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« Révolution belge de 1828 à 1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)

 

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CHAPITRE XXIV

 

Je repousse la candidature au congrès national. - Reproches qui me sont faits. - Je propose la république.

 

(page 187) Le congrès allait bientôt s'ouvrir. Mes collègues s'étaient mis ouvertement sur les rangs pour en être élus membres, et en demandant les suffrages de leurs concitoyens, ils avaient affiché tout juste ce qu'il fallait d'opinions populaires pour parvenir à leurs fins. Je pris le parti opposé. Je croyais de mon devoir de demeurer au gouvernement provisoire jusqu'à la création du pouvoir définitif : et chargé par le peuple d'exécuter sa volonté, je ne croyais pas qu'il me fût permis d'aspirer à siéger parmi ceux qui allaient formuler cette même volonté nationale. Je pense encore de même aujourd'hui. Et comme je ne balance jamais sur un devoir à remplir, je déclinai franchement la candidature. C'était peut-être une faute de tactique : du moins on me l'a reprochée comme telle, et comme une faute grave. Je ne m'en (page 188) défends point : j'accepte le reproche comme mérité. Mais j'ajoute que, si c'était à recommencer, j'agirais de même absolument.

Le blâme que m'attira mon refus d'être à la fois le législateur de ma nation ou l'interprète de sa volonté, et son agent responsable ou l'exécuteur de cette même volonté, c'est-à-dire d'exécuter ma propre volonté, imposée au peuple au nom du peuple même, me mène naturellement à particulariser une autre accusation intentée à ma courte carrière politique. On m'a taxé de faiblesse pour n'avoir pas (ce sont les expressions) mis sous clef pour une semaine MM. de Mérode, Van de Weyer et Rogier. Je l'avoue, je ne crois pas la brutalité un moyen de succès ; je pense que, s'il n'avait réellement manqué au triomphe de mes idées que huit jours de prison pour mes collègues, elles auraient bien triomphé seules, et sans cet acte de violence, dès lors inutile : le fait est que les bourgeois ne voulaient pas de la réalisation de ces idées, et que le peuple y était fort indifférent ; ce que l'incarcération de MM. Van de Weyer, Rogier et de Mérode n'aurait changé en rien.

En outre, comme je l'ai déjà dit, je n'eus pas à me plaindre de MM. Rogier et Van de Weyer, si ce n'est après le retour de M. Gendebien, auquel ils adhérèrent aussitôt qu'il se fut déclaré contre moi. (page 189) Il aurait donc fallu aussi, et même avant tout, mettre sous clef M. Gendebien. Examinons en peu de mots quelles auraient été les suites de ce coup d'état révolutionnaire.

Afin qu'il réussit, il eût fallu que je montasse à cheval pour dicter ma volonté le sabre au poing. Ce n'était pas là ma mission. Je suis de beaucoup au-dessous et, je n'hésite pas à le dire, au-dessus d'un pareil rôle. Je n'avais point et ne voulais point avoir de pouvoir réel. Toute ma force était dans ma popularité. Mes collègues n'étaient pas, beaucoup s'en faut, aussi populaires que moi ; mais ils n'étaient pas impopulaires non plus. Ils jouissaient d'une bonne réputation comme hommes privés, et, à moins d'être dans le secret des affaires, on ne pouvait leur reprocher aucun acte public dont le peuple eût lieu de se plaindre. Il m'était impossible de les mettre sous clef avant qu'ils eussent publiquement fait preuve de mauvais vouloir ; c'est en vain que je les y eusse mis après. Qu'est-ce que ce peuple eût dit de moi si, sous prétexte du mal qu'il était possible qu'ils fissent ou du bien qu'ils pourraient empêcher, je les eusse éloignés du pouvoir et privés de la liberté ? N'aurais-je pas été accusé d'ingratitude envers d'anciens amis, d'ambition, d'injustice, de violence, de despotisme ? Et sous ces accusations, capitales pour ma popularité, (page 190) n'aurais-je pas bientôt succombé avec elle au tribunal de l'opinion de mes concitoyens ?... Je reprends ma profession de foi politique.

Après avoir dit pourquoi je refusais de siéger au congrès, j'ajoutais que je ne voulais pas être privé pour cela, tout seul, de l'avantage de me prononcer, au moins une fois, sur les questions vitales pour l'indépendance future de ma patrie. Je déclarai donc que je repousserais, comme citoyen et comme fonctionnaire public, aussi longtemps que le peuple m'honorerait de sa confiance, non seulement les Nassau, mais encore tout étranger, prince ou non, que l'on voudrait placer à la tête de l'Etat. Les Belges doivent rester Belges ; simples, laborieux, économes, ni trop riches ni trop pauvres, le régime républicain, sous n'importe quelle dénomination, me paraît le gouvernement fait pour eux. La révolution est l'œuvre du peuple ; il faut qu'elle profite au peuple : cela ne se pourra que lorsqu'un gouvernement à très bon marché permettra de réaliser des économies qui dégrèveront le peuple. Or la royauté, ou l'hérédité, ou l'intérêt dynastique, mènent presque nécessairement au luxe, au gaspillage, à l'exploitation. Et que l'on ne craigne pas les rois d'Europe : ils ont accepté le renvoi du roi de Hollande et la séparation de la Hollande et de la Belgique, qu'ils (page 191) ne voulaient pas ; ils accepteront, en rechignant si l'on veut, mais ils accepteront la république si nous la fondons. Peuple, déclarez votre juste volonté avec calme et fermeté, elle est toujours la loi suprême : sous les rois, elle fait les révolutions ; sous la république, elle les empêche à jamais (31 octobre).

Cette publication acheva de me perdre : le mot république m'aliéna le peuple qui ne me comprenait point, et que d'ailleurs on égarait ; le gouvernement à bon marché me fit des ennemis mortels de tous ceux, et le nombre était grand, qui prétendaient aux fonctions de sangsues publiques et qui voulaient par conséquent, j'ai leur aveu, être payés cher.

Au reste, cette république, condamnée par l'intérêt personnel des égoïstes, semblait ne l'être que par l'intérêt que les hommes prudents prenaient à la patrie. Elle aurait, criaient-ils de toute la vigueur de leurs poumons, elle aurait armé l'Europe entière contre nous ! Par l'Europe, ils n'entendaient probablement pas la France qui ne serait pas allée renverser à ses portes la révolution qu'elle maintenait chez elle ; ni les puissances du Nord qui ne demandaient que la paix, de peur que la guerre ne fît éclater dans leurs Etats mêmes le principe de liberté qu'ils auraient combattu ailleurs ; ni l'Angleterre dont je ne cessais de recevoir les lettres les plus positives, (page 192) promettant le refus de l'impôt au cas que le gouvernement fit seulement mine de nous gêner dans l'organisation de notre liberté et de sa forme purement démocratique. La république n'avait réellement d'ennemis à craindre que ceux du dedans, qui la calomniaient et la repoussaient parce qu'ils la redoutaient eux-mêmes, et qui la redoutaient comme incompatible avec leurs projets de vanité, d'ambition et de fortune.

Or ces ennemis étaient tout puissants au milieu d'un peuple qui n'avait ni les lumières ni la force de volonté indispensables pour les réduire au silence et les ranger au devoir. Je le reconnais aujourd'hui, la république, mais pour ces motifs uniquement, était impossible.

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