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« Révolution belge de 1828 à
1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)
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M. C** R**. - Candidatures royales. -
Mon opinion sur la marche des choses. - Loi de tendance. - Hostilité du
gouvernement contre moi. - La police. - Emeute gouvernementale au profit du
gouvernement. - Lord Ponsonby.
(page 225) J'ai dit plus haut
que je fus en butte aux attaques des journaux ; le plus souvent elles étaient
dures et même insolentes : je n'en étais aucunement ému. Voici ce qui m'arriva
à l'occasion de l'une d'elles. J'avais rencontré dans la matinée M. G** R**,
peu après qu'il s'était signalé au congrès par une proposition qui fit
sensation dans le temps ; je l'avais, dis-je, rencontré non loin du ministère
de l'intérieur où j'allais causer avec M. Tielemans.
Je ne sais si, me voyant reçu par un aussi haut
fonctionnaire, il s'imagina tout à coup que j'étais encore susceptible de
remonter sur quelque chose : toujours est-il qu'il m'accosta, me dit des
choses très flatteuses sur mes antécédents politiques et ma démission qui,
ajouta-t-il, avait affligé tous les amis de la patrie, me parla de ses idées
pour (page 226) la consolidation de
la liberté et l'organisation de la prospérité de la Belgique, et il sollicita
la permission d'aller chez moi me développer ses vues et demander, ce furent
ses paroles, et demander mes conseils. Je répondis avec politesse, mais en
cherchant à esquiver une entrevue qui, en définitive, ne pouvait mener à rien ;
et nous nous séparâmes avec toutes les apparences de l'estime et même d'une
affection réciproque.
De retour chez moi, je trouvai un billet du rédacteur en chef de l’Émancipation,
qui m'adressait un article manuscrit contre moi, et dont il croyait,
m'écrivait-il, devoir refuser l'insertion à cause des accusations toutes
gratuites qu'il contenait et des termes plus qu'inconvenants dans lesquels il
était conçu. Je m'empressai de remercier le rédacteur et de lui renvoyer
l'article, en le priant de le publier sans craindre de me causer la moindre
peine : les calomnies, disais-je, ne m'offensent point, les injures n'arrivent
pas jusqu'à moi. Le lendemain, j'allai au bureau de l'Émancipation ; on m'y remontra l'article en question, arrangé en article
communiqué et beaucoup modifié quant aux expressions, avec une note du
rédacteur qui avertissait ses abonnés des changements qu'il s'était cru obligé
de faire au manuscrit de l'auteur, pour qu'il fût susceptible de paraître dans
une feuille qui avait toujours tenu compte (page 227) de la décence publique et des égards que les hommes se
doivent entre eux, de quelque opinion d'ailleurs qu'ils soient et à quelque
parti qu'ils appartiennent. Je ne sais si l'article ainsi amendé parut
ou non. J'avais fait mon devoir en témoignant au rédacteur de la feuille ma
reconnaissance pour la délicatesse de son procédé. Sans que j'eusse montré la
plus petite curiosité à cet égard, j'appris dans la conversation qui était
l'auteur de l'article en question, et, je l'avoue, j'eus la simplicité de me
laisser aller, en l'entendant nommer, à un léger mouvement de surprise :
c'était M. G** B.**.
J'assistai vraiment à un étrange spectacle pendant les derniers mois que
je demeurai à Bruxelles. Les candidatures royales démonétisaient de plus en
plus la royauté qu'on voulait cependant rétablir et probablement, faut-il
croire, faire respecter et rendre durable. A je ne sais combien de noms obscurs
ou ridicules de petits princes en disponibilité, se mêlaient, comme pour les couler définitivement el
sans espoir, les noms tantôt de M. de Mérode, tantôt de M. Rogier ! Vers la
mi-janvier 1831, le petit Othon de Bavière, qui, depuis, s'est fait sur le
trône de Grèce une si triste réputation de nullité monstrueuse, parut avoir des
chances : elles consistaient, entre autres, en ce que ceux qui s'excluaient
mutuellement ne l'excluaient pas directement, lui Othon, et que (page 228) la France, par exemple, qui avait voté en premier lieu pour elle et subsidiairement
pour le principicule bavarois, se trouvait avoir en effet choisi ce dernier,
pour lequel l'Angleterre s'était déclarée également, bien entendu après la
préférence qu'elle s'était donnée avant tout à elle-même. Et le Constitutionnel
de Paris, l'organe en France du gouvernement provisoire belge, nous annonça
cette nouvelle combinaison, en ajoutant que ce seraient MM. de Mérode, Rogier
et Gendebien qui gouverneraient la Belgique pendant la minorité d'Othon. En
vérité, c'était à faire désespérer à tout jamais des révolutions, quelque
héroïques qu'elles pussent être.
Je m'attachai à faire ressortir tout ce qu'avait de risible par lui-même
et tout à la fois de déplorable pour la Belgique, ce misérable tripotage, si
impudemment substitué à une révolution aussi noble dans ses résultats immédiats
que pure dans son principe générateur.
Le journal le Belge m'ouvrait encore ses colonnes : ce fut là
que, par quelques mots bien incisifs et portant coup, je relevai chaque jour la
pauvreté de nos importants du moment, qui se croyaient des personnages parce qu'ils
en avaient pris les titres, la tournure et la défroque ; et je démontrai à la
dernière évidence que, à mesure que nos prétendus hommes d'Etat se faisaient
plus grands (page 229) et plus
brillants, les puissances réussissaient à rendre, dans la même proportion, la
Belgique plus faible et plus caduque. Bientôt l'occasion se présenta, et
je la saisis avidement, de signaler les hommes qui avaient attaqué avec tant
d'éloquence et de succès le despotisme de la royauté
hollandaise, comme M. Van Meenen, alors simple
avocat, et ceux qui avaient le plus largement profité de la chute de ce
despotisme, comme M. Rogier, alors journaliste : devenus, l'un membre du
souverain provisoire et aspirant à la souveraineté définitive, l'autre son
procureur général, ils s'efforcèrent d'un commun accord de relever la
tyrannique législation de tendance contre les propos, les vœux et même les opinions de l'opposition, et en faveur de la stabilité du
pouvoir exécutif à terme, et du congrès qui, la constitution déterminée, aurait
aussi achevé sa mission et fait son temps. Les noms seuls avaient changé : à
Guillaume et à ses ministres avaient succédé M. Rogier, ses collègues et les
représentants des provinces ; à MM. Van Maanen, de Stoop, Schuermans et Spruyt, M. Van Meenen, mon défenseur
de 1828 et 1830.
Chaque jour les nuages gros de la foudre s'amoncelaient de plus en plus
autour de moi. La loi des suspects dont je viens de parler, n'avait été
invoquée que contre moi et contre les brouillons et les buveurs (page
230) de sang qui osaient encore m'avouer. Quiconque voulait
conserver d'anciens droits aux bonnes grâces du gouvernement ou en acquérir de
nouveaux, devait, avant toutes choses, fournir un certificat de n'être point en
relation avec moi, de ne pas être connu de moi et de ne pas me connaître. C'est
ainsi qu'un M. Boulenger, major commandant d'un bataillon de volontaires
mobiles, me somma (20 décembre) de lui fournir le certificat
en question, pour qu'il pût échapper aux accusations fausses d'un M. Fonson, son colonel. En lui répondant catégoriquement, je
sommai de mon côté par la voie des journaux tous ceux que l'on faisait tramer
avec moi, de réclamer publiquement contre ces dégoûtantes vexations d'un
gouvernement ombrageux, qui, quoiqu'elles ne me nuisissent en rien, m'affligeaient
cependant pour le mal qu'elles fournissaient le prétexte de faire aux autres.
Celui qui s'agitait le plus efficacement pour plaire au gouvernement
provisoire en me faisant tomber dans quelque guet-apens, ou, si je ne donnais
pas dans le panneau provocateur, en me poursuivant comme si j'y étais
réellement tombé, était mon hôte de septembre, M. Plaisant, l'administrateur
général de la sûreté publique. Un singulier hasard fut sur le point de lui
fournir au moins les apparences d'une (page
231) conspiration qu'il appelait de tous ses vœux, afin de fonder l'édifice
de sa fortune future sur la perte consommée de la mienne. Voici de quoi il
s'agissait.
Le gouvernement provisoire était usé jusqu'à la corde ; il l'était de
notoriété publique, de l'aveu de tout le monde, et même de son propre aveu. Il
ne pouvait plus vivre, et cependant il répugnait à mourir. Ne pouvait-il pas se
succéder à lui-même ? Il résolut de le tenter. Le colonel comte Van der Meere, alors ministre effectif de la guerre sous le modeste
titre de chef du personnel à ce département, se chargea pour lui d'organiser
l'émeute gouvernementale dont le but était la création
d'un nouveau pouvoir exercé par les hommes du pouvoir agonisant. Les mesures
qu'il prit pour bouleverser le gouvernement par son ordre même et dans son
intérêt, transpirèrent dans le public, au point que M. Levae,
croyant qu'il était question d'un mouvement révolutionnaire pour tout de
bon, essaya de le mettre à profit pour relever la cause populaire et faire
triompher mes opinions et mes vues de réforme.
Qu'était-ce que M. Levae ? un digne garçon qui
m'avait témoigné une amitié vraie et rendu de grands services pendant mon
emprisonnement. Je l'avais connu lors de son incarcération, je ne me souviens
plus pour quel motif, aux Petits-Carmes, plusieurs (page 232) années avant la révolution ; et depuis lors il m'était
demeuré fort attaché. Après ma démission, il continua à me voir assidûment, et
montra au moins autant de zèle que moi pour dévoiler les intrigues des
escamoteurs de révolutions, qui étaient en bon train de faire sortir du
provisoire dont le peuple ne voulait plus un définitif quelconque à leur
convenance et à leur profit. M. Levae alla trouver M.
Van der Meere la nuit même où celui-ci tenait un
conventicule avec les membres du gouvernement à retourner. Là, voulant
vraisemblablement se donner quelque importance, il proposa au conspirateur
légal avec lequel il se croyait seul, d'unir ses moyens à ceux dont, dit-il, nous
disposions pour obtenir le même résultat. Et il développa le plan d'une
conspiration républicaine, à la tête de laquelle il me plaça, quoique je n'en
aie entendu parler que plusieurs années après pour la première fois. M. le
comte Van der Meere consentit à me recevoir chez lui.
Mais, je ne sais si sur mes observations ou sur les réflexions de M. Levae, je refusai, moi, toute entrevue qui n'aurait pas eu
lieu en maison tierce. La maison de M. Levae lui-même
fut proposée alors et acceptée des deux parts. Cette fois ce fut M. Van der Meere qui se retira. Peu après, un frère à M. Plaisant se
vanta de connaître mes menées séditieuses que, dit-il, j'avais été dans
le cas de devoir (page 233) exposer
ou que j'avais exposées en effet au chef du personnel de la guerre devant
l'administrateur de la sûreté publique, caché dans une armoire. Cette aventure,
que je n'ai pu comprendre que lorsque j'en ai connu tous les détails, a laissé
longtemps dans mon esprit une pénible incertitude. Au reste, M. Plaisant
persévéra dans son système de vaines vanteries qui ne furent pas sans opérer
quelque effet sur la masse des simples : et c'était déjà beaucoup pour le
pouvoir existant : c'était tout pour son agent instigateur. Plus celui-ci
réussissait à accréditer le bruit qu'il tenait enfin le fil de la conspiration
dont j'étais le chef, plus le comité central lui accordait de confiance, au
point qu'il fut sérieusement question de créer dans chaque chef-lieu de
province une sous-direction policière, chargée de correspondre avec le grand
policier du futur royaume.
Ce vaste réseau d'inquisition et de délation n'était tendu que contre les
anarchistes, c'est-à-dire contre ceux qui, après avoir souffert les maux
inséparables d'une révolution, voulaient empêcher le gouvernement et le congrès
de leur en soutirer les bénéfices. Pour ne pas inspirer au peuple le désir d'y
voir plus clair en regardant les choses de plus près, on vociférait bien aussi
de temps en temps en chœur avec lui contre les orangistes ; mais les mesures
que la (page 234) police prenait
pour les réprimer n'avaient rien de sérieux : c'était au point que M. Plaisant,
instruit des relations continuelles de lord Ponsonby,
alors à Bruxelles, avec le prince d'Orange dont il était l'agent et qu'il
voulait paraître servir activement, ne se mit aucunement en peine de pénétrer
le secret de cette singulière intrigue. Peut-être avait-il des instructions
supérieures à ce sujet : car M. Van de Weyer, par ses fonctions de chef du
comité diplomatique, avait eu habituellement à traiter avec le même lord Ponsonby, et lors de sa mission à Londres il eut de
fréquentes conférences avec le prince d'Orange. Lord Ponsonby,
trois mois après, était à la tête d'une véritable conspiration orangiste, dans
laquelle il avait entraîné les sommités gouvernementales et sociales de la
Belgique, et qu'il fit avorter lui-même parce qu'il trouva plus avantageux à
ses commettants de faire trôner le prince de Saxe-Cobourg. M. le général
Vandersmissen fut la seule victime de cette rouerie de courtisan. Quant aux
meneurs du complot contre-révolutionnaire, après avoir sacrifié leur complice,
ils se firent les valets-maîtres du roi de la révolution, dont ils se
distribuèrent les faveurs et se partagèrent le pouvoir.