(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)
(page 592) (Présidence de M. de Gerlache)
Vers midi, les détachements des huit sections de la garde civique de Bruxelles viennent se ranger en bataille dans toute la longueur de la rue de la Loi.
Les portes du palais de la Nation sont assiégées par une foule considérable de citoyens ; elles s'ouvrent, et à l'instant le public envahit toutes les tribunes ; les dames y sont en grand nombre.
Un trône en velours cramoisi est placé sur une estrade au-dessous du bureau ; on y voit brodée en lettres d'or la devise nationale : L'union fait la force ; le bureau est recouvert d'une riche draperie en velours, garnie de crépines d'or ; derrière le fauteuil du président, le mur est tapissé d'un faisceau de lances et de drapeaux aux couleurs nationales, surmontés de couronnes de lauriers.
A une heure, M. de Gerlache, vice-président, et les quatre secrétaires, montent au bureau.
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le président – Je propose de tirer au sort une députation de neuf membres, qui sera chargée, avec M. le vice-président Destouvelles, d'aller recevoir M. le régent au bas du grand escalier et de l'introduire dans le sein du congrès. (P. V.)
- Cette proposition est adoptée. (P. V.)
Le sort désigne pour faire partie de cette députation MM. Le Bègue, Blomme, Huysman d'Annecroix, David, le comte Werner de Mérode, Gendebien (père), Davignon, Lecocq, et le baron de Terbecq. (P. V.)
M. Destouvelles, second vice-président, sort en tête de la députation.
Le bruit du canon, le son des cloches, le roulement du tambour, annoncent l'arrivée du régent.
Aussitôt toute la garde civique, rangée en bataille dans la rue de la Loi, porte les armes.
Peu après, les tambours de la garde civique, devant le palais de la Nation, battent aux champs.
La voiture du régent, attelée de deux chevaux seulement, s'avance au milieu des vivat prolongés de la multitude.
Elle est précédée d'un détachement de gendarmerie à cheval, et de la voiture de M. l'administrateur général de la sûreté publique, faisant les fonctions de maître des cérémonies.
Aux deux portières de la voiture du régent, marchent à cheval M. le général comte Vander Meeren, commandant militaire de la province, et M. Van Koekelberg, colonel en chef de la garde civique de Bruxelles.
Un grand nombre d'officiers du petit état-major de la garde civique et de l'armée suivent à cheval la voiture du régent.
Les officiers généraux sont assemblés sous le péristyle du palais de la Nation, pour recevoir le régent.
La musique joue les airs nationaux, qui sont à peine entendus au milieu des acclamations de la multitude.
Arrivé à l'escalier extérieur du palais, M. le régent descend de sa voiture. Il est vêtu d'un simple habit noir. Il traverse le grand vestibule au milieu d'une baie de gardes civiques, qui lui présentent les armes. Les officiers généraux lui servent de cortège jusqu'au pied du grand escalier, où M. Destouvelles lui adresse l'allocution suivante :
« Monsieur, appelé par la bienveillance du congrès à la seconde vice-présidence, c'est la première fois que j'en exerce les fonctions. Je les remplirais toute ma vie, que jamais elles ne m'offriraient l'occasion d'éprouver une satisfaction aussi vive que celle dont je suis pénétré dans cette circonstance solennelle. Elle est partagée par tous mes collègues. »
M. le régent, après avoir remercié la députation en peu de mots, monte avec elle le grand escalier. Il est introduit dans la salle par la porte qui est à la droite du président. Aussitôt l'assemblée et les spectateurs se lèvent spontanément au milieu des applaudissements et des acclamations qui éclatent de toutes parts.
M. le régent est suivi des membres de la députation, des divers chefs d'administration générale et d'un cortège nombreux et brillant, où l'on remarque le général Goblet, ministre de la guerre, en grand costume, le général baron Vander Linden d'Hooghvorst, commandant général des gardes civiques, les généraux comte Vander Meeren, gouverneur militaire du Brabant, Nypels, le marquis de Chasteler, le colonel Rodenbach, le brave Charlier, dit la jambe de bois, etc.
Il salue l'assemblée et le bureau ; et s'arrête au pied de l'estrade qui remplace la tribune des orateurs.
M. le général baron d'Hooghvorst se tient debout à la droite du trône ; son état-major est rangé dans le couloir de droite.
M. le général comte Vander Meeren se place à la gauche du trône, l'état-major des officiers de l'armée est rangé dans le couloir de gauche. (C., et U. B, 27 fév.)
M. le président – J'invite, au nom de l'assemblée, M. le régent à prendre place sur le siège qui lui a été destiné. (C., 27 fév.)
M. le régent – Je crois, M. le président, devoir prêter d'abord le serment constitutionnel qui m'est imposé.
(Après ces paroles, le régent monte les marches de l'estrade, et se tient debout à côté du trône.) (C., 27 fév.)
M. le président – Messieurs, veuillez bien vous asseoir ; M. le secrétaire a la parole. (U. B. 27 fév.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, descend du bureau, se place au pied de l'estrade et se tenant debout en face de M. le baron Surlet de Chokier, lui donne lecture du décret du congrès qui appelle à la régence ÉRASME-LOUIS BARON SURLET DE CHOKIER. (La salle retentit de nouveaux applaudissements.)
M. le régent est visiblement ému ; il salue l'assemblée, et prenant le décret des mains de M. le vicomte Charles Vilain XIIII, dit :
« Je me conforme à la volonté du congrès national. » (C.. 27 fév.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne ensuite lecture du décret du 24 février qui statue que c'est comme corps constituant que le congrès a rendu ses décrets du 18 et du 24 novembre 1830, sur l'indépendance de la Belgique et sur l'exclusion à perpétuité des membres de la famille d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. (P. V.)
M. le régent – Je me conforme également à cette résolution de l'assemblée. (C., 27 fév.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit le texte des décrets du 18 et du 24 novembre 1830, cités dans le décret du 24 février. (P. V.)
Puis, déployant une large feuille de vélin sur laquelle est écrite la constitution du peuple belge, il en donne lecture au régent, au milieu du profond silence de toute l'assemblée. (C., 27 fév.)
M. le président invite ensuite M. le secrétaire à remettre au régent la formule du serment qu'il doit prêter. (C., 27 fév.)
M. le régent, prenant la formule et étendant la main droite vers l'assemblée assise et profondément recueillie, dit d'une voix haute et assurée : « Je jure d'observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance (page 594) nationale et l'intégrité du territoire. » (C., 27 fév.)
M. le président – Je déclare, au nom du congrès national, que M. Érasme-Louis baron Surlet de Chokier est proclamé régent de la Belgique. Le congrès lui donne acte du serment qu'il vient de prêter en cette qualité. (U. B., 27 fév.)
- Les bravos et les applaudissements, qui ont eu peine à se contenir jusqu'ici, éclatent de toutes parts dans la salle et dans les tribunes ; les acclamations du dehors répondent aux transports de l'assemblée ; la musique de la garde civique se fait entendre et se mêle au bruit du canon.
La séance, pour quelques instants suspendue, est enfin reprise. (U. B., 27 fév.)
M. le président – J'invite M. le régent à s'asseoir au fauteuil qui lui est réservé. (U. B.. 27 fév.)
M. le régent – Je demande pour première grâce au congrès de me permettre de lui parler debout.
Le régent se tient debout en avant du trône, et après avoir de nouveau salué rassemblée assise, il s'exprime en ces termes :
« Messieurs.
« Profondément ému à la nouvelle de l'élection que vous avez bien voulu faire de moi dans la séance d'hier, le peu de temps qui s'est écoulé depuis ne m'a pas permis de donner un grand développement à mes idées ; voici cependant un aperçu rapide de la marche que je me propose de suivre dans le poste éminent que je dois à votre confiance.
« Par suite du refus que le roi de Français, en sa qualité de père et tuteur de son fils, le duc de Nemours, a fait de la couronne de la Belgique, que vous lui aviez conférée par votre décret du 3 février, vous vous êtes vus forcés d'aviser, dans votre sagesse, aux moyens de pourvoir provisoirement à la régence, conformément aux dispositions de l'article 80 de la constitution pendant cette vacance momentanée du trône.
« Votre choix, messieurs, pour remplir ces éminentes fonctions s'est fixé sur ma personne ; en même temps qu'il est le témoignage le plus flatteur le plus honorable qu'un citoyen puisse jamais recevoir de la confiance et de la bienveillance des représentants de la nation, il m'impose des devoirs et des obligations dont il me serait impossible de m'acquitter avec honneur, si je ne suis soutenu par la continuation de ces mêmes sentiments, qui sont pour moi le plus ferme et le plus puissant appui sur lequel je puisse compter, et sans lequel je ne pourrais faire le bien que vous êtes en droit d'attendre de moi : c'est donc dans votre intérêt, messieurs, c'est dans celui de la nation, c'est dans le mien, que je réclame, avec prière et avec instance, le secours de vos lumières et de vos conseils.
« Dieu, qui protège évidemment, et d'une manière toute particulière, le peuple belge, l'a doué d'une sagesse, d'une prudence et d'une modération qui excitent l'admiration des nations voisines. Elles ont peine à croire que, depuis six mois qu'il est en révolution, il ne se soit souillé d'aucun excès, et que le gouvernement, né des circonstances, sans force, sans appui, sans armée, sans finances, sans police, et en présence d'un ennemi menaçant, fort seulement de son dévouement patriotique à la cause sacrée de la liberté et de la juste confiance qu'il a inspirée et su mériter, dépose aujourd'hui le pouvoir avec la satisfaction de se dire : « Je n'ai jamais dû employer la force pour réprimer aucun désordre, tant est grande la sagesse de la nation qui a mis sa confiance en nous : c'est ainsi qu'elle a répondu à notre dévouement, à nos constants efforts pour assurer son bonheur et son indépendance ; c’est aussi pour nous la plus belle, la plus douce des récompenses qu'elle puisse nous décerner. »
« Dieu veuille, messieurs, que mes efforts soient couronnés d'un aussi glorieux succès.
« Aussitôt après mon installation, je m'occuperai, sans relâche, avec les ministres, des diverses branches d'administration publique. Un de mes premiers soins sera de constater l'état actuel du royaume, pour être à même d'apprécier ses ressources, ses besoins, et pour pouvoir, à l'expiration de mon mandat, rendre compte de mon administration.
« L'armée et les finances fixeront mon attention d'une manière toute particulière. J'appelle spécialement la vôtre, messieurs, sur les finances. Le ministre chargé de cette branche importante aura l'honneur de vous présenter un projet tendant à suppléer à la lenteur qu'éprouve, dans quelques endroits, la rentrée des contributions ; je compte toutefois sur l'empressement des bons citoyens à acquitter ce qu'ils doivent au trésor, qui éprouve d'impérieux besoins en ce moment. Cet empressement à venir au devant des besoins financiers est aussi un acte de patriotisme.
« Quand j'aurai pourvu aux affaires les plus pressantes, et du moment que je pourrai m'absenter de la capitale, sans nuire à la marche du gouvernement, je me propose de visiter l'armée. J'irai m'assurer, par moi-même, de sa situation, de son esprit et de sa discipline. Je me concerterai avec les chefs pour aviser aux moyens de pourvoir à ses besoins, et la mettre en état d'entrer en campagne, (page 595) si nous sommes forcés de continuer la guerre.
« Je donnerai également mes soins à l'administration intérieure ; je me ferai rendre un compte exact, non seulement du personnel qui la compose, mais aussi de l'état général des affaires. Je ne négligerai rien pour leur donner une direction convenable, et leur imprimer une marche ferme, assurée et dégagée de toutes les entraves qui la gênent.
« La justice, le premier besoin des peuples, sera aussi l'objet de ma sollicitude. Je me flatte de l’espoir de n'avoir que des félicitations a adresser à la magistrature, et à l'inviter à continuer à remplir ses devoirs avec la même équité qu'elle l'a fait jusqu'à présent.
« Quant à nos relations avec les diverses puissances de l'Europe, je ferai tous mes efforts pour nous concilier leur amitié et détourner de notre patrie les maux inséparables de la guerre. Je ne négligerai aussi aucune occasion pour tâcher de raviver le commerce, en lui ouvrant, par des négociations, des débouchés pour l'écoulement de ses produits. Mais l'objet principal de mes soins sera de nous faire sortir le plus tôt possible de l'état provisoire pour passer à un ordre de choses définitif, qui nous procure de puissantes alliances sans troubler la paix de l'Europe.
« Je ne finirai pas, messieurs, sans invoquer de nouveau votre appui et celui de la nation tout entière, sans lequel je ne puis rien : c’est en elle, c'est dans sa sagesse que je mets tout mon espoir ; si elle ne me seconde, elle détruira elle-même son propre ouvrage.
« Honneur et remerciements à tous les gardes civiques du royaume et en particulier à ceux de Bruxelles, qui ont su, dans toutes les circonstances, se montrer si dignes de la confiance de toute la nation belge.
« J'ajouterai, messieurs, que par le serment que je viens de prêter, je promets de maintenir l’indépendance nationale. Je réitère et répète cette clause de mon serment. Jamais, non jamais, je ne concourrai , ni directement, ni indirectement, ni par faiblesse, à aliéner la nationalité de notre patrie. Si les événements, plus forts que notre puissance, en disposaient autrement, j'abdiquerais le pouvoir, et, comme simple citoyen, je me soumettrais à la loi impérieuse de la nécessité, niais comme fonctionnaire public, jamais ! » (U. B. 27 fév. et P. V.)
- A ces derniers mots, des acclamations plus vives encore que les précédentes partent de tous les points de la salle.
L'assemblée entière se lève aussitôt comme par un mouvement électrique ; les applaudissements, les bravos, les cris de : Vive M. le régent ! sont longtemps répétés. Tous les membres de l'assemblée paraissent vivement émus, des larmes d'attendrissement coulent des yeux de plusieurs honorables députés ; la séance est pendant quelque temps suspendue ; enfin le calme se rétablit. (C. et U. B., 27 fév.)
M. le président debout, ainsi que MM. les secrétaires et tout le reste de l'assemblée, répond à M. le régent, en ces termes :
« Monsieur le régent,
« Il n'est point de paroles qui ne semblassent faibles auprès du spectacle imposant qui se passe sous nos yeux. Élu hier chef temporaire de la nation par le congrès, votre nomination est en ce moment ratifiée par les acclamations unanimes de vos anciens collègues, et du peuple belge tout entier. Cette élévation spontanée, subite, et qui ne trouve point de contradicteurs, est un hommage accordé à vos vertus par vos égaux, un témoignage de gratitude profonde pour les services que vous avez déjà rendus à la patrie, et un appel à des services nouveaux. La nation voulait une monarchie constitutionnelle. Après avoir tenté un premier effort pour réaliser son vœu, que pouvait-elle faire de mieux que de concentrer dans une seule main les pouvoirs jusqu'ici trop divisés ? Vous êtes accueilli par elle comme ouvrant un avenir nouveau, un avenir de stabilité. Il lui semble que le congrès ait fait un grand pas hors du provisoire, en vous nommant, et en déclarant obligatoire la constitution du peuple belge.
« Le gouvernement provisoire, composé d'hommes courageux et amis de leur patrie, a pensé lui-même que la mission qu'il tenait de la nécessité avait cessé. L'opinion publique, qui juge presque toujours sévèrement le pouvoir, rendra justice à des hommes sortis purs d'une épreuve longue et difficile, et j'oserais prédire que leurs noms ne figureront pas sans honneur dans les annales de notre pays.
« Daignez pardonner cet hommage involontaire, à un homme accouru l'un des premiers à l'appel de ce gouvernement qui n'est plus.
« Il est arrivé qu'un prince, plein de préjugés et d'entêtement, s'est imaginé qu'une nation lui appartenait parce qu'on la lui avait cédée par traités ; il a cru pouvoir la tromper toujours, avec un système de constitution qu'il tournait et violait à son gré, lui imposer sa langue, sa religion, ses créatures : cette nation fait une révolution, et le prince est renversé et puni.
« Les hommes qui voudraient améliorer le sort (page 596) des peuples progressivement, sans secousses, sans calamités, sont un instant incertains et effrayés ; mais enfin, quand ce pouvoir, qui refusait toute garantie, qui opposait un mur d'airain à toute marche progressive, est détruit, que faut-il faire ? Profiter de la révolution qui s'est opérée, et recouvrer, s’il est possible, le temps perdu dans la torpeur de l'absolutisme légal : c'est ce qu'a fait le congrès belge. Messieurs, il ne m'appartient pas d'en exalter les travaux, et le temps n'est pas venu de les apprécier ; mais quand nous n'aurions eu que le mérite de réunir en peu de mots dans notre constitution toutes les libertés qu'on ne trouve guère ailleurs que dans les livres, il me semble qu'elle mériterait encore d'être mentionnée dans l'histoire. Je ne pense pas que jamais assemblée nationale ait présenté pareille union, pareil accord de vues, pareille condescendance de la majorité aux désirs de la minorité, pour conserver la paix.
« Là, et là seulement, la plus précieuse de toutes les libertés, la liberté religieuse, celle qui est la moins connue et des gouvernements et des peuples, et des législateurs, et des ministres de cultes eux-mêmes, se trouve consacrée avec d'heureux ménagements pour un reste de préjugés contraires, qu'il n'appartient qu'au temps et à la raison de dissiper. Ce rapide aperçu de nos travaux ne paraîtra pas déplacé, je l'espère, lorsque nous sommes à la veille de nous séparer pour quelques instants. Mais le congrès s'empressera de revenir au premier signal, pour prêter, s'il est nécessaire, son appui à celui qu'il a nommé, et pour accomplir le dernier objet de sa mission. Ce sera un de vos plus beaux titres de gloire, monsieur le régent, d'avoir présidé une telle assemblée, et de vous être trouvé, dans des circonstances difficiles, quand tout s'improvisait autour de vous, à la hauteur de telles fonctions.
« Cette confiance de la nation, qui vient de vous porter d'un libre mouvement à un poste au-dessus duquel il n'y aura rien, vous impose (nous ne pouvons vous le dissimuler), de nouvelles et d'immenses obligations.
« Le peuple belge, qui a déployé, dans les combats, un courage et un dévouement héroïques, a fait preuve depuis, dans les souffrances, de tant de modération, de bon sens, d'amour de l'ordre, de probité politique et morale, que votre gouvernement n'aura besoin, ce semble, que de persévérance et de fermeté pour accomplir sa tâche au-dedans.
« Ce peuple n'ignore pas que la cessation du travail, la gêne du commerce et de l'industrie, tiennent à des causes générales et extérieures, tellement impérieuses, qu'il est impossible à l'administration la plus éclairée de les faire cesser tout à coup.
« Nos plus grands embarras proviennent du dehors. Ceux qui avaient paru nous tendre d'abord une main secourable, qui s'étaient plu à proclamer notre indépendance, qui n'intervenaient, disaient-ils, que comme arbitres, à l'amiable, ont prétendu nous imposer des lois d'asservissement et de ruine : le morcellement de notre territoire, l'occupation de nos forteresses, le payement d'une dette que nous n'avons ni contractée ni acceptée, et qui dévorerait à elle seule le sol et les habitants de la Belgique.
« L'honneur national repousse ces conditions ; or, pour une nation comme pour un homme, la perte de l'honneur c'est la mort. Que si l'on essayait de consommer cette œuvre d'iniquité, dédaignant les détours et les ruses d'une science machiavélique, et avec cet accent de l'âme et cette voix forte et pénétrante qui, tout récemment encore, s'est fait entendre à la cour d'un grand roi, où vous avez soutenu votre caractère et notre dignité, vous diriez aux cinq puissances qu'en vain elles voudraient repousser, par une contrainte indirecte, la Belgique sous le joug de celui qui, pendant quinze années, fut inexorable à ses prières, ou bien, la jeter par désespoir dans les bras de la seule nation qui lui ait montré quelque sympathie ; vous leur diriez que la Belgique veut être libre ; qu'elle veut vivre indépendante sous une monarchie constitutionnelle ; que si la politique froide et impitoyable des cabinets s'y opposait, nous en appellerions à la raison des peuples et à la justice du ciel ; que les droits d'une nation de quatre millions d'hommes ne sont pas moins sacrés que ceux de trente-deux millions ; que la cause d'une nation unie et persévérante est toujours forte et ne peut périr ; que la cause générale des peuples libres est désormais liée à la nôtre, et qu'elle doit triompher ou périr en Belgique !
« Le patriotisme national, un peu attiédi peut-être par le mal que nous a fait la diplomatie, va se ranimer grâce à la nouvelle impulsion que vous saurez donner aux affaires publiques : tous les bons citoyens se grouperont autour de celui qu'ils ont choisi pour leur chef, et s'empresseront de le servir de leurs conseils ou de leurs bras. Avec votre caractère droit et franc, vous écarterez l'intrigue, qui sait prendre toutes les formes ; vous écarterez toutes les nullités et toutes les hypocrisies ; et toutes les capacités politiques, sorties de notre révolution, seront par vous accueillies.
(page 597) « Enfin, monsieur le régent, si vous rencontrez sur votre chemin quelque homme qui vous ressemble, ah ! pour la rareté du fait, et pour l'exemple des gouvernements futurs, daignez encore l'appeler quelquefois à vos conseils, au moins dans les grandes occasions !
« Pardonnez ce langage à un ancien collègue, dont l'amitié depuis longtemps vous est acquise, et qui vous a rendu ici, et partout, la justice due à votre noble caractère, dont le vœu et l'espoir les plus chers sont de ne voir séparer jamais votre bonheur et votre gloire du bonheur et de la gloire de la patrie. » (U. B., 27 fév. et P. V.)
- Ce discours est accueilli par les mêmes transports et les mêmes acclamations.
Les cris de : Vive le régent ! se font entendre de nouveau.
M. le régent salue l'assemblée, et se retire.
La députation le reconduit jusqu'au pied du grand escalier. Les officiers qui faisaient partie du cortège sortent en même temps de la salle. Presque tous les députés se disposent à suivre la députation.
On entend à l'extérieur le bruit des fanfares et des vivat du peuple. Le canon gronde par intervalles. Toutes les cloches de la ville sonnent en même temps. (U. B. et C., 27 fév.)
M. le président – La séance est suspendue pour un quart d'heure. (U. B., 27 fév.)
A trois heures, la séance est reprise. (U. B., 27 fév.)
M. le président donne lecture de la proposition suivante :
« AU NOM DU PEUPLE BELGE,
« Le congrès national
« Décrète :
« Le gouvernement provisoire a bien mérité de la patrie.
« DESMANET DE BIESME. » (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 27 fév.)
- Ce décret est voté par acclamation. (P. V.)
(Les membres du gouvernement provisoire qui font partie du congrès sont absents de la séance.) (C., 27 fév.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire – Voici une autre proposition :
« Je propose de voter des remerciements à M. le vice-président de Gerlache, pour la manière noble et vraie avec laquelle il a exprimé les sentiments et les vœux du congrès.
« DESTRIVEAUX. » (U. B., 27 fév. et P. V.)
- Cette proposition est également adoptée par acclamation. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture d'un acte du gouvernement provisoire, ainsi conçu : « Le gouvernement provisoire de la Belgique,
« Vu la promulgation de la constitution ;
« Vu la déclaration faite au congrès le 21 février 1831 ;
« Vu la nomination d'un régent ;
« Dépose entre les mains du congrès le pouvoir exécutif qui lui avait été conféré.
» ALEX. GENDEBIEN, SYLVAIN VAN DE WEYER, CH. ROGIER, Comte F. DE MÉRODE, JOLLY, F. DE COPPIN, J. VANDERLINDEN. » (C., 27 fév. et A.)
M. le président – Le congrès national donne acte au gouvernement provisoire de ce qu'il dépose le pouvoir exécutif entre ses mains. (U. B., 27 fév.)
M. Van Meenen – Ne serait-il pas nécessaire de transmettre cet acte au régent, par message du congrès ? (J. B., 27 fév.)
- L'assemblée décide qu'il en sera donné connaissance à M. le régent. (P. V.)
M. le baron Beyts – (page 598) Messieurs, vous venez de voter par acclamation que le gouvernement provisoire a bien mérité de la patrie ; c'est un témoignage de la reconnaissance nationale, dont ces honorables citoyens sont assurément bien dignes par leur dévouement, leur patriotisme, le courage qu'ils ont montré au jour du danger, les difficultés qu'ils ont vaincues, et même les succès dont leurs efforts ont été couronnés : mais, si la récompense que vous venez de décerner est belle, elle ne suffit pas, selon moi ; il faut leur en accorder une autre plus positive. Parmi les membres du gouvernement provisoire, il en est qui, sortis sans fortune du rang de simples citoyens, vont y rentrer plus pauvres qu'ils n'étaient auparavant : s'ils sont assez désintéressés pour se contenter d'avoir fait leur devoir, il est impossible que la nation se contente de leur voter des remerciements. Je demande donc qu'il soit nommé une commission de cinq membres qui aviseront le congrès des moyens à prendre pour leur décerner une récompense nationale, soit à titre d'indemnité, soit à titre de reconnaissance nationale, et je pense que j'aurai facilement l'appui de cinq membres pour ma proposition. (Oui ! oui ! s'écrie l'assemblée tout entière en se levant.) (U. B., 27 fév.)
M. le président, sur l'invitation du congrès, compose la commission de MM. Seron, le baron Beyts, l'abbé Van Crombrugghe, le baron de Sécus (père) , et le vicomte Desmanet de Biesme.
Les commissaires sont priés de se mettre en rapport avec le ministre des finances. (J. B., 27 fév. et P. V.)
M. le président propose à l'assemblée de compléter le bureau par la nomination d'un président en remplacement de M. Surlet de Chokier. (G., 27 fév.)
- Deux bureaux scrutateurs sont tirés au sort ;
Ils sont composés,
Le premier ; de MM. Goethals-Bisschoff, Verwilghen, Jottrand et le chevalier de Theux de Meylandt.
Le second : de M. Claes (d'Anvers), Lefebvre, Peeters et Delwarde. (P. V.)
On procède à la nomination du président.
M. Destouvelles, deuxième vice-président, remplace M. de Gerlache au fauteuil. (J. B., 27 fév.)
Le dépouillement du scrutin donne le résultat suivant ;
Votants 130. M. de Gerlache a obtenu 122 voix. (P. V.)
M. Destouvelles, vice-président, proclame M. de Gerlache président du congrès national, et dit – Ce témoignage de bienveillance et de reconnaissance était bien dû à celui qui a si bien présidé le congrès, et qui a si bien exprimé ses sentiments dans cette circonstance solennelle. (U. B., 27 fév.)
L'assemblée procède au scrutin pour l'élection d'un deuxième vice-président, en remplacement de M. de Gerlache, nommé président. (C., 27 fév.)
Il résulte du dépouillement du scrutin que sur 129 votants, M. Raikem a obtenu cinquante suffrages. Les autres voix sont dispersées sur huit à dix membres de l'assemblée, MM. Charles Le Hon, Lebeau, Van Meenen, Lecocq , Seron, dont aucun n'en a obtenu plus de 18. (C., 27 fév. et P. V.)
M. Raikem est proclamé second vice-président. (P. V.)
M. de Gerlache, président, reprend le fauteuil et remercie l'assemblée de la marque de confiance et d'estime qu'elle vient de lui accorder. (C., 27 fév.)
M. le président – Messieurs, j'apprends avec douleur que plusieurs membres se disposent à partir ; il serait, cependant bien essentiel de ne pas nous séparer avant de nous être occupés de la proposition de M. Lebeau relative à la création d'une commission d'enquête, de la loi électorale, de la loi sur la responsabilité ministérielle, de celle sur les fers, et de quelques autres lois importantes. Si on voulait s'engager sur l'honneur, qui n'a jamais été invoqué en vain dans cette assemblée, de ne pas se séparer avant huit ou dix jours, nous pourrions mettre fin à nos travaux les plus pressants et nous proroger ensuite pour un mois. (U. B., 27 fév. et P. V.)
- Voix nombreuses – Appuyé ! appuyé ! (U. B., 27 fév.)
M. le président – Est-il convenu que nous ne nous séparerons pas avant huit ou dix jours ? (U. B., 27 fév.)
- De toutes parts – Oui ! oui ! (P. V.)
- L'assemblée décide que le procès-verbal de la séance sera imprimé et distribué aux membres du congrès. (P. V.)
M. le président – Demain on discutera la proposition de M. Lebeau, et, si le temps le permet, la loi électorale, modifiée par M. Beyts. (U. B., 27 fév.)
- Il est quatre heures ; la séance est levée. (P. V.)