(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 42) (Présidence de M. de Gerlache)
La séance est ouverte à une heure. (P. V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (I., 9 avril., et P. V.)
M. le baron d'Haultepenne informe le congrès qu'il n'accepte pas les fonctions de député, auxquelles il a été appelé par suite de la démission de M. Zoude (de Namur). (P. V.)
M. Pirson écrit de Paris une lettre de trois pages pour demander un congé de dix jours. (Hilarité générale. De toutes parts : La lecture ! la lecture !) (J. F., 9 avril.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, donne lecture de cette lettre : M. Pirson annonce qu'il est allé conduire son fils en pension à Paris ; il présente, en même temps, quelques considérations générales sur la politique de la France et de l'Angleterre, et spécialement sur la question de la guerre. (J. F., 9 avril.)
- Le congé demandé par M. Pirson est accordé. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, lit une lettre de M. Le Grelle, bourgmestre d'Anvers, qui demande un congé de quinze jours. Ce congé lui est nécessaire après les événements qui se sont passés, et dans l'état où se trouve la ville d'Anvers. (C., 9 avril.)
M. de Robaulx – Si M. Le Grelle croit ne pouvoir pas quitter la ville d'Anvers, c'est que ses fonctions sont incompatibles dans le moment avec celles de membre du congrès ; il n'a dès lors qu'à donner sa démission : car le congrès ne peut pas ainsi permettre l'absence de ses membres, dont le nombre est réduit au point que, pour peu que cela continue, nous ne serons plus en nombre pour délibérer. Le motif que la présence d'un membre est nécessaire à la tête de l'administration qui lui est confiée ne suffit pas pour légitimer son absence ici : car c'est à l'aide de semblables motifs que MM. de Muelenaere et Thorn sont absents depuis plusieurs mois. (I., 9 avril.)
M. Forgeur – Si nous devons nous montrer sévères pour accorder des congés, je ne crois pas que ce soit le cas avec M. Le Grelle. Sa présence peut être en effet bien nécessaire à Anvers, et son assiduité au congrès jusqu'ici vous prouve qu'il faut de puissants motifs pour l'empêcher de s'y rendre. Quoique la ville d'Anvers soit en état de siège et à ce titre soumise au pouvoir militaire on sent aisément qu'il peut exister, qu'il doit même exister des rapports entre l'administration militaire et l'administration civile. Dans cette position, je le répète, M. Le Grelle peut être fort utile à Anvers ; mais d'un jour à l'autre, les circonstances peuvent changer, et je ne crois pas que le congrès doive, ni qu'il puisse exiger la démission de l'honorable membre. J'approuve du reste les observations faites par le préopinant en ce qui touche MM. de Muelenaere et Thorn. (I., 9 avril.)
M. le comte Duval de Beaulieu – J'ajouterai à ce qui vient d'être dit une considération, c'est que nous nous montrons très sévères pour ceux qui nous demandent des congés, tandis qu'il y a beaucoup d'absents qui ne demandent pas de congé, qui se taisent et qui ne donnent signe de vie, ni de mort. Je pense qu'il serait bien plus convenable de se plaindre de l'absence de ces derniers que de refuser des congés quand les motifs en sont aussi légitimes que celui que donne M. Le Grelle. (I., 9 avril.)
M. Alexandre Gendebien – J'ai demandé à la dernière séance que le bureau écrivît aux membres absents. Je réitère cette demande aujourd'hui ; que le bureau les somme de se rendre à leur poste, en leur signifiant qu'une absence plus prolongée les fera considérer comme démissionnaires. (I., 9 avril.)
M. Forgeur – (page 43) Je crois, messieurs, que la seule punition à infliger aux membres absents, c'est la publicité. Nous n'avons pas le droit de les considérer comme démissionnaires, car il n'appartient pas au congrès de leur enlever un mandat qu'il ne leur a pas donné (Assentiment.) (I., 9 avril.)
M. Alexandre Gendebien – Si nous ne prenons pas des mesures pressantes pour faire rentrer les membres absents, nous qui sommes où le devoir nous prescrit d'être, nous consumerons ici notre temps sans profit pour le pays. Je ne dis pas qu'il faille les démissionner, mais il est indispensable de les mettre en demeure et de les forcer de se prononcer, afin que nous sachions s'ils conservent leur mandat oui ou non. (Appuyé.) (I., 9 avril.)
M. le baron de Leuze est d'avis d'accorder le congé demandé. (I., 9 avril.)
M. le président – Je crois que la mesure la plus efficace à prendre est la publicité. (I., 9 avril.)
M. le vicomte Desmanet de Biesme – Il faut que le congrès exprime son mécontentement de voir si peu de zèle dans les circonstances où nous nous trouvons. (I., 9 avril.) .
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – On pourrait exprimer le blâme au procès-verbal. (I., 9 avril.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Il me semble que ce que nous voulions faire est fait par cette discussion même. Insérer le blâme au procès-verbal, me semble une mesure ridicule ; c'est vouloir traiter les hommes comme des écoliers. (Bruit.)(I., 9 avril.)
M. le président – Nous nous écartons beaucoup de la question. Revenons au congé demandé ; cette discussion nous fait perdre notre temps. (I., 9 avril.)
M. Alexandre Gendebien – Il me semble qu'il n'y a rien de ridicule à vouloir que le pays soit dignement représenté et à exiger que chacun remplisse le mandat qui lui est confié, ou qu'il déclare ne pas pouvoir l'accepter. (Aux voix ! aux voix !) (I., 9 avril.)
- Un congé de huit jours est accordé à M. Le Grelle. (P. V.)
M. Pollin annonce qu'il se rendra à la séance lundi. (P. V.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. de Schiervel et M. de Renesse font connaître qu'ils se rendront au congrès sous peu de jours. (P. V.) .
- Pris pour notification. (P. V.)
M. Engler informe l'assemblée qu'une affaire pressante l'appelant à Paris, il est dans l'impossibilité d'accepter le mandat de représentant au congrès. (P. V.)
M. le président – La liste des suppléants pour le Brabant méridional est épuisée. (Agitation prolongée.) (I., 9 avril.)
Un des secrétaires présente l'analyse des pétitions suivantes :
Le percepteur de la commune de Braine-Lalleud présente des observations sur le projet de décret relatif à l'emprunt de 12 millions.
MM. Nicolas Poncelet et Joseph Wauty, bateliers à Neffe, demandent la restitution des droits de patente perçus depuis 1827 sur les bateaux dits Sambroises.
Les notaires du canton de Wellin demandent l'autorisation d'instrumenter dans toute la province. (P. V.)
M. le président annonce que l'ordre du jour est la discussion du projet de décret sur l'emprunt de 12,000,000 de florins. (E., 9 avril.)
M. Van Snick – Le rapport n'a pas été distribué à tous les membres. (E.. 9 avril.)
M. de Robaulx – Avant de passer à la discussion en question, et puisqu'il s'agit d'un vote de fonds, ma conscience se refuserait à y prendre part si avant nous n'étions éclairés sur les bruits sinistres qui circulent depuis hier. Vous le savez, l'indépendance de la patrie est mise en doute. Je demande donc que les ministres soient appelés au congrès, pour qu'ils nous donnent des explications claires et précises sur le système qu'ils se proposent de suivre dans des circonstances aussi graves. Je demande que M. le ministre des relations extérieures nous communique les dépêches diplomatiques qu'il a dû recevoir, et nous fasse connaître l'opinion du cabinet français. Il est indispensable que tous les ministres assistent à la discussion qui va s'ouvrir, afin qu'ils puissent répondre tout de suite aux questions qui leur seront adressées. (E., 9 avril.)
- De toutes parts – Appuyé ! appuyé ! (E., 9 avril.)
M. Devaux, ministre d’Etat – M. le ministre des affaires étrangères est absent, sans doute parce qu'il ne savait pas l'heure fixée pour l'ouverture de la séance, Ensuite on concevra facilement que dans ce moment des occupations sérieuses doivent le retenir dans son cabinet ; je ne doute pas qu'en (page 44) le faisant prévenir, il ne s'empresse de se rendre à la séance. (E., 9 avril.)
M. Alexandre Rodenbach – Il faut que nous sachions comment le ministère accueille les protocoles avant de lui donner notre confiance. On ne vote pas ainsi 12,000,000 de florins sans savoir ce qu'on en fera. (l., 9 avril.).
M. le président annonce qu'il vient d'envoyer un huissier à M. le ministre des affaires extérieures. (E., 9 avril.)
- Plusieurs membres – Il faut aussi en envoyer aux ministres des finances et de la guerre. (E., 9 avril.)
- La séance est suspendue un instant ; MM. les ministres des affaires étrangères, des finances et de la guerre entrent successivement. Celui de l'intérieur sort. (E., 9 avril.)
M. le président – La parole est à M. de Robaulx, pour une question préalable. (Non, non, vous vous trompez.) (E., 9 avril.)
M. de Robaulx – Je ne fais pas de question préalable ; ce que j'ai à dire touche au contraire au fond de la discussion que nous allons entamer et ne peut en être séparé.
Avant de nous occuper de frapper un emprunt ou une contribution extraordinaire, la nation belge doit savoir quelle destination sera donnée aux fonds qui nous sont demandés. Pour cela, les ministres doivent annoncer ce qu'ils ont arrêté sur nos destinées, le plan qu'ils se proposent de suivre.
A l'avance, je dois le dire, nous ne pouvons plus aujourd'hui nous croire satisfaits par la réponse banale : Quand on veut la paix, il faut se préparer à la guerre. Laissons ces phrases sentencieuses, pour arriver au positif.
Il y a quelques jours, le ministre des relations extérieures nous disait à cette tribune qu'il ne désespérait pas du maintien de la paix. Ses illusions doivent être dissipées ; la guerre doit, si je ne me trompe, lui paraitre plus qu'imminente, car je la considère comme commencée entre les peuples et les despotes.
Depuis quelque temps, les ministres français quittant le masque dont ils s'étaient couverts, laissaient percer le système de leurres et de duplicités qu'ils avaient adopté vis-à-vis de nous. N'en doutez pas un instant, depuis le premier pas de la diplomatie française dans nos affaires, jusqu'à ce jour, tout n'a été qu'une infâme tromperie, une continuité de déloyautés, indigne de la nation française.
Grâce à l'éloquence énergique de MM. Lamarque et Mauguin, ces véritables représentants de la révolution de juillet, le ministère de Louis-Philippe nous est montré à nu ; ses odieux projets nous sont connus ; le complot de la Sainte-Alliance, reconstituée par Louis-Philippe et ses ministres, n'est plus un mystère.
M. Sébastiani, a dit, à la tribune, que la France avait adhéré aux protocoles de la conférence de Londres, et cherchant à justifier sa hideuse conduite, il a ajouté que la Belgique formerait un État indépendant, moins le Luxembourg. La France s'est engagée à l'exécution de ces conventions.
Est-ce bien le même ministre, celui qui au nom d'une grande nation ose tenir un tel langage, qui nous faisait notifier officiellement par son envoyé, au mois de février dernier : « Le gouvernement français n'a point adhéré aux dispositions du protocole du 27 janvier. Dans la question des dettes comme dans celle de la fixation de l’étendue et des limites des territoires belge et hollandais, il a toujours entendu que le concours et le consentement libres des deux États étaient nécessaires. » C'était un leurre ; par ce moyen, on voulait appuyer une candidature qu'à l'avance on était décidé à refuser.
Vous le voyez, le ministère de Louis-Philippe a voulu temporiser ; il voulait notre perte, notre honte, mais il n'osait l'avouer. Le moment n'était pas arrivé où il pourrait nous imposer son système de déception, de mauvaise foi. Il a fallu les interpellations pressantes de deux amis de la liberté des peuples, pour l'amener à nous présenter un joug humiliant.
« Le protocole du 20 janvier, a dit M. Sébastiani, doit être la règle de conduite du ministère français. »
Plus de doute, le gouvernement de Louis-Philippe a pactisé avec la Sainte-Alliance. Louis-Phillippe lui-même est entré dans la conspiration flagrante contre les libertés. Il consent à joindre ses forces à celles des autres despotes, pour violer le territoire belge.
Nous ne pouvons, sans manquer à notre mandat, sans trahir la nation, sans anéantir l'article premier de la constitution et réprouver notre glorieuse révolution, nous soumettre à une atrocité semblable. Le gouvernement français nous abandonne, nous (page 45) délaisse, c'est la conséquence d'un plan machiavélique qu'il a toujours suivi contre nous.
Réduits à nous-mêmes, nous n'avons plus de mesures à garder avec un tel gouvernement.
Rappelez-vous les concessions qu'il nous a arrachées par duperie. Il s'agissait de nous constituer en république : le cabinet de Louis-Philippe nous dépêche un agent occulte ; par ses manœuvres, un grand nombre d'entre nous sacrifient à la tranquillité de la France leur opinion en faveur de cette forme de gouvernement, parce que, nous disait-on, si vous adoptez la république, en France elle a aussi beaucoup de partisans ; plus tard, la contagion pourra gagner, et vous amènerez le renversement du trône, du seul pays qui se montre véritablement notre ami, notre allié. Vous décrétez la monarchie pour complaire à l'opinion de ceux qui se déclarent aujourd'hui nos ennemis.
Plus tard, beaucoup de membres étaient contraires à tout ce qui pouvait nous rapprocher de la France, et nous mettre plus ou moins indirectement sous l'influence de son gouvernement ; ils voyaient juste. Eh bien ! encore pour la tranquillité de la France, on les amena à sacrifier leurs votes, qu'ils destinaient à un autre candidat, pour appeler le duc de Nemours.
Vous connaissez trop bien la suite de cette duperie, le langage fallacieux qui accompagna le refus, pour que je vous le rappelle.
Usons de nos ressources, elles sont immenses. Par un manifeste, invoquons la sympathie des peuples, faisons un appel aux nations ; la France, cette France grande et généreuse, que je distingue de son gouvernement machiavélique, est notre amie ; elle nous répondra, n'en doutez pas ; notre cause est la sienne. C'est sur les champs de bataille que la liberté doit triompher ou être anéantie, et non dans les repaires de la diplomatie.
Plaçons-nous à la hauteur d'hommes libres et indépendants, alors, la Pologne, l'Italie reprendront courage en voyant une nation, leur devancière en révolution, imiter leurs nobles exemples.
Puisque les rois absolus (ici je ne fais aucune distinction) nous déclarent la guerre, acceptons-la, et. montrons-leur que nous sommes dignes de la cause sacrée que nous défendons. Nous aurons tous les peuples pour nous, tous ne forment qu'un vœu, c'est d'en finir avec le despotisme, sous quelque masque qu'il se cache.
Les nations sont prêtes. La guerre générale aura lieu, malgré les utopies déshonorantes des diplomates.
Par un protocole, acte de nulle valeur en face de la liberté armée, on veut nous enlever le Luxembourg, sous le vain prétexte qu'il appartient à la confédération germanique ; si nous ne repoussons énergiquement une prétention aussi injuste, demain, par un nouveau prétexte, on nous présentera le joug humiliant de la restauration, ou, nous y soumettant par parties, on finira par nous démembrer. Sachons résister à l'alliance des tyrans, formons de suite l'un des anneaux de l'alliance des peuples... Guerre, guerre à mort, à tout ce qui est contre la liberté !
Notre constitution comprend le Luxembourg dans le territoire belge. Le régent a prêté le serment de maintenir l'intégrité de ce territoire. (L'orateur lit les termes du serment.) Dans sa proclamation aux habitants de cette province, il a renouvelé ce serment à la face de l'Europe ; il disait : « Luxembourgeois, vous êtes depuis plus de trois siècles Belges comme nous, et vous vous êtes montrés dignes de ce nom. Restez unis et fermes. Au nom de la Belgique, acceptez l'assurance que vos frères ne vous abandonneront jamais. »
(page 46) Je demande aux ministres ce qu'ils ont fait pour remplir cette promesse sacrée et soutenir un langage aussi énergique. Ce n'est pas avec quatre ou six bataillons appelés pour protester qu'il faut combattre ; quittons ces voies timides. La nation entière exige de son gouvernement l'exécution d'engagements solennels ; elle se montrera toujours quand il s'agira de repousser les empiétements des étrangers. .
Je demande qu'il soit fait un appel aux volontaires, pour se porter à la défense du Luxembourg, point actuellement menacé. Les raisons astucieuses avancées par la diplomatie ne doivent point nous arrêter ; quand un peuple entier secoue le joug de ses tyrans, on ne peut consulter les titres qu'aurait pu créer l'usurpation, tout contrat est brisé, et la nation entière reprend ses droits ; elle devient elle-même ; laisser à des tiers le droit de la fractionner, de la diviser et de la parquer à leurs caprices, ce serait, je le répète, reconstituer la Sainte-Alliance.
Que les ministres, dans ces graves circonstances, se pénètrent bien de la tâche qui leur est imposée ; qu'ils sachent que, s'ils reculent devant leurs devoirs, les Belges, plus forts que leur gouvernement, feront eux-mêmes leurs affaires ; ils ne souffriront jamais que leur honneur soit terni, leur gloire humiliée.
Le ministre des affaires étrangères disait à cette tribune, il y a quelques jours, qu'il donnerait sa démission plutôt que de consentir à aucune atteinte à notre indépendance, à l'intégrité du territoire ; je lui rappelle sa promesse, j'en prends acte.
Si le ministère ne sentait pas la position où le placent les circonstances, s'il hésitait à prendre un parti digne de la nation, une effrayante responsabilité l'attend.
Le gouvernement français trahit la cause des peuples. Il sera frappé de l'anathème des peuples.
Louis-Philippe, oubliant qu'il a été hissé sur le pavois par la volonté nationale, déchire le sein de sa mère ; il rompt avec toutes les révolutions, il s'en déclare l'ennemi. Que les révolutions lui prouvent que si les rois passent, les peuples restent. Les exemples ne manquent pas ; on sait de nos jours quels sont les moyens à employer pour briser un trône qui renie son origine et veut exercer la violente. Les antipathies franchissent facilement les frontières, les nations comprennent que l'injustice qui atteint l'une d'elles menace toutes les autres.
Soyez-en convaincus, messieurs, le moment n'est pas éloigné où les hommes stationnaires subiront le juste châtiment de leur système timide et avilissant. Ils se sont mis à genoux devant les rois ; les peuples n'ont pu sans indignation voir une telle humilité, ils en ont frémi. Le jour de la vengeance approche. En attendant nous combattrons seuls s'il le faut ; les nations témoins de notre courage ne nous laisseront pas succomber.
Que l'on fasse un appel aux signataires de l'association de l'indépendance nationale ; ils ont promis de combattre. Faites marcher l'armée régulière, ranimez l'ardeur de nos braves volontaires, mettez-les en présence de nos ennemis quels qu'ils soient ; leur dévouement éprouvé nous est un sûr garant de leurs succès ; nous avons encore la garde civique, animée du patriotisme le plus pur : ordonnez une levée en masse enfin. La Belgique n'aurait-elle pas autant de braves que cette héroïque Pologne ? Et si M. Sébastiani trouvait cette terre de valeur trop éloignée pout lui porter secours, la garde nationale et l'armée française savent que la Belgique touche à leur patrie ; pour sceller notre fraternité, elles ne manqueront pas de nous tendre leurs bras protecteurs, en dépit du froid égoïsme de ceux qui pensent être à leur tête.
Trop longtemps notre gouvernement s'est fié aux paroles fallacieuses des cabinets européens, (page 47) aujourd'hui cette fausse sécurité nous abandonne ; c'est le gouvernement français et sa politique honteuse qui nous réduit à n'avoir recours qu'à nous et à notre désespoir.
La conduite de Louis-Philippe, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, confirme l'opinion que j'avais de lui ; il réalise de sinistres prévisions. Souverain populaire, il veut donner le baptême de la légitimité à sa couronne ; pour cela, il sacrifiera tout. Mais qu'il se rappelle qu'aux yeux des rois, il est né bâtard. Au dedans, il a perdu la confiance et l'amour de la nation : consultez la France, elle vous répondra que toutes ses espérances sont déçues. Au dehors, sa politique étroite et servile est toute d'intérêt personnel ; elle porte à l'exaspération toutes les nations trompées par son avènement. Qu'a-t-il fait pour la cause des peuples ? L'Italie et la Pologne sont sacrifiées au maintien de la ligue des têtes couronnées, la liberté est immolée partout, même en France, à la conservation d'un quasi-droit divin.
Le ministère français vous l'a dit, il a consenti à ce que la Pologne soit écrasée, il a consenti à ce que les patriotes italiens soient égorgés par les soldats de l'Autriche, et il consent à nous donner des fers. Le gouvernement de Louis-Philippe est d'une mauvaise foi insigne, il est évidemment lié par des traités secrets, il ne vise qu'à l'assujettissement de tous les peuples. L'âme de ses perfides combinaisons est son représentant à la conférence de Londres.
Nous marchons à une nouvelle révolution ; elle sera due au système suivi par le système actuel du ministère français ; elle sera plus terrible que celle commencée en 1789, parce que celle de 1830 a été trahie par ses enfants, comme la première l'a été par les hommes à courte vue de la France. Que Louis-Philippe y prenne garde, il joue gros jeu. Par la conduite et les intrigues de ceux auxquels il accorde sa confiance, il va livrer l'Europe au hasard de nouvelles commotions, la livrer à l'anarchie : les jours sanglants de 92 et 93 pourront renaître ; ce n'est pas que j'approuverais de semblables choses, car avant tout je déteste l'anarchie.
Ministres belges, vous avez nos destinées entre vos mains, montrez-vous dignes de votre mission : voulez-vous nos fonds, nos bras ? dites-le ! la loi suprême de la nécessité vous le commande ; vigueur, énergie, audace même, ne négligez rien, nous vous soutiendrons dans la défense de l'indépendance du territoire. Ceux-là auront ma confiance qui sauront tout employer pour laisser sans tache l'honneur national.
Expliquez-vous, c'est de votre déclaration que dépendra mon vote sur les lois financières :
Je demande au ministre des relations extérieures :
1° S'il a connaissance de l'adhésion donnée par le gouvernement français au protocole du 20 janvier, qui consacre l'intervention directe dans la question des limites, et qui nous enlève le Luxembourg ?
2° Le ministère est-il sincèrement décidé à faire la guerre à qui que ce soit pour maintenir l'intégrité du territoire, et a-t-il pris ou va-t-il prendre des mesures à cet effet ?
(Ce discours, prononcé avec verve, a excité les plus vives émotions et a été interrompu à plusieurs reprises par des applaudissements et des bravos.) (E., 9 avril.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, monte à la tribune. (Vif mouvement d'intérêt suivi d'un silence profond.) – Messieurs, nous n'avions pas attendu l'arrivée des dépêches dont je vais vous faire connaître la substance, pour vous dire que nous devions nous préparer à la guerre. Mais en vous disant que la guerre était imminente, nous vous avons demandé de l'argent et des bras, comme mandataires de la nation, et si nous avons ajouté que la paix était encore possible, je le répète, nous n'avons pas attendu pour nous préparer à la guerre que les dépêches nous fussent arrivées, et il me semble que l'honorable membre qui a voulu insinuer des doutes sur les intentions du ministère avait plus de confiance que nous dans la paix, puisqu'il a refusé de voter la mobilisation du premier ban de la garde civique. Trêve donc de doutes et de soupçons sur un ministère qui est et qui sera toujours belge, et dont le patriotisme est un sûr garant qu'il ne prendra jamais que des mesures dignes de vous et de la nation. (Bravo ! bravo !)
Vous vous rappelez, messieurs, que lorsque nous nous occupions du choix du chef de l'État, il nous a été distribué, il nous a été communiqué une lettre de M. le ministre des affaires étrangères de France, dont je dois vous rappeler les termes :
« Paris, ce 1er février 1831.
« Monsieur,
« Si, comme je l'espère, vous n'avez pas encore communiqué au gouvernement belge le protocole du 27 du mois de janvier, vous vous opposerez à cette communication, parce que le gouvernement du roi n'a point adhéré à ses dispositions. Dans la question des dettes comme (page 48) dans celle de la fixation de l'étendue et des limites des territoires belge et hollandais, nous avons toujours entendu que le concours et le consentement libres des deux États étaient nécessaires.
« La conférence de Londres est une médiation, et l'intention du gouvernement du roi est qu'elle ne perde jamais ce caractère.
« Agréez, monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
« HORACE SÉBASTIANI. »
Cette lettre, messieurs, est arrivée à la suite du protocole du 20 janvier, qui nous fut communiqué par un seul des commissaires près la conférence de Londres, et contre lequel vous aviez fait une protestation énergique. A la suite de cette communication intervint le protocole du 27 janvier, qui réglait la dette, tandis que celui du 20 réglait les limites. Vous vous rappelez, messieurs, que c'est moi qui demandai l'impression de cette lettre, en disant qu'il fallait qu'elle restât comme un monument contre le ministre qui l'avait souscrite, s'il venait à renier ses œuvres, prévision qui vient se réaliser aujourd'hui. (Sensation pénible, agitation.)
Je dois dire cependant que dans les dépêches que nous avons reçues, il n'y a rien d'officiel. Ces dépêches ne contiennent que des communications verbales faites à notre envoyé près la cour de France, desquelles il résulterait que le gouvernement français aurait adhéré au protocole du 20 janvier, et cependant la lettre de M. Sébastiani à M. Bresson fait partie des archives du ministère des affaires étrangères. Elle a reçu, par la communication et l'impression que vous en avez ordonnée, le caractère officiel ; dès lors le ministre des affaires étrangères de France doit nous répondre, non pas par des communications verbales, mais par des communications officielles. Vous sentirez que quoique l'adhésion au protocole du 20 janvier soit en date du 2 avril., n'en ayant eu connaissance que pour ce qui en a été dit à notre envoyé, il m'est impossible de dire l'étendue de cette adhésion. Est-elle générale ? Est-elle partielle ? Est-elle pure et simple ? Est-elle entière ? Est-elle restrictive ? Je l'ignore, et il m'est d'autant plus impossible d'affirmer quelque chose à cet égard, que, quoique l'adhésion soit du 2, dans la séance du 4, M. Sébastiani a tenu un langage qui ne se concilie pas avec ce que nous dit notre envoyé. Dans la séance du 4, il ne dit pas un mot du Limbourg, il ne parle que du Luxembourg, encore dit-il à cet égard qu'il doit s'imposer quelque réserve à cause des négociations entamées. Si je me trompe, je prie ceux de mes collègues qui ont lu la séance du 4 de relever mon erreur. Quant aux autres questions, l'adhésion du gouvernement français serait pure et entière. Si je consulte la note de notre envoyé, l'adhésion n'affecterait en rien les questions du Luxembourg : voici du reste la réponse qui a été faite à un envoyé de France près la conférence de Londres, qui avait mission d'obtenir des modifications au protocole du 20 janvier :
« RELATION POLITIQUE DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG TELLE QU'ELLE RESSORT DES TRAITÉS.
« Les relations politiques du grand-duché de Luxembourg, son étendue et ses limites, ont été fixées par l'acte du congrès de Vienne. Aucun changement n'y a été apporté par des traités subséquents.
« En vertu de l'article 67 de l'acte du congrès de Vienne, le grand-duché de Luxembourg forme un des États de la confédération germanique.
« Servant de compensation aux pays que la maison de Nassau-Orange possédait en Allemagne, le Grand-Duché a été déclaré reversible à la branche de Nassau-Biberich, celle d'Orange venant à s'éteindre. (Voir l'article 71 de l'acte du congrès de Vienne.)
« Propriété de la maison de Nassau, et non du roi des Pays-Bas, le Grand-Duché n'a pu faire partie du royaume des Pays-Bas.
« Le roi ne pouvait et ne peut en disposer.
« Il ne pouvait prendre à l'égard de ce pays que des mesures administratives, et encore, qu'autant que cela pouvait se faire sans préjudice aux droits de souveraineté et de reversibilité, et aux relations du Grand-Duché avec la confédération germanique, dont il ne cesse de faire partie.
« La faculté réservée au roi par le traité de Vienne de 1810, de faire, relativement à la succession dans le Grand-Duché, tel arrangement de famille entre les princes ses fils que S. M. jugera conforme aux intérêts de sa monarchie et à ses intentions paternelles, ne peut déroger en rien aux rapports politiques de ce pays avec la maison de Nassau et la confédération germanique.
« L'intervention de la confédération germanique dans les affaires du grand-duché de Luxembourg ne saurait être considérée, comme le gouvernement français l'a reconnu lui-même, (page 49) comme une intervention dans les affaires intérieures d'un pays étranger.
« Elle ressort des articles 2 et 11 de l'acte fondamental de la confédération, basé sur des principes de paix et de sécurité mutuelle, ainsi que des articles 6, 18, 25, 26 et 36 de l'acte complémentaire du 8 juin 1820. Le cas d'intervention est prévu et précité.
« La confédération forme un ensemble reconnu comme tel par toutes les puissances, ayant incontestablement le droit, ainsi que tout État indépendant, de prendre dans l'étendue de ses limites telles mesures qu'elle peut juger convenables pour le maintien de l'ordre, et pour le rétablir là où il a été troublé. »
C'est, messieurs, à la suite de cette réponse que l'adhésion du cabinet français a été donnée au protocole du 20 janvier. Mais, pour qu'il ne reste aucun doute, des courriers vont être expédiés, avec ordre de rapporter une réponse catégorique.
Il résulte de ces dépêches, qu'au moins le cabinet français et le cabinet anglais sont d'accord sur un point, savoir : que la cause du prince d'Orange est entièrement perdue en Belgique, et que, quant aux négociations relatives au choix définitif du chef de l'État, les deux cabinets marcheront d'accord. Nous protestons du reste, comme nous l'avons déjà fait, que nous ne reconnaîtrons à personne sur ce point que le droit de conseil.
Quoi qu'il en soit, messieurs, nous ne voulons pas entretenir le pays dans une sécurité trompeuse. Nous croyons que la guerre est imminente. Toutes les mesures seront prises pour mettre le Luxembourg en état de défense ; il est de l'intérêt et de l'honneur de la Belgique de ne pas se séparer de cette province ; et la Belgique serait digne de retomber sous le joug si elle pouvait prêter la main à ce lâche et honteux abandon. (Bravo ! bravo !) Les Luxembourgeois sont nos frères. (Oui ! oui !) Le roi Guillaume les a considérés comme Belges pendant quinze ans. Pendant quinze ans leurs belles forêts ont grossi le trésor belge. Comme nous, les Luxembourgeois ont subi le joug honteux et humiliant de la Hollande, et c'est là qu'ils ont puisé le droit de faire comme nous leur révolution. Messieurs, nous vous avons demandé des bras, il faut les armer ; pour cela nous avons besoin de fonds, vous nous en accorderez. Je ne peux vous dire quel plan de défense sera adopté dans la guerre qui se prépare : vous sentez qu'un plan, mûrement examiné dans le conseil, ne saurait être divulgué sans profit pour nos ennemis ; mais soyez assurés que, dans toutes les mesures que nous adopterons, nous serons fidèles à l'honneur national et entièrement dévoués à son indépendance. La devise du ministère est : Fais ce que dois, advienne que pourra. (Bravo ! bravo !) (C., 9 avril.)
M. de Robaulx – Messieurs, il doit m'être permis de répondre à ce qu'a dit M. Lebeau, touchant les doutes que j'aurais élevés contre les intentions du ministère. Je ne prétends pas faire ici amende honorable ; ce que j'avance est le résultat de ma conviction, et je ne me rétracte jamais ; mais je crois que dans cette circonstance M. le ministre s'est trompé. Je ne me suis livré à aucune insinuation contre le ministère, j'ai dit seulement que je voulais qu'il m'expliquât sa marche avant de lui voter des fonds. Ce que j'ai dit, je le répète. Nous sommes ici attaqués dans notre indépendance. Les puissances veulent démembrer la Belgique. Ministres belges, je vous demande de vous joindre à l'élan national pour défendre notre indépendance et notre territoire : alors je voterai des fonds. On nous a dit, messieurs, que ce qui nous a été communiqué n'était pas officiel, que ce n'était que le résultat de communications verbales. (C., 9 avril.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Pas même de communications verbales. (C., 9 avril.)
M. de Robaulx – C'est le résultat de conversations verbales. (On rit.) Eh bien, si les communications ne sont pas officielles, il n'en est pas moins vrai que nous devons croire à leur contenu ; il est évident que, d'après les paroles de M. Sébastiani à la tribune, l'adhésion au protocole ne peut plus faire la matière d'un doute ; cette adhésion a servi de base aux raisonnements du ministre. Eh bien, messieurs, puisque nous sommes abandonnés même par la France, ne comptons plus sur elle. Les communications diplomatiques sont peu de chose pour moi ; je ne suis pas d'avis, pour prendre un parti, d'attendre des communications officielles. Aujourd'hui tout est démasqué : Louis-Philippe trahit la révolution. Mais la France est là ; elle est grande, généreuse, elle connaît son intérêt, elle nous soutiendra. Envoyons des troupes dans le Luxembourg, c'est là que doivent être concentrés tons nos moyens de défense. Nous ne craignons pas d'être attaqués d'un autre côté, la Hollande n'oserait. Vingt-quatre mille hommes de la confédération germanique menacent le Grand-Duché : envoyons-y dix mille hommes, ils suffiront pour le défendre. Confiant dans la parole du ministre, qui, je le pense, est l'expression des vues du ministère entier, je voterai des fonds ; mais que le ministère n'oublie pas qu'il faut agir aujourd'hui (page 50) avec vigueur, avec énergie, avec audace même, si nous voulons triompher. (C., 9 avril.)
M. Van de Weyer – Je dois relever une erreur qui est échappée à M. le ministre des affaires étrangères relativement à la lettre de M. Sébastiani. Cette lettre, a-t-il dit, a été communiquée semi-officiellement. Je ne sais ce que c'est qu'une communication semi-officielle, mais le congrès se souviendra que lecture de cette lettre lui a été donnée, et qu'il en a ordonné l'impression ; du reste, elle n'aurait pas été imprimée qu'elle n'en aurait pas moins fait partie des archives du ministère. (I., 9 avril.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – J'ai dit ce qui s'est passé réellement à la séance du 3 février. On nous a d'abord communiqué semi-officiellement la lettre de M. Sébastiani, nous en avons demandé lecture, et le congrès en a ordonné l'impression. (I., 9 avril.)
M. Alexandre Rodenbach – Je demanderai au ministre de la guerre si les mesures sont prises pour la défense de la Belgique, et si un appel a été fait aux volontaires pour la défense du Luxembourg ? (I., 9 avril.)
M. Van de Weyer trouve la question dangereuse. Le ministère a dans ses mains les moyens d'exécution, il ne doit pas faire connaître d'avance les plans qu'il se propose d'exécuter. (I., 9 avril.)
M. Destouvelles – Nous avons des relations avec le cabinet français, et pour le moment je me garderai bien de prendre la défense du gouvernement de ce pays ; mais nos relations ne se bornent pas à la France. Je demanderai si notre envoyé à Londres a été reçu ? (l., 9 avril.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Dans la dernière séance j'ai dit que je l'ignorais, et j'ai expliqué les causes qui pouvaient occasionner le retard. J'ai expédié un courrier à Londres, j'attends la réponse ; le congrès peut être bien convaincu qu'il ne me convient pas de laisser notre envoyé dans une position qui ne me conviendrait pas à moi-même, et si la réponse n'est pas telle que nous devons l'attendre, M. d'Arschot sera rappelé. (I., 9 9 avril.)
M. Destouvelles – Quoique n'ayant pas été reçu officiellement, M. d'Arschot peut avoir reçu de lord Palmerston des communications officieuses. Je demande, s'il en existe, qu'on nous les fasse connaître. (I., 9 avril.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je ne puis rien dire des communications officieuses qui ont été faites à notre envoyé par le cabinet anglais, parce que ces communications ont trait à des négociations que la publicité pouvait faire avorter. (Appuyé !) (I., 9 avril.)
M. Alexandre Gendebien – J'avais demandé la parole pour répondre à la question de M. Alexandre Rodenbach. Il y a quatre semaines, le conseil des ministres prit une résolution pour envoyer des troupes dans le Luxembourg ; la dissolution du ministère a empêché de mettre cette résolution à exécution. (I., 9 avril.)
M. Alexandre Rodenbach – Je demande pourquoi on ne l'a pas exécutée sur-le-champ ? (I., 9 avril.)
M. Van de Weyer répète qu'aujourd'hui toute explication à cet égard serait dangereuse, Le ministre de la guerre prendra sous sa responsabilité les mesures nécessaires pour la défense du pays. Le congrès ne doit pas en demander davantage. (I., 9 avril.)
M. de Robaulx – J'admets que le ministère ne puisse pas s'expliquer sur toutes les mesures qu'il se propose de prendre ; mais il en est certaines sur lesquelles il le pourrait sans inconvénient, Par exemple, il pourrait nous dire si son intention est de faire un appel aux volontaires, qui seront certainement nos meilleurs soldats. (I., 9 avril.)
- La clôture de cette discussion préliminaire est mise aux voix et prononcée. (I., 9 avril.)
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de décret sur un emprunt de 1.2,000,000 de florins. (I., 9 avril.)
M. Jottrand – Puisque nous sommes tous d'accord sur la nécessité de l'emprunt, il n'est pas besoin de dire aux ministres quels risques ils courraient si les fonds n'étaient pas employés d'après la volonté avouée de l'assemblée. Il faut qu'ils se rappellent qu'il n'est pas voté pour autre chose que la guerre. La France nous est hostile, elle continue à marcher dans le système déplorable du ministère Sébastiani, et emploie toutes ses forces pour rétablir le système de 1815, après avoir fait un appel indirect aux peuples. Obligés de lui résister comme aux autres cabinets, il faut que nous organisions une force de résistance, non pour repousser l'invasion, car je ne crois pas que la Sainte-Alliance se soit mise en mesure pour le faire. Elle continuera son système machiavélique (page 51) pendant quelque temps et ne nous attaquera pas, si nous nous mettons en mesure. S'il en était autrement, elle nous traiterait comme les Polonais et les Italiens. Que le ministère se rappelle qu'on pourrait, non l'accuser d'incapacité, mais de trahison, s'il ne prend pas des mesures de défense. Il a devant les yeux la punition récente des ministres de Charles X, qui n'ont pas perdu leur pays, mais qui ont tenté seulement de le perdre. (J. B., 9 avril.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, trouve que la leçon est prématurée, et prie le congrès d'être convaincu que le ministère est assez pénétré de la gravité des circonstances pour savoir ce qu'il doit faire. (I., 9 avril.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances – Plusieurs membres du congrès m’ont demandé des explications sur les recettes et les dépenses ; je suis bien aise d'avoir cette occasion de déclarer que tous les députés peuvent tous les jours venir à mon ministère consulter les états de recette, les dépenses et la nature des dépenses : il n'y aura jamais aucun secret.
Je dépose sur le bureau un état d'après lequel la recette totale du 1er octobre au 31 décembre a été d'environ 6 millions 800 mille florins, et la dépense de 4 millions 100 mille florins. Du 1er janvier au 2 avril., la recette 9 millions 700 mille florins, et la dépense 10 millions 260 mille florins. D'où il résulte que le 2 avril, nous avions en caisse plus de 2 millions de florins. Maintenant nous allons nous occuper d'établir un budget pour le deuxième semestre. (E., 9 avril.)
M. d’Elhoungne demande pourquoi, lors du premier projet d'emprunt, le ministère se contentait de 7 millions de florins, si les domaines avaient étaient vendus, et qu'aujourd'hui il en demande douze. (I., 9 avril.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances, répond qu'en cas de vente des domaines il se serait contenté de 7 millions, parce que les domaines ne valaient pas davantage, et, dit-il, nous ne pouvions pas vendre plus que nous n'avions. (I., 9 avril.)
On passe à la discussion de l'article premier, ainsi conçu :
« Art. 1. Il sera levé un emprunt de 12 millions de florins pour subvenir aux besoins extraordinaires de l'État. » (I., 9 avril, et A. C.)
M. Alexandre Rodenbach propose de dire : Pour subvenir aux besoins extraordinaires de la guerre. (A.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances – Il est certain que l'emprunt est demandé pour subvenir au besoin de la guerre, cependant une petite partie devra être employée à autre chose, parce que les rentrées ne montent pas à l'estimation présumée. (J. B., 9 avril.)
M. d’Elhoungne – Du moment qu'il est employé aux besoins extraordinaires, le congrès doit être satisfait. (J. B., 9 avril.)
- L'amendement de M. Alexandre Rodenbach est mis aux voix et rejeté. (P. V.)
L'article premier est adopté. (P. V.)
« Art. 2. Les domaines, les contributions et tous autres revenus de l'État présents et futurs sont affectés à la garantie de l'emprunt. » (A. C.)
M. Jottrand propose la suppression de l'article ; il est certain, dit-il, que tout emprunt a ses garanties. Ce ne sont que les pays qui ont un petit crédit, comme l'Espagne, qui font cette mention. (J. B., 9 avril.)
- L'article est supprimé. (P. V.)
« Art. 3. L'emprunt est remboursable au 1er janvier 1833, ou plus tôt si les circonstances le permettent. »
- Adopté. (A. C. et P. V.)
« Art. 4. Tout propriétaire ou usufruitier contribuera dans l'emprunt à concurrence d'une somme égale à la contribution foncière qui repose sur les biens dont il a la pleine propriété ou l'usufruit pour l'exercice courant ; sauf déduction des centimes additionnels perçus au profit des communes et des provinces. » (A. C.)
Il s'élève une discussion pour savoir si l'usufruitier sera admis à se faire rembourser par le propriétaire le montant de la cote d'emprunt qu'il aura payé. (I., 9 avril.)
M. Henri de Brouckere propose d'ajouter au mot : usufruitier, les mots : ce dernier sans préjudice à la disposition du paragraphe 3 de l'article 609 du Code civil. (A.)
- Quelques membres font observer qu'il faut laisser ces questions,. si elles s'élèvent, à la décision des tribunaux. (I., 9 avri !.)
- L'amendement de M. Henri de Brouckere est rejeté. (P. V.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances, propose un amendement conçu en ces termes :
« Les recouvrements se feront à charge du propriétaire aussi longtemps qu'il n'aura pas fait connaître l'usufruitier. » (A.)
- Cet amendement est adopté ; il forme le paragraphe 3 de l'article 4 du décret. (P. V.)
M. Van Meenen propose la disposition additionnelle suivante :
(page 52) « Il est bien entendu que cette charge porte sur le propriétaire seul et aucunement sur le locataire, nonobstant toute clause ou disposition contraire d'un acte antérieur quelconque. » (A.)
- Cet amendement est rejeté. (P. V.)
M. Camille de Smet présente cette disposition :
« Les cotes de 15 florins sont exemptées.» (A.)
- Cet amendement est rejeté. (P. V.)
M. d’Hanis van Cannart propose une disposition additionnelle ainsi conçue :
« Cependant le propriétaire ou usufruitier ne contribuera, pas dans l'emprunt à raison des propriétés détruites ou submergées par suite de la guerre. » (I., 9 avril. et A.)
- Cette proposition est adoptée et forme le paragraphe 2 de l'article 4 du décret. (P. V.)
L'ensemble de l'article 4 est ensuite adopté. (P. V.)
« Art. 5. Le recouvrement de la première portion de l'emprunt qui a pour base l'impôt foncier, se fera sur les rôles de la contribution foncière de l'exercice courant : moitié est exigible le 1er mai, l'autre moitié le 1er juillet prochain.» (A. C.)
- Cet article, après la suppression du mot première, est adopté avec la disposition additionnelle suivante, proposée par M. Meeûs :
« Les obligations dans l'emprunt patriotique du 22 octobre 1830, seront reçues comme espèces en payement de l'emprunt, avec déduction d'intérêts au prorata du temps non encore écoulé. » (P. V., et A.)
« Art. 6. Un contingent égal au principal de la contribution personnelle de 1830 sera assigné à chaque commune. Ce contingent sera réparti entre les deux tiers des habitants et contribuables les plus aisés, d'après leur fortune présumée. » (A. C.)
M. le comte Duval de Beaulieu présente un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« A l'égard des contribuables qui auraient des habitations en divers lieux, la répartition d'après la fortune présumée ne pourra s'opérer qu'au lieu de leur domicile principal. » (A.)
M. de Rouillé propose l'addition suivante :
« Pour la répartition et les réclamations à faire, on suivra les formes prescrites pour la confection des rôles de cotisation personnelle dans les communes. » (A.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances, propose un amendement conçu en ces termes :
« Un contingent égal au principal de la contribution personnelle de 1830 sera assigné à chaque commune. Ce contingent sera réparti d'après la fortune présumée entre les habitants les plus aisés en nombre égal aux deux tiers des contribuables portés au rôle. » (A.)
M. Helias d’Huddeghem propose de suivre pour base les cotes de la contribution personnelle de 1830, et demande que la somme qui sera due par le tiers des contribuables que la loi exempte du payement soit répartie au marc le franc des cotes primitives des deux autres tiers. (A.)
M. le baron de Sécus (père) propose dire : au marc le franc de leurs contributions personnelles. (A.)
M. Isidore Fallon présente un amendement ainsi conçu :
« Un contingent égal au principal de la contribution personnelle de 1830 sera assigné à chaque commune, et réparti au marc le franc de leurs cotes respectives, parmi les deux tiers des contribuables les plus imposés au rôle de cette contribution. » (A.)
- Cette disposition ayant d'abord été mise aux voix, est adoptée et fait tomber les autres amendements. (P. V.)
L'article 7 du projet se trouve supprimé par la nouvelle rédaction de l'article 6. (P. V.)
« Art. 8. Les cotes de répartition sont exigibles le 1er juin prochain. Les rôles seront arrêtés par l'administration communale, déclarée responsable (page 53) de la prompte exécution de ce travail ; elle l'adressera avant le 1er mai aux receveurs des contributions directes chargés du recouvrement de l'emprunt. » (A. C.)
M. Isidore Fallon propose de commencer l'article en ces termes :
« Cette seconde portion de l'emprunt sera exigible le 1er juin prochain. »
Il demande aussi que l'expiration du délai pour adresser le travail aux receveurs soit fixé au 10 mai. (E., 9 avril., et A.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances, propose de dire : « Les rôles seront arrêtés et rendus exécutoires par l'administration communale. » (I., 9 ani !.)
- L'article amendé par MM. Isidore Fallon et le ministre des finances est adopté. (P. V.)
« Art. 9. Les receveurs adresseront aux prêteurs des avertissements du montant de leur cote, et ce sans frais. »
- Adopté. (A. C., et P. V.)
« Art. 10. A chaque payement les receveurs délivreront, sous le nom des prêteurs, des récépissés provisoires de sommes égales à celles qui auront été versées. .
« Les récépissés provisoires sont considérés comme effets au porteur.
« Le prêteur peut, en soldant ses cotes, exiger du receveur la division de la somme totale en deux récépissés. » (A. C.)
M. Isidore Fallon demande la suppression du dernier paragraphe. (E., 9 avril.)
- Cette suppression est ordonnée. (P. V.)
L'article ainsi amendé est adopté. (P. V.)
On passe aux articles 11 et 12, dont voici les termes :
« Art. 11. Les récépissés provisoires seront échangés, du 1er août prochain au 31 décembre, par les agents que désignera le pouvoir exécutif, contre des obligations du trésor de 500, de 100 et de 25 florins chacune.
« Les communes sont autorisées à réunir les récépissés provisoires des porteurs qui le désireraient ainsi, pour procéder à un seul et même échange au nom de la commune, laquelle sera alors chargée d'en compter avec les intéressés ; elle pourra délivrer à cet effet des bons au porteur.
« Les obligations du trésor sont soumises au visa de la cour des comptes ; elles sont aussi considérées comme effets au porteur.
« Les obligations du trésor porteront intérêt à 5 pour cent à partir du 1er juillet prochain.
« Art. 12. Les agents chargés des échanges sont autorisés à recevoir, en espèces, le supplément nécessaire pour compléter le montant d'une obligation. » (E., 9 avril., et A. C.)
- Après une longue discussion sur ces articles et sur deux amendements présentés par M. d’Elhoungne et M. Isidore Fallon, l'assemblée en ordonne le renvoi à la section centrale pour être examinés de nouveau. (P. V.)
M. Forgeur, M. Meeûs et M. Isidore Fallon sont adjoints aux membres de la section centrale. (P. V.)
« Art. 13. Le payement de la première portion de l'emprunt, qui a pour base l'imposition foncière, doit s'effectuer aux époques désignées, quelles que soient les réclamations que les intéressés se croiraient en droit de former contre l'assiette de la contribution foncière ; mais en cas de décision favorable, ils obtiendront le remboursement de la somme payée en trop. » (A. C.)
M. Fransman propose l'amendement suivant :
« Le payement de l'emprunt doit s'effectuer aux époques désignées, quelles que soient les réclamations que les intéressés se croiraient en droit de former contre l'assiette de cet emprunt ; mais en cas de décision favorable, ils obtiendront le remboursement de la somme payée indûment. » (P. V., et A.)
- Cet amendement est adopté et par suite l'article 14 est supprimé. (P. V.)
« Art. 15. Pour les frais de perception, les versements seront considérés comme supplément de contribution. »
- Adopté. (A C., et P. V.)
« Art. 16. Les privilèges du trésor public, pour le recouvrement de l'emprunt, sont les mêmes qu'en matière de contribution directe ; ils s'étendent sur tous les biens meubles et immeubles des contribuables, sauf les objets déclarés insaisissables par les lois existantes, et sauf encore les droits antérieurement acquis à des tiers.
« Les poursuites s'exerceront d'office, à la diligence des receveurs, sans autorisation préalable, en commençant par une contrainte qui sera décernée contre les retardataires, cinq jours après l'expiration de chaque terme : au besoin la force publique pourra être requise, conformément à l'article 19 de l'arrêté du 16 thermidor an VIII. » (A. C.)
M. Isidore Fallon demande la suppression de la deuxième partie du paragraphe premier, à partir de ces mots : ils s'étendent, etc. (A.)
- Cette suppression est ordonnée, et l'article ainsi amendé est adopté avec la substitution des mots : la contrainte, à ceux de : une contrainte, qui se (page 54) trouvent dans le second paragraphe. (P. V.)
« Art. 17. Chacun pourra participer audit emprunt en offrant des souscriptions volontaires aux répartiteurs communaux.
« L'import de ces souscriptions sera d'abord déduit de la somme à répartir.
« Les noms des prêteurs volontaires seront portés en tête des rôles, avec une mention spéciale. » (A. C.)
M. Forgeur propose la suppression de cet article. (E., 9 avril.)
M. Charles de Brouckere, ministre des finances, demande de pouvoir proposer à la séance de demain une disposition qui remplacerait l'article 17. (P. V.)
- L'ajournement est prononcé. (P. V.)
M. Isidore Fallon présente un article additionnel tendant à indiquer le lieu où les obligations du trésor seront remboursées. (E., 9 avril., et P. V.)
- L'assemblée en ordonne le renvoi à la section centrale, vu sa connexité avec l'article 11. (P. V.)
M. de Smet et M. Du Bus, rapporteurs de commissions de vérification des pouvoirs, proposent l'admission de MM. Jaminé et Louis Claes, en remplacement de MM. le baron Surlet de Chokier et Hennequin, députés démissionnaires, le premier du district de Hasselt, le second du district de Maestricht ; et celle de M. Benjamin Mary, en remplacement de M. le baron d'Haultepenne, qui n'a point accepté le mandat de député du district de Namur. (P. V.)
- Ces trois suppléants sont proclamés membres du congrès. (P. V.)
M. le président – Les articles ajournés du projet de décret sur l'emprunt seront discutés demain. L'appel nominal des membres se fera à midi un quart. (J. B., 9 avril.)
M. Forgeur – Nous avions présenté plusieurs projets. Les ministres nous ont donné depuis des explications suffisantes. Il ne nous reste donc plus à nous occuper de celui sur la guerre avec la Hollande ni de celui sur la mobilisation de la garde civique, qui a été remplacé par l'adoption d'un autre. Après la discussion des articles ajournés, nous pourrions discuter la proposition sur la dissolution du congrès, ou celle sur la répression des délits. (J. B., 9 avril.)
- La séance est levée à quatre heures. (P. V.)