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« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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B.
LA GENÈSE DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
VII. L'arrivée à Bruxelles. La constitution définitive du Gouvernement
Provisoire. La retraite des Hollandais.
(page 292) Arrivés à sept heures du
soir, à la porte d'Anderlecht, je m'y arrêtai quelque temps pour payer les deux
chars-à-bancs qui nous avaient transportés de Hal à Bruxelles, et pour donner
des pourboires aux conducteurs des chariots et des diligences qui nous avaient
transportés de Hal à Bruxelles.
Je priai Niellon de faire transporter à
l'Hôtel de Ville les poudres que nous avions recueillies pendant notre voyage.
J'entrai
seul à Bruxelles. Je fus reconnu par un homme qui était de garde à la porte, il
allait m'acclamer ; je lui mis la main sur les lèvres et l'entraînai avec moi.
C'était
un brave et intelligent ouvrier qui m'aida à passer à travers les barricades.
J'étais fatigué au point de savoir à peine marcher. Il me mit parfaitement au
courant de la situation. Il m'accompagna à l'Hôtel de Ville où je fus fort mal
accueilli.
M.
Nicolaï me dit assez aigrement : « Encore un homme du lendemain. » Je lui
répondis : « Je suis l'homme de l'avant-veille et de la veille, je serai
l'homme de demain et après-demain, je serai ce qu'il me conviendra d'être dans
l'intérêt de mon pays. »
Soit
regrets, soit pour tout autre motif, M. Nicolaï ne reparut pas le lendemain à
l'Hôtel de Ville.
(page
293) Décidé à ne faire qu'acte de présence à l'Hôtel de Ville, j'avais prié
l'ouvrier qui m'avait accompagné depuis la porte d'Anderlecht de m'attendre
pour m'accompagner dans l'inspection que je me proposais de faire.
Voulant
vérifier moi-même les positions de l'ennemi et les nôtres, j'allai à la place
Royale où, à mon grand étonnement, je vis deux canons gardés par deux hommes,
dont un couché sur l'affût, et l'autre debout et vigilant malgré les fatigues
de la journée.
Sur
les indications de mon compagnon, j'allai à la rue de Namur : la rue des
Aveugles était calme et déserte ; il en était de même de la rue Verte
(aujourd'hui rue de Bréderode) et de la rue des
Petits Carmes. Nous fîmes quelques pas encore : un coup de fusil fut tiré par
une sentinelle qui était cachée derrière la pompe. La balle ne nous atteignit
pas.
Nous
traversâmes la place Royale et passâmes au-dessus de la barricade, en face de
l'hôtel de Belle-Vue et du café de l'Amitié (aujourd'hui librairie Muquardt),
nous fîmes deux cents pas dans la rue Royale, longeant le mur ; deux coups de
fusil partirent, l'un d'une sentinelle cachée derrière l'aubette du Parc,
l'autre partant, je pense, de la grille, en face de l'escalier de la
bibliothèque. Nous retournâmes vers la place Royale, non pas qu'il y eût grand
danger à continuer, car les armes de cette époque étaient peu perfectionnées,
et je sais par expérience combien il est difficile de viser pendant la nuit.
Nous nous retirâmes parce que j'avais vérifié un point important : s'il était
vrai qu'après le combat on se reposait de part et d'autre, sans se surveiller,
j'avais constaté que de notre côté on ne se gardait pas, tandis que l'ennemi
veillait et se gardait.
Retournant
chez moi (Place des Martyrs), je passai devant la porte de ma belle-mère ;
désirant la rassurer, je sonnai ; en me voyant, elle fondit en larmes ; elle
dit quelques mots très sensés ; puis je m'aperçus qu'elle était folle ! !
Elle
croyait que son mari serait égorgé à La Haye, que son gendre et ses petits-fils
étaient ou seraient tués dans la bataille ; son grand âge céda à tant de
commotions et d'inquiétudes ; elle était folle ! Je fis prévenir ma femme qui
lui prodigua des soins.
Pour
moi, j'étais si fatigué, qu'une fois assis, je ne pus me lever, ni boire, ni
manger, Sans cesse me revenaient à l'esprit les paroles que mon père avait
prononcées à Mons, le 19 septembre : « Les révolutions ne sont profitables
qu'aux intrigants ; elles sont toujours funestes aux honnêtes gens, »
(page
294) Je passai la nuit sur le canapé sur lequel je m'étais assis en entrant
; je ne dormis pas deux heures.
A sept heures du matin, je fis chercher chez moi un de mes fusils de
chasse, une carnassière et des cartouches.
A
huit heures, j'allais sortir avec mon fils et avec mon domestique pour m'aider
à marcher jusqu'au champ de bataille, lorsqu'arriva Vandersmissen, qui me
demanda protection contre les accusations de trahison qui menaçaient sa vie.
J'avais
été témoin à Valenciennes, et pendant notre campagne de. vingt-quatre heures,
de sa détermination, de son courage et de son sang-froid ; je lui dis : « Le
meilleur moyen de confondre la calomnie, c'est de combattre vigoureusement ;
faites chercher un fusil et des munitions, nous monterons ensemble au Parc, mon
fils connait le champ de bataille, il nous guidera. »
Qu'il
me soit permis de jeter une fleur sur la tombe de ce vaillant fils qui n'avait
pas dix-huit ans, lorsqu'il assista à tous les combats de la révolution, avant,
pendant et après les quatre journées. Il avait 18 ans à la campagne du mois
d'août 1831 ; il était sous-lieutenant d'artillerie à l'armée de Daine ; il
montra un courage, un sang-froid admirable lors de la retraite précipitée,
disons le mot, lors de la déroute de ce corps d'armée. Abandonné par son
lieutenant qui avait versé son canon dans un fossé, il fit, en présence de
l'ennemi, les plus grands efforts pour l'en retirer. Pressé de très près, il se
retira avec sa pièce qu'il mit en batterie à la première position qu'il jugea
favorable et arrêta l'ennemi. Il croisa le sabre avec un officier de
cuirassiers, qui oubliait sa mission de le soutenir.
C'est
le plus jeune officier de l'armée, ou au moins de son arme, qui donna ce
sublime exemple de courage et de sang-froid. Il fut nommé lieutenant et décoré
de l'Ordre militaire de Léopold.
Plus
tard, directeur d'un charbonnage à Charleroi, il descendit le premier dans une
bure, immédiatement après une terrible explosion de grisou. Il fut décoré de la
Médaille d'or de première classe.
Il
mérita la Croix de Fer et en fut décoré, ainsi que son frère qui, à l'âge de
seize ans, assista à tous les combats de la Révolution et se distingua tout
particulièrement au pont de Waelhem. Malgré le
déboîtement de son épaule gauche, il voulut faire la campagne de 1831 ; je fus
obligé d'aller l'enlever de force et de le ramener chez moi ; il était
sous-lieutenant de cavalerie.
On
me pardonnera ces courtes nécrologies de deux fils, descendus prématurément au
tombeau !!
(page
295) Tandis que je me disposais à me rendre sur le champ de bataille avec Vandersmissen et mon fils, Messieurs de l'Hôtel de
Ville m'invitèrent .à venir prendre part au Gouvernement. Je refusai, leur
faisant dire que, quoique bien fatigué, je serais plus utile au Parc qu'à
l'Hôtel de Ville.
On
revint à la charge, on insista vivement ; on dit même que si je ne me rendais
pas à l'Hôtel de Ville, on s'installerait chez moi.
Le
peuple, ayant appris ma présence à Bruxelles, s'était attroupé devant la maison
de ma belle-mère, et criait : « Vive Gendebien ! » J'ouvris la fenêtre du
premier étage ; je les engageai à ne pas faire de bruit parce que ma belle-mère
était très malade. Me voyant équipé et armé pour le combat, ils crièrent « A
l'Hôtel de Ville ! A l'Hôtel de Ville ! » Le second message m'arrivant de
l'Hôtel de Ville, je promis de m'y rendre ; ce que je dis au rassemblement,
l'invitant à se retirer sans bruit.
Vandersmissen
me donna le bras, ce qui était pour moi un appui nécessaire et pour lui une
réhabilitation. (Note de bas de page : Cruelle et fatale
destinée : soupçonné, accusé de trahison au mois de septembre 1830,
Vandersmissen trahit au mois de mars 1831 ! La trahison est inexcusable.
Cependant, par sa lettre du... avril 1832 au duc de Wellington, Vandersmissen
invoque des circonstances atténuantes qui, sans l'excuser, démontrent que lord Ponsonby et les sommités CIVILES et militaires de cette
époque l'ont entraîné. J'ai combattu, j'ai vaincu cette conspiration, j'en connais tous les
instruments. J'affirme que les plus coupables sont restés impunis ; ils ont
même été, plus tard, glorifiés par d'autres sommités. (Note de Gendebien.))
Van
de Weyer, qui avait, sans doute, reçu la même invitation, se rendit aussi à
l'Hôtel de Ville. Des poignées de mains cordiales furent échangées ; le
Gouvernement provisoire fut constitué de fait, c'est-à-dire la Commission
administrative se fusionna avec le Gouvernement provisoire constitué à l'Hôtel
de Ville, le 18 septembre, par MM. Van de Weyer, de Mérode et moi.
On
se rappellera que nous avions décidé que deux des trois signeraient pour le
troisième absent ; c'est pour cela que Van de Weyer et moi demandâmes que
Mérode fît partie du Gouvernement provisoire, quoiqu'absent, ce qui fut agréé
sans contestation. Le lendemain 26 septembre, la liste complète du Gouvernement
provisoire fut publiée.
Ce
que fit le Gouvernement provisoire pendant les deux dernières journées, est
fort difficile à dire ; sauf deux questions importantes, dont je parlerai, il
était absorbé par des incidents, par des détails multiples qui réclamaient son
intelligence, toutes ses facultés, au point qu'il n'entendait ni le bruit de la
mousqueterie, ni même celui du canon.
Les
Hollandais seraient arrivés jusqu'à la Grand'Place,
que nous ne nous en serions pas aperçus.
(page
296) C'étaient des volontaires qui venaient à chaque instant nous demander
le poste où ils devaient se rendre. Comme il n'y avait pas, quoi qu'on en ait
dit, de plan de bataille réglé, nous ne pouvions que les envoyer à la Place
Royale, où était le véritable champ de bataille, sous le commandement
intelligent du brave général Mellinet, qui fut le
vainqueur, le véritable héros des quatre journées.
A
chaque instant, on venait nous demander des cartouches, des gargousses ; le
commandant en chef, qui n'était que nominal, n'avait pourvu à aucun service,
n'avait rien prévu, rien préparé, rien ordonné. Son commandement n'était qu'une
pure abstraction.
L'ardeur,
le zèle patriotique, suppléèrent heureusement à toutes les insuffisances, à
toutes les imprévoyances, à toutes les prétentieuses nullités. .
Un
excellent patriote, M. Van den Brande, fondeur, consacra son atelier à faire
des boulets et de la mitraille. On apportait à l'Hôtel de Ville les projectiles
encore chauds. Ils étaient mis en gargousses et portés directement à la place
Royale où Mellinet leur laissait à peine le temps de
refroidir, pour les envoyer aux Hollandais.
On
faisait des cartouches et même de la poudre chez Schavye
. (Note de bas de page : M. Louis Leconte, Conservateur en chef du
Musée de l'Armée, a raconté, sous le titre : Les tribulations d'un patriote
de 1830, les exploits de Schavye pendant la
Révolution (LA PATRIE BELGE, 1830-1930, pp. 57 à 66)),
dont l'atelier de reliure était transformé en poudrière et en fabrique de
cartouches. On faisait des cartouches dans beaucoup de maisons ; chez moi, la
cuisinière faisait jour et nuit du bouillon pour les hôpitaux et fondait des
balles ; ma femme faisait des cartouches, les plus jeunes enfants faisaient de
la charpie ; mes fils et mon domestique faisaient le coup de fusil au Parc. Les
cartouches n'auraient manqué nulle part, s'il y avait eu un service réglé pour
leur distribution. Heureusement, comme je l'ai déjà dit, le zèle suppléa à
l'imprévoyance et à l'absence d'ordre et de direction.
Pendant
les quatre journées, tout s'est fait par l'initiative des volontaires
appartenant à toutes les classes de la population, sans distinction.
Le
23 septembre, les Hollandais envahissant le Parc, prirent possession de
plusieurs hôtels de la rue Royale. Dès le 24, les volontaires reprirent
possession des hôtels. Le 25, ils délogèrent les Hollandais des maisons près de
l'escalier de la Bibliothèque ; l'expulsion de toutes ces positions occupées
par les. Hollandais est due à l'initiative des patriotes aussi intelligents que
braves.
Une
manœuvre, due encore à l'intelligente, à l'héroïque initiative (page 297)
des volontaires, mérite aussi une mention toute particulière ; ils établirent
des communications entre les hôtels de la rue Royale ; ils pouvaient ainsi
observer et suivre les mouvements des Hollandais dans le Parc.
Après
les avoir repoussés d'un côté, ils suivaient leur mouvement et marchaient
parallèlement avec eux, dans l'intérieur des maisons. Lorsqu'ils les voyaient à
portée, ils faisaient des décharges qui tuaient beaucoup de monde à l'ennemi,
et qui avaient de plus l'immense avantage de lui faire croire que toutes les
maisons étaient occupées par des forces considérables.
L'intelligente
initiative des patriotes produisit partout les mêmes résultats : la conviction
que nos forces étaient décuples de ce qu'elles étaient réellement, puis
l'inquiétude, les surprises, le découragement, la démoralisation de l'ennemi et
sa défaite.
Combien
d'heureuses et hardies initiatives sont restées inconnues ou tombées dans
l'oubli. J'en citerai une dernière : des braves volontaires sont allés attaquer
l'ennemi sur les points où ils se croyaient en pleine sécurité et pour ainsi
dire sur leur derrière. Il était en réserve en haut de la rue de Namur dans une
impasse ; les volontaires passent à travers les jardins, arrivent à la maison
de M. Duvigneaux qui était en face de l'impasse ; ils
invitent les habitants à se retirer par le même chemin par où ils étaient venus
; puis ils font des décharges qui tuent beaucoup de monde à l'ennemi et se
retirent sur un autre point.
De
pareilles expéditions, non seulement faisaient beaucoup de mal à l'ennemi, mais
lui inspiraient de continuelles et très graves inquiétudes qui le fatiguaient,
le démoralisaient. Elles avaient aussi l'immense avantage de faire croire à
notre supériorité en nombre et en audace intelligente. .
Revenons
à l'Hôtel de Ville. Au milieu d'une espèce de tour de Babel, le Gouvernement
provisoire eut deux délibérations sérieuses ; la proposition, déjà précédemment
produite par M. Ch. Rogier, de prendre le Parc de vive force, par une attaque
générale dès la troisième journée.
Je
combattis énergiquement cette proposition comme prématurée et très dangereuse.
« L'attente, disais-je, est pour l'ennemi, un sujet de découragement, de
démoralisation. Le temps est pour nous une garantie de la victoire ; parce
qu'il amène, à chaque heure un renfort et double l'enthousiasme et la confiance
dans le succès. Nos ennemis, harcelés, toute la journée, bivaquent dans de très
mauvaises conditions. Nos volontaires sont très bien nourris, très bien couchés
; ils peuvent faire, longtemps cette guerre dans de pareilles conditions. Aussi
longtemps (page 298) que nos volontaires resteront dans leurs
retranchements, ils seront invincibles ; faites-les en sortir, ils ne pourront
former des colonnes d'attaque régulières, lesquelles seraient d'ailleurs
balayées par l'artillerie hollandaise, puis cernées par l'infanterie et sabrées
par la cavalerie. » La proposition fut abandonnée.
Pendant
la quatrième journée, on vint nous dire qu'il était impossible de faire une
attaque sérieuse sur le Parc, aussi longtemps que la troupe qui occupait le
Palais du Roi ne serait pas délogée ; qu'on avait inutilement essayé de
la chasser de cette position : qu'il n'y avait qu'un moyen d'y réussir ;
c'était de brûler le Palais ; en conséquence on nous demandait l'autorisation
de l'incendier.
Je
crois que personne n'était disposé à y consentir ; pour moi, je m'y opposai
énergiquement. « La position du Palais Royal n'a aucune importance, dis-je, si
ce n'est pour l'attaque et la prise du Parc ; or cette attaque a été jugée
inopportune et dangereuse. »
Deux
heures plus tard on revint à la charge ; on nous dit : « Les Hollandais nous
brûlent pour nous chasser de nos positions ; ils nous brûlent, même sans aucune
nécessité stratégique ; nous avons le droit, et c'est pour nous une nécessité,
d'user de représailles. »
Je
m'opposai avec la même énergie et pour les mêmes motifs qu'à la première
proposition. J'ajoutai : « S'il m'était démontré que les destinées de la
Belgique dépendissent de cet acte barbare, je n'hésiterais pas. Mais je le
crois inutile pour le succès de la bataille. Je ne veux pas qu'on m'accuse,
vainqueur ou vaincu, d'avoir consenti à un acte de barbarie inutile.» Je me
levai, j'allai prendre mes pistolets que je plaçai devant moi, sur la table,
puis, m'adressant au messager, je lui dis : « Je brûlerai la cervelle à celui
qui viendra renouveler pareil message ; faites le savoir à celui qui vous a
envoyé. » Tout le monde approuva.
Tous
les rapports qui nous arrivaient démontraient le découragement, la profonde
démoralisation de nos ennemis, exposés à toutes les intempéries de la saison
pendant trois jours et trois nuits ; chose incroyable ! manquant de vivres dès
la troisième journée ; sans cesse tenus à l'état de rassemblement, pour éviter
les désertions qui se multipliaient et suivaient les progrès du découragement.
- Je crus que le moment était venu de frapper un coup décisif ou au moins d'en
faire la menace. Je me concertai avec Niellon qui
partageait mon opinion. « Ils seront bientôt si démoralisés, me dit Niellon, qu'il n'y aura plus qu'à souffler dessus, pour les
faire disparaître. »
Nous
convînmes qu'il ferait dans la nuit suivante (du 26 au 27) une sortie par la
porte de Hal, et se dirigerait sur Ixelles, menaçant (page 299) de
tourner l'ennemi. Il réunit bon nombre de patriotes de bonne volonté et réussit
à jeter l'épouvante et la démoralisation dans les rangs ennemis.
Mon
fils aîné et un autre, que je crois être Chazal,
marchaient en éclaireurs ; la nuit étant très obscure, ils arrivèrent, sans
s'en apercevoir, à portée d'un groupe d'ennemis qui fit feu, sans les
atteindre. Les nôtres ripostèrent et coururent sus ; la déroute fut complète.
Dans le même moment, des volontaires des environs de Charleroi, de Gilly, je
pense, arrivant par la chaussée d'Ixelles, complétèrent le désordre, la déroute
de l'ennemi.
Cette
expédition eut un résultat d'autant plus complet qu'elle paraissait un
commencement d'exécution d'une résolution prise à l'Hôtel de Ville, vers huit
heures de la même soirée.
Or,
voici ce qui s'était passé à l'Hôtel de Ville, dans la soirée du 26 septembre.
Il y avait une réunion nombreuse d'hommes aguerris par quatre jours de combats,
pleins de confiance et d'enthousiasme, disposés à tout entreprendre et décidés
à donner ce qu'ils appelaient le dernier coup de collier, le coup de grâce.
Après
de chaudes motions et dissertations, je dis : « Nous sommes maintenant assez
nombreux pour cerner l'ennemi dans le Parc et pour intercepter ses
communications avec ceux qui pourraient venir à leurs secours. Je propose que
le combat commence demain, à l'heure ordinaire ; à dix heures on formera quatre
colonnes d'attaque qui seront commandées chacune par un membre du Gouvernement
provisoire. »
On
approuva avec enthousiasme. « Qu'on prépare ses armes, qu'on se munisse de
cartouches, qu'on s'avertisse, qu'on ne manque pas au rendez-vous, qu'on se
prépare à combattre à outrance, si l'ennemi nous attend ; mais je pense qu'il
ne nous attendra pas. Il est d'ailleurs fatigué, démoralisé, il y a deux jours
qu'il est sans pain ; il cèdera au premier choc vigoureux. »
Il
n'y avait ni bravoure, ni témérité dans mon projet : j'étais persuadé que le
prince Frédéric serait averti de nos desseins par ses espions, et qu'il ne
s'exposerait pas à courir les chances d'une plus longue résistance. Il ne
pouvait plus compter sur le soldat belge qui désertait ; les officiers belges,
après avoir murmuré, avaient, en grand nombre, déclaré qu'ils ne tireraient
plus le sabre contre leurs compatriotes.
Vers
deux heures du matin, mon fils, revenu de l'expédition de nuit commandée par Niellon, me dit qu'après leur décharge, qui ne nous tua
personne, les Hollandais s'enfuirent en désordre et donnèrent le signal d'une
déroute générale. .
Tout
persuadé que j'étais que le prince Frédéric n'attendrait pas (page 300)
notre attaque du lendemain, je passai la nuit à méditer les moyens d'organiser
les colonnes d'attaque.
J'étais
si convaincu de la retraite des Hollandais, qu'après avoir reçu le rapport de
l'expédition de nuit, j'allai jusque près de la porte de Schaerbeek, pour
constater cette retraite. - De la place Saint-Michel, aujourd'hui place des
Martyrs, où était ma demeure, jusque près de la porte de Schaerbeek, je ne
rencontrai personne. La ville était dans le plus grand calme, dans le silence
des tombeaux. J'en étais effrayé, j'y voyais un présage sinistre. Le contraste
entre mon agitation et le calme profond de la nuit, me donna le frisson ;
j'avais la fièvre en rentrant chez moi.
Avant
six heures du matin, je sortis pour me rendre à l'Hôtel de Ville ; arrivé à la
rue Fossé-aux-Loups, un nommé Simon, ancien sous-officier des grenadiers de la
Vieille Garde, m'arrêta, me serra dans ses bras, m'embrassa, puis cria : «
Victoire ! Victoire ! les Hollandais sont enfoncés, ils sont en pleine retraite
; plus un homme au Parc ! Voilà ma part du butin, me dit-il, montrant un bonnet
de grenadier dont il était coiffé. Nous ne l'avons pas volée, cette victoire-là
! Quatre jours de combats ; un contre dix, en commençant. On n'aurait pas mieux
fait sous le petit caporal ! » Pour lui, il avait fait son devoir aussi
bien et peut-être mieux que sous le petit caporal. Il avait combattu
comme un lion.
Je
rentrai chez moi ; j'annonçai la bonne nouvelle. Ma femme, mes enfants, mes
domestiques, moi-même, tous nous versâmes d'abondantes et bien douces larmes.
Ma femme, s'adressant à ses enfants et à ses domestiques, leur dit : «
Nous n'avons pas encore le droit de nous reposer ; faisons du bouillon et de la
charpie. » .
Dans
ce moment arriva mon ancien camarade au lycée de Bruxelles, M. Vautier, un de mes meilleurs amis ; il croyait arriver le premier
pour nous annoncer la bonne nouvelle. - « Victoire ! Victoire ! » dit-il.
Il
avait été séquestré pendant quatre jours, sans aucune communication quelconque.
- Il était logé rue de la Pépinière ; de la fenêtre de son grenier, il voyait
flotter, sur la tour de l'Eglise de Gobert, le
drapeau tricolore ; c'était tout ce qu'il savait des événements. Tandis qu'il
regardait, sans défiance, ce symbole de l'espérance, un des soldats qui
bivaquaient dans la rue, lui adressa une balle qui alla s'enfoncer dans les
poutres du grenier. Il dut se résigner à ne consulter que pendant la nuit le
drapeau libérateur. Qu'on juge de ses anxiétés pendant toute la journée, et de
son bonheur quand, le soir, il revoyait le drapeau toujours flottant.
(page
301) Enfin, le 27, vers six heures du matin, n'entendant plus de bruit dans
la rue, il se hasarda à mettre la tête à la fenêtre ; il vit les voisins faire
de même. Quelqu'un passa criant : « Victoire ! Victoire ! les Hollandais sont
partis. »
D'un
bond il arriva chez moi ; trouvant toute la famille réunie, personne de tué ni
blessé, il devint fou de joie. Il nous conta ses mésaventures,
ses tribulations, pendant ces quatre journées qui lui parurent un siècle.
D'autres amis et bons patriotes vinrent exprimer leur joie, leurs chaleureuses
félicitations, nous paraissions tous revenir de l'autre monde.