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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 février 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 759) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Dujardin, secrétaire communal à Laethem-Sainle-Marie, prie la chambre de déclarer valide le scrutin de ballottage auquel il a été procédé le 31 octobre 1850, à Munkzwalm, pour la nomination d'un secrétaire communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par message en date du 22 février 1851, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi qui ouvre au département de l'intérieur un crédit extraordinaire pour les frais résultant de l'exposition universelle de Londres. »

- Pris pour information.

Proposition de loi relative à l’indigénat des individus nés, avant la promulgation de la Constitution, de parents étrangers domiciliés en Belgique

Lecture

M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi déposée par M. Destriveaux.

- Il est donné lecture de cette proposition.

Les développements de cette proposition sont renvoyés à la fin de l'ordre du jour.

Projet de loi fixant le tarif des voyageurs sur les chemins de fer de l’Etat

Discussion générale

M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, je ne m'attendais pas à prendre la parole aujourd'hui, plusieurs orateurs étant inscrits ; mais puisque ces orateurs ne sont pas présents, je répondrai à quelques-unes des observations présentées par M. le ministre des travaux publics.

Ainsi qu'on l'a fait observer dans la discussion, deux éléments exercent une grande influence sur le développement de la circulation sur le chemin de fer : savoir la rapidité de la circulation ou l'économie de temps et le bas prix des transports.

M. le ministre des travaux publics a demandé s'il était dans l'intention de la section centrale que les convois à grande vitesse dussent profiter à toutes les localités d'une certaine importance, ou si plusieurs de ces localités en seraient privées. Dans le premier cas, disait M. le ministre, le système est inexécutable ; dans le deuxième, il consacrerait une injustice flagrante.

M. le ministre ajouta que le système des convois de vitesse que nous proposions tendait à établir dans l'exécution du chemin de fer le contraire des deux éléments qui concourent au développement de la circulation sur le chemin de fer ; je ne puis partager cette opinion.

En effet, ceux qui auront à parcourir de grandes distances feront en général usage des convois à grande vitesse ; c'est pour ceux-là que la rapidité de la circulation constitue un avantage sérieux ; pour ceux-là, la rapidité compensera le surcroît de prix ; le premier élément aura donc exercé son influence. Ceux qui n'ont qu'un petit trajet à parcourir ne peuvent attacher une grande importance à une circulation rapide ; il ne s'agit pour eux que d'une différence de temps très peu considérable ; ils prendront un convoi ordinaire, et le nombre des voyageurs ne sera pas réduit, le prix restant le même pour ces convois.

Il est évident que la section centrale a voulu doter toutes les localités importantes du pays de convois de grande vitesse avec différence de prix. Ce système, dit M. le ministre, est inexécutable sur un chemin de fer aussi compliqué que le nôtre. J'avoue que cette impossibilité est loin d'être démontrée à mes yeux. Comment ! les coïncidences ne pourraient plus s'établir par l'unique raison que la marche des convois serait plus rapide qu'elle ne l'est généralement aujourd'hui ! En vérité, une pareille objection ne me paraît pas sérieuse. On ajoute qu'il arrive que, par des circonstances que nul ne peut prévoir : neige abondante, verglas, vents violents, etc., la marche des convois éprouve quelque retard. Mais ces circonstances se présentent aujourd'hui ; elles arrivent accidentellement partout où des convois de vitesse sont établis ; mais, dans ces cas, il faut bien que les voyageurs prennent patience. C'est à une bonne administration à éviter toutes les causes de retard qui peuvent dépendre de son action. Comme les causes principales, celles qui se rapportent à la saison, à la température, agissent partout dans le même rapport à peu près, les coïncidences ne sont guère dérangées. Quant aux convois ordinaires, comme ils s'arrêteront fréquemment aux petites stations et aux halles intermédiaires, il sera très facile de combiner leur mouvement de manière qu'il ne nuira jamais à la marche des convois de vitesse.

Une fois les coïncidences bien établies entre les stations importantes, les difficultés relatives à la levée des coupons, difficultés que M. le ministre me paraît avoir singulièrement grossies, vont entièrement disparaître ; car la plupart des voyageurs qui feront usage des convois de vitesse, arriveront à leur destination par ces convois ; les autres, en petit nombre, n'auront qu'un seul coupon supplémentaire à lever pour arriver à une destination secondaire.

J'ai répondu d'une manière sommaire aux objections qui ont été présentées par M. le ministre des travaux publics contre le principe même de son système et aux observations qu'il a faites pour établir que les convois de vitesse à prix différentiel présentent des difficultés insurmontables.

On m'a, pour ainsi dire, fait un grief d'avoir établi le compte du chemin de fer et d'avoir, en quelque sorte, pris plaisir à entasser millions sur millions.

Messieurs, je pense que le rapporteur de la section centrale aurait des reproches à se faire et en mériterait de la part de la chambre, s'il n'avait pas présenté la véritable situation du chemin de fer. La chambre elle-même a manifesté à cet égard sa volonté, puisqu'elle a réclamé par un vote spécial un travail de la part de la cour des comptes pour établir cette situation. J'ai cru qu'il était de mon devoir de le continuer jusqu'à l'époque actuelle. J'aurais beaucoup désiré ne pas avoir autant de millions à entasser les uns sur les autres, puisqu'il s'agit de millions d'emprunts ou de déficit. Mais il n'y a pas à marchander ; leur existence n'est que trop évidente.

M. le ministre nous a dit qu'il désirait obtenir les produits les plus considérables possible, mais obtenir en même temps le mouvement le plus fort qu'il se pourra.

Je pense, messieurs, que ces deux éléments ne peuvent pas atteindre leur maximum sans que l'un soit opposé à l'autre.

Nous ne devons pas perdre de vue quelle a été la pensée du gouvernement et des chambres, lorsque la construction du chemin de fer a été décrétée.

A cette époque, on était d'accord pour exiger du chemin de fer un produit rémunérateur. C'était la considération financière qui dominait à cette époque. La majorité n'a autorisé la construction du chemin de fer aux frais de l'Etat, que sur les assurances qui lui étaient données que les capitaux qui devaient y être consacrés produiraient leurs intérêts et plus.

Dès lors un engagement moral a été pris vis-à-vis des contribuables ; il serait regrettable qu'on persistât à ne pas tenir compte de ces promesses ; la question n'est pas entière, on ne doit pas l'oublier.

Lorsque l'on mêle à la question financière un autre élément qui lui nuit, on n'est pas fidèle aux engagements qui ont été pris lorsque la loi a été votée.

Je ne suivrai pas M. le ministre dans les divers développements qu'il a présentés sur les effets des tarifs ; je me bornerai, quant à présent, à faire remarquer qu'il a cité lui-même un exemple, et l'on pourrait en citer bien d'autres.

L'application d'un tarif plus élevé a été suivie d'une augmentation de circulation ; assurément je n'attribue pas cette augmentation au tarif plus élevé, mais du moins je constate que l'élévation du tarif n'est pas toujours un obstacle à l'augmentation de la circulation, quand on ne dépasse pas certaines limites.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La circulation eût augmenté davantage encore, si l'on u'avait pas élevé le tarif.

M. Mercier, rapporteur. - Cela est possible ; mais le produit eût été moindre. Or, dans notre situation financière, nous devons surtout nous attacher à augmenter les produits.

Je n'ai pris la parole que parce que les orateurs inscrits ne se trouvaient pas à la séance.Comme je les vois maintenant à leur banc, je ne prolongerai pas mes observations en ce moment.

M. Dumortier. - Messieurs, en me levant pour prendre la parole dans cette discussion, je dois commencer par signaler à la chambre un fait qui mérite toute votre attention.

Vendredi dernier, M. le ministre des finances déclarait, dans l'autre chambre, qu'il fallait augmenter les ressources du trésor public de six ou huit millions. Le même jour, M. le ministre des travaux publics venait déclarer dans cette enceinte qu'il repoussait pour le trésor public les ressources que lui offrait la sectiou centrale.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je conteste que tel doive être le résultat du système de la section centrale.

M. Dumortier. - C'est ce que nous verrons.

Je me borne à constater les faits : Le même jour, l'un des membres du cabinet déclarait au sénat qu'il fallait une augmentation de ressources de 6 à 8 millions ; au même moment, à la même heure, M. le ministre des travaux publics déclarait dans cette enceinte qu'il repoussait le système de la section centrale, dont le résultat incontestable serait d'augmenter les ressources du trésor public et de faciliter au ministère même la mission qu'il a à remplir de balancer les recettes avec les dépenses.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une pétition de principe.

M. Dumortier. - J'entends M. le ministre de la justice dire : (page 760) C'est une pétition de principe ! Messieurs, je rencontrerai d'abord cette assertion : C'est une pétition de principe, c'est-à-dire que c'est juger là question par la question. S'il en était ainsi, je demanderais pourquoi, sur tous les chemins de fer de l'Europe, lorsqu'on augmente modérément le prix des places, on obtient une augmentation considérable de recettes. Ce n'est point une pétition de principe ; c'est une chose démontrée jusqu'à la dernière évidence, qu'une augmentation raisonnable opérée sur les tarifs augmente de toute nécessité les revenus du trésor public. Si vous contestez ce point, contestez qu'il fait jour en plein midi. Examinez les tarifs qui vous environnent. Sortez de vos frontières, allez voir le chemin de fer du Nord, les chemins de fer d'Allemagne.

Je reconnais que si on élevait les tarifs au-delà de ce que les voyageurs peuvent payer, on nuirait aux recettes ; mais jusqu'ici le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, n'a point taxé d'exagération la proposition de la section centrale, et il ne pourrait le faire, car le tarif qu'elle vous propose sera encore le plus bas de tous ceux qui existeront en Europe.

Maintenant, messieurs, sur quoi repose le système du gouvernement et sur quoi le système de la section centrale ?

Le système du gouvernement repose sur une nouvelle expérience. Ce qu'on veut faire, c'est un tarif provisoire jusqu'au 1er janvier prochain. C'est une expérimentation nouvelle afin de voir ce que l'on devra faire plus tard. Déjà un membre de la section centrale, dont nous apprécions les connaissances en pareille matière, l'honorable député d'Alost, a fait remarquer avec infiniment de raison que faire une pareille expérience, ce serait décider d'avance que le tarif que vous avez à voter sera en vigueur pendant deux années. Ainsi que l'honorable M. Bruneau l'a dit, l'expérience qui doit courir jusqu'au 31 décembre devra alors seulement être résumée. A cette époque, vous ferez vos relevés, vous présenterez des tableaux comparatifs, ce qui prendra plusieurs mois, puis vous nommerez une commission d'ingénieurs pour examiner ces tableaux.

Il en résultera que notre expérience nous mènera jusqu'en 1853 et que ce n'est qu'alors que vous pourrez améliorer les recettes. En attendant le trésor public restera dans la situation où il se trouve aujourd'hui. Voilà, messieurs, le système du gouvernement ; c'est la continuation, pendant deux années encore, de la situation actuelle.

Le système de la section centrale, au contraire, me paraît, à moi, excessivement heureux. Je l'ai accepté, parce que, je l'avoue, il m'a tout à fait séduit !

Le système de la section centrale n'est pas autre chose que celui qui est suivi sur plusieurs lignes du chemin de fer ; il consiste en deux points : maintien des prix actuels et presque de la même vitesse pour les convois ordinaires, destinés à ceux pour qui le temps est une chose peu importante ; ensuite création des convois de vitesse dont nous sommes, il faut le reconnaître, presque entièrement privés dans ce pays. Mais, en même temps, il dit aux personnes qui useront des convois de vitesse : Je vous donnerai de la vitesse en sus de celle que vous avez aujourd'hui, mais j'augmente les prix des places pour ces convois. Cela repose d'abord sur ce principe : « time is money », comme disent les Anglais ; le temps c'est de l'argent, ensuite sur cet autre principe : « do ut des », je vous donne pour que vous me donniez.

Voilà donc en deux mots tout le système de la section centrale ; il accorde à la classe des voyageurs aisés, pour qui le temps a l'importance d'une valeur pécuniaire très grande ; il lui accorde une vitesse plus grande, mais la vitesse est payée au profit du trésor public. Quant à l'ouvrier, quant au campagnard, pour qui le temps n'a pas l'importance d'une valeur pécuniaire aussi grande que pour l'homme fortuné, on le laisse généralement voyager, avec la même vitesse qu'aujourd'hui, aux prix actuels des tarifs.

Ce système réunit tous les avantages possibles ; il n'augmente pas le tarif actuel pour la classe peu fortunée ; il l'augmente pour la classe qui a le moyen de payer. Le résultat incontestable de cette combinaison, c'est d'augmenter les recettes du trésor public de plusieurs centaines de mille, francs, peut-être d'un demi-million par an.

Evidemment, cette augmentation n'est pas à dédaigner dans la situation actuelle de nos finances. Alors que nous nous trouvons en présence d'une demande de ressources nouvelles de 6 à 8 millions, ne devons-nous point, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, chercher à faire rapporter à la grande entreprise du chemin de fer tout ce qu'il est possible de lui faire produire, sans nuire à l'entreprise elle-même ?

On veut faire une expérience nouvelle. L'honorable M. Bruneau l'a dit : Vous ne faites, vous n'avez fait que des expériences, et vous contestez les résultats les plus clairs, les plus évidents de ces expériences. Vous voulez faire une nouvelle expérience ; eh bien, cette expérience sera encore soumise aux discussions de toutes les opinions, comme les expériences précédentes, et vous serez encore au même point. On viendra dire que l'expérience n'est pas bonne, parce qu'il a plu ; que l'expérience n'est pas bonne, parce qu'il a fait trop chaud ; que l'expérience n'est pas bonne, parce qu'il a fait trop froid ; qve l'expérience n'est pas complète, pour tel ou tel autre motif.

En définitive, le système des expériences dans lequel vous marchez depuis bientôt quinze ans ne nous apprendra rien de nouveau, parce que chacun pourra toujours trouver dans les résultats des expériences un argument à présenter en faveur de l'opinion qu'il professe.

Une expérience de tarif se compose d'une foule d'éléments dont les partisans systématiques du système le plus bas refusent de tenir compte.

Ainsi, je suppose que vous augmentiez la vitesse sur telle ou telle ligne ; n'est-il pas évident que, même sans changement au tarif, vous augmenterez nécessairement la circulation ?

M. le ministre des travaux publics fait reposer tous les résultats d'une expérience sur un seul et unique élément, c'est celui de la somme qu'on paye pour le parcours. Cette position que prend M. le ministre des travaux publics prouve à elle seule combien sont fausses les conséquences qu'il déduit de son élément unique d'appréciation ; mais il est un élément très important dont il ne tient nul compte ; c'est celui de la célérité, de la vitesse, qui est pourtant l'élément principal.

Comparez, par exemple, le résultat de la circulation par le chemin de fer, deux ou trois ans après qu'il a été ouvert ; comparez-le avec ce qui se passait, quand il n'y avait pas de chemin de fer, quand les voyages se faisaient en diligence, et vous verrez que, sur presque toutes les lignes, le nombre des voyageurs a été décuplé ; et cependant on paye, parfois, pour le transport en chemin de fer, autant qu'on payait autrefois en diligence. C'est donc la vitesse seule qui a amené cet accroissement considérable du nombre des voyageurs. La question de la vitesse est donc un des grands éléments de la prospérité du chemin de fer, et c'est de quoi le ministre ne tient aucun compte.

Augmentez la vitesse, faite circuler vos convois sur votre chemin de fer avec autant de rapidité que sur la plupart des grands chemins de fer de France et d'Angleterre, et vous verrez immédiatement augmenter la circulation.

Je le répète, ce système d'expérience est un système dans lequel on prend tout ce qu'on veut, au moyen duquel chacun pourra présenter sans cesse des arguments, sans arriver à un résultat.

En second lieu, il y a un inconvénient immense.

C'est celui de prolonger indéfiniment la situation du trésor public. Or, messieurs, quelle est la situation des chemins de fer vis-à-vis du trésor public ? Examinons.

Ouvrez, messieurs, la situation financière du chemin de fer dressée par la cour des comptes et remise à cette chambre, dans la séance du 15 mars dernier ; vous y verrez, et je prie la chambre de prêter toute son attention sur ce point, vous y verrez, dis-je, ce qui suit :

« Il résulte, dit la cour des comptes, de ce qui précède que le chemin de fer doit à l'Etat, pour avances que celui-ci lui a faites sur les budgets, déduction faite de 669,897 fr. 95 c. formant l'excédant des années 1835 et 1836, la somme de 44,845,771 fr. 03 c. »

En chiffres ronds, 45 millions de francs.

Voilà, messieurs, la perte que le trésor public a subie par le fait de la tarification du chemin de fer depuis sa création jusqu'au 31 décembre 1848. Si vous ajoutez à cette perte celle que l'Etat a subie en 1849 et 1850, perte que mon honorable ami M. Mercier, dans son rapport, a évaluée à la somme de 8 millions de francs, vous verrez que le chemin de fer, depuis son origine, a coûté au trésor public, non pas comme construction, mais comme perte annuelle sur la balance des recettes et des dépenses, la somme de 53 millions de francs.

Voilà, messieurs, la perte énorme que le chemin de fer, par sa tarification, a fait subir au trésor public.

Je ne pense pas ici devoir réfuter l'accusation si souvent mise en avant, que nous étions les ennemis du chemin de fer. Il ne s'agit pas ici d'amitié ou d'inimitié. Il s'agit d'une question de trésor public, d'une question de recettes. Evidemment, en pareil cas, nous devons nous borner à examiner les chiffres. Ces chiffres, je viens de vous les signaler ; la cour des comptes vous déclare qu'au 31 décembre 1848, il y avait 45 millions de francs de déficit sur les recettes, et depuis lors l'honorable M. Mercier, dans son rapport, évalue qu'il y a eu 8 millions de francs pour 1819 et 1850, de telle sorte que l'an dernier le trésor public se trouvait en déficit sur les recettes des chemins de fer pour l'énorme somme de 53 millions de francs. Cet état doit-il continuer davantage ? Pouvons-nous chaque année perdre pour 4, 5, 6 millions sur les recettes du chemin de fer ? Voilà la question que je vous pose. Pour mon compte, la question ainsi posée, l'est nettement, et je pense qu'il est impossible que le chemin de fer puisse continuer à perdre chaque année 4 millions au minimum sur les recettes, au détriment du trésor public. Le chemin de fer est une grande et noble entreprise, mais il faut éviter qu'il ne vienne à charge de l'Etat et du trésor public.

Que demandons-nous, messieurs ? Nous demandons de faire cesser cet énorme déficit, non pas peut-être en totalité, mais du moins de le restreindre petit à petit. Or, comme le disait fort bien à la dernière séance l'honorable M. Bruneau, au moyen de votre tarification, votre chemin de fer n'offre plus de confiance chez les financiers étrangers pour de nouvelles entreprises dans le pays ; toutes les bourses vous seront fermées en Europe, tous les capitaux vous fuiront tant que durera un état aussi préjudiciable. Il est encore plusieurs localités qui appellent des chemins de fer ; vous serez dans l'impossibilité de trouver les fonds pour ces chemins de fer, et cela parce que vos tarifs sont tellement bas que jamais capitaliste étranger ne sera assez irréfléchi pour mettre ses fonds dans un pays où l'on subit de telles pertes.

Nous disons, nous, que ceux qui veulent l'abaissement immodéré des tarifs des recettes sont les véritables ennemis du chemin de fer, parce qu'ils s'opposent à ce que les capitaux étrangers viennent se placer chez nous pour continuer une pareille entreprise.

Mais, vous dit-on, rien ne prouve qu'en haussant modérément les tarifs, vous aurez une recette plus forte. Si rien ne le prouve, il faut (page 761) convenir d'une chose ; c'est que tous les directeurs et entrepreneurs de chemins de fer, en Angleterre aussi bien qu'en France et en Allemagne, tous ces gens-là, pardonnez-moi l'expression, sont bien dépourvus d'intelligence, parce qu'ils ne voient pas qu'il faut abaisser considérablement les prix des transports pour réaliser des bénéfices, que nous seuls connaissons, comprenons ce qu'il faut pour faire rapporter beaucoup au chemin de fer, c'est-à-dire mettre les tarifs au plus bas possible ; que nous seuls enfin avons l'intelligence de la chose.

Voyez ensuite ce que vous dit la cour des comptes ; le système que nous avons suivi a donné pour résultat 45 et 8, c'est-à-dire 53 millions en déficit.

Il faut que tous les entrepreneurs de transport par chemin de fer soient obtus, complètement sans intelligence, pour suivre un système diamétralement contraire à leurs véritables intérêts.

Le revenu du chemin de fer du Nord qui, il y a quatre ans, était inférieur au nôtre, s'est élevée à 25 millions, tandis que le nôtre, dont l'étendue est plus considérable, produit 14 millions à peine. Le chemin de fer du Nord produit 10 millions de plus que le nôtre, et il ira peut-être à 30 millions cette année. Croyez-vous qu'on arrive à ce résultat en abaissant les prix, en les abaissant toujours ? Ce qu'il faut, c'est, comme je l'ai dit dans une précédente occasion, de chercher le chiffre heureux qui permet la circulation et élève en même temps les recettes. C'est ce qu'on a trouvé ailleurs. Malgré cela on s'entêtera à ne pas vouloir le comprendre ; et on ruinera et le trésor public et notre chemin de fer.

Rappelez-vous ce qui s'est passé il y a deux ans : M. le ministre des travaux publics est venu vanter considérablement le tarif des marchandises ; ce tarif infiniment abaissé devait amener un résultat immense. Le chemin de fer du Nord et le chemin des bords du Rhin allaient s'agenouiller devant cette conception, s'empresser d'y concourir en adoptant le même tarif.

Or, que s'est-il passé ? Le gouvernement a demandé aux sociétés des chemins de fer du Nord et rhénan d'envoyer des commissaires pour s'entendre sur l'acceptation de ces tarifs.

Qu'ont dit ces commissaires ? Mais, M. le ministre, pensez-vous que nous perdions la tête pour adopter de pareils tarifs ? Jamais nous ne le ferons ; ce serait la ruine de nos entreprises.

L'engagement de faire adopter le tarif belge par ces deux sociétés est encore à réaliser.

En revanche, le chemin de fer rhénan vient d'augmenter ses recettes en augmentant le tarif de ses voyageurs. Voyons comment les choses se passent : le chemin de fer rhénan, comme vous avez pu le voir par le rapport supplémentaire de M. Mercier, le chemin de fer rhénan a un tarif qui est précisément le double du nôtre.

En Belgique on paye en moyenne en première classe 38 1/2 centimes par kilomètre, sur le chemin de fer rhénan on paye 76 centimes ; c'est jusle le double du tarif belge. En seconde classe, on paye sur le chemin de fer belge 29 centimes ; sur le chemin de fer rhénan 58 centimes, encore le double de notre tarif.

En troisième classe nous payons sur notre chemin de fer 18 centimes ; on paye en Allemagne 38 centimes, plus que le double. Ainsi le tarif allemand dont on nous a fait si souvent l'éloge est plus du double du nôtre.

Si nous demandions une augmentation pareille, je concevrais qu'on fît entendre des réclamations, qu'on vînt dire qu'il y a exagération ; mais la proposition de la section centrale est excessivement loin de cela. Car les convois de vitesse qu'elle propose coûteront encore 10 p. c. de moins que les convois ordinaires du chemin de fer du Nord.

Je viens de citer les tarifs du chemin de fer rhénan. Voyez combien les étrangers spéculent sur l'abaissement de notre tarif. Pour aller de Cologne à Aix-la-Chapelle on paye 69 centimes par kilomètre ; mais pour venir d'Aix à la frontière on paye 76 centimes, 17 centimes de plus ; on se dit : Le voyageur ne s'en apercevra pas ; la Belgique a un tarif pour rien, cela fera la compensation.

En char à bancs de Cologne à Aix on paye 49 c. ; mais d'Aix à la frontière on paye 56 centimes, la même chose parce que le tarif belge fera la différence. C'est la stupidité de notre tarif qui fait que la société allemande fait des bénéfices à nos dépens. En wagons, quand on va en Allemagne, on paye 35centimes ; quand on vient en Belgique, on en paye 38. Le tarif allemand est combiné de telle manière, qu'il spécule sur l'abaissement de nos tarifs, pour en faire faire le bénéfice à la société allemande.

Devons-nous faire les affaires de la société rhénane d'une manière aussi folle ? Si un particulier se conduisait de cette manière, il aurait une route à suivre, qui le conduirait devant le tribunal du commerce pour entendre prononcer sa mise en faillite s'il est négociant ; si c'est un particulier, un hospice d'aliénés l'attendrait un jour. Jamais on n'a vu une tarification comparable à celle-là. On continue à imposer des pertes au trésor en présence de la possibilité d'élever le tarif.

Messieurs, jusqu'ici, on a fait beaucoup d'expériences ; elles démontrent que les abaissements de tarif sont ruineux.

M. le ministre a contesté les résultats de l'expérience faite en 1841. Je suis bien aise de voir à son banc M. Pirmez qui, ainsi que moi, faisait partie de la commission. Le travail fait à cette époque a été aussi consciencieux que cela nous a été possible, sans chercher des sujets de récrimination, mais pour arriver à un seul résultat, la vérité. Puisqu'on a tant parlé de cette commission, que sans cesse M. le ministre l'attaque, permettez-moi de lire un passage du rapport sur les résultats de l'expérience faite.

Vous savez que l'honorable M. Rogier, en quittant le ministère, avait introduit des modifications provisoires dans le tarif du chemin de fer. Cet abaissement portait surtout sur les waggons, ils avaient subi une réduction très forte ; les chars à bancs avaient eu aussi leur prix réduit ; M. le ministre a dit qu'ils étaient restés au même prix ; c'est une erreur ; on leur avait fait subir une autre opération, ils n'étaient pas remboursés comme vous les connaissez aujourd'hui. Quant aux diligences, il y avait eu quelques légères modifications de prix ; sur certaines lignes, il y avait eu une légère augmentation ; sur d'autres, il y avait eu abaissement ; sur d'autres enfin, il était resté le même ; mais sur l'ensemble, il y avait eu modification.

Quel fut le résultat de cette expérience après trois mois de comparaison avec les trois mois correspondants de l'année précédente ? Le résultat de l'expérience fut celui-ci : d'abord que les diligences furent désertées. Il m'est arrivé plusieurs fois à cette époque, et chacun de vous peut s'en souvenir comme moi, de me trouver seul en diligence. Cette sorte de voitures fut désertée. Pourquoi ? Parce qu'on avait amélioré les chars à bancs, parce qu'on les avait rendus très confortables, qu'en même temps on avait abaissé le prix des chars à bancs et que d'ailleurs sur beaucoup de lignes on avait élevé le prix des diligences.

Le principe était bon en lui-même. Le principe était celui-ci : Faisons payer celui qui a le moyen de le faire. C'était très juste en théorie, mais en application, on paye si l'on veut ; on ne paye pas si l'on ne veut pas ; et il en était résulté que beaucoup de gens avait quitté les diligences pour se porter dans les chars à bancs.

Mais d'un autre côté, les chars à bancs avaient perdu, malgré leur amélioralion et malgré qu'ils eussent reçu un grand nombre de voyageurs des anciennes diligences ; malgré cela ils étaient désertés par un nombre beaucoup plus grand de leurs voyageurs, par suite de l'abaissement considérable du prix de transport dans les waggons. Cet abaissement avait amené une augmentation de voyageurs à petite distance, mais une perte considérable pour le trésor public.

Voici, messieurs, comment la commission résumait l'expérience pour les voyageurs dans les trois mois qui venaient de se passer comparés avec les trois mois analogues de l'année précédente :

Il résulte de cette comparaison :

1° Qu'en 1841 il y a en 142,204 voyageurs de plus que dans les 3 mois correspondants de 1840, et que cependant les recettes ont été moindres, sur les voyageurs, de 101,338 fr. 75, sur les bagages, de 7,306 fr.29. Total 108,645 fr. 04.

On avait donc transporté 142,000 voyageurs de plus et l'on avait reçu 108,000 francs en moins. Voilà les résultats de l'abaissement des péages. Et après cela on vient vous dire que plus vous abaisserez, plus vous recevrez. Voilà l'expérience, voilà le résultat.

« 2° Que bien qu’il y ait eu dans les seuls waggons 146,673 voyageurs de plus qu’en 1840, la recette de ce chef a été néanmoins inférieure de 24,872 fr. 42 c. »

Voilà, messieurs, le résultat clair et évident de l'abaissement des tarifs, l'abaissement des recettes.

Mais on veut toujours écarter ces résultats de l'expérience, on vous dira plus tard : C'est la pluie qui en est cause. Mais si la pluie y avait été pour quelque chose, vous n'auriez pas eu 146,000 voyageurs de plus en waggons ; au contraire, lorsque le temps est mauvais, on est tenté de prendre les meilleures diligences et non les waggons. C'était donc l'argument contraire qu'il fallait tirer des résultats de la température.

« 3° Cette diminution paraît à la commission provenir : (A) de la réduction de 25 à 30 p. c. apportée sur le prix des waggons par le tarif provisoire ; (B) de celle de 50 cent, à 30 et même à 15 cent, dans les prix des petites sections conduisant aux grandes villes.

« 4° Que les chars-à bancs ont donné 10,805 voyageurs en plus qu'en 1840, et que, cependant, la recette a été moindre de fr. 12,993-25. »

Ainsi, encore sur les chars à bancs augmentation des voyageurs et diminution des recettes.

« Ce déficit provient de ce que les prix de cette espèce de voitures ont été généralement baissés. Il n'est donc pas étonnant que la recette ait été moindre avec un plus grand nombre de voyageurs en chars à bancs.

« 5° Qu'il y a eu diminution exlrèmedans le nombre des voyageurs en diligences ;

« Ce nombre a été, en 1840, de 69,159 fr.

« Et se trouve réduit pour 1841, à 53,825 fr.

« Différence en moins, 15,334 fr.

« Et par une suite nécessaire de cette réduction dans le nombre des voyageurs, le montant des recettes sur les diligences a été moindre de fr. 63,475-05 en 1841. »

Ainsi, tandis que dans les waggons il y avait en 146,000 voyageurs de plus dans les trois mois, que dans les chars à bancs il y avait eu 10,800 voyageurs de plus, il y avait eu au contraire réduction de 15,300 voyageurs dans les diligences.

« Et, par une suite nécessaire de cette réduction, ajoute la commission, dans le nombre des voyageurs, le montant des recettes sur ce point a été moindre de 63,475 fr. 05 c. La cause déterminante de cet abandon des diligences provient de ce qu'en rendant les chars à bancs beaucoup plus commodes, en les garnissant de coussins et de glaces, l'on a eu même temps réduit leurs prix, ce qui les fait préférer actuellement par (page 762) un grand nombre de voyageurs qui, avant le confortable des chars à bans, allaient en diligence. »

Voilà, messieurs, des résultats qu'il est impossible de dénier. Ces résultats comparés démontrent jusqu'à l'évidence, premièrement que l'abaissement des tarifs opère une réduction sur les recettes ; secondement que l'abaissement des waggons ou l'élévation des diligences opère un déclassement entièrement au détriment du trésor public ; troisièmement qu'une foule de circonstances peuvent modifier les receltes du chemin de fer.

D'abord si vous améliorez la manière de transporter, dans les voitures d'une classe inférieure, même en laissant les recettes au même niveau, vous engagerez par cela seul beaucoup de personnes qui voyagent dans les voitures d'une classe supérieure à prendre celles de la classe inférieure.

En second lieu, si vous abaissez les prix d'une manière disproportionnée, vous arrivez à ce résultat que l'on fuit encore par but d'économie les catégories supérieures pour arriver aux catégories inférieures.

Et ici, permettez-moi de le dire, c'est une très grave erreur que de représenter toujours les waggons comme n'étant fréquentés que par les ouvriers, que par le peuple. Il est un fait incontestable, et quiconque a voyagé en chemin de fer peut le dire, c'est qu'on voit souvent l'été des personnes possédant une grande fortune prendre les waggons de préférence, les unes par raison d'économie, les autres pour pouvoir user de la pipe ou du cigare.

Mais il est certain qu'un grand nombre de personnes pouvant parfaitement bien aller en diligence et même en payer quatre fois, six fois le prix, prennent les waggons uniquement par motif d'économie ; je sais encore que si l'on pouvait avoir la statistique des personnes qui se transportent en waggons à de grandes distances, vous verriez qu'il y a parmi elles beaucoup plus de personnes moyennées que d'ouvriers.

Les ouvriers qui voyagent en waggons ne vont qu'à de petites distances. Ce n'est que dans un cas exceptionnel qu'un ouvrier parcourt de grandes distances pour ses affaires.

En général, l'ouvrier va à quelques lieues en chemin de fer, et, sous ce rapport, des convois spéciaux et à prix réduit lui seraient extrêmement avantageux ; mais il demeure constant que pour les trajets à grandes distances les waggons sont occupés par des voyageurs qui peuvent payer ; et qu'ainsi, en supprimant les waggons dans les transports de vitesse, on ne fera rien quant aux ouvriers, mais qu'on favorisera le trésor public, aux dépens de ceux qui, par une économie sordide, refusent de payer ce qu'ils peuvent payer d'après leurs moyens.

La commission de 1840 a apporté quelques modifications aux tarifs. Le résultat a été qu'en 1842 le produit du chemin de fer s'est élevé à ce point que, dans un intervalle de deux années, alors que le chemin de fer n'était pas achevé, il y avait déjà deux millions et au-delà d'augmentation. Ainsi l'augmentation du tarif, loin d'avoir nui à la recette, l'avait immédiatement favorisée.

Ici de même si vous augmentez le tarif, bien entendu en admettant des bases modérées, en prenant ce juste milieu, qui est nécessaire en pareil cas, le chiffre heureux qui doit être le but de nos recherches, il est évident que vous aurez une augmentation infaillible pour le trésor public. C'est-à-dire que l'abaissement du tarif peut très bien augmenter le nombre des voyageurs à petite distance, mais sans augmenter le produit au profit du trésor public, et qu'au contraire une augmentation modérée du tarif produira infailliblement une augmentation de ressources pour le trésor public.

Voilà ce que je tenais à démontrer, et je crois l'avoir fait de manière qu'on ne puisse y répondre.

Maintenant viennent deux questions : le quantum du tarif, et le moyen de réaliser une augmentation de produits.

D'abord, je dirai au gouvernement que s'il n'était pas en mesure de soumettre à la chambre un système nouveau et définitif, il n'avait pas besoin de présenter le projet de loi. Le gouvernement est armé, depuis quinze ans, d'une loi qui lui permet d'arrêter les tarifs. S'il voulait faire une nouvelle expérience, il en avait la faculté.

L'an dernier, lorsque nous avons vu qu'il n'était pas possible de discuter la loi actuelle avant de nous séparer, nous tous, membres de la section centrale, nous avons engagé l'honorable M. Rolin, ministre des travaux publics à faire lui-même l'expérience. Le gouvernement ne l'a pas voulu ; et il veut qu'elle soit faite par la législature ! Mais pourquoi ne l'a-t-il pas faite lui-même, puisqu'il en avait le pouvoir ?

L'honorable M. Van Hoorebeke est ministre depuis une année ; puisqu'il voulait une nouvelle expérience, pourquoi ne l'a-t il pas faite lui-même ; rien ne s'y opposait. C'eût été alors du provisoire en forme, tandis que la loi, en présence de la situation du trésor public et du mauvais état des recettes du chemin de fer, devrait faire quelque chose de définitif.

Ainsi le gouvernement veut faire faire par une loi ce que depuis plusieurs années il avait le droit de faire faire par arrêté royal ! S'il ne se croyait pas assez éclairé par l'expérience, il pouvait en faire une nouvelle. Personne ne lui conteste ce droit.

Aujourd'hui que nous sommes obligés de procurer au trésor une augmentation de ressources de 6 à 8 millions que M. le ministre des finances déclare indispensables, nous devons, avant tout, pourvoir à ce que le chemin de fer couvre ses dépenses d'exploitation, les intérêts et l'amortissement du capital engagé.

C'est dans ce but que nous demandons une légère augmentation de tarif. Ainsi modifié, notre tarif sera encore extrêmement modéré ; car il sera inférieur de 10 p. c. aux tarifs des chemins de fer français, inférieur de 40 p. c. au tarif du chemin de fer rhénan. Personne ne peut contester que le tarif de la section centrale ne soit extrêmement modéré, le plus modéré de l'Europe, si l'on excepte quelques chemins de fer sans longueur et qui sont dans des conditions exceptionnelles.

Ainsi, le ministre a signalé que le tarif du chemin de fer de Cologne à Bonn est plus modéré que le nôtre et qu'il rapportait un beau produit aux actionnaires. Mais d'abord ce chemin de fer est en plaine, il n'a nécessité aucune espèce de travaux d'art, aucun déblai, aucun remblai : on n'a eu qu'à acquérir le terrain, niveler et placer les rails Quand un chemin de fer coûte si peu, il est tout simple qu'on ait un tarif très modéré et qu'il rapporte de beaux produits.

Si notre chemin de fer, réalisant les promesses que l'on nous faisait en 1834, dans la discussion de la loi du 1er mai, ne nous avait coûté, en moyenne, que trois à quatre cent mille francs par lieue, je crois que nous pourrions avoir un tarif aussi modéré. Mais nous n'en sommes pas là : il nous faut bien prendre l'établissement pour ce qu'il nous a coûté ; et la dépense a dépassé les prévisions d'une manière effrayante.

Quand nous avons voté en 1834 le chemin de fer de la Vesdre, saviez-vous ce qu'il devait nous coûter ? Je vous défie à vous, messieurs, d'indiquer un chiffre qui approche des prévisions auxquelles on s'arrêtait alors. Ce chemin de fer, pour tous les travaux (déblais, remblais, tunnels, ponts, et même pont sur la Meuse) devait coûter 2,245,000 fr. Et qu'a-t-il coûté ? Je ne saurais le préciser ; les évaluations varient entre 36 et 50 millions.

Il nous faut prendre le chemin de fer pour ce qu'il nous a coûté, et tâcher de rendre le trésor public indemne de la dépense qu'occasionne chaque année le chemin de fer ; aussi je regrette beaucoup que l'on ait diminué les péages du canal de Charleroy, sur lequel nous perdons 500,000 fr. par an.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Tout ce qui appartient à l'Etat doit rapporter le plus possible.

M. Dumortier. - Cet axiome est parfaitement exact. Il faut que tout ce qui appartient à l'Etat produise le plus possible, attendu que ce que vous obtiendrez ainsi, vous n'aurez pas à le prendre dans la poche du contribuable.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Comment faire pour cela ?

M. Dumortier. - En faisant comme les autres, en ne prétendant pas être plus malins que les autres, en faisant comme on fait en Angleterre, en France, en Allemagne. Vous obtiendrez ainsi les mêmes résultats qu'on obtient à l'étranger.

Pourquoi s'obstiner toujours à faire faire des expériences mauvaises, et à ne pas faire une expérience modérée au profit du trésor public ?

Il y a quelque chose d'extrêmement remarquable, c'csl que toutes les fois que nous avons vu croître les produits du chemin de fer, immédiatement on voit porter un arrêté pour abaisser les revenus. Comme si c'était un si grand malheur que le chemin de fer couvrît sa dépense. Pour moi, je pense tout à fait le contraire. Si le produit du chemin de fer excédait ses revenus, vous pourriez y apporter des améliorations considérables. Ainsi, il est constant que le chemin de fer, construit à une époque où nous n'avions pas l'expérience de tout ce qu'il fallait, est défectueux sous plus d'un rapport.

Par exemple, il est connu que nos rails sont beaucoup trop légers ; pourquoi ne pouvons-nous pas les changer ? Parce que le chemin de fer amène trop de perte chaque année. Il est connu qu'il y a beaucoup d'améliorations à apporter au matériel du chemin de fer ; eh bien, nous ne pouvons rien faire sous ce rapport, toujours à cause du fâcheux état des recettes. On n'augmente pas le matériel parce qu'en définitive ce serait une duperie de l'augmenter pour augmenter la perte. En effet, une fois que vous transportez à perte, plus vous multipliez les transports, plus vous multipliez la perte. Si, au contraire, vous transportiez avec bénéfice, plus vous augmenteriez les transports, plus vous augmenteriez le bénéfice.

Mais, dit-on, le système de la section centrale est inexécutable. Messieurs, cela est bientôt dit. C'est ainsi que, d'un trait de plume, on empêche toute amélioration.

Mais je demanderai à M. le ministre des travaux publics, si le système de la section centrale est inexécutable, pourquoi il n'en présente pas un qui soit exécutable et qui augmente les revenus du trésor ? Il est certain que le système proposé par le gouvernement et qui n'est que la continuation du système actuel, n'apportera aucune amélioration dans les réceltes. Que faites-vous par le projet de loi ? C'est de régulariser les prix actuels. H n'y a donc aucune amélioration à attendre de ce projet. Pourquoi donc, si vous trouvez que notre système est inexécutable, mauvais, ne proposez-vous pas un système meilleur, sauf, si vous le voulez, à ne l'appliquer que dans quelques mois ? Car enfin ce n'est pas une expérience que nous devons faire par la loi ; la loi n'est pas un arrête royal : le caractère d'une loi, c'est d'avoir au moins quelque durée.

Eh bien, présentez, si vous y tenez, un système transitoire de régularisation, mais qui soit suivi d'un système définitif, calculé de manière à donner une augmentation de revenus. Un système pareil, nous nous empresserions de l'accepter ; la section centrale l'aurait admis à l’unanimité. Mais, non, le gouvernement veut rester dans la vieille ornière, quelques efforts que nous fassions pour l'en faire sortir. Nous voulons, (page 763) nous, que le chemin de fer rapporte davantage afin d'éviter les lourds impôts dont le pays est menacé.

C'est inexécutable ! Encore une fois, rien de plus facile à dire. Mais M. le ministre des travaux publics nous permettra de ne pas être de son avis et cela pour deux motifs : d'abord que le système de la section centrale est accepté presque dans tous les pays.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Nulle part.

M. Dumortier. - Si l'honorable membre, qui aime à voyager en Angleterre, avait aussi voyagé en France, il aurait vu que le système de la section centrale y est exécuté.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Il n'existe pas en France.

M. Dumortier. - Mais, messieurs, chacun de vous a été à Paris, et vous savez fort bien qu'il y a. sur le chemin de fer du Nord, des convois ralentis et de vitesse. En Angleterre c'est la même chose, et toutes les dénégations du monde ne peuvent rien contre les faits.

Le second motif, messieurs, pour lequel je ne puis ajouter aucune espèce de foi à l'assertion très gratuite de M. le ministre des travaux publics, c'est qu'il nous a lui-même fait connaître, dans la dernière séance, que le système des convois ralentis et de vitesse a été proposé par qui ? Par l'homme qui en sait le plus en Belgique, sous ce rapport, par l'honorable M. Masui.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pas avec des prix différentiels.

M. Dumortier. - Nous y viendrons tout à l'heure ; mais il est certain que si le système des convois mixtes et de vitesse était inexécutable, M. Masui ne l'aurait pas proposé.

A mes yeux, l'opinion de M. Masui a beaucoup plus de valeur que l'opinion de M. le ministre des travaux publics. Un homme pratique, qui se trouve à la tête des chemins de fer depuis quinze ans, en sait plus qu'un ministre, quelque capable qu'il soit, qui est depuis six mois aux affaires.

Ainsi, messieurs, le système de la section centrale est exécutable parce qu'il s'exécute en France et parce qu'il a été proposé par l'honorable M. Masui.

Mais, dit-on, ce qui rend le système inexécutable ce sont les prix différentiels. Et pourquoi, messieurs ? Parce que cela gênera votre statistique. Mais que nous fait votre statistique ? Laissez là votre statistique. La plus belle statistique c'est la statistique des revenus, c'est la statistique qui résonne.

Si donc la statistique est un peu gênée par les prix différents, on fera comme on pourra ; mais quand nous verrons le chemin de fer rapporter au trésor public un million ou deux par an, nous ne porterons pas un grand deuil de la statistique.

M. le ministre vous dit encore : Il faut que les convois coïncident. Mais supposons un convoi de vitesse partant d'ici pour Ostende, il déversera ses voyageurs pour le midi à Gand ; là on prendra un convoi pour Tournay ; si ce convoi n'est qu'à petite vitesse, comment ferez-vous ? D'abord, messieurs, je crois qu'il est très facile de faire coïncider les convois de grande vitesse entre eux. Il ne peut pas y avoir le moindre doute à cet égard, car, en définitive, M. Masui n'aurait pas présenté ce système sans avoir fait le tableau des heures de départ et d'arrivée.

Il serait bien possible qu'il y eût ça et là, par exemple, à Hasselt, quelque empêchement ; mais, en définitive, on ne donnera des coupons de grande vitesse que là où la grande vitesse sera possible, et s'il y a quelques sections où il n'y aura qu'un convoi ordinaire, les voyageurs s’en contenteront comme ils s'en contentent aujourd'hui. Est-ce là une chose inexécutable ? Mais, messieurs, je connais des personnes qui chaque fois qu'elles viennent de Tournay, descendent à Leuze, pour prendre un second coupon, parce qu'il y a à cela une économie de 50 centimes. Si donc le système de la section centrale est inexécutable, c'est tout simplement parce qu'on ne veut pas autre chose que ce qui existe aujourd'hui.

Mais, dit M. le ministre des travaux publics, si nous entrevoyions une augmentation de recettes, quel motif pourrions-nous avoir pour nous y opposer ? Eh, mon Dieu, je vais répondre avec la franchise que j'ai toujours apportée dans les discussions.

Le motif de votre opposition à l'augmentation des tarifs, c'est une fausse popularité ; vous voulez être l'ami des commis voyageurs ; c'est pour cela que vous ne voulez pas augmenter les recettes du trésor public. Pour quelques-uns, c'est peut-être une question d'amour-propre ; pour d'autres, c'est une question de fausse popularité ; en dehors de ces motifs, je n'en vois pas d'autres.

Encore une fois, il demeure constant que, par le système de la section centrale, l'ouvrier, le peuple, pourra circuler sur le chemin de fer au prix auquel il y circule aujourd'hui ; mais l'homme appartenant aux classes aisées, en retour de la vitesse plus grande, payera quelque chose de plus ; en définitive, que lui fera une augmentation d'un franc, par exemple, pour l'avantage qu'on lui accorde de le transporter plus vite d'un lieu à un autre ? Nous-mêmes, nous nous servons toutes les semaines du chemin de fer ; nous aurions donc intérêt à voir le tarif le plus bas possible ; mais il y a ici un autre intérêt qui est bien plus élevé, devant lequel notre propre intérêt doit fléchir. C'est celui du trésor public dont nous devons à tout prix améliorer la situation ; mais malheureusement on ne se préoccupe pas assez de l'intérêt du trésor public, dans cette enceinte, et surtout dans les régions du gouvernement ; le gouvernement ne veut pas renoncer à un système qui nous a amené un déficit de 53 millions.

Ce système, c'est à ses yeux, une arche sainte à laquelle on ne peut pas toucher, sans passer pour un adversaire du chemin du fer ; en Belgique, on ne veut pas que nous fassions ce que font tous nos voisins : on ne veut pas qu'on élève les tarifs. Et encore une fois, tous vos voisins, la Prusse, l'Angleterre, la France, sont là pour vous dire unanimement : « Elevez modérément vos tarifs, et vous améliorerez yos recettes. »

Je désirerais beaucoup que M. le ministre des travaux publics voulût bien nous dire comment il se fait qu'en France, en Angleterre, en Allemagne, où les chemins de fer sont en rapport avec le nôtre, on n'adopte pas le système du gouvernement belge, malgré toutes les statistiques que l'on fait ; comment il se fait que toutes ces entreprises qui travaillent toutes au point de vue de l'intérêt privé, et vous savez que rien n'est plus intelligent que l'intérêt privé ; comment il se fait, dis-je, que toutes ces entreprises ont admis un tarif incomparablement plus élevé que le nôtre, et cela sans nuire en aucune façon aux produits ; en les élevant, au contraire ?

Pensez-vous que si le chemin de fer belge amenait les mêmes résultats que le chemin de fer français, quant à la recette, on se plaignît si fort dans le pays ? Mais, mon Dieu, avez-vous jamais entendu l'ombre d'une plainte dans le département du Nord de ce que le tarif du chemin de fer serait trop élevé, par exemple ? Avez-vous jamais entendu l'ombre d'une plainte en Allemagne de ce que le tarif serait trop élevé ? Mais personne ne s'est plaint ; et pourquoi ? Parce que, je ne puis assez le répéter, en matière de chemin de fer, la question d'argent ne vient qu'en seconde ligne ; la question principale, c'est la vitesse, c'est l'économie de temps.

Je demanderai à MM. les Luxembourgeois pourquoi ils demandent un chemin de fer. Je suis convaincu que si M. le ministre de la justice, que je vois à son banc, tient à avoir un chemin de fer pour Arlon, c'est surtout en vue de la grande question de l'économie de temps que cette nouvelle voie de communication doit procurer ; et qu'à ses yeux, cet avantage compensera largement l'augmentation du prix du transport qui pourra en résulter.

Il est donc démontré à la dernière évidence qu'il faut modifier le système actuel ; cela est indispensable. Or, le projet du gouvernement, c'est la consécration du système aeluel ; et si vous consacrez ce système, vous déclarez en même temps qu'il n'y aura pas d'augmentation de recettes. Eh bien, quand le projet de loi a été examiné dans les sections, il ne s'est manifesté parmi vous tous qu'une seule opinion : c'est qu'il fallait augmenter les recettes ; c'est que le chemin de fer devait nécessairement rapporter davantage. Voilà ce que tous vous avez déclaré dans les sections.

Qu'a fait la section centrale ? Elle n'a fait qu'exécuter vos intentions, elle s'est bornée à suivre l'impulsion que vous lui aviez imposée ; et, on doit le reconnaître, elle l'a fait avec un grand bonheur et une modération remarquable. Pour mon compte, je suis heureux d'avoir à défendre le système de la section centrale ; ce système n'est pas le nôtre, mais je dois le déclarer, je n'ai jamais vu un système plus favorablement combiné dans la situation actuelle du pays, que celui qui vous a été proposé par la section centrale ? Et pourquoi ce mode est-il si heureusement conçu ? C'est précisément parce qu'il laisse à l'ouvrier le moyen de circuler à bon marché sur le chemin de fer ; qu'il fait payer davantage aux riches pour augmenter la recette, et qu'en imposant aux riches une taxe un peu plus forte, il augmente pour eux la célérité qui est le but principal du chemin de fer. Ici se trouvent donc appliqués les deux axiomes que je rappelais en commençant ; « time is money » ; « do, ut des ».

Mais si vous renvoyez le système de la section centrale à plusieurs années, on ne pourra plus le mettre à exécution ; vous allez le comprendre : on a créé depuis quelque temps, sans augmenter les prix, des convois de grande vitesse dans différentes directions ; eh bien, si cet état de choses se maintient, plus tard vous ne pourrez plus dire aux voyageurs : « Je vous donne un accroissement de vitesse, mais vous payerez un prix plus élevé. » Vous ne pouvez plus le leur dire, après les avoir transportés gratuitement à grande vitesse.

Messieurs, nos chemins de fer marchent avec trop peu de célérité. M. le ministre des travaux publics a beaucoup glorifié la célérité de notre chemin de fer ; je ne puis nullement partager cet avis ; il est inconteslable que notre chemin de fer ne marche pas comme il devrait marcher ; et pourquoi en est-il ainsi ? Précisément parce qu'on économise trop sur la houille et sur tout, pour pouvoir toujours équilibrer les recettes avec les dépenses ; et cela, en définitive, par cette seule et unique raison que le tarif ne rapporte pas assez. Le jour où le tarif rapportera davantage, vous pourriez accélérer la vitesse.

Il y a, je le sais, quelques convois qui vont avec une rapidité convenable ; ainsi, par exemple, le convoi de Bruxelles à Ostende marche avec une grande célérité ; mais il n'en est pas de même sur toutes les lignes ; je reconnais que depuis l'année dernière on a introduit des améliorations ; mais il n'y a pas encore deux ans que sur presque toutes les lignes, les convois ne marchaient qu'à raison de 5 lieues à l'heure. Aujourd'hui même, il est encore des convois qui ne marchent qu'à raison de 4 et même de 3 lieues à l'heure ; ce sont des convois mixtes.

Ainsi, par exemple, de Tournay à Bruxelles, vous avez un convoi qui part de la première ville, à midi et un quart, et qui arrive à Bruxelles, à 5 heures ; il n'a donc fait que 18 lieues en 5 heures moins un quart ; cela ne fait pas quatre lieues à l'heure…

- Un membre. - Et les temps d'arrêt ?

M. Dumortier. - (page 764) Il faut compter les temps dans tous les systèmes.

Il y a des convois qui ne font que trois lieues à l'heure ; eh bien laissez à l'ouvrier les convois mixtes de 3, 4 ou 5 lieues, et vous aurez fait pour lui tout ce qu'il est possible de faire ; mais faites rapporter quelque chose par ceux qui ont le moyen de payer davantage.

Je me résume : il nous faut absolument sortir du provisoire. Or, le système que propose le gouvernement, ce n'est autre chose que la continuation du provisoire ; ce provisoire, quant à la recette, laisserait le trésor public exactement dans la situation où il est aujourd'hui. Messieurs, vous ne pouvez pas vouloir le maintien d'un état de choses que je qualifie d'abusif, que vous avez reconnu tel dans vos sections, et qui, prolongé, empêchera toutes les améliorations qu'il est nécessaire d'apporter au service du chemin de fer. Je le répète, il nous faut sortir du provisoire, il nous faut améliorer les recettes.

Si le gouvernement était venu proposer à la chambre un projet de loi régularisant, comme il l'a fait, pour quelques mois, sauf dans six mois à avoir une augmentation quelconque sur les voyageurs, nous-mêmes et la section centrale, nous renoncerions, je crois, à son système. Mais le gouvernement persiste dans son système, d'expérience jusqu'au 31 décembre, système qui, ainsi que l'a dit l'honorable M. Bruneau, amènera des résultais funestes. Ce système doit finir. Vous avez eu le temps de faire des expériences. Faisons des expériences de recettes modérées, et voyant s'il arrive alors que le chemin de fer avec une élévation modérée ne rapporte pas autant au trésor public. Mais croyez bien que nous serons les premiers, car nous n'y mettons pas d'entêtement, nous serons les premiers à venir vous demander des tarifs à un taux moins bas. Mais faites donc une expérience en fait. Voilà ce que nous demandons, et en cela je crois que nous sommes excessivement raisonnables quand, après quinze années d'expérience, nous demandons une chose modérée afin d'améliorer les ressources du trésor public.

Je dis donc que si le gouvernement vient nous présenter un système qui amène une augmentation de recette, pour mon compte je m'y rallierai ; mais que si le gouvernement persiste dans son système j'engage la chambre à voter le système de la section centrale.

Proposition de loi sur l'indigénat des personnes nées en Belgique de parents qui y étaient domiciliées à l'époque et depuis 1815 jusqu'à l’an 1830

Développements et prise en considération

M. Destriveaux (pour une motion d’ordre). - Si la chambre me le permet, j'aurai l'honneur de motiver le projet de loi dont les sections m'ont permis la lecture.

- La chambre accorde à M. Destriveaux l'objet de sa motion d'ordre.

M. Destriveaux. - Plusieurs individus, se trouvant dans cette catégorie et se croyant réellement Belges, et jouissant de tous les droits de l'indigénat, ont recherché des fonctions ou des emplois auxquels les indigènes seuls peuvent être appelés ; mais ils ont rencontré dans les administrations supérieures une opposition qui, sans être hostile aux capacités ou à la moralité des impétrants, était fondée sur l'incertitude de leur légitimité politique ; la non-admission n'était donc motivée sur aucun fait irrelevant et perpétuel, elle avait plutôt un caractère conditionnel et suspensif.

Plusieurs personnes, voulant faire définir avec autorité leur état politique et la jouissance des droits qui y sont attachés, ont présenté à la législature des demandes de grande naturalisation.

La chambre, récemment saisie d'une de ces demandes, frappée de la conformité de la jurisprudence de la cour de cassation, des avis des procureurs généraux près des cours d'appel et du ministère de la justice, et ne trouvant aucune objection sérieuse qui pût être élevée contre l'application de l'article 8 de la Loi fondamentale de 1815, reconnaissant comme constant que l'impétrant, ayant réellement la qualité et les droits de citoyen belge, a prononcé l'ordre du jour motivé sur ce que sa demande était superflue et sans objet.

Cette décision, que nous croyons être inévitable dans l'état des choses, n'a pas en elle-même un caractère impératif tel qu'il entraîne le devoir de l'obéissance ; des hommes éclairés y ont trouvé l'expression d'une opinion fondée, il est vrai, mais n'ayant aucune espèce de sanction ; ils ont pensé que l'opinion pouvait changer et la jurisprudence subir des modifications ; nous avons cru que, dans une matière aussi grave, il fallait faire disparaître toute incertitude et consolider les droits par l'autorité de la loi.

En conséquence, nous avons l'honneur de vous soumettre le projet de loi dont la teneur suit :

« Art. 1er. Tout individu, né en Belgique avant et depuis l'an 1814 jusqu'à la promulgation de la Constitution de 1831, de parents qui y étaient domiciliés, jouit de la plénitude des droits politiques et civils attachés à la qualité de Belge.

« Il en est de même s'il est né à l'étranger pendant une absence de ses parents, temporaire ou pour service public. »

« Art. 2. Il n'est déroge par la présente loi à aucune autre disposition législative sur la matière.

- La proposition de M. Destriveaux est appuyée.

M. Dumortier. - J'ai appuyé moi-même la proposition de l'honorable M. Destriveaux. La chambre se rappellera que, l'an dernier, j'avais eu l'honneur de lui dire que mon intention était de présenter un projet de loi dans un sens à peu près analogue.

L'honorable ministre de la justice de cette époque m'avait prié de soumettre un rapport avec lui. J'avais formulé un projet qui renfermait quelques autes points qui nécessairement doivent marcher de pair avec celui de l'honorable M. Destriveaux.

Je pense donc que les sections pourraient examiner simultanément l'une et l'autre proposition.

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je pense que l'honorable M. Lebeau demande la parole pour soutenir la prise en considération immédiate.

M. Lebeau. - Positivement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'intention du gouvernement n'est pas de s'opposer à la prise en considération. Cependant ce projet présentera une question préalable. Il s'agira de savoir jusqu'à quel point la chambre peut ou doit interpréter aujourd'hui l'article 8 de la loi fondamentale. Avant qu'il n'y ait divergence d'opinion entre les tribunaux sur l'interprétalion à donner à cet article 8, il y a lieu de savoir jusqu'à quel point nous pouvons en ce moment interpréterpar voie d'autorité. C'est là une question à l'examen de laquelle je n'entends pas renoncer.

Je ne vois donc pas de difficulté à la prise en considération. Comme c'est là un point de droit très ardu, qu'à la loi proposée par M. Destriveaux se rattachent d'autres points également fort difficiles, je demanderai que la proposition soit renvoyée aune commission spéciale.

M. Lebeau. - Je crois qu'il ne s'agit en ce moment que de savoir si la chambre votera la prise en considération. Je pense que ce que vient de dire M. le ministre de la justice milite au contraire pour que la prise en considération ait lieu ; car la prise en considération est le chemin de l'examen approfondi auquel la chambre et les sections se livreront. Il paraît y avoir dissentiment de la part de M. le ministre de la justice et de la part de M. Destriveaux et il ne doit pas y en avoir.

Du moment où la chambre aura prononcé la prise en considération, M. Dumortier sera autorisé à déposer sur le bureau tels amendements qu'il jugera convenable ; ils seront renvoyés à la commission avec la proposition de loi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai déclaré que je ne faisais aucune opposition à la prise en condération. Seulement, je me réserve de discuter ultérieurement les diverses questions que la proposition peut soulever.

- La prise en considération est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Comment veut-on que la proposition soit examinée ?

- Plusieurs voix. - Par une commission spéciale.

- D'autres voix. - Par les sections.

M. de La Coste, rapporteur. - Je répéterai une observation qui a déjà été faite, c'est que les sections n'ont rien à faire.

M. Delehaye. - La proposition soulève des questions de droit très controversées ; il serait préférable que l'examen en fût fait par une commission spéciale. Les sections vont avoir beaucoup de travail, car la chambre est saisie d'un grand nombre de projets de lois qui tous ont été renvoyés à leur examen.

- La chambre décide que la proposition sera renvoyée à l'examen, d'une commission spéciale nommée par le bureau.

Projet de loi fixant le tarif des voyageurs sur les chemins de fer de l’Etat

Discussion générale

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, après avoir vainement réclamé, en maintes circonstances ,l'exercice d'une prérogative consacré, par la loi du 1er mai 1834, vous êtes enfin appelés pour la première fois à discuter et à arrêter les tarifs des voyageurs des chemins de fer, que l'administration a été autorisée à construire aux frais du trésor public

Cette discussion est d'une haute importance, car les conclusions que vous prendrez, exerceront de l'influence sur le trésor public.

Et vous n'ignorez pas que le trésor suffit avec peine aux exigences toujours croissantes du gouvernement, aux crédits supplémentaires qui vous sont proposés, et qui vous seront proposés encore, je ie crains bien, dans un avenir prochain.

Ce mode de procéder, qui consiste à présenter le budget en fragments successifs, a un avantage pour le gouvernement, je le conçois ; un état de propositions de credits déposées in-globo effaroucherait la législature par l'élévation de son chiffre. Il est plus habile de procéder par doses présentées à des reprises différentes ; elles s'avalent plus facilement.

Messieurs, vous me permettrez, j'espère, à cause de l'importance de la question que vous discutez, de ramener votre attention sur les faits antérieurs, qui ont prépare la situation où se trouve l'administration, la direction des chemins de fer construits par l'Etat.

Il importe de préciser les actes qui caractérisent la situation d'aujourd'hui.

Il est nécessaire de vous les rappeler, car un état provisoire maintenu par le gouvernement pendant quinze ans les a fail perdre de vue.

La loi du 1er mai 1834 a autorisé l'administration à construire un système de chemin de fer.

La législature, après de longs débats, a donné la préférence pour leur construction à l'intervention de l'Etat, au lieu d'avoir recours à l'industrie privée.

(page 765) Les produits immenses que les organes du gouvernement faisaient miroiter devant elle ont contribué à lui faire prendre cette détermination.

La section centrale se fiant aux calculs présentés par le gouvernement, disait dans son rapport sur la loi de 1834 :

« Il n'y a aucun motif plausible d'abandonner à des particuliers des bénefices certains. Il est au contraire de son devoir de les faire tourner au profit de la généralité, en en faisant l'objet d'un revenu après l'extinction des charges. »

C'est à cette section centrale que nous devons l'article 5 de la loi du 1er mai, qui veut que les produits du chemin de fer servent à couvrir les intérêts et l'amortissement des emprunts,et de plus les dépenses d'entretien et d'administration de la voie.

La section centrale et la chambre, séduites par les calculs des organes du gouvernement, donnèrent la préférence à l'intervention de l'Etat, parce qu'elles voulurent réserver les bénéfices de l'entreprise au trésor public.

Persuadées que les bénéfices seraient considérables et certains, elles stipulèrent dans la loi que les chemins de fer ne pouvaient être une charge pour le pays.

L'on peut donc affirmer que, si la législature avait pu prévoir que les chemins de fer fussent devenus une charge incommode pour les contribuables, elle en eût abandonné la construction à l'industrie privée, au lieu de la confier à l'Etat ; ceci me paraît incontestable.

C'est donc contrairement aux intentions des fondateurs des chemins de fer, contrairement à l'esprit de la loi de 1834, que le gouvernement a maintenu pendant 15 ans des tarifs qui ne sont pas rémunérateurs ; je tiens à constater ce fait.

La loi du 1er mai 1834 avait chargé la législature du soin de fixer les péages.

Mais en 1835 la chambre céda provisoirement cette pérogative au gouvernement sur sa demande, et de plus elle l'autorisa indirectement à exploiter les voies ferrées à titre d'essai.

Ce sont là les seuls titres du gouvernement à l'exploitation ; il n'en a jamais obtenu de définitifs.

Aucun texte de loi ne l'autorise à exploiter nos voies ferrées. Il n'y a été autorisé qu'indirectement par le rapport de la section centrale du 2 avril 1835, et par les lois de budget.

Nous allons examiner les motifs, qui ont déterminé la chambre à autoriser le gouvernement à fixer les tarifs et à exploiter les chemins de fer.

Nous examinerons si l'administration a rempli les conditions qui lui ont été imposées, quand la chambre s'est dessaisie d'une prérogative d'une immense importance, puisque l'exercice de'cette prérogative à une influence notable sur nos finances, et je dis plus, sur l'existence du pays.

Je dis sur l'existence du pays, car que deviendrions-nous, messieurs, que deviendrait notre indépendance, si la guerre venait à tarir cette source si notable de nos revenus ? Ce ne sont certes pas les 6,000 personnes employées aux chemins, qui contribueraient à nous défendre !

Pourquoi le gouvernement a-t-il demandé à exploiter les chemins de fer et à régler ses péages ? Pour combien de temps a-t-il réclamé cette faculté ?

Nous allons le voir dans l'exposé des motifs du projet déposé le 23 mars 1835, projet qui a donné le jour à la loi qui autorise le gouvernement à fixer les péages, et qui a été prorogée d'année en année jusqu'à présent. En voici un extrait :

Le gouvernement, après avoir demandé à établir provisoirement les péages et les règlements d'exploitation, disait :

« Il a été reconnu que la nouveauté du moyen de transport par chemin de fer rend nécessaire l'intervention directe du gouvernement dans l'exploitation, parce que cette intervention doit le mettre à même de connaître les revenus et les besoins de la route. Le mode de régie directe fournira au gouvernement, par la pratique de l'exploitation, les éléments nécessaires à une tarification définitive, et à la rédaction du cahier des charges et règlements de voirie, si plus tard le mode d'exploitation par adjudication venait à être préféré. »

La section centrale chargée de l'examen de cette proposition, y donna son adhésion en faisant les réserves suivantes ; son rapport est du 2 avril 2835 :

« Le gouvernement peut-il être autorisé, s'est demandé la section centrale, à exploiter provisoirement la route ? Cette question a été résolue affirmativement.

« Toutefois, la section centrale n'a été déterminé à voter dans ce sens, que par les considérations de l'exposé des motifs ; il a été reconnu en principe que la nouveauté en Belgique des moyens de transport par une pareille voie rendait nécessaire l'intervention directe du gouvernement dans l'exploitation première de la route, intervention qui doit le mettre à même d'apprécier exactement les revenus et les besoins du service ; que le mode de régie directe présenle l'avantage de faire fructifier immédiatement au profil de l'Etat toutes les parties du chemin de fer à mesure de son achèvement, et de fournir au gouvernement par la pratique de l'exploitation, les éléments qui doivent servir à une tarification définitive, et à la rédaction des cahiers des charges, afin de pouvoir adopter plus tard le mode d'exploitation par adjudication ; enfin qu'il ne s'agit que d'une mesure provisoire. »

Ainsi, messieurs, vous le voyez, il est clair que la délégation accordée au gouvernement n'avait d'autre but que de permettre à l'administration de faire l'épreuve de la valeur productive du chemin de fer, afin de pouvoir en livrer l'exploitation à l'industrie privée, tout en assurant avec certitude au trésor une part suffisante dans les produits,

La discussion qui suivit le prouve à satiété, et remarquez que le gouvernement n'osa pas demander que le monopole de l'exploitation des voies de transport lui fût conféré par la loi, tant il était pénétré de l'idée que l'exercice de ce monopole rencontrerait des répugnances invincibles ; il se borna à réclamer indirectement ce pouvoir dans l'exposé des motifs, et cela pour une courte durée et avec bien des détours.

Aussi, lors de la discussion publique, personne ne se leva pour soutenir le monopole.

Plusieurs virent dans la proposition du gouvernement une tendance à s'en emparer, et ils la combattirent avec énergie.

La proposition du gouvernement fut adoptée par la majorité, parce qu'on fit valoir qu'un essai était indispensable, que cet essai n'était demandé que pour une année.

L'honorable M. de Puydt déclara que cet essai manquerait son but ; que l'Etat, n'étant pas industriel, exploiterait dans des conditions onéreuses : que les conditions premières de l'exploitation étant aggravées, il était évident que l'excédant des dépenses qui en résulterait influerait sur le prix des transports ; que l'Etat et le commerce seraient lésés.

Par le monopole, disait-il, le gouvernement reste seul arbitre.

Vous n'avez plus d'éléments que ceux qui se déduisent de ses dépenses ; et comme elles seront plus élevées, vous arriverez à des prix désavantageux.

L'honorable M. Gendebien disait : Si le gouvernement se constitue voiturier, entrepreneur de diligences ; cela devient une régie comme celle des tabacs, etc. Quand on sera entré dans cette voie, il sera dîfficile d'en sortir, etc.

L'honorable M. Jullien disait : Le gouvernement se faisant monopoleur crée un personnel qui va s'attacher au budget, et vous savez que quand on attache au budget un personnel quelconque, il est difficile de l'en détacher. Le monopole est paresseux, il est insouciant, il est insolent,

« Le ministre de l'intérieur a demandé tout à l'heure, disait-il, pourquoi le gouvernement abandonnerait des bénéfices certains ; la réponse est facile, le gouvernement ne doit pas faire de bénéfices au moyen d'un monopole, il doit lui suffire de retirer l'intérêt et de couvrir l'amortissement des capitaux, ainsi que l'entretien des travaux. »

Voici comment s'exprima l'honorable M. Liedts, notre ancien président, dont le langage fut toujours si sage et si circonspect : « Tout le monde convient, disait-il, que le monopole est un mal. Cependant, on veut dans cette circonstance nous le faire considérer comme un mal nécessaire, parce qu'il peut servir à déterminer plus tard les tarifs. Il me semble que le moyen proposé est le moins propre à conduire à une juste évalualion des taxes pour le transport.

« En donnant actuellement au gouvernement l'exploitation de Bruxelles à Malines, j'ai d'autres craintes. Je crains qu'il ne se serve de ce vote comme d'un précédent pour obtenir l'exploitation de toutes les autres sections. A défaut de raisons, on ne manquera peu de prétextes pour faire des demandes semblables à celle sur laquelle nous délibérons. L'on vous dira que l'expérience est incomplète.

« D'année en année on obtiendra de vous la continuation de l'exploitation, et en attendant l'application d'un autre système, on vous créera un personnel nombreux, que vous ne pourrez plus faire sortir de vos budgets. »

L'honorable M. Gendebien ajoutait encore :

« S'il faut parler franchement, je crois que la pensée du gouvernement est de s'embarrasser d'un personnel nombreux, afin de le garder définitivement. (L'honorable M. Rodenbach interrompait en disant : Les chambres ne sont-elles pas là ?) Sans doute les chambres sont là, reprenait M. Gendebien, mais une fois que le gouvernement aura obtenu d'elles la faculté de nommer le personnel… la régie se perpétuera et vous serez entrés dans une fausse voie, etc., etc. »

Lors de la discussion annuelle qui tendait à renouveler les pouvoirs du gouvernement, l'opposition livra encore un combat en 1837.

L'honorable M. Desmet déclara qu'il n'avait pas compris que la loi autorisât le gouvernement à exploiter ; il ajouta : Quand le gouvernement exerce un monopole, il faut au moins qu'il en résulte des bénéfices pour le trésor.

L'honorable M. Gendebien disait : Vous savez combien on se fait peu scrupule de voler le gouvernement.

L'organe du gouvernement dit :

« Il n'y a pas déficit : il faut que les trois sections supportent l'intérêt et l'amortissement des sommes engagées pour les construire, et elles les couvriront. »

Enfin l'honorable M. Rogier disait, pour couper court aux discussions : « Lorsque le gouvernement viendra proposer un projet définitif sur le mode d'exploitation, ce sera le moment de discuter les avantages ou les inconvénients de tel ou tel mode. »

Vous le savez, messieurs, les craintes et les prédictions de l'opposition ne se sont que trop réalisées.

Le gouvernement n'a tenu aucun compte de ses engagements. Les chemins de fer, loin de procurer des bénéfices, que je ne leur demande pas pour ma part, ne couvrent pas les dépenses qu'ils occasionnent.

Le gouvernement avait demandé à exploiter à titre d'essai, pour peu (page 766) de temps, et il exploite depuis quinze ans, comme s'il en avait obtenu l'autorisation définitive.

Il ne paraît pas même disposé à nous soumettre un projet de loi destiné à déterminer le mode d'exploitation, et le mode d'exploiter plus ou moins en détail exerce cependant une grande influence sur la recette.

Le gouvernement avait demandé à faire des essais de tarifs, afin d'en soumettre de définitifs à notre sanction.

Il fait des essais depuis quinze ans, et il ne parle que de nouvelles expériences à faire ; et il ne présente que des projets de tarifs incomplets, puisque ceux des marchandises n'y sont pas compris.

Le gouvernement avait demandé à exploiter, afin de faire profiter immédiatement le pays des bénéfices de l'exploitation, et le pays n'en retire que des pertes considérables.

La loi de 1834 avait mis pour condition à l'intervention de l'Etat, que les produits couvrissent les intérêts et l'amortissement des capitaux engagés.

Cette clause du contrat intervenu entre le gouvernement et la législature est même contestée par le gouvernement d'aujourd'hui, et il s'obstine à maintenir depuis quinze ans, à titre d'expérience, des tarifs non rémunérateurs, qui font des chemins de fer une lourde charge pour les contribuables.

Enfin la loi de 1846 sur la comptabilité publique faisait une obligation de présenter un projet de loi pour organiser la comptabilité des recettes du chemin de fer. Le délai indiqué par la loi est la session 1846 -1847. Le projet de loi présenté par l'ancien cabinet a disparu avec la dissolution parlementaire, et le gouvernement ne tient aucun compte des prescriptions de l'article 55 de la loi de 1846 ; et en attendant le mode de perception des produits des chemins de fer s'opère illégalement.

L'administration des chemins de fer de l'Etat est à l'état de provisoire et d'expérience depuis quinze ans.

Cela importe peu au gouvernement, pourvu qu'on lui renouvelle chaque année la loi de péages.

Plus ce renouvellement s'opère souvent et plus ces renouvellements assurent la position qu'il occupe ; voilà pourquoi il persiste toujours dans son système d'expérience.

Car, remarquez-le, messieurs, les expériences ne peuvent rien nous révéler de nouveau, puisque le gouvernement maintient son système des bas tarifs.

Quant à moi, messieurs, il me semble que cette expérience a dur' trop longtemps, et que nous avons le droit de demander qu'elle s'arrête, car nous en payons les frais.

Au reste, personne n'est satisfait de la situation présente.

Le commerce se plaint, malgré des tarifs réduits immodérément, de manquer de matériel et de magasins.

Les contribuables se plaignent de ce qu'on les menace de charges nouvelles nécessaires pour couvrir le déficit des chemins de fer.

Et ici je tiens à établir clairement ce déficit, car je m'aperçois qu'on cherche encore à répandre des doutes sur cette question, résolue cependant par la cour des comptes. L'honorable M. Bruneau établissait, il y a peu de jours, la situation financière des chemins de fer de l'Etat à l'égard du trésor dans les termes suivants :

« La situation des chemins de fer n'est pas aussi mauvaise qu'on semble le croire. Si vous considérez le résultat de l'année dernière, vous verrez que le produit net s'élève à une somme d'au-delà de 6,000,000.

« En admettant un capital de 200,000,000 pour frais de leur établissement, intérêts compris, vous aurez un intérêt de 3 p. c. »

Messieurs, ce n'est pas de cette manière qu'il faut envisager la situation, quand on veut se rendre compte de l'influence de l'exploitation par le gouvernement sur le trésor public.

Il importe de procéder de la manière suivante :

Il faut comparer les dépenses prélevées sur les budgets pour les chemins de fer avec les recettes que leur exploitation a produites.

Les chiffres que je vais produire sont extraits de la situation établie par la cour des comptes au 31 décembre 1848, par suite de la décision de la chambre.

Voici les pertes subies par le trésor, d'après trois hypothèses : Il n'a été procédé dans aucune de ces situations comme le ferait le commerce, car un négociant ajouterait aux intérêts effectifs des capitaux engagés les intérêts accumulés, et c'est ce que la cour n'a pas fait. D'après la première situation :

Le budget de la dette publique a été grevé pour payer les intérêts des capitaux empruntés pour la construction, abstraction faite des dépenses de l'amortissement, d'une dépense de 67,998,776 fr. 35

Le budget des travaux publics porte en dépenses pour l'exploitation 62,161,048 fr. 84

Total des sommes dépensées 130,159,825 fr. 19.

L'exploitation a donné en produits 103,492,070 fr. 32.

Déficit 26,667,754 fr. 87 c., somme que les contribuables ont payée à la décharge des chemins de fer, pour les intérêts des capitaux empruntés et les frais d'exploitation d'après cette première situation.

Je passe à la deuxième situation :

Ajoutons aux intérêts des capitaux engagés les dépenses que l'amortissement nécessite et la dépense qui a grevé le budget de la dette publique s'élève à 86,176,792 fr. 51.

Dépenses de l'exploitation 62,161,048 fr. 84

Total de la dépense 148,337,841 fr. 35.

Les produits s'élevant à 103,192,070 fr. 32, je constate que le déficit produit par les chemins de fer et comblé par les contribuables s'élève à 44,845,771 fr. 03.

Maintenant si j'ajoute à ce dernier résultat :

1° La perte occasionnée par les emprunts, en déduisant le produit effectif du capital nominal, soit.. 19,323,791 fr. 83 ;

2° Les intérêts des capitaux prélevés sur les contribuables, soit 10,229,351 fr. 64 , soit 29,853,143 fr. 47, la somme totale des pertes directes subies par le trésor, par suite de l'entretien et de l'exploitation des chemins de fer, s'élève à 74,698,914 fr. 50.

Il est clair que tout ce que le chemin de fer a donné en moins, le contribuable l'a donné en plus. Cela est incontestable.

Maintenant, messieurs, est-il juste, est-il équitable d'imposer des charges aux contribuables pour combler le déficit créé par l'exploitation des voies ferrées dirigée par l'Etat ? Telle est la question que je me propose d'examiner.

J'ai entendu un ministre tenir, dans cette enceinte, le langage suivant : c'était le 18 décembre 1848 :

« Vous ne demandez pas à ceux qui ont recours à la justice découvrir les frais qu'elle nécessite. Pourquoi seriez-vous plus sévères pour ceux qui usent de vos voies ferrées ? »

Cette interpellation, faite par un membre du cabinet, m'a étonné ainsi que plusieurs de mes collègues ; aussi en ai-je pris note.

Messieurs, il me semble que l'impôt n'est légitime, ne peut être réclamé avec justice que pour subvenir à des services dus par l'Etat à la société ; je ne pense pas que ce principe puisse être controversé.

Or, je vous le demande, messieurs ; le service de traction sur les routes, les services de messagerie et de commission, peuvent-ils être rangés parmi ceux que le gouvernement est tenu à rendre à la société et pour lesquels il a été créé ?

Si le gouvernement doit ce service à la société, comme il semble qu'on le prétendait en 1848, le contribuable peut être requis légitimement à y contribuer. Cela est évident. Mais alors le gouvernement doit cet avantage à toutes les parties du pays, et par suite son devoir l'oblige à organiser dans toutes les directions où il n'existe pas de chemins de fer, des moyens de transports par axe, par voitures pour les personnes et les choses à prix réduit.

Or, il me semble inutile d'insister sur les conséquences d'un système semblable.

Mais si, comme je le pense, le service des transports n'est pas un service dû par l'Etat à la société, alors je dis que nous ne pouvons grever les contribuables pour couvrir les frais de services de cette nature.

C'est à l'individu, qui use à son profit d'un service que l'Etat ne lui doit pas, à l'indemniser d'une manière proportionnée aux avantages qu'il a obtenus, et suffisante pour couvrir ses dépenses.

C'est un principe qui, je l'espère, rencontrera peu d'adversaires dans cette enceinte.

Messieurs, après vous avoir entretenus aussi longtemps du passé, mon devoir m'oblige à vous dire quelques mots du présent.

L'expérience m'a convaincu de l'inaptitude d'un gouvernement à gérer une entreprise commerciale.

L'expérience a fait de moi un adversaire de l'exploitation des chemins de fer par l'Etat.

Je devrais donc conclure par une proposition, qui tendrait à céder l'exploitation à l'industrie privée ; cependant je ne conclurai pas de cette manière, parce que je crois que cette question n'est pas encore mûre.

Il faudra encore de nouvelles expériences, des expériences plus dures, je le crains, de nouveaux mécomptes pour la rendre opportune.

En attendant je tiens à faire preuve de bonne volonté en exprimant mon opinion sur ce qu'il y a à faire pour rendre l'exploitation productive.

D'abord on peut la rendre plus productive en dépensant moins. Je commencerai par la dépense.

Le gouvernement a dit dans son exposé des motifs, il a répété dans la discussion présente, que c'étaient les tarifs les plus bas, les tarifs que je qualifierai ceux du premier système sous l'administration de l'honorable M. de Theux, qui avaient été les plus productifs.

Comme cette assertion est fait pour faire impression dans cette enceinte, je m'en vais vous dire pourquoi l'application de ces tarifs a été la plus productive. Cette première période a donné des résultats plus satisfaisants, parce que l'exploitation était simple, peu compliquée, économique.

Le railway était, comme le disait l'honorable M. Masui dans un rapport fait au gouvernement en 1841, comme un fleuve portant au lieu de (page 767) bateaux, des waggons d'un bout à l'autre du royaume. Le gouvernement l'exploitait sans rien de plus, il ne faisait que les frais de traction, sans camions, ni facteurs, ni locaux, en un mot sans dépenses extraordinaires.

Aussi les produits furent-ils fructueux, ajoute l'honorable directeur des chemins de fer. Depuis lors le système a été complètement modifié.

Le gouvernement a créé un personnel et un matériel pour faire le service de détails, le service de commissionnaire, d'entrepreneur de messageries, il a voulu entreprendre le transport et la remise à domicile de toutes les marchandises indistinctement.

Ce service coûte à l'Etat des sommes considérables ; la recette ne s'est pas accrue en proportion de la dépense, et pourquoi ?

C'est que le gouvernement a trouvé sur son chemin des concurrents qui ont entrepris avec lui une lutte énergique.

Or, le public a donné la préférence au service des concurrents du gouvernement, parce que leur service est plus sûr, entouré de plus de prévenance et de soins, d'exactitude et de promptitude.

Ces concurrents combattent le service du gouvernement avec avantage, parce qu'ils ont à leur disposition un personnel plus expérimenté, qu'ils opèrent avec tout le zèle que l'intérêt sait inspirer.

Le résultat de l'organisation du service de détails a donc été une grande dépense et une faible rectlte.

Cela se comprendra, quand vous saurez que même le mouvement des fonds du trésor public s'opère par l'entreprise du service des concurrents du gouvernement.

Ce mouvement leur vaut au moins 50,000 francs par an.

De sorte que le mouvement des fonds du trésor ne se fait pas même au profit du trésor, mais au profit des entrepreneurs de messageries. Cela est un peu fort, vous en conviendrez !

D'ailleurs les motifs de cette préférence sont faciles à expliquer.

L'administration publique se refuse à toute responsabilité. Les entreprises particulières offrent pour gage de leurs services une responsabilité entière, et elles en donnent des preuves journalières.

Ainsi, messsieurs, voilà ce qui explique pourquoi les produits ont été plus satisfaisants sous la première période de l'exploilalion.

J'en viens à un autre moyen de réduire la dépense.

Ce moyen consiste encore à réduire le personnel, j'entends ce personnel qui travaille en régie au compte direct de l'Etat.

Pourquoi ce personnel immense, qui au lieu de se borner à faire des réparations, fait du neuf à l'arsenal de Malines, et cela contrairement à la loi sur la comptabilité publique ?

Je dis que le personnel est immense.

Voulez-vous en savoir le nombre, non compris les ingénieurs ? Douze cents environ !

Lors des dernières élections, on a pu vérifier leur nombre lorsque les ouvriers de l'arsenal se sont livrés dans les rues de Malines à une manifestation compromettante pour l'ordre public et la liberté électorale.

En 1848, quand la crise se faisait sentir, l'on a confié à l'industrie privée la confection des locomotives et des voitures.

L'on ne s'en est pas mal trouvé ; l'on savait au moins le prix de revient d'une diligence, d'un char à bancs.

Depuis que l'orage a passé, le gouvernement se livre de plus belle à ses travaux favoris ; aux travaux faits en régie.

Je soutiens que cet arsenal de Matines constitue de véritables ateliers nationaux, où l'on se livre à des trafics dépourvus de tout contrôle, tant pour la conservation des amas de marchandises qui y sont accumulées, que pour les ventes d'objets hors d'usage.

Que deviennent les sommes qui proviennent de ces ventes ?

On l'ignore à la cour des comptes.

Le département des travaux publics ne devrait pas perdre de vue l'article 16 de la loi de comptabilité, qui lui interdit d'accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés à des dépenses, et qui veut que, lorsque des objets sont susceptibles d'être vendus, cette vente soit faite avec le concours des préposés du domaine.

Le département des travaux publics ne devrait pas oublier non plus que la loi sur la comptabilité de l'Etat exige des comptes-matières ; il n'a eu jusqu'à présent aucun égard à cette prescription importante.

Enfin, voulez-vous encore un moyen de réduire le personnel ?

Clôturez vos gares, interdisez-en l'accès aux promeneurs, aux personnes étrangères au service, et qui ne se présentent pas comme voyageurs.

Nos gares présentent une confusion inusitée dans les gares des compagnies. Cette confusion exige un personnel plus considérable pour prévenir les accidents et la fraude.

Messieurs, sans me prononcer en détail sur les propositions de la section centrale, je voterai les propositions qui tendent à relever les tarifs des voyageurs.

Le chemin de fer de Saint-Nicolas a relevé les siens, et ses actionnaires, au lieu de 2 p. c, auront 4 p. c pour l'année courante. Ceci est un exemple qui se passe dans le pays et non à l'étranger. Je sais que le gouvernement a une extrême répugnance pour les résultats des chemins de fer étrangers.

J'espère que ce résultat aura donc quelque influence sur lui.

Enfin, messieurs, je termine en mettant le gouvernement en demeure de nous présenter uu projet de tarifs pour les marchandises.

On lui a prouvé que son tarif était plus algébrique qu'intelligent des intérêts de l'entreprise de nos chemins de fer. De plus, je le mets en demeure de nous présenter un projet de loi qui nous a été promis et qui tend à soumettre à notre examen un système d'exploitation.


M. le président. - Le bureau a composé de la manière suivante la commission pour l'examen de la proposition de M. Destriveaux : MM. Lebeau, de Muelenaere, de Theux, Ad. Roussel, Moreau et Lelièvre.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.