(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)
(page 102) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à une heure. (P.V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
- Un des secrétaires fait connaître la formation des bureaux des sections pour le mois de janvier ; ils sont composés ainsi qu'il suit :
Première section : M. de Langhe, président ; M. Théophile Fallon, vice-président ; M. Devaux, secrétaire.
Deuxième section : M. Serruys, président ; M. de Behr, vice-président ; M. Henri de Brouckere, secrétaire.
Troisième section : M. Destouvelles, président ; M. Fleussu, vice-président ; M. Le Bègue, secrétaire.
Quatrième section : M. de Gerlache, président ; M. le baron de Stassart, vice-président ; M. de Roo, secrétaire.
Cinquième section : M. le chevalier de Theux de Meylandt, président ; M. Dumont, vice-président ; M. Berger, secrétaire.
Sixième section : M. Trentesaux, président ; M. le comte d'Arschot, vice-président ; M. Jottrand, secrétaire.
Septième section : M. le baron de Sécus (père), président ; M. le comte de Quarré, vice-président ; M. Du Bus, secrétaire.
Huitième section : M. Raikem, président ; M. Claus, vice-président ; M. Claes (d'Anvers), secrétaire.
Neuvième section : M. Charles Le Hon, président ; M. Destriveaux, vice-président ; M. François, secrétaire.
Dixième section : M. Lefebvre, président ; M. le comte Duval de Beaulieu, vice-président ; M. Wannaar, secrétaire. (P. V.)
Les membres de la commission des pétitions pour le mois de janvier sont : MM. Lebeau, Leclercq, François, Lehon, le baron de Pélichy van Huerne, d'Hanis van Cannart, de Labeville, Claes (d'Anvers), Destriveaux et Blomme. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes :
La veuve Dieudonné réclame la restitution des droits payés sur le vin indigène, avant la date de l'arrêté du gouvernement provisoire.
Le chevalier Le Lièvre de Staumont demande que le congrès élise un prince indigène.
Quarante-huit habitants de Charleroy demandent que la Belgique soit régie par un vice-roi français.
Vingt-deux habitants de la commune de Famiolle, canton de Philippeville, émettent le vœu que le congrès se décide pour Louis-Philippe Ier, roi des Français, qui régirait la Belgique par un vice-roi, d'après la constitution belge.
Même demande de la part de cent vingt-quatre habitants de Jemmapes, province de Hainaut.
Même demande de la part de cent à cent vingt habitants de Charleroy.
Même demande de la part de soixante-cinq habitants de Couillet, province de Hainaut.
Même demande faite par l'administration communale d'Erpion, province de Hainaut.
M. Courtin présente le souverain pontife comme roi des Belges.
Dix habitants de Staden, district de Roulers, demandent que l'arrêté du 8 octobre dernier soit (page 103) révoqué et que la nomination des régences du plat pays appartienne au chef de l'État ou bien au gouvernement provincial.
M. le baron de Saint-Genois Desmottes demande un emploi d'un traitement de 1200 à 1500 florins, en considération de ses services.
M. Lion-Coupienne, de Dinant, supplie le congrès d'aviser aux moyens d'assurer la libre circulation des grains et farines.
MM. Léonard Van Damme et I. de Clerck, arrêtés à Bruges, au mois d'octobre dernier, demandent leur mise en liberté.
M. d'Omalius présente des observations sur le choix du chef de l'État.
M. Fauquil, commandant de la garde urbaine de Soignies, réclame des armes pour les gardes. (Jo F., H janvo, et P. v.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. Jobart fait hommage à l'assemblée de la Revue des revues.
- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)
M. Fleussu fait le rapport de la section centrale sur les propositions de MM. Thorn et de Robaulx, relatives au droit de résistance aux actes illégaux des fonctionnaires, et sur celle de M. le baron Beyts, relative à l'abolition de la mort civile.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. (P. V.)
M. Van Meenen demande la parole pour faire une motion d’ordre ; il rappelle qu'il a proposé vendredi un projet de décret qui a paru urgent à l'assemblée ; nous voici à mercredi, et je n'en entends pas parler. Je prie M. le président d'interpeller les membres de la commission pour savoir quand le rapport pourra être fait. (E., 14 janv.)
M. Destriveaux – La commission s'est occupée de l'examen de ce projet ; elle a posé les bases de son travail ; mais elle n'a point eu le temps de le terminer. J'ai dû assister aux assemblées de trois commissions par jour. (V. P., 14 janv.)
M. le président – Le rapport sur la proposition de M. Van Meenen sera fait après-demain. (V. P., 14 janv.)
M. le président – L'ordre du jour appelle la suite de la discussion des conclusions de la section centrale sur la proposition de M. Constantin Rodenbach relative au choix du choix de l'État. La parole est à M. de Robaulx. (C., 13 janv.)
M. de Robaulx – Messieurs, lorsqu'une nation, maîtresse de son sort, a confié à des représentants le soin de lui indiquer un chef digne d'elle, toutes les délibérations de l'assemblée qui tendent même à préparer ce grand œuvre, ont quelque chose de grave et de solennel qui nécessite de chacun l'apport de son tribut de lumières ; la question que nous traitons est de ce nombre.
Depuis longtemps le congrès est occupé de l'examen d'un pacte fondamental qui doit assurer à la Belgique indépendante toutes les libertés publiques, et régler les rapports entre la nation et le chef qu'elle voudra librement adopter ; déjà les principaux points de la constitution sont fixés d'une manière irrévocable, et tout fait présager que sous peu le premier objet de notre mission sera rempli.
Cependant on a généralement senti que le choix du chef devait donner lieu à beaucoup de soins, à beaucoup de recherches et de combinaisons préparatoires, parce que tout ce qui tient au bonheur d'un pays ne saurait être trop mûrement pesé ; de là, la nécessité de s'occuper simultanément de la constitution et du chef futur de l'État, quoique ce dernier ne puisse être proclamé qu'après avoir accepté et juré le pacte qui contiendra ses devoirs et ses droits.
Depuis que le congrès a décidé que la monarchie constitutionnelle était ce qui convenait le mieux à notre patrie, toutes les ambitions, même les plus désordonnées, ont surgi tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ; beaucoup de prétendants, fort honnêtes gens d'ailleurs, mais peu capables de gouverner quatre millions d'hommes, se sont mis sur les rangs, d'une manière plus ou moins directe, sans faire attention que l'immodestie conduit droit au ridicule. C'est à vous, messieurs, qu'il appartient de faire justice de pareilles prétentions.
Quelle que soit la liste des candidats à la souveraineté belge, quels que soient les titres que l'on fait valoir en faveur de certains princes, le congrès doit voir les intérêts du pays sur un plus (page 104) large plan ; il ne doit pas se contenter de discuter les droits ou titres de ceux qui se présentent ; il faut qu'il ne néglige pas de découvrir, s'il se peut, le prince qui sera le plus digne, et en même temps qui apportera au pays les plus grands avantages, surtout pour le commerce. Pour y parvenir, il ne faut croire à l'avance à aucune exclusion ; il ne faut rejeter aucune combinaison ; il ne faut rien décider, avant d'avoir par soi-même tout vu et apprécié.
C'est, messieurs, dans le but de préparer d'une manière officielle et certaine la décision que vous devez porter que j'avais eu l'honneur de vous proposer (Note de bas de page : Voir la séance du 7 janvier, page 44) de députer à Paris deux membres du congrès, et que la section centrale a pris les conclusions qui vous sont soumises.
Ces dernières conclusions tendent à ce que vous envoyiez à Paris et à Londres des commissaires élus dans le sein du congrès, et chargés de prendre tous les renseignements utiles pour éclairer et faciliter le choix du chef de l'État ; c'est ainsi au moins que je l'ai compris.
Ma proposition et celle de la section centrale ne me paraissent point susceptibles de trouver de l'opposition, car elles ne sont offensives pour aucune opinion, puisqu'elles tendent à acquérir des renseignements certains sur l'opportunité ou l'inopportunité qu'il y aurait d'élire tel ou tel prince, et ici remarquez-le bien, je n'en exclus aucun : par là, nous connaîtrons, par nous-mêmes et pour nous-mêmes, les avantages ou les désavantages que produirait telle ou telle élection.
Cependant, la proposition de la section centrale a donné lieu à deux opinions contraires qu'il faut soigneusement éviter, à mon avis.
D'abord, ceux qui désirent la réunion à la France voudraient que les commissaires fussent chargés de présenter directement à Louis-Philippe la couronne de la Belgique, sauf une constitution séparée pour ce dernier pays.
Cette opinion ne me paraît pas admissible, car pour offrir la couronne, il faudrait avoir fait l'élection et s'être décidé définitivement, tandis que l'envoi des commissaires doit être préalable à toute décision, puisqu'il doit la préparer.
Cette démarche n'ayant d'autre objet que de prendre des renseignements et de connaître l'opinion des puissances (sauf à n'y avoir que tel égard que l'on voudra), il ne peut donc être pris par le congrès aucune résolution en faveur de qui que ce soit avant le retour des ambassadeurs.
Il suit de ce qui précède, que le seul point en discussion étant de savoir si l'on enverra des commissaires prendre des renseignements à Paris et à Londres, tout ce qui a été dit en faveur, soit des avantages que procurerait la réunion à la France. soit des titres de tel ou tel prétendant, était hors de la question ; aussi, je ne m'occuperai de ce qui touche le fond, que pour autant que j'y sois forcé par les objections auxquelles je devrai répondre.
Un orateur (M. Rogier) a paru mettre beaucoup d'importance à combattre la proposition et les motifs qui l'ont dictée : je ne puis me dispenser de démontrer combien peu ses raisonnements sont fondés.
Mais avant, rappelons que depuis quelque temps, on ne sait trop quels protecteurs ont inventé une ingénieuse combinaison qui consisterait à faire choix d'un enfant de quinze ans, que l'on dit s'appeler Othon, fils du roi de Bavière ; cette heureuse découverte (et c'en est une pour moi qui n'en avais jamais ouï parler), aurait pour résultat de faire régner en sa place deux ou trois gouvernements provisoires, pendant la minorité.
Cette belle conception paraît avoir souri à quelques personnes si j'en juge par l'empressement que l'on a mis à demander l'agrément de la France, puisque c'est le 4 que quelqu'un en a parlé en sections, et déjà le 5 on avait une réponse favorable à Paris.
J'avoue que je m'explique difficilement cette tendresse toute paternelle pour le jeune Othon, et surtout la célérité des courriers en sa faveur.
Bref, Othon est candidat pour être chef de l'Etat en Belgique, et pour être mari de mademoiselle d'Orléans, et tout cela à l'âge de quinze ans.
L'honorable M. Rogier nous a dit hier : Mais à quoi bon envoyer des commissaires à Paris ? cette mission est inutile, le roi de France et le ministère se sont prononcés ; vous le savez, ils ne veulent pas la réunion, ils ne veulent pas non plus vous donner le duc de Nemours ; il n'est pas écrit, dit-il que le cabinet français la recevra, cette mission.
Je réponds que je n'ai vu aucune pièce officielle signée par les ministres français et constatant les prétendus refus ; cela me conduit à me demander pourquoi dans une circonstance aussi grave pas une seule note diplomatique signée n'a été échangée.
D'ailleurs la mission des élus du congrès pourra peut-être obtenir un autre résultat.
Je me hâte de repousser une supposition que je qualifierais volontiers d'injurieuse, celle que peut-être le cabinet ne recevrait pas la mission du congrès ; eh ! quel est le motif d'une semblable prévision ? (page 105) Pourquoi les membres du congrès ne seraient-ils pas reçus, quand on fait cet honneur à M. Rogier, secrétaire d'ambassade ?
Mais, poursuit l'orateur auquel je réponds, la France a été consultée en amie, elle a conseillé le choix d'Othon ; on lui accordera même une princesse française : alors peu importe le prince, il n'est que secondaire.
Je le répète, je ne puis concevoir pourquoi l'on a mis tant de zèle pour le jeune Othon, et j'avoue que je verrai avec plaisir que le fait soit éclairci ; mais il est impossible que l'on puisse nous faire croire que dès l'instant qu'une princesse française est l'épouse de notre chef, peu importe quel est le prince. J'avoue que je ne conçois pas la portée de ce raisonnement ; et puis d'ailleurs, si Othon n'a que quinze ans, il ne se mariera pas de suite, et qui sait si dans deux ou trois ans mademoiselle d'Orléans le voudra encore par elle-même ou par raison d'État ?
Une objection bien puissante se présentait naturellement aux protecteurs d'Othon ; aussi n'a-t-on pas pu l'éviter, mais comment y a-t-on répondu ?
Avec une constitution presque républicaine, dit-on, peu importe le personnel du pouvoir exécutif, que ce soit une régence ou non.
Eh quoi ! le congrès a rejeté la république par la raison qu'il n'y avait pas assez de stabilité lorsque le pouvoir passait d'une main à l'autre, et vous lui proposez une petite république pendant la minorité d'Othon !
Eh quoi ! vous nous dites qu'il faut sortir du provisoire, tandis qu'en effet vous nous présentez de continuer le provisoire pendant trois ans.
Est-ce bien sérieusement que l'on nous soumet le projet de confier l'avenir d'un pays à un enfant, quand nous avons un si pressant besoin d'un chef expérimenté qui organise enfin l'administration, et soit capable de se mettre à la tête de l'armée pour aller terminer notre différend avec la Hollande ?
Mais, nous a-t-on ajouté, une régence qui s'appuierait sur une popularité indigène, une régence mise à l'abri des attaques de la presse serait forte, elle ferait cesser les partis.
Messieurs, sans vouloir interroger quelle est cette popularité indigène, chose qui perce du reste, je ne puis cependant m'empêcher de demander ce que l'on entend par une régence mise à l'abri des attaques de la presse. Cela voudrait-il insinuer quelque loi contre cette liberté ? Serait-elle déjà de trop ? Invoquerait-on aussi l'existence des partis contre elle ? Conspire-t-elle aussi par hasard ? Je ne poursuis pas, je crains de m'être trompé, je désire avoir mal entendu.
Voulez-vous, dit l'orateur, une preuve que la candidature d'Othon n'est pas une combinaison pour continuer le provisoire et flatter notre ambition, eh bien ! je vais vous donner un moyen : dans l'acte de l'élection d'Othon, insérez que les membres du gouvernement provisoire ne feront pas partie de la régence. C'est un service que vous leur rendrez.
Je ne suis pas partisan des exclusions : je verrais avec peine qu'il en fût prononcé contre qui que ce fût, et surtout contre les hommes qui sont arrivés au pouvoir dans des circonstances difficiles ; mais s'il est vrai qu'ils ne pensent pas à prendre part à la régence, s'il est vrai que ce serait un service à leur rendre que de les en exclure, il me paraît qu'ils peuvent fort bien se rendre ce service à eux-mêmes, en le déclarant à l'avance. Mais cela ne m'empêchera pas de me prononcer contre toute minorité.
A propos de minorité, je ne puis passer sous silence une réflexion qu'ont fait naître les communications diplomatiques et le discours auquel je viens de répondre, c'est qu'il est étonnant que l'on ait poussé si loin le soin d'obtenir le refus du duc de Nemours, que l'on semble avoir été jusqu'à recueillir ses paroles mêmes ; il aurait déclaré que le fardeau de la couronne belge était au-dessus de ses forces, et qu'il n'accepterait pas.
Cependant, je remarque que le duc de Nemours est bien jeune pour tenir un pareil langage et pour être consulté sur des questions politiques ; cela me fait un peu douter du récit, et j'avoue que je ne serais pas fâché de voir prendre de nouveaux renseignements à cet égard.
Mais je remarque en outre que l'on ne nous a pas dit si le jeune Othon se croit capable de porter le fardeau de la couronne belge ; il paraîtrait que l'on s'est peu occupé du soin de prendre son avis : je suppose, quant à celui-ci, que d'autres accepteraient pour lui.
Quant au duc de Leuchtenberg, on nous le dit exclu par la France ; on assure que le gouvernement, consulté à cet égard, aurait répondu qu'il ne verrait pas avec plaisir le prince Beauharnais régner aux portes de la France, et que dans ce cas ce dernier royaume ne nous reconnaîtrait pas.
Je crois difficilement à une pareille conduite de la part de Louis-Philippe ; elle serait, à mon avis, bien impolitique, car s'il avait prononcé une telle exclusion il donnerait la mesure de sa faiblesse, il prouverait à l'Europe que son trône n'est pas encore bien affermi, il donnerait de l'importance (page 106) au parti s'il en existe un en faveur de la famille de Napoléon : je crois d'autant moins à cette maladresse du cabinet français que l'on remarque depuis peu de temps qu'il s'entoure de toutes le notabilités de l'Empire.
D'ailleurs, encore une fois, je n'ai vu aucun preuve d'un refus authentique ; et les commissaires s'enquerront de cet objet comme de tout ce qui regarde les autres candidats et les autres combinaisons : de là, nouveau motif pour voter en faveur de la proposition qui offre le meilleur moyen de mettre une prompte fin à l'état de choses actuel. (U. B., 14 janv.)
M. Alexandre Gendebien – Messieurs, je crois devoir vous soumettre quelques observations sur la question qui s'agite : je serai court ; car vos moments sont précieux. Il s'agit de savoir si vous enverrez des commissaires à Londres et à Paris. Je suis loin, messieurs, de m'opposer à une pareille mesure, et il est de mon devoir de ne pas m'y opposer, à cause de la mission que j'ai remplie moi-même. On croirait peut-être que mon opposition prend naissance d'un amour-propre mal entendu, et je dois prévenir une semblable accusation, moi qui ai su faire le sacrifice de mon opinion dans un autre temps.
Cependant je crois devoir faire remarquer au congrès que si l'envoi de ses commissaires a pour but de demander, soit la réunion pure et simple de la Belgique à la France, soit d'offrir la couronne à S. M. Louis-Philippe, soit d'obtenir son fils pour roi des Belges ; je crois devoir, dis-je, le prévenir que cette démarche est inutile : je suis convaincu qu'elle n'aura pour résultat qu'un refus. Je laisse au congrès le soin de décider s'il croit de sa dignité, et de la dignité nationale, de s'exposer sciemment à un refus.
Je ne me dissimule pas, messieurs, les embarras de notre position. Je sens tous les inconvénients d'une régence ; mais il faut faire la part de la nécessité, et si cette nécessité est telle que le parti que nous désirerions tous soit impossible à prendre, il faut bien s'attacher au seul qui nous reste, une régence. Ce n'est pas que je sois plus partisan du provisoire qu'un autre. Un gouvernement provisoire commettra nécessairement des fautes, et jamais il ne présentera les avantages d'un gouvernement définitif ; mais encore ici nous devons faire la part de la nécessité.
Puisque j'ai parlé de gouvernement provisoire, je dirai qu'il faut être sobre de critiques pour des hommes qui ont été portés au pouvoir malgré eux, qui s'en sont emparés dans les temps les plus difficiles et au moment où il y avait danger à s'en saisir. Pour ma part, je m'expliquerai franchement là-dessus. Arrivé à Bruxelles le 28 du mois d'août, après les premiers événements, je fus chargé le même jour, par mes concitoyens, d'une mission délicate à la Haye : les événements ont prouvé qu'elle était dangereuse, je l'ai remplie ; j'en ai rendu compte à ceux qui m'en avaient chargé : ils m'en ont témoigné leur satisfaction ; je ne demande pas d'autre récompense. C'est par l'élection libre et spontanée de mes concitoyens que j'ai rempli les diverses fonctions qui m'ont été confiées jusqu'au moment où j'ai été appelé au gouvernement provisoire, et je peux dire qu'aujourd'hui ceux qui, au-dehors de cette enceinte, accusent le gouvernement provisoire d'avoir usurpé le pouvoir, sont ceux-là mêmes qui nous y ont poussés avec le plus d'instance au moment du danger. Ainsi, messieurs, je crois m'être justifié du reproche d'ambition, reproche injuste, absurde, mal fondé, et dont, cependant, je crois devoir me justifier au sein du congrès, que je regarde comme une famille. Nous avons fait des fautes, je ne le nie pas ; mais qui n'en eût pas fait ? Oublie-t-on quelle était notre position ? Ne sait-on pas que nous nous étions imposé la tâche difficile de repousser par la force l'armée hollandaise tout entière, alors que nous n'avions pas un seul homme de l'armée. Nous nous étions exposés à des chances bien inégales, et, grâce au courage d'un peuple héroïque, notre succès a été assuré. Si nous n'avions pas réussi, nous aurions été accusés d'ambition, et sans doute notre sang eût coulé. Je ne dis pas, messieurs, qu'on nous doive de la reconnaissance pour les services que nous avons rendus, mais du moins qu'on ne nous refuse pas quelque indulgence pour les fautes que nous avons pu commettre. Nous avons besoin d'indulgence, de celle surtout du congrès national, sans laquelle il nous serait impossible de nous soutenir au pouvoir. Mais, quelles que soient les intentions de nos accusateurs, quelles que soient leurs vues et la violence de leurs attaques, nous y resterons jusqu'à ce que les représentants de la nation nous aient déclaré que nos services ne sont plus nécessaires ; et pour moi, messieurs, je suis décidé à m'y maintenir, et à en user avec une vigueur nouvelle. (Bravo ! bravo ! Applaudissements nombreux et répétés !)
Nous avons commis des fautes. Mais qui n'en eût pas commis à notre place ? Le gouvernement provisoire s'est installé à l'hôtel de ville, ayant pour tout mobilier une table de bois blanc prise dans un corps de garde, et deux bouteilles vides, surmontées chacune d'une chandelle. (On rit.)
Cela est vrai, c'est ainsi. Nos ressources, la caisse municipale renfermait 10 florins 36 cents (nouveau rire), et c'est avec ces moyens que nous n'avons pas désespéré de la victoire, que nous avons commencé à organiser en entier l'armée, l'ordre judiciaire, l'administration civile, l'administration des finances. Nous avons pu faire des fautes, mais des gouvernements qui ont employé quinze ans pour le même travail n'ont pas su s'en préserver ; et comment n'en aurions-nous pas fait, nous qui avons tout organisé en six semaines et pour ainsi dire au milieu du champ de bataille ? L'élection du congrès, l'installation du congrès, l'organisation de l'armée, la tranquillité rétablie, la confiance que les provinces ont témoignée au congrès national et au gouvernement provisoire, malgré les basses intrigues, malgré les infâmes calomnies, fruits de quelques amours-propres froissés, de quelques ambitions déçues ; calomnies trop absurdes pour nous atteindre, et auxquelles on ne donnerait quelque consistance qu'en daignant les relever : voilà, messieurs, quelle a été notre tâche et quoi qu'en disent quelques esprits chagrins, je pense que nous avons fait quelque bien et peu de mal.
Je reviens, messieurs, à l'objet en discussion. J'ai dit que je ne m'opposerais pas à ce que des commissaires fussent envoyés à Londres et à Paris ; mais, désirant que les conclusions de la section centrale ne soient adoptées qu'après mûre délibération, je crois devoir vous dire ce que j'ai recueilli de la bouche même du roi des Français. Il est peut-être peu parlementaire de faire intervenir le nom du roi dans la discussion ; mais il s'agit d'un souverain étranger, et ses paroles sont trop importantes pour que je ne croie pas utile, nécessaire même de les rapporter. Lorsque je fus présenté à S. M. le roi des Français, je lui demandai si, le cas arrivant où le congrès persisterait à élire son fils pour roi des Belges, S. M. refuserait de nous l'accorder. Voici la réponse de S. M. ; je crois me rappeler ses propres paroles :
« M. Gendebien, vous êtes père d'une famille à peu près aussi nombreuse que la mienne, vous êtes donc dans une position à pouvoir, mieux que personne, apprécier les sentiments qui m'agitent en ce moment. Il doit vous être facile de comprendre combien il serait doux pour mon cœur, et flatteur pour un père, de voir un de mes fils appelé au trône de la Belgique par le vœu libre et spontané du peuple belge. Je suis même persuadé que son éducation, toute libérale, serait un sûr garant pour le maintien et le développement des institutions que vous créez chez vous dans ce moment. Il m'est donc doublement pénible de devoir vous dire que je ne pourrais agréer les vœux du congrès : une guerre générale en serait la suite inévitable ; aucune considération ne pourrait me décider à me faire accuser d'avoir allumé une conflagration générale par ambition, pour placer mon fils sur un trône. D'ailleurs, la liberté sort rarement victorieuse de la guerre : vous avez, comme nous, intérêt à conserver la paix ; mais si votre indépendance était attaquée, je n'hésiterais pas, je ne consulterais que les devoirs que m'imposeraient l'humanité et la vive sympathie que j'éprouve, ainsi que toute la France, pour votre cause. Je suis persuadé que je serais secondé par la nation tout entière. » (Bien ! très-bien ! Bravo !)
J'ai eu l'honneur de conférer, presque chaque jour, avec M. le ministre des affaires étrangères : je lui ai posé la question, je puis le dire, à satiété. J'ai toujours reçu la même réponse. « Mais, lui ai-je dit enfin, si, malgré toutes les protestations, si, malgré tout ce que je pourrais dire à mes concitoyens, le congrès national persistait à élire le duc de Nemours, et l'élisait à une très grande majorité ? - Eh bien ! m'a-t-il répondu, vous avez entendu les paroles de S. M. ; vos concitoyens ne pourraient s'attendre qu'à un refus. »
Maintenant, c'est la crainte d'une guerre générale, la crainte d'être accusé d'ambition qui empêchent S. M. Louis-Philippe d'accéder à nos vœux : mais, des événements pourront faire changer la politique du cabinet de France, et, sous ce rapport, l'envoi d'une commission peut être utile. Mais, si la France refuse encore, nous dit-on ? Un refus n'aura rien de déshonorant pour nous. Que ceux de nos collègues que vous élirez partent donc, qu'ils exposent nos vœux au roi des Français : S. M. pourra refuser sans doute de les exaucer ; mais elle le fera certainement de manière à nous en adoucir l'amertume. Je suis loin, je l'ai déjà dit et je le répète, de m'opposer à l'envoi de députés à Paris ; mais j'ai cru devoir vous prévenir, en raison de ma dernière mission, du résultat que vous devez en attendre.
Je crois devoir maintenant relever l'opinion d'un de nos collègues, M. Jottrand, et je le ferai, parce qu'on pourrait croire en Europe que cette opinion a quelque consistance en Belgique. L'orateur auquel je fais allusion a dit que la Belgique n'éprouvait aucune sympathie pour la France ; la faiblesse des arguments invoqués à l'appui de cette opinion, par un collègue à qui il ne manque ni esprit ni logique, prouve qu'elle est trop difficile (page 108) à justifier pour qu'on y ait réussi. Pour prouver le défaut de sympathie, on a dit : La révolution française a été antireligieuse, tandis que la révolution belge a été faite dans l'intérêt de la religion. La France s'est soulevée contre un roi jésuite, la Belgique contre un roi protestant. Je crois devoir protester contre ces assertions ; ce n'est pas pour les idées religieuses que la révolution belge a été faite, elle a été faite contre le despotisme, et le roi Guillaume aurait été le roi très-chrétien, ou le roi catholique, j'aurais aidé à le renverser, je l'aurai renversé, eût-il été le saint-père lui-même, parce que le despotisme est toujours insupportable qu'il vienne de la république, du pouvoir absolu, de la philosophie ou de la théocratie : le despotisme, de quelque part qu'il vienne, m'est odieux et insupportable. Ce qui a soulevé le peuple belge comme le peuple français, c'est la déception, la mauvaise foi ; c'est le despotisme de Guillaume, qui, par une oppression de 15 ans, a voulu humilier et dégrader le peuple belge ! c'est l'abus de la force qui, en Belgique comme en France, a fait surgir la liberté !
Je ne dirai que deux mots sur le choix du prince de Bavière : je pense que pour le moment c'est le meilleur choix que nous puissions faire. Nous ne pouvons nous dissimuler qu'il serait des partis plus avantageux pour la Belgique ; mais nous sommes si restreints dans notre choix, que je ne vois pas d'autre combinaison possible. Si ce prince ne nous procure pas par lui-même de débouchés pour notre commerce, il peut nous procurer l'alliance de la France, et nous assurer d'immenses avantages : par lui nous pouvons espérer de nouer des relations avec nos voisins ; et notre espoir est d'autant mieux fondé, que ces relations sont un besoin réciproque pour les deux pays. Nous sommes donc, avec le prince Othon, assurés de l'alliance de la France ; l'alliance de la maison de Bavière avec la maison d'Autriche nous assure aussi une reconnaissance immédiate de la part de l'Autriche.
Quant aux inconvénients d'une minorité, d'une régence, je ne les dissimule pas. Mais, messieurs, entrons de sang-froid et sans passion dans l'examen des actes du gouvernement provisoire, et, la main sur la conscience, avouons que s'il a fait quelques fautes, les affaires n'ont pas marché si mal. Nous devons espérer qu'une régence, calmant les inquiétudes, rassurera le commerce et l'industrie, et tout marchera de la manière la plus satisfaisante.
Si nous avions l'alternative de choisir entre un prince majeur, nous apportant des avantages réels, et un prince mineur avec tous les inconvénients d'une régence, il n'y aurait pas à balancer ; mais dans quelle position nous trouvons-nous ? Vous le savez, messieurs ; je n'ai rien à vous dire de plus que ce que j'ai dit à cet égard. Le prince Othon de Bavière réunit à l'assentiment de la France celui de l'Autriche, et l'on m'a même assuré semi-officiellement à Paris, que la Prusse ne tarderait pas à lui accorder le sien. Ainsi, alliance immédiate avec la France, reconnaissance de l'Autriche et de la Prusse, voilà, messieurs, ce dont nous sommes assurés avec le prince Othon. Je ne sais si l'Angleterre et la Russie se montreront aussi empressées que les autres puissances à le reconnaître ; ce pourrait être l'objet de questions à adresser aux envoyés des puissances à Londres, et, sous ce nouveau rapport, votre commission ne serait pas sans utilité.
Je me résume, messieurs, et je finis comme j'ai commencé, en disant qu'il est loin de ma pensée de m'opposer aux conclusions de la section centrale ; je les appuie au contraire autant qu'il est en moi, mais je réserve mon vote jusqu'à la fin de la discussion.
- Ce discours, entièrement improvisé, a produit une vive impression sur l'assemblée.) (U. B., 14 janv.)
M. le comte Félix de Mérode monte à la tribune. (Attention marquée.) – Messieurs, je suis tellement convaincu de l'urgence d'élire pour chef de l'État le prince de Bavière, qui pourrait occuper, sans inquiéter les puissances de l'Europe, le trône de la Belgique, que je viens vous supplier, au nom du salut de la patrie, de proclamer ce prince sans aucun retard. Vous connaissez notre situation critique, le danger qu'il y aurait de prolonger l'incertitude qui peut livrer le pays aux entreprises d'un parti français qui nous livrerait, ainsi que la France, aux calamités de la guerre étrangère, et d'un parti orangiste, ou plutôt égoïste, qui nous livrerait aux horreurs de la guerre civile et nous ferait perdre honteusement les fruits des plus nobles efforts.
Je dois vous l'avouer franchement, messieurs : avant le cruel bombardement de la plus florissante de nos villes, je reportais souvent mes regards, si ce n'est sur l'héritier d'un beau royaume divisé, du moins sur un de ses descendants ; j'étais prêt, pour ma part, à reconnaître le dernier de ces jeunes princes, parce qu'il ne pouvait maintenir sa légitimité future qu'en se reconnaissant l'élu du peuple, à l'exclusion de ses deux aînés. Parmi mes collègues du gouvernement, un seul partageait mon opinion ; tous les autres considéraient comme un (page 109) malheur pour notre patrie, comme le germe de révolutions nouvelles et inévitables, le retour d'un prince d'Orange, quel qu'il fût. Cette nuit désastreuse où, du sommet de l'édifice qui nous rassemble, j'ai vu les flammes dévorantes allumées par Guillaume, s'élever dans les rues et consumer une ville belge (Note de bas de page : La ville d'Anvers bombardée, dans la nuit du 27 au 28 octobre 1830, par le général hollandais Chassé) qui n'avait d'autre tort que d'être demeurée trop longtemps soumise à son sceptre ; cette nuit effroyable, pendant laquelle je veillais en frémissant d'horreur et d'indignation, m'a convaincu qu'il fallait rompre tous nos liens avec une famille batave manifestement ennemie du peuple belge.
Trente-deux décorations dignes des Hollandais, distribuées à ces braves meurtriers d'enfants, de femmes, de vieillards brûlés dans leurs demeures ; à ces braves qui, fuyant devant nos volontaires, s'étaient mis à l'abri derrière les murs d'une citadelle, m'ont confirmé dans ma résolution définitive à l'égard des princes d'Orange. Aucun Belge, ami de l'honneur national, ne pouvant désormais accepter librement leur domination, faut-il donc livrer notre avenir à un prince qui nous est inconnu, et auquel son âge ne permet pas encore de s'occuper lui-même des soins du gouvernement ? Telle est, sous la forme d'objection, la demande qu'adressent aux partisans du prince de Bavière ceux qui, par crainte d'inconvénients inévitables, préfèrent reculer les difficultés que de les résoudre.
Il serait sans doute très désirable que le prince appelé au trône belge ne fût point mineur. Mais, messieurs, depuis les premiers jours de la réunion du congrès, nous cherchons inutilement le chef auquel rien ne manquerait selon nos vœux, et personne ne l'a encore indiqué. Le sentiment fondé sur les défiances réciproques des puissances nous faisait prévoir que tous les membres des familles qui gouvernent les grands États de l'Europe seraient exclus par la politique européenne, et nous venons d'en acquérir la certitude par des pièces irrécusables. Nous sommes encore restreints dans nos choix par une sorte de nécessité, généralement reconnue, d'adopter un prince catholique. Peut-être l'eussions-nous trouvé plus avancé en âge dans les familles princières qui jouissent en Allemagne d'une existence inférieure. Mais, messieurs, il importe essentiellement que la royauté obtienne parmi nous la haute considération qui doit lui appartenir, et nulle maison en Europe, après celles de Russie, de Prusse, d'Autriche, de France et d'Angleterre, ne possède de puissance égale à celle du roi de Bavière, qui joint à son rang distingué parmi les souverains l'avantage précieux d'une popularité justement acquise.
La France, qui veut éviter la guerre, fléau de la liberté, vous fait connaître qu'elle approuve l'élection d'un prince bavarois. Cédez donc aux conseils du cabinet français, le seul qui nous protège par sympathie, le seul qui, s'appuyant sur la véritable force des nations, peut, avec le concours certain de trente millions d'habitants dévoués, résister à toutes les armées de la Sainte-Alliance. En conformant notre politique à la sienne, nous suivrons la marche la plus régulière et la plus sûre. En vain nous accuse-t-on d'avoir mal à propos consenti à l'armistice qu'il nous offrait, d'accord avec la conférence de Londres. Si nous eussions, après l'acte vigoureux qui prononça l'expulsion des Nassau, refusé d'agréer aucune médiation, l'Europe nous aurait considérés comme d'intraitables factieux. Continuons à nous montrer dociles à la voix amie de Louis-Philippe ; lui-même, et la noble maison qu'il gouverne, ne permettront point que nous soyons victimes d'une généreuse confiance.
Certain nom, que je suis loin de rejeter par éloignement personnel, a été mis en avant et semble à quelques-uns d'entre nous propre à rallier les intérêts intérieurs et extérieurs. Le prince de Leuchtenberg, dit-on, ne doit inspirer aucune défiance à la France et à l'Europe. Mais, messieurs, a-t-on oublié que nous vivons à l'époque des révolutions les plus imprévues, que les esprits inquiets, habitués à voir tomber les gouvernements qui se succèdent avec rapidité, s'imagineront longtemps encore pouvoir recommencer au gré de leurs ambitions déçues ces drames milieux pour les peuples ? Quelles que soient la popularité, les intentions généreuses du roi des Français, au milieu du flux et du reflux de tant de prétentions diverses qui s'agitent en France, verrait-il avec sécurité, si près de sa capitale, régner un jeune prince d'origine française, qui doit sa fortune au chef de l'empire fameux dont la Belgique faisait partie ? Les membres de la famille Bonaparte ne viendraient-ils point de préférence résider dans nos provinces ? et les nombreux personnages que la chute du régime impérial a privés de brillantes carrières, n'attendraient-ils rien d'un mouvement qui réunirait au territoire français la riche Belgique, en portant sur le trône de France celui qui déjà serait assis sur le nôtre ? En vérité, messieurs, je m'étonne que des hommes graves et réfléchis aient négligé, dans leurs calculs, de pareilles (page 110) chances. Il est permis d'être confiant, et ma nature ne me porte pas aux précautions exagérées ; mais, j'ose le dire, le ministère du roi Louis-Philippe trahirait hautement ses devoirs, s'il n'opposait une résistance invincible à l'élévation d'un prince appartenant de si près à l'ex-dynastie napoléonienne.
Si je parais ici, messieurs, m'opposer à la réunion à la France, ce n'est pas assurément, comme pourraient se l'imaginer certains esprits soupçonneux, que ma foi religieuse me porte à redouter la fusion complète avec nos voisins. J'ai passé parmi eux les plus belles années de ma vie, entouré d'excellents parents, d'amis les plus chers. Je suis loin de croire que l'Église catholique perdrait à l'union nationale des Belges avec les Français. Beaucoup d'entre ces derniers marchent, il est vrai, dans une voie d'intolérance étroite, qui les empêche de suivre, à l'égard des prêtres trop longtemps compromis par les Bourbons déchus, les principes généreux de la liberté civile et religieuse. On conteste en France, on y refuse même aux catholiques la liberté d'association, celle de l'enseignement, prérogative la plus précieuse du père de famille ; mais nous, Belges, attachés à l'Église romaine sans avoir jamais encensé l'idole de l'absolutisme constamment repoussé de notre sol, croyez-vous qu'on envahirait nos droits sans trouver une résistance autrement efficace que celle qu'opposa à ses adversaires le clergé respectable qui, malheureusement, épuisa si longtemps ses forces, en prêtant l'appui le plus inutile au royalisme décrépit de la restauration ? Les Belges, malgré leur infériorité numérique, propageraient infailliblement à la tribune française, comme dans les journaux, les idées larges de tolérance, destinées à se répandre par tout l'univers en dépit des fanatiques apostoliques de Portugal ou d'Espagne, comme des fanatiques anglicans ou voltairiens de la Grande-Bretagne et de la France. Nous crierions avec enthousiasme : Vive le roi citoyen ! mais périsse à jamais l'oppression des consciences ! Et le vieux libéralisme, comme l'Église servile, céderait au bon droit.
Après une digression qui n'est pas étrangère au sujet important qui nous occupe, qu'il me soit permis, messieurs, d'adresser quelques plaintes à cette assemblée sur l'exigence qu'elle a montrée à l'égard d'un gouvernement qui méritait davantage sa confiance : elle a obligé ce gouvernement, qui remplissait avec fidélité ses devoirs et qui savait les comprendre, à livrer à une entière publicité des documents que les convenances généralement admises parmi les nations prescrivaient de communiquer avec réserve. Je suis fâché de le dire, mais je ne saurais pas plus flatter les assemblées souveraines, que les monarques. L'affaire délicate à traiter du choix d'un prince pour la Belgique, aurait dû être laissée avec plus d'abandon aux hommes que leur dévouement ou leur expérience connue avaient portés au pouvoir exécutif : deux cents personnes qui veulent être au courant de tous les rapports diplomatiques, sans exception, rendent presque impossible aucune négociation. En dernier lieu, je ferai observer aux honorables députés qui siègent dans cette enceinte, que tous les membres du gouvernement provisoire, tous les membres du comité diplomatique, et le chef du comité de la guerre, s'accordent unanimement sur l'urgence d'élire, au plus tôt, le prince de Bavière. J'abandonne à ceux d'entre vous, messieurs, qui daignent nous accorder quelque estime, les motifs de cette détermination. (U. B., 14 janv.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Messieurs, ce n'est point par défiance de motifs employés par le gouvernement provisoire et le comité diplomatique, qu'on propose la formation d'une section centrale du congrès et l'envoi de commissaires pris dans son sein. C'est une adjonction nécessaire en cette importante circonstance du choix du chef de l'État, pour satisfaire à la responsabilité de chaque membre du congrès, pour éviter les interpellations semblables à celles qui ont dû être faites. « En diplomatie, comme en galanterie, la prudence, le secret même est le moyen d'avoir encore quelque chose à dire... On ne dit plus rien à celui qui dit tout. »
La sagesse et l'esprit calme du peuple belge doivent être démontrés... La sagesse du congrès est aussi remarquable quand on pense au moment et aux circonstances de la réunion. S'il y a eu quelque exagération, quelque élan trop prononcé, ne doit-on pas l'attribuer à l'amour de cette séduisante liberté dans laquelle ainsi qu'en une maîtresse adorée, les amants ne peuvent apercevoir aucune imperfection.
Vous avez à faire connaître aux cinq puissances représentées à Londres votre situation et vos besoins.
Faible en comparaison d'elles par l'étendue de son territoire et de sa population, la nation belge peut néanmoins se faire écouter par son importance dans l'équilibre de l'Europe ; elle fait pencher la balance du côté où elle se porte.
Et si, comme il y a lieu de le croire, à cet équilibre européen est attachée la question de la paix ou de la guerre, peut-être la tenez-vous en quelque sorte en vos mains, peut-être est-ce à vous (page 111) de la décider en usant de votre droit, par le choix que vous avez à faire du chef de cet État.
En adoptant pour forme de gouvernement la monarchie constitutionnelle, vous avez fait peut-être des sacrifices d'opinions au moins, au désir, à la situation d'États voisins, à la sécurité de l'Europe.
Il doit vous être tenu compte à l'avance de ce que vous pouvez encore faire.
Si pour cette sécurité elle réclame de vous des combinaisons, des exclusions, il faut qu'elle établisse la vôtre d'une manière aussi immuable que possible.
Il le faut, elle le peut, elle le doit, il est dans son intérêt de le faire.
Pour être inoffensive et stable, il faut que la Belgique soit heureuse et forte.
L'intérêt du peuple est leur guide puissant. Toute barrière, toute digue se brise devant le torrent de leurs besoins.
C'est maintenant un fait trop évident. Sans doute il ne peut manquer d'être méconnu, messieurs ; et dans ce moment toute précipitation dans le choix du chef de l'État vous priverait peut-être d'immenses avantages, que dans leur délibération les plénipotentiaires des cinq puissances préparent, il est possible, en notre faveur, et dans leur intérêt même.
C'est avec plus d'espérance que de crainte, messieurs, que j'ai lu les troisième et quatrième paragraphes du protocole du 20 décembre dernier, qu'il me soit permis de vous en donner lecture.
« Les événements des quatre derniers mois ont malheureusement démontré que cet amalgame parfait et complet que les puissances voulaient opérer entre ces deux pays n'avait pas été obtenu, qu'il serait désormais impossible à effectuer, qu'ainsi l'objet même de l'union de la Belgique avec la Hollande se trouve détruit, et que dès lors il devient indispensable de recourir à d'autres arrangements, pour accomplir les intentions à l'exécution desquelles cette union devait servir de moyen.
« Unie à la Hollande et faisant partie intégrante du royaume des Pays-Bas, la Belgique avait à remplir sa part des devoirs européens de ce royaume, et des obligations que les traités lui avaient fait contracter envers les autres puissances. Sa séparation d'avec la Hollande ne saurait la libérer de cette part de ses devoirs et de ses obligations. »
Si telle avait été la pensée, le vœu des puissances : qu'auraient-elles fait ? Elles auraient donné à la Belgique une grande importance dans le système européen, par la réunion à la Hollande. Il leur avait fallu que ce fût un État puissant dans le but de fonder un juste équilibre en Europe et d'assurer le maintien de la paix générale.
Il devient indispensable, disent-elles ensuite, de recourir à d'autres arrangements pour accomplir les intentions à l'exécution desquelles cette union devait servir de moyen.
Ils avaient été nobles, généreux, ces arrangements. A quelque exception, à quelque incompatibilité près, le royaume des Pays-Bas réunissait de nombreuses sources de prospérité, et vous n'auriez pas, messieurs, à vous occuper du choix d'un chef de l'État, si celui auquel en étaient confiées les rênes, par une obstination sans exemple, peut-être, rejetant toute observation, toute respectueuse représentation, ne l'eût entraîné où il est, où toute sage prévision le voyait à l'avance s'entraîner.
La situation de la Belgique eût été forte, heureuse et stable, si celui qui devait être le père de l'État eût entendu, ou n'eût point oublié sa mission.
Toute réunion nouvelle entre la Belgique et la Hollande est désormais reconnue impossible par tous ; et pourtant un agrandissement de force et de territoire avait été jugé nécessaire à l'équilibre, à la paix de l'Europe : il doit l'être encore.
N'est-il pas d'autres peuples voisins et dont la sympathie nous promettrait plus de bonheur ? Ne pourrions-nous point arriver à des limites naturelles et rassurantes ?
Ne travaillerait-on point, par des combinaisons qu'il ne m'est point donné de prévoir, ni de repousser, à nous donner une félicité réciproque, base de toute stabilité, base et résultat de toute prospérité industrielle, agricole et commerciale ?
Quoi qu'il en puisse être, messieurs, il paraît évident, qu'avant que vous puissiez utilement procéder au choix du chef de l'État, il faut sans doute calculer les besoins de la Belgique pour être forte et heureuse.
Il en est d'imminents qui ne peuvent échapper à aucun œil : la délimitation convenable du territoire ; la libre navigation de l'Escaut.
Sans m'attacher à d'autres points. pour le moment, ceux-ci me semblent devoir être déterminés.
Votre constitution d'ailleurs est-elle achevée, ce contrat bilatéral ou synallagmatique, qui doit vous lier et lier le chef de l'État à nous, est-il prêt à être présenté maintenant à son acceptation ?
Est-ce bien le simple choix du chef de l'État, (page 112) messieurs, qui est imminent ? Aurez-vous maintenant autre chose qu'un nom ? Que ce soit Pierre, Paul ou Jean, celui que vous placerez sur le trône, que nous importe ? ce sont les relations, les garanties qu'il apportera et qui formeront en quelque sorte sa dot ; c'est là ce que je veux connaître ; c'est là ce qui déterminera en fait l'indépendance réelle, le bonheur du peuple belge, sa prospérité commerciale, industrielle et agricole, si vivement réclamée en cet instant.
L'Europe veut sa tranquillité, nous voulons aussi la nôtre, elle doit nous l'assurer !
Il ne me suffit pas à moi, comme à un honorable préopinant, qu'une alliance ne présente pas d'inconvénient. Je veux des assurances, des sûretés, des avantages, s'il est possible.
C'est au moyen de ce que d'autres ne peuvent vouloir que souvent des conditions favorables sont obtenues.
Votre force, votre pouvoir à l'égard des nations, messieurs, est dans celui que vous avez encore de nommer un chef à l'État : ne leur faites pas un nouveau sacrifice sans être certains des résultats que vous obtiendrez : le droit de nous choisir un souverain, vous l'avez conquis ! il a été reconnu ! vous saurez le maintenir !
Vous saurez le maintenir par tous les moyens qui appartiennent à une nation noble, généreuse, sensible à l'honneur.
Vous avez vu le 24 novembre ce qu'a produit dans cette enceinte la seule idée d'intervention étrangère.
Vous trouverez de l'écho chez le peuple belge ; vous choisirez qui bon vous semblera, il sanctionnera et votre choix et son indépendance ; il soutiendra et ses droits et les vôtres.
On ne peut pas plus exclure un prince, que vous en imposer un, si vous avez le sentiment de votre dignité.
Mais loin de moi toute exagération : vous pouvez, messieurs, vous devez même consentir à des sacrifices moyennant qu'on vous en fasse pour l'intérêt du pays.
Vous pouvez, vous devez consentir à des combinaisons utiles ou agréables à vos voisins, pourvu qu'en échange elles le soient à vous-mêmes, que vous y trouviez des garanties certaines du bonheur futur de notre patrie. Vous ne pouvez vous laisser aller à des impulsions : vous êtes des mandataires responsables. (C., supp., 14 janv.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt – Quelques orateurs ont parlé d'une manière fort inconvenante du prince Othon. Ce n'est point répondre à ses adversaires que de rejeter des injures ou de grosses plaisanteries à la tête. Le prince Othon nous convient sous tous les rapports, et il ne sera pas si difficile de trouver de bons régents.
L'orateur parle de la nécessité de réclamer, les armes à la main, la liberté de l'Escaut et la possession du Luxembourg. Il pense que le choix immédiat d'un roi avancera la solution des questions qui préoccupent les esprits. Il s'oppose à ce que l'on consulte les cabinets de Londres et de Paris sur le meilleur choix à faire. On connaît les intentions de l'Angleterre et de la France. Il ne faut pas que la nation belge aille étaler à l'étranger les embarras où elle se trouve ; l'envoi d'une députation du congrès constituerait un outrage fait aux délégués du comité diplomatique. Ce serait les déclarer indignes de la confiance du congrès ; ce serait, de plus, poser un acte qui rentrerait directement dans les attributions du pouvoir exécutif. Ces considérations le déterminent à voter contre l'envoi de toute députation. (C., 13 janv.)
M. Destriveaux – On a entendu beaucoup d'orateurs. Je renoncerai à la parole, si on veut prononcer la clôture de la discussion. ( Oui ! oui ! Non ! non ! Parlez ! parlez.) (U. B., 14 janv.)
M. le président – Il y a encore dix-sept orateurs inscrits. (J. B., 14 janv.)
M. Destriveaux – Messieurs, si j'ai le malheur de fatiguer l'assemblée, elle s'est imposé à elle-même la loi d'être indulgente à mon égard.
(Après ce court exorde, l'orateur pose la question qu'il s'agit de décider ; il parcourt une à une les diverses objections faites contre le projet de décret, les réfute, et conclut à l'adoption.) (U. B., 14 janv.)
M. de Gerlache – Messieurs, la note diplomatique du 20 décembre, qui vous a été communiquée le 3 janvier, porte : « Unie à la Hollande, et faisant partie intégrante du royaume des Pays-Bas, la Belgique avait à remplir sa part des devoirs européens de ce royaume, et des obligations que les traités lui avaient fait contracter envers les autres puissances. Sa séparation d'avec la Hollande ne saurait la libérer de cette part de ses devoirs et de ses obligations.
« La conférence s'occupera conséquemment de discuter et de concerter les nouveaux arrangements les plus propres à combiner l'indépendance future de la Belgique avec les stipulations des traités, avec les intérêts et la sécurité (page 113) des autres puissances, et avec la conservation de l'équilibre européen. »
Ainsi, quand on vous a dit, avec trop de candeur peut-être, que les puissances avaient reconnu l'indépendance pure et simple de la Belgique, cela n'était malheureusement pas vrai. Qu'en faut-il conclure, messieurs ? c'est qu'en trompant nos envoyés, de vieux diplomates n'ont pas prévu tout le danger que la Belgique au désespoir pouvait faire courir à l'Europe. Notre diplomatie s'est noblement relevée, je l'avoue, dans son énergique réponse à la note du 20 décembre.
Aujourd'hui, et pour nous faire prendre une résolution précipitée, on nous parle du malaise général, de l'impatience de la nation, des complots qui menacent l'État et le gouvernement. Pour les masses, dit-on, la révolution n'est pas close tant que nous n'avons une forme de gouvernement stable, tant que nous n'avons jeté les yeux sur un prince qui plaise au peuple et à l'armée. Je réponds que la question n'est point là. Ce n'est ni la promulgation de votre constitution, ni la présence d'un prince qui satisferont le peuple, et vous tireront d'embarras. Après tout, ce doit être là le moindre de vos soins, car il ne dépend que de vous de hâter l'achèvement de votre constitution et de choisir un chef. C'est l'incertitude de notre avenir et la fausseté de notre position qui nous tuent. Si l'Escaut n'est bientôt ouvert, vous n'avez d'autre parti à prendre que de vous jeter dans les bras de la France ou de rappeler le prince d'Orange. Or, la France ne veut pas de vous, et vous ne voulez pas du prince d'Orange. Cependant, pour peu que le provisoire dure encore, la France sera contrainte de prendre une décision. Le peuple français et le peuple belge, entraînés l'un vers l'autre par un irrésistible mouvement, parleront plus haut que les diplomates et les gouvernements. Toutefois l'Escaut ne peut être rouvert que par l'intervention des grandes puissances. Elles doivent déclarer que la libre navigation d'un fleuve qui arrose notre territoire est une des conditions nécessaires de notre indépendance reconnue. Certes, si le droit des gens est quelque chose, le droit de naviguer librement dans l'Escaut et dans les mers qui communiquent avec l'Escaut, appartient aux Belges par suite du droit d'exister. Dire à un homme : Vous êtes parfaitement libre chez vous, mais je vous défends d'y entrer ni d'en sortir, c'est une sanglante dérision. Voilà cependant comment la Hollande entend les traités.
Cependant, je le répète, il faut l'intervention amicale ou armée des grandes puissances pour exécuter l'armistice qu'elles nous ont fait conclure, parce que le roi de Hollande, soumis aux volontés d'Amsterdam et de Rotterdam, n'y consentira jamais volontairement, et que vous n'avez point de flotte pour l'y forcer. La séparation de la Belgique et de la Hollande a toujours été dans le vœu du haut commerce néerlandais, mais à condition que l'Escaut ne fût point libre.
Les conditions qu'exigent nos ennemis sont pour eux les honneurs de la guerre et les profits du commerce ! C'est une question de vie ou de mort pour la Hollande comme pour nous ; si l'Escaut reste fermé, nous périssons ; s'il est ouvert, Amsterdam et Rotterdam succombent, car Anvers les tue. Aussi le roi Guillaume ne veut rouvrir l'Escaut qu'à la dernière extrémité et à des conditions ruineuses pour la Belgique. Vous connaissez la conscience politique de la Hollande depuis qu'elle est devenue puissance maritime et indépendante. Vaincue par l'Angleterre, elle a pris sa revanche sur la Belgique. Vous connaissez le traité de Munster, le traité de la Barrière, et les efforts inutiles de Joseph II pour l'affranchissement de l'Escaut. Enfin la Hollande, et la Hollande seule, a été cause que la Belgique, en possession du plus beau port de l'Europe, n'est pas redevenue ce qu'elle était sous les ducs de Bourgogne.
Or je vous demande à quoi servira l'élection d'un roi pour décider de telles questions ? Si ce roi est homme de cœur, il voudra connaître lui-même les charges qu'on nous impose pour savoir s'il peut régner sur nous avec honneur. S'il ne s'en enquiert point, s'il accepte une couronne à tout prix, je crois qu'il importe peu à la nation belge d'avoir un tel chef.
Sans une autre situation, je ne vois donc pas ce que produirait l'élection précipitée d'un souverain, si ce n'est de compliquer de plus en plus nos affaires. Le peuple s'en amuserait un instant ; il s'en réjouirait, et cela durerait autant que durent toutes les illusions de la vie. Sous ce rapport j'ai peu de chose à dire sur le prince Othon de Bavière, parce que je ne devine pas en quoi la présence d'un roi de quinze ans, avec une régence ou un régent, pourrait avancer nos affaires. Ce prince, comme on vous l'a dit, ne peut accepter notre constitution et se marier avec une fille de Louis-Philippe que dans deux ou trois ans ; ainsi, (page 114) pendant deux ou trois ans, nous serions sans garanties au dedans, et pour ces institutions que nous avons rendues libérales comme à plaisir, et au dehors pour cette union avec la France, à laquelle nous tenons par-dessus tout. Ainsi nous aurions un enfant pour chef dans une monarchie démocratique, inauguré au milieu d'une révolution, et avec la guerre en perspective. J'avouerai cependant aussi que ce n'est pas là mon dernier mot ; si la France nous rendait dès à présent quelque service éminent, en exprimant le vœu que nous choisissions le prince de Bavière, une juste reconnaissance pourrait nous faire changer d'avis et passer sur bien des inconvénients. Quant au prince de Leuchtenberg, je sais fort bien, quoi qu'on en ait dit, qu'il alarme les autres puissances, et la France surtout, où fermentent tant de passions révolutionnaires qui ne cherchent qu'un homme et un prétexte pour éclater.
On vous a parlé de déférer tout uniment la couronne à Louis-Philippe, à condition de lui faire accepter notre constitution. Mais, messieurs, souvenez-vous des termes précis de l'une des lettres (note de bas de page : voir page 62) qui vous ont été lues samedi dernier : « Nous avons demandé ce que le ministère ferait si la Belgique venait d'elle-même s'offrir à la France ou lui demander un prince ? - Le roi Louis-Philippe refuserait la Belgique, nous a répondu le ministre, et vous refuserait également un de ses fils pour vous gouverner. Le roi ne veut pas la guerre, et vous ne devez pas la vouloir non plus. L'Angleterre, toute l'Europe, commencerait cette guerre si vous étiez réunis à la France. Cette guerre se ferait sur votre sol et à vos dépens ; vous y perdriez immensément. » Ce n'est point parce que ces paroles se trouvent dans la lettre de M. Firmin Rogier que je les cite, c'est parce qu'elles se trouvent dans la force des choses, et que l'histoire en atteste la vérité depuis qu'il est question d'un équilibre européen. Précipitez-vous vers la France, et vous donnerez le signal d'une guerre qui peut durer encore vingt ans, guerre à mort entre l'absolutisme et le libéralisme où celui-ci peut être contraint de reculer, guerre qui ruinera votre pays et bouleversera de nouveau l'Europe pour vous ramener peut-être au point où vous étiez en 1815.
En effet, si, poussée par une aveugle ambition, la France vous reçoit dans ses bras, malgré sa force invincible sur terre, elle peut succomber dans la lutte, parce que l'Angleterre, terrible, invulnérable dans son île, comme dans une citadelle, portera d'abord des coups mortels à sa marine et à son commerce ! Combien celle qui a pu renverser le colosse élevé par Napoléon, ne doit-elle point paraître redoutable au pouvoir naissant et encore mal affermi d'un souverain nouveau, ayant pour ennemis tous les mécontents de l'intérieur et tous les partisans de la dynastie déchue !
Et après tout, avons-nous intérêt, messieurs, à vouloir la réunion à la France ? La France est-elle plus heureuse que nous ? voyez comme on y entend les questions de liberté politique et de tolérance religieuse ; voyez où elle en est avec la liberté de l'instruction ; avec ses institutions provinciales et communales qu'elle attend toujours ! Ne se trouve-t-elle pas encore sous le despotisme de ses préfets, comme au temps de Napoléon ? Les bases mêmes de la représentation nationale et de la pairie ne sont-elles pas encore en problème chez elle ? Or, il vous faudra partager les pertes comme les bénéfices ; et quant à présent, ceux-ci me paraissent de beaucoup inférieurs ; car, de s'imaginer, comme on l'a supposé, que nous serons réunis à la France sous le sceptre de Louis-Philippe, et qu'il nous gouvernera d'après la constitution toute belge que nous jugerons à propos de nous donner, en vérité cela n'a pas besoin de réfutation.
Je conçois que le prince d'Orange plaise aux souverains pour roi de la Belgique : ce serait du moins une quasi-légitimité, un demi-retour vers les traités de 1814 et de 1815 ; et je crois qu'on veut nous y ramener degré ou de force, par les lenteurs de la diplomatie, par l'impatience des masses, et par votre propre lassitude. Mais si vous jugez sa cause bien définitivement perdue, expliquez-vous ouvertement, et faites expliquer la diplomatie. Dites-lui qu'enfin l'armistice doit être loyalement et promptement exécuté de la part de la Hollande, si l'on veut que la Belgique soit en effet indépendante et paisible, et qu'elle puisse faire choix d'un souverain ; dites-lui que le roi de Hollande voulant conserver non seulement les rives de l'Escaut, mais des citadelles au sein même de notre pays, telles que Maestricht et Venloo, nous rend la paix impossible, nous force à recommencer la guerre, et que nous la recommencerons ! Dites-lui que la question belge va devenir une question de guerre, et de guerre générale ; terrible pour nous chez qui elle se fera, et non moins terrible pour nos voisins, car une nouvelle trombe révolutionnaire pourrait bien emporter encore une fois peuples, rois et gouvernements hors de leurs orbites ! Cette déclaration doit produire (page 115) son effet ; car aujourd'hui tous ceux qui ont quelque chose à perdre redoutent la guerre, et cependant la guerre paraît de plus en plus imminente. Voilà ce qu'il faut dire au congrès de Londres ! A la France il faut représenter qu'on nous a imposé ou conseillé un armistice qui n'a été favorable qu'au roi de Hollande ; qu'on a cherché à obtenir par des négociations et par des délais calculés ce qu'on ne pouvait emporter par la force, et ce qu'on aurait essayé sans l'attitude formidable de la France. Que la France donc, dans l'intérêt de sa politique et de sa gloire, achève son ouvrage ! Dites-lui qu'un traité de commerce nous est nécessaire ; et que si elle veut nous rattacher à elle par de nouveaux liens de sympathie, elle doit se hâter de nous protéger, et de nous accorder au moins tous les avantages compatibles avec ses propres intérêts bien entendus.
Je n'ai rien dit de l'envoi de nouveaux députés à Londres et à Paris ; car j'avoue que je n'en vois pas la nécessité. Comme l'ont observé quelques-unes des sections, la nomination du souverain tient à la constitution même ; et à cause de cela, ce n'est pas seulement au gouvernement provisoire, c'est au congrès qu'il appartient de s'en occuper, et de faire connaître ses intentions aux puissances. Mais d'après les motifs que je viens d'exposer, il me semble qu'il ne peut être question, quant à présent, de cette nomination, que d'une manière fort indirecte, et qu'il y a quelque chose de plus pressé.
Je m'oppose en conséquence, autant qu'il dépend de moi, à ce qu'on s'occupe immédiatement de l'élection d'un chef, parce que cela me semble prématuré, et parce que je me méfie de la véhémence ou de l'impatience comme de l'enthousiasme d'une grande assemblée, ainsi que je vous le disais lorsque fut votée l'exclusion de la famille des Nassau. Je crois qu'avant de prendre une résolution définitive, vous devez attendre une réponse de Londres et une explication catégorique de la note du 20 décembre et du protocole du 17 novembre qu'on ne nous a point encore fait connaître. (C., supp., 14 janv.)
M. Lecocq – Messieurs, plus on réfléchit sur la nature et l'ensemble des communications qui nous ont été faites hier, et plus on se sent porté à croire que l'obstacle au choix du duc de Leuchtenberg est un obstacle insurmontable.
Ne nous faisons donc plus illusion et n'allons plus caresser une idée que la majeure partie d'entre nous avait accueillie déjà avec l'espérance d'y trouver la fin du provisoire.
Pour mon compte, je me proposais de la défendre cette idée de salut, mais je renonce facilement à de vaines paroles.
Cependant, et comme une matière d'aussi haute importance doit être épuisée à fond, j'adopte très volontiers l'opinion de l'honorable député de Liége, qui siège à gauche ici près (M. Lebeau), pour que la question soit représentée de nouveau sous toutes ses faces au roi Louis-Philippe par les députés mêmes du congrès.
En m'exprimant ainsi, c'est dire que je voterai aujourd'hui sur les conclusions de la section centrale, tout autrement que je n'eusse voté avant les communications diplomatiques.
Mais je dois déclarer dès à présent que l'article 3 de ces conclusions me paraît devoir être modifié en ce sens que les députés ne seraient pas chargés de traiter, mais seulement de voir, sonder, prendre des renseignements sur les faits, sur les possibilités, entrer dans des explications pour bien faire connaître la situation et le caractère du peuple belge, ainsi que ses dispositions bien prononcées à courir toutes les chances pour sortir honorablement de la crise : cette dernière considération sera, n'en doutez pas, messieurs, profondément méditée par les diplomates des cinq puissances.
La liste des éligibles n'est pas épuisée.
Certes le peuple belge n'est pas fait pour tendre des mains suppliantes, pour aller de cour en cour mendier un roi ; non, mais il peut, sans avoir à rougir, consulter sur son choix les membres de la grande société européenne dans laquelle il vient d'être admis.
Mais un État n'est pas comparable en tout à une famille qui peut quelquefois s'isoler sans inconvénient : un État a nécessairement des relations extérieures à ménager ; tous sont plus ou moins dépendants l'un de l'autre.
Cette vérité vous a été trop éloquemment démontrée dans nos précédentes séances pour m'y arrêter aujourd'hui.
Rien d'indépendant sur la terre, s'écriait hier l'honorable député de Philippeville (M. Seron).
Ainsi donc rien jusque-là dans nos démarches qui ne soit digne de la nation que nous avons l'honneur de représenter ; cependant prenons-y garde, nous touchons aux limites extrêmes des convenances, ne les passons pas ! au delà se trouvent l'humiliation et la honte.
Consulter, oui … Mais obéir, jamais ! Et où serait l'indépendance si nous devions fléchir devant toutes les exigences ?
A des conditions humiliantes le Belge indigné briserait lui-même les tables de la loi, et, préférant le danger de l'anéantissement politique à une (page 116) existence octroyée, il se lancerait, en désespoir de cause, au-devant de tous les hasards ; l'Europe entière serait compromise.
D'ailleurs, après tant de calculs diplomatiques trompés, après avoir épuisé toute la prudence des hommes, pourquoi ne pas s'abandonner, pour quelque chose du moins, à une providence divine, en suivant un instinct qui peut nous pousser au bonheur ?
Ce langage, nos députés sauront le faire comprendre aux puissances de la terre.
Alors qu'une révolution est complète, alors que toutes les classes y ont été entraînées, il n'y a plus à revenir sur ses pas sans exposer la société à de nouveaux orages, aux réactions plus ou moins éloignées.
Telle est l'opinion de ceux-là même qui, appréciant tout ce qu'une révolution matérielle, quelque légitime et heureuse qu'elle soit, entraîne de funeste pour les existences privées, ne voulaient qu'une révolution morale, ne travaillaient qu'à une révolution morale ; et nous étions de ce nombre.
Maintenant notre position a des nécessités qu'il faut subir, qu'il faut savoir embrasser avec toutes leurs conséquences.
La résolution unanime des cinq grandes puissances, anéantit, entre autres projets, celui que j'appellerai anti-belge, d'une réunion à un grand empire voisin, même d'une union telle qu'elle est conçue ; il ne peut plus en être question, à moins de vouloir un incendie dont nous serions les premières victimes.
Du reste il vous a été démontré à cette tribune combien il y avait à rabattre des avantages que la réunion présente à quelques esprits ; combien il y avait à rabattre des analogies tant vantées, de quelque part, entre les deux peuples.
Le Belge doit rester LUI.
Messieurs, avant de terminer j'éprouve le besoin de m'expliquer, mais en très peu de mots, sur la question de minorité : mon opinion se rattache aux instructions qui peuvent être données à nos députés.
Cette opinion n'est plus celle que j'avais émise dans une section ; je reste convaincu, après des réflexions très mûres et après tout ce que j'ai entendu dans cette discussion importante, qu'une régence ne peut convenir à une monarchie au berceau.
Ce serait passer d'un premier provisoire à un second.
Une minorité ! une régence ! c'est la mort dans les langes : c'est reculer seulement l'époque de notre absorption politique, et peut-être y a-t-il au dehors quelques arrière-pensées à ce sujet.
Eh quoi ! nous aurons voté dans notre conscience (sans haine comme sans crainte) une exclusion nécessaire à nos yeux pour assurer la paix publique, pour conjurer la guerre civile, et nous nous prêterions à une mesure qui peut, par sa nature de faiblesse, remettre bientôt tout en question ! Non ! et si nos destinées ne veulent pas une indépendance fixe, durable, glorieuse, qu'elles se prononcent de suite ! quelques mois de plus d'une existence péniblement prolongée ne doivent pas nous séduire.
Si ces sentiments se trouvaient partagés par une forte majorité, il serait utile de s'en faire un moyen auprès des puissances, il importerait peut-être au succès de notre cause de ne leur laisser aucun doute à cet égard.
Ainsi point de minorité !
Ce qu'il nous faut, on l'a dit avant moi, c'est un définitif ; c'est un prince majeur, un prince capable de régner lui-même, un prince qui puisse de suite parler à son peuple, le comprendre et en être compris ; un prince enfin qui puisse se présenter à nos phalanges, se mettre à leur tête, et, s'il devient nécessaire, conduire encore le Lion belgique à la victoire.
Messieurs, un écrivain étranger s'extasiait, il y a quelques jours, devant le spectacle majestueux d'un peuple vivant dans l'ordre depuis quatre mois, quoique, disait-il, sans gouvernement, sans lois et sans roi.
Nous n'admettons pas ces expressions dans toute leur valeur grammaticale, mais toujours est-il que notre position, extraordinaire dans l'histoire des nations civilisées, fait un honneur indicible aux mœurs, au caractère du peuple belge, ajoutons à son bon sens, c'est-à-dire, à une profonde raison naturelle qui le distingue de tant d'autres.
Le calme qui règne autour de nous, tandis que l'on discute des intérêts d'un ordre aussi élevé, répond noblement à de perfides accusations.
Le peuple attendra avec confiance les résultats de nos travaux.
Les dissensions auxquelles nous nous sommes livrés forment, pour ainsi dire, une adresse à la nation, un ordre du jour à l'armée.
Je voterai pour les conclusions de la section centrale sous les modifications que j'ai eu l'honneur de vous proposer, et de celles qui pourraient être proposées par d'autres.
Il est bien entendu que les commissaires n'agiront que de commun accord avec le gouvernement qui nous a sauvés de l'anarchie, et à qui nous nous (page 117) plaisons à exprimer notre reconnaissance chaque fois que l'occasion s'en présente : enfin ce n'est point par défiance que j'appuie les conclusions : loin de moi cette pensée ; mais c'est pour ne pas apporter dans le grand œuvre une précipitation qui pourrait être blâmée ; c'est parce qu'il me reste l'espoir d'obtenir par des organes spéciaux quelques nouvelles ouvertures, quelques combinaisons nouvelles propres à servir nos vrais intérêts, et dans tous les cas la double mission servira d'abord l'esprit public.
La connaissance de l'opinion de l'Angleterre que nous attendons à chaque instant, aurait pu être d'un grand poids pour moi, et influer sur l'avis dans lequel je dois persister au moins jusque-là, en faveur des conclusions de la section centrale dans le sens que j'ai déclaré les entendre. (C., supp., 14 janv.)
M. Henri de Brouckere – Messieurs, je ne comptais point prendre la parole dans la discussion qui vous occupe aujourd'hui ; mais la plupart des orateurs que vous avez entendus hier, s'étant prononcés en faveur des conclusions de la section centrale, je me suis fait inscrire, décidé que j'étais à voter contre ces conclusions, afin de vous expliquer ma pensée. Je serai d'autant plus court, que quelques-unes des considérations que je voulais vous soumettre vous ont été présentées par les honorables collègues qui m'ont précédé à cette tribune.
A peine étions-nous réunis ici que, par deux décrets successifs, nous proclamâmes l'indépendance de la Belgique et l'exclusion à perpétuité de tout pouvoir en Belgique de la famille d'Orange-Nassau. Depuis ce moment, chacun de nous s'est occupé avec sollicitude à rechercher quel était celui auquel il convenait, dans l'intérêt de la patrie, de confier la première dignité.
Les opinions les plus divergentes ont été professées, et chacun a donné à cette grande question la solution qu'il croyait la plus propre à assurer notre bonheur.
Les uns se sont prononcés pour la réunion de la Belgique à la France ou pour le choix d'un prince français ; d'autres donnaient la préférence au prince de Leuchtenberg ; un parti assez considérable se déclarait en faveur d'un chef indigène ; aucuns même, faut-il le dire, plaidaient encore la cause à jamais perdue de la famille d'Orange.
Cependant le gouvernement provisoire et le comité diplomatique se mirent en mesure de recueillir les renseignements nécessaires pour éclairer notre choix, pour empêcher que l'incertitude où nous eussions été sur l'opinion des puissances voisines ne nous fît prendre un parti qui eût mis obstacle à toute relation d'amitié avec elles, ou à l'exécution duquel elles auraient cru devoir s'opposer par la force.
En cela le gouvernement provisoire et le comité diplomatique ont noblement rempli leur devoir, et au lieu de leur en adresser des reproches, nous devrions leur offrir des remercîments bien mérités. Car cette fierté que l'on voudrait affecter, en agissant comme si nous pouvions vivre seuls, isolés d'avec nos voisins, comme si nous pouvions arrêter par des forces imposantes leurs projets d'opposition ou d'envahissement, peut bien flatter l'amour-propre, peut même aveugler un instant ; mais les yeux sont bientôt dessillés, et l'on est forcé de convenir que choisir pour nous gouverner un prince que les grandes puissances, que la France surtout refuserait de reconnaître, ce serait exposer la patrie aux plus terribles, aux plus inévitables malheurs.
Quel a été le résultat des renseignements pris par le gouvernement provisoire et par le comité diplomatique ?
Nous avons appris que de la réunion de la Belgique à la France ou du choix d'un prince français, il n'en pouvait être question, et qu'une résolution qui aurait ce résultat serait non seulement réprouvée par toutes les puissances, mais rejetée par la France elle-même : nous avons appris que la France s'éloignait irrévocablement de nous, si nous appelions le prince de Leuchtenberg à nous gouverner ; nous avons acquis la certitude qu'un chef indigène ne serait point reconnu par les gouvernements voisins ; et quant au prince d'Orange, le petit nombre de ses partisans, auxquels je ne reproche pas l'affection qu'ils peuvent lui porter, par suite d'anciens souvenirs, mais auxquels je reproche les efforts qu'ils font en sa faveur, parce qu'il est incontestable que son retour serait le signal de la guerre civile, ils ne peuvent ignorer qu'il n'est plus d'espoir pour la cause qu'ils ont embrassée.
Cependant, messieurs, le temps nous presse ; de toutes parts les habitants paisibles et bien pensants, et c'est le plus grand nombre, nous sollicitent, nous conjurent de décider du sort de la Belgique. C'est moins du provisoire actuel qu'ils se plaignent que de l'incertitude sur notre avenir ; nous devons prendre un parti : tout nous y engage, tout nous en fait une loi. Notre position est embarrassante, je le sais, mais encore faut-il en sortir.
Que nous propose la section centrale ? d'envoyer à Paris et à Londres des commissaires pris dans (page 118) le sein du congrès. Si je croyais qu'il fût possible que cette mesure obtînt quelque résultat, j'y applaudirais de toute mon âme. Mais que feront-ils ces commissaires ? A Paris, on leur répétera ce que l'on a dit au commissaire du gouvernement provisoire ; car je ne pense pas qu'on pousse les soupçons au point de révoquer en doute la véracité de ce qu'il est venu nous rapporter à la tribune. Mais, dit-on, nous connaîtrons officiellement le refus du roi des Français. Eh ! messieurs, que voulez-vous de plus officiel, de plus positif, que ce que contient la lettre écrite hier au comité diplomatique par l'envoyé français ? « J'ajouterai, M. le comte (tel est le langage de M. Bresson), que S. M. ayant à plusieurs reprises manifesté l'intention de ne consentir ni à la réunion de la Belgique à la France, ni à l'élection de M. le duc de Nemours, l'insistance qu'on mettrait à reproduire ces questions décidées n'aurait d'autre résultat que d'agiter la Belgique, et de remettre en question la paix de l'Europe, que S. M. veut conserver. » D'après un des honorables préopinants, nos délégués pourraient exposer au roi des Français l'avantage qu'il y aurait pour lui dans une réunion complète de la Belgique à la France ou dans le choix du duc de Nemours pour occuper le trône de la Belgique. Peut-on penser sérieusement, messieurs, que pour connaître les vrais intérêts de la France, le roi des Français et ses ministres aient besoin de nos lumières ? Peut-on penser que pour quelques arguments qu'on pourrait faire valoir vis-à-vis d'eux, ils reviennent si légèrement d'une résolution prise à la face de l'Europe ? oui, messieurs, à la face de l'Europe, puisque les pièces qui nous ont été communiquées hier en assemblée publique, ayant été imprimées, doivent bientôt être connues partout.
Quant aux commissaires que nous enverrions à Londres, tout ce qu'ils verraient, tout ce qu'ils entendraient serait, non dans notre intérêt, mais bien dans celui de quelque prince anglais ou même du prince d'Orange, qu'il ne tient pas à l'Angleterre de nous imposer. Ainsi, messieurs, l'envoi de commissaires à Paris et à Londres serait totalement inutile, et en cela je me trouverai même d'accord avec quelques membres de cette assemblée qui ne se disposent à adopter les conclusions de la section centrale, que pour gagner du temps ; je dirai même qu'il y aurait dans cet envoi impolitique et inconvenance.
Mais je ne vois pas, messieurs, je l'avoue, l'avantage qu'il y aurait pour nous à gagner du temps ; est-il probable que dans huit, que dans quinze jours nous en saurons plus qu'aujourd'hui ? Si deux mois ne nous ont pas suffi pour nous fixer, quelques jours de plus ne nous éclaireront pas davantage.
Prenons donc un parti ; et, qu'il me soit permis de le dire, cette régence dont on nous fait si peur ne m'effraye pas tant. En vain, nous dit-on que c'est retomber dans le provisoire dont nous voulions sortir, que c'est prolonger le malaise qui nous tourmente. Non, messieurs, c'est une erreur. Ce n'est point de voir le pouvoir en des mains qui dans peu peut-être ne le posséderont plus, que tout le monde est fatigué : ce qui nous fatigue, ce qui nous tue, pour me servir de cette expression, c'est l'incertitude sur notre avenir, c'est le manque d'institutions stables, c'est le défaut de relations, de traités de commerce avec nos voisins, c'est cet état de guerre qui inquiète, qui désole, qui ruine plusieurs de nos provinces, et je puis en parler, moi, député par un des arrondissements de la province de Limbourg, que la guerre fait tant souffrir. Choisissez un chef ; que les rênes du gouvernement lui soient remises, ou que provisoirement elles soient confiées à un régent ; pourvu que nous conservions la paix avec les grandes puissances, la crise est terminée, la Belgique redevient florissante. Bientôt des lois faites pour nous et non pour un autre pays nous régiront, des traités de commerce seront conclus avec les puissances voisines, les Hollandais seront forcés ou par une convention, ou par les armes, de rentrer chez eux, les partis se tairont, le calme renaîtra, le commerce prospérera, et la Belgique jouira de tout le bonheur que sa position, son industrie et ses richesses doivent lui assurer. (C., supp., 14 janv.)
M. le président – La parole est à M. l'abbé de Foere. (J. F., 13 janv.)
- De toutes parts – La clôture ! la clôture ! (Bruit.) (J. F., 13 janv.)
M. l’abbé de Foere quitte sa place et se dirige vers la tribune (J. F., 13 janv.)
- Nouveaux cris – La clôture ! Non ! (J. F., 13 janv.)
M. De Lehaye – M. le président, je demande la clôture et dix membres l'appuient ; elle doit donc être mise aux voix. (J. F., 13 janv.)
M. Raikem réclame la parole. Il demande que l'on se renferme exclusivement dans la question de savoir si on enverra des députés à Londres et à Paris. (C., 13 janv.)
M. Devaux parle contre la clôture. Il lui paraît qu'on ne saurait trop éclaircir la question du choix du chef de l'État. (Appuyé.) (C., 13 janv.)
M. Pirson – (page 119) Je demande la parole contre la clôture. Messieurs, je m'oppose à ce que la clôture soit prononcée parce que j'ai encore quelque chose à dire. (Hilarité générale.) Attendez, messieurs, attendez. J'ai quatre mots à dire seulement qui me paraissent très intéressants. (On rit de nouveau.) (U. B.. 14 janv.)
- Une voix – Demain vous aurez la parole. (C., 13 janv.)
M. Henri de Brouckere – Il y a encore beaucoup d'orateurs inscrits. Je demande qu'il y ait une séance ce soir (Non ! non !), pour en épuiser la liste. Après quoi, si vous craignez de n'être pas assez calmes, on pourra renvoyer la décision à demain. (Oui ! oui ! Non ! non !) (U. B.,u'janv.)
M. le président – Je vais mettre aux voix la clôture. (U. B., 14 janv.)
- La clôture de la discussion est rejetée. (U. B., 14 janv.)
M. l’abbé de Foere monte à la tribune – Messieurs, je prends la parole pour combattre les conclusions de la section centrale, uniquement sous le rapport du principe, d'autres orateurs les ayant réfutées sous d'autres points de vue.
Vous avez conféré le pouvoir exécutif au gouvernement provisoire. Ce pouvoir exécutif, qui est votre ouvrage, a institué un comité diplomatique. Non seulement vous vous êtes opposés à cette institution, mais vous l'avez accueillie et adoptée avec des applaudissements. Quelles sont maintenant les intentions de la section centrale ? De créer une juxtaposition, ou de distraire le pouvoir diplomatique du pouvoir exécutif, alors que l'on n'a pas même cherché à prouver que le pouvoir diplomatique n'est pas une branche du pouvoir exécutif. Les conclusions de la section centrale ont pour objet d'envoyer à Paris et à Londres des ambassadeurs extraordinaires qui ne seraient nommés, ni par le pouvoir exécutif, ni par le comité diplomatique, et qui ne recevraient ni de l'un ni de l'autre leurs instructions. Si vous adoptiez, messieurs, cette mesure excentrique, vous détruiriez votre propre ouvrage ; vous porteriez l'anarchie dans vos propres institutions ; vous consacreriez une confusion de pouvoirs dont l'histoire n'offre pas d'exemple.
Quel serait l'effet de cette mesure anarchique ? Vous fourniriez à la Belgique et à l'Europe entière les éléments d'un soupçon légitime que vous n'avez aucune confiance ni dans le gouvernement provisoire, ni dans le comité diplomatique. Quelle sera votre réponse lorsque la Belgique et l'avenir vous demanderont les motifs d'une mesure aussi extraordinaire ? Si vous adoptez les conclusions de la section centrale, et si vous ne voulez pas abdiquer votre dignité, il ne vous reste qu'un seul moyen de la conserver, c'est celui de procéder à une enquête contre le gouvernement provisoire, et d'examiner s'il a trahi ou non la nation. Si, à défaut d'accusation et même de soupçons légitimes et fondés, vous envoyez à Paris et à Londres des agents diplomatiques investis d'un pouvoir qui n'émane pas du pouvoir exécutif, vous faites tomber ce pouvoir dans le plus grand avilissement, et vous-mêmes vous renoncez à votre propre dignité. L'honorable M. Gendebien vient de nous déclarer que le gouvernement provisoire se propose de redoubler de vigueur dans l'exercice de son pouvoir. C'est, selon moi, un sentiment sublime que de se dévouer au bien-être de sa patrie, alors que les représentants mêmes de cette patrie le feraient descendre dans la plus profonde dégradation.
Dans quel temps se propose-t-on d'avilir ainsi le gouvernement provisoire ? Dans un temps où il faudrait l'investir d'une confiance, d'une protection et d'une force toute particulière ; dans un temps où les factions s'agitent de toutes parts contre lui ; où nous sommes à la veille d'une guerre à mort contre la Hollande ; où le roi de ce pays cherche, dit-on, à corrompre, par l'argent et les promesses, les officiers supérieurs de notre armée nationale, et où les puissances alliées, moins la France, sont soupçonnées de vouloir nous imposer par des voies indirectes le prince d'Orange !
Examinons maintenant l'effet que cette mission singulière doit produire sur les conférences de Londres. Croyez-vous de bonne foi, messieurs, que les diplomates admettent des envoyés qui auront reçu leur mission d'une assemblée délibérante ? L'histoire ne me fournit aucun exemple d'une mission aussi extraordinaire.
Je ne pense pas que la diplomatie consacre une nouveauté de cette mesure. Qu'on ne m'objecte pas que nous nous trouvons dans une position qui sort de l'ordre régulier des relations politiques, c'est une erreur. Nous avons un gouvernement, quoique provisoire, qui est régulièrement constitué, et avec lequel les puissances étrangères sont en relation. Que l'on n'allègue pas non plus que cette mission, émanée du congrès même, produirait peut-être plus d'effet sur les puissances alliées. Ce changement de scène et d'acteurs ne serait qu'un pur incident qui ne pourrait rien contre des principes arrêtés, contre des résolutions privées.
Je voterai contre les conclusions de la section centrale. (C., 13 janv.)
M. le baron de Pélichy van Huerne – (page 120) Messieurs, la question qui nous occupe est, si je ne me trompe, non celle du chef de l'État, mais de savoir si on enverra ou si on n'enverra pas des commissaires, choisis dans le sein du congrès national, aux cours de Paris et de Londres.
Quant à moi, messieurs, ne me rangeant pas à l'opinion de la section centrale, je pense que cette démarche est tout à fait inutile ; et en effet, quel serait le rôle que joueraient à la cour de France nos envoyés ? Quel serait le langage qu'ils y tiendraient ? Diront-ils au roi des Français : Sire, vous venez de nous déclarer, par l'organe de votre ministre des affaires étrangères, que, malgré l'attachement que vous nous portez sincèrement, malgré la plus grande somme de prospérité que vous nous souhaitez, il vous est de toute impossibilité d'accéder à nos désirs pour ne pas compromettre le repos et la tranquillité de vos Etats. Cependant, sire, vous le devez : l'amour des Belges le demande, l'opinion de votre peuple l'exige.
Ce langage, certes, ne serait pas favorablement accueilli ; il ne serait non plus celui d'un peuple qui cherche l'alliance d'un autre peuple. Il nous couvrirait de ridicule et nous priverait, sans aucun doute, de l'amitié, de l'intérêt que cette cour porte à notre régénération. Elle répondrait : Je veux bien être votre ami, mais je ne veux pas hasarder le bonheur de mes sujets ; je ne crains pas la guerre, mais je ne veux pas non plus en être le moteur.
Ne nous exposons donc pas à perdre cette alliance, si nécessaire au bien-être matériel de notre pays ; renonçons à cette ambassade qui ne nous conduirait qu'à la confirmation d'un refus.
Quant à la cour de Londres, je pense que ce serait non seulement inutile, impolitique, mais même nuisible à nos intérêts. Cette démarche jetterait sur nos envoyés une espèce de défiance que nous devons chercher à éviter ; elle pourrait nuire à l'influence qu'ils ont peut-être déjà acquise ; elle ne serait même pas digne d'une nation généreuse.
Nous avons mis notre confiance dans le gouvernement provisoire lorsque nous lui avons de ce chef confirmé le pouvoir exécutif ; il faut la lui continuer, il faut l'augmenter en lui donnant les instructions nécessaires pour sonder, par ses envoyés, les grandes puissances, tant sur le choix du chef de l'État, que sur l'étendue de notre territoire, notre commerce, et les autres avantages qui pourraient résulter de notre non-réunion à la France. Instruits des intentions des grandes puissances (car, il faut trancher le mot, nous sommes malheureusement sous leur influence), nous pourrons alors, et seulement alors, procéder au choix du chef de l'Etat, et nous attacher à celui qui nous présentera les chances les plus favorables pour notre pays.
Persuadé que toute autre conduite serait au détriment de la nation belge, je voterai contre les conclusions de la section centrale. (U. B., 14 janv.)
M. de Tiecken de Terhove, remarquant l'impatience de l'assemblée, renonce à la parole. (J. F., 14 janv.)
M. le président consulte l'assemblée pour savoir s'il y aura séance ce soir. (Non ! non !) (U. B., 14 janv.)
M. Raikem – Comme la question est très simple, qu'il ne s'agit pas de savoir qui sera roi, mais seulement s'il faut envoyer des commissaires, on pourrait entendre les orateurs inscrits et voter demain matin. (C'est cela !) (J. F., 14 janv.)
M. Charles Rogier – Si on termine la discussion aujourd'hui ou demain, je demande que la première séance soit consacrée à la discussion du projet sur la mobilisation de la garde civique. (U. D., 14 janv.)
M. Destouvelles – Beaucoup de sections ne s'en sont pas encore occupées. (U. B., 14 janv.)
M. le président engage les sections à s'occuper de la loi sur la mobilisation de la garde civique, pour que la discussion puisse avoir lieu prochainement. (U. B., 14 janv.)
M. le baron Beyts – Demain nous pouvons avoir des nouvelles de Londres ; je propose de remettre la discussion à demain. (J. B., 14 janv.)
- L'assemblée décide qu'il y aura séance ce soir, à sept heures. (C., 13 janv.)
Il est quatre heures et demie ; la séance est suspendue ; elle est reprise à sept heures et demie. (P. V.)
M. le président – La parole est à M. Van Meenen. (U. B., 14 janv.)
M. Van Meenen – Messieurs, je crois que quelques points n'ont pas été traités. J'éviterai de rentrer dans ceux déjà éclaircis par d'honorables orateurs. .
Je combattrai les conclusions de la section centrale, et resterai dans la question dont on s'est généralement écarté : beaucoup d'orateurs paraissent déjà fixés sur le but de la discussion, d'autres désirent de nouveaux renseignements ; je crois qu'il n'en est pas besoin, et qu'on sait tout ce qu'on peut savoir à ce sujet.
Les partisans de la France, soit comme désirant (page 121) une réunion pure et simple, soit comme voulant placer le sceptre dans les mains du roi Louis-Philippe, ou lui demander un prince de sa famille, ont dû reconnaître que ce parti est impossible. Malgré tout ce qu'on en dit ailleurs, tel n'est pas le désir général, et ce qui le prouve, c'est qu'il n'est venu que quelques pétitions revêtues de peu de signatures. Je crois donc que la majorité de la nation repousse cette réunion, sous quelque forme que ce soit, et il est évident que la France la repousse aussi. Ainsi tombe le double argument qu'on a fait valoir en faveur de cette réunion. Ce ne sont pas seulement les cabinets qui la repoussent, ce sont aussi les peuples ; car les peuples anglais et français, malgré leur sympathie pour les principes de notre révolution, devant souffrir par les résultats de cette réunion, y seront contraires.
Une autre combinaison dont on nous a parlé, est Othon de Bavière. Ainsi c'est une minorité qu'on vous propose, c'est-à-dire, le plus grand des inconvénients de la monarchie. J'espère qu'elle serait repoussée unanimement, si jamais elle obtenait les honneurs d'une discussion sérieuse. Il est vrai que, pour vous la rendre plus agréable, on vous a présenté dans le lointain son union avec une princesse de France, et la prompte reconnaissance des puissances. Si l'on a fixé la majorité des princes à dix-huit ans, c'est qu'on a cru les inconvénients d'une régence si grands, qu'on a préféré s'exposer aux extravagances possibles d'un jeune fou, que de subir ces inconvénients pendant un long espace de temps.
Ce que je vois de plus probable dans cette combinaison, qui nous est tombée ici comme une bombe, et l'on ne sait d'où, c'est que chacune des puissances y a un intérêt privé et caché que nous connaîtrons lorsque nous en serons la victime. Je ne vois aucun motif qui puisse plaider en faveur de ce prince, si ce n'est la quasi-légitimité, parce qu'il est de sang royal : je ne veux pas plus de quasi-légitimité que de légitimité, si c'est là tout son mérite.
Le prince de Leuchtenberg excite ma vive sympathie. C'est un nom cher à l'honneur, à l'armée, à l'histoire. Il peut nous apporter des relations favorables avec la Bavière, l'Autriche, le Brésil, la Suède. Mais, me dit-on, il est exclu par le gouvernement français qui ne le reconnaîtra pas. Le gouvernement français, alors qu'il sera éclairé, ne pourra rester dans une politique aussi étroite ; et d'ailleurs, tout le monde sait combien les ministères et leurs opinions sont mobiles.
- Après une longue improvisation où il démontre l'inutilité d'envoyer de nouveaux ambassadeurs à Londres et à Paris, M. Van Meenen conclut contre les propositions de la section centrale ; mais il consentira, quoiqu'il le juge inutile aussi, à ce qu'on adjoigne au comité diplomatique quatre membres du congrès. (U. B, 14 janv.)
M. de Tiecken de Terhove – Dans la dernière séance du comité général, quelques membres de cette assemblée ont voulu nous montrer des factions partout ; il nous ont dit que ces factions se remuent, s'agitent, conspirent ; que la tranquillité, l'ordre public, seraient compromis ; que des désordres graves, de nouveaux bouleversements, l'anarchie même, pourraient en être la suite ; que pour prévenir tous ces maux dont nous sommes menacés, il fallait au plus tôt sortir de cet état provisoire qui nous tue, et procéder immédiatement à l'élection d'un chef de l'État. Ce tableau qu'on nous a fait de la situation du pays est bien sombre, sans doute ; et cependant, messieurs, vous l'avouerai-je, il ne m'a pas effrayé ; il n'a pas fait, à ce qu'il m'a paru, plus d'impression sur la grande majorité de cette assemblée. Et pourquoi ? parce que je l'envisage, ainsi que beaucoup de mes honorables collègues, comme un tableau dont les ombres ont été fortement rembrunies, comme un tableau qui nous présente plutôt des fantômes, enfants d'imaginations craintives, que des objets réels. Si on me parlait d'une faction qui s'agite et se remue dans l'ombre, j'y croirais ; cette faction, messieurs, c'est celle qui veut nous remettre sous le joug des Nassau ; son but est connu. Quoique faible, peu nombreuse et ne trouvant d'appui que dans quelques grands égoïstes ennemis de leur patrie, soutenus par l'étranger, elle se remue, elle s'agite ; mais ayant la masse de la nation à combattre, elle ne réussira pas. Cependant, qu'on la surveille, qu'on l'observe, et si elle osait sortir de l'ombre à laquelle elle est condamnée, les lois sont là pour en faire justice. Hors de là, messieurs, où sont les factions ? où sont les conspirateurs ? je ne les vois nulle part ; je ne vois que des hommes d'opinions différentes, mais ayant tous le même but, le bonheur, la prospérité de notre belle patrie. Sans doute, il y a du mouvement, de l'agitation, de l'inquiétude même. Eh ! messieurs, quand un peuple attend de nouvelles institutions, un gouvernement nouveau, un chef de l'État, ce peuple devrait être bien indifférent, bien apathique, s'il ne montrait ce désir inquiet de connaître ses destinées futures : de là ce mouvement, cette agitation, que quelques membres de cette assemblée nous ont signalés comme l'effet de mouvements séditieux.
Je le répète, messieurs, je ne vois, je ne connais (page 122) qu'une seule faction ennemie, c'est la faction orangiste ; tant qu'elle verra le château d'Anvers et la ville de Maestricht au pouvoir des Hollandais, et je le dirai, elle conservera quelque espoir. Je pense donc, messieurs, qu'il est nécessaire, qu'il est urgent que le gouvernement provisoire prenne enfin toutes les mesures en son pouvoir pour nous délivrer de leur présence ; s'il le peut au moyen de négociations, par les voies diplomatiques, tant mieux ; mais le roi de Hollande, dont le caractère tenace nous est connu, sera-t-il disposé à entrer en négociation pour nous céder, sans coup férir, des points si importants ? pour moi, je n'y crois pas. Nous ne pouvons certes pas nous bercer non plus du vain et je dirai ridicule espoir que la France interviendra, ou toute autre puissance, pour nous mettre en possession de nos places fortes, occupées encore par nos ennemis. La France a déjà fait beaucoup pour nous en nous donnant cet appui indirect, sans lequel notre glorieuse révolution n'aurait pu prendre son essor, et eût été dès longtemps étouffée par la Sainte-Alliance ; c'est donc sur nous seuls que nous devons nous en reposer, et les moyens ne nous manqueront pas, si on veut les activer. Je le répète, qu'on essaye, si l'on veut, les voies des négociations, bien ; mais qu'il y ait un terme, qu'elles non plus ne deviennent pour nous un leurre, et qu'au delà ce soient les armes qui en décident, auxquelles je suis persuadé qu'il faudra en définitive recourir. Et qu'on ne m'oppose pas ici l'armistice, cet armistice tout d'humanité, comme nous l'a dit un orateur, conclu par l'intervention des grandes puissances, que j'appellerai, moi, un armistice tout de dupes, qui n'exista jamais que pour nous, que l'ennemi ne respecta pas et qu'il n'a pas même reconnu. Ce n'est pas au gouvernement provisoire, qui a été de bonne foi, que j'en fais le reproche, mais à nos ennemis, et nous ne devons plus en être les dupes. Il est temps enfin que d'une ou d'autre manière on délivre nos malheureux compatriotes les Maestrickois du joug du plus affreux despotisme militaire, sous lequel ils gémissent depuis si longtemps. Plus de cent bourgeois sont aujourd'hui plongés dans les prisons. Si ceux qui paisiblement et hors de toute atteinte élèvent ici si vivement la voix contre la dernière raison des peuples et des rois à laquelle je prévois que nous serons forcés de recourir, si ceux-là se trouvaient dans cette terrible situation, je ne sais si leur voix retentirait d'une manière si éclatante pour réclamer cette inertie, si fatale pour nous et nos malheureux compatriotes. Je sens que l'état provisoire dans lequel nous vivons n'est guère propre aux mesures vigoureuses qu'il conviendrait de prendre pour nous tirer d'embarras ; je sens que si ce provisoire se prolongeait il pourrait entraîner les dangers à sa suite et devenir funeste au repos, à la tranquillité publique : hâtons-nous donc, mais avec prudence, de sortir de cet état provisoire, et le plus tôt possible. Mais, messieurs, je vous demanderai si ces combinaisons qu'on nous a présentées offrent bien les garanties de durée, de stabilité que nous cherchons, dont nous avons un besoin si urgent ? est-ce bien dans un roi mineur, dans une régence que nous les trouverons ? Et cependant, messieurs, la situation dans laquelle se trouve l'Europe tout entière, qui est sur un volcan, menacée d'une conflagration générale ; une faction intestine prête à lever la tête, est-ce bien dans des circonstances aussi graves, aussi difficiles, qu'il convient de mettre le sceptre dans des mains aussi débiles ? Je pense, messieurs, qu'un tel gouvernement, composé d'éléments aussi faibles, on ne doit y recourir qu'en désespoir de cause. Je pense donc, messieurs, que tout espoir d'obtenir un prince français n'est pas perdu encore, et que c'est le seul dans lequel je crois trouver notre planche de salut ; que la France seule peut nous donner un prince capable de porter la couronne et de tenir, d'une main ferme, le sceptre de la Belgique ; que par ce choix nous trouverons dans la France un appui, une alliée fidèle ; que cette alliance fera notre force, et que par elle et par elle seule nous obtiendrons cette stabilité qui fait le bonheur des peuples, que nous cherchons tous ; que d'accord avec elle nous pourrons braver nos ennemis qui seraient assez audacieux pour oser attenter à nos libertés, à notre indépendance. Ces motifs m'engagent à voter en faveur des conclusions de la section centrale, tendant à l'envoi à Paris de commissaires nommés par le congrès. (U. B., 14 janv.)
M. Claes (d’Anvers) – La question qui nous occupe est simple, si nous la réduisons aux termes dans lesquels elle a été posée par la section centrale ; il s'agit de savoir si nous enverrons à Paris et à Londres des commissaires pour prendre conseil sur le choix du chef de l'État. Les orateurs auxquels je succède n'ont point borné leurs discours à l'examen de cette question préliminaire, ils sont tous entrés dans la question de fond, c'est-à-dire celle du choix d'un souverain. C'est ainsi que des partisans d'une réunion à la France, avec des institutions séparées et Louis-Philippe pour roi, ont cherché à démontrer que tout espoir n'est pas perdu de ce côté. C'est ainsi qu'un orateur, en nous proposant un petit-fils de Marie-Thérèse, (page 123) d'odieuse mémoire. (Murmures, interruption.) (U. B., supp., 14 janv.)
- Plusieurs membres de la droite – De glorieuse mémoire ! A l'ordre ! (U. B., supp., 14 janv.)
M. Claes (d’Anvers) répète la phrase ; il est violemment interrompu par plusieurs députés siégeant au côté droit. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Charles Rogier – Je ne comprends rien à une pareille interruption ; M. Claes ne fait qu'émettre une opinion historique, et certes il en a le droit. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Claes (d’Anvers) – Je crois avoir entendu un orateur dire, que le règne de Marie-Thérèse était d'odieuse mémoire... (U. B., supp., 14 janv.)
- Les mêmes membres – Non, non, glorieuse. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Claes (d’Anvers) – Du reste, ceci est hors de la question ; mais ma mémoire est fidèle, et je crois être sûr qu'un orateur a dit : Marie-Thérèse d'odieuse mémoire, dont le règne fut un règne de prêtres, (Nouvelle explosion à droite, plus violente que les précédentes.) (U. B., supp., 14 janv.)
M. Lebeau – Nul n'a le droit d'interrompre ; je demande que M. le président rappelle à l'ordre les interrupteurs. (Nouveau tumulte.) (U. B., supp., 14 janv.)
M. Deleeuw – L'orateur a le droit d'être entendu ; M. le président doit rappeler à l'ordre ceux qui l'interrompent. (U. B., supp., 14 janv.)
M. le président fait de vains efforts pour apaiser les partisans de Marie-Thérèse ; le tumulte continue encore quelques minutes. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Claes (d’Anvers) reprend son discours en ces termes – Les préopinants se sont attachés principalement à démontrer la nécessité d'envoyer des commissaires à Paris ; je crois qu'il est au moins aussi urgent d'en envoyer à Londres. Il est des questions commerciales et politiques, qui se résoudront certainement à Londres : ainsi Java appartenait au royaume des Pays-Bas, il s'agit de savoir aujourd'hui si la Belgique, qui a dépensé de fortes sommes pour cette colonie, ne doit pas avoir le droit de garder une partie des possessions qui lui étaient communes avec la Hollande. La dette hollandaise, dans laquelle l'Angleterre est intéressée, ne sera-t-elle pas imposée en partie à notre pays ? et le cabinet de Londres n'interviendra-t-il pas dans cette affaire ?
A Paris, d'un autre côté, on a discuté la question de l'élection de deux princes seulement : un mineur, c'est le prince Othon de Bavière ; un majeur, le duc de Leuchtenberg. Quant au premier, je crains trop les inconvénients d'une régence pour voter pour lui autrement qu'en désespoir de cause, et s'il n'y a pas d'autre moyen de maintenir la paix avec les cinq grandes puissances. Quant au duc de Leuchtenberg, ce choix conviendrait à la Belgique, mais la France semble s'y opposer ; il faudrait donc envoyer des commissaires à Paris pour essayer de vaincre l'opposition des ministres de Louis-Philippe.
Du reste, il est encore d'autres princes que l'on pourrait appeler au trône. Un orateur s'est flatté que l'élection du prince de Bavière, déterminerait la Hollande à ouvrir l'Escaut ; c'est une erreur, messieurs ; la force seule amènera ce résultat, et il ne faut l'attendre que du courage des Belges. (U. B., supp., 14 janv.)
M. le baron de Stassart – Messieurs, la diplomatie est chose mobile de sa nature... La Pologne insurgée, la Pologne menacée par les légions moscovites, est là qui peut changer d'un instant à l'autre les dispositions du ministère français. Le projet que j'avais conçu dès le mois d'octobre, et dont M. Blargnies vous a développé les nombreux avantages. avec une grande supériorité de talent, pourrait bien, dans quinze jours, n'être plus une utopie. Cet espoir, et la crainte de nous fourvoyer en nous imposant une régence, c'est-à-dire le gouvernement qui nous convient le moins, au milieu de la crise actuelle, m'engagent à me prononcer comme la section centrale. Puissent seulement nos commissaires ne pas s'égarer dans le labyrinthe diplomatique, et puisse cette mesure, pour laquelle d'abord j'éprouvais une vive répugnance, ne pas entraîner avec elle des lenteurs, des retards, que notre position ne comporte point ! Le digne héritier du nom et des vertus de l'illustre prince Eugène, le duc de Leuchtenberg, aurait vraisemblablement réuni tous les suffrages en sa faveur ; mais voilà tout à coup que, par la plus méticuleuse et la plus inconcevable politique du monde, on s'avise de lui donner l'exclusion, tant l'indépendance du peuple belge est respectée ! (U. B., supp., 14 janv.)
M. Maclagan – Nous avons beau discuter ici, c'est ailleurs que notre sort se décidera. Souvenez-vous de notre 1790. Les souverains ne consultèrent pas nos intérêts, mais les leurs. Il est une combinaison qui concilierait tous les intérêts et rétablirait nos relations commerciales avec la Hollande. (Attention marquée.) Que nous importerait l'origine du prince que nous choisirions ? nos institutions, notre armée resteraient belges. Il n'y a... (J. F., 14 janv.)
- Voix nombreuses – De qui parlez-vous ? (J. F., 14 janv.)
M. Maclagan - (page 124) Du prince d'Orange !
- A ces mots une violente explosion de cris : A l'ordre ! bas ! part de tous les points de la salle ; le tumulte se prolonge pendant plusieurs minutes avec une force toujours croissante ; le congrès n'avait jamais présenté un tel caractère d'irritation. - M. de Gerlache, dit l'orateur, a développé ce matin la même opinion. (Non ! non ! à bas ! à l'ordre !) (U. B., supp., 14 janv.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – A l'ordre ! Un décret du congrès... (Le bruit est tellement fort que la voix éclatante de l'honorable membre en est totalement couverte.) (U. B., supp., 14 janv.)
M. Alexandre Rodenbach, M. le chevalier de Theux de Meylandt, M. Charles Rogier parlent au milieu du bruit. (U. B., supp., 14 janv.)
M. le président agite vainement la sonnette. Après plusieurs essais infructueux, il obtient un moment de silence et dit. - Je rappelle à M. Maclagan qu'un décret du congrès a prononcé l'exclusion à perpétuité de la famille des Nassau, et qu'il manque à l'ordre en demandant le rappel d'un membre de cette famille.
(Une triple salve d'applaudissements accueille les paroles de M. le président ; cependant, un instant après, le tumulte recommence, et quelques membres adressent de vives interpellations à M. le président.) (U. B., supp., 14 janv.)
M. le président d'une voix forte – Je connais mon devoir et je le ferai ; j'ai rappelé M. Maclagan à l'ordre, c'est à vous à décider si ce rappel à l'ordre sera inséré au procès-verbal. (U. B., supp., 14 janv.)
- De toutes parts – Oui ! oui ! (U. B., supp., 14 janv.)
- M. Maclagan descend de la tribune. (C., 13 janv.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt et M. Alexandre Rodenbach demandent la parole. (U. B., supp., 14 janv.)
M. le président – J'ai rappelé M. Maclagan à l'ordre, vous avez décidé que ce rappel à l'ordre serait inséré au procès-verbal : tout est dit. (U. B., supp.. 13 janv.)
M. Maclagan remonte à la tribune et demande à expliquer sa pensée, en lisant la dernière phrase de son discours. (U. B., supp., 14 janv.)
M. le président lui accorde la parole. (U. B., supp., 13 janv.)
M. Maclagan – Il n'y a entre nous et cette famille qu'un décret du congrès ; que ce décret soit rapporté. (Non ! non ! Nouvelle explosion de cris et de huées.) (U. B., supp., 14 janv.)
M. Alexandre Rodenbach – Jamais nous ne rappellerons cette famille maudite et assassine. (Bravo ! bravo !) (U. B., supp., 14 janv.)
M. le baron de Stassart – Vous insultez le peuple et le congrès ! (J. F., 14 janv.)
- Un autre membre – D'où sort cet homme ? (J. F., 14 janv.)
- Plusieurs voix – C'est un Anglais ! que vient-il faire ici ? nous vendre ? (J. F., 14 janv.)
- Un membre – Qu'il nous amène son prince d'Orange ! Mille poignards le frapperaient, s'il osait souiller le sol de la Belgique ! ! (J. F., 14 janv.)
- L'orateur descend de la tribune au milieu des huées. (Longue agitation. Tumulte.)(J. F., 14 janv.)
M. David monte à la tribune (Les murmures qui ont accueilli la proposition de M. Maclagan l'empêchent un moment de se faire entendre) – Messieurs, la situation géographique de la Belgique ; ses rapports politiques, commerciaux, industriels et agricoles ; les usages, les habitudes, le langage, les mœurs enfin de ses habitants ; leur amour de la patrie et de la liberté : voilà, messieurs, tous les éléments de la sympathie qui font un même peuple des Belges et des Français, ou, en d'autres termes, voilà ce qui constitue la force des choses qui nous entraîne vers ce peuple généreux.
C'est par l'impulsion de cette force des choses que les habitants de Verviers, dont j'ai l'honneur d'être le bourgmestre, vous ont adressé, messieurs, une pétition pour solliciter la réunion de la Belgique à la France ; c'est, pour ainsi dire, poussés par cette force irrésistible, que mes concitoyens ont émis des vœux partagés par la grande majorité des Belges.
Cependant quelques membres de cette assemblée, de même qu'un journal de Bruxelles qui, semblable au caméléon, change souvent de couleurs, se sont permis de dire que ces vœux n'étaient pas patriotiques, qu'ils étaient des mauvais citoyens et des égoïstes ceux qui les avaient formés.
Eh bien ! messieurs, je viens déclarer à cette tribune que ces mêmes vœux, je me fais gloire de les partager avec mes concitoyens, que je suis intimement convaincu (et tout vrai patriote, faisant (page 125) abnégation de tout intérêt personnel, désirant pour sa patrie un bonheur stable et immuable, sera de mon avis) ; je déclare, dis-je , qu'ils sont plus sensés, qu'ils sont bien plus dans les fais principes politiques, ceux qui forment ces vœux, que ceux qui veulent nous donner un enfant pour roi, étayé par une faible régence.
L'éternel refrain, la seule objection banale des adversaires de cette réunion, c'est la menace d'une guerre générale.
Mais, messieurs, cette guerre, ne voyez-vous pas qu'abstraction faite même de cette réunion, elle est inévitable, elle est imminente ?
Cette guerre, ce sera encore la force des choses ou plutôt la raison du siècle qui l'amènera.
La raison du siècle, c'est la souveraineté des peuples : ne fait-elle pas chanceler sur leurs trônes tous les rois absolus ? Croyez-vous qu'ils ne feront pas de nouveaux efforts pour s'y raffermir ?
Ces efforts, ce sera la guerre de ce qu'on appelle la légitimité contre la liberté, de la tyrannie contre la souveraineté des peuples ; elle sera terrible, mais de courte durée : les peuples en sortiront vainqueurs.
Je voterai pour les conclusions de la section centrale. Envoyons au roi des Français une députation choisie dans le sein du congrès, et que sa mission ait pour but de demander si la réunion de la Belgique à la France ne pouvait s'obtenir à présent, d'offrir à Louis-Philippe la couronne comme roi des Belges, pour les gouverner suivant leur constitution et les garanties qu'ils se seront données. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Raikem, rapporteur – Messieurs, depuis six jours la section centrale vous a fait son rapport sur la proposition de M. Constantin Rodenbach, relative au choix du chef de l'État.
Les conclusions du rapport tendent à ce que le congrès nomme des commissaires pris dans son sein, chargés de se rendre à Londres et à Paris. L'objet de leur mission est désigné.
La discussion a été ouverte sur les conclusions du rapport.
La seule question est donc celle de savoir si le congrès nommera ou non des commissaires. Les autres questions me semblent prématurées.
Ce n'est donc pas encore le moment de discuter plusieurs questions déjà traitées à l'avance.
1° Ferons-nous un appel à la nation française, et nous déclarerons-nous partie intégrante de son territoire ?
2° Porterons-nous la couronne de la Belgique sur la tête du roi des Français ?
3° Appellerons-nous un prince de son sang ?
4° Notre choix se portera-t-il sur le fils de celui qui fut toujours fidèle à son père adoptif, lorsque la fortune et les siens l'abandonnaient ?
5° Ne reculerons-nous pas devant une minorité ?
Toutes ces questions sont graves ; elles touchent à nos plus chers intérêts. Mais ce n'est pas ici leur place.
Cependant, je le reconnais, un orateur a été conséquent lorsqu'il a traité la question du choix du chef de l'État ; et c'est ce que nous devions attendre du talent éminent qui le distingue. L'honorable M. Blargnies a émis le vœu que les commissaires fussent chargés d'offrir au roi Louis-Philippe le sceptre de la Belgique, s'il voulait accepter la constitution du peuple belge.
A mon avis, c'est là procéder au choix du chef de l'État.
Je suis loin de m'opposer à ce qu'on procède à ce choix ; mais on doit nous annoncer d'avance quel sera le jour où l'on s'occupera d'un objet aussi important.
Dans ce moment, je me borne à discuter les conclusions de la section centrale.
Et d'abord je me fixe sur notre position à l'époque où la section centrale a délibéré, et sur notre position actuelle.
Nous devons en convenir, lors de l'examen de la section centrale, nous n'avions pas des notions aussi exactes que celles qui nous sont parvenues depuis.
Depuis, nous avons connu la pensée du cabinet français. Vous connaissez maintenant les pièces qui sont parvenues au comité diplomatique. Vous avez entendu notre honorable collègue, M. Gendebien ; il ne peut nous être suspect ; personne ne peut nous inspirer une plus grande confiance : et ne peut-on pas dire que l'obscurité qui pouvait exister auparavant est maintenant dissipée ? Que pourraient nous apprendre des commissaires envoyés à Paris, que nous ne sachions déjà ? Je concevrais cette mission, s'il s'agissait d'offrir au roi Louis-Philippe, soit la couronne de la Belgique, soit la réunion à la France, soit de lui demander un prince français pour chef. Dans ce cas, il faut positivement déterminer l'objet de leur mission. Et ne serait-il pas singulier de les envoyer, en quelque sorte, en qualité de commissaires-enquêteurs ? Une telle mission, outre qu'elle serait peu convenable à la dignité du congrès, n'exciterait-elle pas naturellement de la défiance ?
D'un autre côté, la mission à Londres n'est-elle pas également dangereuse ? Et si les grandes puissances tiennent à des traités que la force des (page 126) choses a détruits, n'est-il pas à craindre qu'elles ne manifestent un vœu que nous ne devons ou ne pouvons accueillir ?
Une mission du congrès n'est-elle pas un acte trop solennel, pour qu'elle ne soit pas chargée de porter une couronne ? Qu'on réfléchisse sur l'importance de la démarche. Si elle est inutile, elle sera par là même nuisible.
Si nous voulons la France ou un prince français, chargeons nos commissaires de le faire connaître à la cour de France et au peuple français. Si nous voulons un autre prince, déclarons également notre choix. Et n'avons-nous pas à craindre une mission, dont le résultat probable ne serait que de faire naître un doute de plus ? (U. B., supp., 14 janv.)
M. Deleeuw renonce à la parole. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Pirson – Malgré l'énergie de mon caractère, je ne monte à cette tribune qu'avec émotion. J'avais deviné juste en prévoyant qu'on enclaverait la Belgique entre Anvers, Maestricht et Luxembourg ; puis sont venues les exclusions des puissances ; puis viendront les réclamations de la France pour les cantons détachés de son territoire en 1815. La guerre seule peut nous tirer d'affaire, mais je m'abstiens de voter sur cette question, car j'ai des informations qui me disent que la guerre sera générale. Au bout de tout cela, la France seule nous tirera d'affaire. (C., 15 janv.)
M. le baron Joseph d’Hooghvorst – J'ai habité deux ans en Bavière et j'ai acquis, pendant ce séjour, la certitude qu'un prince de la famille qui gouverne ce pays serait un excellent roi. Je n'oublierai jamais les bontés dont j'ai été comblé par le roi de Bavière ; mais une considération plus puissante que la reconnaissance, l'intérêt de ma patrie, m'oblige à suspendre mon vote.
Je ne crois pas nécessaire d'envoyer des commissaires à Paris, mais seulement à Londres, où sont réunis les plénipotentiaires des cinq grandes puissances ; si le choix du prince Othon est approuvé par eux, je lui donnerai ma voix. (U. B., supp., 14 janv.)
M. le président – La parole est à M. Alexandre Rodenbach. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Alexandre Rodenbach – Je partage entièrement les opinions de MM. Henri de Brouckere et Raikem, mais je suis encore trop agité pour pouvoir parler ; je renonce à la parole. (Hilarité.) (U. B., supp., 14 janv.)
M. l’abbé Dehaerne – Messieurs, lorsque, après la chute de Napoléon, nous relevâmes la tête, croyant enfin avoir acquis le droit d'être Belges, nous étions loin de penser que les puissances alliées méditaient de nouveaux projets d'asservissement, et qu'elles ne nous affranchissaient du joug de la France que pour nous soumettre à celui de la Hollande, enjoignant ainsi, à un plus grand esclavage, une ignominie plus grande encore. La désolation fut générale dans nos provinces, lorsqu'on apprit le trafic odieux et infâme qu'on venait de faire de nous ; mais l'indignation publique ne put se manifester avec violence : elle fut comprimée par les baïonnettes. On nous disait pour toute raison : C'est la volonté des alliés. Aujourd'hui, messieurs, que les puissances tremblent devant les peuples armés contre elles, ce n'est plus à la force qu'elles ont recours pour nous asservir : elles ne nous font plus la loi ; car elles savent que nous sommes à même de la faire à elles. Les puissances savent que si elles s'engageaient dans une lutte ouverte avec les peuples, leurs trônes seraient bientôt emportés par le tourbillon révolutionnaire qui agite l'univers. Que font-elles donc pour conjurer l'orage qui gronde sur leur tête, et pour soutenir leur ligue contre les peuples ? Elles ont recours à la ruse, à la diplomatie. Ne croyez pas, messieurs, que c'est aller trop loin que de dire que les monarques veulent vous imposer leur volonté : ils le veulent, et ils y réussiront d'autant mieux qu'ils vous laisseront la bonhomie de croire que vous resterez libres dans le choix que vous allez faire sous leur inspiration, et qu'en vous constituant dupes vous-mêmes, vous rendrez dupe la nation elle-même. Je ne sais, messieurs, si je me trompe ; mais je pense qu'il y a moins d'opprobre, moins d'ignominie à céder à la force des armes qu'à la ruse diplomatique ; et, par conséquent, je ne serais pas éloigné de croire que l'ordre de choses qu'on nous prépare sera moins glorieux, moins national, que celui qui nous fut imposé en 1814. Je sais, messieurs, ce qu'on dit pour faire accroire qu'on est étranger à toute influence diplomatique : on prétend que toutes les démarches qu'on a faites, et qu'on voudrait faire encore, se bornent à prendre des renseignements, à s'éclairer sur le choix à faire, de manière que notre comité diplomatique serait le véhicule passif non de la volonté, mais des conseils des cinq grandes puissances. Je veux bien admettre cette supposition ; mais il n'en est pas moins certain que le chef que nous nous choisirons sera celui que les monarques nous auront présenté. Dès lors, messieurs, notre révolution est flétrie, et vous imprimez à la nation une tache ineffaçable. Encore, si vous aviez souscrit à une transaction au moment où l'issue de la révolution était incertaine, (page 127) si vous aviez traité avec les puissances lorsque les canons de Guillaume grondaient sur Bruxelles, on pourrait le concevoir : mais c'est lorsque la révolution est consolidée, lorsqu'elle est devenue elle-même une puissance que les cabinets sont forcés de respecter ; c'est lorsque la cause des peuples gagne de jour en jour, lorsqu'une nation, qui n'est pas plus nombreuse que la nôtre, s'arme de pied en cap pour résister au colosse qui menace de l'écraser ; c'est dans des conjonctures aussi avantageuses pour nous, que vous allez vous résigner à la volonté de ceux qui ne veulent que notre perte, que vous allez souscrire de confiance et aveuglément, pour ainsi dire, à un acte qui ne peut que nous flétrir aux yeux de l'Europe ? Pensez-y bien, messieurs, il y va de l'honneur national, de la gloire de la Belgique : il s'agit de savoir si, dans la lutte qui s'engage entre les nations et les potentats, vous allez vous joindre aux derniers et soutenir leurs projets liberticides ; si vous allez entrer dans l'alliance qu'on a appelée sainte, et vous détacher de la cause des peuples.
Eh ! messieurs, n'y a-t-il pas déjà quelque chose de déshonorant d'aller mendier de cour en cour un souverain, et d'avouer, à la face de l'Europe, que la Belgique ne possède pas un seul citoyen qui puisse joindre à ce titre celui de roi ? Si vous voulez vous faire respecter par la France, faites comme elle : choisissez-vous un roi citoyen. Et ne venez pas nous dire que nous ne serions pas assez forts pour déjouer les factions qui fomentent à l'ombre, lorsque nous avons l'appui des peuples, l'autorité de l'exemple. Il est vrai qu'on a dit que la France n'approuverait pas le choix d'un prince indigène, et que Louis-Philippe, qui a été porté au trône sur les épaules du peuple, ne désirerait pas avoir pour voisin un roi aussi populaire que lui. Messieurs, si cela est vrai, c'est, selon moi, une raison de plus de ne pas sortir du pays pour choisir notre chef ; car si le ministère français veut maintenir le principe de l'intervention, et adopter le système de la Sainte-Alliance, son existence ne sera plus longue, et sa chute pourrait bien entraîner celle de notre futur souverain, dans le cas qu'il serait imposé par ce ministère. Ce qui est certain, c'est que tout ce qui émane du système d'intervention est impopulaire et ne peut tenir longtemps devant l'opinion publique.
Mais il ne suffit pas, dit-on, de consulter l'honneur national dans la question importante qui nous occupe, il faut encore avoir égard aux intérêts du pays. Sans doute, messieurs, et je croirais moi-même trahir mon mandat, si je ne tâchais de concilier les intérêts de ma patrie avec la gloire du nom belge. Mais je soutiens, moi, que nos intérêts sont liés avec ceux des peuples, et non avec ceux des souverains ; je soutiens que si nous restons fidèles au grand principe de liberté, si nous repoussons avec courage toute intervention de la part des puissances, nous nous ferons respecter par les autres nations, nous entrerons en relations avec elles, parce que les besoins réciproques nécessiteront ces relations, et que nous ne permettrons pas que les puissances viennent les traverser. Et savez-vous, messieurs, si la combinaison du prince Othon de Bavière, ou telle autre qu'on vous présentera, sera dans les intérêts de la Belgique ? connaissez-vous les intentions des puissances ? êtes-vous assurés qu'elles n'ont pas d'arrière-pensées ? êtes-vous persuadé que le roi de Bavière voudra nous accorder son jeune fils, et l'abandonner ici à la merci des factions ? êtes-vous bien certains, dans le cas que ce choix soit accepté, qu'il n'y aura pas de stipulations secrètes, semblables aux articles secrets de Londres ? Vous l'espérez, dites-vous ; et pour espérer tout cela, sur quoi vous fondez-vous ? Sur des promesses évasives, sur des insinuations diplomatiques ? Pour moi, messieurs, il me faut quelque chose de plus pour espérer ; et lorsqu'on m'aura démontré que les puissances veulent notre bien, et que les protocoles qu'elles nous ont déjà jetés à la tête ne renferme rien d'inquiétant pour notre sort futur, alors je me résignerai peut-être à prendre un prince étranger comme un pis-aller. Je ne puis concevoir comment le parti diplomatique ose nous accuser de ne pas comprendre les intérêts du pays, en votant pour un prince indigène, lui qui est presque entièrement composé de ceux qui ont déserté nos rangs, et qui avaient cru toujours que le choix d'un prince indigène était le meilleur moyen de satisfaire tous les partis qui existent dans la nation, et de concilier les intérêts divers. Ce n'est pas précisément sur le prince Othon qu'on s'est fixé, mais sur celui que les puissances proposent, sur l'homme de la diplomatie. Ainsi, en définitive, tout l'espoir de cette fraction du congrès est dans la bonne volonté des puissances, lesquelles, comme on sait, nous ont fait toujours beaucoup de bien.
C'est en désespoir de cause, disent beaucoup de partisans d'un prince indigène, que nous renonçons à ce parti. Mais, messieurs, d'où vient votre faiblesse ? N'est-ce pas de ce que vous n'osez pas vouloir ? il y a un mois ou trois semaines, vous vous croyiez les plus forts, et avec raison. Quelle différence y a-t-il entre notre position d'aujourd'hui (page 128) et celle d'alors ? Qu'était-ce au commencement que ce parti diplomatique ? C'étaient tout bonnement quelques hommes qui croyaient sans doute servir leur pays en le livrant à l'influence des cours étrangères. Ce parti, messieurs, n'est fort que de votre faiblesse. Vous n'avez qu'à résister aux insinuations diplomatiques, vous n'avez qu'à repousser toute intervention pour faire fondre ce parti, et même pour l'attirer à vous en désespoir de cause ; car il est certain que la diplomatie est l'ennemie de la France. Nous avons tout pour nous : l'indépendance, la gloire de la nationalité, la force des principes : il ne nous manque que la volonté. Sachons vouloir, et nous triompherons.
Il serait inutile, messieurs, après tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire, d'ajouter que je voterai contre les conclusions de la section centrale. Car, si les intérêts de la patrie et la gloire nationale exigent, comme j'en suis convaincu, que nous choisissions un chef indigène, l'ambassade qu'on nous propose est non seulement inutile, mais même contraire au bien du pays. Au lieu d'envoyer des commissaires à Londres et à Paris, rompons de notre côté cet armistice qui est tout à fait dans l'intérêt de la Hollande et qu'elle a déjà rompu de son côté. Ne ralentissons pas plus longtemps l'ardeur de nos braves, qui brûlent du désir d'aller délivrer leurs frères, exposés aux incursions journalières des barbares du Nord. Ne permettons pas plus longtemps que des hordes de brigands pénètrent dans les Flandres, et menacent tous les jours de profiter de notre indécision pour s'avancer jusqu'à Gand et Bruges. Qu'une parole parte de cette enceinte, et en quelques jours toute la rive gauche de l'Escaut sera nettoyée, le Brabant septentrional se déclarera pour nous, Maestricht tombera en notre pouvoir. Alors nous enverrons des ambassadeurs aux diverses puissances, non pas pour prendre conseil d'elles, mais pour leur faire connaître notre volonté. Voilà, selon moi, la meilleure manière de sortir des embarras où nous nous trouvons engagés, et de faire cesser l'état d'incertitude et d'anxiété qui a pu inspirer des craintes plus ou moins fondées à plusieurs honorables députés, mais des craintes qui ont peut-être été exagérées pour précipiter notre décision sur le choix du chef de l'État. (U. B., supp., 14 janv.)
M. Helias d’Huddeghem – Messieurs, l’envoi de commissaires ne me paraît propre qu'à prolonger nos incertitudes et à nourrir les espérances des partis. Le peuple a-t-il consulté les cabinets pour faire sa révolution ? ne les consultons pas pour nous reconstituer. Apprendrons-nous autre chose que ce que nous avons appris par nos ambassadeurs actuels ? Et nos ambassadeurs actuels, membres de notre assemblée, doivent-ils être mis sous la tutelle des collègues que nous enverrions après eux ? Si nos diplomates ont encouru votre défiance, que ne les rappelle-t-on ? A quoi d'ailleurs tendrait la nouvelle mission ? Veut-on demander à Londres si les grandes puissances consentiraient à la réunion de la Belgique avec la France ? Messieurs, il suffirait que la France montrât seulement la velléité de. s'agrandir pour soulever contre elle toute l'Europe. Depuis deux siècles la crainte d'un renversement de l'équilibre européen a donné lieu à toutes les guerres, et, remarquez-le bien, messieurs, la conviction de l'avoir affermi les a seule terminées.
Tous les Etats de l'Europe ont un intérêt direct à maintenir la paix, et un intérêt plus direct encore à ne pas soulever contre eux l'opinion, reine du monde. C'est l'opinion qui déconcerte les calculs des ambitieux, et les Belges peuvent s'en rapporter à elle pour le triomphe de leur cause. Le droit de se constituer, le droit de se choisir librement un chef ne peut leur être ravi ; aucun gouvernement ne peut le leur contester. (J. F., 14 janv.)
M. le président – La liste des orateurs inscrits est épuisée. (J. B., 14 janv.)
M. Charles Rogier – Messieurs, au point où est arrivée la question, il me semble facile de la résoudre. Il s'agit en effet de savoir si nous enverrons à Paris et à Londres des commissaires chargés, au nom du congrès, de consulter les puissances sur le choix de notre chef futur.
Quant à la première démarche, celle d'envoyer des commissaires à Paris, je crois qu'il a été surabondamment démontré qu'elle serait à la fois inutile et contraire à notre dignité. Nous n'arriverions qu'à ce résultat, de placer le roi des Français dans une position embarrassante et qui l'obligerait à faire une déclaration publique et solennelle des intentions qu'il a déjà manifestées dans une conversation intime et particulière.
Quant à l'envoi de commissaires à Londres, je dis qu'il est inutile aussi, car déjà deux membres du congrès, MM. Van de Weyer et Hippolyte Vilain XIIII ont une mission auprès des envoyés des cinq grandes puissances : si c'est votre désir, vous pouvez rappeler ces deux honorables membres ; mais si vous les croyez incapables de vous faire de faux rapports et de trahir la confiance de la nation, attendez le résultat de leur mission. (Bien ! bien ! Aux voix !)
D'ailleurs, messieurs, remarquez que les orateurs qui ont appuyé la nomination de ces commissaires (page 129) n'ont nullement fixé leurs attributions. On se sentait embarrassé pour déterminer leur mission, car on connaissait déjà l'avis de la France, notre unique amie en Europe ; on connaissait les conseils qu'elle nous donnait et dont on ne veut pas tenir compte. Je sais, moi aussi, tous les inconvénients d'une régence, mais cette régence indigène est peut-être la meilleure combinaison possible aujourd'hui, car nous sommes dans une situation à prendre, non pas le mieux, mais le moins mauvais.
Du reste, si le choix du congrès doit être tel, qu'il ne pourra pas obtenir l'assentiment des puissances de l'Europe, je me réunirai à l'opinion de M. Dehaerne, et je voterai pour l'élection d'un prince indigène ; si alors deux ou trois puissances ne nous tenaient pas parole, et violaient le principe de la non-intervention, nous appellerions la France à notre secours, et si la France elle-même nous manquait, alors du moins nous succomberions avec honneur. Mais si les puissances nous tiennent parole, élisons un prince indigène : le premier acte de son règne sera une déclaration de guerre à la Hollande, et nous irons conquérir chez nos ennemis Anvers, Maestricht et Luxembourg. (Bravo ! bravo !) (U. B., supp., 14 janv.)
M. Meeûs croit que les envoyés du gouvernement provisoire suffisent et qu'on peut leur envoyer des instructions spéciales. Il ne veut pas de minorité, ni de régence ; en règle générale, mais avec la possession du Luxembourg et la liberté de l'Escaut, il s'accommoderait encore du prince Othon. (C., 13 janv.)
M. Devaux – Messieurs, cette séance a prouvé que si nous ne sommes pas d'accord sur ce que nous voulons, du moins nous sommes unanimes sur ce que nous ne voulons pas. (Bravo !) L'union n'est pas rompue ; quoi qu'on en dise, elle existe encore contre nos ennemis communs. Il me semble, messieurs, que la question a été un peu rétrécie ; on ne nous a présenté d'autre alternative qu'un prince français, le duc Auguste de Leuchtenberg, ou le prince Othon de Bavière ; je crois cependant qu'il est d'autres princes qui pourraient également nous convenir, et sur lesquels on a passé légèrement peut. être ; et parmi ceux-là, je citerai le prince de Saxe-Cobourg. Je sais la prévention qui existe dans cette assemblée contre un prince anglais ; je sais que tout ce qui tient à l'industrie se soulève contre un pareil choix : mais on oublie que le prince de Saxe-Cobourg n'est Anglais que par alliance, et que s'il s'alliait à la France, en acceptant la couronne de la Belgique, il deviendrait plus Français qu'Anglais. L'histoire nous apprend d'ailleurs, messieurs, qu'un prince ne sacrifie pas les intérêts du pays qu'il est appelé à gouverner à ceux d'un pays qui lui est devenu étranger.
L'opinion générale est encore défavorable à ce prince parce qu'elle se prononce en faveur d'un prince catholique. La manière dont j'ai voté sur les questions, mi-parties politiques, mi-parties religieuses, qui ont été soumises à l'assemblée, me donne le droit d'exprimer mon opinion librement sur ce sujet. J'ai pensé alors que la loi ne devait être ni catholique ni anticatholique, mais seulement juste et libérale ; et dans le même sens, je ne puis concevoir l'exclusion d'un prince non catholique : s'il est catholique, c'est bien ; s'il ne l'est pas, c'est bien encore, et je dirai plus, si dans l'élection il pouvait y avoir une préférence, elle devrait être pour un prince non catholique ; car, d'après les bases de notre future constitution, il n'y a plus qu'une oppression à redouter, c'est celle de la majorité. Toute notre organisation politique repose en effet sur le système électif, et le système électif est le règne de la majorité. La majorité étant catholique chez nous, il serait peut-être à désirer que le chef du pouvoir exécutif ne le fût pas.
Je crois cependant que c'est cette considération de religion qui a fait exclure plusieurs autres princes allemands qui auraient pu nous convenir, et je pense que nous ne sommes pas assez éclairés sur tous les candidats, pour faire notre choix avec parfaite connaissance de cause.
Je crois que la nomination de commissaires qui seraient envoyés à Paris, nous exposerait à l'humiliation d'un refus ; mais comme je trouve que la question n'est pas assez éclaircie, quant aux princes étrangers que nous pourrions élire, je demande que, suivant les conclusions de la section centrale, on nomme quatre commissaires, non pour partir par la poste, mais pour diriger, de concert avec le comité diplomatique et le gouvernement provisoire, les démarches à faire pour le choix du chef de l'État.
Je viens de dire ce qu'il faut faire si nous croyons devoir élire un prince étranger ; mais dans mon opinion (cette opinion il y a déjà longtemps que je l'ai exprimée), nous devons choisir un prince indigène : s'il en est autrement, notre indépendance ne sera pas complète ; nous serons gouvernés par un prince qui arrivera au milieu de nous sans nous comprendre, et sera comme un élément hétérogène dans notre organisation future. Ce choix d'un prince étranger entraîne d'ailleurs mille inconvénients, au lieu de nous permettre de sortir avec rapidité de la position fausse (page 130) où nous nous trouvons ; les entraves se multiplient autour de nous, et nous sommes entraînés dans d'interminables lenteurs.
L'élection d'un prince indigène est le moyen le plus sage de déjouer les intrigues qui peuvent être ourdies contre nous, le moyen le plus digne de consolider notre révolution : les puissances étrangères n'ont aucun motif d'intervenir pour empêcher ce choix ; elles en avaient bien davantage pour s'élever contre le principe de notre révolution. Ne nous faisons pas illusion, messieurs, ce n'est pas le prince indigène qu'elles redoutent, c'est l'exemple que nous avons donné à leurs peuples. (U. B., supp., 14 janv.)
- On demande la clôture. (U. B., supp.. 14 janv.)
M. Van Meenen – La clôture serait une injustice envers les membres non présents qui se sont proposé de parler demain. (J. B., 14 janv.)
- La clôture est rejetée. (J. B., 14 janv.)
La séance est levée à dix heures et demie. (P. V.)