4,752 sous-officiers et soldats. En six jours,
l'effectif des combattants était diminué de 5,604 hommes ! Il est vrai que de
nouveaux arrivants ne tardaient pas à venir combler les vides, au premier
signal d'alarme; mais ces fluctuations incessantes rendaient toutes les
combinaisons d'approvisionnement à peu près inefficaces. Positions,
organisation, effectif, vêtements, vivres, tout changeait du jour au lendemain.
L'intérêt des volontaires eux-mêmes exigeait qu'ils fussent
soumis à une organisation plus régulière et plus stable. Ce fut la tâche du
général Nypels. Au mois de Novembre, il réunit les différentes compagnies en
bataillons et groupa ceux-ci en brigades. Le 7 Décembre, une première brigade,
commandée par le général Mellinet, était cantonnée dans le Limbourg; elle se
composait de quatre bataillons, d'une compagnie d'artillerie et d'un
détachement de pontonniers. Une deuxième brigade, composée de la même manière,
occupait Turnhout et les villages environnants, sous le commandement du général
Niellon. Une troisième, composée de cinq bataillons, était échelonnée sur la
frontière occidentale de la province d'Anvers, sous les ordres du
lieutenant-colonel Fonson. La plupart des officiers avaient été brevetés et recevaient
un traitement particulier (Note de bas de page : V. les rapports du général Nypels et
de l'intendant général Chazal. Huyttens, Disc. du Cong.. nat., t. IV, p. 370 et
372. - Un arrêté du 15 Octobre avait régularisé la solde).
Ces corps étaient braves, mais peu disciplinés.
Composés d'hommes jusque-là étrangers à la vie militaire, commandés par des
chefs manquant de prestige et élus par les suffrages de leurs subordonnés, les
volontaires ne savaient pas se plier aux exigences du service. « Comment,» s'écrie
douloureusement un général, comment maintenir l'ordre, lorsque 200 hommes par
bataillon quittent à la fois les rangs et répondent hardiment aux chefs élus
par eux: je ne t'ai pas fait (page 132) officier pour que tu me commandes, phrase qu'ils appuient de
jurements, d'un mouvement de baïonnette et même d'une balle qu'ils font siffler
aux oreilles ? » (Daine, Mémoire au Roi, p. 29) Aussi le comité de
C'était d'ailleurs un moyen d'assurer l'avenir des
combattants de Septembre, et de payer ainsi la dette de la reconnaissance
nationale.
Malheureusement, l'organisation de l'armée régulière
était, elle aussi, une tâche herculéenne.
On croit généralement que la prise des forteresses eut
pour résultat de mettre un matériel immense à la disposition de la nation.
C'est une erreur grave. Les magasins étaient vides; les arsenaux, dégarnis; les
casernes, privées des objets les plus indispensables.
Obéissant à une sorte de pressentiment, les Hollandais
avaient établi dans les provinces septentrionales tous leurs dépôts d'armes
portatives. A Liége même, on ne trouva que deux à trois mille fusils
incomplètement montés. D'ailleurs, plusieurs garnisons hollandaises avaient
obtenu des capitulations qui leur permettaient d'emporter les armes.
Pour les objets d'habillement et d'équipement la
disette était la même. Les magasins se trouvaient en grande partie dans les
provinces du Nord. Le peu d'effets existant dans les dépôts belges avaient été
pillés par la populace. Les hôpitaux eux-mêmes étaient dépourvus des objets de
première nécessité. Les Hollandais ne nous avaient laissé qu'un magnifique
matériel d'artillerie de rempart et de siége (V. le rapport de M. Chazal au
commissaire général de
Mais c'étaient surtout les hommes qui se faisaient
désirer ! On promit un grade d'avancement à tout officier de l'armée des
Pays-Bas qui viendrait se ranger sous le drapeau national. Les officiers
rentrés dans le pays après la bataille de Waterloo, et que le gouvernement
déchu avait arbitrairement privés de leurs grades et de leur rang d'ancienneté,
furent réintégrés dans leurs droits. Par malheur, ainsi que nous l'avons déjà
dit, le nombre des officiers belges au service de
Il en résulta, surtout pour les premiers arrivés, un
avancement (page 133) extraordinaire
et sans exemple dans notre histoire militaire. C'est ainsi que le comte d'Hane,
major de cuirassiers, le marquis de Chasteler, ancien major de hussards, le comte
Vandermeere, ex-capitaine dans les colonies, M. Goblet, capitaine du génie, et
M. Niellon, ex-sous-officier de cavalerie en France, furent rapidement élevés
au rang de généraux de brigade. M. Joly, ex-sous-lieutenant du génie, devint
colonel et président du Comité militaire, c'est-à-dire, ministre de
Ce n'est pas qu'on manquât de postulants pour les
grades de toutes les catégories: loin de là, leur nombre devint tellement
considérable qu'il fallut nommer une commission d'examen pour vérifier les
titres allégués par les pétitionnaires. Cette commission voulut en vain
s'acquitter de sa tâche avec l'exactitude et la sévérité nécessaires; les
circonstances étaient trop pressantes pour permettre de longues recherches. La
commission, malgré son zèle et sa prudence, commit une foule d'erreurs dont le
redressement devint bientôt une source intarissable d'embarras et de mécomptes
pour le département de
Il ya autre chose de plus que de l'amertume dans les
lignes suivantes que nous empruntons au Mémoire de Daine: « Les épaulettes
s'obtenaient par le seul fait de la présence au Parc pendant les journées de
Septembre, et leur grosseur semblait calculée d'après le nombre de cartouches
qu'on disait y avoir brûlées: le sous-lieutenant de l'ancienne armée, qui comptait
12 ou 13 ans de grade et que la » révolution avait élevé ,d'un degré, avait
pour capitaine l'honnête artisan qui, la veille, l'avait habillé ou chaussé»
(Mémoire au Roi, p. 5). Les cadres se remplissaient ainsi d'éléments
hétérogènes, tout surpris de se trouver en présence. Nulle part ne se montrait
le germe de cette noble fraternité militaire qui attache au drapeau, ennoblit
l'uniforme et fait du régiment une seconde famille. Les épaulettes lui
brillaient sur leurs épaules novices étaient loin d'avoir calmé l’ambition des
combattants de Septembre. Chose étrange! ces hommes qui avaient sans cesse le
mot d'égalité sur les lèvres se plaignaient de l'ingratitude du gouvernement et
criaient vengeance, quand ils (page 134)
n'obtenaient pas au moins le grade de capitaine. Aussi en vit-on qui devinrent,
comme par enchantement, majors, colonels, chefs d'état-major, et même généraux
de brigade.
Au milieu de cette lutte de convoitises ambitieuses,
en présence de cet assemblage désordonné d'hommes et de choses qu'il fallait
transformer en armée, une impulsion énergique, constante et surtout uniforme du
pouvoir central était le premier besoin de la situation. Or, par une coïncidence
fatale, le portefeuille de
A cette époque, en effet, le banc ministériel était
sans métaphore le banc de douleur si bien défini par M. Thiers. Jamais presse
plus malveillante, plus absurde, plus dévergondée n'avait pesé sur les
destinées d'un pays. Les évincés des emplois militaires trouvaient des organes
dans les journalistes, et, chose triste à dire, toutes les déclamations des
journalistes avaient un écho retentissant à la tribune du Congrès national.
Au lieu de seconder les efforts de l'administration de
Cette tactique était tellement passée en habitude que,
même après nos désastres de 1831, un ministre fut en butte à des
interpellations acerbes, parce qu'il avait rejeté de l'armée des officiers de
volontaires flétris par la justice (Séance de la chambre des Représentants du
28 septembre 1831 (Moniteur du 30) !
Qu'on ne s'imagine pas que le ministre de
Mais les ex-officiers de l'armée des Pays-Bas
n'étaient pas seuls à se plaindre. La troupe de ligne en masse, mise en regard
des corps francs, était chaque jour en butte à des attaques irréfléchies, à des
comparaisons humiliantes. D'imprudents orateurs exaltaient sans cesse le
courage et les services des volontaires, sans s'apercevoir que ces éloges
répétés provoquaient les jalousies et les plaintes de l'armée régulière. On
oubliait que désormais nos différends avec
Un autre obstacle qu'il importe de ne pas perdre de
vue, c'est l'excessive parcimonie avec laquelle le pouvoir législatif procédait
à l'allocation des crédits les plus indispensables. Le budget de
Les explications fournies par le ministère étaient
aussi complètes que le permettaient les lacunes du service et la pression des
circonstances (V. Huyttens, t. IV, p. 537 et 556). Qu'importe ? La commission
émit l'avis qu'une somme globale de 50,000,000 florins était suffisante, et son
rapporteur s'écria, du haut de la tribune, que de grandes économies devaient
être réalisées dans le matériel et dans
le personnel du .département de
.La même tactique était suivie dans la presse. Le 22
Juin 1831 , le Moniteur s'écriait douloureusement : « Depuis que le budget est
présenté au Congrès, les journaux, au lieu d'en faire l'objet d'un examen calme
et raisonné, en prennent texte pour crier au gaspillage, à la dilapidation. On
croirait, à les entendre, que dès qu'une somme (page 138) est votée le ministère peut en disposer à son gré.» -
C'est que les révolutions ne se font pas sans flatter les instincts populaires!
La diminution des impôts avait figuré au programme des réformes, et le pouvoir
subissait les conséquences de son origine. Le
gouvernement à bon marché était le thème favori des députés et des
journalistes.
Le vœu était légitime, mais l'heure était mal choisie
pour sa réalisation; il fallait ou jamais se rappeler la maxime: Si vis pacem,
para bellum.
Une autre circonstance atténuante se trouve dans
l'attention incessante que réclamaient, d'un côté les relations extérieures, de
l'autre les embarras sans cesse renaissants de l'organisation administrative du
pays. Sans doute, les affaires diplomatiques ne concernaient pas le chef du
département de
Après avoir loyalement indiqué les obstacles que
rencontrait l'organisation de l'armée régulière, il nous sera facile
d'apprécier à leur valeur réelle les accusations auxquelles le département de
Le premier acte d'organisation remonte au 27 Octobre
1830. Par un arrêté de ce jour et sur la proposition de M. Joly, le
gouvernement provisoire ordonna la réorganisation des 1er, 3e, 4e, 6e, 11e,
12e, 15e, 17e et 18e régiments d'infanterie (afdeelingen), dont les dépôts se
trouvaient en Belgique au moment de la révolution. Des arrêtés du même jour
prescrivirent la formation de cinq régiments de cavalerie, deux régiments
d'artillerie, un bataillon de sapeurs mineurs et plusieurs bataillons de
chasseurs. Ces derniers étaient destinés à fournir des (page 139) emplois aux officiers des volontaires et à recevoir les
combattants de Septembre disposés à entrer au service.
Le tracé de ces cadres est à peu près le seul acte
marquant de l'administration de M. Joly; il se retira le 30 Octobre et fut
remplacé par le général Goblet.
Après avoir mis ses premiers soins à l'organisation
des bureaux de
L'artillerie reçut aussi un commencement
d'organisation. Pour faciliter la tâche des officiers de l'ancienne armée, on
avait suivi dans la formation des corps les règlements et les procédés de
l'administration des Pays-Bas (V. le rapport fait au Congrès par le général
Goblet, dans la séance du 11 Décembre 1830).
M. Goblet déposa son portefeuille le 24 Mars; il eut
pour successeur le général d'Hane de Steenhuysen.
Du 24 Mars au 17 Mai 1831,111. d'Hane augmenta
l'effectif de l'armée de 26,100 hommes. Les régiments reçurent une organisation
définitive, et les corps francs prirent place dans les cadres de l'armée. Le 17
Mai, ces corps francs formaient le 12e régiment d'infanterie, le 2" et le
5e régiments de chasseurs à pied, le 1er et le 2e bataillons de Tirailleurs, le
bataillon des Tirailleurs de
Sous l'administration du baron de Failly, du 18 Mai au
6 Août, l'effectif de l'armée resta à peu près stationnaire. Au moment de
l'invasion hollandaise, nous avions environ 64,009 hommes disséminés sur
l'Escaut, sur
(page 140)
Armée de l'Escaut : 22,671 hommes ; 1,974
chevaux ; 24 bouches à feu
Armée de
Armée des Flandres : 6,237 hommes ; 152
chevaux ; 6 bouches à feu
Armée du Luxembourg : 4,711 hommes ; 123
chevaux ; 6 bouches à feu.
Total : 48,144 hommes ; 4,483 chevaux ;
66 bouches à feu.
Les hommes restants, avec 1,517 chevaux, comprenaient
les dépôts des différentes armes, la milice de 1831 incorporée à la fin de Juin
et qui n'était pas encore habillée, la gendarmerie, les gardes forestiers, la
garde municipale de Gand et le dépôt des étrangers (Note de bas de page : Dans la lettre à laquelle nous
empruntons ces détails, M. de Failly ajoute: « Des 22,600 hommes, formant
l'armée de l'Escaut, 13,000 seulement furent dirigés le 6 Août sur Aerschot et
ensuite sur Louvain. Les 9,000 hommes restants comprenaient les 3e, 5e et 7e
régiments d'infanterie, et l'artillerie affectée au service de la garnison
d'Anvers...
« Des 14,500 hommes formant l'armée de
Dans son Exposé statistique de la force publique de
Les états de situation présentaient en effet, au commencement
d'Août, un effectif de 64,000 hommes; mais la confection des tableaux était
entachée de graves irrégularités. Quelques chefs avaient porté dans l'effectif
les miliciens de 1826 congédiés dès le mois de Juin et qui n'avaient jamais
figuré que sur les contrôles. Dans un régiment d'infanterie, 300 hommes
comptaient comme absents dans l'effectif, tandis qu'ils avaient été réellement
incorporés dans un autre corps. Ailleurs, 800 hommes de la levée de 1826
n'avaient pas été définitivement rayés du contrôle (Rapport du ministre de
Un état de situation, publié par M. Huybrecht (Pièces justificatives,
no XXXVIII), porte l'effectif de l'armée, à la date du 15 Juillet 1851, à
64,156 hommes.
Ces différences dans les évaluations de l'importance nos
forces militaires suffit pour mettre en évidence le désordre administratif de
l'époque).
Ce résultat définitif des efforts de quatre ministres
a été très diversement apprécié. Les uns se sont écriés que l'administration de
Peut-être faut-il chercher ailleurs les causes de
cette mollesse relative.
Un fait qui paraîtra étrange, mais qui n'en est pas
moins incontestable, c'est que les ministres eux-mêmes ne croyaient pas à la
guerre. Pleine de mépris pour
Mal renseigné sur les dispositions de l'étranger, le
gouvernement rencontrait à l'intérieur les déboires d'une opposition haineuse
et systématique. Son énergie se ressentait de cette double impression: elle
n'était pas toujours à la hauteur des circonstances. Le 16 Juin 1831, cédant
aux sollicitations de quelques membres du Congrès,le baron de Fai1ly eut la
faiblesse d'accorder un congé définitif aux miliciens de la levée de 1826,
privant ainsi l'État du concours de 9,000 soldats exercés et habitués aux
fatigues du service. Les levées de 1830 et de 1831, incorporées dans les
régiments, entrèrent en campagne sans avoir jamais tiré un coup de fusil.
Cette attitude peu courageuse du gouvernement en
général et du ministre de
Le 9 Avril
La section centrale, redoutant les clameurs de la
presse, amoindrit considérablement le projet de M. Nothomb; au lieu de la
liberté d'action que celui-ci réclamait pour le gouvernement, elle limita le
choix du ministère, en dehors de l'artillerie et du génie, à un général
commandant en chef et trois officiers supérieurs.
Réduite à ces termes, la proposition fut discutée dans
la séance du 10 Avril. Chacun comprenait l'importance de la question pour
l'avenir de l'armée nationale. Les membres du Congrès étaient à leur poste; les
tribunes regorgeaient de spectateurs; les journalistes attendaient les débats
avec impatience: le ministre de
Répondant à M. Van de Weyer, qui avait témoigné le
désir de discuter le projet en présence du ministre de
(page 144)
M. Lebeau oubliait que ces paroles ardentes et vagues étaient bien plus
dangereuses qu'un simple avis du ministre de
Quoi qu'il en soit, M. le ministre de
L'opposition, que cet incident avait aigrie, se montra
passionnée et tenace. Les uns reprochaient au projet d'être entaché
d'inconstitutionnalité : comme si l'article 6 de
Répondant à cette injonction, la section centrale limita
de nouveau les pouvoirs du ministère, 1° à un général en chef et trois
officiers supérieurs; 2° à un colonel d'artillerie, trois chefs de bataillon,
douze capitaines et vingt lieutenants ou sous-lieutenants. On déterminait ainsi
le nombre des officiers à admettre dans l'artillerie, et l'arme du génie
restait exclusivement réservée aux Belges.
Mais cette nouvelle concession n'eût pas le bonheur de
dissiper les préventions de l'opposition. Toutes les objections de la veille
furent reproduites avec une énergie croissante. Pourquoi, s'écriait-on, ces
inquiétudes et ces méfiances? L'armée avait-elle démérité de la nation? (page 145) La révolution française
n'avait-elle pas révélé les talents militaires des Kléber et des Desaix? La
révolution belge n'avait-elle pas déjà produit les Niellon et les
Mellinet ? (Discours de M. Desmanet de Biesme) Pourquoi ne pas laisser aux
hasards de la guerre le soin de faire surgir les hommes dignes de conduire nos
phalanges à la victoire? Avait-on oublié que notre première révolution avait
échoué par la trahison de deux généraux étrangers ? Ignorait-on qu'un
commandant en chef étranger tiendrait le sort de
La proposition de la section centrale fut cependant
admise par 80 voix contre 42.
Mais toutes les résistances ne sont pas domptées.
Voici qu'une autre opposition se manifeste. L'Association nationale jette son
poids dans la balance; les journaux excitent les passions populaires; les clubs
s'agitent, et des officiers supérieurs ne craignent pas d'y venir dénoncer une
mesure approuvée par le ministère et sanctionnée par le pouvoir législatif
(Note de bas de page : L'Association nationale, qui joua un rôle considérable dans les
événements intérieurs de 1831 , avait été fondée pour maintenir l'Exclusion à
perpétuité des Nassau, l'indépendance de
A Gand, le comité provincial de l'Association
nationale osa protester solennellement contre le décret du Congrès. Nous
emprunterons au Journal des Flandres la relation de cette curieuse séance. Ce
récit est un véritable document historique, car il révèle à la fois les
passions de l'époque et le relâchement de tous les liens sociaux.
« Le colonel
Dandelin, dit le journal gantois, ouvrit la séance en annonçant à l'assemblée
que le bureau avait cru devoir protester contre la décision du Congrès. qui
autorisait l'admission de chefs (page
146) étrangers dans l'armée belge. La protestation, digne et mesurée, a été
envoyée hier au Régent. M. Dandelin, après avoir développé les motifs de cette
démarche contre une espèce de déclaration d'incapacité aussi injuste
qu'insultante pour nos braves, demanda aux deux mille auditeurs qui
remplissaient la salle, s'ils s'associaient à la protestation. Une triple salve
d'applaudissements fut la seule réponse de l'assemblée. Acte sera donné au gouvernement de cette adhésion importante.
« M. le colonel
Van Remoortere demanda la parole, et, avec une franchise, une verve militaire,
dont il nous serait impossible de décrire l'effet, prononça le discours
suivant, expression fidèle des sentiments de toute l'armée belge:
« Messieurs, je ne puis comprimer plus longtemps la
profonde émotion que me cause le projet, ou plutôt la résolution, prise par une
partie du Congrès d'appeler des étrangers à l'honneur de conduire nos braves!
« Ainsi les hommes qui ont su affranchir leur
patrie ont cessé d'être dignes de la défendre, et les chefs que le grand
empereur associa à la gloire de
« Que l'on nous dise: Marchez sur un tel point,
et nous marcherons; prenez telle forteresse, et nous la prendrons. Il surgira
du sein de la nation des hommes capables: l'amour de la patrie fait seul des
héros.
« Que tous ceux qui sont véritablement Belges,
c'est-à-dire braves et fiers, me répondent. Protestons contre une honteuse
méfiance. Prenons sur nous la responsabilité de la victoire: ce sera la plus
belle chose que le monde ait encore vue. Écrions-nous tous: la nation tout
entière jure de vaincre ou de mourir; mais point d'étrangers ! »
(page 147)
« Cette allocution vive et guerrière est interrompue, à plusieurs
reprises, par des cris d'enthousiasme.
« MM. de Souter, en flamand, et Auguste Bayet, en
français, se prononcèrent, avec force, dans le même sens.
« Après la séance, des groupes se formèrent dans
les places, discutant les affaires publiques » (Note de bas de page :
Le Journal des Flandres
ajoutait: « Ainsi donc il s'agit d'agir, et, si les ministres n'agissent pas,
que l'Association nationale comprenne la tâche que lui impose le salut public!
Elle est instituée, comme un orateur l'a fort bien dit à l'ouverture de notre
assemblée provinciale, pour seconder le gouvernement, s'il marche; le soutenir,
s'il chancelle; le surveiller, s'il hésite. Disons encore: pour faire surgir
des hommes nouveaux qui suppléent à l'insuffisance de ceux que les affaires
auront consumés ou consommés.» (V. Ad. Barthels, Les Flandres et la révolution
belge, p. 490 à 493.)
Le croira-t-on? En présence de ces clubs qui se
placent au-dessus de la représentation nationale, de ces colonels qui
repoussent les vœux du pouvoir et méprisent les votes du Congrès, de ces
groupes tumultueux qui décrient les mesures que réclame le salut de la patrie;
en présence de ces formidables symptômes de désorganisation sociale, le
ministère du Régent eut le triste courage de courber silencieusement la tête.
Le décret du Congrès resta sans exécution!
Désormais c'en était fait de la discipline de l'armée.
L'Association nationale avait fait l'essai de ses forces; les officiers
savaient qu'ils pouvaient impunément déférer au public des clubs les décisions
du Congrès et les ordres des ministres. L'armée fut envahie par des nuées
d'émissaires qui semaient partout la défiance et l'agitation.
Animés d'intentions patriotiques, mais aveuglés par
les passions révolutionnaires, ils parlaient de trahison et décriaient les
ordres des chefs, à l'heure où l'union, la confiance et la discipline étaient
les premiers besoins de la situation. Pour rappeler les esprits au respect des
principes et du droit, il a fallu que les vedettes hollandaises vinssent
montrer leurs panaches à Tervuren!
On comptait, il est vrai, sur les renforts que la
mobilisation de la garde civique devait procurer à l'armée active; mais, pas
plus que l'armée, la garde civique n'avait reçu une organisation appropriée aux
circonstances. Ici encore les précautions les plus indispensables avaient été
négligées.
A la suite de plusieurs mesures administratives prises
par le (page 148) gouvernement
provisoire, une loi du 31 Décembre 1830 avait créé l'institution. Un décret du
4 Avril suivant autorisa les ministres à mobiliser en tout ou en partie le
premier ban de la garde. .
Usant de la faculté que lui donnait ce décret, le
ministre de l'Intérieur mobilisa les gardes du Luxembourg, par un arrêté du 13
Avril; puis, par un arrêté du 7 Juin, les gardes des autres provinces; mais on
s'abstint encore une fois d'agir avec l'énergie et l'activité nécessaires. Nous
laisserons au général Van Coeckelberghe le soin de décrire l'état de la milice
citoyenne au moment où la proclamation royale du 5 Août appela la nation aux
armes, « malgré mes démarches, dit le général, malgré mes instances réitérées,
le 1er ban lui-même n'était pas encore organisé: ce fut, pour ainsi dire,
forcément que les officiers obtinrent des armes pour leurs soldats. Aussi se
vit-on dans l'impossibilité de tirer parti de la bonne volonté nationale; on ne
put utiliser le dévouement ni le sacrifice de la nation: on eut des masses,
mais on n'eut pas d'armée. - Le 6 Août, je reçus l'ordre de me diriger sur
Malines. Ce fut en cheminant ,qu'on organisa la brigade » (La campagne du mois
d'Août 1831, par le général Van Coeckelberghe, p. 6 et 7). Le même général nous
révèle une particularité curieuse, Les gardes de Louvain de Mons, de Wavre et
d'autres vilIes figurèrent au combat du 12 Août, sans que personne songeât à
s'occuper d'eux. Ils étaient abandonnés à eux-mêmes. Partout régnait
l'incohérence, le désordre, l'anarchie ! ..
Après ces prémisses, nous sommes en mesure de répondre
à la question de savoir si, pour expliquer nos désastres de 1831, il faut
nécessairement avoir recours à une accusation de trahison.
Constatons d’abord les faits acquis à l'histoire.
Il est faux que les Hollandais n'aient trouvé que 9,000
hommes en ligne de bataille. Vingt-cinq mille hommes au moins ont été opposés
aux corps commandés par le prince d'Orange.
(page 149)
Il est faux que le gouvernement ait négligé de faire comprendre au Congrès la
nécessité d'un appel aux capacités militaires de l'étranger.
Il est faux que les deux ministères du Régent aient
complètement négligé l'organisation de l'armée nationale. En présence des
obstacles de toute nature qu'ils rencontraient à chaque pas, les résultats
qu'ils ont obtenus méritent d'être pris en sérieuse considération.
Il est faux que le Congrès se soit prêté sans
résistance à toutes les mesures que réclamaient la force numérique de J'armée
et la bonne organisation de ses cadres.
Mais il est vrai:
Que tous les chefs du département de
Qu'ils ont commis la faute de laisser dans ses foyers
la milice de 1826, composée de soldats exercés;
Qu'ils ont gravement compromis leur responsabilité en
s'abstenant d'établir des camps, alors que les réclamations des généraux et
l'état d'indiscipline des troupes rendaient la vie des camps indispensable;
Qu'une responsabilité bien plus grave encore dérive de
leur négligence à faire occuper Diest par un corps intermédiaire, alors que,
dès le 31 Mars, une dépêche de Daine leur avait signalé l'urgence de cette
mesure;
Que l'occupation de Diest était d'autant plus facile
qu'il y avait dans le Luxembourg un corps de 4,700 hommes, devenu disponible du
moment où l'on avait acquis la certitude de la neutralité de
Que l'armée de
Qu'une grande confusion a régné dans l'expédition des
ordres du quartier général royal, surtout en ce qui concerne l'armée de
Qu'on avait négligé de consacrer une somme suffisante
à l'espionnage des forces ennemies;
Que la négligence de l'administration de
Mais faut-il nécessairement admettre un crime de
trahison, pour expliquer ces erreurs, ces négligences et ces faiblesses?
Nous n'hésitons pas à répondre négativement.
(page 150)
Il est certain que les manœuvres des agents de
Malgré le dévouement et les lumières de ses membres,
malgré l'incontestable grandeur des résultats obtenus, l'administration du
gouvernement provisoire, depuis la réunion du Congrès, n'avait pas répondu à
toutes les espérances. Au moment où le roi Louis-Philippe refusa la couronne
pour le duc de Nemours, l'anarchie commençait à pénétrer dans les esprits, dans
la presse, dans l'armée, dans toutes les branches des services publics, dans
toutes les sphères de l'activité gouvernementale.
Le mal, déjà considérable, ne fit que s'accroître sous
l'administration chancelante du Régent. La diplomatie manifestait des
intentions peu favorables, sinon hostiles. L'industrie, réduite aux abois,
avait jeté des milliers d'ouvriers appauvris et mécontents sur le pavé des
villes les plus importantes. Chaque jour les partisans de la maison déchue
multipliaient les embarras et les résistances. Quelques mois avant l'élection
du prince Léopold, il restait dans les régions élevées de l'administration un
petit nombre d'esprits fortement trempés qui osaient envisager l'avenir avec
confiance ; mais la majorité des fonctionnaires publics semblaient en
proie à un découragement irrémédiable.
Le peuple seul avait conservé ses illusions et son
patriotisme.
Ce fut alors que les agents du prince d'Orange se
présentèrent avec un thème éminemment propre à séduire des hommes que la seule
pensée de la restauration de Guillaume Ier faisait trembler. « Vous avez
récupéré, disait-on, l'indépendance nationale et la liberté politique; vous
voulez que
(page 151)
Ces discours, auxquels l'or hollandais venait parfois en aide, ne furent pas
entièrement inefficaces. Les uns cédèrent à l'appel des récompenses; les
autres, dupes ou complices, expliquèrent leur défection par le désir de
consolider l'indépendance de la nation; mais tous, patriotes séduits ou
traîtres soldés, se mirent à miner, parfois ouvertement, les obstacles qui
s'opposaient au retour du prince héréditaire. Il est incontestable que ces
intrigues obtinrent un certain succès dans l'armée, et que tous les complices
d'Ernest Grégoire el du général Vandersmissen ne furent pas signalés à la
police militaire. Mais il est un autre fait qu'il importe de ne pas perdre de
vue: c'est que l'élection du prince Léopold fit rentrer dans le devoir les
officiers supérieurs que les émissaires de
Quelques hommes, il est vrai, n'imitèrent pas cet
exemple et continuèrent à fournir aux ennemis de leur patrie les renseignements
les plus complets sur le nombre, l'armement et la position de nos troupes.
niais ces traîtres, - nous avons hâte de le dire, - ne se trouvaient pas au
département de
Constatons, dès aujourd'hui, que les fautes et les
erreurs commises en 1831 trouvent plus d'une excuse dans les mille obstacles
que nous avons passés en revue, et surtout dans l'absence d'une administration
convenablement organisée. Ces obstacles étaient tels que le dévouement, le
courage et l'habileté ne suffisaient pas toujours pour les surmonter. C'est là
surtout qu'il faut chercher les causes de la triste issue de la campagne de
1831.
M. de Gerlache a parfaitement caractérisé les
événements, quand (page 152) il a
dit: « Le pouvoir régulier et presque absolu du roi Guillaume lui donnait un
avantage immense sur un gouvernement tumultueux et anarchique, où les mesures
les plus sages devaient subir les contradictions passionnées de la tribune et
de la presse, et venaient le plus souvent échouer contre ce double écueil. En
Hollande tout le monde était uni, le roi et les États Généraux, le peuple et
l'armée. Chez nous, les uns voulaient la guerre, les autres voulaient la paix.
Ceux qui voulaient la paix avaient une confiance aveugle dans l'intervention de