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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
II. Gendebien et le Régime électoral.
(page 319) Le 10, je me
rendis au Gouvernement provisoire, qui siégeait au milieu de l'ancienne salle
du Sénat, en face du Parc. En entrant, je vis un homme debout, près de la
table. Malgré la distance, j'éprouvai instantanément un sentiment pénible
d'antipathie et de répulsion, en voyant la figure de Lebeau que je ne
connaissais pas, que je voyais pour la première fois.
Deux
minutes après, la conversation tourna à l'aigreur.
Le
Gouvernement provisoire s'occupait des élections pour le Congrès ; le décret,
imprimé en affiches, était étendu sur la table. Je demandai si un cens était
exigé pour l'électeur et pour l'éligible. Sur la réponse affirmative pour
l'électeur, je proposai un essai de suffrage universel, qui me paraissait
préférable et plus logique, parce que les masses étant révolutionnaires,
antipathiques et très hostiles au gouvernement déchu, le suffrage universel
amènerait des choix très patriotiques, très favorables à la Révolution et très
hostiles aux Nassau.
Une discussion très vive s'engagea sur ce point entre Lebeau et moi.
Personne ne m'appuyant, je n'insistai point.
Je
demandai quel cens on exigeait de l'électeur. On me répondit (page 320)
par le texte de l'arrêté qui, pour les villes, adoptait le cens du premier
degré électoral, et pour les campagnes, le cens électoral existant.
Il y
avait, pour les villes, deux degrés d'élection ; il n'y en avait qu'un pour les
campagnes ; pour cette raison, le cens des campagnes était beaucoup plus élevé
que celui des villes. L'élection devenant directe et à un seul degré pour tous,
la justice, l'équité exigeaient un cens égal pour tous, ce que je demandai.
Je
fis remarquer que le cens pour les campagnes était à peu près double de celui
des villes ; que c'était à la fois une injustice et une faute. Injustice, parce
que, si le cens est une présomption légale de capacité, il doit être uniforme
pour tous. C'est une pierre de touche qui doit être accessible pour tous, à
condition égale ; on ne peut, sans tomber dans l'arbitraire, établir deux
poids, deux mesures.
Le
double du cens pour les campagnes est une faute grave ; c'est l'acte le plus
impolitique que l'on puisse poser aujourd'hui. En effet, dans les campagnes, il
n'y a pas, ou, au moins, il y a un infiniment petit nombre d'ennemis de la
Révolution, de partisans du gouvernement déchu. Dans les villes, au contraire,
il y a des affections, des intérêts froissés et, par conséquent, des ennemis de
la Révolution, des partisans de la famille royale et surtout du prince
d'Orange. Ils exerceront probablement sur les élections une pernicieuse
influence, que les campagnes peuvent conjurer et qu'elles contre-balanceront
certainement, si on les admet à un cens égal à celui des villes.
Vaincu
sur ce point, on m'objecta que le temps manquait pour remanier les listes
électorales ; qu'il était urgent de réunir le Congrès, au plus vite possible.
Je
contestai l'urgence et je soutins que la chose essentielle et notre premier
devoir était de composer un Congrès homogène patriotique, c'est-à-dire national
et hostile au gouvernement déchu.
On
insista sur les difficultés de changer les bases du cens et sur les lenteurs
périlleuses de cette opération. Je répondis qu'il y avait un moyen bien simple
de faire disparaître l'injustice, la faute politique et les lenteurs du
remaniement de la base du cens ; c'était de faire l'essai du suffrage
universel, qui n'impose que la constatation de l'âge soit (21 ans) opération
facile, qui pourrait être faite en 24 heures, dans les communes les plus
populeuses.
Mon insistance amena une discussion très vive et très aigre entre Lebeau
et moi.
Je
proposai d'admettre comme électeurs, sans payer le cens, les capacités. Ma
mémoire est peut-être en défaut sur ce point, mais j'ai (page 321)
souvenance que deux propositions furent renvoyées à la Commission de
Constitution ; que Van de Weyer approuva et appuya fortement l'abaissement du
cens des campagnes et l'admission des capacités. C'est sur sa demande
que le Gouvernement provisoire, sans rien préjuger, renvoya mes deux
propositions à l'examen de la Commission de Constitution, qui, réunie en ce
moment, en délibéra immédiatement avec moi. Elle admit une de mes deux
propositions : celle de l'admission des capacités ; elle rejeta l'autre
concernant les bases du cens différentiel entre les villes et les campagnes.
Van
de Weyer seul appuya mes propositions ; mes autres collègues, De
Potter compris, ne prirent aucune part à la discussion.
Les
nombreuses et très pressantes réclamations des communes rurales me donnèrent
gain de cause. Elles forcèrent le Gouvernement provisoire à réparer l'injustice
et la faute que j'avais signalées et démontrées à mes collègues et à la
Commission de Constitution.
Par
arrêté du 16 octobre 1830, le Gouvernement provisoire réduisit d' moitié
le cens électoral pour les campagnes !!!
Par
un singulier retour des choses d'ici-bas, M. Lebeau qui, au 10 octobre 1830,
avait proposé et soutenu avec une persistance qui alla jusqu'à l'aigreur, le
cens électoral pour les campagnes, à un chiffre double de celui des villes,
consentit, le 16 février 1831, à réduire le cens des campagnes à la moitié de
celui des villes. C'était une injustice et une faute en sens inverse de celles
qu'il avait commises au 10 octobre 1830.
Il
combattit même la proposition de M. l'abbé Defoëre (Note
de bas de page : L’orthographe véritable est de Foere) « de réduire le cens électoral à 20 florins pour tous
les contribuables ». Voir la séance du Congrès du 16 février 1831.
Etablir,
au 10 octobre 1830, le cens des campagnes à un cens double de celui des villes,
c'était une faute, c'était presque un crime politique. Je l'ai démontré plus
haut. Le réduire à la moitié de celui des villes, au 16 février 1831, c'était
une faute bien plus funeste pour l'avenir ; on pouvait, dès le 16 février 1831,
prévoir que les campagnes, cédant à l'influence du clergé, si habile à
exploiter l'ignorance, contrebalanceraient. et subjugueraient souvent
l'intelligence des villes.
La
proposition de M. Defoëre était logique, juste et
politique. Elle fit son chemin lentement ; elle aurait, sans doute, été
méconnue longtemps encore, si la Révolution de 1848 n'avait inspiré à nos
hommes d'Etat une peur salutaire.
Gendebien
réfute ensuite longuement les assertions de Louis De Potter relatives à
l'ajournement des élections au Congrès et à la convocation de (page 322) cette
assemblée. Il repousse aussi l'insinuation de son collègue qui le représentait
associé à Félix de Merode, dans l' « action
aristocratico-cléricale» de ce dernier. Il affirme que « pendant toute
l'existence du Gouvernement provisoire, M. de Merode
n'a jamais manifesté de prétentions aristocratico-cléricales ; il était
LAMENNISTE... ». Quant à lui, il n'a pas voulu signer l'arrêté du 10 octobre
; il a provoqué « l'arrêté réparateur du 16 octobre»,
que De Potter s'est contenté de signer (Note de bas
de page : Gendebien ajoute : « J'ai insisté trop longuement peut-être sur
cette question : il était utile, nécessaire même, dans l'intérêt de la vérité
et de ma dignité d'homme, de démontrer, une fois de plus, ce que valent les
assertions et les accusations de M. De Potter »).