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« Révolution belge de 1828 à
1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)
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Le prince de Saxe-Cobourg. - Les 18
articles. -Votes des républicains sur la question du monarque. - Mon opinion
sur la réunion à la France. - De la révolution à faire, brochure.
(page 259) Pendant ce
temps-là, les doctrinaires du futur juste-milieu belge avaient trouvé
moyen de réaliser leurs idées monarchiques favorites en faisant élire, comme mezzo-termine,
le prince de Saxe-Cobourg, sujet anglais qu'ils francisèrent par son
mariage avec une des filles de Louis-Philippe. Mais ce roi devait plaire aussi
aux trois autres des cinq puissances qui, depuis l'acceptation par le
gouvernement provisoire du second protocole, étaient devenues maîtresses
absolues de la Belgique : or ces trois puissances
voulaient que les provinces rebelles, comme les appelait le roi
d'Angleterre lui-même, fussent le moins indépendantes, le moins riches et
fortes, en un mot le plus nulles possible. Pour obtenir la permission de
régner, il fallait donc que le prince de Saxe-Cobourg agréât la neutralité de
la Belgique, le démembrement (page 260)
de la Belgique, l'imposition sur la Belgique d'une dette ruineuse. Et pour que
les doctrinaires eussent leur roi, il fallait que le gouvernement et le congrès
mutilassent la constitution qu'ils venaient d'achever, de promulguer et à
laquelle ils avaient juré d'être fidèles quand même... Un nouvel
expédient fut trouvé pour, sans violer la lettre de la loi et sans se parjurer
dans les termes, arriver cependant au but désiré, lequel atteint, la loi ne fut
plus qu'un vain papier, la Belgique ne fut plus que ce que les rois, ses
ennemis, avaient permis qu'elle fût, et les pages de la révolution furent
arrachées de son histoire. Il est vrai qu'il y eut un roi, et que ce roi
contenta beaucoup de monde.
Je continuai à crier ces vérités-là aussi haut que je pus, dans les
journaux déjà nommés et dans les numéros suivants (Tribune, 1er juin ; Avenir,
8, 12, 23 et 26 juin) : mais j'avais beau montrer l'abîme creusé par les
protocoles, accuser de trahison la diplomatie belge qui en était l'instrument,
de complicité le gouvernement belge qui les recevait, de lâcheté le congrès
belge qui s'y soumettait : je prêchais dans le désert. Le congrès croyait avoir
satisfait à tous ses devoirs en décrétant que le maintien
de l'intégrité du territoire faisait partie de la constitution de l'Etat ; le
régent, en jurant de nouveau que cette intégrité, (page 261) il la défendrait l'épée à la main ; le comité directeur
(hormis deux membres, dont l'un était mon ami Bartels),
en cessant de défendre contre le congrès qui l'avait violé, le décret du même
congrès sur l'indivisibilité de la Belgique.
Ce congrès venait de se soumettre aux dix-huit articles préliminaires de
l'acceptation du prince de Saxe-Cobourg, par lesquels le territoire belge était
morcelé : après quoi Léopold 1er jura, lui aussi,
de maintenir la constitution et l'intégrité du territoire dont elle avait fait
une loi fondamentale ; et tout fut consommé.
Tant qu'il y eut un rayon d'espoir, je m'unis à la minorité opposante de
la représentation belge (Avenir du 2, 8 et 14 juillet) pour faire
toucher au doigt et à l'œil que l'offre de la Belgique à Saxe-Cobourg avait été
conditionnelle et que, l'élu ne pouvant pas remplir la condition mise à son
acceptation, cette acceptation devenait un refus ; pour inspirer au congrès la
résolution ferme de ne plus élire personne, afin que les Belges terminassent
leurs affaires par eux-mêmes et non par les plénipotentiaires des cinq
puissances, à Bruxelles, non à Londres ; pour faire rougir le gouvernement du
rôle si niaisement perfide auquel il se prêtait en livrant la Belgique à la
discrétion de lord Ponsonby qui menaçait d'éteindre le
nom belge, afin que M. White pût mieux la jouer et la salir ; pour (page 262)
finalement faire appel à la guerre, non contre les Hollandais, opprimés comme
nous, mais contre leur gouvernement qui voulait se réserver les moyens de nous
opprimer de nouveau à la première occasion favorable, et pour nous délivrer à
jamais de la diplomatie et de ses rois quels qu'ils fussent, Nassau ou autres,
présents et futurs. Tout fut inutile : Léopold, je le répète, acheta la
Belgique par un mensonge, et il s'assit sur un trône bâclé à la hâte des débris
de l'Etat sur lequel il venait régner.
J'eus quelque curiosité de voir quels avaient été, sur une question qui
ne les regardait d'ailleurs pas plus que moi, les votes des douze ou treize républicains
qui avaient osé se prononcer au congrès en faveur de cette forme de
gouvernement, si odieuse aux ennemis du bon marché. Je n'aurais moi,
conséquent avec moi-même, voté pour personne, mais j'aurais protesté contre
toute candidature royale possible : eux, ils avaient voté pour le roi
Louis-Érasme, c'est-à-dire pour M. Surlet de Chokier qui, après avoir amusé le congrès au profit du
prince d'Orange d'abord, puis de la France, puis de la combinaison
anglo-française, avait fini par tromper, le mot est dur mais il est
vrai, avait, dis-je, fini par tromper le peuple, en garantissant aux associations
nationales l'intégrité du territoire dont il connaissait fort bien, lui, (page 263) la violation, puisque déjà
les puissances l'avaient arrêtée et signifiée, que le congrès s'y résignerait,
et que l'inauguration parjure de Léopold allait la rendre irrévocable.
Le régent fut gratifié d'une pension de 20,000 fr., du payement de
laquelle on chargea le peuple belge, afin de récompenser royalement
l’escobarderie diplomatique dont le pays était victime....
Je vivais de nouveau de ma vie de prédilection, la vie de famille.
Entouré de ma femme et de mes enfants et attendant ma bonne mère d'un moment à
l'autre, mes jours s'étaient remis à couler doucement entre les soins à donner
à la première éducation de mes fils, et mes travaux historiques et littéraires.
Je repris, à peine avais-je joui d'un peu de calme, mes recherches sur
l'histoire du christianisme, et la rédaction des volumineux matériaux que je
possédais déjà. Je n'abandonnai cependant pas entièrement l'arène politique.
J'insérai deux articles dans l'Avenir (31 juillet et 14 août), le
premier pour déplorer la funeste division qui, dès lors, commençait à éclater
entre les nations française et belge, nations que la même position, les mêmes
intérêts, les mêmes besoins matériels et surtout moraux devaient toujours faire
marcher ensemble et d'un commun accord, quoique, tant que l'une ou l'autre le
voudrait, (page 266) indépendantes
l'une de l'autre, dans la voie de la liberté et de la civilisation. C'était,
comme anciennement, diviser pour régner ; et le Nestor de la diplomatie
européenne, M. de Talleyrand, avait fait de cette antipopulaire maxime une
large application. Je répétai à ce propos, pour répondre aux accusations des
Français d'avoir empêché la réunion, ce que j'avais depuis longtemps répondu
aux accusations des Belges de l'avoir voulue : je dis que
je ne m'y étais pas plus opposé que je n'aurais pu la réaliser, puisque le
peuple belge la repoussait de tous ses moyens et de tous ses vœux. Et j'ajoutai
que moi-même, bien que le peuple belge l'eût voulue, je l'aurais jugée aussi
nuisible aux intérêts de la France de juillet qu'à la Belgique de septembre :
car si celle-ci n'avait qu'à perdre en troquant sa véritable liberté contre la
charte replâtrée de 1830, celle-là devait, avant tout, rassurer les peuples
d'Europe sur les craintes que leurs gouvernements cherchaient à leur inspirer ;
savoir, que la propagande révolutionnaire n'était rien autre chose pour la France
qu'un moyen indirect de relever par des conquêtes sa domination impériale, en
substituant aux différents despotismes domestiques le despotisme central et
unique de la grande nation. Je démontrai l'absurdité des projets
belliqueux des libéraux français qui, à peine avaient-ils (page 265) fait triompher chez eux le droit sur la force,
invoquaient au dehors la force seule contre le droit, et disposaient des Belges
comme de leur bien, uniquement parce qu'il n'y avait que trois millions et demi
de Belges à réclamer ce droit contre la puissance de trente-cinq millions de
Français ; et je signalai les aveux si naïfs du ministère français qui,
reconnaissant la justice de cet étrange droit des gens au moyen duquel
on adjuge la propriété du faible au fort, avait seulement déclaré prudent d'en
ajourner l'exercice, en laissant la Belgique se consumer dans un provisoire
ruineux, jusqu'à ce que la France eût été à même de ne plus courir aucun risque
en la soumettant à ses armes victorieuses. J'expliquai de cette manière l'élection
de Léopold, les Belges ayant préféré une ombre d'indépendance sous un vice-roi
envoyé de Londres, au régime bureaucratique des neuf préfets qu'on leur eût
expédiés de Paris.
En outre, un patriote gantois m'ayant écrit pour, au nom de ses amis politiques,
me rappeler au pays, je lui dis nettement pourquoi j'avais quitté la Belgique,
pourquoi j'en demeurais éloigné, et dans quelles circonstances seulement j'y
retournerais.
Dans cette année 1831, je publiai à Paris une brochure, intitulée : De
la révolution à faire, d'après l'expérience des révolutions avortées. Mon
dessein était (page 266) de prouver
que toute réforme violente doit avoir pour but et pour résultat l'amélioration
de la condition du peuple. Je crois aujourd'hui que je me trompais en partie
sur les moyens, puisque je me bornais à demander la réforme de l'assiette de
l'impôt. Mais la protestation que j'émettais contre le tripotage des
exploiteurs de révolutions n'en était pas moins consciencieuse et bonne. Ma
brochure fut traduite en italien.