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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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B.
LA GENÈSE DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
VIII. La réunion du Gouvernement provisoire du 28 septembre.
(page 301) A huit heures (27 septembre),
je me rendis à l'Hôtel de Ville ; la bonne nouvelle s'était répandue avec la
rapidité de l'éclair ; les rues étaient encombrées. On sautait, on dansait, on
chantait, on criait, on s'embrassait. On m'embrassa beaucoup, on voulait me
porter en triomphe. J'aurais eu dix mains, elles n'auraient pas suffi à
répondre aux poignées de mains qui m'étaient offertes. C'était un délire
général et bien légitime.
Après
avoir véhémentement apostrophé les « adorateurs
du soleil levant », qu'il a vus arriver dès le 27 septembre au
Gouvernement provisoire et qui, « la veille, auraient applaudi à notre
supplice et qui nous auraient fait pendre avec joie, s'ils en avaient eu le
pouvoir », Gendebien poursuit son récit :
Vers
dix heures, le gouvernement put enfin entrer en délibération. Je proposai de
faire fermer les portes de la ville, de ne laisser sortir personne en armes ;
d'éviter tout combat, avant l'organisation de nos volontaires dont la bravoure
serait insuffisante en rase campagne. Ce qui fut adopté.
Je
proposai de nommer immédiatement un commissaire des finances, afin de mettre à
couvert notre responsabilité pour la partie la plus délicate de notre mission ;
ce qui fut adopté.
Je
proposai, pour cette importante fonction, M. Coghen, négociant, dont la probité
était incontestable et incontestée ; il fut agréé.
Je
lui expédiai M. Delfosse, avocat, qui nous apporta un refus ; persuadé que la
crainte de se compromettre l'avait décidé à un refus, je réexpédiai M. Delfosse
avec une lettre comminatoire, motivée sur l'urgente nécessité d'éviter le
désordre dans les finances, ce que tout bon citoyen devait désirer, quels que
fussent ses sentiments personnels (page 302) sur les changements
survenus dans le gouvernement. Je terminai ma lettre par la menace de faire
intervenir la gendarmerie pour vaincre ses scrupules. M. Delfosse s'était
chargé de lui faire comprendre que cette lettre le mettait à l'abri de toute
accusation de complicité, puisqu'il ne faisait que se soumettre à la contrainte
et céder à la force. Ainsi garanti contre les éventualités d'un retour, M.
Coghen accepta.
J'attirai
l'attention de mes collègues sur la nécessité de constater officiellement si le
gouvernement français était décidé à maintenir et à faire respecter le principe
de non-intervention qu'il avait proclamé.
Si
nous n'avons à combattre que le gouvernement hollandais, nous vaincrons. Si
l'Angleterre, la Prusse, ou l'une des deux puissances intervient en faveur de
la Hollande, nous serons écrasés. Il est donc essentiel que nous soyons
complètement édifiés sur les résolutions de la France ; car si elle permet
l'intervention, il ne nous reste qu'à profiter de notre victoire, pour traiter
de la paix avec le prince d'Orange et le roi Guillaume. Van de Weyer partagea
mon avis et le soutint, il fut agréé par mes collègues. Rogier proposa
d'envoyer à Paris son ami Grégoire. C'était, sans contredit l'homme qui
convenait le moins pour une mission aussi délicate, auprès d'une cour timide et
de ministres nécessairement peu disposés à donner leur confiance à un homme
sans antécédents recommandables et peu propre à inspirer des sympathies.
Dans
cette circonstance, comme dans beaucoup d'autres, Ch. Rogier n'a pas eu la main
heureuse.
Le
27 septembre, il propose, pour une mission importante, son ami Grégoire ; il
insiste pour le faire agréer. Quatre mois plus tard, son protégé, son ami,
trahit la cause qui lui donnait du pain et des dignités ; le 2 février, il
proclame à Gand le prince d'Orange.
Dans
la soirée du 24 septembre, Ch. Rogier fait donner à son ami Juan Van Haelen le
commandement de nos braves volontaires ; il lui confie les destinées de la
Révolution ! Huit jours plus tard, son ami, son protégé perd la confiance du
Gouvernement provisoire, qui, justement effrayé des révélations de plusieurs
officiers qui avaient servi avec lui en Espagne, le mit en non-activité et lui
accorda une pension de dix mille francs ! !
Juan
Van Hae1en se chargea, peu de jours après, de justifier la prudente,
l'énergique mesure du Gouvernement provisoire.
Plus
tard, je justifierai mon assertion : je reviens à la délibération sur la
nécessité d'une explication officielle du gouvernement français sur le principe
de non-intervention et sur la nomination d'un envoyé à Paris.
(page
303) Van de Weyer proposa de me charger de cette mission importante. - Nous
étions d'un avis conforme sur la nécessité de repousser la proposition de
Rogier ; il avait pensé que le meilleur moyen de triompher de l'obstination de
Rogier, c'était de me charger de cette mission. Je lui avais dit les nombreux
motifs qui devaient faire agréer ma proposition. Mon père avait été membre du
Corps législatif de France pendant treize ans et, pendant un grand nombre
d'années, membre de la Commission de l'Intérieur. Il avait, en cette
qualité, fait de nombreux et utiles travaux et avait eu de fréquents rapports
avec M. Molé, père du Ministre des Affaires Etrangères de 1830. Il avait laissé
à Paris de très honorables souvenirs. De mon côté, mes relations d'amitiés avec
la famille de M. le comte de Celles et M. le maréchal Gérard, lesquels étaient
en relations intimes avec la famille royale, me mettaient en bonne position
pour être bien reçu, écouté et accueilli favorablement.
Van de Weyer développa ces considérations et en ajouta d'autres que lui
inspira son amitié, et je puis ajouter son estime pour moi.
C'est
après une délibération sérieuse que je fus chargé, pour la première fois, d'aller
représenter la Belgique à Paris et d'y plaider sa noble et juste cause.
Gendebien
proteste ensuite contre une allégation de De Potter
qui, dans ses Souvenirs, représente
dédaigneusement cette mission comme personnelle plutôt que gouvernementale.
Il souligne la contradiction qui apparaît entre deux passages du livre de
son adversaire.
Laissons
là les rancunes et toutes les petites misères du dépit et de l'amour-propre
froissé, revenons aux délibérations du Gouvernement provisoire des 27 et 28
septembre où, quoi que dise M. De Potter, page 147 : « Il n'y avait encore
aucun ensemble dans nos opérations », les délibérations étaient sérieuses, plus
substantielles et plus logiques qu'après son arrivée.
J'appelai
l'attention de mes collègues sur l'utilité et l'urgence de faire manœuvrer les
écluses de chasse d'Ostende, construites par le gouvernement français, pour
faire de cette ville un port de commerce. Cette manœuvre était d'autant plus
importante et urgente que nous avions à craindre la fermeture momentanée de
l'Escaut.
J'avais
été à Ostende, quelques années avant la révolution ; j'avais admiré ces écluses
; je m'étais informé des motifs qui les laissaient inactives ; on me dit que,
sous prétexte qu'elles crouleraient à la première manœuvre, on laissait depuis
longtemps envaser le port, mais qu'en réalité c'était pour satisfaire la
jalousie, l'égoïsme des Hollandais.
Un
membre objecta qu'il y avait des choses et des dépenses plus (page 304)
urgentes ; qu'il ne convenait pas d'engager la responsabilité du gouvernement
dans une opération chanceuse, dont l'insuccès ferait accuser la révolution
d'imprudence, de vandalisme peut-être. Van de Weyer m'appuya énergiquement.
Ma
proposition fut agréée. Des ordres furent donnés, avec injonction de rendre
compte au gouvernement des résultats de chaque jour. Ils furent merveilleux ;
le port d'Ostende fut rendu à sa destination, à la grande joie et aux
applaudissements du commerce.
On
sait que le roi Guillaume avait doté le syndicat d'amortissement (mieux nommé
d'engloutissement) des domaines de la Belgique. J'appelai l'attention de mes
collègues sur les mesures à prendre pour sauver, de ce grand désastre, quelques
épaves. Je proposai de faire un appel à tous les porteurs de bons du syndicat,
d'exiger, dans un bref délai, la remise, à titre de dépôt, dans la caisse de
l'Etat, de tous les bons en circulation en Belgique, pour recevoir l'estampille
indispensable pour conserver leur valeur et leur circulation. Je proposai de
déclarer en même temps, que toute émission à une date postérieure au 26
septembre 1830 serait nulle et non avenue.
Je
ne donnais que des indications et je recommandais de prendre l'avis de la
chambre de commerce et des banquiers et négociants les mieux famés.
Le
gouvernement s'occupa d'un grand nombre de mesures d'intérêt matériel et
politique. Entre autres, sur la demande des banquiers et négociants les plus
recommandables de Bruxelles, il prorogea de 25 jours l'échéance de tous les
effets de commerce sur la ville de Bruxelles.
Il
lança, le 26, une proclamation aux soldats belges, les déliant de tout serment
; elle se terminait par ces mots : « Braves soldats, continuez de vous ranger
sous nos drapeaux, le nom de Belge ne sera plus un motif d'injustice, il
deviendra un titre de gloire. »
Cette
proclamation, très énergique, fut répandue partout et fut lue, avec avidité et
grande émotion, par beaucoup d'officiers et soldats belges.
Le
gouvernement s'occupa des hôpitaux, des ambulances, pour la partie matérielle ;
car, pour le traitement des blessés, les soins et la sollicitude, le zèle
patriotique ne laissait rien à désirer.
Je
manquerais au plus sacré des devoirs, celui de la reconnaissance, si je ne
citais parmi les médecins, M. Feigneaux, qui, blessé
deux fois, pendant le combat, montra un zèle assidu et une sollicitude toute (page
305) fraternelle et infatigable. Je dois citer aussi les médecins Max (Note
de bas de page : D'après une communication que nous a faite l'honorable
bourgmestre de Bruxelles, M. Adolphe Max :, il s'agit de son
arrière-grand-oncle, le chirurgien Jean-Cyriaque Max, né à Budingen
en 1772, mort à Bruxelles en 1850. Il fut décoré de la Croix de Fer avec cette
honorable mention : « Il fut le premier officier de santé qui, le 23 septembre
au matin, se porta sur le lieu du combat, à la porte de Schaerbeek, pour donner
des soins aux blessés ») et Limoges qui, au péril de la vie,
allaient chercher les blessés sous le feu de l'ennemi, et leur donnaient les
premiers soins, qu'ils continuaient après le combat, sans prendre un instant de
repos.
Les
femmes, comme toujours, furent admirables de dévouement, de sublime courage, de
complète abnégation. Je citerai, en premier ordre, Mme la Comtesse Duval de
Beaulieu qui, ainsi que son digne époux, fit le coup de fusil et donna les
premiers soins aux blessés, sur le champ de bataille même ; puis, dans les
ambulances et les hôpitaux.
Je
citerai la famille De Gammond, dont un des membres,
fidèle aux traditions de famille, se consacra à l'éducation, au
perfectionnement de la femme ; je citerai encore une demoiselle Palmaert et Mlle Levae ; si ma
mémoire ne faisait défaut, je pourrais en citer beaucoup d'autres, qui se
montrèrent infatigables dans les ambulances et les hôpitaux, pendant et après
le combat.
Il y
avait, sans doute, de grandes souffrances dans les ambulances, mais elles
étaient adoucies par les soins, les consolations, les encouragements des
héroïnes de la charité et par les joies du triomphe.