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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 11 août 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1909) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Lambusart demande que la compagnie du Luxembourg soit tenue de construire le chemin de fer de Louvain à la Sambre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


« Les membres de la société commerciale et industrielle de Nivelles présentent des observations en faveur de l'exécution du chemin de fer de Manage à Louvain, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Moen présentent des observations contre l'exécution d'un canal de Bossut à Courtray et proposent l'établissement d'un chemin de fer de Courtray à Bossut. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants, commerçanls et industriels de Dinant et des environs présentent des observations sur la proposition d'établir, à partir de Ciney, l'embranchement qui doit relier Dinant au chemin de fer du Luxembourg, et demandent que ce chemin soit prolongé jusqu'à Dinant en suivant la rive droite de la Meuse, à partir du point où.la voie principale doit quitter le fleuve. »

« Les conseils communaux d'Hastière, Sorinnes, Falaën, Anhaye, Falmagne, Bouvignes, Gerin, Thynes, Foy-Notre-Dame, Mesnil-Saint-Blaise, Pondrome, Yvoir, Beauraing et Waulsort déclarent adhérer à celle demande.

M. de Baillet-Latour. - Je demande que ces pétitions soient déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et qu'elles soient ensuite renvoyées à M. le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Le bourgmestre de la commune de Waha demande que le chemin de fer du Luxembourg traverse le territoire de Marche.

« Même demande des membres des conseils communaux de Harsin, Durbuy, Borlon, Tohogne, Bende et Grand'Han. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics.


« Les membres du conseil communal de Flobecq demandent l'exécution d'un chemin de fer de jonction directe entre les provinces wallonnes et les Flandres avec ses deux embranchemenls, dont la concession a été demandée. »

M. Jouret. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et qu'elle soit ensuite renvoyée à M. le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de Marche demandent que le chemin de fer du Luxembourg traverse Marche et passe par Saint-Hubert et Neufchâteau. »

-Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics.


« Les membres du conseil communal de Rumpst demandent que l'embranchement du chemin de fer de Lierre se raccorde au chemin de fer de l'Etat à Duffel. »

« Même demande du conseil communal de Duffel. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants d'Iseghem demandent l'exécution des travaux d'approfondissement du canal d'Ostende à Gand proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants d'Ouckene demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise pour l'écoulement des eaux de la Lys. »

- Sur la proposition de M. Peers, même décision.


« Les administrations communales de Roulers, Iseghem, Rumbeke, Ingelmunster, Emelghem et Cachtem prient la chambre de voter les fonds nécessaires pour l'exécution des travaux destinés à prévenir les inondations de la Mandel. »

M. Rodenbach. - Messieurs, la pétition dont on vient de faire l'analyse, a été envoyée à la chambre par les administrations communales de Roulers, Iseghem, Rumbeke, lngelmunster, Emelghem et Cachtem.

Ces autorités signalent que, dans un laps de dix-huit mois, deux inondations ont en partie ruiné plusieurs cultivateurs et industriels riverains de la petite rivière la Mandel ; ils signalent qu'au paupérisme qui règne dans cette contrée vient se joindre le fléau de l'inondation. Bref, les bourgmestres et échevins de ces diverses communes sollicitent la chambre pour que, dans l'intérêt de l'agriculture et de la salubrité publique, le gouvernement intervienne par des subsides dans ce travail.

Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée des travaux publics, avec prière d'un prompt rapport.

M. Delfosse. - Il n'y a pas d'inconvénient. Il a été décidé que toutes les pétitions concernant des travaux nouveaux seraient renvoyées à la section centrale.

- La proposition de M. Rodenbach est adoptée.


« Plusieurs marchands brasseurs des communes du Borinage prient la chambre d'adopter la loi relative à l'abolition de quelques taxes communales. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


Par dépêche du 11 août, M. le minisîre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires du tome IX du Bulletin de la commission centrale de statistique.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. le président. - Plusieurs amendements ont été déposés sur le bureau.

L'un, de MM. de Mérode-Westerloo et Coomans, est ainsi conçu :

« Art. 7 du projet de la section centrale, diviser le n°13 comme suit :

« 13° Subsides aux provinces et aux communes pour l'amélioration de la Senne et de l’Yser, 300,000 fr.

« 14° Subsides à la province d'Anvers et aux communes riveraines pour l'amélioration des deux Nèthes non reprises par l'Etat, 300,000 fr. »

Le second est de MM. Landeloos et de La Coste. Il est ainsi conçu :

« Nous avons l'honneur de proposer l'amendement suivant à l'article 7, n°3° du projet de la section centrale.

« 3° Construction de canaux ayant pour objet :

« a De mettre les villes de Hasselt et Diest et le Demer en communication avec la ligne de jonction de la Meuse à l'Escaut ; et

« b. le canal de Louvain à Wichmael et le Demer à Werchter, 3,400,000 fr.

« Le gouvernement proposera à l'approbation des chambres, dans la session de 1851-1852, les plans et devis des travaux à exécuter. »

Un troisième amendement, déposé par M. Jacques, est ainsi conçu ;

« La convention définitive avec la compagnie du Luxembourg comprendra, à la fin de l'article 5, le paragraphe additionnel dont la teneur suit :

« La ligne de Namur à Arlon pourra être dirigée par Marche, au lieu de Rochefort ; et l'embranchement vers l'Ourthe pourra, de Marche à Deulin, être remplacé par un canal. Ces modifications n'auront lieu qu'autant qu'il en résulte une économie notable dans les frais de construction. »

Ces amendements seront imprimés et distribués.

M. Manilius. - Messieurs, je commencerai par demander si la discussion est ouverte sur le projet du gouvernement ou bien sur le projet de la section centrale.

M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet du gouvernement, attendu que M. le ministre a déclaré qu'il s'expliquera sur les amendements de la section centrale pendant la discussion des articles.

M. Manilius. - Messieurs, je ne m'oppose pas formellement au projet du gouvernement, comme je ne l'accepte pas formellement ; d'un autre côté M. le président nous ayant prévenus qu'on ne peut parler sur le projet qu'en déposant un amemdement, je satisferai à cette exigence du règlement si la chambre l'exige ; mais je dois le dire, ma position est telle que je n'ai pu me faire inscrire pour ni me faire inscrire contre et que je n'ai pas un besoin extrême de présenter un amendement.

La raison en est simple, elle est tellement simple que je ne fais que suivre l'exemple du gouvernement : le gouvernement a dit qu'il s'expliquera plus tard, qu'il se décidera plus tard dans tel ou dans tel sens ; eh bien, moi, je discute la loi et je me réserve de voter plus tard dans tel ou dans tel sens.

En général, messieurs, j'ai toujours prouvé que j'étais très favorable aux travaux publics, qu'ils soient exécutés par les deniers de l'Etat ou par l'intervention des sociétés. J'estime que le pays ne peut pas avoir trop de communications, qu'il ne peut trop améliorer ses voies de navigation et ses voies de communication par terre.

(page 1910) Ainsi, messieurs, le grand nombre de projets de lois réunis en un seul devraient, d'après ces précédents, avoir mon assentiment, et je crois que, réellement, il en sera ainsi. Mais, messieurs, quoique je ne m'oppose pas en général aux travaux publics, j'aime encore à les voter avec connaissance de cause. Ainsi le plus grand de nos travaux, la dérivation de la Meuse, a été étudié et très bien étudié, nous sommes tous à même d'émettre un vote avec connaissance de cause. Un ingénieur très distingué, M. Kummer, a fait un travail que le gouvernement a embrassé des deux mains, travail qui paraît être parfait, mais qui s'est trouvé contredit par d'autres ingénieurs, par feu M. Guillery, et par M. de Sermoise, ingénieur en chef de la Flandre occidentale ; et nonobstant, le gouvernement a eu le courage de se décider au milieu des divergences d'opinions de ces trois ingénieurs. J'en félicite le gouvernement ; ce que l'on doit faire, c'est de prendre enfin une résolution à travers les opinions des ingénieurs, des architectes ou des hommes de l'art.

J'ai été souvent dans le cas de construire moi-même ; j'ai eu souvent recours aux ingénieurs, aux architectes, et j'ai toujours été obligé de trancher la question moi-même ; jamais un ingénieur n'a pu parvenir à la trancher par lui-même.

Je le répète, j'applaudis à ce que le gouvernement a pris enfin une résolution ; mais une résolution pouvait être prise pour d'autres travaux. Vous comprenez déjà que, parallèlement à la déviation de la Meuse, nous avons la déviation de la Lys, sur laquelle le gouvernement paraît n'avoir pas pu prendre encore de résolution.

Cependant la déviation de la Lys est étudiée depuis longtemps. L'ingénieur de la Flandre orientale a fait un rapport qui, jusqu'à présent, n'a été contrarié par personne.

Ce travail avait été provoqué par le gouvernement ; il a été discuté en quelque sorte par la chambre en 1844 et en 1845 ; il a obtenu le succès d'un vote d'adhésion. Je ne comprends pas qu'aujourd'hui le gouvernement n'ait pas encore pris une résolution sur ce travail, surtout que d'après le rapport de la section centrale, M. le ministre paraît avoir répondu dans cette section qu'il reconnaissait l'impérieuse nécessité de se décider sur ce point ; d'après ce qui se trouve dans le rapport de la section centrale, il dit, répondant à un membre de la section centrale :

« Les causes des inondations sont bien connues ; il y en a deux : les ouvrages exécutés en France, la rapidité plus grande avec laquelle les eaux de la Lys arrivent à Gand. Il a fallu, en premier lieu, débarrasser le bassin de Gand du trop plein des eaux de la Lys, pour être en mesure d'y recevoir les eaux de l'Escaut ; en suivant une marche différente dans l'ordre des travaux, on n'eût fait autre chose que déplacer les inondations. »

Ce remède, en quoi consistait-il ? Il consistait dans le travail fait par M. l'ingénieur en chef Wolters. Eh bien, quel est le motif qui arrête l'exécution de ce travail ? C'est une observation présentée par un autre ingénieur qui, profitant en quelque sorte de sa nouvelle venue à Bruges, vient émettre des idées neuves, veut canaliser, et arrêter ainsi l'exécution d'un travail qui, de son propre aveu, est d'une nature telle « qu'il n'y a pas de doute quant à l'efficacité. »

Pourquoi dès lors tarder à l'exécuter, alors que ce travail ne sera que la continuation de la première section qui a été votée ? Le canal de Schipdonck est voté depuis six ans, pourquoi ne pas mettre la main à l'œuvre pour le travail dont il s'agit ? On est porté à soupçonner qu'on cherche de nouveaux délais.

Cela est-il raisonnable, à côté d'une quantité de travaux immenses sur lesquels on n'a pas les études aussi complètes qu'on a sur celui-là, de prendre une décision définitive, sans retour ? On soumet à la chambre non seulement le libellé d'une somme, mais la forme d'exécution des travaux. Enfin le canal de la Campine n'a pas été étudié sur Anvers, c'est une idée à laquelle je ne m'oppose pas, d'ailleurs, c'était un canal non pour sauver la Campine des inondations, mais pour rendre fertiles des terres stériles.

Quand on a proposé de voter une somme pour ce canal, nous étions dans la même position qu'aujourd'hui. M. de Theux nous disait ouvertement : Il nous faut le canal de la Campine avant le canal de Zelzaete. Nous, députés d'une province dont les besoins sont absolus, urgents, nous ne pouvons pas supporter une pareille position. Quoi ! chaque fois qu'on reconnaît qu'un travail est utile, nécessaire, obligatoire, on nous dira : Vous l'aurez, à condition que vous voterez d'autres travaux !

Une position pareille n'est pas tolérable, encore moins quand on vient dire : Vous aurez vos travaux d'une façon ou d'une autre, c'est-à-dire qu'il reste dans le doute. Car si vous employez les 3 millions 500 mille francs à faire des canaux de navigation, vous détruisez le grand plan qui avait été conçu dans le désir de remédier aux inondations, par conséquent, d'avoir des canaux d'écoulement et non de navigation, car les canaux de navigation sont des obstacles à l'écoulement des eaux. Les canaux d'écoulement sont les seuls qui puissent faire cesser les inondations dont nous nous plaignons.

Le million et demi que vous demandez pour l'Escaut et que M. de Royer propose de porter à deux millions, croyez-vous que vous puissiez l'employer utilement si le canal d'écoulement que Gand réclame n'est pas achevé ? Si cela est, pourquoi vous arrêter pour la province de la Flandre orientale devant une objection d'un ingénieur que vous avez dédaignée dans la province de Liége ? S'agit-il d'éviter les inondations à Bruges ? Non, mais à Gand. Alors pourquoi faire des travaux dans l'intérêt de Bruges.

Si la discussion avait lieu aussi bien en mars ou en avril qu'au mois d'août, nous n'aurions pas de mal de faire promptement voter notre canal d'écoulement ; quand tout est inondé, on reconnaît l'étendue du mal, on est ému et on s'empresse de voter le remède. M. le ministre doit s'en souvenir, il y a trois ou quatre mois nous étions encore en pleine inondation. Alors aurait-on osé tenir le langage qu'on tient aujourd'hui ?

Nous dire qu'on examinera si on utilisera les eaux pour la navigation ou si on les laissera couler à la mer, aujourd'hui qu'il fait beau et sec, on demande de l'eau pour les moulins, on se plaint de n'en avoir pas assez pour les usines et l'on veut conserver l'eau qu'on a à sa disposition et pour les usines et pour alimenter un canal de navigation, est-ce là, je vous le demande, le langage qu'on tiendrait ?

Ce sont les propriétés, les malheureux travailleurs, les cultivateurs que l'on doit respecter, et nous avons à peine le soleil luisant qu'on oublie tout ; il faut des canaux, de doubles, de triples canaux. Nous n'avons pas encore assez de canaux !... Qu'il en faille dans le pays de Liége, j'y consens. Au reste, la Meuse a les mêmes inconvénients, et j'applaudis au remède qu'on veut y porter. Mais je ne conçois pas cette même manière d'agir pour la Flandre où nous avons déjà des canaux suffisants pour la navigation ; c'est l'écoulement que nous voulons.

Pour ce qui est du besoin que Bruges peut avoir du dévasement de son canal, qu'il fasse valoir ses prétentions lorqu'il s'agit du budget des travaux publics ; le gouvernement, qui a les rivières et les canaux sous sa direction, qui en perçoit les revenus, ne peut les laisser s'envaser.

Ce n'est pas lorsqu'il s'agit d'un canal d'écoulement que l'on demande à s'occuper d'un dévasement dû à la négligence du gouvernement.

Je crois réellement que, pour ce qui concerne le littera D, qui comporte le libellé de 3,500,000 fr., il faut que l'on supprime les indécisions.

Si on le voulait, je déposerais un amendement ; mais je crois réellement que c'est inutile ; car je demande que l'on supprime le mot « soit » et les mots « soit en modifiant le régime du canal de Bruges à Gand ». Si l'on veut modifier ce régime, qu'on le fasse ; mais après une étude, lorsque le moment sera venu, qu'on nous laisse maintenant faire une chose urgente pour la province de la Flandre orientale.

C'est un besoin qui ne concerne pas seulement une ville : nous vous demandons la construction d'un canal qui passera à 3 ou 4 lieues de Gand, à travers les champs ; il ne passera pas par une ville où il y a des obstacles obligés ; il sera dégagé de ces entraves industrielles dans les grandes centres de population.

Enfin continuez ce qui a été commencé en 1845, continuez la deuxième section du canal de Schipdonck vers la mer du Nord. Alors, je saurai peut-être ce que j'aurai à faire à la fin de la discussion. Mais si je ne reçois pas cet apaisement du gouvernement, si je ne sais pas que ce travail sera fait par le gouvernement, je serai dans le cas de ne pouvoir voter ni pour, ni contre, ni peut-être même de m'abstenir sans protester énergiquement.

M. Coomans. - Messieurs, je ne croyais pas prendre la parole aujourd'hui. Beaucoup d'honorables orateurs étaient inscrits avant moi. J'aurais désiré les entendre, surtout ceux qui approuvent le projet de loi. Je regrette qu'ils se soient fait rayer de la liste des inscriptions. Pris à l'improviste, j'ai un motif de plus d'être court. Il y a beaucoup de choses à dire sur ce projet de loi. Pour ma part, j'avais de nombreuses observations à soumettre à la chambre, mais à quoi bon ?

Messieurs, ce débat répugnait à la chambre, fatiguée même avant qu'elle l'abordât. Sur tous les bancs de l'assemblée, on semble en désirer la fin. A droite, à gauche, et surtout à gauche, chacun sent que cette discussion fait souffrir la dignité de la chambre, que cette distribution par trop libérale du budget offre les plus graves inconvénients.

Ceux d'entre nous qui ont déjà eu leur part ou qui sont assurés d'être bien lotis, semblent les plus empressés à demander la clôture. Et puis, messieurs, quel intérêt la chambre et la nation peuvent-elles attacher à un débat dont le dénoûment est prévu ? Il en sera de la loi des travaux publics comme de la loi des successions en ligne directe et comme des autres lois d'impôts qui ont été votées après un simulacre de discussion.

De progrès on progrès, nous en sommes venus au point que les lois ne se font plus guère à la tribune. Or les rédige dans l'ombre ; on les discute dans le mystère des conciliabules : puis on les apporte ici pour être solennellement enregistrées. On s'assure d'avance d'une majorité suffisante, et l'on vient braver toutes les critiques avec cette confiance aveugle et ce facile courage que donne la force numérique.

Reste à savoir, mesieurs, si cette façon de procéder est conforme à l'esprit du gouvernement parlementaire.

Je ne me fais donc, messieurs, aucune illusion sur le résultat du scrutin et je ne retarderai pas longtemps, par des efforts superflus, une inévitable victoire. La majorité se barricade dans le budget ; elle s'y plaît, et nous ne sommes pas assez forts pour la débusquer de cette position, chaque jour fortifiée aux dépens des contribuables.

S'il y a du don-quichotisme à combattre des moulins à vent, il y en a aussi un peu à s'acharner contre des places imprenables. On ne renverse pas aisément des citadelles de 130 à 136 millions. Celle que le cabinet a savamment édifiée sur des bases que je ne qualifierai pas, résistera à nos attaques, je le sais bien. Aussi me bornerai-je àn énoncer sommairement les motifs de mon vote négatif sur tous les articles du projet.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Même sur les amendements ?

M. Coomans. - Y compris les amendements.

(page 1911) MM. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et le vôtre ?

M. Coomans. - Le mien aussi, à condition que l'honorable ministre renonce à l'amendement monstre de la dérivation de la Meuse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) . - Je n'y renoncerai pas.

M. Dumortier. - J'en suis bien convaincu.

M. Coomans. - Du reste, j'entendrai très volontiers la réfutation de l'honorable ministre.

Trois choses essentielles sont à examiner dans ce projet de loi : l'intervention gouvernementale, l'opportunité et la justice distributive. Il faut l'accomplissement de ces trois conditions pour justifier une semblable loi.

L'intervention de l'Etat en toute chose est déjà très compliquée et très exagérée en Belgique. Elle s'étend sans cesse ; elle rétrécit constamment le cercle de la liberté, et la création de fonctions nouvelles augmente constamment le nombre déjà si effrayant des citoyens qui vivent du budget.

Cette politique, que condamne l'exemple des nations que l'on aime à citer, mène lentement, insensiblement, mais mène infailliblement à la démoralisation, au désordre, à l'anarchie, à l'absolutisme et à la banqueroute.

Voilà quant au principe de l'intervention de l'Etat. La loi est-elle opportune ?

La crise mystérieuse de 1852 nous conseille, messieurs, la prudence, l'épargne, et non d'énormes dépenses qui pourraient devenir inutiles dans l'hypothèse même où le cabinet se place, dans la supposition que c'est par des travaux publics, par de vastes ateliers nationaux que l'on prévient les révolutions.

Qu'on veuille bien, messieurs, répondre à ce dilemme : Ou l'année 1852 s'écoulera pacifiquement et alors les travaux publics sont superflus au point de vue du maintien de la tranquillité publique.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Coomans. - Je dis au point de vue où se place le cabinet, qui veut donner de l'emploi à des bras qu'il suppose devoir être inactifs pendant la crise ; je dis que dans cette hypothèse les travaux deviendront inutiles, si l’année 1852 se passe sans accident grave.

Ou bien, messieurs, des bouleversements éclateront et alors les compagnies ne trouveront pas d'argent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elles en auront avant.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Elles en ont dès maintenant.

M. Coomans. - Quoi qu'en dise l'honorable M. Tesch, je doute qu'elles aient un sou, en ce moment où il n'y a pas de crise ; et évidemment si une crise éclate, il n'y aura pas beaucoup d'actionnaires assez niais pour confier leurs fonds aux compagnies.

Non seulement les compagnies ne trouveront pas d'argent en cas de crise, mais le gouvernement, lui, en aura grandement besoin. Il faudra satisfaire à des nécessités imminentes ; il faudra renforcer l'armée ; il faudra faire toute espèce de dépenses, pour lesquelles nous n'aurons pas une obole devant nous, pour lesquelles nous n'avons rien, puisque le prétendu superflu des nouveaux impôts est déjà plus qu'absorbé aujourd'hui. Vous n'aurez donc rien en réserve pour cette époque critique, à moins que vous ne fassiez voter immédiatement en pleins troubles, soit de nouveaux impôts encore, soit des emprunts forcés. Mais ces emprunts forcés et ces nouveaux impôts seront d'autant plus lourds, d'autant plus impopulaires qu'ils auront été décrétés en temps de crise, contre des contribuables déjà surtaxés.

Je trouve donc que, soit dans la supposition où des événements critiques éclateraient, soit dans celle où il n'y aurait pas d'événements de ce genre, les travaux publics perdent complètement le prétexte dont se sert le gouvernement pour nous les faire voler.

Mais, pour faire la partie belle au cabinet, supposons qu'en pleine crise politique, nos compagnies trouvent des actionnaires, supposons qu'elles complètent leur capital et que la garantie de 4 p. c. leur semble suffisante à une époque ou le 5 p. c. belge descendra peut-être à 60 ou à 50 ; je raisonne, vous le voyez, messieurs, dans l'hypothèse de la crise, celle où le gouvernement se place le plus volontiers ; admettons toutes ces choses impossibles ; eh bien, les travaux public exerceront-ils l'influence espérée ? Ces travaux, qu'ils s'exécutent par les compagnies ou que l'Etat s'en charge, qui les paye ? Le contribuable ou l'actionnaire. Mais l'argent que vous prendrez dans la poche des contribuables, ou l'argent que les compagnies trouveront dans la poche des actionnaires, ce sera de l'argent de moins à dépenser par les particuliers, ce sera de l'argent enlevé au travail libre. Vous ne pouvez pas multiplier les capitaux ! L'actionnaire qui placera son argent dans le chemin de fer du Luxembourg ne pourra pas l'employer à autre chose. Il a 50,000 francs, par exemple, il les confie à la compagnie du Luxembourg ; mais s'il ne leur donnait pas cet emploi, ne les appliquerait-il pas à autre chose, ne ferait-il pas des constructions, ne se livrerait-il pas à des défrichements ? Donc son argent recevra telle destination plutôt que telle autre, voilà tout ; et, en réalité, en résumé, l'Etat, quand il prend l'argent des contribuables, ou les compagnies, quand elles prennent celui des actionnaires, se bornent à déplacer des capitaux. (Interruption.)

On me dit : les étrangers ! Les capitaux étrangers ont acquis, à leur dam, une certaine expérience en Belgique, et quand on dit (je trouve l'interruption bien maladroite) : Ce n'est pas nous qui exposerons nos capitaux, ce seront les étrangers qui courront tous les risques, n'est-ce pas une singulière manière d'engager les étrangers à verser des fonds dans les entreprises dont il s'agit ? Quand vous dites ; Nos capitaux ne seront pas compromis, ce seront les capitaux étrangers ; ne condamnez-vous pas votre projet, n'en rendez-vous pas le succès difficile ? Les Anglais ont des oreilles, ici ils savent lire, et votre interruption aura certainement pour effet d'enlever quelques actionnaires à votre compagnie du Luxembourg.

Messieurs, le meilleur remède au paupérisme c'est le travail libre, c'est la concurrence intelligente des capitaux privés ; ce sont des impôts modérés et non impopulaires, c'est la dignité, c'est la justice, c'est la force du gouvernement, c'est la dignité des chambres. Toute notre organisation sociale repose sur la liberté du travail, qui est incompatible avec un gouvernement fait tout, lequel nuit à plus d'intérêts qu'il n'en sert. Les grandes nations, les nations en progrès sont celles qui proclament ce principe et qui le pratiquent.

Enfin, messieurs, le projet de loi respecte-t-il la justice distributive ? Non. Une foule de localités se plaignent ; plusieurs d'entre elles ont déjà reçu au moins des promesses ; le gouvernement semble accepter quelques nouveaux travaux et en cela il avoue qu'au point de vue de la justice distributive, son projet de loi primitif laissait à désirer.

Si vous votez un projet de loi, messieurs, que je blâme en principe et que je trouve, pour le moins, inopportun, vous devez cependant respecter la justice distributive ; c'est votre devoir, et j'ai le droit de vous signaler les lacunes que le projet présente à cet égard.

Quand deux conditions essentielles sont violées, ce n'est pas un motif pour en violer une troisième. Voilà pourquoi je demande subsidiairement la construction d'un chemin de fer dans mon arrondissement. (Interruption.) Cela ne m'embarrasse pas le moins du monde : la loi est mauvaise en elle-même, mais elle le sera bien davantage si elle favorisé quelques localités seulement et si les sacrifices qu'elle impose à tous les citoyens, ne profitent qu'à un certain nombre d'entre eux.

A l'article 5, messieurs, je prouverai que le chemin de fer d'Anvers à Turnhout répond à des besoins réels, qu'il est étudié depuis longtemps que la concession en est demandée par une société sérieuse qui, elle, a déjà des capitaux, ce que toutes les sociétés ne peuvent pas dire ; que ce chemin de fer présente des chances de succès telles que, si je suis bien informé, le gouvernement se demande s'il ne doit pas l'exécuter à ses risques et périls.

Je démontrerai ensuite, messieurs, que si l'invervention de l'Etat peut se justifier c'est surtout lorsqu'elle s'applique à de grandes lignes, à des lignes internationales, tandis que vous êtes disposés à l'appliquer à des tronçons de chemin de fer, à des impasses. A plus forte raison faut-il favoriser la construction des grandes lignes, qui offrent beaucoup plus d'intérêt commercial et politique, et dont le succès financier est moins chanceux.

J'ai dit tout à l'heure que le principe de l'intervention financière de l'Etat, au moyen de la garantie d'un minimum d'intérêt, est un mauvais principe ; je maintiens cette assertion. Le principe est mauvais ; les conséquences peuvent en être déplorables au point de vue du trésor ; mais il va sans dire que l'application de ce principe est excellente pour les localités qui en profitent. Où est l'inconséquence que l'on semble me reprocher à cet égard ? Voyons ! De bonne foi, y a-t-il dans cette chambre un seul membre qui fût disposé à voter le projet dans le cas où l'on supprimerait l'article qui lui plait et qui concerne particulièrement ses électeurs ?

Y a-t-il un seul des honorables députés de Liége qui voterait la loi, si la dérivation de la Meuse était supprimée ? Mon honorable ami, M. de Haerne, voterait-il cette loi, qu'il disait l'autre jour être bonne et juste, si l'on en effaçait le canal de Bossuyt à Courtray....

M. de Haerne. - Sans doute, quoique j'envisage ce travail comme une nécessité, au point de vue national, et qu'on devra faire dans l'intérêt du trésor public.

M. Coomans. - Vous voteriez la loi sans les avantages offerts à votre arrondissement ?

M. de Haerne. - Oui, sauf des amendements, comme je l'ai dit et répété.

M. Coomans. - Enfin, voteriez-vous la loi, si votre arrondissement n'avait pas quelque part dans la distribution du budget ?

M. de Haerne. - Je ne voterais pas de loi injuste, telle qu'elle le serait, si l'on en retranchait les travaux prévus ou décrétés depuis longtemps, les travaux les plus utiles, les plus nécessaires, les plus productifs.

M. Coomans. - Nous sommes donc d'accord. Du reste, loin de moi la pensée d'être désagréable à l'honorable membre, dont j'apprécie la loyauté et le patriotisme ; je l'ai cité, comme je pouvais nous citer tous, et je défie le gouvernement de nous promettre d'exécuter la loi, si la dérivation de la Meuse n'est pas votée ! Rayez-en la dérivation de la Meuse, et il trouvera sa propre loi détestable.

Cela est tellement dans la pensée du gouvernement qu'il veut que nous votions la loi en bloc, les bons articles comme les mauvais, les entreprises sérieuses et utiles avec les travaux de complaisance et d'un intérêt local ou électoral.

Voyons donc quelle est l'influence désastreuse de cette loi et quelle violence elle exerce sur les esprits en apparence les plus fermes ! Il est déjà probable que les membres de cette chambre qui ne veulent de l'intervention directe de l'Etat dans aucune matière, et qui l'ont toujours fortement combattue, seront obligés de voter cette intervention (page 1912) dans ce cas-ci, où elle se présente, de la manière la plus exagérée et la plus dangereuse ! N’est-ce pas la une coalition immorale dout le trésor fait les frais et dont les conséquences peuvent devenir aussi ruineuses pour la patrie que fatales à la moralité publique ? Ma conscience ne me permet pas de m'en rendre complice, et, quels que soient les avantages offerts à mon arrondissement, je repousserai l’ensemble d’un projet funeste à mon pays.

M. Dechamps. - Messieurs, l'état de ma santé ne me permet pas pas de donner à ma pensée tous les développemvnts désirables, je craindrais que mes forces ne vinssent à me trahir, et j'aurai besoin plus que jamais de toute la bienveillante intelligence de la chambre.

Le projet de loi doit être envisagé sous plusieurs aspects différents. En me livrant à son examen, j'aurai à approuver, j'aurai à combattre. J'aurai à approuver le principe de la loi, ce que j'appellerai sa portée politique ; j'aurai à combattre des détails importants et l'application qu'on a faite en général du principe que je défends.

Je le ferai, en ne tenant compte que de l'intérêt général du pavs, tel que je le comprends, et sans aucune espèce de préoccupation de parti. Ce serait une chose malheureuse, si, après qu'on est parvenu à changer des questions, exclusivement sociales, comme celles de la charité et de l'enseignement en questions politiques, nous allions transformer les discussions pacifiques d'intérêt matériel, comme celles sur les travaux publics, en luttes de parti. Pour moi, je me refuse absolument à me placer sur ce terrain.

Voici les points de vue auxquels je me suis placé pour étudier le projet de loi qui est soumis à notre examen :

J'aurai à le considérer dans son ensemble, dans la pensée générale qui l'a dicté, c'est-à-dire au point de vue de l'utilité qu'il peut y avoir pour le gouvernement d'avoir dans les mains du travail et de l'argent, pour traverser les éventualités menaçantes de 1852.

Puis j'examinerai si le gouvernement a fait de ce principe une application heureuse, prudente, mesurée, si les conditions imposées aux compagnies nous donnent des garanties sérieuses d'exécution, si le mode de concours de l'Etat, la garantie d'intérêt, telle qu'elle est appliquée par le projet de loi, ne doit pas faire courir au trésor public des chances fâcheuses dans l'avenir.

En dernier lieu, je discuterai la question de savoir si l'impartialité a présidé, autant qu'il le fallait, à la répartition des travaux publics entre les diverses provinces du pays, si les conditions de concurrence enlre les bassins producteurs ont été suffisamment respectées.

La pensée générale du projet me paraît bonne et prévoyante, si on parvient toutefois à la réaliser, à l'accomplir ; je dirai tout à l'heure pourquoi je fais cette réserve, puurquoi je témoigne cette crainte.

Je crois que la prudence politique conseille quatre choses essentielles pour conjurer les menaces de révolution et de guerre que l'année 1852 renferme :

Je dis avec vous : Oui, il faut du travail ; il faut tâcher au moins d'avoir du travail pour le moment où les sources de l'activité industrielle pourraient venir subitement à tarir.

Je dis avec vous surtout : Oui, il faut de l'argent, il faut un emprunt qui vienne former une réserve dont le gouvernement disposera, soit pour exécuter des travaux publics, s'il est possible, soit avant tout, comme l'a déclaré M. le ministre de l'intérieur, pour organiser une sérieuse défense du pays, selon que les événements viendraient en faire un devoir au gouvernement.

Je dis cela avec vous, mais j'ajoute d'une manière plus accentuée que vous ne le faites : Il faut avant tout une armée forte, confiante en elle-même et dans le gouvernement, relevée des craintes, des doutes, du découragement dans lesquels nos derniers débats l'ont jetée.

Messieurs, il est une quatrième condition de sécurité et de force que j'indique en passant, et sans m'y arrêter : il faut que le péril qu'on craint et qu'on prévoit ne nous trouve pas désunis, usant l'énergie nationale dans des luttes stériles ; il faut qu'une politique de rapprochement et de modération remplace une politique de division et d'affaiblissement, de sorte qu'au jour des dangers publics nous puissions descendre de nos bancs avec dignité pour vous serrer patriotiquement la main, sans que l'on vienne nous dire le lendemain : Vous avez eu peur... (Interruption.)

Voila les quatre choses qu'une politique prudente conseille au gouvernement et au pays.

Ainsi le principe, l'idée générale du projet, je l'accepte, je l'approuve. Je vois que presque tous les gouvernements cherchent à négocier des emprunts. Soyez convaincus, messieurs, que ceux-la seront forts, au moment de la crise, qui auront assez d'argent pour alimenter le travail, pour organiser d'une manière énergique la défense du pays, et qui pourront opposer aux orages révolutionnaires des populations unies, dévouées, confiantes dans l'avenir.

Messieurs, nous avons eu les travaux publics de 1834, nous les avons eu le lendemain de la révolution qui avait causé à l'industrie et au commerce du pays un inévitable ébranlement ; nous avons eu les travaux publics de 1838, la veille de notre conflit périlleux avec la Hollande et avec les puissances, la veille de notre traité avec les Pays-Bas ; nous avons eu les travaux publics de 1845 et 1846 heureusement pour le pays, au moment de la crise alimentaire, de la crise industrielle et financieic et de la crise politique de 1847 et 1848 ; ces travaux publics ont versé des capitaux considérables et ont alimente le travail dans le pays.

Pourquoi, aujourd'hui que la Constitution française assigue une date fixe, fatale en quelque sorte, où la révolution est conviée à éclater, pourquoi ne ferions-nous pas, par sage prévision, ce que notre bon instinct nous a fait faire aux époques analogues de 1834, de 1838 et de 1845-1846, qui forment les trois grandes dates de nos travaux publics qui ont été des causes de progrès, d'unité nationale et de richesse publique qu'a est impossible de méconnaître ?

Permettez-moi d'examiner encore le projet de loi par son côté commercial.

Quelle était la pensée commerciale sur laquelle reposait le système de travaux publics de 1845 ? Cette pensée commerciale la voici :

D'abord on voulait agrandir le marché intérieur, en rapprochant les centres de production des marchés de consommation où se faisait sentir l'absence ou la rareté de la houille et du fer, ces deux conditions de tout travail industriel ; mais surtout ce qu'on voulait, c'était élargir les débouchés vers les grands marchés voisins, développer les relations avec la France, l'Allemagne et la Hollande.

Le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, le chemin de fer d'Erquelinnes vers Saint-Quentin, le chemin de fer du Centre vers la Sambre, le canal de jonction de Mons vers la Sambre ; tous ces travaux étaient destinés à développer nos relations avec la France, à nous aider à conquérir d'une manière plus complète les marchés de Paris, de Rouen et des Ardennes françaises.

Le canal latéral à la Meuse, le canal de Jemmapes vers le bas Escaut, devaient rapprocher les bassins de Liége et du Hainaut du marché de la Hollande.

Le chemin de fer du Luxembourg devait opérer la jonction de l'Escaut au Rhin supérieur et nous ouvrir le transit vers l'Allemagne du Midi, vers la Suisse et l'Italie, comme le chemin de fer de Cologne avait opéré la jonction de l'Escaut au bas Rhin et nous avait rapprochés de la Prusse.

Telle était la pensée commerciale du projet de 1845. Il me paraît que cette conception n'était pas trop inintelligente par la vieille politique.

Le projet actuel au point de vue commercial où je me place, est beaucoup moins complet que ne l'était celui de 1845, puisque les chemins de fer de Charleroy vers Saint-Quentin, ceux de la Sambre à Louvain et du Centre vers la Sambre, ainsi que les canaux de Mons à Erquelinnes et de Jemmapes au bas Escaut, ne figurent plus au projet.

Le projet actuel n'a conservé les bases du système de 1845, en les élargissant, que pour Liége et le Luxembourg ; je reviendrai tout à l'heure sur ce point.

Mon ami, M. le comte de Liedekerke, a témoigné dans une séance précédente ses craintes sur le sort réservé à nos traités avec la Hollande, le Zollverein et la France. Je partage en partie ces craintes ; il est évident que si nos traités différentiels qui nous assurent une place privilégiée sur les marchés de la France, de l'Allemagne et de la Hollande sortent amoindris des négociations, il est évident que les travaux publics qu'on veut exécuter ne produiront pas tous les résultats qu'on en attend, mais il me paraît qu'à cause de ces craintes mêmes, l'exécution des travaux publics devient plus nécessaire, pour suppléer à un certain degré à l'insuffisance possible des traités.

Je viens de dire sous quel rapport le projet recevrait mon approbation, il me reste à dire en quoi je dois le combattre.

Tout à l'heure j'exprimais la crainte qu'une partie des travaux que l'on veut décréter ne fût pas sérieusement exécutée, la partie abandonnée aux compagnies.

J'ai pour cela deux raisons : La première, c'est le discrédit dans lequel les concessions de chemins de fer en Belgique se trouvent en Angleterre, et cela il faut bien le dire, à cause de la conduite peu équitable et peu habile que le gouvernement a tenue à l'égard des lignes concédées. La deuxième raison, c'est l'absence presque complète de garanties d'exécution pour les travaux livrés aux compagnies.

Vous le savez, messieurs, les journaux anglais ont retenti souvent de plaintes très vives à l'égard du système adopté par le gouvernement depuis quelques années dans ses rapports avec les compagnies concessionnaires des chemins de fer. D'après ce système, les lignes concédées qui doivent revenir à l'Etat, ne feraient pas partie du réseau national, les compagnies seraient considérées, non comme des associés, mais comme des concurrents et des adversaires du chemin de fer de l'Etat, avec lesquels il faut lutter. (Interruption au banc des ministres.)

Cette lutte étroite d'hostilité concurrente s'est manifestée par bien des tracasseries, mais je ne veux vous entretenir que du système adopté par le ministère à l'égard des courtes distances. Quand on a accordé, en 1845, des lignes aux compagnies, on a supposé naturellement que certains transports seraient acquis à ces lignes, lorsque le parcours serait moins long par le chemin concédé que par le chemin de l'Etat ; seulement je prétendais avec raison que ces lignes nouvelles, pour 10 tonnes de marchandises qu'elles enlèveraient au railway de l'Etat, lui en apporteraient cent comme affluents, et ce fait s'est effectivement réalisé. Aujourd'hui on dit aux chemins de fer concédés : je ne vous connais pas ; le chemin de fer de l'Etat doit rester en possession exclusive de tous les transports, même de ceux qui vous appartiennent, d'après le principe de la courte distance.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Rien n'est décidé.

M. Dechamps. - Rien n'est décide ? Mais, en fait, la décision est prise, puisque depuis deux ans, c'est le système qui est appliqué. Je vais citer un exemple : Conçoit-on qu'un colis expédie de Floreffe pour Liége ou un colis expédié d'Ans pour Namur, doive faire l'énorme détour par (page 1913) Bruxelles, ce qui rend le transport impossible, au lieu de suivre la route directe du chemin de fer de Namur à Liége.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela tient au système de la concession.

M. Dechamps. - Je cite un second fait : Lorsque le commerce de Charleroy exporte des fontes vers Quiévrain, on le force, depuis deux ans, à faire 22 kilomètres de plus pour aller par Braine-le-Comte et on lui interdit la ligne concédée de Manage à Mons.

On a imaginé, pour désintéresser le commerce qui se plaignait, on a imaginé un autre mode d'hostilité ; c'est de fixer les distances légales sur les lignes de l'Etat d'une manière arbitraire et de manière à supprimer la différence, en raccourcissent ces distances légales. Mais c'est là réduire les tarifs outre mesure, et sans loi, c'est arriver à leur suppression.

Ce système est vraiment incroyable, c'est l'interdiction jetée sur les lignes concédées, c'est rendre impossible leur exploitation si utile cependant au pays ; et ce système on l'a inauguré quand ? La veille du jour où l'on voulait présenter un vaste système de travaux publics à exécuter par des compagnies, au moment où l'on allait faire appel à la confiance des capitaux étrangers. Mais ces capitaux ne craignez-vous pas de les avoir d'avance découragés ? Je crains pour ma part qu'ils ne répondent que d'une manière peu empressée à l'appel que vous leur faites.

Voilà le premier motif pour lequel j'éprouve la crainte que les travaux qui doivent se faire par voie de concession ne se feront que difficilement.

Le second motif, c'est l'absence presque complète de garantie assurée à l'exécution des travaux publics qu'ils s'agit de voter.

Pour les lignes anciennes qu'il s'agit d'achever, je reconnais que les travaux exécutés peuvent servir de cautionnement, mais je vais parler spécialement des lignes nouvelles, comme celle de Dendre-et-Waes.

Je remarque d'abord l'absence d'un cahier des charges.

Le cahier des charges et le contrat qui lie les compagnies envers l'Etat. C'est dans le cahier des charges que toutes les difficultés d'exécution doivent être résolues, et en particulier la question si importante des tarifs. L'Etat sera lié en vertu de la loi que nous allons voter ; mais les compagnies, je parle de celles qui n'ont pas de cahier des charges, ne seront pas liées envers l'Etat ; elles seront libres de se dégager lorsque le cahier des charges sera discuté dans l'avenir. Il eût fallu du moins que les bases essentielles du cahier des charges eussent été posées dans les conventions provisoires. Elles ne sont donc par liées.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Lesquelles ?

M. Dechamps. - La société de Dendre-et-Waes, par exemple.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Elle accepte le même cahier des charges que les autres compagnies.

M. Dechamps. - C'est un fait nouveau, je suis charmé de l'apprendre, mais j'avais lu dans l'exposé des motifs que le cahier des charges serait discuté dans un avenir prochain entre le gouvernement et la compagnie ; du reste ce n'est pas à cet argument que j'attache le plus d'importance.

En 1845 l'opposition était bien plus exigeante. Alors il y avait en général un cahier des charges joint aux conventions, ou du moins les bases essentielles du cahier des charges figuraient dans les conventions et dans le travail des ingénieurs annexé au projet de loi. Le cahier des charges était soumis à la discussion de la chambre. On a discuté tous les articles importants des cahiers des charges ; des membres même avaient demandé qu'on discutât le cahier des charges article par article. Je m'y suis opposé, mais j'ai consenti à ce que le cahier des charges fût discuté en entier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous n'avons rien discuté du tout. On a voté deux concessions par jour.

M. le président. - Il ne faut pas interrompre l'orateur d'autant plus qu'il est souffrant.

M. Dechamps. - Les discussions ont été en général longues et approfondies et l'honorable M. Rogier y a pris une large part.

La plus grande faute commise, selon moi, c'est que l'on laisse aux compagnies un délai plus ou moins long de 6 à 8 mois, pour se décider à commencer les travaux, c'est-à-dire pour se décider à accepter la concession ou à la refuser.

En présence des événements que nous craignons dans un avenir prochain, je trouve qu'il est imprudent de donner aux compagnies la faculté de se dégager dans un temps donné. Les compagnies ne sont donc nullement liées envers le gouvernement qui s'engage, lui, envers elles ; elles pourront d'ici au printemps prochain, si les circonstances sont difficiles, si les capitaux ne sont pas versés, ou s'ils disparaissent, déclarer qu'elles renoncent à leur convention et à la loi de concession. Veuillez-le remarquer, il n'y a aucune pénalité imposée, aucun frein ne peut retenir la compagnie, puisqu'il n'y aura ni cautionnement préalable versé, ni travaux exécutés.

En 1845, voyez les précautions que l'on a prises :

1° Responsabilité personnelle des premiers contractants ;

2° Un cautionnement préalable d'un dixième au moins, devait être versé avant la présentation du projet de loi ;

3° Avant le commencement des travaux, le premier versement, un second dixième, devait être effectué ;

4° 30 p. c. devaient être versés avant qu'aucune action ne fût transmissible ;

5° Enfin dernière précaution ; on avait interdit la côte des actions aux bourses belges.

Les circonstances, je le reconnais, sant changées : alors il fallait sej précautionner contre la fièvre des spéculations ; maintenant, au contraire, il faut encourager les capitaux timides ; aussi je ne demande pas que toutes les précautions prises en 1845 soient conservées ; mais deux garanties devaient être maintenues rigoureusement, pour assurer l'exécution des lignes, le cautionnement préalable, l'obligation de commencer immédiatement les travaux et celle d'effectuer le premier versement avant le commencement d'exécution.

On m'objectera que malgré les précautions prises en 1845, plusieurs chemins de fer concédés à cette époque n'ont pas été exécutés ou achevés.

Messieurs, le système de 1845, les garanties d’exécution qu’on avait imposées aux concessionnaires ont amené ce double résultat que j’ai signalé à la chambre : d’abord, l’agiotage qui a produit une grande perturbation sur presque toutes les places européennes, la Belgique en a été complètement réservée. Ensuite, malgré la triple crise qui a frappé les années de 1846, 1847, 1848, crise financière et industrielle, crise alimentaire, crise politique ; malgré ces crises qui ont produit en Angleterre ce résultat que presqu'aucune des concessions accordées à ces époques n'ont été exécutées, les lignes les plus importantes, concédées en 1845, ont été exécutées en Belgique. Savez-vous quel est le capital étranger qui a été versé, par les compagnies, dans les veines de la richesse nationale ? Quatre-vingt-six millions de francs ; 80 millions en travaux exécutés et 6 millions en cautionnements non remboursés.

Et cela malgré les circonstances désastreuses que nous avons eu à traverser. On a construit malgré ces circonstances 262 kilomètres de ligne ferrée, 52 lieues ; c'est-à-dire la moitié de tout le réseau des chemins de fer de l'Etat.

Eh bien, je dis que c'est là un événement heureux qui a aidé le gouvernement à passer convenablement les crises de 1847 et de 1848, et permettez-moi de croire que nous devons en partie aux conditions, aux précautions prises par le gouvernement, aux garanties d'exécution, que les compagnies n'ont pas abandonné tous les travaux décrétés. Et en effet, messieurs, il y avait des cautionnements à perdre, des premiers versements à perdre ; il y avait des travaux commencés immédiatement après l'octroi des concessions.

Les compagnies ont reculé naturellement devant l'abandon total de ces sacrifices. Mais aujourd'hui que vous n'avez plus ces conditions, je parle des lignes nouvelles...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a que la ligne de la Dendre qui soit nouvelle et le cautionnement existe.

M. Dechamps. - Le cautionnement de 1 million n'est pas versé et aucune condition n'est posée à l'égard de toutes les lignes pour lesquelles la garantie d'intérêt est demandée et pour l'exécution desquelles des compagnies n'existent pas.

Voici ce que je crains. Il arrivera ceci : c'est que les provinces qui seront dotées de travaux publics que le gouvernement exécutera aux frais du trésor public, posséderont les avantages qu'on leur promet aujourd'hui. Mais je crains que les provinces qui n'auront que les travaux publics que les compagnies devront exécuter, que celles-là n'aient que des espérances qui ne se réaliseront pas. Pour résumer ma pensée en uu mot : Les unes auront traité au comptant, les autres auront traité à crédit. (Interruption.)

J'arrive maintenant, messieurs, à un autre point, au mode de concours choisi par le gouvernement pour appeler les capitaux, c'est-à-dire la garantie d'un minimum d'intérêt.

Chacun sait, messieurs, que je suis partisan de ce système de garantie. Je considère ce principe comme fécond pour l'avenir de nos travaux publics.

Mais, permettez-moi de le dire, la manière dont le gouvernement a appliqué ce principe, doit, dans ma conviction, le tuer pour longtemps en Belgique.

En effet, qu'est-ce que la garantie d'un minimum d'intérêt, telle qu'on l'a comprise en France, en Allemagne, dans presque tous les pays où on l'applique ? La garantie d'un minimum d'intérêt, voici ce que c'est :

Lorsque le gouvernement a fait étudier un travail d'utilité publique, un canal ou un chemin de fer, qu'il est convaincu de son importance, qu'il est certain que ce chemin de fer ou ce canal doit produire un intérêt suffisant pour couvrir le capital d'exécution, et que les circonstances sont telles que les capitaux sont peureux et timides comme ils le sont aujourd'hui ; il fait alors un appel à ces capitaux, il leur dit : Ayez confiance ; je suis certain que les produits de la ligne couvriront le capital d'exécution, je vous en garantis l'intérêt. C'est un appui moral que le gouvernement donne aux compagnies.

Toujours on a eu soin de stipuler que lorsque la garantie du minimum d'intérêt serait invoquée par des compagnies, dans des années malheureuses, dans les premières années d'exécution, par exemple, le gouvernement serait remboursé de ces avances sur le produit des années prospères.

En général, le gouvernement en donnant cet appui moral ne risque rien.

C'est ainsi que sur le continent, en France, en Allemagne et en Italie, les gouvernements avaient garanti, en 1845, pour plus d'un milliard de travaux publics et jusqu'alors la garantie n'avait jamais été invoquée. Je crois qu'elle l'a été rarement depuis, si elle l'a été en effet.

(page 1914) Voilà, messieurs, le principe de la garantie d'un minimum d'intérêt tel que je l'ai défendu dans le rapport qu'on a si souvent cité dans cette discussion, tel que je l'ai présenté dans le projet de loi que mon honorable ami M. Mercier et moi avons déposé en 1844, pour le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse.

Mais, messieurs, comment le gouvernement applique-t-il aujourd'hui ce principe ? Il l'applique en sens contraire. Ainsi, la ligne de Dendre-et-Waes, combinée avec la ligne directe de Bruxelles vers les Flandres, est une ligne excellente qui, chacun le reconnaît, doit produire de beaux résultats financiers. Le chemin de fer de Bruxelles à Namur se trouve dans les mêmes conditions de succès. Eh bien, la garantie d'intérêt que l'Etat pouvait accorder à ces lignes, en ne leur prêtant qu'un appui moral, ne leur est pas appliquée. La garantie on ne l'accorde qu'aux lignes ou aux embranchements dont les conditions de prospérité sont moins certaines.

Le chemin de fer de Namur à Arlon est d'un intérêt politique et commercial qui autorise peut-être de se départir des règles ordinaires ; mais si on avait dispensé la compagnie du Luxembourg et celle de l'Entre-Sambre-et-Meuse de l'exécution de quelques embranchements improductifs auxquels la garantie d'intérêt est appliquée, on aurait obtenu deux résultats : d'abord des conditions meilleures de concours pour l'Etat, et, en second lieu, de n'appliquer la garantie qu'au tronc principal de ces deux chemins de fer dont l'exploitation sera plus favorable sous le rapport des produits.

Vous le voyez, messieurs, dans ce système, la garantie d'intérêt n'est plus un appui moral pour donner confiance aux capitaux, c'est un subside que l'on risque de payer toujours, sans grand espoir pour l'Etat d'être jamais remboursé de ses avances.

Eh bien, je le dis, c'est précisément parce que j'ai défendu le principe de la garantie d'un minimum d'intérêt, c'est au nom des idées que j'ai soutenues dans mon rapport que je combats la manière dont on veut faire l'application de ce principe, mode qui doit tuer dans l'avenir ce principe même. Car lorsque les chambres verront toujours que le gouvernement doit payer la garantie qu'il accorde, elles diront que c'est un principe désastreux, et en effet il le serait.

L'honorable M. Vermeire, dans un discours qu'il a prononcé dans une séance précédente, discours très bien fait, comme le sont toujours ceux qu'il prononce, a énuméré quelles sont les conditions ordinaires exigées pour la garantie d'un minimum d'intérêts. Voici les conditions que nous avions exigées dans le projet de loi que l'honorable M. Mercier et moi nous avons présenté en 1844.

La garantie portait sur un capital constitué, garanti par un cautionnement préalable. Elle ne pouvait courir qu'après l'exécution complète des travaux. Elle devait cesser le jour où les bénéfices et l'amortissement couvriraient le capital garanti. Les produits au-dessus de l'intérêt garanti appartenaient toujours à l'Etat jusqu'au remboursement complet des avances. Les bénéfices de l'entreprise devaient répondre du remboursement des avances pendant toute la durée de la concession, le terme de la garantie fùt-il même écoulé.

Et cela doit être. Lorsqu'on accorde une garantie, c'est une avance que l'on fait.

La compagnie doit toujours rembourser cette avance lorsqu'elle le peut. Or, lorsqu'après 50 ans la garantie n'existera plus, si la compagnie fait des bénéfices, pourquoi voulez-vous qu'elle ne soit pas tenue de rembourser le gouvernement des prêts qu'il aura faits ?

Ainsi, d'après le mode suivi dans tous les pays, la garantie d'un minimum d'intérêt est un appui moral. En général, le gouvernement ne l'accorde que pour donner confiance aux capitaux ; il ne l'accorde que pour les lignes utiles et qui doivent produire.

J'aurais voulu au moins que lorsque la compagnie (je cite comme exemple celle du Luxembourg) aurait réalisé des bénéfices au-delà de 5 ou 6 p. c. sur l'ensemble des diverses lignes qu'on lui concède, l'Etat ne fût pas tenu à suppléer, par sa garantie, à l'insuffisance de revenu sur l'une des sections en déficit. J'aurais voulu que la compagnie, après avoir invoqué la garantie de l'Etat pendant la première période d'années moins prospères, fût tenue, même après 50 ans, de rembourser l'Etat de ses avances si ses bénéfices le lui permettaient.

Messieurs, il me reste à examiner si l'impartialité a présidé à la répartition des travaux publics entre les diverses provinces ; si, comme je le disais tout à l'heure, les conditions de concurrence surtout entre nos quatre bassins producteurs du fer et de la houille, ont été suffisamment inspectées.

Pour mieux me faire comprendre, messieurs, je prends pour point de départ les projets de 1845 et 1846. Ces projets reposaient sur une idée de pondération commerciale entre les quatre bassins que je viens de nommer et ils étaient tels que ces bassins les ont acceptés comme garantissant suffisamment leurs intérêts respectifs.

Voyons, messieurs, au point de vue où je me place, ce qu'étaient les projets de 1845 et 1846.

Liége avait le canal latéral à la Meuse, le chemin de fer de Namur à Liége qui dessert les deux rives de la Meuse, elle avait en outre une section nouvelle des canaux de la Campine. Tout ce que le projet de 1846 promettait à Liége, tout a été exécuté ; Liége a tout obtenu.

Charleroy avait trois chemins de fer : le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse, le chemin de fer de Louvain à la Sambre, le chemin de fer de Charleroy vers Erquelinnes. De tout cela, par la fatalité des circonstances, Charleroy n'a vu exécuter que deux tronçons inachevés et inutiles.

Le Centre a eu le chemin de fer de Manage à Mons ; la ligne vers la Sambre n'a pas été exécutée.

Mons avait deux canaux importants ; ils n'ont pas été construits.

Ainsi, je le répète et j'insiste sur cette considération, les quatre bassins se sont déclarés satisfaits des projets de 1845 ; or, Liége a obtenu tout ce que ce projet lui promettait ; Charleroy n'a eu que deux tronçons de chemin de fer inachevés et l'un des plus importants n'a pas été commencé ; le Centre n'a pas eu la ligne vers la Sambre, et Mons n'a rien eu. Voilà les faits tels qu'ils se sont passés.

Voyons maintenant les conditions faites aux quatre bassins par le projet de loi. Que donne le projet de loi à Liége, à Liége qui avait tant obtenu, pour qui tant avait été exécuté ? Voici ce qu'on ajoute aux travaux que le projet de 1845 a donnés à Liége, on y ajoute : 1° ce qu'on appelle « la dérivation de la Meuse », non pas la dérivation de la Meuse telle qu'on la comprenait en 1842, mais outre les travaux de la dérivation de la Meuse et de l'Ourthe au point de vue des inondations, la création d'un bassin de commerce à Liége, des entrepôts, une station intérieure, des quais, la démolition de ponts, qu'on remplace par des ponts suspendus.

Je ne critique pas, je signale. A ces grands travaux de sécurité et d'embellissement, on ajoute : 2° la canalisation de la Meuse depuis le Val-Benoît jusqu'à Chokier, et cela, messieurs, afin de rattacher toutes les usines situées sur les deux rives de la Meuse et qui le sont déjà par les deux chemins de fer qui desservent ces deux rives.

Aujourd'hui les charbonnages et les usines du bassin de la Meuse sont déjà, par l'achèvement de ces chemins de fer, dans une position aussi bonne et même meilleure que celle des houillères de Mons, du Centre et de Charleroy.

Les charbonnages du Couchant de Mons ont à payer sur les chemins de fer du Flénu, des tarifs plus élevés pour arriver au canal de Condé, que les charbonnages de Liége ne payeront sur les lignes de chemin de fer établies sur les rives de la Meuse, pour se rendre au bassin à créer dans Liége.

A Charleroy, la position n'est pas aussi heureuse, puisqu'une partie notable des charbonnages n'ont pas encore de lignes de raccordement pour être reliés à la Sambre ou au canal de Charleroy.

Ainsi donc Liége est aujourd'hui déjà dans une position meilleure que Mons, meilleure que Charleroy. Eh bien, à ces avantages que Liége possède, on ajoute la canalisation de la Meuse depuis le Val-Benoît jusqu'à Chokier.

Il est possible que dans l'avenir ce travail soit être jugé utile, mais il faudrait tenter auparavant l'expérience des chemins de fer.

Messieurs, j'ai fait assez pour Liége, lorsque j'étais au pouvoir, pour avoir le droit de rappeler qu'en 1845 je n'avais pas l'intention de procéder à une exécution prochaine de la canalisation de la Meuse vers-Chokier.

Voici ce qui s'est passé :

Lorsque mon honorable ami, M. Malou, qui s'opposait au canal latéral, venait dire : Mais ce n'est là que le commencement d'un immense projet, vous demandez le canal latéral, demain vous demanderez le prolongement de ce canal jusqu'à Chokier ; c'est le premier pas dans une voie désastreuse ; qu'ai-je répondu ? J'ai répondu que dans la pensée du gouvernement le travail proposé était un projet complet, dans ce sens qu'il fallait une dérivation de la Meuse dans Liége, qu'il fallait un bassin d'un tirant d'eau de 2 mètres 10 dans Liége pour réunir à la Meuse le canal latéral. Mais, ajoutais-je, pour cela un million est déjà voté par les chambres, un million est voté par la commune de Liége, et la province a également accordé des fonds. Ces fonds suffisaient pour ce qu'on appelait alors la dérivation de la Meuse. J'ajoutais que j'aurais compris l'idée de faire une canalisation jusqu'à Chokier avant la construction du chemin de fer de Namur à Liége, mais que je ne la comprenais plus après cette construction.

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. Malou. - Je la demande aussi.

M. Dechamps. - Puisque M. Delfosse demande la parole, je lui ferai une observation. J'ai vu dans le rapport qu'il a dit, au sein de la section centrale, que j'avais, le 4 septembrc 1845, donné des instructions à M. l'ingénieur Kummer, pour faire les études de la canalisation jusqu'aux limites du bassin houiller à Chokier.

C'est une erreur de date, car à l'époque dont a parlé l'honorable M- Delfosse, je n'étais plus ministre des travaux publics ; c'était l'honorable M. d'Hoffhchmidt qui occupait alors ce département...

M. Delfosse. - Si mes souvenirs sont exacts, c'est M. Kummer lui-même qui le dit dans ce rapport.

M. Dechamps. - Dans ce cas, il s'est trompé ; au reste, j'aurais pu lui donner cet ordre, sans m'engager à rien, car il est du devoir de l'administration de faire étudier tous les projets.

Ce qui est certain, c'est qu'en 1845, représentant du gouvernement, j'avais déclaré que le gouvernement n'entendait pas prolonger le canal latéral jusqu'à Chokier.

Je disais donc tout à l'heure, avant cette digression un peu longue, qu'à Liége, qui avait obtenu son lot en entier des projets de travaux de 1845, on donnait encore :

1° La dérivation de la Meuse ;

2° la canalisation jusqu'à Chokier ;

3° Le canal de l'Ourthe ;

(page 1915) 4° La jonction de la Meuse à l'Escaut, par l'achèvement des canaux de la Campme,

Et 5° le canal vers Hasselt dont son commerce seul profitera. Messieurs, certainement ces travaux sont très utiles ; je félicite hautement Liége de les obtenir ; ils pourront grandement servir à son développement commercial dans l'avenir. Mais voici ce que je dis : c'est que Liége qui a reçu une part si large dans les projets de travaux de 1845, obtient tout d'un coup, par un seul projet, tout ce que l'avenir peut lui réserver en travaux publics, c'est que le ministère actuel ne laisse plus à ses successeurs rien à faire pour un siècle peut-être en faveur de Liége, et cela quand Charleroy n'obtiendra pas même l'exécution des trois chemins de fer qui formaient son lot de 1845.

Je le répète, je ne critique pas ces travaux en eux-mêmes, je me borne à les examiner au point de vue de la justice distributive.

Voyons maintenant, en regard de ce qui se fait pour Liége, ce qu'on donne à Charleroy : à Charleroy, je viens de le dire, on n'accorde pas même les projets de 1845 : il avait en 1845 trois chemins de fer, celui de Sambre-et-Meuse, celui de Louvain à la Sambre et celui d'Erquelinnes. Eh bien, on donne la garantie d'intérêt, non pas précisément pour construire le chemin de fer de Sambre-et-Meuse, le tronc principal jusqu'à Viraux, mais pour les embranchements dans la province de Namur.

Le chemin de fer d'Erquelinnes est le seul qui soit excommunié ; car enfin le système du gouvernemeut consiste à terminer les lignes concédées en 1845 et en 1846 et qui ne sont pas encore achevées. Or, la compagnie du chemin de fer d'Erquelinnes a exécuté les trois quarts de ses travaux, elle a besoin d'un peu plus d'un million pour exécuter le reste ; c'est cette somme qu'elle demande comme prêt remboursable en quelques annuités, et on la lui refuse.

Maintenant, voyons ce que devient le chemin de fer de Louvain à la Sambre ; tous les autres chemins vont être exécutés ; lui seul est condamné ; ce chemin doit ouvrir le marché de Louvain au bassin de Charleroy ; est-ce pour cela qu'on l'exclut ? D'après le projet de 1845, ce chemin de fer partait de Louvain vers Wavre ; à Wavre, un embranchement le dirigeait par Nivelles vers le bassin du centre et un autre embranchement le dirigeait vers Charleroy. C'était un système complet, le marché de Louvain s'ouvrait au bassin du Centre et au bassin de Charleroy.

Dans le projet primitif du gouvernement, la section de Gembloux, comme celle de Louvain à Wavre, était indiquée. Ces lignes étaient rendues facultatives : la compagnie du Luxembourg pouvait les construire, par droit de préférence, pendant deux ans, tandis que des lignes, moins importantes à tout point de vue, c'est-à-dire l'embranchement vers Bastogne ou Marche, étaient rendues obligatoires.

Je dis que la ligne dont je parle était au moins indiquée dans le projet primitif du gouvernement ; que fait la section centrale ? La section centrale, de concert avec le gouvernement, accorde 17 millions de travaux publics nouveaux ; on y ajoute la ligne de Wavre à Manage, c'est-à-dire qu'on rattache le bassin du Centre au marché de Louvain ; on ajoute la ligne d'Audenarde à Deynze, celle de Furnes, celle de Fexhe à Tongres, celle de Ciney à Dinant, toutes lignes secondaires pour lesquelles aucune demande en concession n'est faite ; et la ligne de Gembloux à Charleroy est seule oubliée !

Et veuillez remarquer que sur cette section plusieurs travaux d'art sont exécutés ; c'étaient les plus difficiles. Le gouvernement vient d'être condamné, par un jugement du tribunal de première instance de Charleroy, à payer le prix des emprises qui ont été faites par expropriation, parce que les expropriations avaient été faites au nom de l'Etat. Cette section de Gembloux à Charleroy traverse le bassin houiller sur 15 kilomètres d'étendue, et sur ces 15 kilomètres 5 seulement sont exploités. Dix raisons se présentaient en faveur de l'exécution de cette ligne pour une qu'on peut invoquer à l'égard des autres lignes, et j'espère que le ministère maintiendra le principe de son projet primitif, en donnan la préférence, sur les autres moins importantes, à la seclion de Gembloux à Charleroy à laquelle on pourra utilement rattacher des branches vers Cbâtelineau et vers Gosselies.

Si j'avais l'honneur d'être ministre, je ferais construire cette section aux frais de l'Etat, parce que cette section doit être éminemment productive. On comprend qu'il doit en être ainsi d'une seclion qui doit rattacher le bassin tout entier de Charleroy au chemin de fer du Luxembourg et au chemin de fer vers Louvain.

Messieurs, j'aurais d'autres observations à présenter en ce qui concerne la réduction de péages que l'on accorde à Mons, contrairement à ce que le gouvernement et les chambres avaient voulu faire, à la dernière session, en réduisant les péages du canal de Charleroy dans le but de faire cesser en partie l'inégalité choquante qui existait entre les péages exorbitants qui grevaient ce canal et ceux plus modérés établis sur les autres voies navigables ; mais je me sens trop fatigué et j'aurai à y revenir.

Messieurs, je termine, et je présenterai, de concert avec mes honorables collègues de Charleroy, l'amendement suivant, auquel j'espère que la chambre et le gouvernement feront un bon accueil :

« Le gouvernement est autorisé à exécuter, aux frais du trésor public, à l'aide d'un crédit de 6 millions qui lui est alloué a cet effet, la section de chemin de fer de Gembloux vers Charleroy, selon le trace établi par la convention du 22 janvier et la loi du 22 mars 1846, ou bien à contracter avec une compagnie, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital n'excédant pas 6 millions, aux clauses et conditions stipulées dans les conventions annexées au présent projet de loi, et en abandonnant à la compagnie la partie du cautionnement dont le trésor est en possession et les ouvrages exécutés. »

Messieurs, je veux laisser au gouvernement toute latitude. Il serait possible que le gouvernement préférât exécuter cette ligne par lui-même ; il se pourrait qu'il préférât la faire exécuter par concession, je lui laisse la faculté de choisir entre ces deux systèmes.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, en intervenant en ce moment dans le débat, mon intention est de rester dans les limites rigoureuses de la discussion générale. Je n'examinerai pas les divers travaux qui sont mentionnés dans le projet de loi, je ne les examinerai ni au point de vue des avantages spéciaux qu'ils peuvent procurer aux localités où ils s'exécuteront, ni au point de vue de l'influence décisive qui semble devoir en résulter sur l'accroissement de la richesse publique. Lorsque nous en serons venus aux articles, il me sera facile de démontrer que la marche suivie par le gouvernement en cette circonstance que les conditions qui font la base des traités avec les compagnies concessionnaires, en un mot, que le plan général des travaux proposés est conforme non seulement aux intérêts des compagnies concessionnaires, mais encore aux intérêts bien entendus du pays. Si quelque chose doit surprendre dans la discussion, c'est le genre d'attaques dont le projet de loi est l'objet, de la part de quelques honorables membres de cette assemblée. Ces attaques, on peut les résumer en peu de mots.

Pour les uns le projet se produit d'une façon inopportune ; l'Etat ne doit pas intervenir ; pour les autres, il est essentiel de pourvoir par l'exécution de travaux publics aux éventualités qui peuvent menacer la Belgique en 1852, mais on n'a pris aucune espèce de garantie pour l'exécution réelle, sérieuse de ces travaux ; on a très mal appliqué le principe de garantie d'un minimum d'intérêt posé dans le projet de loi de 1844. Enfin, on a mal agi, on a mal réparti les travaux, on a manqué d'impartialité à l'égard des divers intérêts qu'il convenait de satisfaire.

Je ne m'arrêterai pas au reproche d'inopportunité adressé au projet de loi. Comment ! quand il n'est pas de pays, sur le continent, pas un Etat de quelque valeur qui, malgré les préoccupations d'une situation politique et financière, plus grave que celle où se trouve la Belgique, ne songe à pourvoir par des travaux publics aux éventualités de 1852, comment, je le demande, en présence de ce fait universel, nier l'opportunité de pareils travaux chez nous ?

On a parlé de la France : En 1848, sous le coup de l'ébranlement imprimé à toutes les affaires, on exécutait pour 150 millions de travaux extraordinaires. Aujourd'hui, quoique ce pays se trouve en face d'un découvert de près de 700 millions, il n'en poursuit pas moins l'exécution de grands travaux utiles. En Belgique, nous sommes en présence d'une situation particulière. On a beaucoup parlé de 1845 et 1846. En parler un peu moins eût été plus prudent ; car c'est l'héritage de 1845 et 1846 que nous proposons au moins en partie de liquider.

Alors le gouvernement, entrant étourdiment dans la voie aventureuse où s'était précipité l'esprit de spéculation, vint saisir la chambre d'une série de projets de loi ; et telle était l'ardeur pour les entreprises de chemins de fer que plus de cent demandes de concession étaient déposées au département des travaux publics. Comment opérait-on en 1845 ? Quelques agents se réunissaient, on versait une ou deux livres sur des actions de 500 fr. ; et quand ce premier versement était fait, les actions montaient, entraînant avec elles des primes fabuleuses. Qu'en advint-it ? C'est que les compagnies, livrées à leurs seules forces, à des ressources factices et au contrecoup des événements politiques, furent impuissantes à tenir leurs engagements et à mener à fin leurs entreprises.

Eu présence d'une situation pleine d'embarras, quel parti restait-il à prendre au gouvernement ? C’était de venir sérieusement en aide aux compagnies, de leur offrir une assistance sans laquelle leur crédit n'aurait pu se relever. Ainsi l'intervention de l'Eyat, dans ces affaires, ne serait point un bienfait qu'elle n'en serait pas moins une nécessité. Or sous quelle forme cette intervention pouvait-elle se produire ?

Personne dans cette enceinte n'aurait admis un aulre mode que celui de la garantie d'un minimun d'intérêt ; personne n'aurait admis le concours de l'Etat par une prise d'actions ou par des subventions ou subsides. Il fallait donc bien s'arrêter, en tenant compte toutefois des circonstances, à la garantie d'un minimum d'intérêt.

Sur ce dernier point M. Dechamps me semble professer des principes beaucoup trop absolus.

Cet honorable membre n'admet qu'une sorte de garantie d'intérêt, c'est celle qui se résout dans un appui moral de la part du gouvernement. Or, les faits et la doctrine ne sont pas ici d'accord avec l'honorable membre. La garantie d'intérêt peut s'accorder dans d'autres conditions.

Ainsi, par exemple, quand l'Angleterre, pour la construction des chemins de fer dans les Indes, accorde son intervention à l'aide d'une garantie de minimum d'intérêt, elle considère moins l'appui moral qu un immense intérêt politique. C'est cet intérêt que le gouvernement s’efforce de satisfaire, quand il assure son concours à la compagnie da Luxembourg chargée de l'exécution d'une ligne éminemment nationale. Ainsi encore lorsqu'il s'agit de lignes dont l'exécuiio.i doit exercer, sur notre reseau, une réaction favorable, l'on comprend encore que l’Etat intervienne au moyen de la garantie d'un minimum d'intérêt.

Il y a là une sorte de compensation dont l'importance n’échappera point à l'attention de la chambre. C'est cette considération, que l'honorable M. Dechamps connaissait du reste, qui a empêché le gouvernement de faire pour le chemin de Charleroy à Erquelinnes ce qu'il avait fait pour (page 1916) d'autres lignes. C'est parce qu'il s'agissait ici de l'exécution d'un railway dont l'importance commerciale limitée à Erquelinnes ne devait s'obtenir qu'aux dépens d'une voie existante administrée par l'Etat, que le gouvernement a dû s'abstenir. Il en est tout autrement des chemins de la Flandre occidentale, de l'Entre-Sambre-et-Meuse et du Luxembourg. En veut-on une preuve ?

En 1849, les départs des stations du chemin de l'Entre-Sambre-et Meuse vers les lignes de l'Etat ont procuré au trésor, du chef des marchandises, fr. 46,134-17.

On peut compter au moins, pour voyageurs, bagages et transports divers sur une recette au profit de l'Etat de 13,863 fr.

Ainsi, pour les départs seulement 60,000 fr. environ.

En 1850, cette somme s'est élevée bien certainement à 70,000 fr. auxquels il faut ajouter au moins 30,000 fr. du chef des retours.

C'est-à-dire que si la partie restante à construire, plus les divers embranchements, ne donnaient que 100,000 fr., l'Etat aurait perçu, par réaction, du chef de l'établissement de la ligne de l'Entre-Sambre-et-Meuse, un revenu annuel qui servirait à compenser la différence qu'il aurait éventuellement à couvrir du chef de la garantie d'intérêt.

L'honorable M. Dechamps parle des cahiers des charges. Rien, selon lui, n'a été fait à cet égard : on n'a pris aucune précaution ; on en avait pris de bonnes, en 1845 ; on en avait pris de telles que presque toutes les compagnies se sont trouvées dans l'impossibilité de terminer leurs travaux.

En ce qui concerne l'acceptation du cahier des charges, je citerai la compagnie de Tournay à Jurbise. Je pense que c'est sous l'administration de l'honorable M. Dechamps que cette concession a été accordée. Le cahier des charges de l'exécution des travaux a été signé dans l'année qui a suivi l'octroi de la concession. C'est en 1845 qu'on avait accordé la concession.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La théorie n'a pas été appliquée.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La garantie, d'après.Thonorable membre, doit se réduire à une garantie nominale : il est sans exemple qu'on ait dû suppléer.

L'honorable M. Dechamps se rappelle son rapport de 1844, où il déclarait que l'on avait accordé la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme d'un milliard et qu'il était sans exemple qu'on eût dû invoquer cette garantie. Cependant, je rappellerai à l'honorable membre qu'en Allemagne tout récemment, et en 1848 également, le gouvernement a dû intervenir en faveur du chemin de fer rhénan, qui est l’un des plus prospères.

M. Malou. - Il n'y a pas de garantie d'un minimum d'intérêt pour le chemin de fer rhénan.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pardon ! il y a une garantie de 3 1/2 p. c.

L'honorable M. Dechamps affirme également que dans la présentation du projet de loi, le gouvernement manque d'impartialité. Je crois que c'est là un reproche auquel le gouvernement doit se montrer extrêmement sensible.

Je trouve ici l'occasion de dire un mot d'un autre reproche qui revient, sans cesse, dans cette discussion, du reproche de coalition : on en a parlé comme d'une chose nouvelle, qui n'a jamais existé. Or, il est un fait qui répond de la manière la plus victorieuse à ce reproche : c'est qu'à quatre époques différentes, de telles coalitions ont eu lieu. Ainsi quel a été le principal organisateur de la coalition de 1837 ? L'honorable M. Dumortier qui probablement protestera contre la coalition d'aujourd'hui.

M. Dumortier. - Et qui proteste contre vos paroles, qui démontrera qu'il n'y a rien de fondé dans cette assertion.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je citerai la discussion de 1837, le rapport de l'honorable M. Dumorlier. Je montrerai l'honorable M. Dumortier attaqué par l'honorable M. de Man qui lui reprochait, à son tour, de mettre le trésor public au pillage.

L'honorable M. Dumortier, en 1842, venait se défendre de cette accusation contre l'honorable M. de Man, et prétendre que la justice distributive (c'était la raison qu'on donnait alors à la coalition) était complètement violée, il disait qu'il était assez porté d'accorder la dérivation de la Meuse, mais il demandait que la ligne de Tournay à Jurbise fût construite.

M. Dumortier. - Il n'était pas question de la dérivation de la Meuse en 1842.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - En 1837, l'honorable M. Dumortier était accusé par l'honorable M. Devaux, qui lui reprochait à lui, rapporteur de la section centrale, d'offrir un appât aux intérêts de localité.

M. Dumortier. - Il s'agissait de l'accomplissement d'une promesse.

M. le président. - M. Dumorlier est inscrit dans la discussion ; Je l'engage à ne pas interrompre.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - L'honorable M. Dumortier répondait qu'en fait de travaux il fallait une répartition équitable, il fallait de la justice disfributive.

M. Dumortier. - C'est faux.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La coalition, à cette époque, était le fait de la section centrale. En 1837, chacun doit se le rappeler, le gouvernement s'était borné a proposer la ligne de Gand vers la France. La section centrale dont l'honorable M. Dumorlier était rapporteur, proposa un chemin de fer pour le Limbourg, un pour Namur et un pour le Luxembourg.

En 1842, l'honorable M. Dumorlier proposa un amendement ayant pour objet la construction du chemin de fer de Tournay à Jurbise ; il fut extrêmement malheureux dans son amendement et vota contre l'ensemble de la loi.

Mais qu'entend-on par coalition ! Est-ce qu'on entend par coalition l'accord, l'entente légitime qui peut s'établir entre des intérêts qui se rattachent à des travaux utiles ? Mais si ces intérêts se produiraient isolément dans cette enceinte, ils auraient peut-être le même sort qu'a eu, en 1842, l'amendement de M. Dumortier. Est-ce que le gouvernement ne doit pas mettre tous ses soins à obtenir cet équilibre industriel et économique dont l'honorable M. Dechamps a tout à l'heure entretenu la chambre ?

Je dis que cette coalition est légitime, qu'elle a toujours existé, qu'elle existera toujours. Elle a existé en France en 1835, lorsqu'on a proposé pour cent millions de travaux, et, en 1842, lorsqu'on a proposé une série de chemins de fer.

Mais si l'on entend par coalition, la coalition obstacle, la coalition qui consiste à empêcher ce qui est utile, je me joindrai à ceux qui la qualifieront le plus sévèrement.

La justice distributive n'a-t-elle pas été respectée dans le projet ? L'honorable M. Dechamps n'a cité qu'un intérêt, l'intérêt des quatre bassins houillers, comme si toute l'importance du projet se résumait dans la question de l'industrie charbonnière. Or, même à ce point de vue exclusif, l'honorable membre oublie le langage qu'il tenait dans la discussion relative au canal latéral à la Meuse. A cette époque, l'honorable membre estimait que, pour maintenir l'équilibre entre les bassins houillers, il fallait à Charleroy le chemin de l'Entre-Sambre-et-Meuse, à Liége le canal latéral ; à Mons le canal de Jemmapes à Alost.

Or, le bassin au nom duquel il réclame aujourd'hui, n'obtient pas seulement ce chemin de l'Entre-Sambre-et-Meuse que l'honorable Aï. De-champs lui avait promis, mais même il a profité depuis et successivement ;des réductions de péages accordées sur le canal de Charleroy et la Sambre canalisée. L'honorable M. Dechamps allouait, en perspective, au Centre le chemin de fer de Manage à Erquelinncs, au Couchant de Mons il disait : Vous aurez le canal de Jemmapes à Alost. Les fonds sont faits ; ils seront versés d'ici à peu de temps. Or, il n'en a rien été.

Au bassin de Charleroy, on promettait le chemin de fer d'Erquelinnes. Je viens d'avoir l'honneur de dire à l'honorable membre ce qui a déterminé le gouvernement à ne pas accorder son intervention à ce chemin de fer. Il y a une autre raison, c'est que pour le moment ce chemin est véritablement sans objet est une sorte d'impasse. Pour qu'il présente un caractère d'utilité, il est indispensable que son prolongement en France soit, sinon exécuté, au moins décrété en principe.

M. Malou. - Le Luxembourg n'est donc pas une impasse ?

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Nous en parlerons lorsque nous arriverons ou chemin de fer du Luxembourg ; je crois que nous pourrons alors réfuter les critiques que l'on a élevées.

L'honorable M. Deschamps est d'autant moins fondé à venir protester ici au nom du bassin de Charleroy, à venir reprocher au gouvernement d'avoir manqué à l'impartialité, d'avoir violé la justice distributive que l'honorable M. Dechamps doit se rappeler lui-même ce que je viens d'avoir l'honneur de dire à la chambre que, depuis 1845, ce bassin a obtenu autre chose que la promesse du chemin de l'Entre-Sambre-et-Meuse.

N'a-t-on pas accordé une réduction de 35 p. c. sur le canal de Charleroy ? Lorsque le gouvernement vient proposer la garantie d'un minimum d'intérêt en faveur du chemin de fer du Luxembourg, n'est-ce pas encore au bassin de Charleroy que l'exécution de la ligne de Namur à Arlon doit profiter directement ?

L'honorable M. Dechamps nous dit : Vous n'accordez la garantie d'un minimum d'intérêt que sur les embranchements du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse. Mais il oublie que si nous n'avions pas accordé cette garantie aux embranchements, le chemin de fer ne se faisait pas. La compagnie a déclaré de la manière la plus positive qu'il lui était de toute impossibilité de faire le tronc principal, si la garantie ne portait pas exclusivement sur les embranchements.

Autre chose encore : En 1849, le gouvernement n'a-t-il pas proposé aux chambres une réduction de 50 p. c. sur la Sambre ? Et qu'en est-il résulté ? C'est que Liége, qui figurait pour quatre cinquièmes dans les transports effectués par cette voie, n'y figure plus aujourd'hui que pour la moitié.

Ainsi la réduction de 50 p. c. sur la Sambre a immédiatement accru dans une proportion assez notable le placement des produits du bassin de Charleroy.

Messieurs, dans la session de 1850 du conseil provincial du Hainaut, la majorité de cette assemblée avait proposé une série de mesures qui presque toutes ont été accueillies favorablement par le gouvernement.

Le conseil provincial du Hainaut demandait l'élargissement des écluses, mesure qui est encore favorable, je pense, à un certain nombre de charbonnages du bassin de Charleroy. Le gouvernement propose l'exécution de ce travail.

Le conseil provincial du Hainaut insistait pour l'achèvement du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse. Dans les mesures proposées, le gouvernement comprend l'achèvement de ce chemin de fer.

(page 1917) Le conseil provincial du Hainaut demandait, je pense, une certaine somme pour l'amélioration de la Sambre. Cette somme figure encore dans le projet du gouvernement.

Il demandait une réduction sur les péages du canal de Pommerœul à Antoing et cette demande devait venir naturellement à la suite de la promesse formelle que l'honorable M. Dechamps avait faite au Couchant de Mons, quand il déclarait dans cette enceinte que les fonds étaient faits pour le canal de Jemmapes à Alost. Cette réduction, le gouvernement l'a proposée.

Messieurs, l'honorable M. Dechamps a également, dans le commencement de son discours, touché quelques points politiques. A entendre l'honorable membre, on devrait, autant que possible, s'efforcer de ne pas transformer les luttes pacifiques des intérêts matériels en luttes politiques.

Messieurs, le conseil est excessivement bon, mais j'engage l'honorable M. Dechamps à s'adresser à ses amis, pour qu'il soit dans tous les cas exactement suivi. Il est un fait notoire, c'est que si des questions sociales, les questions de charité et d'enseignement ont été transformées en questions de parti, elles l'ont été à la suite des discours irritants prononcés par les amis de l'honorable M. Dechamps.

Il est un fait constant pour ceux qui veulent la conservation du bon ordre et le maintien de cette armée à laquelle nous sommes tous entièrement dévoués : c'est que la première condition pour que cette institution se maintienne forte et stable, est de mettre le gouvernement en mesure de répondre aux exigences de la situation. Or sur ce terrain encore les amis de l'honorable M. Dechamps nous font défaut.

M. Dumortier. - C'est nous qui avons voté contre l'armée ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). -Vous avez voté contre les impôts. Vous faites des discours, mais vous ne nous donnez pas de votes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous mettez de la politique partout.

M. Dumortier. - Ce sont vos actes qui jettent de l'irritation.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - L'honorable M. Dechamps a encore fait un reproche au gouvernement. L'honorable membre trouve que nous nous montrons d'une sévérité extrême à l'égard des compagnies et que nous ne pouvons pas nous assurer d'avance le concours de ces compagnies.

Messieurs, j'engage l'honorable M. Dechamps à lire les articles très sérieux qui paraissent en ce moment dans les journaux anglais, dans les journaux qui sont considérés comme les organes des entreprises des chemins de fer ; il y verra avec quelle bienveillance les intentions du gouvernement sont accueillies et combien de préventions nous avons encore à faire disparaître en ce moment par suite des actes qui ont été la conséquence du système de 1845 et 1846.

L'honorable M. Dechamps veut rendre le gouvernement responsable, au moins en fait, du dommage qui, selon lui, résulte de l'application du principe de la plus courte distance ; mais ce principe, c'est l'honorable M. Dechamps qui l'a posé au moins implicitement. C'est lui qui a proposé la concession du chemin de fer de Namur à Liége. Or, dans le projet de ce chemin de fer, il y avait deux stations ; il y avait une station pour la compagnie et une station pour l'Etat.

Par conséquent, le principe de la plus courte distance, dont l'honorable M. Dechamps se montre excessivement partisan aujourd'hui, n'était guère praticable, si mon honorable prédécesseur n'était venu proposer ici un projet de fusion de ces deux stations.

Du reste, l'honorable M. Dechamps, avant de parler au nom du commerce et de l'industrie en invoquant ce principe, devrait au moins nous démontrer que le commerce et l'industrie éprouveront quelque dommage si le gouvernement prenait à cet égard une résolution que rien n'autorise l'honorable membre à considérer comme définitive, puisque la question est à l'étude et peut être considérée comme réservée.

Car si l'on n'appliquait pas le principe de la plus courte distance, mais que par suite de nos tarifs extrêmement modérés, le commerce fût désintéressé dans la question, je pense qu'il serait inutile de s'en occuper.

M. Dechamps. - Ce serait l'interdiction pour les compagnies.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Du reste, l'honorable M. Dechamps doit le savoir aussi bien que moi, la question est excessivement grave.

Sans doute, si l'on veut considérer, non pas comme des affluents, mais comme des rectifications de notre railway toutes les lignes concédées, l'on devra bien examiner aussi avec quelque soin les conséquences de l'application d'un semblable principe ; et si on devait y trouver, pour les recettes du trésor, une perte notable, ce serait là encore une des conséquences du système de 1845, et je n'en féliciterais pas son auteur.

M. Moncheur. - Pourquoi avez-vous exécuté la fusion des deux stations ?

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Eh bien, à la rigueur, ce serait un mode de réaliser plus complètement le principe de la plus courte distance.

Messieurs, dans le cours de la discussion, j'aurai l'occasion de revenir sur les divers travaux compris dans le projet de loi ; la chambre me permettra de terminer aujourd'hui par quelques considérations générales.

La Belgique a consacré depuis l'époque des on émancipation politique, à peu près 250 millions à l'exécution de grands travaux publics, au développement, au perfectionnement de ses voies de communication, à la création de ses chemins de fer. Il n'est personne, sans doute, dans cette enceinte, qui ne considère l'exécution de ces travaux comme éminemment utile au point de vue politique comme au point de vue industriel. Sans doute, ces travaux n'ont pas créé la richesse, mais ils l'ont développée, ils en ont fécondé les germes.

Ces travaux, personne ne le niera, ont stimulé les forces productives du pays, et si l'on veut bien considérer la position où se trouvait le gouvernement vis-à-vis de sociétés qui étaient dans l'impuissance radicale de remplir leurs engagements et vis-à-vis des localités qui le sollicitaient tous les jours d'amener l'exécution des travaux concédés, alors il est bien certain que personne dans cette enceinte ne méconnaîtra l'opportunité du projet. Que l'on démontre que tel travail n'est pas utile, je comprends la discussion sur ce terrain ; je comprends qu'on se réserve toute sa liberté d'action. Et, messieurs, cette liberté d'action n'est pas le moins du monde compromise par la manière dont le projet de loi est formulé. Sous ce rapport, du reste, nous n'avons fait que suivre les précédents : En effet, a-t-on présenté des projets de lois distincts en 1842 ? Nullement, chaque membre peut demander la division, et c'est par la division que la liberté du vote se trouve garantie.

- Un membre. - Est-ce que vous y consentez ?

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La divison pour le vote des articles.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Un membre usant de son initiative a déposé un projet de loi. Les sections seront consultées sur le poiut de savoir si elles en autorisent la lecture.

- La séance est levée à 5 heures et quart.