(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 551) (Présidence de M. Raikem, premier, vice-président)
La foule est toujours considérable, mais beaucoup moins qu'aux premiers jours de la discussion. Le nombre des dames qui se placent aux tribunes supérieures semble s'être augmenté. (M. B., 11 juill.)
La séance est ouverte à onze heures. (P. V)
Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
Plusieurs officiers et sous-officiers de la garde civique du canton de Spa protestent contre l'acceptation des propositions de la conférence de Londres.
Plusieurs habitants de Ligny manifestent le désir que la paix soit conservée. (M. B., 11 juill., et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. Bifve, à Bruxelles, demande la conservation de la pension dont il jouit. (P. V.)
- Renvoi à la commission chargée de revoir la liste des pensions. (P. V.)
L'ordre du jour est la suite de la discussion sur les propositions de la conférence de Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx et sur les propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P. V.)
M. le comte Duval de Beaulieu – (page 552) Après neuf jours de discussion, après avoir entendu plus de soixante-neuf orateurs, l'assemblée doit être suffisamment éclairée : je demande qu'elle se déclare en permanence. L'honorable membre donne quelques motifs à l'appui de sa motion, et ajoute : Je ne pense pas que l'on doive prononcer la clôture s'il n'y a plus que douze orateurs à entendre. (E., 11 juill.)
M. de Robaulx – Il faut laisser continuer la discussion jusqu'à épuisement de la liste des inscrits, et quand on en sera arrivé là, on pourra faire la proposition de permanence. (E., 11 juill.)
M. le baron de Sécus (père) appuie la proposition de M. Duval ; il consent à ce qu'on décide quand la clôture sera prononcée, parce qu'il ne peut pas dépendre de cinq ou six orateurs de prolonger les débats ; il y en a assez d'entendus, selon lui. (E., 11 juill.)
M. Deleeuw pense que la permanence fera que l'on sera beaucoup plus court. (E., 11 juill.)
M. Trentesaux – Attendons l'ordre de la discussion ; je n'ai pas encore dit un mot. (E., 11 juill.)
M. Forgeur combat également la proposition de M. le comte Duval de Beaulieu. (M. B., 11 juill.)
M. d’Elhoungne – Tout le monde doit sentir la nécessité de finir une discussion aussi laborieuse.
La clôture doit être votée après une courte discussion ; l'honorable membre appuie la permanence, ou demande l'ajournement jusqu'à mardi ; car il y a des jours où de pareilles discussions peuvent amener des événements nuisibles. (E., 11 juill.)
- La proposition de se déclarer en permanence est mise aux voix et adoptée. (P. V.)
M. Deleeuw motive en peu de mots son vote approbatif. Il regarde le rejet des préliminaires comme propre à compromettre le sort de la Belgique. (J. B., 11 juill.)
M. le président – La parole est à M. de Robaulx. (E., 11 juill.)
M. de Robaulx – Messieurs, je dois avant tout relever une inconvenance parlementaire échappée à M. Lebeau répondant comme ministre à M. Henri de Brouckere. Il a prétendu régenter une partie de l'assemblée ; il nous a demandé si nous prétendions décider où finit l'honneur et où commence l'anarchie ; comme si nous ne pouvions pas, à notre tour, lui demander s'il prétend définir où finit le droit de député, et où commencent les écarts de la tribune. Ce peu de mots suffiront, je pense, pour faire sentir à M. Lebeau son inconvenance, inconvenance ressortant plus vivement encore de sa double qualité de ministre et de député, existence amphibie qu'il se donne tour à tour.
Je suis opposé par une conviction profonde à l'adoption des dix-huit articles, et M. Lebeau ne m'a pas ébranlé. J'ai écouté des phrases de rhéteur assez artistement rangées, j'ai entendu beaucoup de sophismes, mais de ce qu'il a dit, il ne m'est pas resté un raisonnement concluant. Aussi suis-je resté insensible et je n'ai pas embrasse l'orateur.
Je dis, moi, qu'il y a dérogation à la constitution par l'adoption des dix-huit articles. En effet, vous abandonnez ce que la constitution vous faisait une loi de conserver.
Léopold ne veut pas jurer l'intégrité du territoire fixée par le congrès, mais bien celle des articles. Y a-t-il une meilleure preuve de différence. Mais ce n'est pas tout ; il y a dérogation, puisque par la constitution nous avions Venloo, et que par les articles nous la perdons.
Par la constitution nous avions le Luxembourg ; les articles nous offrent l'espoir de l'acheter. Le prince Léopold lui-même, d'après ce que nous a dit M. Destouvelles, reconnaît que c'est la propriété du roi de Hollande. C'est un de nos députés à Londres qui le dit, entendez-vous, M. Lebeau ! entendez-vous, vous surtout Luxembourgeois !
Il y a dérogation, car Anvers était port militaire et commercial, et par les articles il n'est plus que commercial.
Maestricht nous appartenait, et par les articles nous n'avons plus que l'espoir d'une copropriété. Enfin nous avions la rive gauche de l'Escaut, et les articles nous l'enlèvent.
Il y a donc dérogation, il y a donc, au jugement de M. Lebeau lui-même, parjure.
M. Lebeau a longuement soutenu que les articles différaient des protocoles. Il a dit que les articles sont des propositions, tandis que les protocoles étaient des décisions.
Mais il ne veut donc pas voir que nous n'avons pas la liberté de prononcer. On nous dit : Acceptez ces articles ; sinon les protocoles, l'intervention, la guerre. C'est comme si à un homme sur un rocher je lui disais : Précipitez-vous, sinon je vous jette.
D'ailleurs, la véritable question est de savoir, non pas si les articles diffèrent des protocoles, mais s'ils violent la constitution.
Étrange contradiction ! M. Lebeau soutient que nous n'avons pas de droits à la rive gauche de l'Escaut, parce que nous ne pouvons nous enrichir (page 553) des dépouilles de la France. Mais alors comment pouvons-nous nous enrichir des duchés de Ravenstein et de Berg-op-Zoom, cédés par la France en 1800 ?
« Quant à Venloo, dit le ministre, si nous n'avons pas de droits sur le territoire, ne croyez pas que je pense que nous soyons aussi sans devoirs envers les habitants de ces territoires. » Distinction toute neuve ! Bien raisonné en fait de souveraineté ! Il poursuit : « Il faut leur accorder l'indigénat, les indemniser, non pour qu'ils changent de patrie, mais pour qu'ils changent de résidence. » Galimatias, non-sens que tout cela ! Car s'ils sont Belges, ils n'ont pas besoin d'indigénat ; s’ils ne font que changer de résidence, vous reconnaissez qu'ils sont aujourd'hui sur un sol belge, donc vous cédez le sol belge.
Mais écoutez M. Destouvelles, écoutez-le, vous qui voulez agir de bonne foi. Il déclare, lui, que nous perdons Venloo, le pays de généralité et la moitié de Maestricht.
M. Lebeau prévoit la restitution de Venloo, et il s'écrie : « Est-ce pour un but mesquin de localité, que les Venloonais ont fait la révolution ? C'est pour sauver la Belgique. » Que M. Lebeau nous réponde ; si les Venloonais ont fait leur révolution, était-ce pour se livrer ensuite en holocauste, était-ce pour se suicider ? Était-ce pour reprendre des fers qu'ils se sont déclarés libres ?
« Si on maltraite un habitant en violation de l’article 16 des propositions, alors, nous dit-on, la guerre à la Hollande !... » Ainsi vous feriez la guerre à la Hollande pour des vexations individuelles et vous ne la faites pas pour conserver le pays du Limbourg. Quand un avenir pareil se déroule, je ne m'étonne pas des soucis du prince et de la teinte de chagrin que l'on a remarquée en lui.
Cet homme voit qu'il a été joué par les puissances ; il voit qu'on s'est servi de lui comme d'un instrument pour arriver à une autre fin.
L'orateur continue à réfuter de point en point le discours de M. Lebeau.
Il fait remarquer qu'en se hâtant d'accepter les préliminaires, on perd de vue que dans quinze jours les élections des chambres en France peuvent être telles que le ministère Périer ne résiste pas au parti du mouvement. Dans ce cas, le peuple français peut vouloir la guerre. Nous aurons alors un nouveau Waterloo et la restauration, ou la France triomphera, et vous serez alors départements français. Il reproche vivement au ministère d'avoir répondu par des placards à la résolution qu'on avait dit avoir été prise par le régent de quitter ses fonctions si les préliminaires étaient acceptés. Il termine en disant : Je crains que les ferments de discorde qui existent déjà ne prennent un caractère plus sérieux. Je me soumettrai à la nécessité de la loi, mais ma loi suprême sera le bonheur de mon pays. (E.. et J. B., 11 juill.)
M. Destouvelles – Messieurs, je demande la parole pour un fait personnel. Je n'ai pas dit que le Luxembourg et le Limbourg n'appartiendront jamais à la Belgique. Je vais reproduire mes paroles qui, par erreur sans doute, ont été mal reproduites par les journaux. Les limites de 1790, ai-je dit, auxquelles nous sommes renvoyés par les préliminaires, retranchent Venloo, les enclaves du Limbourg et la moitié au moins de Maestricht : voilà un fait certain. J'ai ajouté : Ces territoires pourront, par suite des négociations, revenir à la Belgique ; mais ce ne sont là que des éventualités ; elles ne me rassurent pas ; elles ne balancent pas suffisamment les conséquences de ce fait qu'accomplira l'adoption des préliminaires. J'ai tenu le même langage relativement au Luxembourg, livré aussi par l'article 3 aux chances des négociations, en présentant, quant au Grand-Duché, des considérations particulières auxquelles je me réfère. Voilà ce que j'ai dit. (C., 11 juill.)
M. Van Meenen – Messieurs, le 4 de ce mois, j'ai plutôt sollicité vos lumières, en vous présentant le faible tribut des miennes, que je n'ai établi mon opinion et motivé mon vote. Aujourd'hui c'est ce vote que je veux justifier ; et comme je tiens à ce qu'il reste quelque chose de ma pensée, et que les journalistes disent qu'ils ne m'entendent pas, quoique vous daigniez m'écouter, messieurs, et que vous n'aimiez guère à perdre votre temps, je me suis décidé, contre mon usage, à tracer, en quelques lignes, le résumé de mes vues sur le grave sujet qui nous occupe. D'ailleurs un résumé n'est pas susceptible de l'abandon, des longueurs, ni des mouvements de l'improvisation.
Vous avez décidé, messieurs, que la discussion de la question préalable serait jointe à celle du fond, qu'il aurait peut-être été plus sage de distinguer et de soumettre à l'examen des sections.
Je voterai pour le rejet de la question préalable par la raison que j'ai eu l'honneur de vous exposer que le prince, subordonnant son acceptation à la condition que vous accepterez vous-mêmes les dix-huit propositions de la conférence, il y a non seulement lieu, mais nécessité de délibérer ; outre qu'il faut bien que vous décidiez ou la rupture ou la continuation de la suspension d'armes, ou la rupture ou la continuation des négociations.
Sur la question principale, messieurs, il paraît que l'on s'achemine à une acceptation ou à un rejet (page 554) d'ensemble, pur et simple, des dix-huit propositions.
Il paraît que, pour le triomphe complet d'un système politique, il faut que votre acceptation ou votre rejet soit non seulement absolu, pur et simple, mais, en outre, qu'il ne soit ni précédé de motifs, ni accompagné d'explications, ni terminé par un acte de non préjudice, quelque sagesse qu'il y ait à ces différents égards dans les vues qui vous ont été soumises par MM. Beyts, Van de Weyer, Fallon, d'autres députés et moi.
Pas de motifs ; c'est-à-dire on ne rendra compte ni à l'Europe, ni au peuple belge, ni à la majorité du congrès, ni à soi-même, des motifs de sa détermination : elle doit être de pure confiance, de toute condescendance peut-être.
Je ne blâme point, messieurs, je raconte ; ou du moins je tire de faits que je connais des conjectures sur ceux que je ne connais pas.
Pas d'explications ; c'est-à-dire on ne veut pas déterminer, fixer, préciser le sens dans lequel on admet ou rejette ces dispositions si nombreuses, si diverses, conçues en termes si susceptibles d'acceptions différentes. On est trop courtois pour ne pas abandonner au jugement éclairé et à l'équitable impartialité de la conférence, le soin d'élever et de décider les controverses sans nombre que la suite des temps et les intérêts opposés des parties pourront faire naître.
Pour expliquer ces articles, messieurs, il faudrait les examiner, en rechercher les principes, en scruter les conséquences ; et ces principes, ces conséquences bien saisis, feraient reculer beaucoup d'entre nous.
Point de protestation de non-préjudice ; c'est-à-dire on veut une acceptation telle que, soit que le roi Guillaume accepte ou n'accepte pas, soit qu'un traité de paix se conclue ou non, quoi qu'il arrive enfin, et en quelque temps, en quelques circonstances qu'il arrive, cet acte puisse toujours nous être opposé, soit comme un acquiescement à certains principes en droit, soit comme un engagement à traiter sur certaines bases. Dans ces formes, messieurs, je ne puis admettre les dix-huit propositions ; je ne pourrais même en admettre aucune.
En fait, je ne puis admettre que les limites de la Hollande soient, en 1831, telles qu'elles étaient en 1790. Je ne puis admettre que le Luxembourg ne fasse pas partie intégrante et cumulative de la Belgique, et bien moins encore qu'il ait pour souverain, sous le titre de grand-duc, le roi de la Hollande.
En droit des gens, je ne puis admettre que les puissances, grandes ou petites d'avant 1790, aient légitimement parqué les peuples jusqu'à 1830 et au delà, et à toujours ; je ne puis admettre que nous et notre postérité soyons hypothéqués à tout jamais, ni même à temps, au système politique imaginé par les rois absolus d'avant 1790.
Comme bases des négociations, je ne puis admettre un système qui réglerait nos rapports avec la Hollande et le roi Guillaume, sans tenir aucun compte des seuls actes du droit des gens intervenus entre eux et nous, tels que la loi de vendémiaire an IV et le traité de Paris du 30 mai 1814 ; d'une part, la constitution hollandaise de mars 1814 ; de l'autre, la loi fondamentale de 1815 ;la révolution de septembre 1830 ; les transactions de la session de La Haye, d'octobre dernier, et qui leur substituerait, pour le Luxembourg, des actes du congrès de Vienne de 1815, et pour le reste de la Belgique un statu quo de 1790. Je ne puis admettre un système qui dénierait aux Luxembourgeois, à une portion des Limbourgeois et à d’autres Belges, le droit qu'ils ont exercé comme nous et avec nous, de se séparer de la Hollande et de secouer le joug du roi Guillaume ; un système qui attribuerait aux mandataires d'un peuple le droit de l'aliéner en tout ou en partie ; aux gérants d'une association le droit de la dissoudre et de trafiquer de ses différentes portions ; un système qui, sous d'autres points de vue, sapant le pacte social qui a donné l'être au congrès et naissance à notre constitution, détruirait par sa base même cette constitution que nous avons juré de maintenir et d'observer fidèlement ; cette constitution que la nation belge, formée de neuf provinces belgiques, s'est donnée : car il y a dans l'acceptation des dix-huit articles, non uniquement, comme on paraît le croire, violation de l'article 7 de notre constitution, mais destruction violente, rupture complète du lien national, répudiation du droit en vertu duquel nous nous sommes affranchis, et de celui en vertu duquel nous nous sommes, en conséquence, unis et constitués.
Je ne puis admettre, comme préjugée contre nous, la souveraineté exclusive de Maestricht au profit de la Hollande.
Je ne puis donc admettre les articles premier, 2, 3, 4 des préliminaires proposés.
Je ne puis accepter les articles 3, 4, 9, 10, 17 comme des préliminaires de paix avec la Hollande ni avec le roi Guillaume ; car ces articles concernent et intéressent d'autres puissances.
Je dois rejeter l'article 17 parce qu'il consacre de la manière la plus formelle l'intervention des (page 555) cinq puissances, dans des contestations qui ne concernent que la Hollande et nous.
Je ne puis admettre les articles 9 et 10, parce qu’ils sont destructifs de toute indépendance ; parce qu'ils dépouilleraient l'État belge du premier des attributs d'une nation, et la couronne belge de la plus essentielle de ses prérogatives, c'est-à-dire du droit de paix et de guerre, du droit d’alliance, du droit de traiter des intérêts de l'État dans ses rapports avec les États voisins.
Ce dernier point me reste à traiter, messieurs, après que j'aurai répondu à quelques arguments qu'on a employés en faveur de l'acceptation.
Nous ne pouvons prendre le droit d'insurrection sur base dans le règlement de nos limites, dit M. Lebeau.
J'en conviens, messieurs, l'insurrection des Luxembourgeois et des Limbourgeois n'aurait fait que les affranchir du joug de Guillaume et les séparer de la Hollande. Mais à ce droit d'insurrection, il faut joindre, messieurs, celui par lequel ces Belges se sont librement réassociés avec nous, avec tous les autres Belges.
Eh quoi ! si, par suite de circonstances que je ne prévois pas, vous jugiez à propos de faire à une puissance voisine la cession d'un district, auriez-vous par là déshonoré la nation ? dit M. Lebeau. Non, si une nécessité impérieuse nous y avait obligés. Et où est cette nécessité, où est cette extrémité qui nous oblige à démembrer la Belgique ?
Nous sommes sans droits sur Venloo, dit-on, mais pas sans devoirs.
Quoi ! messieurs, les Venloonais n'ont-ils pas le droit sur eux-mêmes, et ne sommes-nous pas leurs mandataires pour exercer ces droits en leur nom et dans leur intérêt ?
Dire que l'insurrection nous a affranchis, dit M. Nothomb, est-ce à dire que chaque localité puisse, à son gré, se détacher du pays auquel elle est incorporée sans consulter la communauté ?
Qu'est-ce que vous appelez localité, pays, communauté ? Ne semble-t-il pas que le droit se mesure sur la superficie, et que le Luxembourg, par exemple, parce qu'il est moins considérable que le reste de la Belgique, appartient à ce reste, plus que ce reste au Luxembourg ?
Et qu'importe, messieurs, qu'un lieu se nomme Venloo ou Bruxelles, qu'il soit situé à l'une des extrémités de l'État ou au centre, qu'il soit peuplé de six mille ou de quatre-vingt-dix mille habitants ?
On ne conteste pas aux Venloonais, aux Limbourgeois, aux Luxembourgeois, le droit de s'insurger et d'entrer dans une nouvelle combinaison politique : mais leur territoire, dit-on, est hollandais.
Est-ce donc, messieurs, que vous concevez une nation sans territoire, un État dans la moyenne région du ciel, ou au pays des Sévarambes ? Des hommes sans droit à l'air qu'ils respirent, à la terre qui les porte et les nourrit ?
Je passe à la question de la neutralité perpétuelle.
Mais avant tout remarquons, messieurs, une absurdité assez frappante.
Le prince que vous avez élu, dès que vous aurez accepté les préliminaires, messieurs, se rendra parmi vous ; et, s'il le faut, vous acquerra le Luxembourg, le Limbourg et le reste, même par la guerre ! Voilà ce qu'on vous a dit, ce qu'on vous a répété, messieurs : mais vous êtes neutres, neutres à toujours, neutres envers tous les autres États : condamnés à ne faire jamais la guerre ! Cette seule remarque, messieurs, doit vous faire déjà pressentir ce que c'est que la neutralité perpétuelle. Examinons-la de plus près.
Si dans un traité entre les cinq puissances ou quelqu'une d'elles, je lisais :
« La Belgique, dans ses limites telles qu'elles seront tracées conformément aux principes posés dans le présent préliminaire, formera un État perpétuellement neutre, les cinq puissances s'engagent réciproquement à respecter cette neutralité, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité du territoire.»
Je concevrais cette disposition, je concevrais encore l'intervention de la Belgique comme partie stipulante, acceptant la neutralité à son profit, s'engageant même, jusqu'à un certain point, à concourir à son maintien et à son observation.
Est-ce cela qu'on a fait ? Lisons :
« Article 9. La Belgique, dans ses limites telles qu'elles seront tracées conformément aux principes posés dans les présents préliminaires, formera un État perpétuellement neutre. Les cinq puissances, sans vouloir s'immiscer dans le régime intérieur de la Belgique, lui garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire, dans les limites mentionnées au présent article..
« Article 10. Par une juste réciprocité, la Belgique sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres États, et de ne porter aucune atteinte à leur tranquillité intérieure ni extérieure, en conservant toujours le droit de se défendre contre toute agression étrangère. »
L'orateur démontre que, d'après les termes explicites de ces deux articles combinés, la neutralité proposée emporte l'anéantissement complet (page 556) de l'indépendance de la Belgique ; que la neutralité perpétuelle n'est que l'intervention perpétuelle.
Il poursuit : Cela suffit ; messieurs ; avant d'accepter les préliminaires, révoquez votre décret d'indépendance, supprimez l'article 68 de votre constitution.
Le prince, a-t-on dit, n'a trouvé rien que d'avantageux au pays dans cette neutralité.
Le prince, plus éclairé, messieurs, y verra ce que nous voyons : et il n'acceptera pas la place de chef d'un État dégradé, et une couronne flétrie.
Mais ces avantages, quels seraient-ils ?
On cite la Suisse : mais la Suisse a sa neutralité garantie par la chaîne des Alpes ; elle est purement agricole et industrielle, sans navigation, sans commerce extérieur : vous, sur la mer et deux fleuves, entre la France, la Hollande et l'Angleterre et ouverts à toutes les trois, que vous sera la neutralité ?
Voulez-vous, comme la Suisse, d'ailleurs, être livrés aux influences continuelles de la diplomatie, gémir sous le poids d'une oligarchie que la diplomatie y maintient ? mendier chez tous les despotes des capitulations de service pour notre belliqueuse jeunesse ? mendier pour vos citoyens les plus recommandables des établissements dans toute l'Europe ?
Le Suisse est cosmopolite ; le Belge, jusqu'ici, était attaché à sa patrie !
Nous commercerons, pendant que les autres puissances seront en guerre, a dit un orateur. C'est-à-dire, vous achèterez au prix de votre indépendance l'avantage de quoi, messieurs ? de commercer en temps de guerre ? non, messieurs, mais d'être vexés en temps de guerre par chacune des puissances belligérantes.
Mais la paix ! la paix perpétuelle !
Oui, messieurs, aussi longtemps qu'on aura intérêt à respecter votre neutralité ; non, dès que cet intérêt cessera. Croyez-vous donc que cette neutralité, qui sera une chaîne pour vous, pour vous qu'elle aura affaiblis, sera autre chose qu'une toile d'araignée pour chacune des cinq puissances ?
La paix, quand elle est avantageuse, quand on peut y renoncer dès qu'elle cesse de l'être : à la bonne heure !
La neutralité, la paix perpétuelle n'est pas plus la destinée des nations, que le repos, le calme perpétuel n'est celle des individus. La vie des peuples, comme celle des individus, messieurs, est une lutte perpétuelle, un combat de l'homme contre la nature par l'industrie, par l'intelligence, par la vertu à l'extérieur, comme à l'intérieur.
Que penseriez-vous, messieurs, d'un homme qui consentirait à se laisser garantir par les autres, sa vie, sa liberté, son honneur, sa propriété, à la charge de n'y veiller jamais par lui-même ? Voilà la comparaison que j'avais faite le 4, messieurs, et non point la niaiserie que m'a prêtée M. Lebeau, et dont il a si facilement triomphé. Si j'avais dit une pareille niaiserie, messieurs, vous m'auriez accueilli par le rire et le ricanement, au lieu de me prêter l'attention flatteuse dont vous m'avez honoré. Les interdits, messieurs, jouissent dans la vie civile de la neutralité perpétuelle : les esclaves, les sujets d'un despote en jouissent dans l'ordre politique, messieurs ; mais vous, songez que les droits individuels sont sous la garantie des droits sociaux ; les droits civils, sous celle des droits politiques ; les droits politiques sous la tutelle de l'indépendance nationale. Sans indépendance nationale, point de liberté politique ; sans liberté politique, point de liberté civile.
Demeurer neutres, messieurs, doit être un droit qu'on exerce à volonté : on vous en fait un devoir, une obligation perpétuelle au profit de tous, vous seuls exceptés, Songez-y, messieurs, on vous parque, on vous hypothèque à un système conçu dans un intérêt tout à fait étranger, tout à fait contraire à tous les vôtres.
Si mes idées ont été bien saisies, messieurs, vous voyez que ce qui est ici en question, ce ne sont point des chances politiques plus ou moins probables, des calculs plus ou moins conjecturaux d'avantages ; ce n'est point de savoir s'il y a intervention inique ou médiation partiale et perfide ; de savoir si, comme je l'ai entendu répéter ici sans rougir, on nous fait des concessions sur la dette, sur le Luxembourg, à peu près comme Guillaume nous faisait des concessions quand il faisait une halte forcée dans sa marche vers l'absolutisme,
C'est la dignité humaine, messieurs, qui est compromise par nos discussions, dans la personne de nos concitoyens que vous vous disposez à proclamer sujets du roi Guillaume ; c'est la majesté des peuples que vous vous apprêtez à sacrifier ; l'orgueil des rois, en déclarant que le peuple luxembourgeois, pour ne parler que de lui, n'a pu s'affranchir et se réunir à vous, par la seule raison que des rois ligués à Vienne, en 1815, en ont décidé autrement à perpétuité. Or, comme homme, messieurs, je me crois obligé à repousser les principes de l'absolutisme et du gallicanisme (et ce n'est point sans dessein que j'emploie ce dernier mot) qu'on veut vous faire consacrer par (page 557) l’admission du statu quo de 1790, comme s'il était fondé en fait ou en droit des gens.
Comme Belge, je rejette des préliminaires qui, hors d'un cas de nécessité extrême et patente, opèrent le démembrement de la patrie, sous le vain espoir d'en rassembler les portions, après que nous-mêmes les aurons séparées et éparses.
Comme membre du congrès, je dois maintenir le principe de notre glorieuse révolution, c'est-à-dire le droit de résister à l'oppression ; celui de la nationalité de tous les Belges, l'indépendance de la Belgique, l'intégrité de son territoire, et enfin la constitution.
Comme ami, comme admirateur de la Pologne, je repousse, j'exècre des propositions qui, si elles étaient justes, légitimeraient tous les partages que cette glorieuse nation a subis, et la condamneraient à se replacer sous le joug de Nicolas.
Je voterai donc le rejet de la question préalable et celui de la proposition de MM. Van Snick et Jacques.
Je voterai, messieurs, sans être touché des prédictions qu'un préopinant vous a rappelé avoir été faites au congrès belgique en 1790.
Le congrès belgique de 1790 ne représentait pas la nation, messieurs, mais le privilège ; non la révolution, mais les anciens abus ; et les propositions qui lui étaient faites étaient aussi honorables que celles qu'on vous fait, messieurs, sont iniques et dégradantes.
Ne rétrogradons pas, messieurs ; ne jetons pas sans cesse nos regards en arrière vers un passé qui n'est plus, qui ne peut plus être ; écoutez, messieurs, les voix qui s'élèvent autour de vous ; fixez les yeux sur la nation que, je le crains bien, vous allez livrer à des chances dont nul de vous n'a calculé les écueils et les dangers ; songez à la postérité qui vous demandera compte de l'usage que vous aurez fait des pouvoirs qu'un peuple qui avait conquis sa liberté et son indépendance vous avait conférés pour les consolider, et non pour les mettre aux pieds de l'étranger, et à la discrétion de l'absolutisme.
La Belgique, messieurs, par un rare concours de circonstances, que je regarde comme une faveur du ciel, avait en quelque sorte reçu la mission de marcher en avant de la civilisation et de donner aux autres peuples l'exemple du progrès : elle a fourni, sous votre conduite, messieurs, la moitié de sa glorieuse carrière, en consacrant, par notre constitution, la liberté civile et la liberté politique ; il lui restait l'indépendance nationale à conserver, à entourer d'une triple enceinte, que la jalousie et la rivalité de nos voisins élevait d'elle-même et sans notre secours. Mais cette indépendance, messieurs, cette indépendance que vous avez commencé à réclamer à l'unanimité, qu'en avez-vous fait, ou du moins qu'en allez-vous faire ? (C., 11 juill.)
M. d’Elhoungne – Je demande maintenant que la clôture soit prononcée. (M. B., 11 juill.)
- Voix nombreuses – La clôture ! la clôture ! (M. B., 11 juill.)
M. Devaux demande la parole contre la clôture. Il ne lui paraît guère dans les convenances parlementaires qu'une discussion aussi grave soit close au moment où deux orateurs viennent de parler dans le même sens et alors que la clôture a été réclamée par un honorable membre appartenant à la même opinion que ces deux orateurs. Je suis d'ailleurs d'avis, ajoute-t-il, .qu'on épuise la liste des orateurs inscrits, elle est très courte et nous pourrons avoir bientôt fini. (M. B., 11 et 12 juill.)
M. d’Elhoungne – Je pense que les obscurations du préopinant disparaîtront devant le plus simple exposé. Si je partage l'opinion que vient d'émettre M. Van Meenen, ce n'est pas par esprit de partialité que j'ai demandé la clôture ; mais depuis une heure un grand nombre de députés ont quitté leurs bancs et sont sortis de la salle, ce qui est une présomption qu'ils se croient suffisamment éclairés pour émettre leur vote. Si deux orateurs inscrits contre ont parlé successivement et les derniers, c'est peut-être la faute du bureau, ou peut-être parce qu'il n'y avait plus d'orateurs inscrits pour. (M. B., 11 juill.)
M. le président – Je vais expliquer comment cela s'est fait : j'ai appelé successivement un membre inscrit pour et un inscrit contre. J'ai ensuite appelé M. Van Meenen, qui était inscrit pour parler sur les propositions. (M. B., 11 juill.)
M. Deleeuw – Plusieurs membres ont été entendus plusieurs fois ; M. Le Hon n'a pas encore été entendu ; je demande qu'on l'entende avant de prononcer la clôture. (Oui ! oui ! Non ! non !) (M. B., 11 juill.)
M. Alexandre Rodenbach – Les deux derniers orateurs étaient de l'opposition ; je le suis aussi, mais je pense que l'opposition sera assez généreuse pour entendre encore un orateur ministériel. (M. B., 11 juill.)
M. Van Meenen – La liste des orateurs n'est pas tellement considérable qu'on ne puisse l'épuiser. (Violents murmures. Non ! non !) (M. B., 11 juill.)
M. Forgeur – Combien y a-t-il encore d'orateurs inscrits ? (M. B., 11 juill.)
M. Liedts, secrétaire – (page 558) Huit, et il en arrive à l'instant deux de plus. (Oh ! oh !) (M. B., 11 juill.)
M. De Lehaye – Je demande qu'on mette la clôture aux voix. (Appuyé ! appuyé !) (M. B., 11 juill.)
- Divers orateurs parlent pour ou contre la clôture. (M. B., 11 juill.)
M. Lebeau propose que, comme on l'a fait lors de l'élection du duc de Nemours, on entende encore pour clore la discussion un orateur pour et un orateur contre. (Non ! non ! Réclamations nombreuses ! La clôture ! la clôture !) (M. B., 11 juill.)
- Au moment de mettre la clôture aux voix on demande l'appel nominal. (M. B., 11 juill.)
On procède à l'appel nominal.
188 membres y répondent.
104 votent contre la clôture.
84 votent pour.
En conséquence la clôture est rejetée.
M. le président – Je vais maintenant mettre aux voix la proposition de M. Lebeau. (M. B., 11 juill.)
M. de Robaulx – Je m'oppose à cette proposition. Maintenant que la clôture est rejetée, vous n'avez pas le droit de circonscrire l'attaque et la défense. Il faut que tous les orateurs qui voudront parler soient entendus, jusqu'au moment où l'assemblée sera d'avis de clore la discussion. (M. B., 11 juill.)
M. Lebeau – Je retire ma proposition. (M. B., 11 juill.)
M. le président – La parole est à M. Le Hon. (M. B., 11 juill.)
M. Charles Le Hon – Messieurs, quel que soit mon désir d'arriver au terme de cette discussion déjà si longue, les questions graves qu'elle a soulevées, la couleur qu'elle a donnée à certaines opinions, les émotions et les alarmes qu'elle a fait naître, m'obligent de rompre le silence que j'avais cru devoir m'imposer.
Après tant de développements employés à vous convaincre, à vous émouvoir, je me bornerai à justifier l'opinion que je vais émettre, par quelques aperçus généraux, et par quelques enseignements de notre histoire.
Pénétré de cette idée, qu'il y va pour le pays de son existence politique, je vous dois compte des raisons qui me déterminent, quelque réserve que me prescrive ma position particulière.
Vous avez voté l'indépendance de la Belgique le 20 novembre dernier. Je l'ai fait consister alors dans la rupture de nos liens politiques avec la Hollande, et dans le droit exclusif qu'ont recouvré nos provinces de disposer d'elles-mêmes.
Usant de ce droit, vous avez décrété, depuis, la monarchie héréditaire ; vous l'avez élevée sur les institutions les plus libérales ; vous avez complété votre ouvrage par l'élection d'un roi. Voilà vos précédents : ils font dans la discussion des principes irrévocables.
Fidèle à ces principes que j'ai concouru à établir sans acceptation d'intérêt de localité ou d'affection personnelle, je pense qu'ils me commandent, au nom du salut de la patrie, d'adopter les préliminaires présentés par les puissances.
Je m'attacherai peu à la forme vague de leur rédaction : une explication, même erronée, de ma part, pourrait avoir à vos yeux un caractère d'interprétation semi-officiel qu'elle ne comporterait pas. Réunir cinq opinions au lieu de deux, rendre les propositions acceptables à deux parties d'intérêt opposé, tels sont pour moi les vrais motifs de ménagements de style qu'on y remarque. D'ailleurs il s'agissait de jeter des bases, et non de dresser des articles définitifs.
Dans une question si capitale, ce que je cherche, ce qui me détermine avant tout, c'est la raison d'État, ce sont les résultats probables mis en rapport avec les droits comme avec les nécessites du pays. Or, quels sont-ils ?
D'abord, pas de morcellement actuel et certain de territoire. Ce n'est point la Belgique, comme l'ont dit tant d'orateurs, qui est renferme dans ses limites de 1790, c'est la Hollande seule ; le royaume de Belgique est composé du royaume des Pays-Bas de 1815, moins la Hollande de 1790.
Ajoutez à cela que des enclaves réciproques sont reconnues, que la faculté de leur échange est consacrée ; qu'il y a jusqu'ici, non des limites tracées, mais des principes posés pour une délimitation. C'est donc des négociations ultérieures que dépendra le résultat.
L'avènement d'un chef définitif donnera la force au dedans et l'influence au dehors : il constituera notre nationalité vis-à-vis de l'étranger, et sera le plus puissant moyen de succès, soit qu'il faille négocier, soit que l'on doive recourir aux armes.
La conférence est dissoute de fait par l'acceptation, puisque sa médiation cesse, et ne peut plus être invoquée désormais que par les deux parties. De là doit naître une influence plus active des puissances dont la politique est plus amie de nos intérêts.
La conquête de nos libertés s'achève et se consolide. C'est par le fer qu'un peuple opprimé brise ses entraves, mais c'est par les traités seulement (page 559) une nation nouvelle peut se constituer et prendre rang dans la société européenne.
Le triomphe ainsi assuré de notre cause et de nos droits est un service immense rendu à la liberté des autres peuples.
Nos intérêts matériels, dont la souffrance est si générale et si vive, reçoivent enfin le secours qu'ils appellent ; ils voient le terme des sacrifices que leur a fait subir notre régénération politique ; ils reprennent de la confiance et de l'avenir : un état régulier peut seul leur rouvrir quelques voies de prospérité.
En recouvrant ces avantages, nous avons celui de ne point provoquer une guerre immédiate et générale, et vous savez tout ce que la guerre a causé de malheurs à la Belgique, qui fut à presque toutes les époques, terre de combat, et terre d'indemnité. Si, malgré l'union de la politique et des intérêts actuels des grandes puissances, malgré de sérieux projets de désarmement, la guerre étrangère était inévitable, ce serait un motif de plus de nous constituer avant qu'elle éclatât, intéressés que nous sommes à être vis-à-vis du vainqueur non des provinces désunies, mais une nation compacte et reconnue.
Je résume ainsi, quant à leur effet, les deux opinions qui se combattent ici : Veut-on maintenir l’intégrité du territoire constitutionnel par la voie des armes, au risque de compter cinq puissances pour adversaires ? ou bien essayera-t-on d'entrer en négociation d'égal à égal, sauf à n'avoir à lutter en cas de guerre, qu'avec la Hollande seule ? Dans le choix de l'une de ces deux chances, je ne saurais balancer. La première ne peut être que fatale à l'ordre public et à la liberté ; la seconde offre pour tous des moyens de succès et de salut. Qu'oppose-t-on à ces conséquences rationnelles de l'adoption des bases préliminaires ? des objections qui me semblent en général peu fondées. J’examinerai quelques-unes des plus graves.
L'article 3, dit-on, ne vous confère pas expressément la propriété du grand-duché de Luxembourg ; il le place même en dehors de la Belgique. Cela est exact jusqu'à un certain point ; mais il serait plus vrai de dire que le Grand-Duché, de territoire litigieux qu'on l'avait fait, devient objet de liquidation : il est plutôt mis en dehors des intérêts de la Hollande qu'il n'est séparé de nos provinces ; on consacre envers lui comme pour d’autres points de territoire le principe des négociations : il est raisonnable de supposer que c'est dans l'esprit du décret tout récent par lequel vous avez résolu d'offrir des sacrifices pécuniaires. Cette position est même nécessaire, après le langage si formel, si péremptoire que le prince Léopold a tenu à votre députation. La conservation du Luxembourg ne saurait plus être une question pour moi, quand elle a cessé d'en être une pour le mieux informé de tous les Belges, pour le futur chef de l'État.
Vous n'aurez pas Maestricht, ajoute-t-on ; la Hollande invoquera avec force, pour s'y maintenir, et sa possession actuelle et son ancien droit de garnison. Cette question, je l'avoue, est peu connue et mal comprise à l'étranger. En général, les hommes d'État s'attachent aux sommités du droit public européen, et dans ce cas particulier, ils ont peine à soupçonner des droits qui ne sont expressément réservés ni par le traité de Munster (1648) ni par le traité de Fontainebleau (1785) ; c'est pour ce motif sans doute que les droits des princes-évêques de Liége dans la souveraineté de Maestricht sont presque ignorés des puissances. Faut-il d'ailleurs s'en étonner lorsque parmi nous on ignore généralement l'origine de ce droit de garnison dont la Hollande a tiré tant de parti à l'époque des traités ? Il est de fait pourtant que ce fut à l'occasion de la réforme, lorsque sa prédication s'introduisit à Maestricht, en août 1566, que l'évêque de Liége, Gérard de Groesbeck, demanda, comme souverain, à Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas autrichiens pour Philippe II, de seconder les mesures de répression qu'il avait prises en envoyant à Maestricht la compagnie d'hommes d'armes du comte d'Arenberg. La gouvernante accéda à sa demande, mais pour peu de temps. Le même secours, renouvelé en 1567, donna lieu de faire remarquer les inconvénients de troupes mixtes dans une ville, et bientôt fut conclu le traité d'Anvers, de mai 1567, par lequel l'établissement d'une garnison brabançonne à Maestricht fut consenti des deux parts, sous toutes réserves de non-préjudice. La Hollande, en succédant à l'Espagne, n'eut pas plus ni d'autres droits que l'Espagne elle-même. L'état de choses sur pied de 1790 serait donc tel, à cet égard, que la Belgique, substituée par l'article 2 des préliminaires aux anciens droits de l'évêque de Liége, participerait à la souveraineté de Maestricht et serait en mesure, à ce titre, d'assurer à son commerce la libre navigation de la Meuse.
On a nié nos enclaves en Hollande, ou, dépréciant leur valeur, on les a présentées comme un faible moyen d'échanges contre les enclaves du Limbourg. Ce langage m'a d'autant plus étonné qu'un journal hollandais fort estimé, le Noord Staar, avait reconnu, dès le mois de mars dernier, comme historiquement vrai, que les territoires de Ravenstein (page 560) et autres, indiqués dans la discussion, n'avaient pas appartenu à la république batave avant le traité du 5 janvier 1800. Seulement, ce journal prétendait que la cession de ces pays avait eu lieu au prix de 6 millions de francs, et non à titre de l'indemnité promise par l'article 16 du traité de 1795. Or, il suffit de lire l'article additionnel du traité de 1800 pour se convaincre que la souveraineté de ces territoires a été expressément cédée et reçue en à-compte de cette indemnité.
La neutralité surtout a subi de violentes attaques et soulevé même l’indignation. Y consentir, a-t-on dit, c'est abdiquer et la souveraineté et l'indépendance. Ce système n'a pas été jugé partout avec les mêmes préventions et la même rigueur : je me rappelle qu'un des hommes les plus constants dans ses principes libéraux, M. Eusèbe Salverte, s'exprimait ainsi naguère à la tribune de France : « Le ministre des affaires étrangères, dit-il, nous a parlé d'une grande neutralité européenne comme d'un projet dont il espère que la réalisation serait possible : si M. le ministre pouvait réussir dans un tel projet, et qu'il pût, dans cette neutralité, comprendre le royaume indépendant de Pologne, nous lui devrions une palme de reconnaissance. »
Vous l'entendez, il admet la possibilité d'une Pologne indépendante et constituée neutre ; il conçoit la neutralité, et avec elle le maintien de la souveraineté.
Appliqué à la Belgique, ce système tend plutôt à la préserver de la convoitise des grandes puissances, qu'à la restreindre dans ses droits : sa défense contre toute agression reste entière ; elle jouit de l'avantage de ne pouvoir être entraînée dans une guerre étrangère ; elle possède un moyen de résistance aux exigences des grands États, elle peut affecter une plus grande somme de ses ressources à tous les genres d'amélioration et de prospérité intérieure. Du reste, libre dans ses relations de commerce, même en temps de guerre, elle est inviolable dans son territoire et attire l'étranger par ses garanties de sécurité. Si la neutralité est impuissante, comme tout autre traité, en cas de conflagration générale, elle est protectrice dans les autres cas d'invasion ou de guerre ; et comment méconnaître ce qu'elle a de tutélaire pour nos provinces au seul souvenir de notre histoire.
Rappelons-nous, en effet, que malgré la valeur héréditaire de leurs habitants, elles furent de tout temps victimes des querelles étrangères : indépendamment du traité de Munster, ouvrez ceux des Pyrénées, d'Aix-la-Chapelle, de Nimègue, d'Utrecht et de la Barrière : ainsi que je le disais le 20 novembre à cette tribune, nous y voyons la Belgique compromise tour à tour par ceux qui la gouvernent comme par ceux qui semblent la protéger ; par l'Espagne, l'Autriche et la France, comme par la Hollande et l'Angleterre. Indépendance, territoire, commerce, elle est froissée, mutilée dans ces grands intérêts sans qu'elle puisse les défendre au conseil des puissances qui en disposent. J'appelais alors à l'Europe nouvelle des griefs de la Belgique envers la vieille Europe ; je les soumettais à sa bonne foi et à sa justice : « Le temps est venu, lui disais-je, d'un système réparateur pour nous, en même temps que mieux entendu et tutélaire pour elle. »
Il me semble que la neutralité, aussi longtemps qu'elle pourra être respectée, est de nature à préserver notre pays des calamités qui tant de fois ont pesé sur lui. L'expérience qu'en a faite Marie-Thérèse vient à mon appui. Le temps des guerre de Charles-Quint, des invasions de Louis XIV et de Louis XV, avait été pour nous un temps de détresse publique. En 1756, la guerre devenait imminente entre la France et l'Angleterre au sujet des limites de leurs possessions en Amérique ; Marie-Thérèse, alliée jusque-là des puissances maritimes, conclut avec la France le traité de Versailles, où elle obtint sa neutralité dans cette guerre, sous la condition onéreuse d'une alliance pour toutes les autres. C'est à la faveur de ce traité que les Pays-Bas autrichiens jouirent d'une tranquillité parfaite pendant la guerre de sept ans, lorsque l'Allemagne était en feu : cet état de sécurité ramena la prospérité intérieure qui leur était presque inconnue depuis le règne des ducs de Bourgogne. Les provinces qui, dans le XVIIe siècle, subvenaient avec peine aux aides ordinaires, fournirent alors à la monarchie un grand nombre de subsides extraordinaires, en témoignant, par l'organe des États, tout ce qu'ils devaient de bien-être à la politique que leur souveraine avait adoptée : et pourtant à cette époque l'Escaut était fermé, la libre navigation des fleuves n'était pas encore dans le droit public européen, et le commerce des Indes nous était interdit.
Que répondrai-je à l'honorable membre qui s'est plaint hautement que le port d'Anvers continuât d'être un port purement commercial ? N'est-ce pas sous ce régime qu'Anvers a prospéré depuis quinze ans ? N'est-il pas reconnu que la marine militaire s'accorde mal avec la marine marchande ? Visitez les principaux ports de France : trouverez-vous à Toulon, à Brest, à Cherbourg cette activité de commerce maritime qui fait la richesse du Havre et de Marseille ?
(page 561) Je viens de relever les objections principales, d'expliquer pourquoi elles ont fait peu d'impression sur mon esprit. Je pense fermement que le rejet des préliminaires peut entraîner ma patrie dans un abîme de maux : nos libertés alors périraient avec elle. Leur adoption, au contraire, nous ouvre toutes les chances de négociations puissamment soutenues, nous concilie toute la faveur d'un Etat régulier, et, s'il faut combattre, double les forces de la nation et de l'armée en les ralliant autour d'un pouvoir définitif, en leur montrant enfin quel est le but et quel sera le prix de la victoire. Si cette opinion était une erreur, elle aurait au moins cela de consolant qu'elle aurait servi la cause de cette admirable Pologne, à qui nous devons plus que de stériles vœux (En note de bas de page, le livre d’E. HUYTTENS contient ce qui suit : « Plusieurs orateurs avaient pensé que, par l'acceptation des dix-huit articles, ou aurait compromis le sort de la révolution polonaise. Cette opinion a été combattue par le Moniteur belge (voyez le supplément au numéro du 7 juillet), dans l’article intitulé : De la Belgique et de la Pologne. » Dans la même note, le texte de cet article est reproduit. Il n’a pas été repris pour cette version numérisée.) Rappelez-vous les instructions de son gouvernement, publiées naguère par les journaux : cette médiation des puissances, objet de tant d'attaques parmi nous, la Pologne l'invoque et l'appelle au nom de son (page 562) ancienne indépendance : elle l'attend comme une réparation du crime de son partage. J'ai la confiance qu'un vote d'adoption de nos préliminaires de paix peut y concourir. Je l'émettrai donc, pénétré d'ailleurs de cette conviction, que rien ne peut assurer un succès plus durable à la cause des libertés publiques et de la civilisation, que la royauté populaire de Louis-Philippe en France, et de Léopold en Belgique. (M. B., 13 juill.)
M. Jottrand – Je crois qu'il nous serait plus avantageux de conserver le statu quo actuel. Qu'avons-nous à craindre ? La misère est moins imminente que passé quatre mois ; l'expérience vient encore de prouver que les émeutes étaient faciles à calmer ; vous voyez que la Hollande veut la paix à tout prix. L'orateur examine ensuite la question du Limbourg sous le point de vue commercial : il croit qu'il n'y a pas possibilité que deux nations, situées comme la Belgique et la Hollande, fassent toutes deux le commerce du transit, et que nous ne parviendrons pas à enlever le Limbourg à la Hollande sans guerre, si nous acceptons les préliminaires en ce moment. (La clôture ! la clôture !) (J. B, 11 juill.)
M. le baron Beyts demande la parole contre la clôture ; il fait observer qu'il a parlé un des premiers, et il demande un quart d'heure pour présenter quelques observations (Non ! non ! la clôture ! la clôture !) (M. B., 11 juill.)
M. Alexandre Rodenbach – J'aime à croire maintenant que tout le monde se lèvera pour appuyer la clôture ; il est trois heures, et par conséquent, si l'on veut en finir, il est temps d'aller aux voix. (Appuyé ! appuyé !) (M. B., 11 juill.)
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée. MM. le baron Beyts, de Robaulx, et Seron restent seuls assis. (Hilarité générale.) (Note de bas de page : « Par suite de cette décision, MM. Raikem, Maclagan et Rouppe n'ont pu faire connaître les motifs de leurs opinions sur les préliminaires de paix ; MM. Raikem et Maclagan les avaient mis par écrit, M. Rouppe les a insérés dans une lettre adressée aux rédacteurs de l'Émancipation. nous les reproduisons ci-après » (non repris dans cette version numérisée)). (M. B., 11 juill.)
M. le président – Je vais d'abord mettre (page 563) aux voix la question préalable, qui a été proposée par M. de Robaulx. (M. B., 11 juill.)
On procède à l'appel nominal.
195 membres répondent.
51 membres votent pour la question préalable.
144 votent contre.
En conséquence la question préalable est rejetée. (P. V.)
Ont voté pour la question préalable, c'est-à-dire pour qu'on ne mît pas aux voix la question de l'acceptation des dix-huit articles ; MM. Thonus, Watlet, Lardinois, de Labeville, Nalinne, de Thier, Jaminé, Vergauwen-Goethals, d'Elhoungne, le baron de Meer de Moorsel, Eugène de Smet, l'abbé Van de Kerckhove, Teuwens, Bischoff, Dams, Rosseeuw, Jean-Baptiste Gendebien , Van der Looy, Forgeur, Fransman , CJaes (d'Anvers), Bredart, Collet, Defacqz, de Robaulx, Seron, Blargnies, Davignon, Drèze, le comte de Robiano, Jottrand, Henri de Brouckere, Gelders, Meeûs, Frison, :Helias d'Huddeghem, Beaucarne, Destriveaux, Camille de Smet, l'abbé Dehaerne, Brabant, Alexandre Gendebien, Pirson, Deneeff, Speelman-Rooman, Wannaar, Alexandre Rodenbach, de Tiecken de Terhove, Fleussu, Charles de Brouckere, Charles Coppens.
Ont voté contre la question préalable : MM. Constantin Rodenbach, de Lehaye, l'abbé Pollin, Struye-Provoost, Van Snick, Gustave de Jonghe, Morel-Danheel, le comte de Quarré, Van der Belen, Lefebvre, le marquis de Rodes, Van Innis, d'Martigny, Van Hoobrouck de Mooreghem, Marlet, Thienpont, Claes (de Louvain), le baron de Stockhem, d'Hanens-Peers, Ooms, Hippolyte Vilain XIIII, Delwarde, de Behr, le chevalier de Theux de Meylandt, Olislagers de Sipernau, le baron de Terbecq, le baron de Viron, le baron Joseph d'Hooghvorst, Béthune, le comte Duval de Beaulieu, Allard, le baron d'Huart, François Le Hon, Gendebien (père), Domis, Serruys, Le Bon, le comte d'Arschot, Thorn, de Rouillé, l'abbé Wallaert, Buylaert, Simons, Geudens, Jacques, Deleeuw, le vicomte Desmanet de Biesme, Isidore Fallon, le baron de Leuze, (page 564) le baron Verseyden de Varick, Mulle, Roeser, le baron Beyts, le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, Buyse-Verscheure, le comte d'Oultremont, Roels, le baron Osy, Annez de Zillebeecke, Van de Weyer, Coppieters, Cauvin, Marcq, Dumont, Verwilghen, le comte Félix de Mérode, le baron de Sécus (père), Henry, le baron de Woelmont, Peeters, Pirmez, Maclagan, Jacobs, le baron de Pélichy van Huerne, le comte de Bocarmé , Zoude (de Saint-Hubert) , Du Bois, de Decker, Du Bus, Van Meenen, d'Hanis van Cannart, l'abbé Verduyn, l'abbé Joseph de Smet, Le Grelle, Bosmans, Trentesaux, Picquet, le vicomte de Bousies de Rouveroy , de Nef, l'abbé van Crombrugghe, Cartuyvels, Cols, Baugniet, Berthels , de Roo, l'abbé Corten, Berger, Rouppe, le vicomte Charles Vilain XIIII, Vandenhove, le comte Werner de Mérode, de Sebille, Masbourg, l'abbé Boucqueau de Villeraie, Philippe de Bousies, de Ville, l'abbé Andries, Albert Cogels, le baron Van Volden de Lombeke, Barthélemy, Devaux, le baron Frédéric de Sécus, Goethals-Bisschoff, Nothomb, le comte de Renesse, le comte d'Ansembourg, Jean Goethals, de Schiervel, Louis Coppens, le vicomte de Jonghe d'Ardoie , le baron de Coppin, Henri Cogels, le comte de Bergeyck, Cruts, Lebeau, de Man, de Coninck, Vercruysse-Bruneel, Lecocq, de Muelenaere, Blomme, Joos, Destouvelles, Le Bègue, de Gerlache, Barbanson, Charles Rogier, Charles Le Hon, Nopener, l'abbé de Foere, François, Doreye , Raikem , Liedts. (P. V.)
M. de Robaulx – Je demande la parole. Messieurs, c'est un devoir constitutionnel que je demande à remplir. Je suis porteur d'une protestation contre la votation (on rit) des dix-huit articles. Je vais en donner lecture et je la déposerai sur le bureau :
« Considérant qu'aux termes de l'article premier de la constitution, le territoire de la Belgique comprend les provinces d'Anvers, de Brabant, de la Flandre orientale, de la Flandre occidentale, de Hainaut, de Liége, de Limbourg, de Namur et de Luxembourg, sauf les relations de cette dernière avec la confédération germanique ;
« Que, suivant l'article 80, le roi ne prend possession du trône qu'après avoir prêté le serment de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire ;
« Que c'est sous ces conditions expresses que la couronne a été offerte par le congrès au prince de Saxe-Cobourg ;
« Qu'en effet l'article premier du décret du 4 juin dernier porte textuellement :
« S. A. R. Léopold, George-Chrétien-Frederic, prince de Saxe-Cobourg, est proclame roi des Belges, à la condition d'accepter la constitution, telle qu'elle est décrétée par le congrès national ;
« Que l'acceptation donnée par le prince est subordonnée à des conditions diamétralement contraires aux dispositions ci-dessus rappelées, puisqu'il exige, pour venir prendre possession du trône, l'adhésion préalable du congrès à des sacrifices qui enlèveraient à la Belgique des parties de son territoire ;
« Que si, par impossible, le congrès pouvait perdre de vue son mandat au point de consentir aux propositions qui lui sont faites par les cinq puissances, aux décisions desquelles le prince se réfère, il s'ensuivrait que son élection serait radicalement nulle, puisque des personnes étrangères à la Belgique, ainsi mutilée, y auraient pris part comme membres du congrès.
« En conséquence les soussignés, en leur qualité de membres du congrès national de la Belgique, protestent solennellement contre la mise en délibération de toute proposition qui tendrait à porter atteinte à l'intégrité du territoire, tel qu'il a été fixé par la constitution belge. Ils protestent spécialement contre toute adhésion directe ou indirecte aux protocoles et propositions de la conférence de Londres.
« En agissant ainsi, les soussignés ne font que céder à l'impulsion de leur conscience ; ils sont persuadés qu'ils remplissent un devoir sacre. »
« Signé : DE ROBAULX, SERON, JOTTRAND, THONUS-AMAND, C. DE SMET , BISCHOFF , SPEELMAN-ROOMAN, CH. DE BROUCKERE, J. DENEEFF, J. FRISON, J. B. GENDEBIEN, L. COPPENS, L. BREDART, PIRSON, HELIAS D'HUDDEGHEM. CH. COPPENS, BEAUCARNE, BLARGNIES, VAN DE KERCKHOVE, E. DE SMET, l'abbé DEHAERNE, D'ELHOUNGNE, DRÈZE, ROSSEEUW, DAMS, JAMINÉ, WATLET, VERGAUWEN-GOETHALS, A. GENDEBIEN, A. RODENBACH, le comte DE ROBIANO, GELDERS, VAN DER LOOY, NALINNE, WANNAAR, TEUWENS, DE MEER DE MOORSEL.
Nous avons effacé le nom de M. Le Bègue, qui d'abord avait signé avec nous. (M. B., 11 juill.)
M. Le Bègue – Ajoutez que vous avez effacé mon nom sur ma demande. (M. B., 11 juill.)
M. Liedts – M. Louis Coppens demande aussi que son nom soit effacé. (M. B., 11 juill.)
M. Lardinois – (page 565) Ajoutez-y le mien. (M. B., 11 juill.)
M. de Robaulx – Nous effacerons les noms de tous ceux qui veulent quitter la société. (M. B.,11 juill.)
M. Charles Rogier – Il me semble que la protestation ne devrait venir qu'après l'adoption des articles de la conférence. (M. B., 11 juill.)
M. de Robaulx – Non, puisque nous protestons contre la délibération elle-même. (M. B., 11 juill.)
- Après que les noms ont été effacés ou inscrits, M. de Robaulx dépose la protestation sur le bureau. (M. B., 11 juill.)
M. le président – Je dois mettre aux voix l’amendement de M. Beyts, qui est ainsi conçu : « Le congrès national considérera comme non avenu son consentement aux propositions préliminaires, si un traité de paix définitif n'en est la suite et le résultat ; il se réserve de déclarer, dans ce cas, que son acceptation est caduque et sans force obligatoire. » (M. B., 11 juill.)
M. le baron Beyts – Je demande la parole. (Non ! non ! Aux voix ! aux voix !) (M. B., 11 juill.)
- On met aux voix l'amendement de M. le baron Beyts ; personne que lui et M. Van Meenen ne se lèvent pour le soutenir. (Hilarité générale.) (M. B., 11 juill.)
L'amendement est rejeté. (P. V.)
M. le président – L'amendement de M. Van de Weyer ayant été retiré, il ne reste plus qu'à voter sur la proposition de MM. Van Snick et Jacques, ainsi conçue :
« Le congrès national décrète :
« Le congrès adopte les dix-huit articles suivants, qui forment les préliminaires du traité de paix entre la Belgique et la Hollande. » (M. B., 11 juill., et P. V.)
M. le baron Beyts – Je demande la parole sur la position de la question. (Non ! non !) Messieurs, je ne comprends pas bien la question, et il faut que le congrès la comprenne. Est-ce avec la conférence ou avec la Hollande que vous vous engagez ? (Aux voix ! aux voix !) Il faut bien y prendre garde, ceci pourrait être considéré comme un engagement envers la conférence. (Aux voix ! aux voix !) Vous en avez un exemple dans l'armistice. Je veux bien accepter les préliminaires de paix ; mais si le traité de paix ne suit pas, je ne veux pas être engagé. (Les cris : Aux voix ! aux voix ! forcent l'orateur à s'asseoir.) (M. B., 11 juill.)
M. Seron – On demande la lecture des dix-huit articles. (Non ! non ! Agitation.) (M. B., 11 juill.)
M. Devaux et M. Lebeau disent que ceux qui demandent la lecture sont parfaitement dans leur droit. (E., 11 juill.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture des dix-huit articles, moins le considérant, qui ne fera pas partie du décret. (M. B., 11 juill.)
M. Alexandre Gendebien – Je demande, et je crois bien que j'en ai le droit, que mon vote sur la question préalable soit inséré au procès-verbal, aussi bien que celui que je vais émettre. Je déclare de plus que je resterai ici pour l'acquit de mon devoir, mais que c'est sous le bénéfice de la protestation que j'ai signée et qui vient d'être déposée. (M. B., 11 juill.)
M. de Robaulx, M. Seron et plusieurs autres membres demandent aussi que leur vote soit inséré au procès-verbal. (M. B., 11 juill.)
M. le président – Tous les votes seront insérés textuellement. (M. B., 11 juill.)
- On procède au vote par appel nominal, sur la proposition de MM. Van Snick et Jacques, relative à l'acceptation des dix-huit articles proposés par la conférence de Londres.
196 membres répondent à l'appel. M. Masbourg, qui n'avait pas assisté à l'appel sur la question préalable, est entré dans la salle pour le second appel.
126 membres votent pour la proposition.
70 votent contre.
(En note de bas de page de l’ouvrage d’E. HUYTTENS, on retrouve la répartition des votes par provinces, avec indication des absents. Cette répartition n’est pas reprise dans cette version numérisée).
(page 566) En conséquence, la proposition est adoptée (En note de bas de page, l’ouvrage d’E. HUYTTENS reprend un article du Moniteur belge du 17 juillet, qui faisait suite à l’acceptation des préliminaires de paix. Cette citation n’est pas reprise dans cette version numérisée. Signalons que cette note indique que « à aucune époque le journal officiel n’a pris une part aussi directe et nous dirons aussi quotidienne aux discussions publiques ».) (Applaudissements et bravos prolongés dans la salle et dans les tribunes.) (M. B., 11 juillet, et P.V.)
Ont voté pour : MM. Le comte d’Arschot, (page 567) Barbanson, Barthélemy, le baron Beyts, Baugnioet, l’abbé Corten, de Ville, le baron Joseph d’Hoogvorst, Lefebvre, Vandenhove, Van der Belen, Van de Weyer, le baron Van Volden de Lombeke, (page 568) le baron de Viron, Demelin, Claes (de Louvain), le baron Verseyden de Varick, Marcq, Cols, Berthels, Buylaert, Buyse-Verscheure, Coppieters, Béthune, de Coninck, l’abbé de Foere, (page 569) le vicomte de Jonghe d'Ardoie, de Man, de Muelenaere, le baron de Pélichy van Huerne, Devaux, Goethals-Bisschoff, Maclagan, Morel-Danheel, Mulle, l’abbé Pollin, Serruys, Constantin Rodenbach, l’abbé Wallaert, Roels, de Roo, Struye-Provoost, Vercruysse-Bruneel, l'abbé Andries, Annez de Zillebeecke, Blomme, le comte de Bergeyck, l’abbé Van Crombrugghe, de Decker, de Lehaye, l’abbé Joseph de Smet, Delwarde, Van Hoobrouck de Mooreghem, d'Hanens-Peers, Gustave de Jonghe, Le Bègue, le marquis de Rodes, Thienpont, le baron de Terbecq, l'abbé Verduyn , Verwilghen, Van Innis, Hippolyte Vilain XIIII, Louis Coppens, Allard, Van Snick, le comte Duval de Beaulieu , François Lehon , Gendebien (père) , de Rouillé, le baron de Leuze, le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, Cauvin, Dumont, le baron de Sécus (père), Pirmez, le comte de Bocarmé, Du Bus, Picquet, le vicomte de Bousies de Rouveroy, de Sebille, Philippe de Bousies, le baron Frédéric de Sécus, (page 570) Charles Le Hon, le comte Werner de Mérode, le baron de Stockhem, de Behr, Deleeuw, le comte d'Oultremont, Cartuyvels, Lebeau, de Gerlache, Charles Rogier, le chevalier de Theux de Meylandt, Olislagers de Sipernau, le comte Félix de Mérode, le baron de Woelmont, le comte de Renesse, Domis, Le Bon, le baron Osy, Peeters, Jacobs, Du Bois, d'Hanis van Cannart, Le Grelle, de Nef, l'abbé Boucqueau de Villeraie, Albert Cogels, Henri Cogels, Joos, Bosmans, le comte de Quarré, le vicomte Desmanet de Biesme, Henry, le baron de Coppin, d'Martigny, Marlet, Thorn, Simons, Jacques, Roeser, Zoude (de Saint-Hubert), Berger, Nothomb, François.
Ont voté contre : MM. Meeûs, Rouppe, Van Meenen, d'Elhoungne, Jottrand, Deneeff, Nopener, Jean Goethals, Alexandre Rodenbach, l'abbé Dehaerne, Bischoff, Rosseeuw, Beaucarne, Charles Coppens, Camille de Smet, Eugène de Smet, le baron de Meer de Moorsel, Fransman, Helias d'Huddeghem, Liedts, Speelman-Roonian, Vergauwen-Goethals, Van der Looy, l'abbé Van de Kerckhove, Wannaar, Nalinne, Jean-Baptiste Gendebien, Bredart, Defacqz, Blargnies, Trentesaux, Frison, Alexandre Gendebien, Lecocq, Lardinois, de Thier, Forgeur, Collet, Davignon, Drèze, Destriveaux, Raikem, Doreye, Fleussu, Jaminé, Teuwens, le vicomte Charles Vilain XIIII, Henride Brouckere, Gelders, le comte d'Ansembourg, de Schiervel, Cruts, Destouvelles, de Tiecken de Terhove, Charles de Brouckere, Ooms, Geudens, Claes (d'Anvers), le comte de Robiano, de Labeville, Isidore Fallon, de Robaulx, Seron, Brabant, Pirson, Thonus, Watlet, le baron d'Huart, Dams, Masbourg. (P. V.)
M. le baron Osy propose qu'une députation de cinq membres soit envoyée au prince de Saxe-Cobourg, pour lui annoncer l'acceptation des préliminaires de paix par le congrès et pour l'inviter à se rendre en Belgique le plus tôt possible. Il développe cette proposition en faisant sentir qu'il n'est pas convenable que, dans une circonstance aussi solennelle, on se contente d'annoncer cette nouvelle au prince par un courrier. (M. B., 11 juill.)
M. Forgeur – Je m'oppose, messieurs, à l'adoption de cette proposition, qui me semble propre à exposer à une dépense inutile. Lorsque vous voterez le budget de l'État, vous apprécierez la justesse de mon observation. Il ne s'agit pas ici d'une circonstance comme celle de l'élection du prince. Le congrès a fait ce qu'il devait faire vis-à-vis du roi élu. Lui annoncer l'acceptation des préliminaires, ce n'est pas l'affaire du congrès, mais une affaire de gouvernement. Vous avez autorisé le gouvernement à négocier sur ces bases, c'est au gouvernement seul à transmettre les préliminaires à qui il convient. Ne nous précipitons pas trop vite dans l'adulation, messieurs ; on n'en trouvera que trop d'occasions quand la Belgique sera constituée, si jamais elle se constitue. (M. B., 11 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, il y a ici une distinction à faire qui rentre en partie dans les observations de l'honorable M. Forgeur. Je pense que, n'ayant pas reçu les préliminaires des mains du prince, et la conférence ne les ayant pas adressés directement au congrès, mais au gouvernement, il convient que l'acceptation de ces préliminaires soit transmise à Londres par les soins du gouvernement. Mais il est un autre devoir devant lequel on ne peut pas reculer. Le prince est seul en Angleterre, il a manifesté le désir d'être entouré de Belges en venant en Belgique, et de ne pas y arriver escorté d'étrangers. Pensez-vous que le congrès national compromette ses droits en envoyant au prince des députés pris dans son sein pour lui notifier que les obstacles à son arrivée en Belgique sont maintenant levés ? Non sans doute, il n'y a même que le congrès qui puisse faire cette notification. Il y a donc deux missions à remplir ; une officielle auprès de la conférence, une officieuse auprès du prince, je crois donc qu'on rentrerait dans les idées de M. Forgeur et en même temps dans ce qu'exigent les convenances, si une députation, que je ne demande pas nombreuse, mais de cinq membres, par exemple, allait à Londres pour notifier au prince que tous les obstacles sont levés, et pour l'accompagner jusqu'à son arrivée en Belgique. Ou a reproché au roi Guillaume de ne s'entourer que d'étrangers : empêchons, messieurs, qu'on puisse jamais faire un pareil reproche à notre nouveau roi. Personne ne lui fera, croyez-le bien, entendre (page 571) de paroles d'adulation. On fera connaître au prince le résultat de vos délibérations ; et quoiqu'il n'y ait plus de majorité ni de minorité, maintenant que la résolution est prise, on lui dira avec quel zèle les droits de la Belgique ont été défendus dans cette circonstance solennelle, et le prince y puisera la conviction qu'il doit être jaloux de maintenir ces droits auxquels tient sa popularité ; je pense que je n'ai pas besoin d'insister davantage pour combattre d'avance la supposition qu'on tiendrait au prince un langage indigne de nous. (M. B., 11 juill.)
M. le baron Beyts – Il y a une chose à ajouter : c'est que tout ce qui est relatif à l'arrivée du prince rentre essentiellement dans les attributions du congrès. (Aux voix ! aux voix !) (M. B., 11 juill.)
M. Alexandre Rodenbach – Je demande la parole. Messieurs, en ma qualité de membre de l'opposition, je déclare que je me réunis à la majorité du congrès. L'honorable M. Fallon rédige une proposition dans ce sens. Vive le roi !
(Des applaudissements généraux et prolongés accueillent cette déclaration.) (M. B., 11 juill.)
M. Camille de Smet – Je me joins aussi à la majorité ; mais ce n'est pas au moment où mon cœur est navré que je ferai entendre des cris de joie. (Rumeurs.) (M. B., 11 juill.)
- La proposition de M. le baron Osy est mise aux voix et adoptée. (P. V.)
On procède à la nomination des cinq membres qui doivent former la députation. (P. V.)
M. le président tire au sort quatre bureaux de scrutateurs ; ils sont composés comme suit :
Premier bureau : MM. Jacobs, Ooms, le vicomte de Bousies de Rouveroy, le comte de Bocarmé.
Deuxième bureau : MM. de Ville, Henri Cogels, Picquet et Buyse-Verscheure.
Troisième bureau : MM. le baron de Woelmont, Baugniet. Isidore Fallon, le baron de Pélichy van Huerne.
Quatrième bureau : MM. Van de Weyer, le comte de Renesse, Le Grelle, Lecocq. (P. V.)
Le dépouillement du scrutin donne le résultat suivant :
M. Lebeau a obtenu 156 suffrages ;
M. le comte Félix de Mérode, 152 ;
M. Fleussu, 117 ;
M. de Muelenaere, 105 ;
M. le baron Joseph d'Hooghvorst, 91. (P. V.)
- Ces cinq membres, présents à la séance, déclarent accepter la mission (L’ouvrage de E. HUYTTENS reprend en note de bas de page : l’horaire de la délégation, l’horaire et l’itinéraire pour l’entrée du roi en Belgique, le choix de Jules Van Praet, comme secrétaire de son cabinet, les proclamations du 14 et du 15 juillet faites par la régence de Bruxelles par suite de l’acceptation définitive, une description de l’ovation reçue et des cérémonies publiques en l’honneur du roi, lors de son passage dans les diverses villes belges de son itinéraire (La Panne, Ostende, Bruges (discours de l’abbé de Foere), Gand, Alost, Assche, Molenbeek, Laeken)). (P. V.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Plusieurs membres demandent que le congrès (page 572) s’ajourne jusqu’à lundi en huit, sauf le droit du président du congrès et du régent de le convoquer dans l’intervalle, si le prince arrivait avant cette époque. (M. B., 11 juill.)
M. Devaux – (page 573) Il faudrait consulter avant M. le ministre des finances, pour savoir si, dans l’intervalle, il n’aurait pas besoin d’un crédit provisoire. (M. B. , 11 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Il ajoute qu’un crédit pourrait être nécessaire pour que le service du ministère de la guerre ne fût pas en souffrance. (M. B., 11 juill.)
M. d’Hanis van Cannart – Le budget des voies et moyens est voté ; l’argent ne manque pas. (M. B., 11 juill.)
M. le comte d’Arschot – (page 574) Si je suis bien informé, il y a des fonds suffisants pour l'administration de la guerre. (M. B., 11 juill.)
M. Devaux – Nous savons bien qu'il y a des fonds, mais il n'y a pas de crédit ouvert. (M. B., 11 juill.)
M. Barthélemy, ministre de la justice, dépose la proposition suivante :
« Le congrès national,
« Vu l'urgence,
« Décrète :
« Il est accordé à chaque ministère, pour subvenir aux dépenses de juillet, un crédit d'une somme égale au sixième des sommes qui leur ont été allouées pour les six premiers mois de l'année. » (M. B., 11 juill.)
M. le baron d’Huart demande le renvoi de cette proposition en sections. (M. B., 11 juill.)
- Plusieurs membres déclarent qu'ils ne veulent pas voter sur cette proposition sans un mûr examen. (M. B., 11 juill.)
- Après un long débat, et après divers amendements proposés, M. le baron d'Huart fait remarquer que l'assemblée n'est plus en nombre. (M. B., 11 juill.)
La séance est levée à cinq heures. (P. V.)