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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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A. LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

 

IV. La démarche à La Haye. Un retour pour le moins mouvementé

 

(page 212) La police avait préparé une émeute à notre sortie du Palais. Elle seule pouvait savoir notre audience ; nous étions arrivés incognito, au milieu du calme le plus parfait.

(page 213) Au moment de monter en voiture, nous fûmes entourés de tout ce qu'il y a de plus abject dans la population de La Haye ; on vociférait les plus grossières injures et on nous menaçait du poing. Nous traversâmes la foule avec calme et dignité. Je m'étais armé d'une clef, prévoyant une lutte. Mes collègues étant entrés en voiture, la canaille s'enhardit contre un homme seul. Je repoussai l'assaillant de gauche, je donnai à l'assaillant de droite un violent coup de poing armé de ma clef, et j'entrai en voiture en écartant la foule. Le valet de place ne put fermer la portière que nous tenions de l'intérieur. Je frappai de ma clef toutes les mains qui s'efforçaient de l'ouvrir.

Le valet de pied, quoique Hollandais, fut fort maltraité, les basques de son habit et son chapeau restèrent dans les mains de ses compatriotes.

Ainsi que le .Roi nous y avait invités, nous nous rendîmes chez le ministre de l'Intérieur, accompagnés d'une foule toujours grossissante, toujours plus menaçante ; le ministre nous fit dire que devant se rendre chez le Roi, il ne pourrait nous recevoir que le soir à huit heures.

Nous pûmes remonter en voiture sans difficultés, parce que la porte d'entrée était très étroite et que le cocher avait rasé le mur, de manière que personne ne pouvait trouver place entre la voiture et le mur.

Nous fûmes accompagnés jusqu'à l'hôtel par une foule menaçante qui nous jetait des pierres ; ce qu'il y a de plus déplorable et de moins croyable, chez un peuple qui se vante d'être très civilisé, c'est que nous traversâmes une place, rendez-vous de l'élite de la société, et que ces hommes d'élite accoururent se mêler à la populace pour nous insulter et l'exciter à nous faire un mauvais parti.

Arrivés à l'hôtel, nous fûmes bientôt menacés d'un assaut. Nous n'avions pour nous défendre que les deux pistolets à deux coups de M. J. d'Hooghvorst, la garniture de la cheminée et deux chenêts. L'hôtelier était venu nous engager à quitter sa maison pour éviter une mort certaine et pour sauver, disait-il, sa maison du pillage.

La fuite était sinon impossible, du moins plus dangereuse que notre défense sur place.            ­

Nous barricadâmes la porte de notre appartement qui était au rez-de-chaussée ; puis nous nous préparâmes à repousser vigoureusement les attaques et les irruptions par les croisées qui faisaient front à une place. Nous nous attendions, à chaque instant, à être écrasés par cette foule sauvage. Nous subîmes, pendant trois quarts d'heure, les angoisses d'une véritable agonie.

Après ces trois quarts d'heure de vociférations, de menaces (page 214) furieuses, la foule se dissipa peu à peu devant la schutterij (garde civique) qui par un hasard providentiel se réunit à quelque pas de notre hôtel pour un exercice.  ­

Je déposai les armes (un chenêt), j'écrivis au Roi, au nom de la députation ; je lui dis tout ce que nous avions subi d'injures, de voies de fait, en sortant du palais, à sa porte même, puis dans les rues de La Haye et enfin à notre hôtel.

J'invoquai le droit des gens, les immunités dues aux mandataires politiques, enfin, la protection des lois.

Je renouvelai mes appréhensions au sujet des dangers qui attendaient et menaçaient les députés belges aux Etats-Généraux. J'insistais sur la nécessité de réunir les Chambres sur un terrain neutre, le Brabant septentrional.

J'écrivis aussi au ministre de l'Intérieur. Je lui annonçai que nous ne nous rendrions pas à la conférence qu'il nous avait assignée pour le soir. Je lui dis qu'il ne nous restait d'autre devoir que de protester et de quitter, au plus vite, un pays inhospitalier, barbare. Je protestai, au nom de la députation, contre les actes de violence, dont nous avions failli être victimes.

Au nom de la Belgique, dont nous étions les mandataires, je le déclarai personnellement responsable envers nous et envers son pays, de toutes infractions nouvelles au droit des gens. M. Lacoste était Belge (Note de bas de page : Gendebien écrit tantôt Lacoste, tantôt de Lacoste. L'orthographe officielle est de la Coste. Cet homme d'Etat, né à Malines en 1788, mourut à Bruxelles le 30 mars 1870. Après avoir refusé, en 1831, le mandat de sénateur que l'arrondissement de Bruxelles lui avait conféré, il se rallia au nouveau régime, fut élu représentant de Louvain en 1842, devint gouverneur de Liége de 1846 à 1847. Il fut révoqué par le ministère Rogier, perdit son siège de représentant le 13 juin 1848, le reconquit en 1850 et fut remplacé en 1859 par Beeckman. De 1859 à 1863, il représenta Louvain au Sénat).

 Le ministre de l'Intérieur, sans répondre à notre protestation, nous invita à nous rendre à la conférence qu'il avait proposée et que nous avions acceptée. Nous refusâmes catégoriquement. Il insista et nous proposa une réunion chez le ministre, son collègue qui habitait non loin de notre hôtel ; nous nous y rendîmes, protégés par la police militaire et par des officiers belges, en garnison à La Haye. Il y avait encore beaucoup d'émotion, une circulation très agitée, mais plus d'attroupements tumultueux.

Le ministre, en nous abordant, s'excusa de n'avoir pu prévenir et empêcher les actes déplorables dont nous nous plaignions. Je lui répondis : « Nous ne vous accusons pas, nous savons d'où le coup est parti.»

(page 215) ­La conférence fut très orageuse. Je lui déclarai tout d'abord que je ne voulais pas discuter, que j'avais consenti à me rendre à l'invitation pressante du ministre, non pour faire des propositions, mais pour entendre et porter à nos concitoyens les propositions qui nous seraient faites et les garanties qui nous seraient données. « Calmez-vous, dit le ministre, les insultes d'une foule égarée ne peuvent atteindre personne. » - « S'il ne s'agissait que de moi, je serais parfaitement calme et indifférent, mais il s'agit de mon pays, de notre Belgique, Monsieur Lacoste, de sa dignité, de son honneur indignement, lâchement outragés par la police de M. Van Maanen. » - « Oh, vous vous trompez, dit M. Lacoste, le ministre de la Justice n'y est pour rien. » - « L'histoire des stadhou­ders fournit tant d'exemples de pareilles émeutes, qu'on peut, sans beaucoup se tromper, y voir la même chose aujourd'hui. » - « Vous vous trompez, Monsieur Gendebien, je dois protester contre une supposition aussi injurieuse pour le Roi. Calmez-vous, et voyons ce qui peut mettre un terme aux troubles de Bruxelles. »

« La guerre est déclarée, Monsieur le Ministre, la séparation est faite ; il ne s'agit plus que d'en régler les conditions. N'oubliez pas que quatre millions d'hommes, braves et bien déterminés ne subiront pas plus longtemps le joug honteux des deux millions d'enfants gâtés du Nord, présomptueux, pleins de morgue et d'insolence. »

- « Vous allez vite et trop loin, dit le ministre ; il y a du vae victis dans votre langage ; je ne sache pas qu'une bataille ait été gagnée et j'espère qu'on n'en arrivera pas à cette cruelle nécessité.» - « Moi aussi, je fais les mêmes vœux ; mais je déclare avec franchise et loyauté, et j'affirme, que le seul moyen d'éviter la bataille, c'est de prononcer immédiatement la séparation administrative, avec le prince d'Orange comme vice-roi, ou comme lieutenant-général, avec résidence continue à Bruxelles. »

- « Comme Belge, cette idée me sourirait, si elle était réalisable, dit M. Lacoste ; comme ministre, je ne puis la discuter sans prendre les ordres du Roi. »

- « Eh bien parlez-en au Roi, dites-lui que la Belgique entière applaudira, avec enthousiasme, à cette résolution, si elle est immédiatement proclamée ; dites-lui et persuadez-le bien que, dans huit ou dix jours, ce remède, seul efficace aujourd'hui, aura probablement perdu toute chance de succès. »

Mes collègues appuyèrent mes propositions, surtout celle de la séparation administrative. M. Félix de Mérode dit quelques mots contre la propagande calviniste d'autant plus dangereuse pour notre religion, (page 216) dit-il, que le Roi en est le chef dirigeant et Van Maanen son digne coadjuteur. » (Note de bas de page : Les journaux ont faussement attribué à M. Félix de Mérode la phrase suivante ;. « Souvenez-vous Sire, que c'est l'entêtement de Polignac qui a fait perdre à Charles X sa couronne. » M. Félix de Mérode a dit au Roi ce qu'il a répété au ministre de l'Intérieur au sujet de la propagande calviniste. Le Roi l'a interrompu très brusquement, lui disant ; « Vous n'êtes pas Belge ». Puis se retournant de mon côté, il me dit en souriant ; « à nous deux ». Il paraissait heureux d'avoir donné un coup de patte à M. de Mérode. (Note de Gendebien.))

 Le ministre lui répondit :

« Monsieur le comte, je ne puis que vous répéter ce que le Roi vous a dit ; vous n'êtes pas Belge, vous avez mauvaise grâce de vous permettre de critiquer un gouvernement qui n'est pas le vôtre. Je suis tout aussi bon catholique que vous et je suis plus juste et plus tolérant. »

Nous prîmes congé ; le ministre nous engagea à ne pas sortir tous à la fois afin d'éviter de nouveaux désagréments. .    .

La police militaire qui nous protégeait dit à chacun de nous : votre voiture vous attend au Bois (parc de La Haye). Je marchais le dernier avec M. de Sécus. Au moment d'entrer au Bois, un officier nous dit en français : « Etes-vous les derniers ? » Sur notre réponse affirmative, il fit croiser la baïonnette à sa troupe et interdit l'entrée aux curieux ou malveillants qui nous suivaient. Il nous indiqua le lieu où nous trouverions notre voiture, puis, d'une voix bienveillante, visiblement émue, il nous dit : « Bon voyage ; soyez prudents et sur vos gardes. » C'était un officier supérieur belge dont je regrette de ne pas savoir le nom.

Entrés en voiture, notre premier mot fut : « Quelle humiliation ! Obligés de fuir comme des voleurs, des assassins ! Voltaire avait bien raison de dire : « Adieu canaux, canards, canaille, etc., etc... ».

Nous ne suivîmes pas la route ordinaire ; on nous conduisit par des chemins détournés et grand train. Vers minuit, nous arrivâmes à une espèce de carrefour très sombre, en face d'une maison silencieuse et très ombragée.

Le cocher s'arrêta, regarda à droite, à gauche et derrière lui, pendant une minute au moins, puis poussa ses chevaux droit devant lui.

Après avoir marché pendant six minutes sur une digue étroite entre un canal et un fossé en contrebas du canal, il s'arrêta, tourna sur un espace tellement étroit, que les chevaux avaient les pieds de devant dans l'eau, et les roues de derrière devaient immerger dans les eaux du contre fossé.

Nous échappâmes à un danger très sérieux, grâce à la vigueur de (page 217) ­nos chevaux, qui appartenaient aux écuries de la cour, ce que nous apprîmes plus tard.

Revenant sur nos pas, nous arrivâmes ; au même carrefour sombre, que nous dépassâmes d'une centaine de mètres, puis, revenant sur ses pas, le cocher s'arrêta un instant devant la demeure qui nous paraissait sinistre. Il prit un chemin longeant la droite de la maison, puis fila grand train.

Tous nous avons eu la pensée que notre cocher et un homme vigoureux qui l'accompagnait, avaient la mission de nous assassiner ; que la demeure sombre choisie pour le lieu du guet-apens n'avait, sans doute, pas encore reçu leurs complices ; que c'était pour cette raison qu'ils s'étaient lancés sur une digue étroite dans l'intention de nous noyer ; qu'ayant sans doute trouvé des inconvénients à la noyade, ils étaient revenus sur leurs pas pour mieux se conformer aux instructions qu'ils avaient reçues. Après le second temps d'arrêt au carrefour sombre, nous avons pensé qu'ils s'étaient trompés sur le lieu choisi pour le guet-apens, nous nous attendions à arriver, un peu plus tôt, un peu plus tard, au lieu désigné pour l'exécution ordonnée par Van Maanen.

En temps ordinaire, nos suppositions, nos craintes eussent été déraisonnables, ridicules même ; mais les émotions de la journée, les menaces de mort, les précautions prises par l'autorité, les mystères et la honte de notre départ clandestin, tout légitimait les plus graves soupçons, les appréhensions, les interprétations les plus excentriques.

Nous arrivâmes enfin dans un village où deux diligences nous attendaient ; nous traversâmes la route ; à cent mètres plus loin, le cocher tourna court et, revenant sur ses pas, il s'arrêta derrière une des deux diligences dont la portière était ouverte et dans laquelle on nous pressa d'entrer.

Nous arrivâmes à Rotterdam à trois heures et demie du matin. Les soi-disant voyageurs de la première diligence étaient des officiers belges en bourgeois. Ils descendirent les premiers et nous accompagnèrent jusqu'au bateau à vapeur, amarré en face de l'arrivée de la diligence. On nous invita à descendre immédiatement dans la cabine pour éviter de nouvelles insultes.

Aussitôt que notre embarcation eut pris le large, nous fûmes heureux comme des hommes échappés au naufrage, mais le cœur ulcéré de tant d'outrages, de tant d'humiliations subies. Nous respirâmes enfin, comme on respire au sortir d'un cauchemar qui a brisé le corps, énervé l'esprit et la pensée. Nous disions souvent : « Est-ce un rêve, est-ce une réalité qui, depuis trente-six heures s'est déroulée (page 218) ­devant nos yeux ! » Chacun répétait à son tour : « Adieu pour toujours, canaux, canards, canailles... ». Le calme se rétablit peu à peu, mais avec des fréquentes intermittences et recrudescences d'irritations, de colères, d'imprécations, contre Van Maanen, et sa police, contre le pays entier.

Je rédigeai le rapport à faire à nos concitoyens... il était véridique, très circonstancié, quelque peu accentué, en un mot, je pensais qu'il était complet - on le trouva trop complet ; chacun demanda des modifications, de nombreux retranchements. Il ne resta plus guère qu'un squelette.

En revanche, M. Félix de Mérode insista vivement sur la nécessité de mentionner sa réclamation au sujet des souffrances de la religion et de l'envahissement du calvinisme.

M. Palmaert demandait que le rapport fît mention de ce qu'il avait dit en faveur des fabricants de Gand, c'est-à-dire qu'il avait eu l'intention de dire, car le Roi l'avait très brusquement interrompu. MM. Joseph d'Hooghvorst et de Sécus voulaient, disaient-ils, rester dans la stricte légalité ; ils voyaient partout des atteintes à la légalité. Ils proposèrent de faire un rapport verbal.

A M. de Mérode, je fis observer que je ne pouvais mentionner ce qu'il avait dit au Roi, sans mentionner aussi que le Roi lui avait fermé la bouche très cavalièrement, en lui disant : « Vous n'êtes pas Belge, Monsieur le Comte, vous êtes Français ; vous n'avez pas le droit de vous mêler aux affaires belges. » .

A M. Palmaert, je fis observer que le Roi ne lui avait pas donné le temps de dire ce qu'il croyait avoir dit ; qu'il l'avait interrompu brusquement en lui adressant des choses fort désagréables.

Je dis à tous deux que si je passais sous silence les observations du Roi, les journaux hollandais ne manqueraient pas de les publier avec force commentaires très désobligeants pour eux.

A MM. d'Hooghvorst et de Sécus, je dis qu'il n'était pas nécessaire, pour rester dans la légalité, de dire toujours des choses agréables au Roi et de taire toujours la vérité ; que nous avions mission de dire la vérité et que le rapport était très sobre sur ce point. J'ajoutai que j'étais disposé à faire un rapport verbal à la condition que je dirais que j'avais préparé un rapport écrit, et qu'à l'unanimité, il avait été repoussé et remplacé par un rapport verbal.

A la demande de tous mes collègues, je fis un rapport très court, très maigre.

J'en donnerai le texte plus tard.

(page 219) Pendant notre traversée, je fis la connaissance de M. Amesse, officier très distingué.

J'avais remarqué, lors du transbordement de notre voiture dans une des deux diligences dont j'ai parlé plus haut, cet officier en bourgeois qui nous pria d'entrer dans la diligence.

A Rotterdam, j'avais vu le même militaire protéger notre passage dans le bateau à vapeur qui nous attendait.

Désirant le remercier, je l'abordai en disant : « Puis-je, sans vous compromettre, faire avec vous un bout de conversation ? »

- « Sans doute, M. Gendebien », répond-il.

- « Puisque vous me connaissez, vous devez être certain de ma discrétion ; j'ai remarqué que vous preniez soit protection, soit sympathie, intérêt à notre position fort critique ; j'ai désiré vous en remercier très cordialement. » - « Ne sommes-nous pas des compatriotes, dit-il ; puis, ne faut-il pas toujours s'entr'aider ? »

La conversation s'engagea sur les événements de Bruxelles, et sur les antipathies furieuses du Nord contre le Midi ! « C'est une révolution que vous êtes en train de faire en Belgique, me dit-il, c'est une révolution de peuple à peuple ; ce sont ordinairement les plus acharnées et les plus cruelles. Je désire tout naturellement que vous ne soyez pas écrasés ! » « Nous pourrons essuyer quelques échecs d'abord ; mais il est impossible que quatre millions d'hommes ne réussissent pas à en vaincre un nombre de moitié moindre. La Hollande a pour elle une armée organisée qui ne tardera pas à se dissoudre, parce qu'elle est composée de deux éléments aussi antipathiques que les deux peuples qui vont commencer la guerre. Les Belges qui ont gravement à se plaindre des injustes préférences qu'on accorde aux Hollandais, ne tarderont pas à s'apercevoir que leur patrie n'est pas à La Haye mais à Bruxelles. »

Il ne répondit pas, mais je pus me convaincre que ses sympathies étaient pour la Belgique.

 Plus tard, j'eus encore avec lui des relations très agréables. Nous parlions souvent de notre rencontre sur le bateau à vapeur. Je le chargeai de préparer un nouveau code militaire dont je me suis aussi occupé très sérieusement. Nous avions tous deux des idées très libérales et nous serions arrivés à un très heureux résultat, si les perpétuelles tracasseries du premier Ministère du Régent, si la conspiration du mois de mars 1831 n'y avaient fait obstacle. Après ma sortie du ministère de la Justice, plus personne ne s'en occupa.

Arrivés à Anvers, nous fûmes assaillis des nouvelles les plus contradictoires. « Tout est fini, disaient les uns, les princes ont fait leur (page 220) entrée triomphale à Bruxelles ; tout est rentré dans l'ordre. » D'autres disaient : « Les princes veulent entrer de vive force à Bruxelles ; les ­bourgeois s'y opposent, ils se défendront vigoureusement ; on fait partout des barricades ; on doit se battre dans ce moment ; on a entendu plusieurs fois le canon. »

Ayant laissé à La Haye notre voiture et nos bagages, oh ! honte, nous montâmes dans la diligence Van Gend. Très inquiets sur ce qui se passait à Bruxelles, nous pensions de temps en temps entendre les coups de canon dont on nous avait parlé à Anvers.

Arrivés à Malines, nous fûmes rassurés : nous connûmes l'entrée fort modeste du prince d'Orange et l'attitude formidable de toute la population de Bruxelles.

Nous rencontrâmes à Malines la députation de Namur au Roi. M. de Stassart, ancien préfet de La Haye sous l'Empire, en faisait partie. Il savait combien peu il y avait été regretté ; il savait le mauvais accueil que lui feraient le Roi et la population hollandaise.

Il aurait dû comprendre que sa présence dans la députation ne pouvait que nuire à ses collègues et mettre sa personne en danger.

Je lui dis les insultes, les avanies, les dangers auxquels nous avions été exposés. Il n'en tint aucun compte et continua sa route ; à Rotterdam puis à La Haye, il faillit être massacré. C'est par mirac1è, qu'à l'aide d'un déguisement, il réussit à rentrer en Belgique.

Malines était en grand émoi ; on nous accabla de questions. Je répondais à toutes : Il n'y a pas de transaction possible, le Roi n'en veut point ; s'il le voulait, Van Maanen et les exploiteurs s'y opposeraient ; préparez-vous à la résistance, c'est le seul moyen de vous soustraire au joug hollandais qui serait cent fois plus intolérable si vous étiez vaincus ; l'insolence, la morgue, la cupidité hollandaise ne connaîtraient plus de bornes. Après de nombreuses poignées de mains nous remontâmes en voitures.

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